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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
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Nathanael

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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyVen 20 Mai 2011 - 11:18
Mi figue mi raisin. Sous les dehors d’un rapport bref et concis il perçut les tressaillements d’une remontrance. Un agent demeure un agent, seule la Tête dispose de toutes les informations. Il devait se contenter de la part qu’on voulait bien lui donner. Il garda tout son sérieux sans manifester que son orgueil avait été crocheté par le hameçon de la vérité.

Il y avait du bon et du moins bon. L’avenir de Minas Tirith s’obscurcissait en même temps que les jours des peuples libres. La sagesse des elfes s’étiolait et ne laissait dans l’imagination des hommes que la nostalgie des anciens temps. Ce mage noir avait-il un rapport avec l’Ordre étrange qui semait le trouble au Gondor et au Rohan ? Il était difficile de faire la part entre les actions individuelles et celles qui étaient menées par une armée toute entière. Armée d’ombres, insaisissables. Mais mortelles. Balthazar le Noir avait toujours laissé traîner derrière lui une odeur de cadavres. Sa mort ne ferait pas revenir les trépassés d’outre tombe mais d’autres enfants ne paieraient pas le prix de sa cruauté gratuite Il est des histoires que même les conteurs passent sous silence ...

Ainsi donc il ne retournerait pas à la Cité Blanche. Pas dans l’immédiat en tout cas. Il retint un soupir. Il pria Eru que son périple dans un port ne l’obligerait pas à parcourir de nouveau les cales d’un bateau. Il n’était pas prêt à renouveler sa récente expérience, le roulement de la coque des navires ne lui convenait pas. Il n’avait pas le pied marin. Pelargir, ville où les cohortes de Sauron furent mises à mal par un fils du Gondor, un elfe, un nain, et une armée d’esprits errants attachée à leurs épées fantômes comme à leur serment. Que de légendes il avait entendu à propos des prouesses d’Aragorn, de Legolas et de Gimli ! L’histoire officielle était déjà épique, mais les contes populaires avaient transformé ces trois compagnons en valars venus de Valinor pour sauver la race des hommes en Terre du Milieu. Y avait-il en ce jour des hommes dont le courage et la persévérance pourraient venir à bout du mal qui rongeait ce pays ? Il n’en était pas en tout cas. Les espions ne laissaient pas de traces dans les rapports, et l’Histoire ne gardait pas leur nom en souvenir.

Il questionnait son âme de conteur et d’espion lorsque Bogdan dit signe qu’il s’en allait. Il le salua et le regarda s’éloigner avec la grande flèche qui l’avait accompagné jusque là. Il n’était pas fâché de les voir disparaître. Il ne partageait pas le goût du travail avec de quelconques coéquipiers. Mener seul sa besogne lui convenait mieux. Il tenait à sa liberté d’actions.

Il espéra sincèrement que le Loup Blanc lui propose de faire chemin commun jusqu’à ce qu’il prenne lui-même la route du port. Il pourrait échanger quelques discussions constructives avec ce compagnon d’infortune sans avoir besoin de se justifier sur le fond de sa pensée. Et en agrément il profitait du charriot pour le voyage ainsi que des vivres dont pouvait disposer Lost Ore. Blessé ou non, il continuait de disposer d’un prestige non négligeable, conséquemment de revenus dont lui-même n’avait jamais vu la couleur, et enfin, d’une bouteille de vin à laquelle il aurait bien voulu porter les lèvres. Il fut donc d’abord surpris par les propos de Forlong. Les rumeurs disaient donc vrai ; à un loup solitaire on n’attache aucun lien, seraient-ce même ceux de l’amitié et de la camaraderie. Le silence qui s’en suivit faillit lui laisser comprendre qu’il était temps pour ses jambes de s’agiter de nouveau et de fouler plus fermement le sol qui se déroulait sous le plancher du charriot. Il s’abstint de produire tout mouvement quand Lost Ore reprit la parole.

- Mon âme aspire à partager un peu de la lumière du jour avec un compagnon plus loquace que la face du soleil. Et je vous avouerai que mes jambes ne daignent pas remuer de nouveau. Je serai bien aise de rester encore quelques temps à bord de ce charriot dont le confort défit grandement la rugosité du sol.

Il voulut renchérir sur les potions abondamment employée par les médecins. Il savait très exactement où se trouvait la bouteille de vin, et il lui semblait plus bénéfique pour un homme de partager une bonne goulée de vin plutôt que de s’envenimer avec les sirops inefficaces de charlatans. Charlatans royaux, certes, mais charlatans tout de même. Toutes pensées et actions furent interrompues par l’arrivée inopinée d’une elfe dont il n’avait jamais vu les traits. Ils s’étaient écartés d’à peine plus d’un mile des premières troupes armées. La poussière soulevée par les sabots des derniers chevaux voltigeaient encore devant le charriot. L’étrangère arriva à cheval, avec la grâce héritée de son peuple. Il comprit grossièrement les mots elfiques qu’elle prononça. Les rudiments de sindarin et de quenya dont il disposait étaient poussiéreux. Il la salua, sans dire mot d’abord, puis prit la parole pour épargner au Loup Blanc une nouvelle gymnastique faciale.

- Je ne sais si les simples et les onguents seront plus efficaces que la compagnie et le sourire d’une elfe, ma dame. Nous revenons d’une campagne éprouvante, plus pour certains que d’autres. Je ne suis pas maître de ce chariot, et moins encore de la volonté du Loup Blanc. Mais quant à donner mon avis, je ne suis pas indisposé à vous garder auprès de nous quelques temps, ne serait-ce que pour avoir des nouvelles de votre peuple. Mais je vous serai gré de patienter quelques temps, ne serait-ce pour poser des questions ou pour nous donner des réponses. Si les soldats vous ont mené jusqu’à nous, je suppose que nous ne devons pas craindre une quelconque fourberie de votre part. M’est avis cependant que toute inquiétude disparaîtra plus rapidement autour de quelques chairs partagés en commun.

Il fit signe à un homme à pieds derrière le chariot de se rapprocher. Il était parmi les soldats avec lesquels il avait prit quelques repos les jours précédents non loin d’Assabia ; quand les hommes le haranguaient pour entendre des histoires qui pourraient repousser la peur et la mort. Il lui demanda de porter un message rapide au jeune garçon à qui il avait ordonné de conserver les affaires éparpillées de Lost Ore ainsi que les siennes propres, moins nombreuses. Un jeune homme d’à peine plus de 18 printemps arriva moins d’une minute plus tard, essoufflé et tirant à bras tendus sur le licol d’une mule. Nathanael descendit du chariot pour aider le garçon à charrier matériels, vivres et menues possessions aux pieds de Forlong. Puis il se hissa de nouveau sur ce véhicule de fortune.

- D’où venez-vous pour guérir les soldats blessés au combat dame elfe ? Vous n’avez guère l’accent de qui est coutumier d’user du langage commun.

Il jeta un regard à Forlong avant d’oser porter la main sur un paquetage qu’il avait repéré depuis tôt le matin. Il en sortit la bouteille de vin et la posa de telle façon que le guerrier abîmé par le fil de l’épée puisse s’en saisir.

- Je ne crois pas qu’il soit meilleure potion ou décoction que celle-là pour guérir un homme.

Il esquissa un sourire fugace vers l’elfe, redoutant que ses habitudes soient plus raffinées que celles-là mêmes qu’il avait prises au cours de ses longues pérégrinations. Il se tut et laissa Forlong parler pour son propre parti. Il revenait au maître du chariot de donner son avis.


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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyDim 22 Mai 2011 - 3:39
L'après midi était sec mais glacial. Le vent du Nord soulevait de temps à autre des nuages de poussière de la route royale, rendant le voyage bien moins agréable. Rentrant de l'expédition désastreuse, des centaines des soldats, filles de joie et marchands de toute sorte avaient emprunté ce chemin menant à travers les forêts d'Ithilien vers les régions plus peuplées du royaume du Gondor.

Le chariot rempli de foin avançait lentement mais sûrement vers l'Ouest. Deux chevaux suivaient le véhicule, attachés à l'arrière. L'un était noir et originaire des plaines du Rohan; malgré son âge respectable, il avait gardé toute la noblesse et la force calme pour laquelle les montures de cette contrée étaient réputées. Le deuxième était un magnifique étalon blanc de Dol Amroth, jeune et fougueux; une bête puissante, parfaite pour les batailles. Les deux chevaux appartenaient à Forlong; heureusement, le nombre important de soldats sur la route empêchait les bandits et maraudeurs de tenter de s'en emparer. Après tout, le vieux paysan qui dirigeait le chariot avait laissé sa jeunesse loin derrière, et Nathanael était réputé pour la vivacité de son esprit et non le tranchant de sa lame. Le Loup Blanc, quant à lui, était un guerrier redoutable; cependant dans son état actuel il lui serait difficile de tenir debout, sans parler d'affronter un ennemi.

Un rictus avait déformé ses lèvres lorsqu'il entendit la réponse éloquente du barde à son invitation. Les deux hommes restèrent silencieux pendant un long moment, semblant perdus sans leurs pensées. Peu à peu, Forlong se laissa bercer par le mouvement irrégulier du chariot. Il avait recouvert la partie inférieure de son corps d'une couche de foin; homme du Nord, il n'avait pas peur du froid, mais sa faiblesse actuelle et le manque de mouvement l'avaient laissé fragile aux attaques du vent. La douleur dans son épaule était terrible; elle s'éveillait à chaque fois que les roues du chariot tombaient sur un trou ou une irrégularité du le chemin. La route royale, tout comme le royaume de Gondor, avait été mal entretenue ces cinq dernières années. Le Dunadan avait dissout un dixième de sa portion de poudre d'Hirtzion dans sa gourde d'eau; le somnifère puissant et dangereux pouvait servir d'anti-douleur lorsque consommé en très petites doses.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, Forlong ne savait pas combien de temps s'était écoulé. Ses membres étaient froids, et son épaule pulsait toujours douloureusement. Sa gorge était sèche, et il ressentait l'amertume laissée par la drogue. Il resta sans mouvement pendant plus d'une minute, son esprit brouillé revenant doucement à l'état de fonctionnement. Il changea ensuite de position, tentant de ne pas empirer sa douleur par un mouvement trop furtif. Ses muscles se tendirent lorsqu'il entendit une voix inconnue; il reconnut la langue des elfes gris, et le timbre lui permit d'identifier le sexe du personnage.

Il leva ses yeux embrumés par le sommeil et la drogue, et vit une femme encapuchonnée sur une jument grise. Cette dernière éveilla l'intérêt des chevaux de Forlong; en particulier l'étalon blanc de Dol Amroth, qui hennit avec enthousiasme et frappa de son sabot, soulevant un petit nuage de poussière. Il fallut un moment à Forlong pour comprendre le sens des paroles de l'elfe; heureusement le Sindarin était un langage répandu parmi le peuple Dunedain.

-Mae Govannen...-l'homme du Nord fut surpris de découvrir que seul un faible murmure sortit de ses lèvres lorsqu'il tenta de saluer la voyageuse.

Forlong but une petite gorgée d'eau froide de sa gourde, et laissa Nathanael se charger de la conversation. Etant lui-même relativement habile dans l'art de la parole, le Dunadan ne cessait jamais d'être surpris par l'éloquence et l'esprit analytique de son compagnon. Il fut content que Nathanael s'était abstenu de dévoiler son véritable nom. Lorsque le barde fit mention de repas, Forlong s'aperçut de sa faim; il fut ravi de voir l'homme barbu procurer du pain, de la viande, du fromage et des fruits. Le Dunadan sourit légèrement lorsque ses doigts se refermèrent sur la bouteille précieuse de vin d'excellente qualité. S'appuyant lourdement sur son coude gauche, il s'empara de la dague accrochée à sa ceinture, s'assurant toutefois que ses gestes ne ressemblaient pas à une agression quelconque envers la femme elfique. Sa voix se fit entendre, toujours assez faible, mais audible et calme:

-Vous avez sans doute raison, mon ami. Mae Govannen, Calimehtar.

Calimehtar...ses pensées alourdies par la poudre d'Hirtzion retrouvèrent lentement le lien avec le nom de l'ancien roi du Gondor, bâtisseur de la Tour d'Ivoire. Son nom signifiait quelque chose en Quenya, une langue qu'il ne connaissait que très peu...Brillant épéiste? Oui ca devait être cela...mais il ne vit aucune arme à la selle de la voyageuse; seul le manche décoré d'une dague elfique dépassait d'une de ses bottes. Se rendant compte du silence prolongé, l'homme aux cheveux blancs reprit la parole:

-Vous pouvez faire une partie du voyage avec nous...et ne m'appelez pas Sir. Vous pouvez me nommer...Nimdraug.-au dernier moment, Forlong avait décidé de ne pas se présenter en tant que Lost Ore- Coeur Perdu, son surnom habituel au cours de ces dernières années. Guidé par un sens d'humour noir et par les souvenirs qu'éveilla en lui la langue elfique utilisée par Calimehtar, il se présenta en tant que Loup Blanc en Sindarin.
Il allait refuser la proposition de l'elfe, mais lorsque le chariot sursauta sur une pierre, la douleur le frappa avec une force insupportable; son visage devint terriblement pâle, et il fut obligé de reconsidérer sa réponse. Après tout, le toubib qui s'était occupé de sa blessure avait beaucoup de pain sur la planche cette nuit là, et il n'avait certainement pas accordé au Dunadan plus de temps que ce qu'il était strictement nécessaire. De plus, la lance avec laquelle le jeune soldat avait transpercé son épaule avait une lame édentée, et sans doute assez sale, peut être même rouillée. La peau autour de la blessure était déchirée, et un risque de gangrène n'était pas à sous estimer. Ce n'était aussi probablement pas une mauvaise idée que de changer les pansements. Il dut attendre un long moment avant de regagner suffisamment de forces pour reprendre la parole:

-Je vous remercie...Mais partageons au moins d'abord un repas.

Pendant qu'il prononçait ces dernières paroles, il enleva le sceau de la bouteille de vin avec la dague maniée par sa main légèrement tremblante. Il but quelques petites gorgées, sentant le goût riche du breuvage laver l'amertume qui régnait dans son palais. Lorsqu'il avala le noble liquide pourpre, il sentit une chaleur agréable se répandre dans ses membres gelés. Il passa alors la bouteille à Nathanael, qui, après s'être servi, la partagea avec Calimehtar. Forlong invita le vieux paysan qui dirigeait le chariot à les rejoindre pour le repas; ce dernier se contenta de quelques gorgées de vin et d'un morceau de pain et de saucisson, avant de se tourner à nouveau vers l'avant.

Le Dunadan mâchait lentement le repas humble mais appétissant que Nathanael avait procuré; il s'était à nouveau couché dans le foin, en profitant pour étudier un peu leur nouvelle compagne. L'elfe était de taille moyenne, et sa cape ne laissait paraitre pratiquement aucune partie de son corps. Forlong trouvait ca quelque peu étrange, mais curieux plutôt que menaçant. Après tout, le froid était omniprésent, et les elfes avaient des coutumes parfois surprenantes. Profitant du fait que la femme était debout sur le chariot au dessus de lui, le Dunadan jeta un bref regard sous les profondeurs de sa capuche; il fut surpris de découvrir la peau très pâle de l'elfe, mais ne fit aucune remarque à ce sujet.

Un soupçon de méfiance naquit dans l'esprit de Forlong; ces dernières années l'avaient laissé plutôt désillusionné face aux étrangers, ou même ceux qu'il pensait connaitre. Son rôle de justicier anonyme du Bas de la Cité Blanche, l'expédition d'Assabia et son allégeance à l'Arbre Blanc lui avaient montré la corruption des hommes de l'Est tout comme de l'Ouest, et la facilité avec laquelle les esprits malsains étaient capables de manipuler leur violence innée. Que faisait une elfe seule, voyageant presque sans armes, si loin des territoires de son peuple? Pourquoi cachait elle son visage, et était ce lié aux motifs de son voyage? Certes, les elfes étaient réputés pour leurs talents de guérisseur ainsi que leur bénévolence; c'était sans doute la raison pour laquelle les soldats avaient mentionné sa blessure à Calimehtar. Après tout, c'était Laurelin, à présent un seigneur puissant du peuple elfique, qui, il y a des longues années, lui avait sauvé la vie dans la Comté. Mais les temps étaient sombres, et les Peuples Libres se regardaient avec plus en plus de méfiance et de haine. Il espérait en apprendre plus bientôt...et probablement se débarrasser de la femme avant de se séparer de Nathanael; son caractère solitaire l'avait laissé peut enthousiaste face aux nouvelles rencontres.

Fermant à moitié ses yeux, il continua d'observer la femme, et attendit sa réponse à la question de Nathanael, ainsi que son traitement imminent.


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Calimehtar Oropher
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyDim 22 Mai 2011 - 13:08
    Ce fut l’homme brun à l’allure sage et réfléchi qui prit la parole en premier. Elle l’écouta, rassurée d’être accueillie si facilement parmi eux. Elle sourit en acquiesçant de la tête. Il semblait gentil et généreux, elle ne voulait pas le décevoir au sujet de ses compétences de soins. Elle jeta un regard furtif sur le dit Loup Blanc, dont son état avait l’air de s’aggraver. Elle s’en affligea, mais ne pouvait l’approcher sans son approbation. Elle observa de loin sa plaie…vilaine, profonde, l’hémorragie avait du se rouvrir avec cette route mal entretenue…et le bandage était sale. Quoi de pire pour un blessé, de cumuler toutes ces tares.

    Elle allait dire les nouvelles de son peuple, du moins le peu qu’elle savait, lorsqu’il poursuivit pour l’enjoindre à attendre un repas frugal. Elle ne refusa point, elle n’avait rien avaler depuis l’aube et son ventre commençait à la tirailler. Elle remarqua, au passage, qu’aucun des deux n’avaient dévoilés leurs noms. Méfiance…garde… Elle s’en attrista quelque peu mais ne pouvait leur en vouloir. C’étaient des soldats, et éprouvés de plus par les guerres, le sens, la douleur…

    L’homme fit signe à un jeune d’apporter ses victuailles qu’il aida à charger au pieds du blessé. Elle contribua à la tâche, pour ne pas indisposer l’homme allongé sur la paille, et ne pas gêner son maintien. Elle s’était levée, et sentit son regard vers elle, avec quelques bribes de sa méfiance et ses pensées. Les elfes avaient ce don, de sentir les choses. Il se méfiait, encore plus que son camarade. Était ce du à sa fragilité momentanée ou alors, à son caractère, ce qui expliquerait son pseudonyme de Loup Blanc ?

    Elle ne voulut pas s’en préoccuper pour l’instant et écouta l’homme en face d’elle, qui dévoilait miches de pains, fromage, et une bouteille dont le contenu était aussi sombre que le sang.
    Elle pencha la tête vers le blessé qui venait de la saluer.

    - En toute honnêteté, j’explore les Terres du Milieu en toute ignorance, comme une enfant s’égarant par delà les sentiers battus…Je n’avais jamais quitté la Lothlorien avant…Vous m’en voyiez honteuse. J’ai marché tout droit…traverser des terres dont j’ignorais jusqu’au nom. Ensuite, j’ai acheté Elona dans un village, et chevauché jusqu’ici. Je comprends que le peu d’informations que je peux vous fournir incite à la méfiance, mais je vous assure que mes désirs son louables et sans aucune animosité. Si j’ai entrepris ce voyage, c’est pour me trouver…chercher des informations pour pouvoir m’affirmer davantage…

    Elle s’arrêta un moment, le feu aux joues. Devait elle tout leur dire ? Elle voulait se trouver, certes, mais si elle voulait parcourir les terres du Milieu sans relâche, c’était pour également trouver la raison de son maléfice, elle le savait au fond d’elle-même, même si elle ne trouverait probablement jamais la raison à tout ceci.

    - A la tombée de la nuit, vous comprendrez…Mais nous devrons, si vous le permettez, être…dans un endroit…discret.

    Elle se tut, et un long silence mystérieux voila ses dires.
    Après quelques secondes qui lui parurent des heures, l’homme reprit son ton enjoué pour présenter au blessé la fameuse bouteille au sombre breuvage. Loup Blanc s’en empara avec difficulté, et but quelques gorgées. Elle grimaça sous l’effort visible qu’il fournissait pour chaque geste, et son empathie fit le reste.
    Elle s’agenouilla auprès de lui et attendit avec impatience son autorisation pour lui apporter un peu de réconfort.

    - De plus…hommes…y a-t-il une raison valable pour ne pas porter secours ? Je pense…que cela est dans ma nature. Je cherche à être utile, trouver ma place…

    Sa dernière phrase était presque inaudible. Trouver une place, à elle. La tristesse assombrit un instant ses yeux d’ambres que personne ne pouvait voir.
    Sa tristesse fut remplacée bien vite par l’allégresse de la nouvelle. Elle avait l’accord du Loup Blanc, pour les accompagner, et jeter un œil à sa vilaine blessure. Elle devait cependant attendre encore un moment. Après le repas il a dit…et dans sa voix, on entendait qu’il avait l’habitude de donner des ordres. Son regard intimait le respect et l’obéissance…alors elle hocha la tête à nouveau et s’assit comme elle put contre le bord du chariot, pour ne pas gêner, et se faire discrète.

    Lorsque la bouteille de « vin » fit le tour jusqu’à elle, elle la tint un moment, ne sachant quoi en faire. Elle approcha son nez pour sentir et recula quelque peu. Quelle étrange effluve ! Elle rougit sous les regards amusés des hommes, et, reprenant de sa prestance, amena le goulot à sa bouche et versa un peu de ce liquide dans sa bouche. Elle baissa la bouteille…avala une gorgée, se tourna vivement vers l’arrière du chariot pour recracher le reste, et déglutit avec difficultés. Elle ignorait si le gout resté dans sa bouche était appréciable ou non.
    Honteuse, elle se retourna vers les hommes.

    - Je…je suis désolée…je pense qu’il me faudra un temps d’adaptation…

    Elle prit un morceau de pain qu’elle enfourna avec vivacité dans sa bouche, pour essayer de faire partir le gout du vin. Au moins, elle avait gouté et savait à quoi s’en tenir. Elle avait la tête baissée, et redonna la bouteille du précieux élixir au blessé à sa gauche. Elle regarda un moment sa jument grise, qui s’était calée sur les pas de l’étalon blanc qui devait appartenir à l’un des soldats.
    Elle s’en amusa de la voir se trémousser, tête haute, à l’allure fière, pour le plus grand plaisir du jouvenceau qui renâclait en frappant ses sabots sur le sol. Quand elle se retourna, les homme avait finit de manger, et elle put enfin s’approcher de Nimdraug.
    Elle le fit doucement, car il était inquiet et méfiant. Cela se sentait, et cela se voyait même s’il le cachait bien. Elle se pencha sur son épaule, et défit le bandage avec lenteur, pour ménager sa douleur. La plaie n’était pas belle à voir…

    - Pour ne rien vous cacher, elle n’est pas belle…La plaie s’est rouverte à cause du voyage…et elle est infectée. Sir ? Pouvez vous m’apporter un…un…alcool ? Plus fort que le vin si possible, avec de l’eau et du tissu.

    Elle récupéra dans sa besace quelques herbes de son pays, et une aiguille qu’elle avait miraculeusement pensé à prendre, au cas où il faudra rafistoler son baluchon. Son baluchon avait tenu bon, mais elle servirait à la place, à rafistoler un homme. Le ciel était nuageux…il faudrait qu’un de ces nuages cache le soleil…
    Elle attendit un instant, et une fois les outils préparés, elle déboucha la bouteille.

    - Serrez les dents, vaillant homme.

