Le palais était vide à cette heure avancée de la nuit. L’aube approchait mais les notables et autres courtisans n’étaient pas encore à pied d’oeuvre. Aldarion traversait le couloir d’un pas vif. Il était absent depuis une bonne quinzaine de jours et aspirait à retrouver ses appartements.
Un garde le suivait à bonne distance, c’était la convention dans le palais. C’était la seule solution pour qu’il ait parfois un semblant d’intimité. Il tourna à droite en arrivant face à la salle du trône et s’engagea dans le gigantesque escalier qui menait aux appartements royaux.
Le soldat de la Garde de la Rose en faction devant la porte s’écarta pour laisser passer son souverain. Aldarion le salua d’un petit mouvement de tête. Il s’engouffra dans l’antichambre, la pièce centrale qui donnait accès à son bureau, ses appartements et ceux de la reine. Il s’attarda quelques instants sur l’immense peinture représentant son arrière grand-père, le Roi Elessar, revenant à Annuminas tout juste reconstruite.
Il tourna sur sa droite et s’engouffra dans son bureau. Il s’assit sur le fauteuil tapissé de vert en face de sa table de travail et entreprit de consigner les éléments principaux de son voyage dans son journal. Il ne voulait pas prendre le risque d’oublier des éléments essentiels. Il savait également qu’après un long voyage à cheval il avait besoin d’un peu de temps avant de parvenir à dormir.
Un petit claquement retentit dans son dos.
“Je n’ai besoin de rien Othar merci.”
Les appartements de son Chambellan se trouvaient une porte avant les siens et il avait un accès direct au bureau. Ne recevant pas de réponse, Aldarion se tourna de trois-quart.
“Saemon…”
On percevait à peine la surprise du roi dans sa réponse. Son fidèle ami avait toujours eu l’habitude de ce genre de choses. Le Grand Maître de la Compagnie du Sud portait des habits de voyage et devait être de passage en Arthedain.
“Cheveux coupés, barbe rasée… sa majesté paraît dix ans de moins.”
Aldarion sourit. En réalité, il paraissait bien plus que dix ans de moins que son âge réel. C’était là le privilège des dunadains. Saemon s’approcha du petite table sur laquelle se trouvaient des verres et une carafe en cristal. Sans même demander la permission il se servit un peu de miruvor. Interrogé du regard, Aldarion déclina.
“Comment va le plus grand souverain du monde moderne ?”, taquina Saemon.
Aldarion secoua la tête d’un air las.
“Je reviens tout juste de Tharbad où j’ai eu quelques affaires familiales à régler. Je me languis de retrouver le confort de mon lit.”Saemon acquiesçât. Bien que fils du nord, il se réjouissait de retrouver sa maison d’Osgiliath car nul couche n’est plus confortable que la sienne. Il avait néanmoins encore quelques semaines devant lui et pas mal d’affaires à régler sur le chemin.
“Quel bon vent t’amène à Annuminas ?”, la question était sincère mais constituait également une invitation à passer aux choses sérieuses.
Saemon comprit le message et le fit savoir d’un clin d’oeil complice tout en avalant une gorgée de cordial.
“J’avais à voir le frère de ton nouveau Tribun.
- Comment va Leth ?
- Très bien, ses affaires sont florissantes et il te transmet son bonjour.”La chute de l’Ordre de la Couronne de Fer avait profondément rebattu les cartes au niveau politique. Les grandes figures du Sénat étaient toutes mortes ou tombées en disgrâce. Une nouvelle génération de sénateurs avait pu faire son apparition et Loran Neayen en faisait partie. Son charisme et son intelligence avait fait mouche parmi les sénateurs les plus urbains et il était parvenu à se faire élire comme Tribun de la Plèbe. Aldarion savait qu’il avait pu compter sur le soutien de Saemon et de Leth Neayen, Grand Marchand de la Compagnie du Sud, dans l’élection d’un tribun acquis à sa cause.
“ Et que me vaut le plaisir de ta visite ? Tu viens m’offrir tes services ? Je risque d’avoir besoin d’un tribun militaire d’ici peu si cela continue…”Saemon ne releva pas l’allusion à Forlong. Il sembla d’un coup mal à l’aise. Il le savait, la véritable raison de sa visite risquait de profondément déplaire à son souverain.
“ J’aurais besoin d’un petit service..”, Saemon était d’un coup beaucoup plus sérieux. “J
e suis en contact avec un jeune marchand très prometteur et fidèle à la couronne. Malheureusement, son père semble avoir fait quelques affaires avec des membres secondaire de l’Ordre de la Couronne de Fer…”La mâchoire d’Aldarion se crispa d’un coup. Il savait exactement où Saemon voulait en venir. Une loi était passée quelques semaines auparavant qui organisait la confiscation systématique des biens des partenaires commerciaux des membres connus de l’Ordre. Le Roi avait reçu de nombreuses pressions d’héritiers souhaitant pouvoir conserver une partie des biens familiaux les plus anciens.
“Non.”Le ton était sec et ne souffrait aucune discussion. Pourtant Saemon tenta quand même de protester.
“Le gamin n’est pas coupable… On ne peut pas lui faire payer les crimes de son père.”
Aldarion balaya l’argument d’un geste.
“Il commencera sa vie comme la plupart de ses concitoyens. Il construira sa fortune sur son mérite et non pas sur celui de ses aïeux.”Saemon secoua la tête avec énergie.
“Facile à dire quand on est né fils de Roi…”
Son regard croisa celui d’Aldarion tandis qu’il mettait instantanément sa main devant sa bouche, cherchant à ravaler des paroles qu’il regrettait déjà. Il lu dans les yeux de son souverain et ami une peine sincère. Il le savait pour en avoir déjà discuté à de nombreuses reprises, être roi s’était souvent avéré être davantage un fardeau qu’autre chose.
Aldarion lui fit signe qu’il ne lui en voulait pas. Saemon avait tout sacrifié au Royaume d’Arnor et jamais son souverain ne pourrait lui reprocher quoi que ce soit.
“Nous avons changé tous les deux… nous ne sommes plus les deux jeunes hommes que nous étions quand tu es monté sur le trône.”Aldarion secoua la tête, l’air las.
“Ils ont tué ma femme et mes enfants, je ferai tout pour que cela ne puisse jamais se reproduire.”
Saemon posa son verre et se dirigea vers la porte dérobée par laquelle il était entrée. En passant, il posa sa main sur l’épaule d’Aldarion dans un geste fraternel.
“Tu n’oublies pas de prendre tes renseignements à propos de qui tu sais ?”Saemon opina du chef. Il sera l’épaule de son ami dans un geste d’encouragement avant de s’éclipser sans un bruit.
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