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 Le Requiem mène la Flotte

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Reznor
Seigneur Pirate
Reznor

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Le Requiem mène la Flotte EmptySam 16 Fév 2013 - 23:55
Le pirate s'était levé tôt le lendemain, ce qui n'était pas vraiment dans ses habitudes lorsqu'il était à Umbar. Il avait alors généralement tendance à profiter de ces quelques jours de repos avant qu'une nouvelle aventure ne le ramène en mer. Dans le cas présent, il avait beaucoup à faire, et il était également assez excité par les perspectives que lui offraient son rôle. Seul le courant d'air glacial qui s'engouffra dans la chambre lorsqu'il ouvrit la porte lui rappela qu'il aurait peut-être mieux fait de profiter davantage. Le feu était mort dans l'âtre mais il restait quelques braises auprès desquelles il se tint le temps de se munir d'une veste de laine supplémentaire. Il semblait que le temps était encore pire que la veille, ce qui n'avait rien de bon quant on savait qu'il allait falloir charger tous les navires dans le but de partir prestement et avec efficacité.

Reznor avait déjà pensé à tout, bien sûr. La veille, accompagné d'un dernier verre, ou peut-être plusieurs, il avait longuement réfléchi quant à ses plans et qui il comptait réquisitionner pour son expédition. Il faudrait des gens en qui il pouvait avoir une entière confiance, et cela signifiait tout d'abord ses deux navires secondaires. Il connaissait les capacités de leurs capitaines par coeur, pour les avoir eu directement sous ses ordres durant de nombreuses années. Il songea ensuite à ceux qui étaient particulièrement expérimenté dans le siège des villes et ce genre de combats terrestres, ce qui l’amena bien vite à considérer plusieurs de ceux qui avaient participé à la prise de la Cité du Destin il y a de ça plusieurs années, ceux qui avaient alors fait de lui le meneur de cette rébellion, de ce projet fou. Cette fois-ci, c'était Taorin qui était le chef d'orchestre, et le chien Borgne avait un projet encore bien plus fou qu'alors, plutôt qu'une Cité, tout en pays. Folie ? Peut-être. Le Seigneur Pirate comptait bien remplir sa mission en tout cas et si chacun faisait de tel, rien ne s'opposerait à leur triomphe.

Le Capitaine avait décrété le branle-bas de combat alors même qu'ils étaient à quai, mais c'était pour mobiliser tous ses hommes. Il avait préparé les différents ordres de réquisition, ou les achats sur le compte de la ville quand ce n'était pas possible autrement. Il avait envoyé des hommes acquérir du ravitaillement pour de nombreux jours, viande salée, pain et rhum, et tout ce qui allait avec. Ils ne pouvaient se permettre de prendre trop de stock, car d'autres en auraient besoin, mais Reznor voulait voir venir, par ces conditions, il ignorait combien de temps serait nécessaire avant de prendre Methir. D'autres étaient chargés de réunir l'équipement dont ils auraient besoin. Echelles, cordes, grappins, tout ce qui serait nécessaire s'ils devaient faire face à une muraille. D'autres encore étaient chargés de prendre des dispositions par rapport au froid qui sévissait. Le tout n'était pas simple, il fallait prévoir en suffisance, pour un millier d'hommes environ. Car pendant ce temps, le Capitaine et ses plus proches subalternes recrutaient ceux qui allaient former sa force de frappe, et il préférait veiller à ce que le ravitaillement de ceux-ci que dépendent pas d'eux mêmes, donc il veillait à ce que toutes les ressources fassent l'objet d'un répartissement général. Il avait d'autres personnes à voir, Yse notamment, pour discuter de leur petit projet personnel pour lequel cet invasion de l'Harondor était une opportunité. Ils devaient s'assurer d'être à l'affût d'un signe.
La fin de journée arrivait et Reznor était satisfait. Il avait mené avec succès toutes les discussions qui s'imposaient. Il avait écouté les rapports de tous ceux qu'il avait envoyé réquisitionner du matériel et il était satisfait du résultat. Quelques problèmes ou récalcitrantes par ci, par là, bien sûr, que ce soit du côté des marchands ou des capitaines, mais rien de bien grave, tout au plus des petits contre-temps. Le plan se déroulait comme il l'avait prévu.


***

Quelques jours avaient passé. Le plan et tous les délais allant avec s'étaient déroulés sans accroche. Le Joyeux Requiem avait pris la tête de cette fraction de la flotte d'Umbar, cette dizaine de navires de pirates et des corsaires qui glissaient sur les flots agités par le vent froid. Ce vent qui mordait le visage de Reznor, seul à la proue du bateau, emmitouflé chaudement mais pourtant glacé malgré tout. Il semblait les yeux perdus dans l'immensité de l'océan, et l'esprit tout aussi égaré dans ses pensées. Une femme jeune et blonde s'approcha du Capitaine silencieusement de lui. C'était Vedraï, la seconde du navire depuis plusieurs déjà et toujours une véritable énigme. Elle était une noble gondorienne qui avait abandonné ses origines pour une vie d'aventure. Reznor se demanda un instant si leur mission la troublait. Harondor était province de Gondor et elle risquait bien d'avoir à combattre des gens de son pays d'origine. Mais elle n'en dit pas mot, pas maintenant en tout cas. Elle semblait juste vouloir voir qu'elle était l'humeur de son Capitaine.

"Sale temps hein ? Pas l'moment d'mettre un pirate dehors..."

Reznor resta un instant silencieux, puis renifla l'air, sentit le vent et sembla réfléchir un instant. Lorsqu'il parvint à ses conclusions, il répondit :

"Que nenni ! Avec ce froid, nous aurons bientôt un brouillard marin qui va se former. Nous allons bientôt atteindre les côtes Harondorim et un tel camouflage ne sera pas du luxe !"

La conversation se poursuivit, abordant tout et rien entre les deux plus hauts-gradés du Requiem. Et puis, lorsque d'après les estimations du Capitaine ils furent à la hauteur du delta de l'Harnen, le brouillard se leva, comme prévu. Et puis, devant l'incrédulité de son bras droit après sa prédiction, et puisqu'il impensable de ne pas mentionner une fois au moins l'hilarité du pirate, Reznor se fendit d'abord d'un rictus moqueur, avant d'éclater franchement de rire.

[Mes excuses pour le retard. L'expédition pour la conquête d'Arzawa est ouverte à tout pirate, marin ou autre qui le souhaite.]
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Reznor
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Le Requiem mène la Flotte EmptyLun 1 Avr 2013 - 23:02
Le Requiem mène la Flotte Methir10

Reznor jeta un coup d'oeil sur le pont du Cormoran, qui voguait à quelques dizaines de pieds du Requiem. Il esquissa un mince sourire. Au moins était-il dégagé à présent. Les deux jours d'éclaircies avaient fait du bien à la flotte. Il avait cessé de tomber pluie et grêle, même les nuages s'étaient évadés, laissant par dessus eux un ciel d'un bleu froid. D'un bleu glacial. Peut-être le soleil avait-il légèrement réchauffé la température durant ces deux jours, si tel était le cas, ils n'avaient même pas remarquer le changement. Les gens d'Umbar n'avaient pas l'habitude d'un hiver aussi rude. Ils souffraient. Le pire endroit pour avoir froid, c'était sans doute un bateau. Ici point de feu pour se réchauffer, ou bien il fallait être fou. Reznor savait l'histoire d'un équipage qui, coincé dans les glaces de la baie de Forochel, avait mis le feu à leur propre bateau, en commençant par le grand mât. Quelle folie que celle qui pousse à la mort.
Le froid avait réclamé son dû parmi sa flotte aussi, cependant. Illyn avait succombé le sixième jour, en toussant comme un possédé. Ceux du Sud supportaient mal cet hiver. Il devait déjà être malade avant d'embarquer, s'était dit Reznor. S'il avait su, il ne l'aurait pas engagé, tout capitaine réputé qu'il soit. Maintenant c'était son fils Gastor, dix-sept ans, qui avait hérité du Cormoran, avec à ses ordres des hommes cent fois plus expérimenté que lui. Le fils n'arriverait jamais à imposé son autorité sur eux. Reznor avait déjà du intervenir en voyant l'état du pont du fier vaisseau. Il faudrait y remédier après Methir. Car Methir approchait et s'il y en avait bien un qui n'était pas réjoui par cette soudaine éclaircie, c'était Reznor. Heureusement, l'Hiver semblait être avec eux.

Ce jour là, par quatre heures de l'après-midi, la nuit tombait sur Methir. Les nuages gris étaient revenus, déversant çà et là grêle ou neige. Ils étaient bien des lieues au dessus d'Umbar à présent. Il faisait plus froid encore et ce qui plus au sud était en mer de la neige fondante ne fondait à présent plus. Un temps parfait pour une arrivée discrète.

Ce jour là, par six heures de l'après-midi, les pirates tombaient sur Methir. Les voiles noires s'étaient engouffrées dans le port, déversant çà et là flèches et projectiles. Il faisait froid, plus qu'à Umbar qui était plus au sud, mais bientôt le feu allait réchauffer toute la ville. Le feu, qui lui seul éclairait la scène. Les nuages cachant lune et étoiles avaient facilité une arrivée discrète.

Methir n'était qu'un petit port, vivant surtout de pêche et de quelques navires marchands. Leur position septentrionale leur garantissait une illusoire sécurité. Prendre la ville fut un jeu d'enfant. Les guetteurs sonnèrent bien l'alerte lorsque les navires entrèrent dans le port, mais il était déjà trop tard. Déjà les quais étaient pillonnés de traits de balistes et de pierres, et les navires les plus menaçants la proie des flammes. Les quais étaient suffisamment vide que pour débarquer sans avoir à toucher aux quelques navires marchands amarrés là. Tant mieux. Reznor ne voulait pas avoir à risquer s'approcher du feu. Une fois débarqués, le triomphe des pirates fut total. Un demi millier d'hommes se déversa dans les rues. Des hommes qui n'avaient attendus que ça toute la journée. En face ils rencontraient la maigre résistance de la garde qui toute la journée avait cru à un jour normal. Cà et là un officier essayait de former une milice d'hommes armés de harpons et de marteaux, des hommes éreintés qui venaient de finir une dure journée de labeur... peine perdue que de s'opposer à ces pirates sanguinaires. Sanguinaires, ils l'étaient. Reznor ne voulait pas perdre de temps avec ce port sans intérêt. Les pillages se devaient d'être rapides. Les prisonniers, inutiles, à moins qu'ils ne soient en état de se battre à leurs côtés.

A l'aube, la ville était à sac. Sur les trois milles âmes vivant là, nombre avaient péri dans l'attaque. Les hommes surtout, quoi que certains des prisonniers eussent été épargnés après une sélection de Reznor. Ceux qui semblaient enclin à leur servir. On les avaient entassés sur les navires marchands épargnés, avec le plus gros du butin amassé. C'était les seuls êtres qu'ils emporteraient. Certains avaient bien usé des femmes comme il leur en plaisait sur le moment, mais il était inutile d'en emporter comme esclave. Arzawa primait. Ils avaient brûlé tous les pigeonniers, éventré toutes les montures, coulés tous les navires qu'ils n'emportaient pas. Methir était isolée et autant qu'elle le reste le plus longtemps possible. Dès l'aube ils repartaient vers Arzawa, car ils devaient se hâter à présent.
Aussi coupé du monde que puisse être le port, la nouvelle de leur forfait finirait bien par atteindre Arzawa et Dur'Zork. Pas de sitôt, espérait-il.
La guerre était lancée, le premier coup porté. Le deuxième ne saurait tarder.

#Reznor #Vedraï
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Ryad Assad
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Le Requiem mène la Flotte EmptyJeu 4 Avr 2013 - 13:37
L'attaque avait été soudaine. Sa violence : absolument inouïe. Impossible d'imaginer à quel point. Dans la petite ville, le tocsin avait retenti alors que tout le monde vaquait à ses occupations, et pendant quelques longues et pesantes secondes, un grand silence s'était imposé. Ça avait été comme si le temps avait été figé. Les regards de tous s'étaient croisés. Les habitants d'ordinaire joyeux et légers, s'étaient transformés en bêtes effrayées. Elles avaient toutes tourné la tête vers la tour de guet, qui se dressait à l'entrée de la ville, avant qu'un cri de terreur leur parvînt. "Les pirates !" Criait la voix, "On nous attaque !". Quelques mots, et ce fut le chaos. Les hommes lâchèrent leurs outils, les femmes leurs paniers. Les commerçants laissèrent tomber leurs marchandises, et les boulangers leurs petits pains. Le port n'était pas très grand, mais ce fut rapidement une pagaille sans nom. De toutes parts, des gens essayant vainement de s'enfuir. Les quais étaient un endroit à fuir comme la peste. L'autre extrémité de la ville formait un objectif en soi, que chacun voulait atteindre, quitte à piétiner les siens. La milice de la ville n'en menait pas large. Combien avaient déjà déserté, aux premiers sons de cloche ? Parmi ceux qui restaient, beaucoup se chargeaient d'évacuer les civils, essayant de les maintenir en ordre. Bientôt, les cloches cessèrent de sonner : les sentinelles s'étaient probablement échappées en voyant les pirates débarquer. Les armes de siège positionnées sur leurs bâtiments pilonnaient la ville, et des coups sourds retentissaient à intervalle régulier, comme le martèlement des pas d'un géant se déplaçant au milieu de nains.

Des pas, il y en avait eu d'autres, bientôt. Cinq cent pirates déchaînés, probablement lassés d'être à  bord, sevrés de pillage. Ils avaient posé le pied sur la terre ferme, et, nonobstant le mal de terre, ils s'étaient rués à l'attaque, lame au clair, un sourire carnassier sur le visage, des cris gutturaux plein la gorge. La garde de la ville avait été submergée, écrasée en quelques minutes. Les hommes qui désiraient se battre avaient été massacrés impitoyablement, avec une froide efficacité. Les pirates savaient s'y prendre pour s'emparer d'une ville en très peu de temps. En moins d'une heure, les combats avaient cessé, même si des cris continuaient à retentir çà et là. Des pirates brutaux s'infiltrant dans une maison et débusquant des habitants recroquevillés, des femmes violées sans vergogne par des marins ivres de violence et de cruauté. Le pillage avait débuté, avec une sauvagerie rare. Les biens étaient renversés, les maigres richesses empochées par le premier à les trouver. Les officiers s'occupaient de protéger les vivres et les réserves d'alcool de la ville de leurs hommes, pour éviter les débordements inutiles.

Dans toutes les rues, on entendait des éclats de rire qui paraissaient presque obscènes, en comparaison avec les cadavres qui jonchaient le bord des maisons. Le sang avait recouvert les pavés, tachait les murs et s'incrustait dans le bois, y laissant de sombres marques, tandis que des créatures que l'on peinait à appeler "hommes" dansaient, chantaient et se réjouissaient. Tous les habitants de la ville avaient compris qu'il ne s'agissait pas d'un pillage en règles, en voyant de quelle manière les pirates procédaient. Non pas que la ville fût particulièrement sujette aux attaques, mais il semblait clair dans l'esprit de tout un chacun que les pirates ne se déplaçaient pas en aussi grand nombre pour s'attaquer à une simple ville portuaire... Les pirates ne se contentaient pas non plus d'un aussi maigre butin, et ils ne se privaient pas pour emporter autant d'esclaves que possible. Or en l'occurrence, un tri semblait être effectué. Seuls les hommes étaient réquisitionnés, amenés de force à bord des quelques navires que les envahisseurs avaient saisi. De longues files de prisonniers défilaient dans les rues, portant dans leurs bras les maigres possessions qu'on les avait autorisé à emmener. La plupart avait emporté quelques objets souvenirs, des bibelots pour se rappeler son chez-soi. D'autres avaient préféré emporter un peu de nourriture pour agrémenter leur voyage. Ils ignoraient que la férocité humaine en ferait rapidement des cibles de choix pour leurs compagnons d'infortune.