    Et versa généreusement de l’alcool sur la plaie. Ses muscles se tendirent, et elle s’empressa de prendre du tissu et de l’eau pour nettoyer la plaie. Elle souffla doucement dessus et prit en main son aiguille. N’ayant pas de fil, elle s’empara du bas de sa tunique et arracha un bout, pour en récupérer un. Elle se mit à la couture.
    Elle avait presque finit lorsque le nuage avait laissé place au soleil. Sa peau en fut tout de suite agressée. Elle ne put retenir un petit cri et recula prestement ses mains sous sa cape.
    Elle serra les dents en frissonnant…une légère odeur de chair s’éleva dans l’air. Un autre nuage vint cacher l’astre belliqueux, et elle reprit son travail, plus fébrile.
    Sur ses mains, de légères traces de brulures. Elle termina le bandage en tremblant, et recula. Elle rangea ses affaires.

    - Voilà, c’est finit. Si vous me permettez…

    Elle se réinstalla sur le bord du chariot, chaque parcelle de sa peau cachée. Elle tremblait et souffrait encore un peu, mais cela passera. Elle aurait du attendre le coucher du soleil, mais l’état du Loup ne l’aurait pas permis…Elle baissa la tête et fit semblant de dormir, pour éviter les remarques des hommes. A la tombée de la nuit elle avait dit…

    Elle resserra sa cape autour d’elle et pria les Valar d'accorder la guérison de ce mystérieux d'homme...
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Nathanael
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyJeu 2 Juin 2011 - 19:26
Une lumière diffuse perçait à travers les nuages. Le soleil se voilait la face et le vent ne parvenait que sporadiquement à repousser l’épais manteau gris qui couvrait le ciel. Les bourrasques venues du Nord faisaient chanter les feuilles dans un crescendo chaotique. Après la torpeur du souffle désertique, le froid était une bénédiction pour Nathanael. Il prit plusieurs grandes inspirations pour humer le fond de l’air. Les odeurs du sous-bois n’avaient pas leurs pareilles pour lui enchanter le cœur. Il resserra néanmoins son manteau autour de ses épaules tandis que Forlong ôtait le bouchon de la bouteille de vin et que Calimehtar s’installait dans le chariot. Il savoura le goût de la viande contre son palais, morceau de choix qui avait séché plusieurs mois durant, pendu au plafond d’une vieille ferme gondorienne. Il lui sembla qu’en mangeant une tranche de ce jambon séché et salé il pouvait retrouver la volupté d’un moment de paix. « Bénis soient les Valars de nous avoir accordés ces mets en ces terres ». Prière intime.

Il écouta sans mots dire les propos de l’étrangère. Quelle bénédiction qu’une elfe parmi des hommes ! La naïveté des enfants éclaire leur regard tandis que la sagesse baigne leur front. Calimehtar avait une lueur candide dans les yeux. Il ne distinguait pas clairement son visage, caché en partie par son capuchon. Sa voix était cependant très expressive. Il lui sembla qu’elle parlait avec son âme, en quelque sorte, sans réussir à dissimuler les émotions qui accompagnaient ses pensées. La fraîcheur de cette jeune femme, certainement plus âgée que lui en nombre d’années, lui fit grand bien. Mais l’impression de paix qui émanait des elfes dissimulait toujours une profonde tristesse. Il l’avait appris à ses dépens lors de son voyage à Fondcombe plusieurs années auparavant. Si le temps ne laisse pas la marque de son passage sur les traits de ces êtres graciles, le poids des remords, des regrets et une nostalgie diffuse n’ont de cesse de leur rappeler que l’immortalité n’est pas un don. C’est du moins ce qu’il percevait en tant qu’homme. Les souvenirs ne s’effacent qu’avec la mort. Et la mémoire n’est pas toujours la meilleure compagnie qui soit.

Il tenait toujours la bouteille de vin lorsqu’il se rendit compte qu’il s’était perdu dans ses pensées. Il n’y avait pas encore porté les lèvres quand bien même il n’avait pensé qu’à cet instant depuis l’arrivée de Calimehtar. Il but quelques gorgées de l’alcool et se sentit revigoré, plus léger et l’esprit plus vif. Les vignerons avaient toujours été selon lui les plus grands médecins de ce monde. Bien que l’alcool put tout aussi bien sauver que détruire un homme, mais il en était de même des plantes qu’on maîtrisait mal dans une décoction. Il tendit par la suite la bouteille à la jeune femme aux gestes posés, presque calculés. Il nota l’attention qu’elle portait à ne jamais laisser paraître les parties de son corps. Pudeur excessive ou application rigoureuse d’une éducation longuement inculquée ? Il ne put se donner de réponse. Il ne put jamais croiser son regard, et cette étrange attitude piquait sa curiosité au vif. Mais en homme de bonne compagnie il ne posa pas de questions et ne se montra pas impoli en cherchant à percer un quelconque secret. Il attendrait donc le coucher du soleil. Il se contenta de manger encore un peu tout en écoutant les mots brefs de Lost Ore et les aveux naïfs mais sincères de l’elfe. Il retint néanmoins un sourire lorsque Forlong avoua un nouveau pseudonyme. Chassez les vieilles habitudes, elles reviennent au galop…

Qui ne dit mot n’en pense pas moins. Forlong était tendu, prêt à se défaire au plus vite de sa douleur mais non pas à accorder gratuitement sa confiance. Et Nathanael lui-même, sous ses dehors d’homme accueillant et amical, n’en était pas moins sur ses gardes. Mais il était prêt à laisser l’initiative au charretier de prendre les armes en cas de sursauts inattendus. Il se servait mieux de ses jambes que d’une épée. D’un coup d’œil il s’assura pourtant que celle de Forlong était à portée de mains, de ses mains. Il devait la vie au Loup Blanc. Il paierait sa dette au moment venu. « Pourvu que ce moment ne survienne pas trop rapidement … » Il rit intérieurement de ses propres pensées et ses yeux s’éclairèrent un moment d’une lueur pleine de gaieté.

- Ola !

Il eut une réaction de surprise qu’il ne put contenir en voyant la jeune elfe recracher le vin auquel elle venait tout juste de goûter. Il regarda attentivement la bouteille passer de ses mains à celles de Lost Ore. Précieux et délicat délice que seuls les palais les plus avertis savent apprécier.

- J’étais pourtant certain que les elfes buvaient parfois de cette eau là.

Puis, après une demi-seconde où il prit l’air indigné, il se mit à rire de bon cœur.

- Et encore, vous n’avez pas goûté à l’eau de vie comme savent la faire les hommes de la Plaine de Gondor.

Et que de souvenirs perdus dans la liqueur de poires rohirrime. Plus jeune, il avait su trouver quelques avantages à vivre avec un prêtre ; il n’est pas de meilleur artisan en matière de confection d’alcools de toute sorte.

Il observa avec plus de sérieux les gestes de l’elfe tandis qu’elle soignait son compagnon de route. Il lui donna rapidement ce qu’elle lui demandait mais s’étonna de ne la voir pratiquer que les gestes routiniers des médecins de grands chemins. Forlong aurait très bien pu s’asperger d’eau de vie, et lui-même était assez adroit pour recoudre correctement la chaire d’un homme. Il ne s’abstint pas d’en faire la remarque.

- Je conçois comme vous que la plaie sent meilleure aspergée de liqueur. Mais à moins d’avoir l’intention de faire rôtir cet homme comme on le ferait d’un filet mignon arrosé d’alcool, vous avez usé de beaucoup de liquide pour peu de chose.

Hasard et circonstances. Ses mots furent suivis d’un réflexe de la jeune femme. Il pensa d’abord qu’elle avait été choquée par ses propos. Mauvaise supposition. Il vit ensuite les traces laissées par la morsure du soleil sur sa peau. Il ne pensait pas que les enfants de Gilgalad puissent exister réellement. Il avait entendu une vieille légende à ce sujet. Enfants de la lune, ou enfant des étoiles. Le nom de Gilgalad avait été repris à tord et des liaisons confuses avaient été faites entre l’elfe des Âges antérieurs et cette particularité surprenante. Mais toujours est-il qu’il avait connaissance de cette … chose. Toute connaissance qu’eu pu rassembler son esprit il ne put retenir son étonnement. Il se mordit la langue pour ne pas laisser un flot impétueux de questions franchir le barrage de ses lèvres. Ce fut un exercice difficile pour lui que de se contenir ainsi. Un seul mot trouva un écho dans son esprit et prit forme en un murmure.

- Ithil…



Dernière édition par Nathanael le Mer 15 Juin 2011 - 15:45, édité 1 fois
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMar 14 Juin 2011 - 3:13
Le désir de l'aventure...ne l'avait il pas poussé à quitter les terres du Nord et voyager vers la Cité Blanche il y a une dizaine d'années, changeant à jamais son destin? Mais tout le monde ne revenait pas des aventures. Le visage du jeune soldat Gondorien pendu à l'entrée du campement royal apparut dans ses pensées. Il ne voulait pas que l'elfe finisse comme ce dernier, morte ou encore captive de déserteurs. Cette jeune femme méritait mieux que ca...oui, il ne pouvait s'empêcher de la décrire comme jeune dans ses pensées, malgré le fait qu'elle avait sans doute vu plus d'hivers que lui. Il fronça ses sourcils blancs en entendant la phrase énigmatique de Calimehtar; à la tombée de la nuit? Etant de nature moins curieux que son compagnon, il chassa les questions de ses pensées, décidant d'attendre quelques heures.

La proximité de l'elfe lorsque celle-ci s'accroupit à côté de lui surprit Forlong, mais lui permit aussi d'entendre les paroles presque inaudibles qui sortirent de ses lèvres. Y a-t-il une raison valable pour ne pas porter secours? Le Dunadan sentit l'amertume remplir son âme. Il avait tenté de porter secours en tant que justicier anonyme du Bas de la Cité Blanche pendant cinq longues années. Il avait puni des criminels, sauvé des innocents. Et pourtant la populace le considérait comme un pariah, le spectre aux cheveux blancs. Sa blessure, qui nécessitait à présent l'attention de l'elfe de la Lorien, n'existerait pas s’il n'avait pas tenté d'empêcher un bain de sang entre les mercenaires de l'Est et les soldats du Gondor, qui servaient pourtant sous la même bannière.

Il ne dit rien. Soudainement il se sentit très vieux et cynique. Le monde avait-il tellement changé en ces dix ans? Ou était ce seulement lui qui n'y appartenait plus? Les cicatrices innombrables qui recouvraient son corps n'étaient qu'un reflet pale de celles de son coeur. Et pourtant...l'homme aux cheveux blancs fut surprit de découvrir qu'il espérait vraiment que cette elfe trouvera sa place, et qu'elle gagnera le respect des Peuples Libres, sans payer le même prix que lui.

Forlong fut heureux d'être distrait de ses pensées par les gestes timides de l'elfe, lorsqu'elle prit en main la bouteille précieuse. La surprise fut sa première réaction lorsque Calimehtar recracha le liquide couteux, suivie de près par un léger sourire, peut être le premier depuis que la femme les avait rejoint. L'indignation de Nathanael l'amusa tout autant, même s'il s'empêcha de rire; agiter sa cage thoracique de cette façon réveillerait sans doute la douleur dans son épaule gauche. Il répondit doucement à la remarque du vagabond, et l'amusement se mélangeait au sérieux dans sa voix:

-Je partage votre avis sur les les qualités du vin et de ce liquide transparent d'une force redoutable que l'on peut parfois rencontrer dans les demeures des paysans Gondoriens. Cependant il vaut peut être mieux que la dame elfique continue à résister aux charmes de l'alcool, car on ne trouve au fond d'une bouteille ni l'oubli du passé ni la promesse d'un futur meilleur.

***

Les muscles du Dunadan se tendirent involontairement lorsqu'il sentit les doigts fins de Calimehtar toucher sa peau; il était habitué aux mains rugueuses et aux gestes brutaux des guérisseurs de l'armée, et la délicatesse de la femme le surprit fortement. Il hocha doucement de la tête lorsqu'il entendit le diagnostique de l'elfe; il fallait s'y attendre...un voyage n'est jamais une bonne idée lorsque l'on souffre d'une blessure récente. Il sourit cependant en voyant la gourde d'eau de vie que Nathanael donna à l'elfe pour désinfecter la plaie. C'était un alcool presque pur, fait à base d'une racine Gondorienne, distillé maintes fois. Il s'imagina Calimehtar gouter à ce liquide qui brûlait comme les flammes du Mont du Destin même dans les gorges des buveurs les plus habitués.

Vaillant homme...ce surnom un peu naif l'amusa, même si en réalité il le méritait sans doute. Et pourtant il savait que le courage ne serait pas suffisant pour supporter facilement ce qui l'attendait. Lorsque l'alcool coula sur sa plaie, il serra ses dents, et ses poings se refermèrent sur des poignées de foin, jusqu'à ce que ses doigts deviennent blancs. Aucun mot de plainte ne sortit de ses lèvres, mais un grognement grave s'échappa d'entre ses dents serrés lorsque l'aiguille toucha les nerfs exposés pour la première fois. La simplicité des manœuvres de l'elfe ne le surprit point. Une blessure de ce genre demandait surtout du temps, du temps et du repos. De plus, une chirurgie plus complexe sur un chariot qui sursautait sur chaque pierre s'avérerait probablement fatale pour le Dunadan. Il fut content de sentir dans l'air l'odeur légèrement piquante des herbes que Calimehtar avait placé sous le pansement. Ainsi, lorsque le vagabond prononça les paroles ironiques, il s'apprêta à rétorquer malgré la douleur. Mais la réaction soudaine de l'elfe ne lui en laissa pas l'occasion. Couché sur le foin et incapable de lever sa tête pour l'instant, Forlong ne put apercevoir les traces des brûlures sur les doigts de la femme. Il sentit cependant la douleur et le choc dans sa voix et ses gestes, et fut surprit de découvrir qu'il ressentit pendant un bref moment une envie impulsive de la rassurer ou la protéger. La solitude jouait des tours bien étranges aux esprits des hommes.

Une fois que l'opération fut terminée, un silence lourd s'empara du chariot, interrompu seulement par un murmure de Nathanael, que le Dunadan ne discerna qu'à moitié. Il sombra aussitôt dans l'inconscience, son organisme demandant brutalement du repos afin de regagner le sang perdu il y a deux jours seulement dans une forêt d'Ithilien.

***

Environ deux heures plus tard, lorsque le ciel hivernal s'assombrissait déjà, le grondement du tonnerre annonça un orage imminent. Le paysan silencieux qui dirigeait le chariot remarqua d'une voix neutre:

-L'on pourrait voyager encore une heure ou deux, mais ni le foin ni les blessés ne supportent pas bien la pluie hivernale. Je connais une auberge non loin de là, sur l'intersection entre deux routes. On pourrait s'y arrêter pour la nuit si mes seigneurs le désirent.

Forlong, à présent réveillé, ne tarda pas à accepter la proposition du Gondorien; une nuit de repos leur ferait du bien, et voyager la nuit sous la pluie serait un cauchemar.

Lorsqu'ils arrivèrent devant l'auberge, un bâtiment simple mais solide en pierre et bois, l'homme du Nord fut obligé de demander de l'aide pour descendre du chariot. Il remercia le paysan qui lui apporta une branche épaisse qui lui servirait de canne. Forlong proposa au Gondorien de les rejoindre dans la taverne, mais l'homme refusa catégoriquement, préférant rester avec ses chevaux dans les écuries. Le Dunadan s'assura tout de même que le paysan recevrait un repas chaud et quelque chose à boire.

L'auberge était assez remplie, et les voyageurs durent se contenter de deux chambres séparées par un simple rideau; Nathanael et Forlong partageraient la première partie, laissant un espace plus ou moins privé à Calimehtar. Le Dunadan paya pour l'entièreté avec ses pièces d'or; sa bourse ne semblait jamais se vider. Il demanda aussi qu'on leur apporte un repas chaud en haut, laissant ses compagnons choisir ce qu'ils souhaitaient consommer; il ne se sentait pas suffisamment fort pour diner assis sur un banc dans la salle commune. Une baignoire remplie d'eau chaude fut mise à leur disposition, même si l'homme aux cheveux blancs n'en fit pas usage, de peur de rouvrir sa blessure et causer une attaque de fièvre; il se contenta de laver tant bien que mal son visage et son torse avec de l'eau froide. Ses gestes étaient rendus lents et maladroits par son incapacité à utiliser son bras gauche et sa faiblesse générale. Il se coucha lourdement non loin de la cheminée, profitant du repas chaud. Lunerill, son épée antique, partagerait encore une fois son lit, fidèle à son maitre. L'homme du Nord se mit à manger doucement, légèrement irrité par l'effort que demandait chaque geste.

Trop faible pour ressentir l'envie de commencer une conversation, il se contenta d'observer les flammes, attendant que ses compagnons prennent la parole. La pluie mélangée à la neige battait contre les fenêtres de la chambre, et le Dunadan ressentit une étincelle de satisfaction, se sentant protégé de la fureur des cieux par mes murailles épaisses...


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Calimehtar Oropher
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMar 14 Juin 2011 - 15:49
    Calime sentait le regard de l’homme brun sur elle. Nathanael avait elle cru entendre de la bouche d’un soldat. Le loup blanc s’était endormi, probablement à cause de la grande perte de sang, et aussi à cause des herbes qu’elle lui avait administré. Elles paralysaient la douleur, provoquant par intermittence des moments d’assoupissements. Rien de trop grave, ni de dangereux en somme. Il fallait qu’il se repose, et sur ce chariot brinquebalant, mieux valait aider le sommeil à venir.

    Elle s’emmura dans un silence quasi religieux, jusqu’à la tombée de la nuit. Elle avait prié les Valars une bonne partie du temps, pour la guérison de l’homme si mystérieux, allongé à côté d’elle. Lorsque le paysan annonça qu’ils s’arrêtaient à la prochaine auberge, avec l’approbation du loup, elle ne dit rien, gardant son apparence endormie. A vrai dire, entre deux prières, elle réfléchissait. L’heure de la révélation s’approchait à grand pas, à en juger par la descente de l’astre malveillant, et l’orage ne ferait que précipiter la venue de l’obscurité.

    Elle descendit du chariot, et mena Elona à l’ étable avec les autres chevaux. Elle la mit dans le boxe à côté du jouvenceau qui hennissait à son intention, dans l’espoir de capter l’attention de sa belle. L’elfe eut un petit sourire, à regarder ce jeu amoureux. Comme entre deux elfes, deux nains, deux hobbits, deux ents, deux humains…

    Elle ne dit rien non plu lorsque l’aubergiste leur donna une chambre unique, séparée en deux par un rideau de toile. Elle ajouta discrètement quelques pièces dans les mains de l’homme, en guise de pourboire. Elle entra dans la pièce, s’accapara de sa partie de la chambre, en mettant au pied de son lit ses maigres effets. Elle retira ses deux dagues des hanches, apposa son arc et son carquois sur le lit, mais garda sa belle dague dans sa botte.
    Comme le loup blanc restait dans la pièce, elle attendit qu’il se lave, avant de demander l’autorisation timide de revoir sa blessure. Elle était plus nette, elle en fut ravie. Elle lui administra d’autres plantes et refit le bandages avec douceur. Elle lui accorda même une petite chanson elfique, murmuré pour que lui seul l’entende. Elle apprécia ce moment à part, la rendant douce et apaisée. Elle espéra seulement ne pas voir ce souvenir s’effriter à cause de sa révélation, plus tard. Elle ne voulait pas qu’ils se sentent trahis.

    Elle choisit de ne pas descendre au réfectoire manger avec le reste des soldats, et resta en haut dans la chambre où on leur avait emmené, baignoire et mets qui lui amena l’eau à la bouche. Les plats étaient simples, sans surplus, mais la faim la tenaillait. Elle s’empara du pain, mangea quelques légumes, et gouta avec quelques réserves à la viande. Elle la trouva bonne, même si elle avait du mal à aller à l’encontre de ses principes.

    Depuis la venue de l’obscurité, elle ne faisait que repousser l’échéance. Après être entrée dans la chambre…après manger…après le bain peut être ? Après…non, décidément…après. Elle craignait leurs réserves et leur jugement. Bien que les hommes qu’elle avait vu dans la forêt n’avaient pas semblé horrifiés, elle mettait beaucoup d’importance à la réaction de ces deux soldats, en face d’elle. Elle savait les hommes prompts à juger.
    Mais au fond, qu’Est-ce qu’une apparence, sinon un voile devant une réalité bien plus profonde ?
    Elle baissa la tête…reposa sa miche de pain, sa main un peu tremblante.

    - L’heure est visiblement venue, hommes. Je vous prie de ne pas vous montrer hâtifs…Nous avons tous des marques, choisies ou non.

    Elle laissa cette énigme planer encore quelques instants dans le silence de plomb qui pesait. Elle détourna la tête vers la tenture qui séparait les deux chambres, et, le cœur battant, elle releva les mains vers sa capuche, et l’abaissa sur ses épaules. Elle prit une profonde respiration, le visage triste et inquiet. Elle dénoua sa cape qu’elle laissa glisser sur le sol, et daigna retourner son visage vers les deux hommes en face d’elle. Ses yeux d’ambres les observait, semblant les transpercer de part en part. Les arabesques sur son visage, sa couleur de peau si spécifique, ses cheveux…Elle les laissa la détailler en silence.

    - Je suis une enfant de la Lune. Mon apparence a provoqué répugnance et méfiance depuis toute petite. J’ai été sauvée par un couple d’elfes, les seuls, qui n’ont pas eu peur de moi. Voyez vous même, l'objet de ma quête. Elle se tient devant vous.

    Elle détourna à nouveau la tête, un voile de souffrance devant les yeux. Elle repensa à ses chers parents, ceux qui lui avaient apporter chaleur et réconfort. Ils l’avaient quittés depuis un moment déjà rejoindre leurs ancêtres, et depuis, elle se sentait figée dans le temps qu’elle voyait passer, indifférente et perdue.

    Voilà..Ils savaient, ils connaissaient son apparence. Elle se leva avec grâce, ramassa sa cape et, avec une courbette élégante, s’en alla de son côté de la chambre.
    Elle s’assit lourdement sur son lit. L’échafaud tant redouté était passé. Finit. Quoi que… Elle mura ses pensées, préférant le vide à la tristesse. Elle se dévêtit en chantonnant à voix basse une mélodie de sa contrée, sans prendre garde que des ombres chinoises se dessinaient sur la tenture les séparant.

    Elle emmena avec elle sa dague ouvragée qu’elle posa sur une table à côté du bain, chaud, avec de l’eau renouvelée. Elle avait laissée les hommes se laver avant elle. Elle enleva sa dernière tunique légère, de voile, qu’elle fit tomber à côté, et entra avec lenteur dans l’eau. Elle occupa son esprit à comparer les coutumes entre ces deux peuples. Les hommes avaient tendance à s’emmurer, à se cloitrer entre des murs, alors que la nature était propice à ceux qui la respectait. Elle n’était pas habituée à l’eau stagnante d’un bain, mais sa chaleur lui fit grand bien, surtout aux courbatures liées à sa longue chevauchée. Elle se rasséréna en se disant que toute expérience était bonne à prendre, et que ma foi, sa rencontre avec ses soldats, bien que brève, fut plaisante.

    Elle ne leur avait pas laissé le temps de lui faire part de leur impressions sur sa malédiction, qu’elle s’était enfuie dans sa chambre.
    Elle partait tout simplement avec l’idée qu’elle repartirait de son côté, pour ne pas les importuner. A l’idée de les laisser, elle eut un pincement au cœur, surtout lorsque le visage du blessé lui revenait à travers ses yeux fermés.
    Elle se mordit la lèvre et chanta un peu plus fort pour ne pas entendre ce que les hommes échangeaient entre eux. Elle traina son bain en longueur, se laissa submerger entièrement sous l’eau, et massa son cuir chevelu. Elle revint à la surface, joua un moment avec ses mains et ses jambes, sur la surface de l’eau, puis décida qu’elle avait suffisamment traîner et qu’il était tant de sortir.

