Avertissement : certains éléments pourraient heurter la sensibilité d'un jeune public.- Non, pit-Le fil de l'acier s'enfonça à travers la peau, la chair comme un doigt dans du beurre. Le métal fendit les os, les artères et tout ce qui se présenta à lui avant de ressortir de l'autre côté. Le corps du pauvre hère, délesté de sa tête, fut parcouru par un frisson tandis que son visage déchiré par la peur roulait à quelques mètres de là. La carcasse s'effondra dans le sable brûlant. Une seconde de silence. Puis le vacarme bouillonnant s'élevant des tribunes.
Druss se redressa, la tête de sa hache enfoncée dans le sable. Baigné par les rayons du soleil, le colosse examina l'arène. La journée était bien entamée et nombreuses étaient les âmes perdues parmi les quatre-vingt huit à être déjà tombées. Le cinquième jour du Cercle touchait à sa fin. Les morts s'accompagnaient de l'exaltation du public diverti et tout aussi -voire plus encore- assoiffé de sang que ne l'étaient les gladiateurs. La poitrine de
Druss s'activait au rythme de sa respiration puissante. Le guerrier avait beau être au bord du précipice, son visage transpirait d'une certaine joie frénétique. Depuis toujours,
Druss aimait se battre. Le plaisir simple et primaire de lutter pour sa vie, les sens à l'affût, le goût du sang.
- Tu es coriace.La voix attira l'attention de
Druss. Un homme se tenait à quelques pas de lui, armé d'un glaive. Du sang dégoulinait le long de sa lame et gouttait de la pointe avant de donner à boire aux sables de Kryam. Le gladiateur avait les cheveux ras et des yeux en amande. Aucune cicatrice ne venait enlaidir son corps élancé d'esthète et sa musculature saillante.
Druss fronça ses sourcils broussailleux. Cela signifiait, soit qu'il s'agissait là de ses premiers combats et d'un coup de chance pour lui, soit cela voulait dire qu'il était un combattant très doué.
- Alassyr nous a dit de nous méfier d'un titan aux cheveux noirs. Te voilà donc face à moi. Druss leva les yeux. Ils étaient encore une poignée sur leurs deux pieds. Mais les autres s'affrontaient à bonne distance à l'autre bout de l'arène. Un duel s'annonçait.
- Écoute. L'on me nomme Harokas. Je suis là pour vaincre et devenir une légende. Je n'ai rien contre toi, titan, mais ma victoire passe par ta mort. Et vu tes talents, cela s'annonce comme une finale. Acceptes-tu ton sort ?Le rhûnien haussa les épaules avant de décoller sa hache du sol. Contrairement à son adversaire,
Druss se fichait bien des légendes.
- Fort bien. Offre-moi un combat digne de ce nom, titan.Les jambes de Harokas se fléchirent. En un instant, le guerrier fut en mouvement l'épée en arrière.
Druss recula d'un pas, mais déjà Harokas était sur lui. Sa lame surgit de nulle part et s'éleva vers le ciel, frôlant le visage de
Druss. Le géant leva sa hache dans le but de trancher son opposant en deux de bas en haut. Mais le guerrier bloqua son attaque d'une main sur le manche de l'arme. Si
Druss était fort, Harokas n'était pas en reste. Son coude vînt heurter la pommette de
Druss avant de bondir et de reculer de six bons pieds.
Son glaive pointé en avant, Harokas jaugea son adversaire.
- Si tu n'es pas plus rapide, les sables boiront ton sang dans les prochaines secondes.Druss, l'air pataud, grogna. Sa joue avait viré au cramoisi. Harokas se jeta à nouveau. Cette fois,
Druss tendit sa hache et fendit l'air de droite à gauche, le guerrier roula au sol et trancha dans le vif. Le colosse échappa un cri terrible avant de se retourner. La foudre tomba. La hache s'effondra aussi vite que l'éclair. Harokas esquiva de justesse puis pivota sur lui-même. La blessure infligée à
Druss avait libéré la rage du géant de Rhûn. La pluie s'abattit sur Harokas. Le guerrier élancé évitait les coups de hache tombant comme une pluie diluvienne en tournant autour de
Druss. Les attaques répétées du colosse l'empêchaient de se relever.
*Si tu n'es pas plus rapide, les sables boiront ton sang...*Il n'était pas beaucoup de mots que Harokas regrettait dans sa vie.
Puis le combattant vit une faille. Son glaive chanta une nouvelle fois. Le sang jaillit. Harokas virevolta et se remit sur pieds. Il recula encore, comme pour admirer son œuvre.
Druss lui tournait à moitié le dos. Il remarqua une plaie le long de la cuisse gauche du géant. Puis une seconde sur son mollet droit. S'il avait été plus précis, le tendon d'Achille aurait été sectionné. Et le combat quasiment gagné.
Harokas observa
Druss. Si ses attaques avaient causé des dégâts et libéré la colère de son adversaire, celui-ci ne semblait guère amoindri. Il allait devoir attaqué plus f-
- Qu'est-ce que...L'ombre du titan recouvrit Harokas en un battement de cil. La hache à double lame passa devant l'astre de feu et baigna Harokas dans les ténèbres. Les yeux écarquillés, il n'eut que le temps de se tourner sur le côté avant de voir l'acier frôler son torse brillant de sueur. Il leva son glaive, prêt à contre-attaquer.
Druss, lui, fit un pas en arrière avant de faire face à Harokas et de tendre ses bras.
Le temps s'arrêta.
Le glaive à la pointe brillante piqua tête en avant. La hache, elle, longea l'horizon. D'est en ouest, à la vitesse du son. Son souffle repoussa les grains de sable aux pieds d'Harokas. Suivi d'un bruit terrible qui résonna dans toute l'arène. Harokas s'immobilisa, son regard fixé sur l'extrémité de son glaive fichée dans l'épaule de
Druss. « Tu as raté ton coup, titan » s'apprêtait-il à siffler aux oreilles du colosse.
Mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Car de bouche, il ne restait plus.
Harokas baissa les yeux vers la hache de
Druss. Il y vit, suspendu au fil de l'acier, un morceau de chair, d'os. Et des dents. Les siennes. La terrible hache de
Druss avait emporté dans sa course la mâchoire inférieure d'Harokas, annihilant langue et palais au passage. Le visage d'Harokas n'était plus qu'une moitié, alors qu'un torrent sanglant s'échappait du trou béant en lieu et place de son menton.
Druss leva les yeux vers le guerrier esthète. Il n'était désormais plus qu'une épave. Il releva son arme de destruction et mit fin à l'existence de Harokas. Le corps s'effondra, en même temps que ses rêves de victoire et ses désirs de légende.
Druss se retourna pour constater que de gladiateur vivant, il n'y avait plus que lui. Le dernier.
Devant ce spectacle morbide, le silence du coup de grâce laissa alors place à une ovation incroyable à son égard.
Druss laissa tomber son arme sur le sable. Le même sable qui, déjà, s'abreuvait de tant de liquide encore tiède. Le public se leva d'un bond et se mit à aboyer, à vociférer tant le final du Cercle avait été fantastique.