Quoi qu'il en fût, chacun conservait son unique bagage fermement serré entre ses mains, avec l'espoir un peu fou que cela contribuerait à les protéger de ce qui les attendait. Tous ou presque avaient compris qu'ils ne seraient pas immédiatement réduits en esclavage. On les avait sélectionnés pour autre chose : quelque chose de plus grand. Ils le comprenaient alors qu'en se dirigeant vers les navires, en subissant les fouilles et les moqueries de leurs geôliers, ils voyaient ici ou là les pirates en train de massacrer les chevaux, même les bêtes qui servaient de toute évidence pour l'agriculture. Quiconque levait la tête pouvait en outre voir ces longues colonnes de fumée qui s'élevaient presque paisiblement, avec un calme qui ne rendait pas justice à la voracité des flammes qui dévoraient avidement le bois des pigeonniers et la chair de ses habitants. Les navires avaient subi le même sort, et certains pirates avaient même pris plaisir à commencer le travail à la hache, abattant mâts et dévastant coques dans de grands rires gras. Les navires de pêche qui permettaient à la ville de subsister avaient rapidement coulé après avoir été sabordés de la sorte, mais ils avaient été soigneusement brûlés avant, de sorte à ne pouvoir être remis à flot. Du travail bien fait.

Dans la ville, une sorte de terreur oppressante s'était installée. Personne n'osait sortir, et tous les habitants étaient cantonnés chez eux. Les pirates étaient les seuls à aller et venir. Ils pouvaient rentrer chez qui ils le désiraient, cherchant des hommes en bonne santé pour participer à leur expédition, pour compléter leurs équipages. Certaines femmes cachaient leurs maris, en priant pour qu'ils ne fussent pas découverts. Lorsqu'ils l'étaient, les compagnes éplorées étaient généralement livrées en pâture aux instincts diaboliques de ces agresseurs, en guise de punition, tandis que les nouveaux enrôlés avaient la joie de connaître le fouet avant même d'avoir eu l'occasion de poser le pied sur le bâtiment. Lorsqu'ils ne l'étaient pas, c'étaient parfois leurs fils qui étaient pris à leur place. Quinze ou seize ans, cela ne semblait pas trop jeune pour être engagé de force, et nombre de jeunes hommes marchaient parmi des adultes dans la force de l'âge, sans trop comprendre ce qu'il se passait, sans trop comprendre où tout cela allait les mener.

Jakov faisait partie de ceux-là. Il marchait, l'air perdu et terrifié, à la rencontre de son destin. Un destin vraisemblablement funeste. Il avait été choisi par les pirates sans véritable raison. Il n'avait rien d'un guerrier. Pas très grand, pas très épais, pas très courageux, c'était davantage un artiste itinérant. Il n'était même pas originaire de Methir, en vérité. Il n'avait fait qu'y passer, pour y gagner quelques pièces, avant de retourner dans son Gondor natal où il espérait bien pouvoir rester. Mais les choses n'avaient pas tourné tout à fait comme prévu. L'attaque de la ville avait été une surprise totale, et il s'était retrouvé piégé. Les pirates l'avaient débusqué alors qu'il se cachait dans l'auberge où il était employé, et s'étaient amusés avec lui, avant qu'un officier ne décidât de le faire embarquer sur un des navires marchands. Le gamin avait pleuré à chaudes larmes, conscient que la mort était probablement la chose qui l'attendait au bout du chemin, mais cela n'avait fait qu'agacer encore davantage les pirates qui l'avaient fait rentrer dans le rang à grands coups de bâtons dans le dos.

Ainsi l'amuseur avançait-il, anonyme parmi la foule des recrutés sur qui les pirates criaient ou crachaient au gré de leur envie. Il serrait fermement contre sa poitrine un sac dans lequel se trouvaient ses biens les plus précieux. Un des envahisseurs avait voulu en savoir plus, et en défaisant le baluchon, il avait pu constater qu'il ne s'agissait que de masques de théâtre. L'homme avait éclaté de rire, et avait poussé Jakov en avant en lui souhaitant d'être aussi habile avec un sabre sur un champ de bataille que sur une scène. Le gosse avait cru bien faire en partageant le rire de son geôlier. Une erreur qu'il ne recommencerait plus. Les coups qu'il avait reçus lui avaient fait passer l'envie d'établir une complicité quelconque avec ces brutes épaisses. Il avait regagné les rangs, avait enfoncé son bonnet sur ses oreilles, et avait baissé la tête en suppliant pour que personne ne vînt lui chercher davantage d'ennuis.

Peut-être quelqu'un l'avait-il entendu, car en arrivant devant le navire marchand, il se rendit compte que nul n'avait cherché à se moquer de lui ou à le battre. C'était déjà un progrès en soi. Jakov posa un œil sur le navire marchand, puis son regard d'un bleu profond, comme celui de la mer elle-même, glissa sur la silhouette très différente des navires pirates. Il n'était pas besoin d'être marin pour comprendre que les deux ne jouaient pas dans la même catégorie. Celui sur lequel il allait embarquer était comme une maison que l'on aurait trouvé le moyen de faire flotter. Une grande pièce de bois, qui semblait impossible à bouger, et encore moins à manœuvrer. Un objet capable de transporter un grand nombre de tonneaux, de caisses ou encore de prisonniers, mais qui n'avait rien à voir avec le profil racé et élégant des vaisseaux pirates. Ceux-là étaient fins, comme des lames de poignard qui pour l'heure étaient tranquillement à quai, mais qui bientôt sortiraient de ce fourreau pour plonger dans le cœur du Nord Harondor. Malgré leur sinistre réputation, et la vision de toutes les horreurs commises en si peu de temps, Jakov ne pouvait pas s'empêcher de se dire que ce devait être magnifique de voir toute cette flotte prendre la mer, fendre les vagues avec une sorte de détermination, d'obstination propre aux pirates.

Un coup derrière les oreilles rappela le rêveur à l'ordre, et il s'appliqua à baisser à nouveau la tête, et à garder une attitude servile, pour ne pas attirer l'attention. On le fit rentrer à l'intérieur du navire, dont les cales empestaient souverainement. Il y régnait une chaleur étouffante, et il paraissait difficile d'imaginer vivre là-dedans ne serait-ce qu'une journée. Alors passer des semaines en mer ? Cette simple pensée avait de quoi terrifier. Les pirates se montraient toujours aussi brutaux avec leurs nouveaux venus. Ils séparaient les hommes de manière équitable, et leur demandaient de trouver une place au milieu de tous les autres. Parfois, un des gardiens s'emparait d'un prisonnier et le secouait à lui rompre le cou, tout en lui hurlant dessus, avant de le laisser tomber par terre. Certains se relevaient, tentant de sauvegarder le peu de dignité qu'il leur restait. D'autres essayaient de ramper, mais ils ne faisaient qu'attirer les coups de pied.

Tout en marchant, tête basse pour éviter de se faire remarquer, Jakov s'étonnait de l'absence d'indignation des gens autour de lui. Il s'étonnait même de sa propre absence d'indignation devant ces mauvais traitements. Personne n'allait élever la voix, ou même tendre la main pour aider le misérable qui venait de se faire ainsi brusquer. Chacun se murait dans un silence coupable, ou discutait à voix basse avec son voisin. Les mots échangés étaient rares, vides de sens, surtout destinés à se rassurer quelque peu. Mais il y avait une réalité encore plus horrible derrière ces bavardages : des alliances étaient en train de se créer. Les plus malins essayaient de se créer un réseau, afin d'être protégé. Quand les rations viendraient à manquer, quand la faim finirait par ronger tout le monde, les gens seuls risquaient d'être les premières victimes de ceux qu'ils avaient considéré comme des amis, des camarades.

Jakov, lui, n'avait pas particulièrement envie de se lier. Encore trop choqué par ce bouleversement dans sa réalité, il ne prenait pas encore pleinement conscience de ce qui se déroulait autour de lui. Il trouva finalement une place, juste assez grande pour lui, entre deux hommes qui lui rendaient au moins trente ou quarante ans. Leur barbe fournie était d'un blanc prononcé, alors que la sienne ne semblait pas vouloir se décider à apparaître. Le garçon s'installa en tailleur, son sac posé entre les jambes, se balançant d'avant en arrière, comme pour chasser les mauvais esprits ou les mauvais rêves. Son voisin de gauche, un ivrogne habitué de l'auberge, avait ouvert un œil suspicieux, et avait lâché entre ses chicots :

- Attire pas l'attention sur nous, gamin. Attire pas l'attention.

Jakov hocha vigoureusement la tête, et essaya de se contenir, même si la peur le tenaillait. Il constata en regardant autour de lui qu'il n'avait rien sur quoi s'allonger, sinon sa propre veste. Mais s'il régnait une chaleur étouffante, ce n'était pas une raison suffisante pour se découvrir, paradoxalement, et il préféra garder son pardessus. Comme la plupart des gens, il s'allongea, la tête sur son sac, en essayant de trouver le sommeil, de glaner quelques forces à cette obscurité bienfaisante. Pourtant, il savait qu'il n'y parviendrait pas. Personne n'y parviendrait. A côté de lui, son autre voisin s'agita, et se leva brusquement en criant :

- Mais c'est infesté de rats ! Pas question que je reste ici !

Les pirates tournèrent la tête et éclatèrent de rire, avant de venir tenter de s'expliquer avec l'homme. Celui-ci protesta tant et si bien que les Umbarite finirent par le rouer de coups pour le faire taire. Mais, dans leur grande mansuétude, ils consentirent à le changer de place. Ils le laissèrent tomber dans un recoin sombre où, vraisemblablement, la colonie de rats avait élu domicile. Lorsqu'il reprit conscience, ses hurlements terrorisés retentirent longtemps. Le cœur de chacun se serra en acceptant une dure réalité : quelle que soit la situation, ils peuvent trouver pire. La place désormais libre à côté de Jakov, qui fermait les yeux en essayant de ne pas entendre le bruit des rats qui couraient non loin, ne resta pas inoccupée bien longtemps. Un homme d'une quarantaine d'années vint s'installer à son côté. Il portait plusieurs sacs, qu'il déposa avec grand soin. Les regards se braquèrent vers lui, déjà prompts à s'emporter car il avait eu le droit à un supplément de bagages, mais le pirate qui l'accompagnait lança avec un fort accent du Sud :

- Ce type, c'est l'guérisseur d'vôt'ville. Si vous v'lez pas crever, vous f'riez mieux d'lui faire une place, vous aut'.

Jakov leva les yeux vers l'homme, qui semblait sympathique, mais dévasté par l'ampleur de sa tâche. Effectivement, soigner autant de monde avec si peu de matériel, cela tenait du miracle. Quand les maladies dues à la malnutrition et aux conditions de vie allaient se déclencher, ce serait l'hécatombe, le chaos. Quelques plantes n'y changeraient rien. Le guérisseur capta le regard de Jakov, et lui demanda sans vraiment y réfléchir :

- Ca va ?

Le gamin sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Ses lèvres s'agitèrent, mais aucun son n'en sortit. Au lieu de quoi, ses yeux devinrent brillants de larmes, et il se mit à sangloter en silence, anéanti par la réalité qui s'imposait à lui. Le guérisseur, maladroitement, lui tapota l'épaule en lui soufflant que les choses allaient finir par s'arranger. Des mots davantage remplis d'espoirs que de certitudes, et qui ne pouvaient que faire sourire tristement. Jakov sentit ses nerfs lâcher. Il enfouit la tête dans son sac pour étouffer les sons discordants de son abattement, tout en glissant la main à l'intérieur de son bagage. Ses doigts fins se refermèrent sur un objet dur et froid. Le poignard que les pirates n'avaient pas trouvé.

#Jakov


Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop

"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Reznor
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Le Requiem mène la Flotte EmptyJeu 4 Avr 2013 - 19:54
Douze navires avaient atteints Methir, c'était maintenant seize qui en repartaient. Bonne affaire songea Reznor avec un sourire. Les quatre nouveaux arrivants avaient beau être dépourvus de balistes, ils avaient beau n'être d'aucune utilité dans une bataille, ils n'en étaient pas moins plein à craquer du butin récolté dans la petite ville portuaire dont ils n'avaient laissé que des cendres. Que des cendres ? Non, bien sûr, ils avaient après tout laissé une grande partie de la population en vie. Quatre milles hommes, femmes et enfants, c'était tout de même pas mal de gens, trop pour qu'ils puissent les passer tous au fil de l'épée. Pas que Reznor l'aurait voulu. Tout pirate qu'il était, le capitaine du Requiem n'était pas du genre à tuer gratuitement. Femmes et enfants du moins, c'était d'un gâchis. Mieux valait bien sûr ne pas le provoquer, sans quoi il ne montrerait de merci, mais les massacres gratuits, il en avait déjà eu son compte. Pas que parmi les capitaines qu'il avait emmené avec lui il n'y en eut qui soient tout particulièrement enclins à ce genre de divertissement. Il aurait pu leur sommer de semer le chaos plus encore qu'ils ne l'avaient fait mais, Reznor en était convaincu, cela n'aurait guère servi leur cause. Tandis qu'ils pillaient, tous les habitants se terraient dans leur maison, espérant ne pas être vu, espérant que leur cachette soi suffisante. Si un massacre à l'échelle de la ville s'était perpétré, nul doute qu'ils auraient eu à faire à une autre sorte d'opposition. Le risque était maintenant que des gens tentent de prévenir les autres villes de l'Emirat. Cela n'aurait rien changé, en soi, il était certain que des gens avaient pu franchir les portes pour s'enfuir. Reznor espérait simplement qu'ils n'aient pas de montures. Il fallait retarder à tout prix la propagation de la nouvelle. Pour ce qui était des survivants, Reznor avait fait attention à ce que la ville soit privé de tout moyen de communication. Pourvu que ça suffise.

La communication entre les navires étaient le problème principal rencontré par Reznor. Comme il avait tenu à ce que leur petite escale à Methir soit la plus brève possible, il n'avait pas pu tenir de conseil de guerre avec ses capitaines avant de reprendre la mer. Certains s'en étaient offensés, que ce soit par vexation de n'avoir son mot à dire ou par peur que leurs hommes n'apprécient pas d'écourter la joyeuse sauterie à leurs yeux toujours au programme après un pillage. C'était le cas du jeune Gastor du Cormoran, par exemple. Celui-ci avait été tellement mis sous pression par ses hommes qu'il avait craint à la mutinerie. "Avec tout ça, on n'a même pas eu le temps de piller et de violer à la fois, on n'a pu faire qu'un des deux" avaient-ils dit. Reznor avait esquissé un sourire narquois quand Gastor avait rapporté ces propos. Quelle idiotie de se plaindre alors que Methir n'était pas le but final du voyage. Le jeune capitaine avait essayé de le faire patienter quand Reznor avait décrété qu'on larguait les amarres, prétextant que deux de ses hommes n'était pas encore revenus à bord. "Qu'ils y restent alors !" avait décrété Reznor, et si le capitaine du Cormoran avait été copieusement chahuté par ses hommes, ceux-ci le craignaient un peu plus depuis qu'il avait tenu bon et fait voile sans les deux retardataires. Ce qu'il advint d'eux, le capitaine du Requiem ne s'en soucia pas. A moins qu'ils ne se soient mêlés à la foule, la population en colère leur avait sans doute fait payer au centuple leur forfait de piraterie. Cela leur apprendrait, à vouloir tant se contenter des maigres économies des pêcheurs et de poissonnières poissardes puant la poiscaille. L'objectif était Arzawa, où ils trouveraient moult richesses et des donzelles d'un autre acabit. L'épouse de l'Emir ne venait-elle elle-même pas d'Arzawa ? Certains s'imaginaient déjà se l'approprier au cas où le hasard eut fait qu'elle ait pris quelques vacances dans sa ville d'origine, et Reznor l'avait clamé bien fort pour motiver les troupes à ne pas traînasser.

Toujours était-il qu'en l'absence d'un conseil de guerre, la communication demeurait le problème principal, cela n'avait pas changé. Il était bien malaisé de passer d'un navire à l'autre, si ce n'est en se balançant au bout de cordages comme on le faisait durant un abordage, mais il était compliqué d'approcher les bateaux sans les les ralentir, et le vent et le temps en général ne rendaient pas la chose aisée. Personne n’avait vraiment envie de tenter la chose au risque de finir dans une mer grisâtre et déchaînée. C'est pourquoi on avait dressé des hirondelles des mer pour que, comme des pigeons voyageurs, elle aient de bateau en bateau porter des messages. En l'à-présent, Reznor tenait les compte des pertes enregistrées par chaque Capitaine. Fort heureusement, la résistance ne s'était guère fait sentir et elles étaient très limitées. C'était préférable, car la prise d'Arzawa serait un autre tour de manches. Le Requiem avait perdu un homme. Le Cormoran, en plus des deux retardataires, un aussi. Ses deux autres navires, l'Alegria et le Liberta, respectivement deux et aucun. Les autres bâtiments affichaient des statistiques similaires, mis à part le Gratte-Sangsue qui affichait sept pertes. Reznor décréta qu'il n'aurait pas du s'encombrer de tel imbéciles et qu'il aurait du engager un autre bâtiment. Le Cormoran avait beau être passé au bord de la mutinerie, par exemple, au moins ses marins savaient se battre. Quelques navires avaient subit quelques dommages techniques, à cause de traits ou du feu, mais rien de bien sérieux. C'était le principal. Les hommes, ils allaient pouvoir les remplacer, ils en avaient deux bateaux avec les cales pleines, et ils devaient faire la place sur l'un d'eux pour son plan concernant la prise d'Arzawa. Encore fallait-il trouver ceux qu'on pourrait utiliser sans craindre trahison. Aussi Reznor se dit-il qu'il faudrait aller sur les barges marchandes, et maintenant.