    Elle se leva, s’empara du bout des doigts d’une serviette rêche qui ne lui plut guère. Elle négligea un peu son séchage, et enfila une robe propre et légère, blanche, qui lui tombait sur les chevilles.
    Ses cheveux gouttaient sur ses épaules. Elle retira ses armes de son lit et vint s’y asseoir, le dos contre le mur…Elle essaya de se coucher pour dormir, mais rien à faire. Malgré son entrainement durant son voyage, elle avait toujours du mal à dormir la nuit. La lune l’appelait. Elle était une créature de la nuit. Une créature, oui, cela la définissait bien. Elle ricana doucement d’elle-même, et vint se poser sur le rebord de la fenêtre pour contempler la vie qui semblait s’éteindre dans certains quartiers de la petite bourgade où ils logeaient.

    Elle observa avec une certaine pointe d’humour le ballet des ivrognes, sortant des tavernes, qui s’aspergeaient d’eau dans les abreuvoirs pour les bêtes.
    Puis elle leva les yeux vers le ciel, pour regarder les étoiles.
    La nuit lui semblait si douce, comparée à l’agressivité du jour, du soleil.
    Elle baissa les yeux vers ses mains, sur lesquelles elle avait étalée une décoction pour calmer ses brulures.
    Elle soupira et remonta ses jambes contre elle.

    Demain…elle sera fixée.
    Soit elle continue de son côté, ou alors, par miracle, les hommes présents à côté l’accepteraient telle qu’elle est, avec ses forces, et ses faiblesses, son handicap et sa peine.
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Nathanael
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMar 21 Juin 2011 - 8:22
Réminiscence. Les souvenirs laissent comme l’alcool un goût âpre à ceux qui s’y plongent trop profondément. Forlong sembla un moment se noyer dans les eaux profondes d’une mélancolie surgie d’un passé piétiné par de nombreux pas d’hommes. Son regard se perdit en direction de quelques fétus de paille. Les soldats savaient se parer d’orgueil et se protéger derrière leurs hauts faits. Braver la mort pour sauver des vies. Mourir pour des idées ! Crédo puéril du jeune guerrier attiré par le gain et la gloire. Candeur juvénile finalement détruite par les guerres successives. Tous les jeunes combattants finissaient par comprendre que le bras d’un homme est insuffisant à sauver seul un royaume et que le fil d’une épée ne fais jamais que des veufs et des orphelins. La nostalgie est l’apanage des jeunes soldats optimistes déçus par la réalité politique. Les plus agressifs deviennent des chiens de guerre aveugles et abjects, un pied toujours dans la tombe, prêt à entraîner le plus d’hommes possibles avec soi dans l’autre monde. La joie d’une victoire était toujours suivie par la triste vision des morts empilés sur les charriots passant les portes de la cité. Nathanael avait vu bien des hommes et des enfants revenir ainsi dans les bras de leur femme et de leur mère. Embrassade funèbre. Il n’aimait pas les guerres, même s’il avait toujours su user de bons mots pour narrer les récits épiques de glorieux combattants. Combien de guerres avait vécu le Loup Blanc ? Combien de cadavres dansaient derrière ses yeux assombris par le temps ? Il n’avait lui-même que très peu combattu, mais chaque vie ôtée demeurait à jamais graver dans la mémoire d’un homme, sculpture éternelle. L’homme vivant se faisait pierre tombale pour les trépassés.

Le silence s’empara du monde. Les roues grinçaient au rythme des nids de poules creusés sur la route. Le vent ne parvenait plus à chasser les nuages et les remous tumultueux des bourrasques dans les branches donnaient un air colérique aux plus hauts arbres. Le ciel se gorgeait de pluie et s’apprêtait à déverser sur eux toutes les larmes du soleil. Au loin un rideau de pluie barrait l’horizon. Mais aucune lame d’eau ne s’abattit lourdement sur eux. L’air tout entier semblait réfléchir à l’attitude à prendre face aux créatures qui peuplaient les contrées sauvages de l’Ithilien. Nathanael prit place un moment à l’arrière du chariot, tournant le dos à l’elfe et au Loup Blanc. Il laissa ses pensées divaguer tandis que le charretier menait la bête de somme qui tirait péniblement sur ses brancards. Il descendit du véhicule de fortune pour se dégourdir les jambes tandis que l’animal peinait à franchir une faible côte. Il se rapprocha du devant de la voiture en accélérant le pas et demeura auprès du paysan afin d’échanger quelques mots avec lui. Ses pensées prenaient difficilement formes. Non pas que ce charretier fût plus stupide qu’un autre, mais il hésitait à se confier à un étranger. Ils se contentèrent donc pour une grande partie du chemin de quelques commentaires sur le sens du vent, le temps qu’il ferait dans la soirée et le lendemain. Le ciel perdit sa couleur nacrée et devint plus sombre. La crainte de passer la nuit dehors sous une averse glaciale s’immisça communément dans tous les esprits. L’approbation de Forlong à la remarque du charretier fut partagée silencieusement. Une auberge annonçait toujours chaleur et vives discussions. Les soldats les moins fatigués et les coursiers chargés des nouvelles avaient déjà du gagné les villages les plus proches et la salle commune grouillerait d’histoires les plus terribles les unes que les autres. Satisfaction anticipée d’un conteur en mal de nouvelles.

Il aida tant bien que mal Forlong à descendre du chariot. Il aida ensuite simplement le charretier à mener les chevaux à l’écurie mais comprit rapidement qu’il ne serait guère séant de l’importuner de sa présence tandis qu’il pansait les animaux. Il s’imprégna de l’odeur des bêtes avant de gagner la salle commune où fourmillait déjà l’agitation propre aux auberges de grands chemins. Sans mot dire Nathanael tendit immédiatement l’oreille, tout autant par intérêt personnel que pour capter d’éventuelles informations sur les derniers évènements qui s’étaient déroulés entre les armées du Gondor et la ville d’Assabia. Il gratifia Forlong d’un regard empreint de reconnaissance en lui faisant un bref signe de tête. Il ne l’avait pas vu ouvrir sa bourse, mais il comprit rapidement qu’il n’aurait pas à sortir de sa poche les maigres pièces qu’il pouvait parfois se vanter de tenir entre ses doigts. Encore un dû qu’il ne pourrait lui retourner. L’aubergiste les mena assez rapidement à leur chambre. Un aubergiste aux poches teintantes est un aubergiste serviable et efficace. Le zèle manifesté par celui qui les guidait lui laissa supposer que des pièces supplémentaires, d’origine féminine sans doute, avaient été glissées discrètement dans le creux de sa main. Tandis que mets et eau chaude étaient préparés par leur hôte, Nathanael quitta un moment ses compagnons de route pour se glisser parmi les vagabonds, les hommes de bien, les soldats et les poivrots qui peuplaient de leurs remugles la grande salle commune. Le feu dans l’âtre de la cheminée fut une promesse de confort pour la nuit.

Tout en guettant d’un œil averti le passage de l’aubergiste, il parcourut discrètement la pièce en se faufilant entre les différents groupes. Il cherchait la conversation la plus attrayante à ses oreilles. Mais nulle information stratégique ne glissa à ses tympans. Toute pêche n’est pas fructueuse. Il trouva néanmoins le moyen de se faire offrir une pinte d’une bière ambrée auprès d’un groupe de jeunes aventuriers désirant emprunter un chemin vers le Nord. Il leur déconseilla formellement de traverser l’Anduin avant de parvenir au Sud d’Osgiliath. La rive droite du fleuve multipliait les cours d’eau à franchir et les montagnes blanches leur barraient rapidement la route au Nord. Ils pourraient rejoindre ensuite Lossarnach en payant un pêcheur. Les nochers faisaient payer trop cher leur fragile embarcation ces dernières années. Il leur donna quelques nouvelles du Rohan et du Gondor contre des nouvelles plus locales. Il apprit qu’un peu moins de deux jours lui suffiraient avec un charriot pour gagner Pelargir. Presque trois s’il faisait une partie de la route à pieds. Une journée suffisait avec un bon cheval. Mais d’un tel animal, en sa possession, il n’avait plus que des souvenirs. Il quitta les jeunes convives avant qu’un relent de nostalgie ne le gagne. Il n’avait rejoint sa terre natale que deux ans auparavant, après seize longues années d’absence. Son enfance était loin derrière lui et son dernier cheval broutait les racines plutôt que les fleurs depuis bien longtemps.

Il soupira en rejoignant la chambre où l’attendait bain et repas chaud. Forlong s’était déjà débarbouillé. Viande et pain avaient déjà été mis à la disposition des voyageurs mais l’envie de se sentir propre fut plus forte que sa faim. Depuis son départ de la Cité Blanche, il n’avait guère eu l’occasion de s’octroyer le luxe d’un bain. Cheveux et barbes furent décrassés puis taillés dans les règles de l’art. Il ne savait pas combien de jours s’écouleraient avant qu’il ne revoit la couleur de l’eau et il profita de cette occasion pour reprendre l’allure d’un homme civilisé. Il vit réapparaître plus clairement la mèche blanche sur le côté gauche de son crâne. Mèche qui lui avait parfois valu le surnom de « Blaireau ». Une lessive rapide fut faite. Il retrouva Forlong installé devant la cheminée tandis qu’il étendait veste et chemise devant la langue des flammes. Il s’enroula néanmoins rapidement dans une couverture pour se protéger du froid et ne point paraître torse nu devant une femme, étrangère et elfique de surcroît. Quant à la seule arme dont il disposait, elle lui servirait ce soir à couper sa nourriture.

Il ressentit plus vivement sa faim lorsqu’il fut face à un morceau de saucisson et de poitrine fumée. Pain et viande trouvèrent un logis accueillant entre ses mâchoires. Il s’assit ensuite face aux braises pour se tenir au chaud. Il échangea simplement un ou deux commentaires sur le temps qu’il faisait hors les murs avec le Loup Blanc. Satisfaction partagée du confort. Une foule de questions s’acharnaient à vouloir franchir ses lèvres. Mais son respect envers Forlong freinait sa curiosité effrénée. Il ne savait rien de ce solitaire en armure, chargé de plus de cicatrices que d’années sur les épaules. Le regard du Loup Blanc montrait une détermination sans bornes, mais une fragilité sourde étreignait son corps. Avait-il vieillit prématurément ou était-il beaucoup plus vieux qu’il n’y paraissait au premier abord ? Lassitude et fatigue tiraient ses traits et donnaient à son visage l’air d’une terre labourée par le soc du temps.

Calimehtar le tira de ses pensées. Il la vit disparaître derrière l’échancrure du drap qui servait de paroi dérisoire entre les deux chambres. Sa démarche avait quelque chose de félin, et lorsqu’il découvrit son visage à la lueur des flammes, il crut pendant un instant que c’était effectivement un chat qui les toisait. La surprise lui ôta le pain de la bouche. La jeune femme ne lui inspirait aucun dégoût mais il ne s’était pas attendu à découvrir un visage aussi étrange en cette soirée froide et sombre. Elle avait une chevelure presque aussi blanche que celle du Loup Blanc, quoi qu’il eût préféré passer ses doigts dans les cheveux de Calimehtar plutôt que dans ceux de son compagnon de route. Des reflets argentés apparaissaient et disparaissaient avec le chatoiement des flammes. Les signes sur son visage n’avaient aucun sens pour lui mais il les trouva beaux. Ainsi se tenait devant eux l’enfant de la lune. Ephémère apparence ou triste réalité ? Il ne se rendit pas compte que la jeune elfe se détournait d’eux. Son esprit se perdit au-delà des limites de la conscience. Il revint à lui avec en tête la description qui lui avait été faite des enfants de la lune. Des créatures maléfiques… Aucun maléfice, mais peut-être bien plus un charme tout naturel parait le visage de l’elfe. Racontardises de vieilles femmes jalouses des beautés étrangères. Lorsque Calimehtar disparut une nouvelle fois derrière le pan de tissu, il se retourna vers Forlong pour s’assurer qu’il avait vu la même chose que lui. Tout adroit qu’il était lors de manœuvres politiques, il n’était guère habile pour complaire aux femmes. Sans doute le Loup Blanc serait-il plus habile pour énoncer quelques propos courtois. Ses lèvres s’agitèrent en un murmure.

- Je ne sais si elle a plus d’années que nous, mais le temps semble mieux lui réussir qu’à vous.

Faible trait d’humour qui lui permit cependant de reprendre pied face à la situation.

- Les enfants de la lune ne sont ni elfes, ni hommes ou nains. Peu importe les traits qu’ils prennent et le peuple parmi lequel ils grandissent, ils souffrent d’un mal qui ne guérit jamais. Mais ce ne sont encore que quelques réminiscences d’un conteur de grand chemin. Je ne sais ni ce qu’ils sont, ni qui ils sont. Toujours est-il que les descriptions qui m’ont été faites sont toutes fausses et j’ai été leurré. Et c’est avec grand respect envers cette elfe que je vous avouerai la trouver d’une grande beauté.

Il cessa de parler quelques temps. Forlong n’était pas homme à se confier. Beauté ou non, il demeurait que cette femme était étrange. D’autant plus fragile et sujette à la méchanceté des hommes et à la fourberie des mesquins. Mais il ne lui revenait pas de dire si oui ou non elle continuerait de faire route avec eux le lendemain matin ou la journée entière. Lui-même ne savait pas jusqu’où il suivrait l’homme solitaire. Le Loup Blanc demeurait seul maître en ces lieux. Une responsabilité qu’il ne souhaiterait peut-être pas porté cette nuit, las et usé par d’autres aventures.

- Je ne suis pas à même de prendre une décision concernant cette noble personne. Mais la question serait plutôt : doit-on réellement prendre une décision ? M’est avis que la question ne se pose pas. La nuit porte conseil aux hommes las et fatigués, mais je ne me ferai pas le juge d’une personne qui n’a commis aucune faute.
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyVen 15 Juil 2011 - 17:15
Forlong répondit avec un rictus au regard reconnaissant de Nathanael. Cela faisait à présent une dizaine d'années depuis la dernière fois qu'il dut choisir entre un lit chaud et une miche de pain face au contenu modeste de sa bourse. La fortune non négligeable amassée au cours de sa carrière au service des différents royaumes des Terres du Milieu avait été un peu amaigrie par ses cinq années en exil ainsi que par l'achat de sa nouvelle monture et de l'armure fantastique qu'il avait revêtu devant les murailles d'Assabia, mais était à présent de nouveau alimentée par son salaire fourni par Bogdan. Payer les frais de l'auberge ne lui posait ainsi aucun problème, mais il apprécia la gratitude de son compagnon.

Il regarda Nathanael disparaitre parmi la clientèle de l'auberge. Il soupira, admiratif. L'Arbre Blanc avait fait un bon choix; l'homme barbu n'attirait pas l'attention, mais savait se mêler à pratiquement chaque public en quête d'informations utiles, qu'il soumettait ensuite à une synthèse scrupuleuse dans son esprit analytique. Un espion parfait...lui même ne disposait pas de ce genre de talents. Forlong se demanda pourquoi les services secrets du Gondor l'avaient recruté. Certes, il n'était pas dépourvu d'intellect, et il représentait un atout non négligeable sur un champ de bataille. En effet, lors de la Grande Bataille du Nord, rares étaient ceux dans l'Armée Unifiée qui parviendraient à le battre en duel. Cependant c'était à une époque où son corps était au pic d'un entrainement intensif et guidé par une volonté de fer et des idéaux nobles. Aujourd'hui, épuisé et gravement blessé, il aurait du mal à effectuer une passe d'armes correctement, et la détermination qui le dirigeait était celle d'un homme qui n'avait presque plus rien à perdre. Bah...celui qui pouvait faire d'un loup sauvage un chien fidèle avant que celui ne devienne violent ne pouvait qu'en profiter.

Ressentant la fatigue l'envahir, Forlong remonta jusqu'à la chambre se doutant que le conteur n'allait pas tarder à les rejoindre. Lorsqu'il finit de se laver et se coucha sur le lit il accepta la demande de Calimehtar. Plus confiant à présent et couché plus confortablement, il était plus relaxé que lors des soins précédents et laissa ses paupières fatiguées retomber, le plongeant dans le noir. Il fut d’abord étonné d'entendre les douces paroles de la chanson elfique, mais ce n'était pas une surprise désagréable, et il se laissa bercer par la voix et les doigts délicats de la femme. Il ne se rappelait plus de la dernière fois qu’il avait laissé quelqu’un s’approcher à ce point avec tant de confiance. Était-ce une erreur? Peut être…mais il ne voyait aucune raison pour laquelle il serait profitable à Calimehtar de lui faire du mal. Lorsque l'elfe termina il la remercia doucement, et s'efforça d'ouvrir les yeux afin de consommer son repas. Il ne dut attendre longtemps avant que ce vieux renard Nathanael ne se glisse dans la chambre, disparaissant aussitôt derrière le rideau afin de se vouer aux plaisirs d’un bain chaud. Lorsqu’il réapparut,  Forlong fut surpris de découvrir le changement dans son apparence. Cet individu qui inspirait la confiance des soldats et voyageurs par ses habits recouverts de poussière et son air de vagabond, conteur et rôdeur, était à présent propre et gracieux. Sa barbe, soigneusement taillée, ne ferait pas honte à un noble de la cour du roi Méphisto. Pendant un très bref moment l’homme du Nord ressentit un grain de jalousie, un désir d’apparaitre en tant qu’homme élégant et soigneux plutôt qu’un vagabond mal rasé vêtu de cuir.  Il chassa cependant très vite ces pensées ; il n’avait jamais été vain…et après tout, l’eau chaude ne laverait pas ses cicatrices. Quelle femme voudrait d’un vieux vétéran comme lui ? Le spectre aux cheveux blancs…c’est ainsi que l’appelaient autrefois les citoyens ingrats du Bas de la Cité Blanche. Quel futur pouvait-il espérer ? Peut être une maison dans un village quelque part, où il pourrait vivre de sa fortune sans pour autant attirer trop de questions. Mais il n’était pas sûr qu’une vie sédentaire lui suffirait…il était un guerrier et un voyageur, et sortirait probablement son fidèle Lunerill du fourreau jusqu’à ce qu’un jour son bras s’avère être trop lent pour parer une lame ennemie. Bah…il n’y avait aucun intérêt à se soucier du futur.

Il échangea quelques remarques avec Nathanael, mais son regard se porta au bout de quelques minutes vers l’elfe qui consommait son repas en silence. Elle semblait inquiète et pensive, et ne tarda pas à dévoiler les raisons de ce comportement. La surprise du dunadan fut grande, et il ne put s’empêcher de regarder longuement l’apparence physique de Calimehtar ; il comprit rapidement son erreur dans l’interprétation des évènements sur le chariot quelques heures auparavant. Une enfant de la Lune…il n’avait jamais entendu parler de cette particularité. Répugnance et méfiance…ces mots prononcés avec douleur le frappèrent avec une force terrible. Détester et craindre cet être si innocent ? Il ne pouvait se l’imaginer...elle n’avait rien de répugnant en elle. Certes, elle était différente. Etrange. Mais ces mots n’avaient aucune signification pour l’homme du Nord. Il ne connaissait pas la normalité, il n’avait pas de maison ni de famille qui l’attendait. Exilé, solitaire et pariah, il ressemblait plus  à cette femme au visage tatoué qu’aux paisibles habitants du Gondor. C’est ce genre de mots qui se formaient déjà dans sa bouche, lorsque Calimehtar se leva et disparut derrière le rideau sans leur lancer un regard de plus. Polie, contrôlée… mais il sentait bien que derrière cette fine paroi se cachait un être blessé, inquiet et méfiant.


Forlong fut surpris par le manque de réaction de la part de Nathanael, d’habitude si éloquent. Il ne savait pas ce qu’il avait mis mal à l’aise. Ressentait-il de la méprise envers la femme ? Les paroles un peu incertaines du vagabond nièrent aussitôt cette hypothèse. Il sourit tout de même légèrement en entendant le trait d’humour de l’homme barbu ; les meilleures galéjades étaient celles qui dissimulaient en elles un grain de vérité. Celle-ci en contenait un peu beaucoup. C’est avec avidité que le dunadan écouta les quelques détails que son compagnon de route lui dévoila sur les Enfants de la Lune. Une véritable mine d’informations. D’une grande beauté…il ne s’attendait pas à ce genre de remarque de la part de Nathanael. Ces mots le  firent réfléchir. Il n’avait pas pensé à Calimehtar de cette façon…il éprouvait cependant une étrange envie de la protéger. Et pourquoi est ce qu’il avait ressentit une pique de jalousie lorsque le conteur prononça cette phrase ? L’agent de l’Arbre Blanc ressentait-il quelque chose pour la jeune elfe ? Il ne savait pas quoi en penser. Il fut étonné de découvrir que son cœur battait rapidement, et calma sa respiration, de peur de rouvrir sa blessure par un flux de sang trop puissant et des mouvements trop agités de sa poitrine.

Les paroles de Nathanael prononcées après un moment de silence étaient sages et calmes, comme d’habitude. Calimehtar avait de toute façon choisi de s’isoler et le chaos régnait dans l’esprit de l’homme du Nord, l’empêchant de formuler une réponse cohérente à l’elfe.

-Vous avez raison. Dormez bien mon ami, profitons du rare luxe d’un lit doux et d’un feu de cheminée, la journée de demain ne sera pas facile.-Mon ami. Ces mots avaient semblé naturels lorsqu’il le prononça, mais il fut lui-même étonné qu’ils avaient quitté sa bouche. C’était la vérité, il s’était attaché à cet homme qui connaissait la valeur du silence tout aussi bien que celle de la parole.

Les bougies qui éclairaient la chambre furent éteintes, et seul le halo rouge projeté par le feu de la cheminée permettait à l’homme du Nord de distinguer les meubles et les silhouettes de ses compagnons. La respiration de Nathanael se fit bientôt profonde et régulière ; il semblait plongé dans un sommeil du juste. Forlong n’avait pas cette chance. Malgré les soins doux de Calimehtar, sa blessure avait mal supporté le voyage, et il sentit une fièvre l’envahir. Bientôt, la chaleur de la couverture se fit insupportable, et il la jeta sur le côté. Il attendit quelques minutes, mais le sommeil refusait de venir, la douleur et la chaleur l’empêchant de se reposer. Il porta les yeux vers le rideau fin qui séparait les deux parties de la chambre, et fut surpris de distinguer la silhouette féminine de Calimehtar se dessiner sur le tissu dans la lueur blanche de la lune. L’orage s’était éloigné, et la déesse nocturne sortit de derrière les nuages.

L’homme du Nord se leva tant bien que mal, et s’empara de la canne de bois et de sa veste en cuir. S’appuyant lourdement sur le bâton, il traversa la chambre et passa de l’autre côté. La femme semblait plongée dans ses pensées, ses cheveux encore humides entourant son visage fin, sa robe blanche  et sa position renforçant encore son air innocent. Il dit, sa voix presque inaudible :

-Les elfes sont peut être plus résistants aux simples maladies, mais cela ne peut être bon pour vous...

