Le cœur de Forlong s’accéléra lorsqu’il entendit les paroles prononcées par l’elfe. Elle le suivrait. Par tendresse, par sens de devoir ou autre encore, il ne savait pas. Mais elle ne comptait pas le quitter malgré les évènements de la nuit passée…il ressentit une pique de jalousie lorsque la femme étreignit le vagabond, tout en se rendant immédiatement compte de l’absurdité de cette pensée.
Nathanael et
Calimehtar semblaient le percevoir en tant qu’animal blessé, en besoin de soins et de protection…ils avaient malheureusement raison. Le Loup Blanc regarda autour de lui. Un blessé, un vieux paysan et une femme aux yeux bandés. Il ne leur restait plus qu’à espérer que les routes du Gondor seraient bien gardées par les soldats du Roy.
Il fut arraché de ses pensées par les paroles de Nathanael. Il identifia sans problème le sens caché du monologue…Lost Ore, la Tête, et la Couronne de Fer. L’homme du Nord ne put s’empêcher, encore une fois, d’admirer l’esprit vif du conteur. Cependant son discours n’était en aucun cas rassurant. Après le chaos, la destruction et la déception de la campagne d’Assabia, ces quelques journées passées en compagnie du conteur et de la guérisseuse avaient eu un effet bénéfique sur le vétéran. Comme tout loup blessé, il désirait simplement se retraiter quelque part, et guérir ou mourir en paix. Et pourtant son repos ne durerait pas longtemps…assez peut être pour guérir son épaule, mais probablement pas pour soigner son âme tourmentée.
Les adieux furent brefs et simples. Forlong regarda l’homme barbu dans les yeux, et lui souhaita bonne chance dans ses aventures. Il espérait sincèrement revoir un jour Nathanael; une amitié avait lié ces deux hommes si différents, et ils savaient qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre. Un luxe rare dans ce monde corrompu.
C’est ainsi que leurs chemins se séparèrent…l’homme du Nord et l’elfe se dirigeaient à présent vers un avenir incertain au rythme irrégulier du chariot rempli de foin.
La proximité de
Calimehtar n’avait pas laissé Forlong indifférent, et le contact presque imperceptible avec sa jambe lui fit contracter ses muscles. Il sourit intérieurement ; le bandeau qui recouvrait les yeux de l’elfe lui permettait de l’observer sans qu’elle s’en aperçoive, du moins il espérait que ca soit le cas. Le dunadan regarda les traits délicats du visage de la femme, traça du regard la ligne gracieuse de ses épaules…des épaules qu’il avait senti frémir légèrement sous son toucher il y a quelques heures à peine. Il tenta tant bien que mal de penser à autre chose.
Ses pensées revinrent vers son fief…le château Beauclair. Il n’avait pas posé pied sur ses terres depuis plus de six ans à présent. Les habitants du village le croyaient sans doute mort, même s’il s’était assuré qu’une somme d’argent soit régulièrement versée dans les coffres du château, afin que ses hommes ne souffrent pas de faim ou de froid en hiver. Forlong n’avait pas dit à l’elfe qu’ils se dirigeaient vers son propre fief. Elle ne savait pas qu’il était un seigneur. Un chevalier, qui jadis marchait aux côtés des grands de ce monde. Aujourd’hui, il ne restait plus qu’un vétéran blessé, vêtu d’une vieille veste de cuir. Non…il ne lui avait pas dit. Pourquoi ? Il ne savait pas vraiment lui-même. Peut être qu’il avait encore peur de faire entièrement confiance à quelqu’un, surtout une personne qu’il connaissait depuis quelques jours seulement. Et pourtant, il ne pouvait penser à Calime’ en tant qu’inconnue. Ces nuits passées devant le feu de camp, ses mains délicates remplaçant ses bandages, son chant doux à son oreille…sa peau chaude sous ses doigts. Oui…elle était devenue une part de sa vie. Cependant la méfiance n’était pas la seule raison de son silence ; le Loup Blanc ne savait pas comment il allait être accueilli dans son fief. Avec haine ? Méfiance ? Peut être que le château avait à présent un nouveau seigneur, après la mort présumée de Forlong Neldoreth d’Arnor…il ne savait pas. Les questions se multipliaient dans sa tête, et il soupira légèrement. Il ne lui restait plus qu’à attendre.