Il ne fut guère compliqué de porter le Joyeux Requiem à côté d'une barge de prisonniers, son navire étant, après, incroyablement facile à diriger, à défaut d'être imposant. Et pour une tête brûlée comme Reznor, le voyage en se balançant avec une corde n'avait rien de particulièrement effrayant, même si le vent et la grêle dévièrent sa trajectoire. Il arriva toutefois à bon port, ayant laissé à Vedraï le commandement de son navire.
Sur la barge, un équipage réduit, chaque navire de l'expédition ayant confié quelques marins seulement au pilotage des navires marchands. Davantage sur celles destinées aux prisonniers bien sûr, afin de maintenir l'ordre. Les chaînes et les cordages dont on les avait bien vite affublés ne servaient qu'à moitié sans surveillance pour veiller à ce qu'ils ne s'en défasse pas. Ij accueillit Reznor, un de ses hommes à lui dépêché là, qui ferait passer un sale quart d'heure à tout prisonnier qui ferait un peu trop des siennes. Il lui informa que tout se passait sans encombres jusqu'à présent. Reznor descendit dans la cale, et des regards hostiles l'accueillirent avec mépris.

"Bienvenue à bord, mes amis !" fit-il un sourire cruel aux lèvres et les bras ouverts en signe de bienvenue. Les regards ne se firent que plus hostiles et méprisants.

"Je suis au regret de vous annoncer que votre vie telle que vous la connaissiez, est terminée. Vous êtes mes prisonniers. Mes prisonniers, oui, pas mes esclaves... J'ai bien mieux pour vous. Enfin, pas tous. Certains ne connaîtrons que les rames, donc en définitive, peu de différence avec des esclaves mais aux autres, je vous réserve une existence bien plus excitante que l'ancienne !"

Reznor chercha d'abord ceux qui avait quelconque compétence maritime, interrogeant au hasard des gens sur leur métier passé. Certains se proposaient immédiatement, certains mentaient de toute évidence pour échapper aux fers, et il les repérait vite, d'autres lui paraissaient prêt à lui planter immédiatement un couteau dans le dos. Certains, enfin, semblaient voir où résidait leur meilleur intérêt et semblaient dignes de coopérer.

"Vous devez me haïr, sans doute, et pourtant je serai prêt à donner des armes à certains d'entre vous..."

Vint la recherche de combattants. Il était évidemment plus dur de faire confiance à ceux là, et ils n'étaient pour le moment que mis de côté, tandis que les navigateurs avaient été immédiatement mis au travail. Puis vint sa requête la plus étrange. Il cherchait des gens qui aient l'air... gondoriens.... Cà et là il interrogeait des prisonniers plus pâles, aux traits qui ne faisaient pas songer à des Haradrim, parfois il en trouvait. "D'où tu viens, toi ?" fit-il a un type pas bien foncé et aux cheveux marrons, mais l'autre lui baragouina quelque chose en Khandien. Reznor continua son inspection, interrogea un autre type. On lui souffla que c'était un guérisseur, un prisonnier précieux mais qui ne lui serait pas utile pour ce qu'il cherchait. Le Seigneur Pirate reporta son attention sur le gosse juste à côté. Seize ans, dix-sept tout au plus. Mais un air qui l'intéressait.

"Toi là, tu causes le Commun ? Me mens pas, t'as pas l'air d'ici... Tu pourrais me servir, garçon... Oui, oui... t’appelles comment ?"
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Ryad Assad
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Le Requiem mène la Flotte EmptyVen 5 Avr 2013 - 17:04
C'était la première fois que Jakov prenait la mer. Il y avait quelque chose d'émouvant à sentir cette masse imposante se tortiller pour sortir du petit port, se laissant emporter par les flots qui pourtant ne paraissaient pas assez puissants. Comment expliquer que les petites vaguelettes qui s'échouaient lentement et tranquillement sur le sable de la plage pouvaient imprimer à un imposant édifice de bois le mouvement. Un mouvement régulier et apaisant, comme un léger balancier. Un mouvement presque hypnotique...soporifique...agréable...

Jakov se pencha sur le côté pour vomir. Son ventre le lançait cruellement, presque autant que sa tête. Il avait l'impression que le monde autour de lui s'était mis à tourner, tourner, tourner à une vitesse faramineuse. Une bile amère se répandit sur le sol qui oscillait au gré du courant du port. Le pauvre prisonnier était en train de recracher tripes et boyaux, sous le regard indéchiffrable des autres captifs, qui pour la plupart étaient des natifs de la ville, donc habitués à être en mer. Leurs sourires n'avaient rien de moqueurs : ils étaient au contraire presque indulgents. Indulgents envers quelqu'un qui avait eu le malheur de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Le guérisseur qui se trouvait à ses côtés lui posa une main réconfortante sur l'épaule :

- Vous n'êtes pas d'ici, hein ?

Jakov fit "non" de la tête, et serra les dents pour endiguer ce malaise lancinant et particulièrement désagréable. Au dessus de leur têtes, sur le pont principal, les hommes qui savaient naviguer et les pirates chargés de les surveiller étaient en train d'appareiller. Des ordres étaient criés, et on entendait le bruit des pas pressés, ainsi que les coups de fouet qui claquaient dans l'air, pour rappeler à tous que le moindre écart de conduite serait brutalement réprimé. De temps à autre, le chant d'un sifflet se faisait entendre, comme un appel lointain. Et en guise de réponse, les craquements de la coque qui se tordait pour obéir aux ordres du timonier. Dans l'obscurité de la cale, ce concert semblait particulièrement effrayant. Le manque de lumière, l'odeur insoutenable pour quiconque n'y était pas habitué, et le tangage du bateau avaient des effets dévastateurs sur le moral des prisonniers qui, entassés comme des animaux, évitaient de se regarder, cherchant à préserver le peu de dignité qu'il pouvait encore exister chez l'autre, en ne lui infligeant pas le poids d'un regard apitoyé. Nul n'avait besoin de voir le reflet de sa propre misère, quand bien même chacun en avait cruellement conscience.

Les vérifications terminées, les pirates s'empressèrent de passer dans les rangs pour entraver leurs prisonniers, afin de se prémunir contre toute mutinerie. Il y avait facilement neuf ou dix prisonniers pour chaque membre d'équipage, d'après ce que Jakov avait pu constater, mais il se doutait qu'en réalité, les captifs étaient bien plus nombreux, répartis dans d'autres endroits du navire. Il aurait été simple de s'emparer du navire en écrasant sous le poids du nombre les brigands des mers, et puis après tenter de s'enfuir. Chacun pour soi. Mais le risque était trop important. Nul n'avait envie de perdre la vie au profit d'un inconnu. Aussi, quand les premières chaînes furent installées, personne ne broncha, et tous tendaient les mains avec obligeance, comme des serfs bien dressés. Rapidement, cependant, les chaînes vinrent à manquer, et des ordres furent criés pour faire venir des cordes solides. Jakov écoutait tout cela d'une oreille distraite, davantage concentré sur ses propres soucis. Il avait un goût effroyable dans la bouche, et il crachait à intervalle régulier une bile amère et douloureuse. Lorsque les pirates arrivèrent à son niveau, ils furent obligés de le soulever du sol pour pouvoir lui lier sévèrement les poignets, avant de le laisser retomber à sa place, tel un colis encombrant. Puis ils continuèrent leur besogne, avant de finalement se retirer, laissant les prisonniers livrés à eux-mêmes. Il n'y avait qu'une sentinelle postée près de l'échelle qui menait au pont, davantage chargée de donner l'alerte que de retenir à elle seule un éventuel soulèvement. De fait, il fut assez facile pour le guérisseur de se défaire de ses liens, pour aider autant que possible Jakov à aller mieux.

- Ça devrait passer dans quelques jours, restez calme. Allongez-vous.

Le pauvre garçon s'exécuta en tremblant. Ses yeux bleus fermés, il s'efforçait de se contrôler, de calmer sa respiration sans réellement y parvenir toutefois. Et dire qu'ils n'étaient pas encore véritablement partis...Mais il était vrai que les vents qu'apportaient cet hiver qui n'en finissait pas avaient de quoi agiter même un navire à quai. Le guérisseur écarta les mèches brunes qui formaient une frange dépassant du bonnet du malade, et posa une main sur son front. Il était chaud, mais cela n'avait rien d'alarmant, pour l'instant. Seulement, au regard du nombre de rats qui se promenaient dans les cales, il devait y avoir un grand nombre de maladies colportées. Les premiers cas devraient être traités en priorité, afin d'éviter la contagion générale, sans quoi leur navire risquait de se transformer en mouroir. Jakov, qui avait également conscience du danger, espérait simplement ne pas être le premier cas répertorié. C'était un rôle qu'il aurait volontiers laissé à quelqu'un d'autre.

Alors que les minutes passaient, interminables, le garçon parvenait de mieux en mieux à se maîtriser. Il avait toujours le visage aussi livide, mais il n'avait plus de haut-le-cœur. C'était déjà ça. Les rats étaient venus inspecter le contenu de son estomac, curieux, mais étaient repartis bien vite en constatant qu'il n'y avait rien d'intéressant. Pendant ce temps-là, le guérisseur était resté à ses côtés pour s'assurer qu'il allait bien. Il avait parlé à voix basse, fait la conversation tout seul tout en donnant quelques feuilles de gingembre à mâcher à son patient. Jakov avait trouvé le goût délicieux, car cela le privait pour un temps de l'odeur exécrable de la cale. C'était déjà ça. Le guérisseur était visiblement du genre sympathique, enclin à faire la conversation. Il avait parlé un peu de lui, dit qu'il était né au Harondor, et qu'il ne supportait pas vraiment la situation de son pays. Tantôt les pirates, tantôt les hommes du Gondor. Et puis le Khand qui menaçait. Et toujours l'incertitude de savoir qui serait à la tête du pays le lendemain. Après avoir laissé passer un silence gênant suivant sa tirade, il interrogea Jakov sur ses origines :

- Pardon ? Répondit ce dernier d'une voix fluette.

- Je vous demandais d'où vous veniez, répéta le guérisseur.

- Du Gondor, justement.

L'homme sembla perturbé d'avoir critiqué le Gondor quelques secondes avant, mais Jakov lui fit signe que ce n'était rien. Désireux de changer de sujet, le plus âgé des deux continua :

- Vous avez de la famille au Harondor ? Ou alors vous cherchez une femme ? J'ai une fille vous savez...elle est vraiment charmante et...

- Je ne cherche pas vraiment de femme, en fait.

Le guérisseur fronça les sourcils, perplexe. Ce n'était pas le genre de réponses qu'il entendait d'ordinaire dans la bouche des jeunes gens de son âge.

- Comment ça ? Vous n'aimez pas les femmes ?

Il avait lancé cela presque comme une blague, mais quelque chose dans la réaction du jeune garçon lui fit comprendre qu'il abordait un sujet quelque peu délicat. Curieux de nature, il allait essayer d'en savoir davantage quand une voix retentit, avec force. Le salut du capitaine pirate qui commandait cette flotte, et qui les accueillait à bord. Alors que Jakov voulait se redresser pour voir qui venait de parler ainsi, tout en espérant que cette diversion suffît à détourner l'attention du docteur, ce dernier posa une main sur sa poitrine pour lui intimer de rester allongé. La seconde qui suivit dura alors une éternité. Les yeux du docteur s'agrandirent à l'extrême, tandis que ses sourcils s'envolaient jusqu'à la racine de ses cheveux. Sa bouche s'ouvrit en un "oh !" qui demeura coincé dans sa gorge. Jakov se dégagea avec une brusquerie qui passa inaperçue, tout le monde étant concentré sur l'arrivée théâtrale du capitaine. Le guérisseur eut un mouvement de recul, et murmura :

- Ne me dites pas que vous êtes... Mince alors !

Jakov détourna la tête, et se releva malgré son épuisement et les crampes de son estomac. Il tira sur ses manches pour dissimuler des mains trop fines, rentra la tête dans son col pour tenter de cacher un visage trop harmonieux et imberbe. Il croisa les bras, et tourna ostensiblement le dos au guérisseur, préférant se concentrer uniquement sur le capitaine. Celui-ci se déplaçait avec une aisance stupéfiante, dans la cale de ce navire. Il déambulait sans se soucier du roulis, tout en parlant avec une grande assurance, expliquant à ses prisonniers qu'une sélection naturelle allait avoir lieu. Certains allaient ramer, d'autres allaient combattre. Voilà très probablement quel allait être le choix qui se présentait à eux. La question était en réalité de savoir comment ils souhaitaient mourir. Au vu de son gabarit, Jakov finirait sans doute rameur, fouetté misérablement pour tenir les cadences impossibles imposées par les hommes de bord. Il n'imaginait pas mort plus pathétique, même si l'idée de plonger dans la mêlée aux côtés et face à des guerriers qui lui rendaient tous au moins vingt centimètres et trente kilos lui paraissait tout aussi ridicule.

Tous les prisonniers s'étaient levés, et se tenaient droits, comme s'ils étaient des soldats passés en revue par leur général. Ils ne cachaient cependant pas leur hostilité, et Jakov se demandait si l'un d'eux aurait le courage de se jeter sur le capitaine pour l'étriper, au risque bien entendu d'être passé par-dessus bord immédiatement après. La rage qui habitait certains regards était prometteuse dans ce sens, mais les chaînes étaient lourdes, et la vision des armes dissuasive. Nul ne bougea. Tandis que le capitaine parlait, les hommes se regardaient les uns les autres, jaugeant les réactions de leurs camarades pour ne pas trop se démarquer. Certains montraient sans se cacher leur intérêt pour la proposition qui leur était faite, et n'hésitaient pas à bomber le torse et à contracter les muscles lorsque le capitaine posait les yeux sur eux. Ils étaient en général mis de côté, promis à de meilleures rations et à un meilleur traitement. Ils pourraient toujours dire par après que c'était pour préparer une évasion, gagner la confiance des pirates ou n'importe quoi d'autre, il était évident à voir leur sourire satisfait que ce n'était que par pur intérêt personnel. La volonté de sortir de ce trou à rats, de cet enfer où la survie ne dépendrait plus que de la chance.

Le pirate s'approcha de Jakov et du guérisseur. Le plus jeune baissa la tête, bien conscient que défier du regard un être tel qu'un capitaine pirate pouvait avoir des conséquences néfastes à très court terme. Il préférait se montrer servile et vivre un peu plus longtemps, plutôt que de mourir par bravade. Le pirate s'intéressa un instant au guérisseur, qui entre temps avait réussi à renouer ses liens, à qui il posa quelques questions, avant de s'arrêter devant Jakov. Le gosse se mit à trembler, mais il fit de son mieux pour garder les yeux baissés. Les lever, c'était comme croiser le regard de la Mort, et lui donner envie de venir vous cueillir. Il s'y employa tant et si bien que lorsque la voix cinglante du capitaine lui parvint, il sursauta comme si on l'avait giflé. La question était simple, mais il n'était pas besoin d'être un génie pour en comprendre les implications. Le gamin, sa voix aigue tremblant à cause de la fatigue, répondit :

- Je m'appelle Jakov, monsieur...et je parle le Commun, oui... Je viens du Gondor, monsieur.

Il aurait pu s'arrêter là, mais il ne parvint pas à s'empêcher d'ajouter :

- S'il vous plaît...ne me faites pas de mal...