Forlong faisait référence au froid qui régnait dans cette partie de la pièce, assez éloignée de la cheminée. Les fenêtres de l’auberge n’étaient pas parfaitement isolées, et l’air froid pénétrait dans la chambre. La nuit était glaciale, et le givre dessinait des arabesques étranges sur les vitres. La robe légère de la femme et ses cheveux trempés n’amélioraient pas la situation…Maladroit à cause de sa blessure, le dunadan s’approcha de la femme, et plaça sa veste usée en cuir autour de ses épaules. Il regarda les étoiles pendant un bref moment, se rappelant d’autres nuits semblables, passées à ciel ouvert dans les contrées sauvages qu’il avait parcouru pendant ses voyages nombreux. L’homme aux cheveux blancs finit par dire :

-Nous ne sommes pas des hommes du petit peuple, ni des paysans superstitieux. Je tente de ne pas juger les gens selon leur apparence, surtout lorsque celle-ci n’a rien de repoussant…vous êtes parmi des vagabonds, traversant les Terres du Milieu sans destination finale, dépourvus d’une maison et d’une femme qui les accueillerait les bras ouverts. Nous sommes des parias, peut être plus que vous ne l’êtes. Nous pourrions vous abandonner si vous étiez un poids, ou si votre condition vous empêcherait de voyager. Mais vous avez prouvé hier que vous êtes capable non seulement de vous occuper de vous-même, mais aussi de porter secours à autrui. Sans vos soins je serais incapable de me tenir debout. Je ne peux pas vous promettre qu’en nous suivant vous aurez des aventures incroyables, ni que vous atteindrez votre objectif. Je ne peux même pas assurer votre sécurité dans mon état actuel…ce sera à vous de décider si vous souhaitez nous accompagner, mais je ne m’y opposerai pas. Nous arriverons à Pelargir dans deux jours, c’est là que moi et mon compagnon nous séparerons. Le choix d’accompagner l’un ou l’autre ou de partir autre part vous appartiendra à ce moment là.

Il s’arrêta un moment, épuisé par son monologue, puis ajouta, sa voix pensive :

-Vous m’avez fait confiance, et vous méritez pareil. Mon vrai nom est Forlong.

Sur ces mots, il se retourna, et partit dans la direction de son lit, faisant bon usage de sa canne en bois. Il s’écroula sur le matelas, épuisé, et le sommeil l’envahit aussitôt…
Le ciel était bleu mais l’air glacial lorsqu’ils se levèrent le lendemain matin, et après un déjeuner à l’auberge, ils se préparèrent à partir vers la cité de Pelargir…

#Calimehtar


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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMer 20 Juil 2011 - 18:31
    Calime ne semblait pas indisposée du froid qui envahissait son habitacle. Le givre provoquait des nuages blanc devant sa bouche, en rythme avec sa respiration. Cette vision la fit sourire doucement, comme une enfant, et elle entreprit de modeler sa respiration pour créer d’autres formes.
    Les hommes qui déambulaient tant bien que mal sur la chaussée pavée et inégale l’avait lassée un moment. Elle regarda la lune à nouveau, comme l’ont peut regarder son âme sœur.
    Elle fut interrompue dans ses pérégrinations silencieuses par un frottement de tissu maladroit, qu’elle attribua au loup blanc.

    Lorsqu’elle se retourna de quart pour regarder, son intuition avait vu juste. Le voir, debout, flageolant, pour venir à sa rencontre, lui provoqua une accélération cardiaque non consentie, et surtout incompréhensible pour elle.
    Elle resta néanmoins stoïque, comme sur sa défensif. Elle craignait qu’il la rejette, et qu’elle s’abime de ce fait dans l’abysse nommée désolation.

    Comme le feu lui prenait les joues en écoutant sa voix grave, dénué du timbre attribué aux ordres, elle détourna le regard. Elle frissonna sans retenue lorsqu’il glissa sur ses frêles épaules, sa veste en cuir usée, aux senteurs toujours fortes et appréciables. Une odeur sauvage, une odeur d’homme.
    Un paria…Elle ne connaissait pas ce mot, dans le langage des hommes, mais pouvait deviner la signification. Un homme, sans attaches, sans maison, sans…biens ? Oui, cela devait se rapprocher. Elle cherchait des mots à lui répondre, mais fut étonnée de ne rien trouver.
    Elle baissa les yeux, timide. Ses pensées se bousculaient ardemment dans sa tête, et il lui était impossible sur le moment, de les trier, de les comprendre.

    Lorsque le beau loup blanc lui révéla son vrai nom, elle releva prestement la tête, mais il était déjà parti, au-delà du linceul qui séparait leurs couches…Forlong…Elle le répéta à voix basse, pour elle-même, en apprécia les sonorités, d’autant plus qu’il était secret.
    Il lui avait offert, comme un cadeau. Un premier cadeau d’une valeur inestimable pour cet homme, visiblement. Elle resserra ses bras autour de ses genoux et sourit, un sourire franc, et bien visible. Forlong. Elle le gardera précieusement en elle, comme le plus important des secrets. Un lien s’était à ce moment là tissé.
    Confiance.
    Ce lien, était il…de l’amitié ? Oh non, non cela ne pouvait être de l’amitié. Mais une ébauche, peut être. Elle ferma la veste de cuir avec lenteur, et sentit l’odeur du cuir vieilli, et son odeur à lui, qui était resté dessus.

    Elle s’endormit comme ceci, sur le rebord de la fenêtre entrouverte, recroquevillée sur elle-même. Lorsqu’elle se réveilla, le soleil s’était levée, et elle poussa un petit cri en tombant à la renverse. Elle se cacha sous l’ombre de la fenêtre en retenant des larmes de douleurs. Elle trembla un moment, se maudissant pour son comportement irréfléchi. Sotte, sotte se traitait elle. Elle méritait bien ces blessures.
    Elle laissa sa respiration se calmer, et tira vivement les rideaux. Ils étaient fins, et laissaient passer la lumière du soleil. Cela ne la protègerait pas beaucoup, mais elle devait faire avec. Avec rapidité, elle se releva, sauta par-dessus son lit en embarquant au passage sa longue cape qu’elle revêtit, fébrile. Sa peau craquelait sous les brulures, et ses yeux ne voyaient quasiment pas. Elle a été surprise de s’être endormie d’un coup.
    Elle tâtonna et trouva le bandeau qu’elle attacha autour de ses yeux avec difficulté. Elle pensa sur l’instant que l’achat de gants serait judicieux pour la suite du voyage. Emmitouflée et de nouveau protégée contre l’astre destructeur, elle s’empara de ses armes à l’aveuglette.

    Elle était agile, même sans sa vision. Question d’habitude. Et étant donné qu’elle était de plus, de nature elfique, ses autres sens étaient beaucoup plus affutés. Elle remonta ses manches pour cacher ses mains marbrés de rouge et se mordit la lèvre à cause de la douleur. Elle refoula ses larmes et passa de l’autre côté du linceul avec un semblant de dignité. Elle inspira un grand coup et se laissa guider, confiante, par les pas du loup blanc et de l’homme brun nommé Nathanael.
    Elle se guidait surtout avec son ouïe, le toucher étant momentanément hors service. Elle s’efforça de maitriser ses tremblements en prenant un petit déjeuner sommaire. Elle ne prononça pas un mot et garda la tête basse, ainsi bien que la totalité de son visage était recouvert par son capuchon.

    Elle retrouva Elona dans l’écurie, joyeuse et tout enclin aux supplices de l’étalon du loup. Elle fit le choix de la monter ce jour là, au lieu de se rassoir derrière le chariot, en compagnie des hommes. Voyant l’air attristée de sa compagne, elle consentit à la faire chevauché à côté de son prétendant.
    Elle avait rendu la veste en cuir au loup avec gratitude le matin même, avant le repas.
    Elle attendit qu’ils soient en route pour annoncer sa décision.

    - Je vous suivrais jusqu’à Pelargir. De là, je choisirais si je suis l’un de vous, ou si je continue mon chemin seule.

    Elle demanda en elfique à sa jument de se mettre en route, et cette dernière cala élégamment son pas avec celui de l’étalon du loup, juste derrière le chariot. En cas de besoin, elle serait juste à côté du blessé.
    Elle avait gardé sur arc et son carquois sur son dos, sa dague à sa botte, ses baluchons ont été balancés avec les mottes de pailles du chariot pour qu’elle soit allégée pour la longue route qui les attendait.

    Elle ne pouvait voir les visages de ses compagnons de route, mais sentait leur présence avec autant de netteté qu’un prédateur. Elle se laissa perdre au milieu des bruits du chariot, des sabots, des vêtements qui se froissent. Le monde n’était plus en couleurs mais en vibrations, et cela ne la dérangeait pas. Elle le trouvait même, plus…réaliste ainsi. Moins d’apparences, moins d’illusions.
    Juste la réalité du son, la réalité du monde.



HRP : désolée ce n'est pas très long, j'essaierai de me rattraper n_n' mais je n'ai que peu de temps de disponible
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyLun 8 Aoû 2011 - 9:22
Il avait dormi toute la nuit du sommeil des justes. Il avait du ronfler. Il ne détenait aucun pouvoir d’omniscience mais le sourire qui illuminait les yeux de Forlong lorsqu’il se réveilla avait quelque chose de suspicieux. Eclair de joie fugace derrière un rideau de fatigue. Ses traits étaient tirés et il n’avait pas l’air beaucoup plus reposé que la veille. Avait-il seulement dormi ? Les vétérans de guerre gardaient la méfiance au cœur jusqu’à leur mort. Ils demeuraient éternellement des optimistes désabusés. Nathanael se gratta le menton en regardant le Loup Blanc…

- Si nous ne voulons pas attirer l’attention trop rapidement vous devriez passer le fil d’un rasoir dans votre barbe. Cette lame ne fera de mal à personne et nous évitera des ennuis. Je crains que votre réputation soit allée plus vite que nous sur les chemins et je ne connais pas beaucoup de renégats qui, bien qu’allongés sur un charriot de pailles, disposent de chevaux et d’une armure comme la vôtre. Il siérait mieux à votre honneur de disposer d’un visage d’homme. Les légendes vont bon train sur votre capacité à vous transformer en loup …

Il n’avait pas eu à narrer de contes épiques la veille. Les soldats qui les avaient précédés sur la route transportaient avec eux de nouvelles fables. Les étincelles jaillissaient des épées pendant les combats, les boucliers repoussaient les ennemis aussi loin qu’un troll eut pu le faire. L’armée du Gondor avait été terrible contre les chiens infidèles du désert. La rébellion des mercenaires étaient passée pour une tentative de coup d’état avorté. Des hommes venus de loin pour renverser le roi Méphisto et sa famille. Le mal et des espions partout. Il était insensé que ces soldats puissent se rapprocher autant des conditions de la réalité sans jamais la comprendre tout à fait. L’armure du Loup Blanc avait saisi les esprits plus tard dans la soirée tandis qu’il quittait la salle commune pour rejoindre la chambre où l’attendait ses deux compagnons de route. Mais il avait entendu suffisamment d’histoires rocambolesques. Leur arrivée était passée inaperçue la veille au soir car le repas avait déjà été servi. Dans un autre contexte Forlong n’aurait pu franchir les portes de l’auberge. Un Valar aux yeux de source, détenant la justice dans ses mains, venu en ces terres pour pourfendre les ennemis du Gondor et capable de prendre l’apparence d’un loup. Cette dernière sottise avait fait rigoler Nathanael et il avait quitté la table qu’il occupait avant de se faire remarquer.

Forlong ne dit rien pendant un moment. Nathanel crut l’avoir blessé par sa remarque et bafouilla instantanément quelques excuses sincères. Aux traits d’esprit dont il était capable n’avait d’égale que sa maladresse.

- Je ne voulais point vous paraître trop familier … je…

Il se tut. Calimehtar devait s’être réveillée brusquement. Il l’entendit rouler au sol. Les rideaux semblèrent se fermer d’eux-mêmes. Il ne rajouta rien et ne chercha pas à intervenir. Il respecta la pudeur de l’elfe. Il l’entendit se déplacer rapidement de son côté du drap. Il tendit un peu plus l’oreille … Deviner les gestes d’une femme, aussi simples soient-ils, était une bénédiction des Valars. Il n’éprouvait aucune espèce d’attirance particulière pour l’elfe mais bien plutôt un profond respect. Ce qui ne l’empêchait cependant pas de se remémorer de doux souvenir en entendant le frottement des tissus contre le corps de la jeune femme. Vêtements et souvenirs. Il était assis sur sa paillasse à présent et cherchait discrètement du regard une veste aussi usée que son propriétaire. Il haussa simplement les sourcils, l’air pensif. Le vieux loup solitaire cherchait-il des raisons supplémentaires pour tomber malade et se faire soigner par les mains graciles de cette jeune personne ? Il sourit pour lui-même. Il posa un regard empreint de respect et d’estime sur l’homme qui occupait la même partie de la pièce que lui. Calimehtar lui apportait des bienfaits inestimables mais la simple guérison physique ne ferait pas de lui un homme neuf. Le temps garde des secrets que les humains ne savent pas encore déchiffrer.

Ils parlèrent peu tandis qu’ils se préparaient à partir. Nathanael demeurait pensif, perdu dans un monde de rêveries et de réflexions personnelles. Il salua poliment la jeune elfe lorsqu’elle traversa la pièce et vint les rejoindre. Il avait-lui-même revêtit ses vêtements de la veille ; encore un peu humides, mais propres. Calimehtar avait rabattu sa capuche, protection contre le soleil et le monde extérieur. Frêle armure contre la brûlure de la vilénie des hommes. Il dissimula son stylet sous un pan de son manteau. Il avait été incapable de s’en servir lorsque la créature l’avait saisi à la gorge mais la présence de la lame contre sa cuisse le rassurait un peu. Sentiment futile de protection.

Il aida Forlong à amasser les quelques affaires qu’ils avaient extirpé du charriot la veille au soir. Le charretier les rejoint rapidement pour charger les petites propriétés des uns et des autres. Le cheval de trait était déjà attelé. Nathanael soupçonna le vieil homme d’avoir apprêté la modeste voiture avant le lever du soleil. Un homme de bien. Vermoulu par le temps mais dévoué. La paille sur le plateau du charriot était fraiche et le tonneau qui branlait à l’arrière de la carriole le jour d’avant était maintenant debout et rempli d’une eau glaciale où flottait ici et là quelques glaçons. Les chevaux semblaient nappé de brouillard, la vapeur tiède de leur corps s’échappant de sous leurs poils. Les bêtes de Forlong furent attachées derrière le charriot, reposées et sereines. Le soleil perça fébrilement le manteau des nuages tandis que le vieil homme agitait son fouet pour faire marcher le cheval de trait. Une bourrasque de vent saisit Nathanael et lui arracha un frisson. Il resserra son manteau autour de ses épaules et décida de marcher aux côtés de la voiture pour se réchauffer un peu. Avant de sauter du véhicule cahotant il prit soin de sortir une couverture supplémentaire des bagages du Loup Blanc qu’il tendit à son compagnon de route.

- Tenez, à défaut de marcher pour vous chauffer le sang vous pourrez toujours vous protéger de la morsure du vent. Et … si ce n’est guère suffisant …

Il sortit tout en parlant une petite fiole qu’il avait remplie du restant de vin qu’ils n’avaient pas consommé. Il tendit le récipient avec un franc sourire à Forlong mais ne rajouta pas un mot de plus. Le geste était clair. Se réchauffer de l’intérieur ne pourrait pas faire de mal au vétéran.

Il commençait tout juste à se réchauffer lorsque la jeune elfe prit la parole. Il tendit l’oreille sans lever le regard puis hocha simplement la tête d’un air entendu. Poursuivre son chemin en compagnie d’une femme, elfique de surcroît, ne lui déplairait certainement pas. Ses pérégrinations à Perlargir ne nécessitaient pas une solitude absolue. Ils pourraient qui plus est partager de nombreuses histoires et réflexions. Il n’avait pas revu d’elfes depuis bien longtemps.

- Je demeurerai à Pelargir quelques temps. Je vais y chercher l’air du grand large que porte le fleuve. Mais si vous venez avec moi, je vous quitterai aussitôt que vous évoquerez les cales d’un navire ou le pont d’un vaisseau. Je vaquerai à mes occupations sur le plancher des vaches. Les bateaux tanguent plus qu’un boiteux sans sa canne et leur sol est glissant des entrailles des poissons … ou des hommes.

Evoquer le simple souvenir d’un navire lui nouait l’estomac et les tripes. Il n’avait pas le pied marin et son choix était fait depuis longtemps. Il remonterait jusqu’à Osgiliath avant de franchir les eaux de l’Anduin. Il n’était d’ailleurs pas certain de retourner à Minas Tirith après son détour par le grand port. La Tête pouvait encore trouver le moyen de le contacter pour lui donner quelques missions urgentes. Mais il était à court d’informations concernant les faits et gestes de l’Ordre qui semait le trouble et la terreur sur les terres du Gondor. Ces quelques jours de voyage laissaient la campagne éprouvante qu’ils venaient de vivre derrière le voile flou des souvenirs. Mais d’autres menaces courraient sur les Terres du Milieu et le trône du Gondor n’était pas aussi stable que leur roi voulait bien en donner l’air.

Il chassa ces troublantes pensées de son esprit en faisant un geste du revers de la main, comme pour repousser le vrombissement d’une mouche. Ils continuaient d’avancer au rythme du soleil. Ils passèrent plusieurs croisements où venaient s’entremêler la destinée des royaumes. Le charretier semblait connaître le pays comme le fond de ses poches. Ils furent rattrapés par un groupe de cavaliers tandis que l’astre de lumière tendait vers son zénith. Pas un regard. Les soldats les dépassèrent dans un nuage de poussière qui ternit un instant l’horizon. Ils avaient l’air pressé. L’urgence de rejoindre le gîte et le couvert d’une maison entretenue par les bras accueillants d’une épouse.

En début d’après midi ils passèrent sous le couvert d’un bois clairsemé et planté sur le crâne d’une haute colline. Le vent froid continuait de fouetter les hommes et les bêtes. Ils franchirent avec moult cahots de profondes ornières sur une route marquée par les intempéries des jours passés. Nathanael aida par moment le vieil homme à pousser le charriot lorsque les roues s’enfonçaient trop profondément dans un trou traitreusement comblé par de la boue. Ils parvinrent au sommet du dôme naturel en sueur et le souffle court. Leurs efforts furent néanmoins récompensés, en quelque sorte. La vue portait loin par delà les collines environnantes. Prairies et forêts s’entrelaçaient devant eux jusqu’à buter contre une ceinture brillante qui serpentait dans le lointain. Nathanael exprima ses pensées à voix haute :

- L’Anduin. La première des routes qui mène jusqu’à Valinor. Il doit y avoir dans ce fleuve autant d’armures et de carcasses humaines que de poissons et de mollusques.


Evocations poétiques … Il se tut un instant tandis qu’il prenait conscience qu’il avait parlé tout haut. Il réprima un sourire goguenard et laissa place au silence. Il aurait le temps ensuite d’évoquer quelques contes et histoires sur ce long et large fleuve. Il se sentait d’humeur plus joyeuse et sa langue se délierait après une pause bien méritée.
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyLun 22 Aoû 2011 - 3:44
Malgré que bref, son sommeil fut pour une fois dépourvu de cauchemars remplis de sang et de regrets. Lorsqu'il fut réveillé par la lumière timide de l'aube, il ne put se rappeler de quoi il avait rêvé, mais son propre sourire, une expression qui n'apparaissait que rarement sur son visage ces dernières années, semblait indiquer que les songes avaient été agréables.

Son compagnon s'était réveillé lui aussi, et semblait être en forme, ce qu'il démontra aussitôt par un monologue bref mais humoristique. Ses paroles firent réfléchir le Dunadan. Se raser lui ferait effectivement un grand bien, surtout que la fièvre qui le hantait faisait perler des gouttes de transpiration sur sa courte barbe blanche. Mais les remarques de Nathanael firent aussi naitre une certaine inquiétude dans l'âme de Forlong. Si tant des rumeurs circulaient effectivement à son sujet, ils pouvaient se trouver en danger, et dans son état actuel il ne saurait pas défendre ses compagnons de façon efficace. Bien sûr, lors du siège d'Assabia il avait fait attention à ne pas donner l'occasion aux soldats du Roy de faire le rapprochement entre le chevalier resplendissant du Loup Blanc, et le vieux mercenaire vêtu de cuir qui habitait dans une petite tente aux bords du campement. Mais son épée antique et Asulf, son étalon de Dol Amroth blanc seraient des indications suffisantes pour un esprit aussi vif que celui de son compagnon, et l'armure magnifique n'était dissimulée dans le chariot que par une fine couche de paille...

C'est seulement en entendant les excuses maladroites de Nathanael, que l'homme aux cheveux blancs s'aperçut que son silence avait duré un bon moment, et que le barde l'avait interprété en tant que critique de ses paroles. Il s'apprêta à rassurer l'homme barbu, mais fut interrompu par les bruits dans la partie de la pièce consacrée à Calimehtar...les pensées sur l'elfe et la nuit précédente l'envahirent aussitôt, et il s'approcha de la bassine d'eau afin de se raser et dissimuler sa réflexion intense aux yeux du vagabond.

Par quelque miracle mystérieux, Forlong réussit à se raser à une main avec son couteau sans pour autant se couper. Naturellement, la manoeuvre dura un bon moment, ce qui permit à l'elfe de finir ses préparations et venir les rejoindre. Nathanael disparut pendant un moment de la pièce afin de commander un déjeuner auprès de l'aubergiste, et Calimehtar en profita pour rendre la veste au Dunadan, qui accepta les remerciements de la femme avec un sourire pale et un hochement de la tête.

***

Ils ne perdirent pas de temps, et le soleil était encore bas dans le ciel lorsqu'ils quittèrent l'auberge dans la direction de Pelargir. Il n'y avait que peu de conversations entre les voyageurs ce matin et comme d'habitude, la solitude et l'ennui donnèrent naissance aux réflexions et aux suppositions...

L'elfe avait décidé de voyager sur sa jument aujourd'hui...il ne savait pas comment l'interpréter. Désirait elle s'éloigner de lui? Avait-il dit quelque chose de blessant la nuit précédente? Il tenta de se rappeler de ses paroles et des réactions de la femme...Ses mots furent sincères, mais Calimehtar ne lui avait pas répondu ni ne l'avait pas regardé dans les yeux. Comprenait-elle que les mots du Loup Blanc avaient été sincères? Pouvait-elle s'imaginer l'importance qu'avait pour lui le fait qu'il lui avait dévoilé son vrai nom? Il montrait non seulement qu'il faisait confiance à l'elfe, mais il avouait en même temps ce qu'il était. Forlong...ce nom était lourd en conséquences, il portait en lui une histoire longue et sanglante d'un homme qui était allé loin avant de sombrer tellement bas...

Les remerciements de l'elfe lors du déjeuner avaient semblé sincères, mais le capuchon qui recouvrait l'entièreté de son visage ne lui permettait pas de voir la vérité dans ses yeux.

Nathanael avait décidé lui aussi de dégourdir les jambes, mais s'était d'abord assuré que le Loup Blanc ne se transformerait pas en une statue de glace. Forlong lui remercia du fond du coeur, mais demeura quelque peu gêné...il se sentait faible et inutile, même si c'était le contenu de sa bourse qui finançait cette expédition. Il regarda pendant un bref moment Asulf danser à côté de la jument de Calimehtar. Il aurait aimé être l'animal; si plein d'énergie, si sain et dépourvu de remords. Il aurait aimé être l'animal, si proche de l'elfe qui murmurait des paroles douces en elfique à sa jument...

Il chassa aussitôt ces pensées, se concentrant plutôt sur la conversation brève entre Calimehtar et Nathanael. Ainsi, l'elfe avait accepté son offre...La remarque du vagabond sur les navires le fit sourire, jusqu'à ce que ce dernier fasse référence aux entrailles humaines. Les souvenirs des batailles dans les eaux d'Osgiliath et de Dol Amroth, face à des corsaires cruels, les cris étrangers et les explosions virent envahir ses pensées, des images à moitié oubliées provenant d'une époque où la guerre lui semblait encore une affaire plutôt simple...

