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Manger les pissenlits par la racineLe corps du mercenaire semblait s'être quelque peu apaisé. La poudre que Riga lui avait faite inhaler n'y était sans doute pas étrangère. Leif s'efforçait de suivre le rythme imposé par la femme qui était venue le chercher dans ce qui ressemblait fort à des catacombes.
- Par là, fit-elle avant de tourner à un croisement.
Ils avalèrent des dizaines de marches inégales avant d'atteindre la surface. Les échos de voix et autres tintements se firent de plus en plus forts à mesure qu'ils s'élevaient dans les hauteurs de la structure. L'esprit de Leif était envahi de doutes et de questions encore sans réponses.
Betel l'emmenait-elle vraiment voir Druss ? Était-il seulement encore en vie ? Pouvait-il se fier aux paroles de Riga ? Qui était ce Odda et sa troupe qui les avaient coincés ? Allait-il recouvrer sa liberté un jour ?
Leif quitta ses bottes du regard et examina plus en détails celle qui lui servait de guide dans les entrailles de l'arène.
Betel était grande, bien plus grande que le vieux mercenaire. Élancée et vive dans ses mouvements, la jeune femme tenait du félin agile et toujours sur le qui-vive. Vêtue d'une armure complète aux reflets argentés, une cape blanche aux contours dorés recouvrait son dos tandis qu'une épée ouvragée tombait à son côté. Son regard était aussi acéré que celui d'un rapace et vous dévorait de l'intérieur.
Elle s'arrêta soudain devant une grille.
Leif suivit son regard et jeta un coup d'œil vers l'ouverture. Le sable et la lumière. Puis les cris d'une foule. Le contre-jour empêcha Leif de voir en détails ce qu'il se passait au dehors. Il se tourna vers
Betel, semblait-il, intriguée par ce qu'elle voyait. Le visage interrogateur du mercenaire l'obligea à parler.
- Estime-toi heureux d'être de ce côté-ci de la grille, car l'enfer se trouve devant tes yeux.
- Où m'emmenez-vous ?La jeune femme en avait à priori assez vu. Elle baissa le regard vers Leif, qu'elle dominait d'une bonne tête.
- Dans les hauteurs de l'empyrée où le commun des mortels n'a pas sa place.Le visage de Leif blêmit. De quoi parlait-elle ? Sans un mot de plus,
Betel reprit l'ascension des escaliers. En chemin, ils croisèrent quelques ouvriers de l'arène, des esclaves pour la plupart, curieux parias scrutant entre deux planches de bois le spectacle se déroulant dans l'arène. Bientôt, ils arrivèrent au dernier étage. Là où le reste des gradins de l'arène étaient de simples bancs serrés les uns contre les autres pour accueillir la foule hétéroclite, l'espace où Leif venait d'être conduit était d'un tout autre acabit.
Des sièges confortables, des tables où trônaient des hors-d'œuvre appétissants, d'innombrables serviteurs prêts à exaucer la moindre volonté de ceux pour qui cet endroit était pensé. Nobles, dignitaires, maîtres d'esclaves, invités de marque, il s'agissait là bien des puissants de Kryam, une caste très fermée. Leif baissa la tête, s'efforçant de rester le plus discret et le plus en retrait possible. Mais fort heureusement pour lui, leur arrivée n'avait, semble-t-il, attiré le regard de personne. D'un geste,
Betel l'invita à la suivre. Ils se dirigèrent vers l'arrière de la grande loge, un peu plus éloigné du sable de l'arène mais aussi légèrement plus en hauteur que le reste de la loge où la plupart des puissants s'était installée.
- Assieds-toi.Leif s'exécuta et prit place dans l'un des deux sièges encore vacants.
Betel s'installa près de lui, à sa gauche. À sa droite, se trouvait un homme aux traits fins le regard fixé vers l'arène. Sa longue chevelure argentée éveilla en Leif des images perdues de sa mémoire.
Durant de longues minutes, le mercenaire garda le silence. Il n'osait rien dire ni faire. Si disparaître avait été en son pouvoir, Leif se serait empressé de le faire, tant la situation lui était inconfortable. Pourtant, ce qui était sur le point d'apparaître sous ses yeux, là, plus bas, sur le sable de Kryam allait bientôt le faire changer d'avis.