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Reznor
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Le Requiem mène la Flotte EmptySam 6 Avr 2013 - 23:18
Le pirate fixait attentivement le garçon, autant qu'il le puisse. Ce dernier paraissait plus intéressé par contempler ses bottes qu'à le regarder en face, ce qui troublait quelque peu le capitaine, qui préférait pouvoir voir les yeux de ses interlocuteurs. C'était de belles bottes, naturellement, et le visage encore marqué par la bataille, par le sang, la sueur et les flammes, Reznor ne devait pas paraître particulièrement ragoûtant... mais de là à préférer regarder des bottes, il y avait un pas... Fussent-elles des bottes auquel le pirate tenait particulièrement, des bottes qu'il avait depuis des années et pour lesquelles il avait déjà tué. Plusieurs fois. C'est dire si elles avaient de la valeur à ses yeux. Il se demanda si il devait raconter l'histoire de cette paire de bottes à ce garçon qu'elles avaient l'air de tant intéresser mais il se dit finalement que ça ne servait strictement à rien dans la situation présente. Aussi, sans prêter attention à sa réponse et à la question qui s'en suivit, Reznor déclara seulement :

"Regarde-moi, garçon."

C'est bien ce que je croyais, se dit Reznor, seize ans tout au plus, peut-être moins. Bah, cela pourrait toujours servir. Il lui fallait bien des gens, en nombre suffisants. Les pirates pouvant passer pour des Gondoriens étaient rares. Il faudrait pourtant bien quelqu'un pour les mener... Vedraï pourrait faire l'affaire... officieusement du moins... en tant que femme, elle ne pourrait mener l'opération de manière officielle... Il fallait que le subterfuge soit parfait et personne ne croirait en une femme capitaine, ni même une femme marchande. Peut-être devrait-il y aller lui-même, mais ça ne l'enchantait pas. Certes physiquement il pouvait passer pour un Gondorien. Certes le Commun était sa langue maternelle. Il sourit. Pouvait-on parler de langue maternelle sans jamais avoir connu sa mère ? Ni son père d'ailleurs. Le Commun il l'avait appris dans les rues d'Umbar, comme tout ce qu'il avait appris d'autres durant son enfance. C'était là que le bât blessait. Son accent n'avait rien de Gondorien, il venait du Sud aussi sûrement qu'on puisse l'être. Et c'était problématique. Il reporta son attention sur le garçon.

"Ah, de Gondor, comme c'est merveilleux ! C'est bien Jakov, c'est très bien, tu me seras utile..."

Reznor lui adressa un sourire carnassier. Sans doute pas de quoi rassurer son interlocuteur, et celui-ci tremblait la peur, ça ne faisait aucun doute, il n'y avait pas besoin qu'il le dise pour que ça se comprenne. Le pirate s'amusait avec le gosse. Il était d'humeur joyeuse et de fait il se sentait fort enclin à jouer un peu avec toutes ses proies, là dans ses cales. En un petit rire, il se rappela que ce n'était qu'un gamin. Inutile de trop le torturer...

"Ne t'inquiète donc pas tant, je n'ai aucune intention de te faire du mal... au contraire, dans ta situation, tu ne pourrais demander mieux !"

Mais le pirate n'expliqua en rien ce que mieux signifiait, laissant ceux qu'il avait sélectionné se demander ce qu'il avait en tête. Il se contenta de se souvenir que celui-là l'intéressait et continua son inspection, trouvant çà et là d'autres gens intéressants.
Lorsqu'il eut fait le tour, tous ceux qui avaient été sélectionné pour servir de guerriers furent emmené en haut, toujours attachés mais avec quelques cordages seulement. Le Seigneur Pirate les accompagna comme la plupart des autres forbans, laissant quelques sentinelles seulement.

Sur tous les navires, c'était la fête. L'occasion de fêter une victoire éclatante, l'occasion de se servir des provisions gracieusement offertes par le port de Methir. C'était l'occasion de manger du frais, et pas les rations qu'on se coltinait depuis le départ d'Umbar. Enfin, au moins pas ce temps, ça ne risquait guère de pourrir, mais on se lassait un moment. Là ils avaient emporté un stock de poisson qu'ils pouvaient consommer tout de suite, d'autres choses encore. Des bouteilles notamment. Pas qu'ils n'en ait déjà dans leurs cales. Là c'était toute une floppée qu'ils avaient déniché, et il fallait bien en faire quelque chose. Du vin, pour les officiers. Du rhum, pour le reste. Et pour les prisonniers sélectionnés. Eux aussi étaient invités à participer au festin sur le pont de la barge, et ils étaient copieusement arrosés, davantage encore que les pirates à vrai dire. Et à dire encore plus vrai, ce n'était absolument pas par hasard.

La vérité dans le vin, disait l'adage, et ma foi, ça marche aussi pour le rhum, à plus forte raison peut-être même. Reznor n'avait qu'à moitié confiance dans ces ladres qu'il avait déniché, et il voyait là un bon moyen d'y voir un peu plus clair parmi eux. On remplissait des coupes quand on ne buvait pas carrément à la bouteille, au fur et à mesure, les liens se déliaient, et les langues aussi. Un grand baraqué avec une tête d'abruti confirma ce que sa tête disait de lui quand il confia un peu trop fort qu'il égorgerait volontiers le Capitaine à un autre prisonnier. L'autre le dénonça de suite, mais on l'avait entendu bien sûr, l'alcool fait souvent parler fort. Trop, pour celui-là. Il était si plein qu'il remarqua à peine qu'on le passait par dessus-bord. Il fut le premier.
Le second à quitter le navire le fit volontairement. Il profita d'un moment d’inattention pour sauter du bastingage. Sans doute croyait-il sa fuite intelligente, mais elle fut accueillie avec de grands éclats de rire. Par ce temps, il n'avait aucune chance... Les éclats de rire redoublèrent quand on remarqua qu'il nageait dans la mauvaise direction. Quelle bêtise...
Un autre, complètement plein lui aussi, tenta bien d’étriper un pirate mais il n'était pas vraiment en état. Il passa par dessus bord aussi, en deux fois cependant, sa tête ayant décidé de profiter du festin un peu plus longtemps.

Après une joyeuse beuverie, ceux-là redescendirent, quelques-uns en moins, cependant. Ils étaient installés à l'écart, mieux lotis que les autres qui les regardaient soit avec envie, soit avec hostilité, soit les deux. Les sentinelles furent remplacés par d'autres, et le capitaine Reznor redescendit aussi. Ses prunelles luisaient d'un certain éclat, mais il avait l'air encore tout à fait lucide; tout imbibé qu'il était.

"Bien, mes Gondoriens, venez !"

On escorta les sélectionnés en haut, les munissant immédiatement de coupes remplies. Reznor s'adressa à eux tous.

"Bien, bien, vous allez faire un joli petit équipage... Vous voilà à présent marins et marchands sur un navire de commerce Gondorien !"

Il sembla porter un toast à ce moment, mais n'expliqua pas davantage ce qu'il entendait par là, et s'en alla passer de gens en gens, discutant avec eux comme un ami, alors qu'il ne cherchait qu'à démasquer ceux qui n'étaient pas dignes de confiance. Ses pas les portèrent finalement sur le dénommé Jakov...

"Alors, mon garçon... de Gondor même donc... Que fais-tu donc à Methir ? Tes parents ont émigré là, ou n'étais-tu que de passage ?"

Il marqua une courte pause.

"Si c'est le cas, tu dois avoir l'expérience des navires, non ? Cela pourrait m'être fortement utile... Dans tous les cas, tu dois avoir quelque talent particulier, non ?"
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Le Requiem mène la Flotte EmptyDim 7 Avr 2013 - 3:13
Le Capitaine pirate était un être incroyablement effrayant. On aurait dit un prédateur tout puissant, une sorte de serpent qui voulait forcer sa victime à s'offrir à lui, à lui présenter sa gorge dénudée, alors qu'il pouvait sans peine la broyer par la force brutale. Ses mots, suaves et doucereux, paraissaient tout aussi menaçants que les poings et les sabres des pirates qui servaient sous ses ordres. Même lorsqu'il s'exprimait avec calme et tranquillité, il n'était pas question pour quiconque d'oublier qui commandait, à bord. Qui décidait qui allait vivre et qui allait mourir. Qui pouvait, d'un simple claquement de doigt, d'un simple hochement de tête empreint de dignité, condamner ou gracier ceux qui n'acceptaient pas de le servir pleinement. Ce fut la raison pour laquelle, malgré son appréhension terrible, Jakov accepta de lever la tête vers le Capitaine lorsque celui-ci lui en donna l'ordre.

Il posa alors les yeux sur un homme qu'il sut immédiatement être complètement fou. Il avait le visage détendu comme celui d'un jeune homme normal, mais au fond de ses yeux, luisait une lueur que le garçon connaissait bien. Celle de folie sous sa forme la plus dangereuse. Sous des apparences civilisées et un regard qu'il voulait franc, il y avait fort à parier qu'en fonction de son humeur ou de son intérêt du moment, il pouvait faire exécuter ceux qui se trouvaient autour de lui. Un homme à ne pas contrarier donc, et pour qui il fallait avoir un intérêt certain, sans quoi il risquait de douter même du bien-fondé de votre existence. Jakov frémit perceptiblement, mais il fit un effort pour ne pas dire de bêtises, pour ne pas tenter de se justifier, implorer immédiatement qu'on le libérât. Il savait que ce genre de comportements risquait d'avoir l'effet inverse de celui escompté. Souffrir pour survivre, telle était la véritable clé pour échapper à la froide morsure de l'acier. Ceux qui ne savaient souffrir ne pouvaient pas espérer tenir le coup.

Jakov essayait de comprendre où le pirate voulait en venir, tout en faisant de son mieux pour ne pas paraître trop curieux. Il n'aurait jamais cru qu'il pût être utile à quoi que ce fût sur ce navire, sinon à ramer ou à frotter le sol pour faire disparaître des tâches imaginaires. Mais de toute évidence, ses origines gondoriennes lui donnaient subitement un intérêt particulier aux yeux du Capitaine. Difficile de savoir pourquoi a priori. Envisageait-il de le vendre comme esclave à un homme qui recherchait des habitants de Gondor ? Peut-être, après tout, mais ce n'était pas ce que laissaient entendre ses mots. "Tu me seras utile", avait-il dit. Dans quelle mesure cela pouvait-il être vrai ? Jakov n'était pas un marin. Il n'avait jamais navigué, et il ne savait rien des opérations complexes qui permettaient de diriger un navire. Il parlait le Commun, mais tous les termes afférents à la marine appartenaient à un univers qu'il ne maîtrisait pas. Il avait l'impression que la Capitaine se méprenait totalement sur son compte, le voyait bien plus utile qu'il ne l'était en réalité, mais pourtant il n'osait pas s'opposer à ces yeux, de crainte de déclencher en eux une fureur indomptable.

Déjà, rien que le sourire qui s'affichait sur le visage de cet homme aux cheveux blancs avait de quoi inquiéter... Comment interpréter cela sans imaginer le pire ? On pouvait supposer, à voir cet air affreusement inquiétant, qu'il mentait sans honte, et qu'il promettait en réalité au jeune garçon une mort certaine...ou un traitement plus cruel encore. Envisageait-il par exemple de le torturer sauvagement pour servir un dessein tout à fait différent : épouvanter des innocents, ou bien prévoyait-il de jeter son cadavre démembré dans un puits pour l'empoisonner ? Impossible à dire, mais à l'idée de voir son corps pourrir dans l'eau, Jakov sentit ses jambes se dérober sous lui, et il dut mobiliser toutes ses forces pour tenir debout, pour ne pas craquer devant cet individu et ne pas lui donner une seule raison de penser qu'il était incapable.

Avec un rire qu'il était difficile de qualifier de rassurant, le Capitaine lui assura qu'il serait bien traité, peut-être même mieux que les autres membres d'équipage. Jakov, malgré lui, haussa un sourcil interrogateur. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi. Et de toute évidence, pas grand monde n'en percevait la raison. Les autres prisonniers autour de lui semblaient étonnés de l'intérêt que lui portait le Capitaine, et ceux qui avaient perçu les mots qu'il avait prononcés avaient immédiatement froncé les sourcils. Après tout, le garçon n'était pas originaire de Methir, et sans doute que certains des habitants devaient déjà imaginer qu'il était un traître infiltré, et qu'il avait joué le rôle d'informateur. Jakov déglutit en voyant certains regards passer de l'étonnement à la fureur contenue. Il savait que certains lui vouaient désormais une haine féroce, mais il espérait sincèrement que la promesse du Capitaine était vraie, car en ce cas, il pourrait bénéficier de sa protection. Pour un temps, tout du moins.

Le pirate s'en alla ensuite, poser d'autres questions à d'autres prisonniers, ne s'arrêtant toutefois pas aussi longuement sur leur cas. Il termina bientôt, et convoqua tous ceux qui avaient été sélectionnés pour combattre. Au début, Jakov faillit sortir du rang, mais le médecin lui posa une main sur l'épaule, en lui montrant du doigt que tous ceux qui avaient été choisis pour une autre raison ne bougeaient pas. Les hommes, toujours entravés, laissèrent leur affaires derrière eux, et grimpèrent l'un derrière l'autre jusqu'au pont supérieur. Pendant ce temps, tous les autres s'étaient assis, sans trop comprendre ce qu'il allait advenir d'eux. Quelques sentinelles avaient été laissées dans la cale, peut-être parce que le Capitaine avait compris que sa sélection risquait de créer des tensions, ce qui obligeait les captifs à parler à voix basse. Le guérisseur se pencha vers Jakov, et lui demanda comment il allait :

- Laissez-moi tranquille ! Répondit ce dernier d'une voix mal assurée.

L'homme afficha une mine surprise, mais de l'indulgence se lut bientôt sur ses traits, et il revint à la charge d'une voix apaisante :

- Je ne veux pas vous faire de mal...Croyez-moi. Je veux juste savoir la vérité. Vous êtes...

Jakov regarda autour de lui, pour voir si personne ne les écoutait. Fort heureusement, tous étaient trop occupés à écouter au dehors, les bruits d'une fête qui semblait avoir lieu en présence des nouvelles recrues. Certains grommelaient pour eux-mêmes, sur le fait que des prisonniers vaincus qui avaient vu des amis mourir étaient désormais en train de festoyer avec leurs ennemis. L'indécence de la situation avait effectivement de quoi donner envie de vomir. Mais pendant qu'en haut, certains s'amusaient, en bas, Jakov et le guérisseur étaient tranquilles pour discuter. Ce dernier ne termina pas sa phrase, cherchant à obtenir une confirmation de ce qu'il pensait sans avoir à le formuler en premier à voix haute. De son côté, Jakov paraissait terriblement mal à l'aise. Il demeura silencieux un long moment, avant de déclarer :

- Ne dîtes rien à personne. S'il vous plaît.

Le guérisseur fit un mouvement de tête que l'on pouvait prendre pour un oui, mais il fut coupé tout à coup. Un bruit étrange et inattendu résonna à l'extérieur du bateau, et tous dans la cale se turent subitement. Certains s'interrogèrent à haute voix, cherchant à comprendre de quoi il pouvait bien s'agir. De toute évidence, les pirates ne s'en préoccupaient pas outre mesure : ils semblaient même s'en amuser. Peu à peu, une rumeur commença à enfler, tandis que ceux qui se trouvaient suffisamment prêt pour identifier ce bruit colportaient l'information. La nouvelle parvint finalement à Jakov et au guérisseur. D'après certain, il s'agissait de toute évidence d'un objet lourd qui tombe à l'eau. Les pirates avaient-ils décidé de jeter une partie de leur marchandise par-dessus bord ? En regardant autour de lui, et en constatant qu'entassés là, les prisonniers ressemblaient à du bétail, le garçon se dit qu'il ne devait pas être loin de la vérité. La question était de savoir pourquoi ?

D'autres "plouf" se firent entendre, tandis qu'au-dessus, la fête semblait continuer. Il y avait toujours de grands éclats de rire, et quelques cris d'encouragement. Les guerriers participaient-ils à une sorte de jeu ? Essayaient-ils de prouver leur valeur au Capitaine ? Participaient-ils à une sorte de concours ? Toutes les solutions étaient à envisager, même les plus folles. Surtout les plus folles, paradoxalement, car elles étaient celles qui permettaient d'oublier pour un temps que les gens qui plongeaient à l'eau étaient vraisemblablement morts. Quelques minutes passèrent après un dernier "plouf", avant que les guerriers ne descendissent dans les cales. Il ne fallut pas longtemps pour constater qu'ils avaient été rendus ivres. Certains ne tenaient presque plus debout, et ils débitaient des paroles incompréhensibles. Ils avançaient en titubant, et plusieurs trébuchèrent sur les pieds des prisonniers, avant de s'étaler de tout leur long. Cela ne fit rire que les pirates. Sous les yeux contrariés des non-sélectionnés, les guerriers furent déplacés, positionnés dans un coin du bateau plus favorable, où on ne trouvait pas autant de rats, probablement. Jakov nota cependant que plusieurs places restées libres contenaient toujours un paquetage. Ainsi, il avait la confirmation de ce qu'il avait soupçonné. Certains étaient bel et bien montés pour ne plus redescendre.