Bien plus tard, lorsqu'un groupe de cavaliers fit son apparence sur la route, Forlong reconnut la bannière accrochée à la lance du porte-étendard du détachement. Le Dunadan n'avait jamais été habile dans le domaine de l'héraldique, mais il avait appris à reconnaitre les sigles des seigneurs influents de la côte du Gondor lors de son service auprès du prince Berund de Dol Amroth.

-Des hommes du seigneur Manderly. Un seigneur riche et puissant, possédant une petite ville autour de son château ainsi que trois villages, chacun sous les ordres d'un de ses vassaux principaux. Sans compter une bonne vingtaine de chevaliers sans terre qui le servent...Comme d'habitude, Manderly n'avait pas envoyé d'hommes pour renforcer les rangs royaux lors de l'expédition d'Assabia...il n'avait pas tort d'ailleurs, vu le résultat du siège. Dans tous les cas, si ses hommes armés s'aventurent aussi loin, c'est que le vieux renard sent que la paix touche à sa fin...

***

Forlong avait encore une fois eu l'occasion de se sentir inutile lorsque les deux autres hommes poussaient le chariot vers le sommet de la colline. Il fit de son mieux pour se montrer utile lors de la création du campement. Il s'occupa du feu lorsque Calimehtar ramassa du bois sec, et conseilla à ses compagnons de se placer entre le chariot et les flammes, leur donnant ainsi une protection valable contre le vent glacial.

-Une petite tente se trouve dans mes bagages...la même devant laquelle nous buvions du vin chaud devant les murailles d'Assabia, Nathanael...si on la déplie, on aura un endroit sec pour nos provisions, et il restera encore assez de place pour que Calimehtar puisse y loger de façon confortable...

Bien plus tard, alors que la nuit avait tombé et les saucisses qu'il avait acheté au tavernier le matin même chauffaient au dessus des flammes, empalés sur des bâtons rendus pointus par son couteau fidèle, Forlong regarda autour de lui, et dit lentement:

-Un bel endroit...c'est sur ce genre de collines partout sur les Terres du Milieu que les hommes venus de Numenor bâtissaient des puissantes tours de garde afin de prévoir à l'avance l'arrivée des ennemis aux frontières de leurs royaumes...les preuves existent aujourd'hui encore; Amon Sûl, Amon Hen...des vestiges d'une époque passée, même si certains furent reconstruits par les rois du Gondor et d'Arnor depuis l'avènement sur le trône du roi Elessar. Mais nous vivons aujourd'hui à une époque différente, où les ennemis ne viennent pas toujours de loin mais sont parfois parmi nous, semant le chaos avec leurs mensonges et provocations. Perdus à jamais sont les jours où les clans des premiers hommes, venus avant même les Numénoréens, allaient à la guerre vêtus de gloire, leurs épées brillantes comme les étoiles forgées d'un acier antique d'une résistance incroyable en main, afin de protéger leurs terres contre les serviteurs du Mal...

Forlong se tût pendant un moment, en regardant les flammes, puis regarda ses compagnons, avec un rictus amer causé par la douleur qui émanait de sa blessure:

-Une belle nuit mérite des belles histoires, et non les paroles amères d'un vieux vétéran...vous êtes sans doute plus versés que moi dans ce domaine.

Le Dunadan était assis par terre, les jambes croisées. Ses cheveux blancs tombaient sur ses épaules, et les flammes se reflétaient dans ses yeux sombres. Sur ses genoux était posée son épée, dépourvue du fourreau. L'acier était baigné dans le halo orange projeté par le feu, mais semblait lui même émaner d'une lumière bleuâtre, faisant paraitre des inscriptions étranges sur la lame...


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Calimehtar Oropher
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyJeu 25 Aoû 2011 - 21:21
    L’elfe retomba dans son silence mystérieux un long moment. Elle regrettait un peu de ne pas pouvoir voir de ses propres yeux les paysages qui défilaient à leurs côtés. Elle devina seulement les forêts, les rivières, et les souffles glacés des soldats. Elle devinait les frissons de leurs corps, la faune cachée, endormie. Elle devinait également les cailloux sur le sol, avec le pas des chevaux. Elle voyait un monde en sons, non en couleurs.
    Et même si cela ne la dérangeait pas plus que cela, elle aurait aimé se perdre dans la contemplation des verts soyeux de la végétation, dans le reflet argenté du givre matinal, dans l’opacité éphémère des brumes vagabondes. Elle aurait aimé aussi contempler ses hommes, freinés par le froid et la peine. Deviner ces parias, deviner leurs craintes. Elle aurait aussi aimer le voir lui, deviner sa souffrance, deviner ses besoins.

    Elle se sentit affreusement isolée, au milieu de ses hommes. Isolée de par sa nature, isolée de par ses hésitations. Sa jument piaffait aux cotés de son prétendant, et elle devina sans peine que celle ci ne se laissait désirer que par gout, et non nécessité, car il était évident qu’elle n’en était pas insensible. Elle la laissa la guider avec confiance.
    Lui parlant avec douceur en elfique, comme pour elle même. Elle lui raconta tout ce qu’il lui passait par la tête.
    Pour s’occuper.
    Pour ne pas se sentir seule.
    Elle ne se tenait pas à sa crinière. Ses mains ont été touchées plus salement qu’elle ne l’avait crue au premier abord, et chaque mouvement la faisait souffrir, et sa peau craquait sinistrement.

    Elle releva la tête pour écouter Nathanael, et sourit doucement, même si elle ne comprenait pas…comment des entrailles d’homme pouvaient lustrer le pont d’un navire. Elle n’avait jamais bris de bateau, et ne savait pas si elle avait le…pied marin ? Comment reconnaissait on un pied de marin ? Il y avait vraiment une différence visible ?
    Comme le monde était peuplé d’étrangetés ! Elle se sentit tout à coup curieuse. Comme une enfant à qui on annonçait que le monde était bien plus vaste que son jardin. Elle brulait de questions, mais au dernier moment se retint. Elle ne voulait pas s’humilier devant tant d’homme à cause de son ignorance non feinte. Ils continuèrent donc, et elle, demeura silencieuse.
    Elle évitait soigneusement de penser à la suite du voyage.

    Ils montèrent une butte. Elle le sentit aisément avec l’inclinaison de sa jument. Les hommes fatiguaient, et le froid était d’autant plus saisissant, renforcé par les vents glacials qui s’engouffraient entre les arbres. Elle écouta une fois de plus la description de son compagnon de route et fut admirative par tant de savoir et de sagesse.
    Ils continuèrent leur route, et rencontrèrent des soldats, que le Loup identifia sans peine. Décidément, la jeune femme se sentait de plus en plus perdue dans ce monde si complexe. Elle descendit de sa jument pour marcher un peu entre Nathanael et le chariot. Une fois arrivée au campement, elle leur annonça avec désolation.

    - Je…je suis désolée mais je ne pourrais vous apporter vos soins ce soir, loup. Mes…mains sont trop endommagées. Je suis navrée. Je perds ainsi ma seule utilité dans ce voyage.

    Elle baissa la tête avec tristesse et s’en alla déposer ses sacs à côté de l’ébauche de campement. Son seul savoir, à elle, était la guérison, le savoir des plantes et des remèdes.
    Cependant, à cause de ses blessures, même cela devenait inutile. Elle soupira, et partit docilement ramasser du bois pour le feu. Elle essaya d’en trouver des secs, mais avec toute cette humidité ambiante, la tache était ardue, et il fallait de la patience. Elle ramena plusieurs petit tas qu’elle installa non loin du feu qui crépitait déjà dans un cercle de pierre. Elle se perdit dans les volutes orangées des flammes.
    Le soleil tomberait bientôt. Mais…elle ne comptait pas se dévoiler devant tant d’hommes. Elle s’approcha des flammes et resserra sa cape autour d’elle même si elle ne craignit pas le froid. Elle releva seulement un peu son capuchon, en gardant son bandeau. Sa vue n’était pas encore tout à fait remise, et elle préférait s’assurer que la nuit était bien tombée avant de se risquer à l’enlever.

    Le repas se prépara dans de grandes marmites, et elle s’approcha des soldats avec curiosité pour en humer l’odeur. Elle échangea quelques banalités avec les apprentis cuisiniers et leur proposa quelques herbes aromatiques pour finir, qu’ils acceptèrent volontiers.
    Elle sourit timidement et s’en retourna auprès du feu, où elle put enfin libérer son regard d’ambre. Ses yeux s’ouvrirent avec difficultés, et une brulure lui fit les refermer vivement. Elle s’y reprit à deux fois avant de pouvoir les garder ouvert sans douleur. Les paroles du Loup étaient bien sombres, même si elle n’en mesurait pas leur immensité de mauvais augure.
    Son regard fut capté par les reflets légèrement bleutés de la lame. Elle fronça les sourcils mais resta à sa place. Elle surprit son regard, et rougit en baissant la tête. Elle n’évitait pas vraiment sa présence…juste…qu’elle se posait des questions sur lui. Elle ne savait trop comment interpréter ses réactions lorsqu’il était présent.

    Le repas frugal fut servi dans une gamelle en terre cuite. Elle la prit dans ses mains, dévoilant ainsi les traces de marbrure provoquées par ses brulures successives de ces deux derniers jours. Inconsciente. Ecervelée. Sotte. Elle huma l’odeur avec un sourire franc, et y gouta.
    Bon…l’arrière gout de viande la gênait encore, il fallait l’avouer, mais puisque la faim la tenait depuis un bon moment, elle se força, et commença à s’habituer. Elle devait cependant se concentrer sur autre chose, pour ne pas penser aux pauvres bêtes sacrifiées pour satisfaire leurs besoins.
    Elle lança plusieurs regards timide vers le Loup, tout en parlant avec ses compagnons de route qu’elle apprenait doucement à connaître malgré la barrière qu’imposait son allure mystérieuse.

    Une fois le repas fini, elle salua les hommes d’une courbette élégante et prit ses dispositions dans la tente qu’on lui avait concédé, pour une nouvelle nuit de veille…En laissant sa jument dans l'enclos inventé, tout laissa croire qu'elle ne se sentirait pas seule, et qu'elle craquerait aux avances du fougueux étalon du beau Loup. L'elfe de son coté, se sentait perdue mais heureuse. Heureuse de pouvoir demeurer un moment encore auprès de ces hommes si intéressants et charmants.
    Elle s'installa dans une couverture sur le bord de la tenture, et sourit.
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Nathanael
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMer 14 Sep 2011 - 8:30
- Il n’est d’amertume que celle qu’on veut bien mettre dans son plat. Un fin cuisinier sait assaisonner les mets les plus répugnants pour surprendre les papilles. Et lorsque la soupe tourne au vinaigre, il lui faut pourtant aussi apprendre à la boire … il n’en saura que mieux apprécier les maigres victuailles qu’il aura su partagé avec joie et bon cœur. A défaut de ripaille les amis savent nourrir une âme… Et ce soir je vous avouerai que j’ai le cœur aussi plein que le ventre !

Il avait parlé de sa voix grave et profonde, calme et reposante, mais ses derniers mots avaient été prononcés avec pudeur. La vérité teintait pourtant son regard baigné par la lueur des flammes et la clarté des étoiles. La fatigue de la journée l’abandonna et glissa le long de ses épaules comme une cape. Il se sentait plus léger et le froid environnant ne semblait plus l’affecter. Il adressa un sourire rassurant à la jeune elfe dont l’attitude laissait à penser qu’elle voulait disparaître derrière sa capuche. Elle lui rappelait les petits chats qui, dissimulés derrière quelques bûches, hésitent toujours entre bondir en pleine lumière ou rester abrités dans l’ombre protectrice du bois. Crainte et curiosité.

Il la regarda s’éloigner tandis que Forlong rappelait à la nuit ses souvenirs silencieux. Calimehtar s’abrita sous la tente où ils avaient rangé tout le matériel dont ils disposaient. Le charriot était suffisamment haut sur ses roues pour faire un toit aux hommes si la pluie ou la neige venait les surprendre. Seule la bise froide pourrait étreindre leur corps. Nathanael se sentit saisi de fourmillements insoutenables. Forlong lui avait tendu une perche qu’il ne pouvait laisser filer. Raconter et narrer, déclamer des vers ou chanter quelques prosodies – l’occasion était trop belle. Il se leva hardiment et se rapprocha de la tente où l’elfe demeurait seule.

- Calimehtar ? Vous dérangerai-je en vous invitant à partager quelques histoires avec nous ? Il est suffisamment de contes que je connaisse pour tenir éveillée une armée toute la nuit mais il y a bien des légendes elfiques que je ne supporte pas de laisser en repos. Voudriez-vous nous en narrer quelques unes ?

Et disant ces mots, il se redressa et se plaça face au feu, à Forlong et au charretier. Le vieil homme ne laissait pas un son passer ses lèvres mais il avait dans l’œil la lueur de la curiosité qui pique les enfants lors des grandes veillées.

Ses premières paroles furent prononcées dans un murmure. Les flammes faisaient naître de grandes ombres dans sa barbe et sur son front, lui donnant l’air grave et sérieux.

Les mots soufflent sur l’histoire du monde un murmure chaotique
Entendez-vous au large cet écho chimérique …

Il vient des temps passés des hommes aux nobles visages
Fiers et pleins d’orgueils, mais réfléchis et sages …

Ils ont gravé en ces terres la destinée des peuples et de leurs royaumes…


Il fit une pause et se retourna en pointant du doigt une place vide où le sol formait quelques bosses piquées d’herbes et de ronces.

- Ici … ici j’entends que l’on me contredit !

Nathanael se retourna pour mimer l’homme qui tend l’oreille pour mieux comprendre de lointains propos.

- « Gravé » dit-on … « mais nous ne somme pas modelés dans l’argile comme des pots en terre. Nous nous sommes forgés seuls, et pas même la lame de nos ennemis ne peut griffer l’acier dont nous nous sommes parés. Qui sont ces hommes qui s’ autorisent à faire courir de tels mensonges ? »

Un nouveau silence. Nathanael fit quelques pas de côté, ici et là, légèrement courbés vers l’avant, les mains tendues devant lui comme pour calmer de virulents propos énoncés par des fantômes.

- Ecoutez … écoutez … le chant des Valars et la musique d’Eru. Vos rêves sont parsemés de voix lointaines et de douces paroles que les enfants d’Illuvatar ont murmurées aux âges passés. Entendez-vous l’harmonie qui fait battre leur cœur ?

Nathanael prit son souffle, laissa encore passer un silence, puis se redressa doucement. Sa voix se mua en un chant doux et grave et les mots paraissaient s’immobiliser un moment autour d’eux avant de sombrer dans l’obscurité de la nuit.

« Nous entendions la Voix en nos cœurs, bien que nous ne nous ne disposions pas encore de langage. Puis le désir de mots naquit en nous et nous avons commencé de les créer. Mais nous étions peu nombreux et le monde était vaste et étrange. Pourtant nous souhaitions vivement comprendre. Notre apprentissage fut laborieux et l’œuvre des mots se fit lentement*. »

Un moment, seuls le bruit du vent et son murmure dans les branches occupèrent les étendues au large de Pelargir. Nathanael reprit son ton grave et posé et entama un des récits qu’il aimait le plus et qui lui faisait garder espoir durant les temps sombres.

Le front baigné de lumière, les premiers enfants d’Illuvatar naquirent dans l’obscurité tremblotante d’un monde agité par le souffle des Valar. L’amour des belles choses animait leur âme et ils étaient habiles au chant comme à tout autre art. Leur cœur battait de l’orgueil des premiers Nés mais leur esprit était vif et curieux et jamais ils ne se lassaient d’apprendre et de créer. Ils foulèrent quelques temps de leurs pas lestes et agiles les contrées d’Arda dont les hommes ne connaissent aujourd’hui que quelques reliques. Les royaumes n’avaient pas encore de frontières et toutes choses étaient nues jusqu’à ce que les Elfes leur donnent un nom. Le monde des sens et des impressions fut abstrait de son essence et le langage fut créé.

Les Noldor furent parmi les premiers Nés. Ils virent les contrées belles et fragiles engendrées par les Valar en pays d’Aman. Feänor contempla parmi eux les Arbres de Valinor sur la colline d’Ezellohar. De la tristesse profonde de Yavanna naquit la beauté et la lumière. Des cendres du monde détruit par Melkor naquirent les fondements de l’Âge du règne des Valar.


Nathanael prit une courte inspiration et se remit à chanter doucement.

« À ce moment, deux pousses fragiles apparurent sur la colline et un silence s'abattit sur le Monde. Nul autre bruit que le chant de Yavanna et, grâce à ce chant, les pousses grandirent, plus hautes et plus belles, et vinrent à s'épanouir. Ainsi naquirent au monde les Deux Arbres de Valinor, de toutes les œuvres de Yavanna les plus célèbres et celles dont le sort est indissociable des Jours Anciens**. »

Lorsque ces derniers mots furent emportés par une bourrasque froide et glaciale, il reprit son récit, toujours debout face au feu.

Ils furent nommés Telperion et Laurelin. L’un était un chant d’or, l’autre une aubade d’argent. Ils illuminèrent le monde de leur éclat béni maintes années durant et les Hauts Elfes se souviennent encore de leur splendeur passée. Melkor détruisit une nouvelle fois les Créations des Valars. Mais Yavana chanta encore et obtint des arbres leurs derniers fruits et leurs dernières fleurs. De l’obscurité naquit le jour et la nuit. La Soleil et la Lune furent ceints de la bonté des Valar et de leur amour pour Arda. Les Terres du Milieu connurent leur première aurore et le crépuscule baigna le monde d’ocre et d’argent jusqu’à ce que les étoiles naissent dans l’ombre de la première nuit.
C’est ainsi qu’ils ont commencé de graver en ces terres la destinée des peuples et de leurs royaumes… Et toujours après la nuit les premières lueurs du soleil étreignent le voile obscure des ténèbres et se saisissent du monde qu’elles baignent de lumière.


Tandis qu’ils prononçaient ces dernières phrases, Nathanael s’était accroupi près du feu après avoir frotté ses mains l’une contre l’autre. Parlant des premiers matins du monde et de l’aurore, il passa rapidement ses mains au dessus des flammes du petit feu et les ramena à lui en fermant ses paumes creuses l’une contre l’autre. Et ses derniers mots furent accompagnés de l’image de flammes fugaces et dorées qui illuminèrent rapidement les mains du conteur. Un petit sourire illumina lui aussi le visage de Nathanael puis le silence reprit ses droits et les bruits étouffés de la nuit firent tinter leurs échos contre le bois du charriot et la toile de tente.



*[J.R.R. Tolkien, Athrabeth Finrod ah Andreth]
** [Le Silmarillion - Quenta Silmarillion - Chapitre 1]
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyVen 23 Sep 2011 - 14:25
-Vous..vous restez bien plus utile que moi, qui ne suis même pas capable de faire trois pas sans appui. Et la guérison n'est pas la seule raison pour laquelle nous apprécions votre compagnie.

Il vit Calimehtar baisser la tête et s'éclipser malgré sa réponse, et se maudit dans son esprit. Ses propres paroles lui semblaient sèches et maladroites, amères plutôt que réconfortantes. Il y eut un temps où il savait parler aux femmes. Guerrier mystérieux et éloquent, il avait rencontré plusieurs jeunes demoiselles lors de ses voyages. Un homme différent. Il se rappela avec un sourire amer d'une époque où son opinion sur lui même était plutôt élevée. Ce n'était plus le cas aujourd'hui.

Bien plus tard, lorsqu'ils étaient tous assis autour du feu, les gestes et grimaces discrètes de douleur de l'elfe attirèrent son attention, et il sentit à nouveau ce désir étrange et ridicule de prendre la femme dans ses bras. Les mains de l’elfe étaient dans un piteux état, et pendant un instant le Loup Blanc envisagea de lui offrir à son tour ses services de guérisseur. Mais il changea rapidement d’avis…ses connaissances dans le domaine étaient tout au plus médiocres, et ses doigts manquaient la délicatesse de ceux de sa compagne; il finirait probablement par lui faire plus de mal que de bien. Sans parler du fait qu’il ne savait utiliser qu’un seul bras…Les yeux oranges de Calimehtar se portèrent sur son épée, puis rencontrèrent les siens; si différents, sombres et tristes, dans un visage à présent pâle et recouvert de cicatrices. L’homme aux cheveux blancs voulut sourire, mais elle détourna son regard, et il lui sembla apercevoir un soupçon de rougeur sur son visage partiellement dissimulé.

Il s'interrogea de nouveau si cette femme ressentait quelque chose pour lui. Il avait du mal à le croire...si elle était fascinée par lui, elle devait voir quelque chose d'autre que la réalité. Peut être que sa faiblesse inspirait de la pitié en elle? Ou alors elle le voyait en tant que guerrier puissant dont le regard sombre dissimulait des secrets fascinants? Mais son passé mystérieux était tragique plutôt qu’intriguant, et ne méritait point d’être décrit dans les chants des ménestrels.

Pendant qu'il digérait ces pensées sombres, tout en savourant le repas simple mais chaud, Calimehtar s’était éclipsée dans la petite tente. Mais la fatigue n'avait pas encore envahi le conteur, pour qui une nuit passée à la belle étoile semblait être une source d’inspiration.

Le dunadan ne put s'empêcher de sourire lorsque son compagnon barbu invita la fille de la lune à les rejoindre à nouveau. En s'installant plus confortablement, adossé au chariot, Forlong s'apprêta à écouter les contes de ce barde dont la réputation était répandue parmi les vétérans de la campagne d'Assabia. Il regrettait au fond de son esprit que Calimehtar n'avait pas choisi de s'asseoir plus près de lui; elle gardait ses distances, comme toujours. Il ne pouvait lui en vouloir. La méfiance était une qualité importante pour ceux qui voyageaient à travers les Terres du Milieu en ces jours sombres. S’il y avait cependant une chose dont le guerrier était sûr, c’est qu’il n’avait aucune intention de blesser cette femme si curieuse et innocente.

Forlong se laissa emporter dans le monde étrange tissé par les paroles du conteur. Il n’avait encore jamais entendu cette histoire en entier ; même si ses connaissances sur les légendes des âges passés étaient relativement vastes, elles se limitaient aux évènements plus récents, du troisième, éventuellement du deuxième âge. Il ne savait pas quoi penser du récit de Nathanael ; il avait vu des mages, des sorciers et des elfes sages et puissants dans sa vie, mais les histoires sur la création d’Arda parlaient d’un pouvoir qu’il était simplement incapable de comprendre. Mais une chose était sûre : le conte était d’une grande beauté, et il sentit lui-même une étincelle d’espoir s’allumer au fond de son cœur. Lorsque les paroles laissèrent place au silence, l’homme du Nord jeta un regard au vagabond, sa silhouette plongée dans l’aura des flammes. Il lui remercia avec un sourire pour son récit, et lui passa une gourde de vin.

Vint alors le tour de Calimehtar, dont le regard semblait indiquer une certaine admiration pour l’homme barbu. Nathanael était un compagnon de voyage beaucoup plus intéressant et bavard que lui-même, et Forlong ne serait pas étonné si la jeune femme choisissait de continuer son chemin aux cotés du conteur. Les encouragements des deux voyageurs incitèrent la fille de la Lune à vaincre sa timidité, et elle engendra un chant elfique d’une voix quelque peu étouffée mais pure et mélodieuse. Les connaissances limitées du Loup Blanc dans cette langue ne lui permirent de saisir l’entièreté des paroles, mais il crut comprendre qu’il s’agissait d’une histoire d’amour et d’espoir entre deux elfes. La voix de Calimehtar était étrangement réconfortante et malgré le fait que cette fois la chanson n’était pas destinée à lui seul, il se laissa bercer par la mélodie, et ferma les yeux juste avant que celle-ci ne s’achève.