Ils ne parlèrent pas beaucoup. L’absence du conteur se faisait ressentir…mais il ne s’agissait pas d’un silence inconfortable. Le Loup Blanc était habitué à la solitude et au bruit seul de ses pensées, et la proximité de l’elfe semblait remplir le vide de son cœur. Il fronça les sourcils lorsqu’il s’aperçut qu’il attendait avec impatience les soins quotidiens de la guérisseuse. Bien que douloureux, ces séances représentaient pour lui un moment de tranquillité sans pareil, et une intimité étrange avec
Calimehtar.
***
Forlong espérait arriver dans son fief dans la soirée, mais la chance ne leur souriait pas. Le soleil hivernal s’apprêtait déjà à se coucher lorsque le vieux paysan, habituellement silencieux, lança un juron, accompagné d’un secouement brusque qui éveilla une douleur brûlante dans l’épaule du guerrier. La réponse du Gondorien aux questions des voyageurs fut brève ; la roue du chariot était cassée. Il pouvait la réparer, mais cela prendrait plusieurs heures. Ils allaient passer la nuit ici.
La nuit fut glaciale, et un vent froid sifflait autour des voyageurs, faisant danser les flammes frêles de leur petit feu de camp. Ils étaient tous fatigués, et l’humeur noire du paysan avait mit fin à toutes tentatives de conversation. Le vieillard s’empara de ses outils, et se mit à travailler sur la roue. Forlong quant à lui s’aperçut du froid que devait ressentir l’elfe. Espérant que son action ne dérangerait pas
Calimehtar, il s’approcha d’elle, et l’entoura de son bras sain, mettant une couverture par-dessus leurs corps. De l’autre côté, il avait posé Lunerill, son épée fidèle qu’il espérait ne pas devoir utiliser cette nuit. Le sommeil finit par envahir les voyageurs, et la chaleur de leurs corps les protégea en partie de la colère du vent…
***
Ils furent réveillés par le paysan peu de temps après l’aube. La roue était réparée, mais l’homme était aussi amer que la nuit passée. Il se contenta de lancer un regard douteux aux deux voyageurs, qu’il associait à présent avec la maison de joie de Pelargir.
Lorsque le soleil était au zénith, Forlong et
Calimehtar partagèrent un repas modeste sur le chariot. Le Dunadan mangea avec appétit, ce qu’il considéra comme un signe qu’il revenait doucement à la santé. Il tenta de penser à autre chose qu’au corps de la femme à côté du sien la nuit passée. Il s’aperçut soudainement qu’il avait commencé à neiger ; des grands flocons de neige virevoltaient dans l’air, et tombaient sur ses cheveux blancs. Le spectacle lui rappela son Arnor natal, et il sourit brièvement malgré lui. Le charretier ne semblait pas partager son enthousiasme, et cracha sur le côté de la route.
Au bout de quelques heures, le guerrier commença à reconnaitre le paysage. Il s’agissait de la route menant vers Dol Amroth, la cité du cygne. Ils n’étaient plus très loin. La voix du paysan se fit entendre:
-Le chemin vers le fief Beauclair se trouve à gauche…à cheval vous devriez à arriver en une heure ou deux. Je n’ai pu réparer la roue du chariot que provisoirement, et je veux l’emmener à Dol Amroth le plus tôt possible. Surtout avec cette satanée neige. Nos chemins se séparent ici…Bien que le paysan leur avait jadis promis de les emmener jusqu’au fief, le dunadan ne protesta pas. Il comprenait que l’homme avait envie de retrouver sa famille, et se débarrasser enfin de ces voyageurs étranges. Il pensait être à présent capable de monter à cheval…il paya généreusement le charretier, et lui remercia pour ses services.
