La chaleur avait été écrasante.
Durant des semaines, aucune goutte de pluie n'avait frappé la région. Le Précoce Été dont parlaient les sages occidentaux ne s'était pas arrêté à de simples rumeurs. Il fut vérité implacable. La richesse avait troqué l'or pour l'eau comme valeur la plus forte et l'ombre comme une denrée chérie. Les oiseaux du printemps s'en étaient allés plus au nord, laissant le champ libre aux charognards ailés. Les bêtes, assoiffées, se rapprochèrent des villes et les ordures devinrent le paradis des rongeurs de toute taille. La bourgade perdue au milieu de la lande où s'était réfugié
Druss portait déjà les stigmates de cet été beaucoup trop long.
- Hé.
Les paupières du géant étaient encore baissées ; son esprit en train de divaguer, profitant de l'un de ces rares instants de paix. Son ombre recouvrait les trois quarts de la couche où ils avaient passé la nuit. Seul un ridicule pan de drap masquait sa virilité, laissant libre la toison noire et fournie qui parsemait son torse.
- Hé ! répéta une voix féminine.
- Je t'ai payé, se contenta-t-il de répondre.
Druss sentit l'une de ses bottes percuter le matelas non loin de lui. Celle qui lui avait vendu ses services le temps d'une nuit semblait garder son caractère ardent même en dehors du lit. Il daigna enfin ouvrir un œil dans sa direction. La jeune femme était appuyée contre le mur bordant une fenêtre. Dehors, le jour était déjà bien entamé.
Druss remarqua l'air étrange sur le visage de la courtisane.
- Il se passe quelque chose là-bas, dit-elle.
Il n'en fallut pas davantage pour que les sourcils broussailleux du colosse se froncent. Au même instant, des bruits de pas se firent pressants de l'autre côté de la porte. Une silhouette passa le seuil dans un fracas, la même mine creusée que
Druss.
- Habille-toi, faut dégager ! Ils sont ici.Seul un grognement lui répondit. La masse sombre de
Druss s'extirpa du lit dans un sursaut. Bientôt, des cris résonnèrent à l'extérieur. On aboyait des ordres. Les chiens n'allaient pas tarder à répliquer. Leif prit place près de la fenêtre après avoir bloqué la poignée de la porte. Ses doigts tapotaient la garde de son épée avec insistance et une légère impatience.
- Les chevaux ? s'enquerra
Druss.
- À l'arrière du bordel. Faut faire vite avant qu'un crétin se barre avec.
- Détends-toi, Leif.
- Je te l'ai déjà dit, on ne pourra pas leur échapper éternellement ! Surtout si on s'arrête toutes les dix lieues pour que tu sautes la première venue !- Nan mais pour qui tu te prends, vieux schnock ! gronda la professionnelle.
Druss, enfin prêt, s'approcha de la jeune femme et lui prit la main. Une poignée de pièces de bronze tomba entre ses doigts fins tandis que ceux, gigantesques, du colosse les laissaient s'échapper une à une.
- Pour le désagrément.
- Bon, on dégage, paniqua Leif.
Le mercenaire traversa la chambre et prit la tête.
Druss attrapa sa hache avant de suivre Leif. Tous deux empruntèrent l'une des portes menant aux autres couloirs de l'établissement. Ce bordel n'était pas très grand mais à l'instar de tous les autres bordels, les voies dérobées ne manquaient pas pour échapper à une épouse ou à un mari trop curieux.
Derrière eux, le bruit d'une porte fracassée arriva jusqu'à leurs oreilles. Leurs méthodes n'avaient guère évolué depuis la dernière fois. Ils voulaient la tête du géant. À n'importe quel prix.
Le passage menant aux écuries était désert. C'était leur chance. Leif fut le premier à arriver dehors. La lueur du jour lui masqua la vue l'espace d'un instant.
Druss l'anticipa, sa large main le protégeant des rayons ardents du soleil. Il découvrit alors les ombres qui leur faisaient face. Quatre silhouettes, dont l'une d'elles tenant les rênes de leurs bêtes.
- Par Melkor ! La chance est avec nous, fit l'un d'eux.
Question de point de vue.
- Voilà les deux brebis galeuses tant recherchées...