La nuit s’avéra moins confortable que prévu. Dépourvu des soins de la jeune elfe, Lost Ore sombra dans un sommeil fiévreux. Couché dans une position inconfortable à cause de sa blessure, il transpirait à cause de la proximité des flammes, juste pour frisonner quelques instants plus tard. Les cauchemars vinrent le déranger eux-aussi. Il se retrouva sur une plaine glacée recouverte de sang et de cadavres, leurs visages tordus dans des grimaces de peur, de douleur ou de haine. Il vit ensuite le visage pâle d’une belle femme. Une flèche noire volait vers elle, mais il ne pouvait rien faire pour la sauver, ses jambes étaient lourdes comme si elles étaient faites de plomb…Forlong vit la femme mourir, alors qu’il s’écroulait lui-même dans un gouffre enflammé.

Il se réveilla en sueur, en poussant un cri de désespoir ; sa voix était faible car sa gorge était sèche comme les sables du désert, mais il s'inquiéta qu’il avait réveillé ses compagnons. Cependant si c’était le cas, ils ne l’avaient pas manifesté.
Il faisait froid, et l’aube était proche. Le Loup Blanc savait qu’il ne serait pas capable de se rendormir, et alimenta le feu, tout en s’enroulant dans sa couverture. Il regarda les flammes, remerciant les Valar pour la chaleur qui s’en dégageait, puis alla laver son visage et ses mains dans la bassine d’eau de source remplie le soir précédent. Les chevaux eux aussi semblaient avoir passé une nuit mouvementée, mais pour des raisons complètement différentes. A présent ils se reposaient, son étalon blanc Asulf à côté de la jument grise, tandis qu’Erwin, plus âgé et stoïcien, se régalait de quelques brins de foin.

Alors que le soleil avait fait son apparition pour de bon, quelques paysannes vinrent sur la colline, vendant des œufs frais et du lait aux soldats qui y passaient la nuit. Forlong s’approcha lentement des femmes, en s’appuyant lourdement sur sa canne provisoire, et leur paya un bon prix pour une partie de leur marchandise.
Lorsque ses compagnons se réveillèrent, ils furent accueillis par l’odeur d’œufs fris sur une pierre plate et chaude. L’homme du Nord espérait sincèrement que ce déjeuner allait plaire à ses compagnons, en particulier à Calimehtar, dont les goûts culinaires étaient fort différents de ceux des hommes. Une grande cruche de lait de chèvre était placée à côté ; la boisson était plus appétissante que l’eau de source et l’heure était bien trop jeune pour boire du vin.

Après le repas, les voyageurs décidèrent de continuer leur odyssée. Les chemins de terre laissèrent place aux routes de pierre, et les villages locaux ainsi que les caravanes de marchands devinrent un élément récurrent du paysage. Ils s’approchaient de plus en plus des régions les plus peuplées du Gondor, et les cris des mouettes furent le premier signe de la proximité de la mer.

Vint ensuite l’odeur légèrement salée de l’air, et enfin ils purent apercevoir devant eux les murailles de Pelargir, le plus grand port du royaume.

Pour une fois, le paysan qui dirigeait le chariot de foin décida de prendre la parole, et annonça aux voyageurs qu’il souhaitait passer un peu de temps dans la cité afin d’effectuer quelques achats. L’homme du Nord ne voyait pas d’inconvénient ; surtout s’il s’agissait de l’endroit où les chemins de lui et ses compagnons allaient se séparer.

Forlong descendit tant bien que mal du chariot, s’appuyant sur sa canne, son épée attachée à sa ceinture, et, ses deux compagnons à ses côtés, s’enfonça dans les rues de la cité. Pelargir était une cité bruyante et remplie de voyageurs des quatre coins de la Terre du Milieu. Le contraste avec leur séjour dans les forêts vierges de l’Ithilien était choquant…

-Nous voilà de retour à la civilisation…faites attention à vos bourses, mes amis…


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Calimehtar Oropher
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMar 27 Sep 2011 - 20:42
    Perdue dans ses pensées, seule dans sa tente, elle eut un mouvement de surprise en voyant Nathanael arriver. Et que cette soudaine chaleur lui faisait du bien. La chaleur du cœur, celle de se sentir à sa place, et d’être heureux de cette découverte.
    Elle sourit timidement, et se leva avec quelques difficultés, néanmoins avec élégance. Elle camoufla ses mains brûlées sous sa cape et suivit docilement le conteur, avec une joie visible. Elle ne voulait pas se sentir de trop, mais elle avait été invitée, elle, l’enfant de la Lune, à participer à la veillée.
    Elle s’assit en face du charretier et du Loup.
    Elle avait hésité à s’installer auprès de lui, puis, écoutant les mouvements désordonnés et emballés de son cœur, décida de s’installer à une distance raisonnable. Et puis, comme cela…elle pouvait garder un œil sur lui discrètement.

    Elle rougit quelques fois quand leurs regards se croisèrent, mais dès que Nathanael prit la parole, elle n’eut d’yeux que pour le conteur. Elle connaissait cette histoire, de la création d’Arda, et du chant de Yavanna, les Abres détruits par Melkor, se transformant avec l’amour des Valars en Soleil, en Lune. En jour, en nuit, en crépuscule, en aurore. Une histoire sublimée par les talents de l’homme.
    Elle l’écoutait avec avidité, comme une enfant devant un spectacle de marionnettes. Elle souriait sans chercher à se cacher.
    Elle sursauta, et s’enthousiasma de son ton, de ses sauts, soubresauts, surprises et mimes. Elle pouvait imaginer sans peine la beauté des évènements relatés. Son chant était correct, et sa voix grave était très agréable à écouter. Une voix d’homme.

    Lorsqu’il eut finit, elle ne put s’empêcher de l’applaudir chaleureusement, malgré l’ampleur de ses blessures. Elle ne fit même pas attention à sa douleur, tant elle était ébahie de sa prestation.
    Lorsque vint son tour, cela la refroidit aussi vivement qu’un vent de plein hiver qui s’engouffre pour éteindre un feu réconfortant. Non, non, comment passer après cela ? Elle ne voulait pas, non, n’osait pas. Elle se ferait probablement charrier. Elle n’avait pas l’habitude, ne savait pas comment s’y prendre.
    Elle baissa la tête et la secoua, mais rien n’y fit. Au contraire, les encouragements croissaient, jusqu’à ce qu’elle n’eut d’autre choix que de s’exécuter. Elle réfléchit rapidement aux diverses possibilités. Elle pensa tout s’abord à parler de Melkor, le premier être avant même Arda, l’incarnation du Mal des Jours Anciens, puis y renonça. Pourquoi ternir une soirée aussi belle et chaleureuse ?

    Elle opta donc pour un chant elfique, que sa mère adorait lui chanter, jadis. Une histoire d’amour, une histoire d’espoir et de réussite qui l’avait toujours fait rêver. Elle se leva, fébrilement, intimidée par tous ces regards d’hommes rivés sur elle.
    Avec une profonde inspiration, elle leva les mains sur son capuchon, et l’abaissa. Elle se tourna vers les flammes, pour ne pas voir la réaction des hommes. Elle calma les battements de son cœur effrayé, puis entama son chant. Elle s’évada dans son monde. Comme si elle était seule au monde.
    Elle parla de Galadriel, qui entama son voyage vers les Terres du Milieu. Elle chanta sa rencontre avec Celeborn, leur amour si fort. Ils étaient, la représentation des deux Arbres. Elle, aux cheveux magnifiquement blonds, et lui, aux cheveux d’argents. Aussi beaux, grands et majestueux que des Seigneurs, ce qu’ils devinrent de nombreuses années plus tard. Ils refusèrent avec modestie leurs rôles de roi et de reine. Ils régnaient avec autant d’amour que des parents. Nenya, l’Anneau de l’Eau, protégea leurs terres. Elle chanta avec envie et respect, leur amour tellement beau, tellement…distingué.
    Elle modula son chant avec lenteur, mesure. Elle descendit dans les graves, pour remonter dans les mediums. Son chant se suspendit sur une question, puis mourut, le regard perdu dans les flammes.

    Une fois son chant fini, elle perdit toute confiance en elle. Elle piqua un fard et se rassit, intimidée encore plus qu’auparavant. Elle sommeilla seule dans la tente. Ses pensées s’égarèrent maintes fois, mais la rudesse du voyage et la veillé, finirent par la faire dormir tout de même.
    Lorsqu’elle se réveilla le lendemain, son ventre protesta énergiquement à l’odeur d’œufs et de lait frais. Elle sortit avec un petit sourire, et en offrit un même au Loup, tant elle était heureuse de ce petit déjeuner. Elle mangea avec appétit et bonne humeur. Retrouver plus tard sa jument, et la découvrir si épanouie auprès de l’étalon blanc, finit de lui arracher un rire.
    Elle se sentait si bien, si sereine. Ils reprirent la route avec une bonne humeur collective, probablement provoquée par tout les contes et jeux de la veille.

    Sa jument se quittait plus son mâle qui se pavanait avec fierté de sa conquête. Pour la laisser tranquille, l’elfe décida après une heure, à rejoindre le conteur à pieds, juste derrière le chariot.

    - Je vous félicite sincèrement pour hier, homme. Vous êtes vraiment talentueux. Un artiste tel que vous, serrez bien accueilli parmi les elfes. Je ne doute pas que vous auriez de nombreuses choses à apprendre des uns des autres.

    Elle sourit doucement et ils engagèrent une petite conversation. Elle l'écouta avec le respect d'une élève sage pour les propos de son précepteur. Ils arrivèrent bientôt du grand port Pelargir. Elle en ressentit une petite pointe au cœur, car cela signifiait qu’elle ne pouvait plus reculer. Elle devait choisir entre le conteur si sage, et le Loup qu’elle pensait ai…Le Loup. Ils se promenèrent un moment dans les rues de la ville.
    Elle ne se sentait pas à l’aise. Elle n’était pas habituée aux villes, alors les grands ports…Elle se resserra sans faire exprès du Loup, pour se rassurer. Son regard essayait de capter tous les détails des rues. Les pavés, les emblèmes des magasiniers, les étalages de marchandises diverses et variées, les petits vagabonds qui courraient entre les jambes des passants ronchons, les bras chargés de victuailles.
    Quelle activité ! Elle se rapprocha encore de ses compagnons, oppressée par toutes ces bousculades.

    - Je…je ne suis pas sûre de…

    Elle fut interrompue dans ses propos. Un enfant, à peine huit ans, la bouscula violemment pour échapper à un vendeur survolté à qui il avait volé un collier en or. Prise dans son élan, l’elfe tomba sur le coté. L’enfant marcha négligemment sur sa cape et la fit tomber.
    La suite fut prévisible.
    Ce fut un désastre.
    Son corps mis à découvert se mit à grésiller et elle ne put s’empêcher de hurler de douleur. La mésaventure avait été aggravée par l’angoisse de cette grande ville dans laquelle elle se sentait perdue et vulnérable. Elle sombra dans l’inconscience, au milieu de la rue. Que de peine et de malchance, dans le monde des hommes.
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Nathanael
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyVen 28 Oct 2011 - 21:29
La lune baignait le visage de Calimehtar d’une aura argentée tandis que les flammes rougeoyantes faisaient chatoyer dans son regard la joie non dissimulée de la jeune elfe. Que ce peuple pouvait être beau et plein de dignité. Il oublia un moment les elfes bannis, les traîtres et les êtres maudits qui avaient pu parcourir les terres du milieu. Il oublia l’orgueil démesuré dont pouvait faire preuve ce peuple et toutes ses manifestations cruelles qui avaient occasionné tant de conflits. Seule l’image d’une pureté préservée et d’une sagesse infinie flottait dans les méandres de son imagination. Le chant clair le porta aux frontières de la somnolence, à la limite de la pleine conscience et de la douceur du sommeil. Il ferma un moment les yeux pour mieux se représenter les liens si forts qui pouvaient unir ces deux êtres exceptionnels. Il se redressa lorsque les dernières notes furent emportées par le vent. Il applaudit chaleureusement Calimehtar pour ce chant béni parmi les siens et se tourna pour observer Forlong. Malgré la fatigue du voyage et l’épuisement engendré par sa blessure il parut un moment plus serein. Les mots ont un pouvoir de guérison dont les limites dépassent la simple habileté des mains.

Il se coucha non loin du Dunadan et du charretier, à côté des flammes protectrices contre la morsure de la bise. Il souhaita un instant être une femme pour bénéficier du confort de la tente. Il s’imagina avec une paire de seins, tout barbu qu’il était, et il dut faire un effort démesuré pour ne pas rire tandis qu’il se roulait dans ses couvertures. Il aurait été bien en peine d’expliquer les raisons de sa joie soudaine. Ces derniers jours ses pensées avaient toutes quelque chose de saugrenu. Il attribua ce fait à l’absence des contraintes et des pressions engendrées par la proximité des combats et des morts ; il se détendait progressivement tandis qu’ils s’éloignaient tous du champ de bataille. Cette réflexion lui apporta un nouveau lot de questions – toutes les légendes qu’il avait entendu sur Lost Ore étaient-elles réelles ? Ancien capitaine de l’armée d’Arnor dont le nom disparaissait soudainement des registres militaires… Quelles étaient les raisons de ce brusque changement de direction dans une carrière parfaite, portée à son paroxysme par la victoire de la Grande Bataille du Nord. Il n’eut pas le temps de pousser plus loin son questionnement. Le ronflement du charretier l’invita à rejoindre les bras de Morphée et il ne refusa pas de s’y laisser bercer.

Rêves agités ou réalité proche ? Il lui sembla que quelqu’un près de lui avait passé la nuit à retourner le sol. Au petit matin il demeura sous le couvert de la laine et du coton pour se protéger du vent. Le charretier ronflait toujours, ce n’était donc pas lui qui avait remué dans son sommeil. Il se retourna sur le dos pour voir ce qu’il en était du Loup Blanc mais le vétéran avait déjà disparu. « Parti courir après ses souvenirs … ». Il lui donnait le sentiment de traîner son passé comme une bête de labour tire sa charrue, déterrant sans arrêt les cadavres de ses souvenirs sans jamais planter les semences d’un avenir nouveau. Il se drapait de remords et se ceignait de regrets. Contre cette image sinistre il se consola égoïstement en pensant qu’il avait échappé au sort de Forlong en abandonnant rapidement le rôle de guerrier. La mèche blanche qui reposait sur sa tempe gauche lui rappelait d’assez mauvais moments qu’il n’avait pas voulu renouveler. Ce matin il se donnait raison d’avoir abandonné sa carrière de soldat rohirrim.

Ses narines furent chatouillées par une bien agréable odeur. Les rires des femmes et leurs murmures n’avaient pas été un songe. Les habitants les plus proches étaient venus livrer leurs mets les plus savoureux. Il jeta un bref coup d’œil à Forlong en se demandant à combien de pièces s’élevait sa dette envers lui. Non seulement le Loup Blanc lui avait sauvé la vie mais il continuait à faire en sorte qu’il ne se porte pas trop mal à ses côtés, veillant à son confort et à ses bons soins. Il n’avait plus rencontré d’ami aussi bienveillant depuis longtemps. « D’ami »… Il ne pouvait en effet voir le vétéran sous aucun autre prisme que celui d’une amitié toute fraternelle. Il s’assit posément aux côtés du charretier pour partager un dernier repas communément. Il savait que cette journée serait la dernière avant leur séparation. Pelargir ouvrirait pour chacun d’entre eux de nouveaux chemins. Calimehtar gardait le sourire sous sa capuche et Forlong n’avait pas encore le regard trop sombre. La journée serait particulièrement belle.

Il aida le vieil homme à charger les affaires personnelles de tout un chacun dans le charriot et prit le pas derrière ce petit convoi à présent familier. Il sentait la nature du sol changer tandis qu’ils se rapprochaient de la ville et de ses odeurs. L’air marin lui fit une impression étrange. Il connaissait peu la mer et ses secrets et se gardait bien de s’en mêler. Il fut heureux de partager quelques paroles avec Calimehtar tandis que les premiers convois de marchandises les doublaient régulièrement sur la route. Il sourit à ses compliments et les lui retourna :

- Je suis un bien piètre conteur si l’on pense que les conteurs ne sont finalement que des usurpateurs. Nous rapportons les histoires que d’autres ont vécu et bien peu d’entre nous peuvent revendiquer le fait qu’ils aient participé à seulement quelques unes d’entre elles… Votre chant m’a apporté bien du réconfort hier soir, et il m’est agréable de constater que je ne suis pas seul à rappeler la joie dans nos esprits quand autour de nous seuls les cris des soldats font trembler la mélodie de la guerre et de la destruction…

Ils échangèrent sur de nombreux sujets et il fut ravi de découvrir le sourire de Calimehtar. La jeune elfe sembla oublier un moment ses mésaventures passées et la douleur qui l’affectait depuis la veille. Derrière son visage empreint de naïveté et de curiosité candide il découvrait au fur et à mesure une force de caractère qu’il n’avait pas soupçonné tout d’abord. La jeune elfe créerait bien des surprises parmi tous ceux qui la prendraient pour une ingénue.

Les portes de Pelargir étendirent leur ombre sur les voyageurs alors qu’ils passaient les hautes murailles de la cité portuaire. Le tumulte de la foule mit soudainement en branle tous ses sens. En deux jours il ne s’était pas inquiété des nouvelles de la bataille perdue par Méphisto aux portes d’Assabia pas plus que des allées et venues des forces de l’Ordre mystérieux. Mais les conversations échangées et les propos qui animaient l’air lui rappelèrent les raisons de son voyage jusqu’à cette vaste ville. Il se concentra pour ne pas s’éparpiller et se coupa de cette agitation le temps de saluer le brave charretier qui les avait mené jusque là. Il savait qu’il ne le reverrait pas à moins de continuer sa route avec Forlong. Ce n’était pas dans ses projets. Il se retint d’aider le Loup Blanc à descendre du charriot. La douleur se lisait sur son visage mais tout son honneur de soldat demeurait préservé. Il rétorqua en plaisantant au conseil de Forlong :

- Vous êtes le seul menacé …

Ils avancèrent ensemble parmi la foule et les badauds. La sueur des marchands et des marins était inconvenante mais son odorat se fit rapidement à ce nouvel environnement. Il suivit ses compagnons de route en demeurant légèrement en retrait, laissant traîner ici et là son ouïe habituée à l’exercice. Les gens échangeaient des politesses, des insultes ou lançaient de vive voie des harangues pour inviter les passants à venir acheter leurs marchandises ou à boire dans leur échoppe. Il gardait un œil sur le Loup Blanc et la jeune elfe. Tous trois étaient quelque peu tendus après ces jours passés sur les routes silencieuses et peu fréquentées. Nathanael ne dit rien mais il pressentait la vigilance permanente du soldat arnorien. Calimehtar semblait quant à elle découvrir un monde tout aussi mystérieux et intriguant que dangereux et menaçant.

Il se rapprocha d’eux pour entendre ce que l’elfe avait à leur dire mais il fut repoussé en arrière par un petit garnement qui les sépara le temps d’une seconde par sa course rapide. Ni lui ni Forlong ne purent rien faire contre la chute de Calimehtar. Il la vit, impuissant, tomber brutalement sur le sol dur et rugueux. La cape qui la couvrait lui fut arrachée par les pieds de l’enfant et le soleil commença instantanément son œuvre destructrice. Il se rua en avant aux côtés de la jeune femme. Il ôta précipitamment sa cape de sur ses épaules et la jeta sur le corps de l’elfe pour limiter les dégâts et éviter d’attirer l’attention de mauvais curieux. Mais le cri avait alerté les plus proches passants et un petit groupe de chalands se formait autour d’eux. Forlong l’aida à remettre la cape de l’elfe sur son visage et ses épaules pour arrêter les brûlures provoquées par la lumière. Mais le mal était fait. L’elfe ne répondait pas à leurs questions inquiètes et ne réagissait pas lorsqu’ils la touchèrent. L’inconscience la gardait hors de leur portée.

Bien que la fougue et la fureur ne fussent pas les atours les plus notoires de Nathanael il se redressa si vivement et se tourna si hargneusement vers les passants qu’il en fit reculer quelques uns de surprise. Il prit les devants et se saisit précautionneusement du corps de l’elfe qu’il tenta de ne pas trop serrer contre lui. Il prit un pas rapide et chercha un lieu moins cruel et moins agité pour protéger l’elfe. Il se tourna vers Forlong, le regard déterminé, pour voir si l’homme disposait d’une solution immédiate. La fatigue avait quitté les traits du Loup Blanc mais l’inquiétude paraissait le ronger derrière ses yeux d’acier.

- De l’ombre et du silence. Savez-vous ou en trouver rapidement ?

Il posa la question en continuant de marcher à grandes enjambées, laissant Forlong seul avec sa douleur pour suivre le rythme qu’il imposait. Ils se rapprochaient d’un grand baraquement aux allures de taverne où les volets étaient rabattus. L’urgence lui fit passer les portes du bâtiment. Deux femmes aux seins ronds et nus les regardèrent d’un air ébahis. Une maquerelle aux formes disproportionnées les accueillit à bras ouverts avant de se rendre compte de la situation. Nathanael ne s’était pas attendu à tomber dans pareil endroit mais ils ne pouvaient plus reculer.

- J’ai déjà assez de catins chez moi et je n’ai pas besoin des embrouilles que vous trainez derrière vous comme des casseroles. Dehors ! Dehors !
- Ecarte-toi radasse ou je te crève ! Un lit, une chambre et de l’eau. On s’arrangera pour le paiement après. Considère qu’on va se payer du bon temps à trois dans une de tes turnes. Et qu’on soit pas dérangé !


Le conteur poétique prenait les airs d’une brute, comme s’il eut été habitué à ce genre d’endroit. La maquerelle leur indiqua une chambre au premier étage. Nathanael posa délicatement le corps de l’elfe sur le lit et prit soin de fermer fenêtre, volet et rideaux avant de découvrir la jeune elfe des vêtements qui la recouvraient totalement. La grosse femme revint avec un pichet d’eau. Il lui arracha presque des mains et la repoussa dehors sans plus de sentiments. Il n’aimait pas cette situation mais il lui fallait pourtant y faire face. Il ne pouvait ici s’enfuir comme il l’avait fait contre la créature qui l’avait attaquée et le Loup Blanc ne pouvait intervenir d’un simple coup d’estoc. Les brûlures couvraient le visage de Calimehtar de petites cloques et de boursouflures rougeâtres et disgracieuses. Comment un tel mal était-il possible ? Il déchira un pan de drap pour le tremper dans l’eau froide et le poser sur le front et les joues de l’elfe. Que pouvait-il faire de plus ? Il se tourna vers Forlong, essoufflé comme lui ; il espérait que le soldat aurait une solution plus réfléchie…


Dernière édition par Nathanael le Jeu 24 Nov 2011 - 12:52, édité 1 fois
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyMar 8 Nov 2011 - 4:22
La remarque humoristique de Nathanael fit sourire le Loup Blanc, mais ne suffit pas pour éliminer la tension presque tangible que cette ruche humaine incitait parmi les membres du petit groupe. L'accident arriva comme toujours au moment le plus inattendu, alors que le dunadan s'efforçait de relaxer ses muscles et réguler son souffle.