Forlong et
Calimehtar assemblèrent leurs affaires, et l’homme du Nord dissimula son armure et ses autres possessions dans les sacoches d’Asulf, montant lui-même sur son vieux cheval du Rohan, Erwin. Il faisait plus confiance à son ancien compagnon qu’à l’étalon jeune et fougueux de Dol Amroth. Il attendit que l’elfe monte gracieusement sur sa jument, et ils partirent ensemble dans la direction de Beauclair.
***
La neige tombait à présent plus lourdement, et bientôt la route fut recouverte d’un tapis blanc…la nuit tombait vite, et les cavaliers avaient du mal à voir. Cependant ils ne pouvaient pas s’arrêter ; ils étaient si près de leur destination, et ne voulaient pas risquer une autre nuit passée dans le froid. Les trois chevaux avançaient lentement dans la neige, et les heures passaient une après l’autre…La précipitation fit place à une véritable tempête, et les voyageurs sentirent le froid percer leurs vêtements et les envahir. Ils n’avaient pas d’autre choix que d’avancer…Forlong se sentait faible à cause de sa blessure, mais s’inquiétait surtout pour sa compagne, sans savoir si elle était habituée à ce genre de conditions…heureusement leurs chevaux étaient expérimentés, et les guidaient tant bien que mal à travers le paysage nocturne…
Ce fut seulement lorsque le dunadan commençait à douter de leurs chances de survie qu’il aperçut au loin les contours noirs de bâtiments. Il bénit intérieurement les Valar, et son cheval accéléra, en sentant la proximité de la civilisation. L’homme et l’elfe descendirent tant bien que mal de leurs chevaux, et Forlong frappa lourdement sur la porte d’une grande maison en pierre et en bois. Des bruits de pas se firent entendre, et un homme assez gros vêtu d’une chemise de nuit ouvrit la porte, une bougie à la main. L’homme du Nord reconnut ses traits, il s’agissait d’un des villageois de Beauclair…mais ce dernier ne semblait pas reconnaitre le Loup Blanc dans la pénombre.
-La tempête nous a piégé, et nous avons failli y rester…nous avons besoin d’un endroit pour passer la nuit…L’homme les regarda, et dit :
-Voyager par ce temps de chien…quelle idée…je n’ai malheureusement pas de place dans ma maison, mais mes écuries sont presque vides en ce moment. Vous pouvez y laisser vos chevaux ; le bâtiment est solide et chaud, vous y trouverez aussi du foin. Il ne s’agit pas d’un palais royal, mais vous serez à l'abri de la neige.Forlong le remercia, et, suivi de près par l’elfe, se dirigea vers les écuries, en titubant légèrement. Lorsqu’il entra dans le bâtiment, il jeta sa cape enneigée sur le sol, et guida les chevaux dans les boxes. D’une main un peu tremblante, il sortit une bouteille d’alcool de son sac de voyage, et but une gorgée généreuse. Il sentit l’effet bénéfique du breuvage, et la chaleur se répandit dans son corps. Il voulut en proposer à l’elfe, mais il se rappela du fait qu’elle ne buvait pas. Le dunadan sortit alors quelques couvertures, et s’approcha du foin dans le coin des écuries. Il lui semblait qu’il s’agissait d’un lit royal, et il se posa lourdement dessus ;
Calimehtar était déjà couchée. L’homme du Nord mit les couvertures par-dessus leurs corps, de façon maladroite à cause de sa blessure et du noir complet qui régnait dans le bâtiment.
Ils ne dirent rien, épuisés par le combat contre la tempête…ils étaient juste heureux d’être en vie, et profitaient de la chaleur du foin. Et pourtant…Forlong ne pouvait pas dormir. La proximité de l’elfe remplissait ses pensées, et son cœur battait rapidement. Il ne savait pas si c’était la fièvre, l’alcool, ou autre chose encore, mais il ne put s’empêcher. Doucement, sa main vint se poser sur l’épaule de la femme, et se glissa sous ses cheveux, dans sa nuque. Il s’approcha d’elle, la serrant contre lui avec force mais délicatesse.
Ce fut dans ces écuries désertes, dans le noir complet, alors que la neige virevoltait dans le vent dehors, que les lèvres du Loup trouvèrent celles de
Calimehtar…
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