Alors, le Capitaine du navire, visiblement alcoolisé lui aussi, se glissa dans la cale et invita ceux qu'il appela presque affectueusement "ses Gondoriens" à le rejoindre sur le pont. Comprenant que c'était à son tour de jouer, Jakov quitta les rangs, non sans s'attirer quelques regards peu amène, puis se dirigea vers l'échelle. Il la gravit tant bien que mal, ses mains entravées ne l'aidant pas particulièrement. Puis il se retrouva enfin à l'air libre, où il inspira profondément. Ce ne fut qu'alors qu'il se rendit compte de la puanteur de la cale. Au dehors, le vent chassait l'odeur immonde, et il avait l'impression que chaque inspiration était un délice. Il se prit à sourire malgré lui, et il vit sur le regard de ses compagnons qu'il en était de même pour eux. Ils étaient heureux d'être sortis de là, fût-ce pour quelques minutes. Avant d'avoir eu le temps de comprendre, un pirate passa devant le jeune garçon, et lui fourra entre les mains une coupe remplie d'alcool. Du rhum, de toute évidence. Il la considéra avec suspicion. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?

Le Capitaine pirate porta un toast, tout en distribuant ses consignes. Les mains liées, Jakov leva tout de même son verre, imitant ses compagnons d'infortune, avant de glisser les lèvres dans le breuvage. Le tord-boyau lui brûla la gorge et il ne parvint pas à retenir une quinte de toux violente qui fit éclater de rire quelques pirates, qui ne purent s'empêcher de commenter sa jeunesse. Le garçon les ignora, tout en sachant qu'ils avaient raison de ne pas l'estimer à la hauteur de la tache qu'on entendait lui confier. Lui-même ne se sentait pas particulièrement à l'aise, et si on lui avait demandé de refaire ses lacets, la peur aurait encore trouvé le moyen de le paralyser. Il buvait aussi peu que possible, accompagnant du geste et du sourire les pirates qui dansaient, sans pour autant se laisser enivrer aussi facilement. Il n'était pas aussi bête que terrifié, et il lui semblait que tout ce manège était bien étrange. Feignant une ivresse soudaine, il renversa un peu de son breuvage. Pas moins que ses autres compagnons qui titubaient en éclatant de rire sottement, mais suffisamment pour parvenir à garder les idées claires quelques minutes de plus. Cependant, il simulait à merveille, et nul n'aurait pu croire qu'il n'était pas légèrement...joyeux.

Quelques minutes après le début de la "fête", le Capitaine s'approcha finalement de lui. Il avait de toute évidence rajouté quelques coupes à celles qu'il avait bues auparavant, mais cela ne l'empêchait pas de se montrer vif, et son regard n'avait rien perdu de son acuité. Ses questions ne se firent pas tarder, et il paraissait évident qu'il était impatient d'en savoir davantage. Jakov ne se fit pas prier, et tout en imitant une certaine lenteur, il lança :

- A Methir, m'sieur ? Je suis v'nu pour travailler, en fait... J'ai pas vraiment de famille, et j'comptais pas rester trop trop longtemps...m'sieur. J'voulais surtout gagner un peu d'argent, et puis...

Il s'interrompit, et laissa le pirate enchaîner sur d'autres questions qui lui tenaient à cœur. Il cherchait des gens qui avaient déjà navigué, ce qui n'était pas le cas de Jakov. Ce dernier fit une grimace qui indiquait clairement quelle serait sa réponse. Mais, tout en avalant une bonne gorgée de rhum - une vraie, cette fois, afin de se donner une crédibilité -, il déclara :

- Pas marin, ça non... C'est la première fois que j'monte sur un bateau, m'sieur. J'traverse plutôt par le gué...C'est moins...(il fit un mouvement qui évoquait le tangage)...'fin vous voyez. Mais j'ai du talent, ça oui ! Je suis artiste, m'sieur. Comédien en fait. J'ai déjà joué pas mal de rôles, et c'est comme ça que j'gagne ma vie...

Afin de cacher son trouble, Jakov fit semblant de perdre l'équilibre, et il se pencha pour se stabiliser quelque peu. En réalité, il venait de jouer un coup terriblement dangereux. Si le Capitaine venait à découvrir sa véritable nature, il le tuerait sur-le-champ, cela allait sans dire. Mais en lui révélant qu'il était acteur, il le mettait à la fois sur la voie pour faire la mauvaise découverte, et sur une piste qui le mènerait tout à fait ailleurs. Tout dépendrait de ce qu'il préférerait emprunter.

Jakov sentit l'ivresse le gagner très légèrement, et lui monter quelque peu à la tête. Il cligna des yeux à plusieurs reprises, et fit un effort pour se maîtriser. Le rhum était peut-être plus fort que ce qu'il imaginait, et il lui fallait se montrer vigilant.

L'alcool avait tendance à se révéler mauvais pour préserver les secrets.

Or elle ne pouvait pas en révéler un seul.


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Le Requiem mène la Flotte EmptyLun 8 Avr 2013 - 23:37
Reznor regardait attentivement le garçon avec qui il était en train de parler. Ce dernier buvait prudemment, dans sa coupe, à petite gorgées. Sans doute n'était-il pas tellement habitué à boire de l'alcool ainsi. De l'alcool aussi fort en tout cas. Le rhum était une tradition des marins et des pirates. Reznor esquissa un sourire tandis que cette pensée lui évoquait des souvenirs. Lui qui avait passé son adolescence sur des navires de forbans avait goûté tôt à cette tradition. Personne pour le surveiller, pour le disputer, et l'équipage qui ne manquait pas une occasion de faire jouer la pression collective, une occasion de s'amuser à voir le jeune mousse tituber et rendre tout le contenu de son estomac par dessus le bastingage... quand il arrivait jusque là, ce qui était préférable s'il ne voulait pas se faire imposer de tout nettoyer par après. Sans rien souvent, si Gandri était de mauvaise humeur. Le pirate se renfrogna tandis que ce nom lui venait à l'esprit. Le maître d'équipage était certainement une de pires ordures qu'il ait jamais côtoyé, et pourtant, dans son métier, il en voyait, des gens avec qui il n'était pas agréable de traîner. Gandri avait été jusqu'à lui voler ses bottes, les mêmes que la garçon semblait contempler avec tant d'attention dans la cale. Reznor ne put s'empêcher de sourire à nouveau. Ces bottes il les avaient bien aux pieds, et Gandri avait payé il y a déjà de ces années.

"Sans famille, hein ?"

Le Seigneur Pirate esquissa un nouveau sourire. Le rhum, même s'il avait appris à bien le supporter, avec l'habitude, le rendait particulièrement joyeux. Déjà que le singulier capitaine avait la manie de sourire à tout bout de champs, il semblait être prêt à partir dans un éclat de rire toutes les cinq minutes. Sa main s'engouffra dans sa chemise de lin et il en sortit un brûle-gueule d'olivier tout biscornu et une petite bourse de cuir. Jakov eut par là le loisir d'apercevoir l'impressionnante collection de couteaux et de poignards que Reznor avait toujours à portée de main, cachée sous sa chemise. Tandis qu'il ouvrait la bourse et bourrait la pipe de tabac, il ne pouvait s'empêcher de penser que la piraterie était une formidable opportunité pour un gamin vagabond et sans attaches. Cela lui avait après tout assez bien facilité la vie à lui-même, même si l'opportunité lui était venue bien plus jeune, lui. Elle avait été dure à avaler, au début, il avait payé un lourd prix. Tous ses amis, envolés, passés au fil de l'épée. Reznor se disait souvent, pour apaiser sa conscience, qu'à mener la vie de misère qui était la leur, ils auraient fini par mourir, de toute façon, lui et eux. C'était faux, il le savait, ils avaient bien réussi à survivre toutes ces années auparavant.

"Capitaine ! C'est Capitaine, pas monsieur... Certains m’appellent Seigneur, comme il est d'usage pour les Neuf, mais Capitaine me va amplement... Pas rester longtemps, hein ? Eh bien palsambleu, on t'aura aidé dans cela alors ! Et pour ce qui de gagner de l'argent, je l'ai dit, vous allez m'être utile, et tu pourrais bien y gagner là plus que ta liberté..."

Reznor alluma le brûle-gueule avec un briquet à amadou et tira une bouffée tandis que Jakov prenait une bonne gorgée avant de répondre à ses questions suivantes. Ce que dit le Gondorien par après était particulièrement intéressant.

"Comédien... voilà qui me plaît..."

Reznor marqua un moment d'attente pour analyser précisément le comportement de son interlocuteur, ses mouvements, ses mimiques. Saouler les prisonniers avait pour but de les faire se dévoiler tels qu'ils étaient vraiment, et un comédien, eh bien, était bien placé pour faire l'inverse... Mais il ne pensait pas avoir grand chose à craindre du garçon, et il lui serait utile...

"Mon petit Jakov, j'ai bien envie de te confier le rôle de ta vie... C'est à une ville entière que tu devras jouer la comédie, et il faudra que ce soit convaincant, sous peine de mort... Tu pourrais faire un mousse, ou le fils du marchand peut-être, encore me faut-il un marchand... Oui, c'est cela, un vrai comédien, autant lui confier un bon rôle, ça ne fera que plus vrai... Tu connais Arzawa, mon garçon ?"

Il faudrait bien un moment leur révéler son plan. Pas aujourd'hui, c'était encore la phase de test. Peu avant, un des sélectionnés n'avait manifestement pas remarqué que les festivités précédentes avaient été fatales à plusieurs prisonniers. L'alcool est mauvais pour la santé, disaient certains, ils vous mènent à la tombe. Cela n'avait jamais été autant vrai qu'aujourd'hui. L'homme avait essayé d'étrangler un pirate, c'est lui qui eu mal la gorge finalement. Et pour seule tombe, l'océan gris et froid, comme nourriture pour poisson et les autres choses bizarres qu'il y a au fond. Tirant une nouvelle fois sur son brûle-gueule, Reznor reversa une bonne rasade dans la coupe de Jakov.

"Je ne doute pas de tes talents d'acteur pour tout le reste, mais j'ai l'impression que tu manques un peu de pratique pour l'ivresse. Mieux vaut que tu avales ça, donc..."
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Ryad Assad
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Le Requiem mène la Flotte EmptyMar 9 Avr 2013 - 16:55
La conversation que Jakov entretenait avec le Capitaine pouvait paraître tout à fait naturelle, encore plus parce qu'ils étaient tous les deux en état d'ivresse. Une ivresse presque simulée pour le premier, et presque contrôlée pour le second. Ils avaient l'air de deux compagnons, l'un plus âgé et plus expérimenté que l'autre, bien entendu, mais cela ne ressemblait pas à un interrogatoire. Et pourtant, Jakov se sentait de plus en plus pris au piège par cet homme particulièrement étrange, qui semblait se complaire dans cette débauche, sans pour autant la laisser lui faire perdre le fil de ses pensées. Il avait beau avoir l'air légèrement moins concentré, ses yeux n'en demeuraient pas moins plongés dans ceux de Jakov, qui s'évertuait à éviter de croiser ce regard acéré. Il craignait que celui-ci ne déchirât le voile de mystère qui entourait sa personnalité, et préférait ne pas vérifier si le marin en serait capable du premier coup ou non. Prudence, toujours la prudence !

D'ailleurs, peut-être même que le nouveau moussaillon se montrait trop précautionneux. Après tout, n'était-il pas paranoïaque à considérer que le Capitaine, visiblement bien imbibé d'alcool, pouvait encore comprendre à qui il parlait ? Allait-il même seulement s'en souvenir ? Il était tentant de lui faire confiance, de se laisser aller à des confidences qui paraissaient anodines. C'était tellement tentant. Se confier, dire la vérité, croire dans la bonté de l'autre, et lui révéler ses secrets, ses faiblesses. Une chose qui pouvait se montrer fort désagréable. Le visage de Jakov changea, ses sourcils se froncèrent légèrement, et cette réaction eu le malheur de coïncider avec la question du pirate à propos de sa famille. En s'en rendant compte, les yeux bleus du garçon semblèrent s'égarer dans le passé, pendant un instant très bref, avant qu'il ne revînt à la réalité. D'une voix atone, il répondit :

- C'est ça... Sans famille.

La sécheresse de son ton le surprit lui-même, et il tenta de l'atténuer en trempant les lèvres dans le rhum. Il lui semblait que même ainsi, il sentait l'ivresse le gagner peu à peu, comme un poison se répandant dans ses veines. Il n'en avala pas davantage, peu désireux de tester ses limites et de voir jusqu'où il pouvait boire avant d'ouvrir les portes de son jardin secret à cet homme qui ne demandait que ça. Résister, toujours résister ! Le Capitaine avait-il remarqué ce léger mais soudain changement d'attitude ? Impossible à dire, mais en tous cas il lui prenait désormais l'envie de fumer. Il sortit de sa poche intérieure un objet comme Jakov en voyait rarement. Suffisamment pour se demander comment un homme tel que lui avait pu s'en procurer un. Au passage, il ne manqua pas de noter les armes que le pirate dissimulait sur lui. Belle collection. Et il y connaissait quelque chose. La chemise se referma sur l'arsenal de mort, et le guerrier redevint un aimable compagnon de beuverie. Avec un tel homme, "retourner sa veste" prenait un sens tout à fait nouveau.

Les questions de Jakov quant à comment il en était venu à obtenir une véritable pipe, et de bonne qualité en plus, ainsi que l'herbe qu'il fumait, obtinrent une réponse assez rapide de la bouche même du pirate. Visiblement, celui-ci tenait à ce que fût respectée la hiérarchie. Or le garçon ne connaissait pas très bien les titres et les grades de la piraterie actuelle, et appeler l'homme "monsieur" lui semblait être le plus sûr. Mais visiblement, cet homme aux cheveux blancs souhaitait qu'on l'appelât capitaine. Toutefois, peut-être aidé par l'alcool ou par une confiance immodérée dans sa supériorité, il se prit à révéler qu'il appartenait aux Neufs. Jakov n'avait qu'une connaissance limité de la politique des terres du Sud, mais il n'était pas ignorant au point de ne pas savoir que la cité pirate d'Umbar était contrôlée par un conseil composé de neuf pirates. Il avait du mal à croire qu'il se tenait présentement en face de l'un d'eux. Un homme si puissant qu'il pouvait tuer quiconque sur-le-champ sans rencontrer la moindre contestation. Fort heureusement, il était de bonne humeur, et il semblait même enclin à parler. Il confia à Jakov qu'il pouvait gagner plus que sa liberté. Le garçon entendit bien la proposition qui se cachait derrière cette simple phrase - le libérer en échange de ses services -, mais il préféra jouer l'idiot et poser la question, peut-être un peu dénuée de manières, qu'il aurait posée s'il avait été ivre :

- Hein ?

D'une main experte, le pirate alluma sa pipe, avant de se délecter de la première bouffée qu'il sembla savourer comme s'il s'était agi d'un met particulièrement délicieux. Jakov, en face, avait l'impression que l'on avait fait brûler un cadavre. Il se garda toutefois de faire le moindre commentaire, et il fit en sorte de respirer par la bouche de manière aussi discrète que possible.

Les explications du pirate ne tardèrent pas à venir, et Jakov dut faire un profond effort de volonté pour ne pas craquer et laisser fleurir sur son visage un sourire de satisfaction. Ainsi, le Capitaine avait marché, et il considérerait qu'avoir un comédien dans son équipage était une arme. Une petite victoire, mais une belle avancée qu'il aurait été fou de négliger. Comme si cela avait renforcé leurs liens et créé de la confiance entre eux, le Capitaine se mit à expliquer dans les grandes lignes son plan, et Jakov fit de son mieux pour en saisir le contenu, mais surtout essayer d'en comprendre la logique. Jouer la comédie devant une ville entière ne pouvait signifier qu'une seule chose : que les pirates prévoyaient de s'en prendre à une autre cité, qui serait très probablement plus coriace que Methir. Le petit port était tombé en quelques heures, et à la connaissance du prisonnier, il n'y avait pas eu besoin d'un comédien pour l'enlever. Alors que Jakov se demandait quelle pouvait être la prochaine cible, ses pensées penchant davantage pour Pelargir, le Capitaine parla de Arzawa. Le garçon regarda un instant en l'air, avant de répondre :

- Non Capitaine...Désolé... Je n'y suis jamais passé.