Ses yeux s'élargirent lorsqu'il vit la jeune femme s'écrouler, et après quelques secondes qui semblèrent durer une éternité il s'élança à son aide, suivant de près son compagnon. A deux ils recouvrirent le corps inerte de Calimehtar avec le tissu de sa cape, et l'homme barbu la souleva avec délicatesse. Forlong quant à lui tourna son regard vers la petite foule de curieux qui s'était assemblée autour d'eux. L'elfe avait besoin d'air et de silence et le conteur ne pouvait se frayer un chemin tout en portant une femme inconsciente dans ses bras. La première pensée qui traversa l'esprit du vétéran fut d'intimider la foule en sortant sa lame du fourreau, mais il décida que cela ne ferait qu'augmenter le chaos qui régnait déjà dans cet endroit. Sa main droite s'enfonça sous sa veste en cuir et plongea dans sa bourse épaisse, en retirant une poignée généreuse de pièces dorées. Il les jeta dans la foule avec un mouvement puissant de son bras fonctionnel. Le résultat fut immédiat: les bousculades, insultes, et tentatives de ramasser les cercles de métal brillants détournèrent l'attention de la foule permettant au petit groupe de voyageurs de disparaitre dans une ruelle moins fréquentée.

De l'ombre et du silence...L'homme aux cheveux blancs serra ses dents, impuissant. Il ne connaissait pas cette ville suffisamment bien pour indiquer l'endroit recherché. Il dut se satisfaire de maintenir tant bien que mal le rythme imposé par les jambes longues du conteur, son inquiétude éliminant pour l'instant la fatigue et la douleur. Sa canne provisoire avait à présent disparu, jetée à terre lorsque l'homme du Nord s'était penché pour aider la femme inconsciente. Forlong ne sut déterminer si le fait qu'ils s'étaient retrouvés dans une maison de joie était un acte réfléchi de la part du rohirrim, ou un simple sourire de la dame Fortune, mais dans tous les cas c'était ce dont leur compagne blessée avait besoin.

Les talents d'acteur de Nathanael s'étaient encore une fois avérés utiles, et avaient suffit pour faire taire la matrone de l'établissement, et leur assurer une chambre sombre et calme.

En voyant les brûlures de l'elfe, le dunadan, pourtant habitué à voir des bien pires blessures sur le champ de bataille, soupira avec compassion et inquiétude.

Le conteur essuya le front de la jeune femme avec délicatesse, mais lorsqu'il tourna le regard vers l'homme du Nord, ce dernier put y lire le même sentiment d'inquiétude et d'impuissance qui régnait dans son propre cœur. Il calma sa respiration. Nathanael les avait emmené jusqu'ici, et c'était au tour du Loup Blanc de prendre les choses en main.

D'une voix forte il fit appel à la maquerelle. Celle-ci apparut aussitôt à l'entrée de la chambre, mais elle n'était pas seule. Un homme musclé à l'apparence d'une brute, son cou particulièrement court faisant penser à un taureau, l'accompagnait. Il avait un glaive en main, un morceau d'acier tranchant certes mais dépourvu de style et d'équilibre; un outil rudimentaire, que l'homme maniait comme s'il s'agissait d'une massue. La voix désagréable de la matrone se fit entendre:

-Je connais votre genre...vous allez m'attirer des ennuis! C'est un établissement de qualité, et si vous ne venez pas ici pour passer un bon moment avec les filles, alors allez chercher ailleurs! Vous me devez à présent cinq cent pièces d'or pour le dérangement...Yolo vous indiquera la sortie.

Le dénommé Yolo s'approcha des voyageurs afin de les jeter de l'établissement. Les conséquences d'un événement pareil pourraient s'avérer tragiques pour Calimehtar, et Forlong le savait. Il regarda longuement l'homme en face de lui. Le dunadan était épuisé après la marche rapide, et sa blessure réduisait sa capacité à combattre presque au néant.

Cependant le Loup Blanc était un guerrier vétéran. Chaque homme à ses limites. Des limites au delà desquelles il abandonne, il cesse de combattre. Il peut s'agir de douleur, il peut s'agir de fatigue. Parfois c'est la peur d'un adversaire plus puissant, parfois le spectacle de la mort sur le champ de bataille. Forlong s'était entrainé toute sa vie à aller au delà de ses limites, à faire un pas de plus, à combattre jusqu'à ce que son armée remporte la victoire, jusqu'à ce que son adversaire succombe à sa lame. Différentes choses pouvaient inciter un guerrier à faire ce pas supplémentaire. L'euphorie de la bataille, les paroles encourageantes d'un officier, le désir de combattre pour une cause noble...ou l'amour. Il n'avait pas le temps d'y réfléchir à présent.

La brutalité du mouvement nécessaire pour arracher Lunerill du fourreau suffit à l'emmener à un stade proche de l'évanouissement. Mais il n'abandonna pas. Yolo tenait son glaive comme un amateur...et le dunadan avait suivi les leçons d'escrime de Silka Sorge. Quelques gestes gracieux, chacun d'eux tel une lame enflammée de douleur, et la lame courte de l'homme robuste tomba sur le sol, alors que l'épée de Forlong se retrouva à quelques centimètres de sa gorge.

-Sors d'ici, Yolo.

La voix de Forlong était glaciale, dissimulant son agonie. Lorsque le garde se retira en caressant sa main ensanglantée, le dunadan s'adressa à la maquerelle, qui semblait clairement déstabilisée par la tournure des évènements:

-Nous ne voulons pas vous attire des ennuis, et vous serez récompensée avec générosité. Mais passons aux choses sérieuses. Je sais que chaque établissement de ce genre signe un contrat avec un guérisseur habile, capable de s'occuper des filles lorsque les accidents arrivent. Quelqu'un de compétent et discret. Notre compagne a besoin d'un guérisseur en toute urgence, et je n'ai ni le temps ni les moyens de chercher quelqu'un de ce genre dans la cité. Faites appel à votre guérisseur, et vous aurez ma reconnaissance. Mais ne me décevez pas...

Le ton de la voix de Forlong lors de ses dernières paroles n'annonçait rien de bon, et la matrone décida qu'il lui serait préférable d'obéir.

Les cinq années passées en tant que justicier anonyme dans le Bas de la Cité Blanche apprirent beaucoup au Loup Blanc sur le fonctionnement du monde criminel. Un tour de force accompagné d'une promesse de récompense était souvent le meilleur moyen de négociation avec les représentants de cette profession.

Quelques longues minutes remplies d'inquiétude passèrent. Forlong se posa sur une chaise en face de la porte, sa lame nue sur ses genoux, prêt à agir en cas de besoin. Nathanael quant à lui tentait d'apporter quelques soins rudimentaires à Calimehtar, qui semblait toujours inconsciente.

Finalement, la porte de la chambre s'ouvrit, et un homme maigre vêtu de noir entra, une sacoche bien remplie sur son épaule. Il examina rapidement l'elfe, et sans poser de questions sur les origines, les circonstances ou les raisons de sa blessure, dit:

-Des sales brûlures...mais j'ai vu pire. On a eu affaire à certains clients qui aimaient bien torturer les filles avec le feu...sans parler de l'incendie de la maison de joie dans le port il y a quelques mois. J'ai un onguent de ma propre recette qui refroidira la peau et facilitera la guérison. Lorsqu'elle regagnera conscience, je lui donnerai une potion à base de pavot, qui soulagera la douleur. Elle dormira beaucoup pendant les jours à venir, et à mon avis les brûlures laisseront des cicatrices, mais sa vie n'est pas en danger.

Forlong émit un soupir de soulagement, et laissa le guérisseur se vouer à sa tâche, tout en veillant que ce dernier soit délicat. Mais il n'eut pas de raisons de se plaindre, et lorsqu'une heure plus tard l'homme maigre finit d'attribuer les soins et d'expliquer les dosages au conteur et au vétéran, le dunadan lui remercia chaleureusement et le récompensa généreusement, ainsi que la matrone de la maison de joie.

Ce fut seulement lorsque la porte se referma derrière le guérisseur que le Loup Blanc remarqua que ses jambes tremblaient et qu'une fièvre légère s'était à nouveau emparée de son corps. Il s'écroula lourdement sur un fauteuil particulièrement confortable en face du lit, et regarda les traits délicats mais à présent endommagés de l'elfe...ne désirant qu'une chose; que ses paupières s'ouvrent et dévoilent des yeux oranges pétillants de vie et de joie...


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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyLun 12 Déc 2011 - 20:49
    Ce doux flux qu’est l’inconscience, doucement bercée dans les méandres de l’esprit, bien loin, bien loin du monde terrestre. Elle était dans un lieu immaculé, où les sens n’avaient pas lieu d’être, mais elle ne s’en préoccupait pas, elle était habituée, à cette absence sereine d’existence, de vue, d’ouïe, de toucher, d’odorat.
    Perdue dans un tout qui n’est rien, mais à sa place. Sans
    pensées, sans sensations. Juste un moment, juste…le néant. Oh, ce n’était pas
    oppressant, c’était…calme. Vide. Calme. Sérénité.

    Elle ne se sentit pas soulevée de terre, ni emmenée au gré de la foule, dans une maison close, où le silence dans une chambre sombre, n’était pas une bonne chose. Elle s’égara quelque peu, bougea, un soupçon de conscience, un soupçon d’esprit.
    Elle réintégra son corps mais garda les yeux fermés. Pas assez de force. Elle ne ressentait rien de ses brulures et des dégâts que lui avait causé le garçon dans la rue. Des sons, d’abord lointains, se firent plus présents.
    Elle entendait une voix, qu’elle ne connaissait pas. Cette voix appartenait à un homme d’âge mûr, plutôt sur la pente descendante, légèrement rocailleuse. Une porte qui s’ouvre, se referme, puis, plus rien.
    L’elfe se rendormit.

    Elle se réveilla à nouveau, plus tard dans la soirée. La nuit était probablement tombée, et un léger martèlement à la fenêtre lui indiqua qu’il pleuvait.
    Soif, faim. Tiraillement de la peau. Pourquoi son corps lui faisait si mal ?
    Elle se souvint, quelques heures auparavant, l’enfant, la cape, le…soleil. Un gémissement s’échappa d’entre ses lèvres. Où était elle à présent ? Avec qui ?

    Elle commença à s’affoler. Elle était dans une ville qu’elle ne connaissait pas, et la foule lui avait fait peur. Trop de monde, trop de dangers. Son cœur s’accéléra au même rythme que ses pensées filaient, peu rassurantes.
    Elle avait chaud, et elle se sentait perdue. Elle sentit une présence au dessus d’elle. Elle s’efforça à se calmer, lentement. Ses mains bougèrent, sur le pardessus du lit. Elle toucha un vêtement, et s’en empara
    fébrilement. Sa respiration s’apaisa peu à peu.

    Elle reconnut l’odeur de Nathanael, et sa voix, avec de l’inquiétude. Elle fut rassurée de sa présence. Elle esquissa un faible sourire et relâcha sa prise…elle ne savait pas ce qu’elle avait réussi à attraper, ne réussissant pas à sentir le toucher.
    Elle reconnut les bruits de pas du loup aussi. Ainsi, ils n’étaient pas partis…une douce chaleur envahit ses membres, finissant par l’apaiser. Elle devait être dans un état pitoyable, recouverte de brulures, lui déformant son visage. Elle avait honte. Et elle était un poids pour eux.
    Elle avait retardé leur départ par sa faute.


    - Eau…

    Elle sentit une main soulever légèrement sa tête, et un liquide froid inonder sa gorge. Elle avala avec soulagement, et se recoucha, exténuée.
    Elle attendit un moment que l’eau dessèche sa bouche, puis arriva à prononcer
    un autre mot :


    - Lune…

    Sa voix était faible et peu compréhensible. Elle déglutit,
    et lorsqu’une oreille se pencha vers elle, elle répéta du mieux qu’elle
    pouvait :


    - Lune…

    Elle poussa un soupir de fatigue. Elle n’était qu’à moitié consciente, mais elle savait ce dont elle avait besoin. Elle devait voir la lune, y être exposée. Il le fallait.
    Elle se mit à réunir toutes ses forces, et se releva avec difficultés. Des éclairs blancs traversèrent sa tête, lui donnant le tournis.
    Elle ne pouvait pas encore ouvrir les yeux. Elle se mit debout, tituba un moment. Elle sentit des présences bouger autour d’elle, la soutenir. On voulut
    la rallonger, mais protesta en secouant violemment la tête.


    - Lune

    Elle tremblait, toute frêle, mais tint bon. Un pas, deux pas. Il fallait qu’elle sente les rayons de la lune sur sa peau. C’était, vital.
    Elle entendait du bruit autour d’elle, de l’agitation. Puis des odeurs, de sueurs et autres sécrétions, mais elle n’y pensait pas, toute préoccupée à sauver ses forces pour la mener là où elle le désirait. Des portes qu’on ouvre, qu’on referme. Des mains, sur elle, des regards appuyés, des craintes murmurés, des souffles. Le Loup souffrait affreusement, tout son être en vibrait.

    Son pied toucha un pavé humide. Elle était pieds nus. Elle fit deux pas vers l’extérieur. L’air frais la raviva. Elle poussa un soupir de contentement, et sourit.
    Elle fit deux pas de plus sans aide. Elle ouvrit en grand les bras, et offrit son visage à la pluie, et aux doux rayons de l’astre nocturne. L’effet fut immédiat. Elle sentit la lune déverser sa puissance bienfaitrice sur elle. Les rayons, tels des caresses, se répandit sur sa peau, apaisa ses douleurs, effaça les marques de sa malédiction.

    L’elfe se mit à rire. Un rire clair, qu’elle ne chercha pas
    à cacher. Elle se sentait revivre, elle se sentait…bien. Heureuse, et complète.
    La douleur disparut totalement, et les marques de brulures avec, ne laissant
    que de petites traces, destinées à s’effacer avec le temps. Elle ouvrit les
    yeux et remercia la nature pour le don qu’elle avait reçu.
    Elle tourna sur elle même, dansant d’un pied sur l’autre.

    Le spectacle qu’elle offrait devait être déroutant. Une jeune femme, qui semblait retourner en enfance. Elle tournait, tournait, ses cheveux trempés virevoltant autour d’elle. Un sourire sur le visage, et des yeux orangés qui brillait de bonheur.


    La fille de la lune, parmi les mortels.


    Elle semblait en transe. Lorsque, après une minute à danser sous la pluie, elle sembla se calmer, son attention fut tout de suite captée par le loup qui la regardait. Elle ne saurait décrire ce regard, mais elle n’eut pas le temps de réfléchir, qu’elle sentit toutes les forces de l’homme sombrer.
    Elle courut vers lui et le rattrapa juste à temps avec Nathanael, avant qu’il ne s’effondre. Il était brulant de fièvre, et elle maudit un instant sa naïveté.

    Avec le conteur, ils arrivèrent à le monter jusque dans la chambre, au premier étage.
    Ils l’installèrent du mieux qu’ils pouvaient sur le lit.
    Les mains tremblantes, la femme se chargea d’ouvrir la chemise du malade pour qu’il ait moins chaud.
    La fatigue l’accablait, après sa faiblesse de l’après midi, mais elle la repoussa. Elle épongea le visage de l’homme et son torse, se sentant en partie coupable de son état.


    - Oh je suis désolée pour tout cela.

    Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux. Elle continua un moment à soulager le souffrant, mais n’arrivait pas à réfléchir convenablement sur les meilleurs moyens pour le soulager.
    A ce stade, le repos était plus que recommandé.
    Elle eut un petit malaise, se reprit, puis finit par s’écrouler sur la poitrine du malade, sombrant dans un profond sommeil.

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Nathanael
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyJeu 12 Jan 2012 - 16:48
Ses mains étaient agitées d’un léger tremblement tandis qu’il soignait l’elfe. Il avait atteint les limites de ses capacités de guérison et la tension prenait ses aises dans la pièce, poussant tous les occupants à montrer des dents pour se faire entendre. Il regarda la maquerelle et son chien sortir de la salle, penauds et décontenancés. Les classes sociales s’entrechoquaient et le quotidien avait été brutalement soufflé par le vent de l’infortune. Un instant il ne sut plus très bien ce qu’il faisait dans ce bordel à côté d’une elfe gravement brûlée et d’un ami au bord du malaise cardiaque. Forlong tenait bon mais pour combien de temps encore ? Quelle était la force qui le maintenait ainsi debout alors que chacun de ses membres l’imploraient de s’étendre et de se reposer ? Il avait partagé bien des nuits et des campagnes militaires auprès de jeunes recrues essoufflées et fébriles, de vieux loups de guerre au regard vide et aux mots tranchants. Mais aucun d’eux n’avait jamais manifesté cette rage de combattre pour des idées de liberté et de justice aussi poussées.

Il demeurait près de Calimehtar lorsque le guérisseur entra. Il portait avec lui autant de choses dans ses sacoches que d’odeurs différentes dans ses frusques. Une fragrance aigre viola les narines de Nathanael. Il se retint de respirer une ou deux secondes le temps que son odorat s’accoutume à ce nouvel environnement olfactif. Le parfum de l’onguent qu’il appliqua sur la peau de l’elfe dissipa le vent nauséabond. Les brûlures avaient formé de petites formes sans aucune organisation qui donnaient l’impression que l’épiderme de la jeune femme était crénelé. Il aida le vieil homme dans ses courtes tâches : il tint précautionneusement la tête de Calimehtar pour lui faire boire une étrange décoction aux couleurs sombres. L’homme leur en laissa deux fioles à peine pleines pour les jours suivants si l’état de l’elfe ne s’améliorait pas. Le guérisseur se perdit en politesses devant les pièces d’or que Forlong lui tendait tandis que la matrone épiait le moment opportun pour réclamer son dû. Ses mains potelées se refermèrent sans hésiter sur le métal doré et il crut l’entendre glousser tandis qu’elle refermait la porte derrière elle. Le Loup Blanc défaillit presque instantanément et il l’observa tandis qu’il s’installait dans le fauteuil écorné qui meublait la pièce. Calimehtar demeurait absente de ce monde et il pria les Valars que leur bénédiction l’aide à se remettre de ses plaies.

Au dehors la pluie s’était emparée de la ville et les gouttes d’eau s’abattaient froidement contre les volets et les fenêtres. Le sommeil tenta subrepticement de prendre possession du corps du conteur mais il tint bon et s’installa contre le chambranle de la porte pour veiller à leur sécurité. Il laissa son regard traîner dans les recoins d’ombre de la pièce. Des formes obscures s’agitaient devant ses yeux et son imagination lui rappela rapidement l’agression dont il avait fait les frais dans le désert d’Assabia. Il chassa les images de monstres et de créatures maléfiques qui animaient son esprit et se mit à murmurer quelques vieux chants pour se maintenir éveillé.

Il commençait à somnoler lorsqu’il entendit l’elfe murmurer. Elle s’agitait fébrilement sur sa paillasse. Il se leva presque instantanément et posa une main douce et rassurante sur son front pour tenter de la calmer. Forlong s’était levé également et se rapprochait de la couche de Calimehtar. Nathanael s’exécuta mécaniquement et remit un linge imbibé d’eau froide sur le visage de l’elfe pour atténuer les sensations de brûlure qu’elle devait ressentir. Il s’attacha également à la faire boire pour la réhydrater. Le mot qu’elle répéta ensuite le rendit impuissant. Il pouvait lui donner de l’eau ou la rafraichir, mais qu’en était-il de la lune ? Il tourna les yeux vers Forlong mais le guerrier semblait aussi étonné que lui. Puis elle se mit à répéter obstinément cette monosyllabe avant de se mettre debout et de lutter pour atteindre la porte et les escaliers qui menaient à l’extérieur. Il tenta vainement de la retenir avant de comprendre, à défaut de percevoir une explication logique, qu’il devait l’aider à gagner il ne savait quoi au dehors. Il ouvrit les quelques portes qui leur barraient le chemin tout en la soutenant tandis qu’elle marchait. Puis l’oiseau de nuit prit son envol et il ne put l’accompagner dans sa danse.

Le ciel semblait déverser de petites clochettes d’argent sur le visage de Calimehtar. Ses brûlures furent essuyées par la pluie et disparurent. Il ne comprenait pas et demeurait coi devant la maison close. Les catins avaient fort heureusement du pain sur la planche cette nuit-là et personne ne fut témoin de la transformation soudaine de l’elfe et de son don de guérison. Il contempla la jeune femme virevolter sous les nuages, baignée par les rayons de la lune. La lumière ceignait son front et son regard devint joyeux. Oxymore vivante du Loup Blanc. Il se retourna pour s’assurer que Forlong les avait suivis. Le vétéran s’écroula sous son propre poids dans la lumière nocturne.

Nathanael se saisit de ce corps fébrile et las et l’emmena avec Calimehtar dans la chambre qu’ils avaient investie plus tôt. Le souffle de Forlong était profond et irrégulier. Un homme pouvait-il à ce point être maudit ? D’ailleurs qui de Forlong ou de lui tirait le malheur comme un drap sur leur route ? Il était peut-être temps d’envisager une séparation s’ils voulaient éviter de combiner leur mauvais sors. L’idée lui vint à l’esprit de partir dans la foulée. Il pensait à ce départ inopiné alors que Calimehtar s’occupait de son ami. Il se détourna de cette scène pleine de tendresse pour se rapprocher de la fenêtre. La pluie s’écoulait comme de la peinture fraîche sur les murs. Puis la respiration de l’elfe se fit plus lente. La chambre elle-même semblait dormir du sommeil des justes. Pouvait-il les laisser dans cet état ? Peu lui importait ce que Forlong et l’elfe penseraient de lui le lendemain s’il les quittait dans la nuit. Mais il craignait pour leur sécurité. Le sourire de la maquerelle était aussi franc que la poignée de main d’un diplomate royal. Il étudia toutes les possibilités qui s’offraient à lui et finit par s’adosser aux pieds de la porte. Il était engourdi et exténué par les évènements récents. Le sommeil l’emporta loin des terres des mortels.



Il fronça les sourcils avant même d’avoir ouvert les yeux. Les vitres de la fenêtre lui renvoyaient les rayons du soleil. Il bondit, anxieux et tendu comme arc. Mais le reste de la pièce demeurait dans la pénombre. Il se rapprocha de l’ouverture et ferma les volets ainsi que les rideaux. Il récupéra les vêtements laissés ici et là pour faciliter les soins ou pour échapper au froid et à l’humidité transportés par la pluie. Son manteau était encore mouillé. Il ranima les braises qui dormaient dans l’âtre et remit une bûche dans la gueule béante de la petite cheminée. Il étendit du mieux qu’il pu les vestes et les capes pour qu’elles sèchent puis sortit de la chambre. Il possédait peu de pièces dans le fond de ses poches mais suffisamment de courage et d’idées pour retrouver le charretier qui les avait mené jusque là.

Il parcourut les rues de la ville portuaire dans la lueur matinale qui succède à l’aube. Les murs étaient encore empourprés et les toits étaient d’ocre sous la lumière. Le vent marin amenait avec lui sa cargaison d’air salé et de mouettes criardes. Les étales des marchés se mettaient doucement debout et les grandes avenues s’animaient du mouvement des badauds. Il n’eut pas à écumer toutes les tavernes de la ville. Le vieillard qui les avait mené là était déjà bien droit sur ses jambes lorsqu’il le trouva là où ils s’étaient quittés la veille.

- Y a eu plus de grabuge que prévu hein ?

Le charretier n’en dit pas plus mais consentit à le suivre pour retrouver Forlong ainsi que Calimehtar jusqu’au bordel. Nathanel partit à rire si soudainement qu’il se surprit lui-même. Le pauvre homme qui l’accompagnait, quoi que taciturne, s’était décomposé en voyant le lieu où ils avaient passé la nuit.

