Avant de quitter le lieu de l’escarmouche, Raz’Oûl s’approcha du corps de l’homme que Saïs avait tué et l’inspecta, curieux. Il sourit légèrement, intrigué par le massacre. Ce jeune garçon qui mélangait si habilement les thés était donc capable d’une violence pareille ; il avait bien fait de l’emmener avec lui dans cette aventure, et de lui donner l’anneau en bois. Il avait du potentiel.
Raz’Oûl apparut parmi eux comme un spectre du désert. Méfiant de nature, il n’aimait pas que ses trois compagnons discutent longuement entre eux derrière son dos. Dans ce groupe hétérogène il ne faisait entièrement confiance à personne et depuis le début du voyage il utilisait habilement les ambitions et les faiblesses de chaque membre de l’expédition pour préserver sa place de chef. Et si quelqu’un venait à le trahir...il partagerait le sort de l’érudit Sahba.
-Non. Assez de détours. La fortune sourit aux audacieux, Atalia. Il nous faut atteindre la Bibliothèque Interdite au plus vite. Et cette oasis dont vous parlez, elle est sans doute habitée par les Velnasyin ou un autre clan belliqueux. Nous avons survécu une rencontre avec eux ; ce ne sera probablement pas le cas d’une deuxième, surtout que les corps dans le désert ont déjà du être découverts et on porte leurs vêtements.
Raz’Oûl regarda autour de lui comme pour vérifier si quelqu’un oserait s’opposer à son avis.
-Nous arriverons à la Bibliothèque Interdite demain si vous nous avez bien guidé. D’après mes informations, la Bibliothèque elle-même a été bâtie sur une oasis, ce qui me semble crédible car je ne pense pas que ses gardiens se nourrissent uniquement de sable. Nous trouverons un moyen d’acheter ou faire du troc pour obtenir des provisions une fois arrivés sur place, pour le chemin de retour. Et si vous nous avez mal guidé Atalia...on mangera votre cheval en premier.
Le sourire de Raz’Oûl laissait sous-entendre qu’il s’agissait d’une blague, mais son regard, lui, était froid. Chasseur de primes légendaire, l’homme avait du commettre des actes terribles pour accomplir certaines de ses missions. Rien ne le détournerait de son objectif.
***
Ils y étaient. Les impressionnantes structures en grès se mélangeaient au sable du désert dans l’air de midi tremblant de chaleur, mais les quelques palmiers et l’escalier impressionnant bien qu’à moitié en ruine ne laissaient aucun doute. Ils étaient arrivés à la Bibliothèque Interdite dans le coeur du Désert Sans Fin. Raz’Oûl éperonna son cheval laissant pour une fois libre cours à son excitation, et se mit à galoper dans la direction du complexe.
En s’approchant, ils purent distinguer plusieurs détails. Quelques bâtiments étaient en ruine et presque entièrement recouverts de sable ; l’heure de gloire de la Bibliothèque Interdite où les érudits des quatre coins de la Terre du Milieu s’y rendaient en pèlerinage était terminée depuis des décennies, avec la fin de l’influence du Royaume Réunifié sur les terres de l’Est et du Sud. Le bâtiment principal auquel menait un escalier gigantesque semblait toujours en bon état. C’était un endroit sacré pour les Khandéens, et même les hommes des clans belliqueux du désert n’osaient pas s’y attaquer. Les palmiers indiquaient la présence de l’eau en abondance, une bénédiction pour les voyageurs assoiffés dont les provisions étaient presque épuisées.
Ils furent accueillis en bas de l’escalier par un vieillard au visage recouvert de tatouages à moitié effacés et au regard bienveillant mais à moitié aveugle à en juger par la couleur pâle de ses yeux. Il était entouré par plusieurs gardes masqués armés de longues lances de couleur bronze.
-Bienvenue Voyageurs. Ainsi, vous avez traversé le Désert sans Fin ! Vous êtiez prêts à endurer la soif pour assouvir celle du savoir. Je suis Himlad, le gardien de la Bibliothèque Interdite. Avant de pénétrer dans ces lieux sacrés, vous devrez laisser toutes vos armes ici. C’est ainsi.
Jassem savait que c’était une loin ancestrale khandéenne. Personne ne pénetrait armé dans la Bibliothèque Interdite, il s’agirait d’un sacrilège innomable. Réticent mais résigné, Raz’Oûl donna ses lames aux gardes.
-Maintenant, vous allez pouvoir purifier vos corps et vos esprits avant de pénétrer dans la Bibliothèque et être illuminés par le savoir. Suivez-moi.
Himlad les guida en haut de l’escalier, puis à l’intérieur du bâtiment. Les impressionnantes sculptures contrastaient avec la perception d’une architecture khandéenne généralement peu élégante. Le vieux gardien du temple avait une démarche étrange, comme s’il était un marin peu habitué à la terre ferme.
Il les mena jusqu’à une pièce où ils furent étonnés d’entendre un bruit qu’ils avaient presque oublié : celui de l’eau qui coule sur la pierre. Un jet d’eau qui provenait sans doute du massif rocheux sur lequel était bâtie la Bibliothèque remplissait une grande piscine en dalles. Des véritables bains en plein milieu du désert. Le vieux gardien leur indiqua quelques robes grises simples qu’ils pourraient revêtir après leurs ablutions. Il leur indiqua la porte par laquelle ils pourraient se diriger une fois purifiés, puis les laissa.
#Himlad