Craignant que cela le rendît inutile, et donc potentiellement sacrifiable, il s'empressa d'ajouter :

- Mais j'apprendrai tout ce qu'il faudra ! Je vous assure !

Tant de sincérité chez un comédien...quel beau paradoxe. Non loin d'eux, un des conviés à la fête, qui visiblement avait la gorge très sèche en arrivant, s'était emporté contre un pirate, et avait bruyamment tenté de se jeter sur l'un d'eux avec l'intention évidente de le tuer. Les hommes de bord autour de lui l'avaient expédié sans pitié au fond de l'eau, mais si dans la confusion le garçon n'avait pas vu ce qu'il s'était passé, il avait noté le sang sur le pont, et il savait que l'homme était mort avant de percuter la surface de l'eau. Le jeune homme sentit un frisson le parcourir, et il était si terrorisé qu'il se serait jeté aux pieds du pirate pour l'implorer d'être clément avec lui, si ce dernier n'avait pas au préalable - profitant de ce qu'il regardait ailleurs - rempli sa coupe de rhum.

Le garçon se sentit immédiatement comme un lapin qui croit avoir échappé à un prédateur, et qui au détour du chemin qui le ramène chez lui, se rend compte que celui-ci l'attend, posté patiemment depuis de longues minutes. Il en allait de même avec le pirate, qui avait pour le coup joué la comédie au comédien, et qui avait réussi à l'emmener là où il voulait. Jakov regarda le verre qu'il tenait entre ses mains bien entretenues, tout en écoutant les paroles du pirate. Il avait l'impression d'entendre à la fois sa profonde méfiance et son rire triomphal derrière chacun de ses mots. Hésiter ne servirait à rien. Se défiler serait une énorme erreur qui pouvait coûter cher. La seule option était de traverser l'obstacle en espérant en sortir aussi indemne que possible. D'une toute petite voix, Jakov répondit :

- Oui, Capitaine. Merci, Capitaine...

Puis il porta la coupe à ses lèvres, et en but suffisamment pour qu'il fût impossible au Seigneur pirate de douter de la sincérité de son geste et de ses effets. L'alcool se répandit comme un torrent de feu dans sa gorge, et il se mit à tousser tandis que ses joues prenaient quelques couleurs. En quelques secondes, il se sentit bizarre. Il ne savait plus vraiment où il en était, ni qui il était. Elle avait chaud, et sous son bonnet, il avait l'impression d'avoir de la fièvre. Les rires autour d'elle semblaient plus forts et désagréables à son oreille. Et puis le bateau avait recommencé à tanguer. Clignant des yeux en espérant que sa vision finît par se stabiliser, Jakov fut surprise de constater qu'il ne semblait y avoir que lui qui était victime de ce tangage. Les autres continuaient à s'amuser, à rire et à chanter. Pour lui, en revanche, le bateau était pris dans une tempête folle, et son estomac ne paraissait pas conçu pour affronter ce genre de choses.

Un dernier réflexe, sans doute de pudeur, la poussa à courir tant bien que mal vers le bastingage par-dessus lequel il se pencha pour rendre à l'océan tout ce qu'elle avait ingurgité comme alcool. Les pirates semblaient se réjouir de la voir ainsi mis mal à l'aise par une simple gorgée de rhum. Des éclats de rire lui parvinrent de derrière lui, mais il préféra ne même pas imaginer combien de pirates la tournaient actuellement en ridicule. De toutes manières, elle se rendit compte qu'il avait été stupide de vouloir s'intégrer dans un équipage de pirates. Ils avaient toujours le dernier mot, et ce genre de moqueries allait faire partie de son quotidien. Cassé en deux, il vomit à s'en déchirer la gorge, toussant et crachant comme si elle avait un Gobelin coincé dans l'estomac, avant de tomber à genoux par terre, le souffle court et le corps tremblant, mais surtout cruellement humilié et maltraité.

Il avait un début de mal de tête, qui ne ferait que s'aggraver avec le bruit de la fête, mais il trouva tout de même une consolation à cet épisode qui l'avait secoué : au moins, il avait réussi à s'éclaircir un peu les idées, et à chasser en grande partie l'alcool qui l'habitait peu avant. Cela, il ne l'avait pas prévu, et même si l'idée lui avait traversé l'esprit, personne ne pouvait simuler une telle réaction. De la paume de la main, il écrasa les larmes qui coulaient inutilement sur ses joues, et rajusta le bonnet sur sa tête. Il espérait simplement qu'il n'y aurait plus de questions. Il ne voulait plus de mauvais traitements. Il souhaitait simplement faire ce que le Capitaine attendait de lui, et puis retrouver sa liberté. Point final.


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Le Requiem mène la Flotte EmptyJeu 11 Avr 2013 - 0:36
Le Capitaine esquissa un nouveau sourire carnassier lorsque le garçon engloutit une longue gorgée de rhum. Cette fois-ci, il était certain que le geste n'était pas feint, et Reznor en était ravi. Il voulait après tout que tout le monde profite de la même manière de sa petite fête, et que tous se retrouve dans un état second comparable à tous les autres gens présents. Les effets de cette gorgée peut-être trop entreprenante ne tardèrent pas à se faire sentir lorsque Jakov se précipita pour vomir ses tripes par dessus le bastingage. Sa course montrait bien que le jeune homme avait bel et bien abusé de la boisson. Quelqu'un qui fait semblant d'être saoul a toujours tendance à paraître hésitant, maladroit, tendance à aller de travers même dans un état d'empressement. Or Reznor le savait d'expérience, un véritable ivrogne, lorsqu'il est sur le point de nourrir les poissons avec le contenu de son estomac, il ira toujours au plus vite, comme poussé par une force étrange qui lui permettra un instant de surmonter son état d'embarbouillement. Le pirate nota du fait que comme il l'avait imaginé, le jeune homme n'était guère habitué à l'alcool, sans quoi il n'aurait certainement pas déjà flanché après si peu de verres. Voilà qui ne manquerait sans doute pas d'en faire un objet d'amusement parmi les autres marins, mais ce n'importait guère, le garçon n'était de toute façon pas destiné à être beaucoup en contact avec eux. Reznor s'était d'ailleurs abstenu de ricaner comme les autres devant ce spectacle. C'était sa faute après tout. Comme c'était sa faute si quelques soûlards avaient essayé de jouer à plus malin que les pirates. Un pirate, imbibé d'alcool qui plus est, avait beau ne pas être le fleuron de la société, sa ruse restait intact, et celle du Capitaine avait fait tomber quelques masques au cours de la soirée. Il en était ravi.

Pendant que Jakov reprenait ses esprits, Reznor se désintéressa du garçon, lui laissant toute l'occasion de digérer quelque peu, et de faire sympathie avec les autres membres de sa sélection, et de l'équipage pourquoi pas, pour autant que sympathie il soit possible de faire avec ces gens qui devaient lui paraître si rustre. Son intérêt s'était porté ailleurs. Se balançant agilement au bout d'une corde, comme pour aller à l'abordage, Vedraï était arrivée sur le navire. Il ne s'en étonna pas, comme il avait justement demandé à ce qu'on la fasse venir, et se dirigea vers elle.

Le Requiem mène la Flotte Vedrai10

"Tu as laissé la barre du Requiem à qui ?"

"Aran'nar. Ne vous inquiétez pas, le navire ne risque rien." répondit-elle un sourire aux lèvres. La maître d'équipage et commandante en second du bateau pirate était sans doute l'une des rares de l'équipage à ne pas se sentir obligée d'ajouter un Capitaine chaque fois qu'elle s'adressait à Reznor.

"Voilà ton nouvel équipage ! J'ai encore une sélection à faire, mais je compte sur toi pour mener la mission. J'ai bien peur que mon accent ne fasse pas crédible, donc je compte sur toi. Officieusement du moins." précisa Reznor en aspirant une bouffée de son infâme brûle-gueule.

"Officieusement ?"

"Oui... il faudra nommer un homme capitaine du navire, sinon ils ne trouveront pas ça crédible... J'ai bien peur que tu doives te contenter du rôle d'une fille de marchande... ou d'une épouse, peut-être. Ce serait déjà bien aventureux, mais en mentionnant ton petit nom de noblionne, ça devrait faire très réaliste..."

Vedraï se renfrogna visiblement, même dans son état avancé, Reznor ne s'en rendit compte qu'après quelques secondes et, tirant sur sa pipe, il resta un instant songeur, se demandant ce qui l'avait offensé. Etait-ce le noblionne ? Son sang bleu avait pourtant déjà attiré moult plaisanteries sans qu'elle s'en offusque. C'était différent cette fois..

"Je ne pense pas, non..." Son ton semblait étrangement cassant, ce qui ne manqua pas d'étonner Reznor. Elle ne se permettait d'ordinaire pas ça. "Même après toutes ces années, je crois que le nom d'Illicis doit encore être dans les mémoires de quelques vétérans d'Arzawa... Ca n'attirerait que des questions, et des ennuis avec, d'office..."

Il fallut plusieurs instants pour que le Seigneur Pirate comprenne ce qu'elle voulait dire par là. Et soudain, le choc causé par la situation faillit lui faire lâcher sa pipe lorsqu'il se rendit compte de ce qu'il demanda de sa seconde. Vedraï n'avait jamais manifesté de problèmes particulier à s'opposer au Gondor. Elle faisait une belle petite traîtresse à ses origines qui n'en avait guère à faire. Mais il lui avait échappé le lien qui nouait sa famille au Harondor. Pas vraiment une surprise. Les pirates ne parlaient guère de leurs familles, et surtout pas Reznor qui n'en avait pas. Mais c'était là une faute d'ignorer le fait que d'autres en avaient une. Sylphide d'Illicis n'avait-il pas été un des plus hauts gradés de la guerre du Harad ? Le bras droit de Radamanthe ? Reznor réalisa avec horreur ce que cela aurait pu signifier si le Compte n'était pas mort cinq ans plus tôt. N'aurait-il pas fini à la cours de l'Emir, au Gouverneur d'Arzawa peut-être ? S'en serait-il souvenu si ça avait été le cas ? Ou aurait-il entraîné sa maître d'équipage dans une guerre contre son propre père sans même le remarquer ? La trahison n'en était pas moins là. Il obligeait Vedraï à briser tout ce que son paternel avait établi, tout ce pour lequel il s'était battu ? La liberté du Harondor par rapport à l'Est...

"Ah... oui..." fit-il bêtement. "Tu veux que je charge quelqu'un d'autre de la mission ?"

Vedraï resta un instant silencieuse, elle semblait tiraillée par les questionnements. Il ne l'allait jamais vu ainsi, à par peut-être quand elle avait appris la mort de son père, par un total hasard, près de trois ans après qu'il soit tombé. Elle avait alors semblé s'interroger sur la vie d'aventure qu'elle avait choisie par une bravade d'adolescente. Mais elle avait atteint le point de non-retour. Alors comme aujourd'hui.

"Non... Papa est mort il y a longtemps... Après tout, je ne serai que la deuxième de la famille à prendre Arzawa... Et je connais la ville, c'est un atout..."

Reznor voulu se fouetter. Comment avait-il pu oublier qu'elle avait vécu là avant d'embarquer pour Umbar ? Elle ne l'avait mentionné qu'au passage, autours d'une bouteille de vin de Dorwinion, mais le Pirate se tarquait pourtant d'une bonne mémoire. Quel pitoyable mouscailleux il faisait.

"Ce sera l'occasion de veiller lors des pillages. J'entend être claire... Tout ce qui se trouve dans la villa Gelin sur la Place des Oliviers m'appartient. Personne n'y touchera sous peine de mort..."

Elle semblait inflexible, et Reznor n'avait aucune envie de la contrarier. Son oubli était impardonnable. Il acquiesça silencieusement et détourna son attention sur ce qui se passait non loin. Un sélectionné passablement éméché semblait s'entretenir avec Jakov. S'entretenir était un bien grand mot. L'ivrogne paraissait surtout parler tout seul, sans s'en apercevoir. Reznor eut un sentiment de malaise tout à coup. Cela signifiait que le garçon pouvait tout autant avoir choisi de suivre leur petite conversation plutôt que d'écouter les braillements de son interlocuteur désigné. Il se mordit la langue à cette pensée. Il avait été si ridicule face à Vedraï.

Comme pour se laisser le temps de rassembler ses pensées, il signifia à celle-ci qu'il valait mieux qu'elle fasse le tour des recrues pour voir ce qu'elle en pensait. Elle saurait se montrer plus objective, sans doute non sans rapport au fait qu'elle soit moins saoule.
Cela ne l'empêcha pas de vite se munir d'une coupe et d'une bouteille de rhum, avant de commencer son tour. Elle arriva vite aux alentours du jeune Jakov, qui l'intrigua.

"Je suis Vedraï, je serai votre commandante." fit-elle en guise de présentation. Le saoulard voulu faire une sorte de révérence, mais s'étala de tout son long, et s'endormit immédiatement avec force ronflements. Elle demanda son nom à Jakov, qui lui répondit sans grand assurance.
Elle se mit alors à détailler le garçon de son regard, l'observant attentivement de ses yeux bleus comme la mer mais perçants comme l'acier. Cela avait quelque chose d'étrange et d'inquiétant, car elle, encore inaffectée par l'alcool, semblait se montrer plus à même de voir des choses qui échappait aux autres. Juste avant, elle avait déclaré un homme indigne de confiance, sans qu'on sache vraiment ce qui l'avait mis sur la piste. Elle s'avéra cependant tout à fait exacte. Ici son observation silencieuse était assurément doublée d'une réflexion profonde. Elle finit cependant à poser ses yeux directement dans le regard du garçon, et de déclarer :

"Jakov... étrange, ça me fait plutôt penser à un nom de garçon... Pourtant..."
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Ryad Assad
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Le Requiem mène la Flotte EmptyJeu 11 Avr 2013 - 13:48
Jakov demeurait assis à même le pont, prostré comme une petite créature dépourvue de la moindre énergie. Et à dire vrai, c'était presque son cas. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas mangé un vrai repas, et ingurgiter autant d'alcool ne lui réussissait pas vraiment, il fallait l'avouer. Il n'avait pas la résistance de ces marins, et ceux-ci s'amusaient de sa faiblesse, alors qu'ils ne comprenaient rien. Peut-être était-ce le vent froid qui lui fouettait le visage, ou peut-être que cette humiliation publique lui avait coûté davantage qu'il ne voulait l'avouer. Dans tous les cas, il était certain que de petites larmes continuaient à couler le long de ses joues. Il savait cependant que les pirates mépriseraient cette réaction, et en profiteraient pour le torturer. Préférant éviter de leur donner l'impression que ce genre de choses l'atteignait, il décida de prendre quelques instants pour se redonner une contenance, tout en écoutant les voix dans sa tête qui l'encourageaient à tenir bon.

- Ca ira...Marmonna-t-il. Ca ira.

- Tu dis quoi ?

Jakov leva la tête subitement, craignant que le Capitaine ne fût celui qui avait posé la question. Parler tout seul, cela ressemblait bien trop à l'attitude de quelqu'un qui ourdit quelque complot, et ce n'était pas véritablement de ça que les pirates avaient besoin à bord de leur navire. Maudit alcool ! Etait-il donc si éméché qu'il ne parvenait plus à se contrôler, et à tenir sa langue ? Serrant les mâchoires pour s'empêcher de dire une bêtise plus compromettante, il laissa toutefois échapper un soupir de soulagement en constatant que ce n'était qu'un autre des prisonniers qui s'était rapproché pour lui parler. Il empestait l'alcool, et semblait particulièrement proche de tomber, même si une force mystérieuse acceptait encore de lui prêter un soupçon d'équilibre. Le phénomène en lui-même était incroyable, mais paradoxalement inintéressant dans la situation présente. Jakov avait plutôt envie de se concentrer sur le Capitaine pirate, qui se trouvait pas très loin, et qui parlait avec une femme qui venait d'arriver.