- Je veux pas savoir ce qui s’est passé mais vous êtes de drôles d’oiseaux tout de même !
- N’ayez pas d’inquiétudes quand aux mœurs du seigneur que vous accompagnez. Il est très faible et l’urgence nous a pressé de gagner le lieu clôt le plus proche. Je vous serez gré de ne pas lui en tenir vigueur.


Il mit une claque amicale au vieil homme qui ne savait que penser. Celui-ci refusa de rentrer dans la maison de joie. Nathanael continuait de rigoler à part lui et monta les marches rapidement pour réveiller ses comparses. Il n’était pas de bon goût de rester ici.

Calimehtar avait toujours la tête posée sur le buste de Forlong et leur respiration semblait s’être unie en un seul souffle. Il posa une main ferme sur l’épaule de la jeune femme pour la réveiller. Il tenait sur son bras gauche sa cape repliée et la tendit à l’elfe lorsque ses yeux finirent par s’ouvrir. Il la coupa avant qu’elle ne décide de parler.

- Il est temps de quitter cette ville pour vous et le Loup Blanc. Les gens ont oublié d’être muets et quelques bruits me laissent penser que notre aventure d’hier n’a pas laissé que de bons souvenirs. Le charretier et les chevaux nous attendent dehors, tout est prêt. Les explications viendront plus tard.


Dernière édition par Nathanael le Jeu 2 Fév 2012 - 16:39, édité 1 fois
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptySam 14 Jan 2012 - 17:07
Les yeux du Loup Blanc s'ouvrirent dès qu'il entendit le gémissement faible de la jeune elfe. Après le départ du guérisseur, le guerrier avait sombré dans un sommeil léger et rempli d'inquiétude, posé dans le fauteuil majestueux à côté du lit.

L'homme du Nord se leva tant bien que mal, dépourvu de son agilité et de sa discrétion habituelle. Les planches du sol protestèrent bruyamment sous ses semelles. Son ami l'avait devancé, et s'occupait dès à présent de la jeune femme; Forlong laissa les soins aux mains plus délicates et habiles du conteur. Il fronça ses sourcils en entendant le mot murmuré par Calimehtar, pensant qu'elle délirait, et échangea un regard surpris avec Nathanael.

L'elfe se leva, et se dirigea vers la porte, supportée par Nathanael qui semblait à présent résigné à accepter sa requête étrange. Le dunadan faisait confiance au barbu, et il savait que l'homme ne laisserait pas Calimehtar tomber. Il s'apprêta à les suivre, lorsqu'il s'aperçut que son épée se trouvait toujours à côté du fauteuil. Ils se trouvaient dans un quartier douteux d'une cité portuaire, et allaient sortir dans la rue en pleine nuit sans armes, accompagnant une femme à moitié nue. L'idée était tellement grotesque qu'elle aurait sans doute fait apparaitre un sourire amer sur les lèvres de Forlong si les pensées de ce dernier n'étaient pas brouillées par la douleur et l'inquiétude. L'homme aux cheveux blancs se retourna et tituba dans la direction de la chaise, puis accrocha le fourreau contenant la lame à sa ceinture. Le poids de l'arme était lourd mais rassurant, et le Loup Blanc s'empressa de suivre ses compagnons.

Le vent froid le heurta dès qu'il passa le seuil des portes de l'établissement. Les gouttes de pluie tombaient sur sa peau brûlante de fièvre, et un frisson parcourut son corps. Au moins les voleurs et assassins avaient choisi de trouver un endroit sec cette nuit; la ruelle était déserte. Le Loup Blanc vit la femme à moitié nue et regretta immédiatement de ne pas avoir pris une cape pour la donner à l'elfe. Ses pensées étaient lentes et lourdes, et il se sentait fatigué et inutile...

Le rire de l'elfe remplit les oreilles de Forlong telle la musique des Valar. Il n'eut même pas le temps de penser aux risques liés à un comportement si bruyant...il se perdit dans le bonheur et la clarté de la voix elfique, dotée d’une innocence et joie qu’il n’avait pas entendues depuis des années.

L’ouïe n’était pas le seul sens qui semblait lui mentir…Il cligna des yeux lorsque Calimehtar se mit à danser avec une grâce possédée par seuls les elfes et les bohémiens. Les rayons de la lune semblèrent former un halo autour de la silhouette fine de la jeune femme, faisant briller les gouttes d’eau sur sa peau comme s’il s’agissait de vif-argent. Il cligna des yeux une deuxième fois, incrédule. Les marques rouges et blanches des brûlures récentes semblaient disparaitre une après l’autre laissant la peau pâle de l’elfe presque immaculée. Et Calime’ dansait encore et encore, virevoltant parmi les éclats d’eau et de lumière, ses pieds nus ne glissant jamais sur les pavés pourtant trempés, son rire cristallin faisant office d’accompagnement.

Des bribes d’émotions et de pensées traversaient l’esprit brouillé du Loup Blanc. L’incrédulité face à ce spectacle étrange. L’émerveillement, car la beauté et l’innocence de cet acte semblaient être d’une autre monde, et pourtant concernaient un être si proche à son cœur, si tangible car c’étaient bien les mains délicates de l’elfe qui remplaçaient tous les soirs les bandages sur sa blessure avec tant de tendresse. La méfiance, car ses instincts de guerrier lui indiquaient d’observer les entourages et de rentrer à l’intérieur au plus tôt, et pourtant il ne savait détacher son regard de la silhouette de la jeune femme. Mais l’émotion la plus forte était celle de soulagement. Chaque muscle de son corps était tendu depuis des longues heures; il se tenait debout malgré la fatigue, la douleur et la fièvre par la force seule de son esprit. Par la volonté de fer de protéger cette elfe qui pourtant il ne connaissait que depuis quelques jours seulement. C’était ce désir, cette détermination qui lui permit de disposer de Yolo, de garder la clarté d’esprit nécessaire pour appeler le guérisseur, et même de descendre un escalier en pleine nuit, ce qui représentait dans son état actuel un effort incroyable.

Forlong ne comprenait pas comment, par quelle magie ou quel miracle Calimehtar s’était débarrassée de ses brûlures et avait récupéré les forces en si peu de temps. Mais il croyait pouvoir faire suffisamment confiance à ses sens embrouillés pour reconnaitre la différence entre la vérité et l’illusion. Une vague de soulagement l’envahit alors, avec la puissance insurmontable d’une avalanche, et il sentit la tension dans ses muscles disparaitre. Sa tête se fit légère, et le monda tourna autour de lui comme s’il avait trop bu; il vit encore les grands yeux de la jeune elfe se tourner dans sa direction, puis sentit ses jambes se plier sous son poids. Ses paupières se refermèrent, mais des tâches lumineuses dansèrent encore pendant un long moment devant ses yeux, en mémoire des gouttes de pluie argentées. Il sentit des mains soutenir son poids, puis sombra dans l’inconscience.


Ce fut un sommeil profond et dépourvu de rêves ; son corps payait la dette empruntée par sa volonté. De loin l’on pourrait croire qu’il était mort, mais sa poitrine se soulevait régulièrement au rythme de sa respiration. Le Loup Blanc n’avait pas ressenti les soins lui attribués par l’elfe, et n’eut aucune réaction lorsqu’elle s’écroula sur sa poitrine, sans heureusement s’appuyer sur sa blessure.


La nuit était noire et profonde lorsque Forlong reprit conscience. La pluie avait cessé. Avant d’ouvrir les yeux, il sentit un poids sur sa poitrine, et une chaleur étrange. Il ne s’agissait pas de la chaleur brûlante de la fièvre, mais plutôt d’une sensation rassurante et familière…celle d’un feu de cheminée, ou des rayons d’un soleil estival dansant sur la peau…ou encore celle du corps d’une femme sur le sien.

Il ouvrit ses yeux, qui s’habituèrent peu à peu à l’obscurité, lui permettant de distinguer avec surprise les cheveux caractéristiques et la silhouette délicate de Calimehtar. Son cœur se mit à battre rapidement, alors qu’il essayait de se rappeler des évènements des heures précédentes. Il vit dans ses pensées le spectacle étrange de la danse sous la lune, et se demanda s’il ne s’agissait pas d’un rêve. Doucement, afin de ne pas réveiller l’elfe, il leva son bras sain et passa délicatement ses doigts sur l’épaule nue de la femme, constatant avec surprise que sa peau était intacte. C’est seulement lorsque ses doigts cessèrent de tracer une trajectoire sur le bras de Calime’ qu’il s’aperçut qu’il avait retenu son souffle. Il réfléchit pendant un long moment, et une hypothèse désagréable apparut dans ses pensées; s’il s’était écroulé, ses deux compagnons l’auraient transporté dans le lit, le seul se trouvant dans la pièce, n’offrant pas d’autre choix à l’elfe encore affaiblie que de se coucher à ses côtés ou sur le sol. Pendant un bref instant il ressentit une vague de dégoût envers soi-même, jusqu’à ce qu’il se rende compte de quelque chose…le lit était de dimension véritablement royale, et si la jeune femme le souhaitait, elle pourrait se coucher à côté de lui sans même le toucher. Et pourtant, elle était posée sur son torse, avec une confiance qui fit fondre la cage de glace qui renfermait le cœur de Lost Ore.

Il inspira l’air par ses narines, et le parfum frais et mystérieux des cheveux de l’elfe envahit ses sens, apaisant ses doutes, relaxant ses muscles. Il ne comprenait pas comment il s’était retrouvé dans cette situation, mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti une paix intérieure si profonde. Forlong se laissa guider par ses émotions plutôt que par la raison, et son bras sain entoura les épaules de la jeune femme en un geste protecteur. Il ferma à nouveau les yeux, se laissant bercer par la chaleur du corps de Calime sur son torse nu, et par le rythme paisible de sa respiration…


La voix de Nathanael le réveilla, et il mit quelques secondes à comprendre le sens des paroles de son ami. Il ressentit un mélange de surprise et de gêne; les corps à moitié nus enlacés sur ce lit dans une maison de joie…ils devaient représenter un spectacle quelque peu compromettant. Le dunadan ne rougit pourtant pas, car son visage détruit par les vents et les épées ennemies, bien que plus pâle à présent, avait perdu cette caractéristique depuis l’adolescence. Lorsque l’elfe se leva, il fit de même, et se revêtit maladroitement d’une chemise fraiche. Il se sentait reposé bien qu’affaibli, et sa blessure semblait dormir, du moins pour l’instant…Forlong se sentait rafraichi et plus léger que la veille ; il avait même faim.
Il assembla aussi rapidement qu’il le pouvait ses possessions, attachant Lunerill à sa ceinture. Il s’empara de sa veste de cuir étendue non loin de la cheminée, et profita du fait qu’elle était sèche et chaude…l’homme du Nord lança un regard rempli de reconnaissance au conteur, accompagné d’un rictus qui pourrait passer pour un sourire gêné.

Les voyageurs sortirent dans la rue; l’endroit était presque désert, les filles de joie se reposaient après une longue nuit de travail. Les trois chevaux étaient attachés à l’arrière du chariot : la jument de Calime’ et Asulf étaient comme d’habitude côte à côte. Erwin, l’étalon vétéran noir du Rohan qui avait parcouru les Terres du Milieu avec Forlong, lui lança à présent un regard omniscient, et hennit avec moquerie. Le dunadan ressentit à nouveau une vague de gêne l’envahir, et il murmura dans la direction du cheval : « Tais toi si tu veux pas que je t’emmène chez le boucher… »

Le Loup Blanc monta non sans aide sur le chariot, sortant quelques provisions de son sac de voyage. Le paysan avait du recouvrir le véhicule par une toile imbibée de goudron la nuit passée, car le foin était sec et chaud, un petit luxe pour lequel Forlong était reconnaissant. Il regarda Nathanael avec plus de sérieux, et dit :

-Tu comptes rester dans cette ville, mon ami ?

Son regard se porta pendant un très court instant sur Calimehtar ; elle non plus n’avait pas encore dit quel serait son chemin. Les quitterait t’elle après les évènements de la nuit passée ?


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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptySam 21 Jan 2012 - 23:43
    Les évènements de la nuit passée lui paraissaient flous, et irréalistes. Elle se souvenait de ce besoin, inscrit dans les fibres de son corps, de se rendre auprès de la Lune, sa protectrice. Elle se souvint avoir été guérie par elle. Une pluie divine, des caresses lunaires sur sa peau détruite. Maintenant, la reine nocturne réclamait son dû. Tout service avait un prix.
    Une profonde fatigue l’envahit, et elle s’écroula sur…
    Elle plissa les yeux, ferma son poing, sur quelque chose de chaud. Loup.
    Elle tiqua, voulu se réveiller, ne pas indisposer l’homme, mais n’en trouva pas la force. Tant de fatigue…tant d’impuissance. Elle replongea dans les abysses rassurants d’un sommeil serein.
    Elle bougea peu dans son sommeil, comme si toute les forces de ses membres l’avaient soudainement quittés…peu à peu remplacer par de nouvelles. Renouveau, renaissance. Sa respiration se fit plus ample, plus profonde. Ses rêves furent essentiellement peuplés de légers voiles argentés, qui s'étendaient et se mouvaient sur des tissu d'encre noir, et bleu nuit.

    Elle sentait la chaleur de l'être sous sa tête, sa respiration régulière. Elle entendait également son coeur battre, avec une force tranquille. C'était un bruit rassurant.
    Elle sentit une vague de chaleur envahir son épaule, glisser le long de son bras, s’arrêter. Elle frémit doucement, et ramena ses jambes contre sa poitrine. Elle était calme, au chaud, et sans soucis. Elle n’avait pas dormi comme cela depuis de longues années. Elle avait la même sensation qu’un nouveau né : chaleur et protection.
    Elle sentit une main ferme se poser sur son épaule. Elle ne réagit pas immédiatement, ne voulant pas quitter le confort que lui procurait…le loup !
    Cette révélation la frappa de plein fouet. Elle avait dormi sur le loup !

    Elle se réveilla, confuse et atrocement gênée. Elle lança un regard reconnaissant au conteur, et enfila sa cape.
    Elle prit le temps de contempler ses mains, ses bras. Ses doigts vinrent tâter son visage, ses oreilles. C'était comme si rien de tout cela ne s'était produit. Un rêve. Une bénédiction.
    Elle alla chercher dans sa besace son bandeau de tissu, qu’elle noua sur sa tête, pour protéger ses yeux fragiles.
    Après la bévue de l’autre jour, mieux valait se faire discrète. De plus, elle ne serait pas obligée d’éviter les regards des hommes, bien qu’elle les sentirait.

    Elle releva sa capuche, qu’elle fit tomber devant son visage, prit sa sacoche et cacha ses mains sous les plis de sa longue cape de voyage. Sa tunique, dessous, n’avait plus rien de convenable. Elle se promit d’acheter des vêtements en route, ainsi qu’une paire de gants, pour faciliter les soins en plein jour.
    Elle frôla le loup, baissa la tête, et sortit de la maison close où tout était désormais d’un silence religieux.
    Ils retrouvèrent l’humble homme qui les avait conduit à Pelargir dehors. Il les attendait de pieds fermes, avec sa charrette prête au départ.
    L’heure des séparations était arrivée. Calime n’avait pas l’habitude de cela…elle n’avait jamais eu besoin de dire au revoir, ou adieu. En tout cas, pas à des personnes dont elle s’était attachée.

    Elle caressa l’encolure d’Elona qui trônait fièrement à côté d’Asulf. Elle était visiblement ravie que cette nuit ait été bénéfique à elle et à sa maîtresse. En captant cette pensée, l’elfe eut le feu aux joues, heureusement, cachées sous son capuchon.
    Elle revint sur ses pas, hésita un moment. Où aller ?
    Elle n’osait pas, elle…avait peur. Cependant, poussée par les hennissements insistants de sa jument, elle lâcha de manière un peu trop hâtive :


    - Je vais suivre le loup.

    Elle rougit de nouveau, baissa la tête, prise d’un excès de timidité que ne pouvait avoir qu’une jeune fille. Elle se sentit dans l’obligation de se justifier.

    - Il…il est blessé et…Enfin…

    Elle bafouilla lamentablement encore quelques secondes, puis décida de se taire. Le massacre était déjà fait. Restait à savoir si le loup allait accepter sa compagnie. Elle comprendrait s’il refusait. Après la nuit passée…assez compromettante. Une autre pensée surgit, qui l’horrifia : si cela se trouvait, le loup blanc était marié !
    Il avait peut être des enfants, une femme qui l’attendait sagement et et…
    Elle mordit ses lèvres pour empêcher sa panique de s’installer. Elle se tourna d’instinct vers le conteur.
    Même privée de vue, elle savait très bien où se trouvait chaque personne grâce à son ouïe et à son odorat.


    - Je vous remercie sincèrement pour votre bonté digne d’un grand seigneur. Je souhaite que les Valar veillent sur vous, et vous aident à accomplir vos souhaits les plus chers.

    Elle s’inclina modestement, puis, prise d’un élan d’affection, se rapprocha de l’homme, et l’étreignit. Cela ne dura qu’une seconde, ou deux, pas plus. Elle s’éloigna, et pour cacher son trouble, installa ses affaires à l’arrière de la charrette, et y monta.
    Sa jument ne cachait plus son enthousiasme suite à la décision de l’elfe.
    Au moins, cela ferait une heureuse…
    Elle fit un dernier signe au conteur, avant que leurs routes ne se séparent. Elle espérait sincèrement qu'il trouve son chemin, dans les infinies possibilités de la vie, même lorsqu'elle était aussi brève que celle d'un homme. Elle emporterait avec elle le souvenir d'un homme bon, et sage.

    Elle ne savait même pas où elle se rendait, mais préféra ne pas le demander au blessé qui venait se prendre place à côté d’elle. Elle bougea, mal à l’aise, puis décida de dormir, pour se donner contenance. Après tout, ils avaient peut être de nombreuses heures de route…Elle bougea à nouveau, toucha le loup avec sa jambe, retint sa respiration un moment…
    Elle n’arriverait visiblement pas à retrouver le sommeil avec une telle proximité. Elle se surprit même à rechercher à nouveau un contact avec lui. Elle se souvint avec pudeur de la dernière nuit, passée avec lui. Sa chaleur, sa respiration paisible, la douceur de sa peau, et aussi son visage à son réveil, qu'elle avait eu le temps d'apercevoir. Elle s'était prise à comparer les yeux du loup avec des étoiles. Plus belles encore que celles qui peuplaient le ciel la nuit.
    Mais que lui arrivait il ?

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Nathanael
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Un retour sans bouclier... - Page 2 EmptyJeu 2 Fév 2012 - 17:54
Ses pensées l’avaient pris par la main et l’emmenaient au-delà du monde visible et des rues froides de Pelargir. Le cri d’une mouette le ramena à la réalité et il se souvint brutalement de son devoir. Ni l’Ordre, ni le royaume de Gondor n’avaient plus occupé de place dans son cœur pendant plusieurs jours. Il se rappela soudainement que ce n’était pas le hasard des rencontres ou son amitié pour le Loup Blanc qui l’avait mené dans la cité portuaire. Forlong et la jeune elfe avaient rendu le voyage moins ennuyeux – il n’avait certes pas manqué de rebondissements – mais à présent ses intérêts personnels n’avaient plus leur place. Ils n’avaient jamais eu leur place. Il soupira, le regard perdu sur un mur blanchi à la chaux où se reflétait son ombre. Forlong et Calimehtar sortirent de la maison close, il était temps de partir.

Il aida Forlong à se hisser sur le charriot de bois tandis que le charretier empilait leurs affaires sous la toile goudronnée. La bête de trait attendait sagement qu’on lui donne un ordre. Ses oreilles saisissaient le son de chaque paquetage jeté dans la carriole, mais l’animal demeurait impavide. A l’arrière, les chevaux de selle piaffaient gaiement en attendant le départ. Le soleil poignait à peine au dessus des plus hauts toits et les pavés de la rue étaient encore glacés. Un trou sous sa botte lui signifia également que le sol était encore mouillé. Ici et là des flaques reflétaient nonchalamment les rayons de lumière qui parvenaient à les atteindre. Il resserra son manteau autour de ses épaules et se retourna lorsque Forlong l’interpella.

- Quelques affaires m’attendent ici. Les ports grouillent de nouvelles et d’histoires que seul le vent du large sait porter sur ses ailes.

Il sourit avec franchise et se rapprocha de l’arrière de la carriole pour embrasser du regard ses deux compagnons avant de les quitter. Calimehtar demeurait en retrait près de sa jument. Les chevaux dégageaient un puissant sentiment de quiétude et de paix qui lui rappelèrent son pays natal. Reverrait-il un jour les terres du Riddemarck ? L’ombre de la Couronne étendait son bras maléfique sur un pays déjà gangrené par des querelles intestines. Que resterait-il du Rohan après la tempête … Où était Harding ? Un brin de nostalgie se saisit de son âme et la lueur de son regard changea. Son sourire chaleureux et amical contrastait avec la dureté de l’acier qui brillait dans ses yeux bleus. Calimehtar rompit cette seconde de questionnements insidieux.

- Je ne jugerai pas votre choix. Votre compagnie m’a été des plus agréables et je souhaiterai vivement que nos routes se croisent de nouveau…

Et la jeune elfe fut dans ses bras. Hésitant, il voulut poser ses mains sur les épaules de la jeune femme pour lui signifier qu’elle lui manquerait également mais elle fut plus vive que lui. Il se contenta de la regarder s’éloigner avec un petit sourire dissimulé sous sa barbe. Calimehtar monta avec grâce dans le charriot. On ne pouvait en dire autant du vieil homme qui les accompagnait et qui s’accrochait à tout ce qu’il trouvait pour monter convenablement sur le siège avant. Tous furent néanmoins rapidement installés et prêts à partir.

- Je vous souhaite bonne route, en espérant qu’elle soit moins chaotique que ces derniers jours.

Il s’adressa ensuite plus particulièrement à Calimehtar qui semblait vouloir se fondre avec la toile du charriot, dissimulée sous sa capuche.

- Prenez soin du Loup Blanc. Il en a besoin et le mérite. Et prenez-soin de vous également, …

Il parla plus bas par la suite. L’elfe pouvait entendre ses propos, il en était certain, mais les oreilles insidieuses et indiscrètes ne pourraient saisir le sens de ses paroles.

- Soyez prudent. J’ai le sentiment que l’ennemi que nous combattons peut prendre plusieurs visages. L’ombre qui s’étend sur le monde des peuples libres bat des ailes plus rapidement que nous l’imaginons. Je ne sais pas de quoi il retourne mais vous ne demeurerez pas longtemps à l’abri, même dans votre fief. Un bras aveugle ne peut défendre son royaume, mais les yeux seuls ne suffisent pas à combattre le mal. Perdu ou non, le cœur devra jouer avec la Tête pour empêcher la Couronne de faire choir le trône.

Entendu ou non pas d’autres personnes cette dernière phrase n’avait de sens que pour ceux qui connaissaient les secrets des sombres couloirs de Minas Tirith. Il savait que Forlong comprendrait ses propos. Il espérait sincèrement que son ami ne devienne pas la cible privilégiée d’un adversaire aux contours flous et insaisissables. Mais ils courraient tous un risque dans cette guerre trouble et non déclarée.

Il fit un signe de main au charretier pour le saluer et lui indiquer qu’il pouvait mettre son cheval au pas. Il serra virilement l’épaule du Loup Blanc puis recula pour regarder le charriot se mettre en branle et partir doucement. Les roues cahotèrent sur les pavés de la rue tandis que le pas des chevaux sonnait la lente cadence sur le sol de pierre. Il écouta le grincement des essieux et le bruit du vent contre la toile sombre. Il se détourna et prit une ruelle contigüe pour gagner les entrailles de la cité portuaire.
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