Elle paraissait faire partie de l'équipage, et même y être bien intégrée, car elle ne faisait pas preuve de crainte alors qu'elle se trouvait en face du Seigneur. A moins qu'elle ne le cachât bien mieux que les autres marins. Difficile à dire. D'où il se trouvait, malgré les bruits de la fête, Jakov comprenait à peu près ce dont ils discutaient. Ils évoquaient sans vraiment entrer dans les détails l'opération qui les mènerait à Arzawa. Le jeune garçon n'était pas particulièrement versé dans la stratégie militaire, mais il lui semblait incongru qu'un Capitaine parlât de stratégie avec ses officiers subalternes...à moins qu'elle n'occupât un rang particulier dans la chaîne de commandement. En essayant de se montrer aussi discret que possible, il analysa leurs réactions, et arriva à la conclusion qu'elle devait occuper un poste spécial. Cela expliquait la relation presque égalitaire qui les liait.

- Hé ! Tu m'écoutes ou bien ?

Jakov leva la tête vers l'ivrogne qui se trouvait à côté de lui. Il était toujours là, et visiblement pas pressé de partir. Peut-être - à en juger par la manière dont il s'appuyait contre le bastingage - parce qu'il n'en était plus capable. Le garçon aurait voulu s'éloigner, mais la conversation qu'il percevait semblait trop intéressante pour être négligée. En apprendre autant qu'il le pouvait sur les personnes qui détenaient véritablement le pouvoir, c'était peut-être la meilleure chance qu'il avait de survivre. Si son voisin acceptait de se taire, évidemment.

- Oui, oui, j'écoute.

- Ah...Très bien...Je disais quoi ? Ah oui ! Mon champ ! J'y élevais de belles bêtes. Ma plus belle vache venait juste de nous donner un petit, et il avait l'air en parfaite santé...Je m'en occupais avec ma fille, qui...

Jakov lui adressa un sourire que l'homme aurait pu percevoir comme affligé s'il n'avait pas été aussi soûl. Il le prit comme un encouragement à continuer, toutefois, et il se mit à raconter à quoi ressemblait son inintéressante petite vie avant que les pirates n'arrivassent et ne l'enlevassent. Le garçon avait déjà décroché, et reporta son attention sur le Capitaine et la femme.

Il retourna à ces deux là juste à temps pour noter une gêne qui venait visiblement de s'installer. La femme semblait quelque peu contrariée, crispée...Difficile de le dire avec certitude, tant elle se montrait rigide dans son attitude. Toutefois, il était évident que quelque chose ne lui plaisait pas. Et cela était confirmé par la réaction, en face, du Seigneur Pirate. On aurait dit qu'il était...honteux ? Jakov s'attarda sur lui un moment, examina son comportement, et écouta ses paroles aussi attentivement que possible. Il avait beau examiner la situation sous tous les angles, il lui semblait bien que le pirate s'en voulait...aussi incroyable que cela pût paraître. Paradoxalement, lui qui était le chef d'une bande de forbans venus d'un peu partout, qui saccageait, pillait et tuait sans vergogne...il ne lui avait pas fallu plus de quelques secondes avec cette femme pour se retrouver à s'excuser dans l'attitude, même s'il ne consentait pas à le formuler à voix haute. Sans doute pour préserver les apparences.

Jakov écouta jusqu'au bout, et il ne regretta pas d'avoir pris ce risque, car il comprit que la femme était elle-même originaire de Arzawa. D'après ses propres dires, il y avait un endroit de la ville qu'elle voulait voir épargné. Son "chez-elle". Un endroit, donc, où pendant l'assaut, ne se trouverait aucun pirate. Une magnifique porte de sortie. Il était étonnant de constater que ce n'était pas une requête formulée à son Capitaine, mais bien un ordre qu'elle semblait donner. Quelle était exactement la nature de leur relation ? Il y avait vraisemblablement plus qu'un lien hiérarchique qui les unissait. Etaient-ils de vieux amis ? Des compagnons d'armes particulièrement proches ? Des amants ? Jakov fronça les sourcils. Amis, compagnons, amants. Tout cela lui semblait étranger, et il ne comprenait pas comment il était possible de s'enticher de quelqu'un, si ce n'était pas par intérêt. Sauf pour une personne.

- Et ces petits canards...ils étaient si adorables à suivre leur mère.

Jakov leva les yeux au ciel. L'ivrogne n'avait toujours pas terminé de parler. Il avait désormais des larmes dans la voix, et les souvenirs d'un passé paisible l'assaillaient au point de faire vaciller sa raison plus encore que l'alcool qu'il avait bu. Il n'arrêtait pas de parler de sa fille, de sa fille. De sa "gentille petite fille". De son "adorable fille". Jakov n'en pouvait plus de l'entendre jacasser. Il reporta son attention sur les deux pirates, et croisa momentanément le regard du Capitaine. Avec une vivacité surprenante, il baissa les yeux, essayant de maîtriser les tremblements de son corps et les battements de son cœur. Il n'avait pas confirmé qu'il les écoutait - grâce à la distraction offerte par l'ivrogne -, mais il avait lu dans les yeux de cet homme un brin de suspicion qui ne lui disait rien de bon. Il valait mieux se montrer trop prudent que pas assez. C'était essentiel pour survivre.

Afin de semer encore davantage le doute dans l'esprit du Capitaine, qui l'observait peut-être, Jakov réagit - enfin ! - aux paroles de l'ivrogne qui lui tenait la jambe depuis maintenant de longues minutes. Il aborda le sujet de sa fille, et les yeux de l'homme se mirent à pétiller. Volubile quoique malhabile à formuler les mots les plus compliqués, probablement en raison de la dose massive d'alcool qui courait dans son organisme, il se mit à expliquer qu'elle étudiait le droit, et envisageait de se rendre à Dur'Zork pour y faire une carrière juridique. Ce n'était pas tout le monde qui pouvait se permettre d'envoyer un enfant là-bas, mais elle avait, d'après lui, de réelles dispositions, et elle pourrait faire une belle carrière.

- Je n'en doute pas. Si elle a de la chance, elle gagnera beaucoup d'argent. Et de la chance, elle doit en avoir pour avoir échappé aux pirates.

Jakov avait lancé ça sur un ton badin, mais le regard de l'ivrogne changea du tout au tout. De grosses larmes coulèrent le long de ses joues, et il se mit à sangloter comme un enfant. Pas besoin d'être devin pour comprendre qu'il vivait dans un rêve. Sa précieuse petite fille n'avait de toute évidence pas survécu à l'attaque. Prendre conscience de cette réalité le faisait souffrir. Une souffrance que seul le déchirement causé par la perte d'une famille peut provoquer. Une souffrance dont personne ne pouvait jamais guérir totalement. Une souffrance qui... Jakov ferma les yeux un instant, oubliant le souvenir de ses parents, l'enfouissant derrière un masque d'impassibilité. Il posa une main sur l'épaule de l'homme, et lui dit :

- Soyez fort. Votre fille n'est plus, mais vous oui.

- Je n'ai plus de raisons de vivre...Ils m'ont tout pris !

- Chut...ne vous faites pas remarquer. Attendez soigneusement votre heure, endurcissez-vous, et guettez l'occasion. Quand le moment sera venu, vengez la mémoire de votre fille. Ne la rejoignez pas avant d'avoir fait payer les responsables.

Le visage de Jakov avait changé du tout au tout alors qu'il parlait. Devenu soudainement froid et insensible, ses yeux étaient devenus comme inexpressifs. Il avait parlé d'une voix grave et profonde, envoûtante. Comme par enchantement, l'homme sombra dans un état d'hébétude qui sembla chasser son ivresse. Il écouta ces mots qui faisaient vibrer la bonne corde au plus profond de son âme, et les grava dans son esprit, comme la petite lumière qui lui indiquait le chemin à suivre au milieu des ténèbres. Jakov vit dans ses yeux qu'il avait compris, et qu'il était résolu. Il n'était plus un homme. Il était une arme autodestructrice qui emporterait probablement un pirate dans sa tombe. Activée, elle frapperait à un moment donné, mais nul ne pouvait savoir quand. Dans tous les cas, il était certain que cela fournirait une excellente diversion...s'il ne mourait pas avant d'avoir eu le temps de faire couler le sang.

Le garçon lui adressa une tape amicale sur l'épaule, retrouvant son visage juvénile, et son innocence. Les deux se redressèrent en voyant arriver la femme qui avait discuté avec le Capitaine. Elle se présenta en une phrase, sans perdre de temps en cérémonie. Directe et franche, habituée à être obéie, il valait mieux ne pas la contrarier, et encore moins essayer de l'amadouer. Le risque était trop grand. L'ivrogne s'y essaya pourtant, tentant une révérence maladroite qui le déstabilisa. Son fragile équilibre rompu, il s'affala face contre terre, sans même lâcher un "aïe", et y resta figé. Jakov ne savait trop comment la saluer, aussi se contenta-t-il d'un signe de tête. Elle darda sur lui des yeux d'un bleu perçants, à la fois similaires et différents des siens. Voyant là une similitude troublante, et percevant la menace qui se cachait derrière ce visage froid, il répondit d'une voix hésitante. Il baissa la tête, comme pour cacher son trouble, subissant peureusement l'examen auquel elle le soumettait mentalement. Il était difficile de juger ce qu'elle pouvait bien évaluer en lui. Ses capacités physiques ? Il n'était guère le genre d'hommes à pouvoir être utile sur le pont d'un navire. Si c'était ce qu'elle cherchait, elle ferait mieux de le jeter par-dessus bord immédiatement.

Elle demeura silencieuse un instant, et la curiosité poussa Jakov à lever la tête. Leurs regards se croisèrent à nouveau, et il regretta immédiatement d'avoir commis ce geste. Ses mots, prononcés d'une voix calme et tranquille, ébranlèrent le jeune garçon au plus profond de son âme. Il sentit une force colossale se réveiller.

"TUE-LA !" Cria une voix terrifiante dans son esprit.

Jakov se mit à trembler, et il regarda autour de lui. De l'extérieur, on aurait presque dit qu'il cherchait à vérifier si personne n'avait entendu ses paroles. Pour une partie de lui, c'était peut-être vrai, mais il était également en train d'envisager les possibilités qui s'offraient à lui. Il calculait combien de temps il lui faudrait pour se débarrasser d'elle, et s'enfuir. D'abord, lui frapper les yeux, puis lui briser la nuque. Courir en droite ligne vers les cales, en bousculant les gardes. Soulever les prisonniers et les faire se rebeller. Oui...C'était possible. Mais qu'adviendrait-il de ses précieux compagnons ? Devrait-elle les abandonner, tous ? Cela, elle ne le pouvait pas. Pas s'il lui restait encore une chance.

"TUE-LA ! MAINTENANT !"

Jakov porta une main à son front, comme si le mal de tête le gagnait à nouveau, et il recula d'un pas. Devant ses yeux, deux réalités semblaient se chevaucher, danser. Dans l'une, Vedraï, la femme inflexible qui venait de percer sa couverture. Dans l'autre, une silhouette étrange qui la fixait de toute sa hauteur et semblait lire dans son âme.

"AURAIS-TU PEUR ?"

- Non...Ce n'est pas ce que vous croyez ! Répondit-elle à ces deux réalités.

Elle leva des yeux implorants, qui plongèrent à la fois dans ceux de la femme et dans ceux de cette créature qu'elle était la seule à voir.

"TUE-LA ALORS ! TUE-LA OU ELLE DECOUVRIRA TOUT !"

- Non...Pitié...Cela doit rester un secret...

Jakov semblait presque écrasée, et sa voix était désormais larmoyante, gémissante presque. On aurait dit qu'elle allait s'affaisser, et que son esprit allait partir à la dérive. Cependant, sa terreur avait quelque chose d'irrationnel, et ses yeux semblaient fixés dans le lointain. Sans comprendre, elle se retrouva à genoux, sans s'en rendre compte, sa respiration s'était accélérée. Mais la silhouette n'avait pas disparu.

"TUE-LA ! TUE-LA ! LAISSE-MOI DIRE TON NOM...LAISSE-MOI T'APPELER ET EN FINIR..."

Les yeux de la jeune femme s'ouvrirent en grand, et une terreur incommensurable se lut dans son regard d'un bleu hypnotique. Ses tremblements se muèrent presque en convulsions, et elle se mit à gémir :

- Non ! Ne dites rien, je vous en prie ! Pas maintenant ! Ne dites rien...

Le poids qui écrasait son esprit s'envola immédiatement. Ce fut comme s'il avait été pris en pleine tempête, soumis au déchaînement de puissance des éléments, et qu'il avait tout à coup réussi à en sortir, pour voguer à nouveau sur une mer calme et sous un doux soleil. Il se rendit compte qu'autour de lui, la fête n'était pas interrompue. Tous les autres avaient continué à danser et à chanter, et si certains avaient remarqué sa faiblesse, ils avaient probablement mis ça sur le compte de l'alcool. Et vu qu'il allait visiblement mieux... Cependant, si les tremblements incontrôlés qui avaient agité son corps s'étaient calmés, les larmes continuaient à couler le long de ses joues, intarissables. Une douleur fulgurante lui enserrait le cœur, et il avait comme un point de côté. Mais c'était un moindre mal, et il en était bien conscient. Les choses auraient pu être bien pire.

Jakov demeura immobile, essayant de se calmer. N'avait-il pas déjà donné assez de réponses à son interlocutrice ? Ne s'était-il pas déjà suffisamment donné en spectacle ? Et pire encore...il avait laissé échapper une chance de se sauver, et il prenait un risque énorme en demeurant sur ce navire. Un risque non seulement pour lui, mais aussi pour les autres. Désormais, survivre n'était plus une nécessité personnelle. Il devait vivre pour tous les sortir de là. C'était sa mission...


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Reznor
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Le Requiem mène la Flotte EmptyVen 12 Avr 2013 - 17:36

Vedraï continuait de regarder attentivement son interlocuteur. Ou son interlocutrice plutôt. Le tremblement qui s'était déclenché chez Jakov prouvait qu'elle ne s'était pas trompé. Ou bien c'était un tremblement de colère, la colère de s'être fait prendre pour une fille. Dans ce cas, cela ne lui importait guère, elle n'avait que faire de l'orgueil d'un garçon. Mais quelque chose en elle lui disait qu'elle ne s'était pas trompée. Des minuscules détails, bien camouflés, mais ce n'était pas pour rien qu'elle avait longtemps scruté la silhouette et le visage de Jakov, et elle en avait déduit que quelque chose clochait. Ce n'était pas facile, de se faire passer pour quelqu'un de l'autre sexe, à partir d'un certain âge. Elle-même en savait quelque chose. Elle se revoyait encore, dix-sept ans, de longs cheveux blonds soyeux, brossés avec soins tous les matins par une servante, traités avec les meilleurs soins qu'on puisse importer de Gondor vers Arzawa. Elle était telle, la fortune de la maison d'Illicis. Elle se revoyait encore les trancher au couteau pour n'en laisser qu'une longueur d'un pouce voire moins, comme ces marins qui arpentaient les docks. Elle se voyait encore les maculer de goudron pour cacher leur éclat naturel. Naturel, pas vraiment. Ils n'étaient aussi brillants, avant que Père ne l'oblige à se faire belle tous les jours, avant qu'il ne lui expose ses plans ridicules et égoïstes. Ils étaient moins beaux avant, peut-être, mais plus réels. Et c'était fini tout cela, retours à la réalité, plus de faux-semblants, l'aventure ! Et le danger aussi, le danger de se faire démasquer, elle l'avait éprouvé. Elle comprenait ce tremblement, pour avoir vécu le même.

La garçon reculait. La fille plutôt. Vedraï n'était pas surprise, elle aurait fait pareil. Plusieurs fois, on s'était posé des questions à son sujet. On s'était moqué de visage imberbe de gamin, on avait raillé ses vêtements trop grands. A l'évidence. Elle n'avait pas de frères, impossible de trouver quoi que ce soit de ce côté là. C'était chez les servants qu'elle avait du se servir, et à l'évidence, elle n'avait rien trouvé à sa taille. Ce n'était pas plus mal en soi, de ne pas avoir une chemise trop serrante, cela aurait pu tout gâcher, non qu'elle n'ait pris des précautions. Mais elle avait su éviter les ennuis. Par miracle ? Peut-être. Elle avait su comment se comporter de façon masculine, comment s’éclipser un moment quand ça ne marchait pas. Comment disparaître d'un bateau quand la suspicion devenait trop forte, et comment en gagner un autre. Elle ne savait que trop bien ce qui risquait de lui arriver sur la plupart des bâtiments si elle était démasquée. Au mieux passerait-elle par dessus bord immédiatement. Sinon, c'était tout l'équipage qui lui passerait dessus avant ça... Mais sa ruse et sa précaution l'en avait toujours préservé, Ulmo soit loué.

Jakov répondit finalement, après un instant durant lequel la maître d'équipage eut bien cru que la garçon ne puisse jamais se ravoir. C'était pourtant bien ce qu'elle croyait, sa réaction en disait long. La fille parla à nouveau, et elle se faisait implorante à présent. Evidemment que ça devait rester un secret. C'est le genre de truc qui se soit de rester un secret. Les marins voyaient pour la plupart d'un mauvais oeil une femme sur un navire. Cela portait malheur disait-on. Même après un pillage, les prisonnières n'étaient bien souvent pas admises. A consommer sur place, disait-on, et puis basta, larguer les amarres. Il y avait des exceptions, bien sûr. Une femme n'avait-elle pas atteint le rang de Seigneur Pirate ? Et elle-même n'était pas la seule membre du beau sexe sur le Requiem. Cela l'avait plus qu'étonnée, la première fois qu'elle était embarquée dessus. Elle avait d'abord craint que ce soit un de ces navires où l'on emportait et jouissait des catins çà et là. Cela ne rendait sa position que plus dangereuse. Mais elle avait vite remarqué que celles-là n'étaient pas des filles de joie, mais des pirates, des vraies, armées et dangereuses. Pour la première fois elle se sentit l'assurance d'avouer son secret au Capitaine. Ce dernier, tout en colère qu'il fût de s'être fait berner, ne lui en teint pas plus rigueur. Cela ne le dérangeait point, et elle prouva vite tout son potentiel. Au point de devenir son bras droit, rapidement...

"Cela restera un secret..."

Mais rien n'en fit. La fille était tombée à genoux, maintenant, et elle tremblait encore davantage, comme en proie à une crise de panique irrationnelle. Vedraï s'agenouilla également tandis que Jakov répétait sa supplique de ne rien dire, et la pirate, posant sa main sur l'épaule de la fille, lui déclara :

"Tu n'as rien à craindre, je ne dirai rien..."

Jakov se calma, alors, sans même qu'elle ne puisse dire si c'était ces paroles qui l'avaient calmée ou si elle n'en pouvait tout simplement plus de paniquer ainsi. Elle continuait à pleurer cependant, et Vedraï d'un geste lui fit signe de vite essuyer cela. Cela n'avait rien de très masculin, même pour quelqu'un plein soûl comme un porcinet. Personne n'avait rien remarqué en soi, la plupart n'étant pas en état, et beaucoup d'entre eux tout aussi agenouillé ou effondrés sur le sol.

"Tu n'as rien à craindre de moi... Cela ne change rien en soi, regarde, je suis bien commandante en second... Reznor n'a rien contre ça... et il ne le remarquera pas de toute façon, il ne m'a jamais démasquée sans que je lui dise, moi..."

Elle marqua une courte pause pour réfléchir un instant. La position de la jeune fille restait tout de même précaire, dans ces cales pleines de prisonniers déjà envieux.

"Quand tu seras sur le navire marchand, sous mon commandement, tu n'auras rien à craindre. Dans trois jours. En attendant... si quelqu'un dans la cale découvre ton secret... tu devras te défendre toi-même. C'est pas compliqué, tu vises les couilles..."

Elle lui avait tendu avec discrétion un court coutelas. Rien de bien efficace comme arme en combat, mais toujours un atout en cas d'agression physique. Elle espérait que ça suffirait, et qu'elle saurait s'en servir, même si, il n'y avait pas de doute là-dessus, mais elle l'ignorait bien sûr. Et que personne ne se montrerait aussi observateur qu'elle, bien qu'elle sache que personne n'avait le même avantage qu'elle, à savoir avoir déjà été dans la même situation.

"Au fait, ton nom de f... ton vrai nom ?"
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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Le Requiem mène la Flotte EmptyDim 14 Avr 2013 - 22:52
Jakov inspira profondément, essayant d'étouffer les sanglots qui l'agitaient malgré lui. Ce faisant, il gagnait aussi un peu de temps, qu'il mettait intelligemment à profit pour réfléchir. Ce genre de scènes ne lui arrivait pas souvent...et il était toujours un peu surpris de ne pas pouvoir se contrôler. Ces épisodes douloureux sur le plan mental le laissaient toujours affaiblis physiquement, et il préférait éviter de se donner ainsi en spectacle, de peur de révéler des choses qui devaient rester secrètes. En l'occurrence, il avait sottement laissé filer une information que son interlocutrice n'avait pas manqué d'attraper au vol. Elle aurait très bien pu, si elle l'avait voulu, retourner cette révélation contre lui, et s'en servir comme d'un moyen de pression. Il aurait très bien pu voir son paisible séjour à bord du navire de Reznor se teinter de rouge sang, et même si les carnages ne lui faisaient pas peur, il savait qu'actuellement, le risque était trop important. Fort heureusement, ce qui était donné était toujours rendu, quelle que fût la forme que prenait ce retour. En l'occurrence, d'autres informations. Au final, en analysant ces messages, Jakov se dit qu'il ne perdait pas au change...au contraire.

Il était difficile d'expliquer en détail ce qu'il s'était passé dans l'esprit de Vedraï, mais son attitude et ses mots étaient particulièrement révélateurs. Sans même le vouloir, Jakov avait réussi à créer un lien avec elle : un lien unique qu'elle avait été d'ailleurs été la première à essayer de construire. Devant le désarroi d'une fragile petite créature, et face à ce qui ressemblait à s'y méprendre à une attaque de panique soudaine et violente, elle avait laissé tomber le masque du pirate froid et cruel, et s'était comportée comme une amie...comme une sœur...comme une mère. Voilà une pensée qui n'aida pas les larmes de Jakov à se tarir. L'idée de penser à ses proches lui déchirait le cœur, et il préférait ne pas laisser son esprit s'aventurer trop près de ce sujet par trop douloureux. Les choses étaient ce qu'elles étaient désormais, et elles ne changeraient plus jamais. Mais en agissant de la sorte, Vedraï se plaçait en mère protectrice dans cet univers de pirates, et malgré son côté indépendant, le garçon appréciait cela.

Elle s'était présentée sous une apparence froide, calculatrice, inamicale, mais au premier signe de faiblesse de la part de son interlocuteur, elle s'était précipitée à son secours. Avec persévérance, elle s'était acharnée à réconforter le pauvre Jakov dont l'esprit partait peu à peu à la dérive, au point de poser la main sur son épaule. Le geste en lui-même était symbolique, car il ne s'agissait nullement de domination brutale, mais bien d'une aide proposée de manière désintéressée. Il y avait de la noblesse d'âme dans son action, dans son attitude, et cela pourrait servir les intérêts du jeune comédien, dont l'esprit cherchait encore et toujours une solution pour s'échapper de ce piège. Et quelle meilleure solution que de disposer d'une alliée de poids au sein de ce navire ? Voilà qui pourrait se révéler utile le moment venu. Ainsi donc, les risques de se faire agresser étaient réduits. Intérieurement, Jakov se demanda jusqu'à quel point Vedraï serait prête à la protéger. Jusqu'au point de défier l'autorité de Reznor ? La question méritait d'être creusée, mais à condition de faire preuve de prudence.

Après que les tremblements incontrôlables de Jakov eussent cessé, la femme pirate se montra à nouveau fort prévenante, en indiquant au jeune garçon de sécher ses larmes, et de se donner une contenance. Plus que le voir cesser de geindre, elle souhaitait qu'il ne fût pas découvert. Voilà qui venait appuyer l'idée selon laquelle il existait bel et bien une connexion entre les deux. Un pont de verre qui pouvait se briser en mille morceaux au moindre faux pas, et qu'il ne fallait pas emprunter à la légère, mais c'était mieux que rien. Une porte de sortie qu'il faudrait consolider en attendant de pouvoir l'emprunter. Un nouveau défi à relever, en somme. Mais de toute évidence, elle avait décidé de lui faciliter la tâche, et il lui en sut gré. Au lieu de réinstaurer une distance hiérarchique qui aurait pu lui permettre de s'éloigner sans crainte de Jakov, elle se mit à lui parler de son passé. A mots couverts, bien entendu, mais suffisamment explicitement pour que même un esprit idiot pusse comprendre. Et le garçon était loin d'être bête. Voilà que l'on venait d'ajouter des piliers de marbre sous ce pont fragile, sans même qu'il fût besoin de travailler ne fût-ce qu'une seconde. Quelle chance ! Retrouvant un peu de sérénité, Jakov sécha ses larmes pour contenter la jeune femme, et lui donner l'impression qu'il avait envie de lui faire plaisir. Mais dans un sens, il n'avait pas beaucoup besoin de faire semblant, car elle lui était sympathique, et il appréciait son côté mère protectrice, quand bien même elle avait le pouvoir de le tuer sur-le-champ si l'envie lui prenait. Cette simple pensée était paradoxalement rassurante et effrayante. Mais Jakov avait à presque toujours écouté ses aînés, donc il ne se faisait pas de soucis quant à la satisfaire. Il savait se montrer obéissant, et endormir la vigilance de ceux qui avaient pour lui ne fût-ce qu'un brin d'affection. Comme ses parents, par exemple.

Sous les yeux de Jakov, il y eut un scintillement étrange, et il crut sa dernière heure arrivée lorsque, d'une main experte, la femme pirate sortit un petit coutelas. Pendant un bref instant, il se dit qu'il aurait peut-être mieux fait de la tuer lorsqu'il en avait l'occasion. Il avait réussi à cacher une lame dans ses affaires, mais il ne la portait pas sur lui. Et même dans ce cas, ils étaient trop proches, et elle avait amorcé son geste tellement vite et sans qu'il fût préparé. Si elle l'avait voulu, il serait mort. Mais, à la plus grande surprise du jeune garçon, elle n'en fit rien. Elle lui tendit l'arme, en tenant la lame, invitation explicite adressée son interlocuteur. Celui-ci observa un bref instant le coutelas, son visage abordant une expression de surprise totale et non feinte, avant de le prendre et de le cacher contre son cœur. Très cliché comme geste, mais incroyablement attendrissant, alors...

Il avait surtout compris qu'il n'était pas dans son intérêt d'être identifié par un autre prisonnier comme possédant une arme, sans quoi il risquait de se faire attaquer dans son sommeil. Et puis c'était le genre d'avantages qu'il valait mieux garder pour soi le plus longtemps possible. Encore que... Tout surpris qu'il apparaissait, Jakov n'en demeurait pas moins poli, et il savait reconnaître un geste d'amitié quand il en voyait un. D'une voix fluette et qu'il était déjà plus difficile de qualifier de masculine, il glissa :

- Merci...Merci beaucoup...

Il avait même réussi à faire vibrer sa voix, simulant à la perfection l'émotion qui étreint la gorge, pour donner plus de consistance à ses remerciements, et bien insensible serait celui qui parviendrait à ne pas éprouver un pincement au cœur devant tant de candeur. Quelque peu recroquevillé sur lui-même, Jakov leva brutalement la tête lorsque la femme lui posa sa question. Il hésita un bref instant, comme s'il ne voyait pas vraiment où elle voulait en venir, ou comme s'il cherchait la bonne réponse à donner. Elle s'était montrée si gentille avec lui qu'il ne souhaitait pas tout gâcher maintenant. Pensant à elle, il répondit :

- On m'appelle Ellen Retam...

Il regarda autour de lui, pour voir si personne n'avait entendu sa réponse, mais à part l'ivrogne qui dormait, ils étaient bien seuls. Ce serait leur petit secret. De quoi renforcer leur complicité. A utiliser plus tard en cas de besoin.

Pendant qu'ils discutaient, la petite fête entre les pirates et les prisonniers touchait à sa fin. Quelques uns étaient passés par-dessus bord, plus ou moins en un seul morceau, mais le gros des troupes était toujours là, et c'était bon signe. En affichant toute la reconnaissance qu'il éprouvait en cet instant dans son regard bleu, Jakov se permit un discret signe de tête à Vedraï accompagné d'une moue inquiète. En somme : "merci pour tout, j'espère que ça m'aidera à passer la nuit". De quoi lui donner des idées noires pour alimenter ses cauchemars, peut-être. On raccompagna les captifs jusque dans la cale, qui sentait toujours aussi affreusement mauvais, et on fit en sorte de les placer dans un coin un peu moins humide, et un peu moins infesté de rats. Tant mieux. Tous s'installèrent aussi confortablement que possible, et la plupart sombrèrent dans un sommeil alcoolisé qu'ils espéraient réparateur.


~ ~ ~ ~


- Ellen...

Jakov se réveilla, sans se souvenir qu'il s'était endormi. Curieux. Il ouvrit les yeux, et découvrit une silhouette dans l'obscurité, penchée au-dessus de lui. Il faisait si sombre ici qu'il était impossible de dire si c'était le jour ou la nuit, mais à en juger par le froid qui s'était emparé des cales, et par le roulis plus marqué qui étreignait le navire, ils devaient s'être mis en route, et la nuit devait être tombée à l'extérieur. Mais toutes ces considérations étaient secondaires face à la menace potentielle qui se tenait là, penchée sur lui. Il voulut crier, mais une main se plaqua sur sa bouche, et il n'émit qu'un gémissement misérable qui ne réveilla personne autour de lui. Puis, une pensée subite le frappa : "qui pouvait bien connaître ce nom ?". Il se calma instantanément, et attendit des explications de la part de celui qui de toutes façons ne lui laissait pas la moindre chance de s'échapper. Celui-ci reprit la parole :

- Ellen...C'est bien ça ? J'ai entendu ta conversation avec la pirate...Je sais tout, mais ne t'inquiète pas je ne dirai rien. Donne-moi juste l'arme qu'elle t'a donnée...que j'accomplisse ma vengeance.

Même s'il n'avait pas entendu sa voix, Jakov aurait compris qu'il s'agissait de l'ivrogne. Visiblement, il ne dormait pas autant qu'il avait voulu le faire croire. Petit malin. Et le voilà maintenant qui venait quémander une arme afin de partir tuer du pirate. Amusant. Il desserra son étreinte qui maintenait le jeune garçon muet, et attendit sa réponse. Ce dernier s'humecta les lèvres, et répondit d'une voix froide :

- Il faudra me cogner pour l'avoir.

L'homme haussa un sourcil :

- Mais je croyais que...Ce que tu disais...Ma fille...

Jakov faillit hurler devant tant d'incompréhension et de stupidité. Ces gens ne connaissaient donc pas le sens du mot "ruse" ? Il se maîtrisa néanmoins, et ses émotions - grâce à l'aide indéniable de l'obscurité - demeurèrent cachées. Il répondit avec calme :

- Bien entendu, mais comment expliquer que j'aie perdu l'arme si je n'ai pas la moindre égratignure ? Cogne-moi d'abord, prends l'arme, cache-la soigneusement, et attends ton heure.

- Te cogner ?

- Oui...Cogne-moi comme si j'étais la femme pirate. Ne te retiens pas, il faut que ça ait l'air réaliste.

Jakov inspira profondément, et attrapa un foulard qui traînait dans son sac. Il en fit une boule qu'il mordit férocement, pour empêcher tout son de s'échapper de sa bouche. L'homme semblait un peu désemparé devant cette consigne, aussi le garçon prit-il l'initiative. Il lui frappa dans le torse - pour éviter de laisser trop de traces -, provoquant sa stupéfaction, puis sa réaction. Le crochet du droit était particulièrement bien placé, et il ne cognait pas comme une fillette, c'était certain. Jakov ramena ses bras devant son visage pour éviter d'autres blessures qui pourraient le défigurer, et il se roula en boule, encaissant comme il le pouvait les coups terribles qui pleuvaient sur lui. Très franchement, il n'aurait pas aimé être à la place de Vedraï si elle se retrouvait seule face à lui. Il était tellement aveuglé par sa rage et sa tristesse que ses forces en étaient décuplées, et Jakov eut toutes les peines du monde à lui demander d'arrêter.

- Pardon...Je me suis laissé emporter...

- Ca ira... Répondit Jakov un peu sonné. Tiens...

Et il lui tendit l'arme. L'homme l'emporta, et s'éloigna prestement. Le tout n'avait pas duré deux minutes. Le jeune garçon se sentait cruellement meurtri, mais il savait que cela en vaudrait sûrement la peine. Tout du moins, il l'espérait. Il ferma les yeux, et se laissa de nouveau bercer par le roulis du navire, qui semblait l'appeler à sombrer dans les bras du sommeil, à se laisser aller à un repos bien mérité, à profiter des quelques heures qui lui restaient pour refaire ses forces, avant de devoir affronter à nouveau les pirates.


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