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 Loyal rime avec vénal

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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Loyal rime avec vénal EmptySam 13 Juin 2015 - 16:00
Flashback, pendant le mariage d'Aldarion à Minas Tirith


Quelle histoire que ce mariage, franchement… J'avais fait des centaines de lieues pour m'y rendre, en compagnie de Taorin et de la délégation pirate, et honnêtement, je ne m'attendais pas à tomber sur un tel spectacle. Il y avait vraiment de tout. Des hommes, des Elfes – qu'ils soient maudits, eux et leurs sortilèges ! – et des Nains. Les gens venaient de partout, de tous les coins de la Terre du Milieu pour participer aux festivités, ou plus vénalement pour vendre leurs marchandises en profitant de l'afflux de population. Il fallait dire que c'était un gros événement, que personne n'aurait voulu rater. Pas même moi, à la vérité. Non pas que j'avais envie de faire la fête, de boire et de chanter à tue-tête comme la plupart des soudards que l'on croisait dans les rues, mais plutôt que j'avais l'intuition qu'avec une telle concentration d'individus différents, il était possible d'obtenir des renseignements, et de mener quelques opérations intéressantes. D'ailleurs, Taorin comptait sur moi pour accomplir ses quatre volontés, et je n'entendais pas le décevoir. Ce type était vraiment étrange, et j'avais encore du mal à le cerner. Je l'avais d'abord vu comme un fou, puis comme un téméraire, puis comme un audacieux dont la chance insolente lui avait permis de s'imposer à Dur'Zork, malgré tout. Et par ce « malgré tout », j'entendais « malgré l'opposition de Radamanthe et de son armée, malgré les raids incessants des hommes du Khand, malgré l'opposition d'une partie de la population, les finances désastreuses, le service de renseignement catastrophique, malgré l'opposition des autres Seigneurs Pirates qui voulaient une part du gâteau, malgré les intérêts divergents, les trahisons et les retournement de veste nombreux ». Bref, malgré tout. C'était prodigieux de voir ce qu'un homme avec un seul œil pouvait faire avec de la chance, finalement. Une partie de cette chance s'appelait Salem Hamza, et travaillait en tant que son secrétaire et conseiller pour l'heure, ce qui n'était pas même suffisant à l'aider à assseoir sa domination sans partage.

Nous étions arrivés à Minas Tirith, et avions quelque peu profité des festivités. Taorin avait fait en sorte de bien se montrer, pour s'imposer comme un dirigeant de poids avec lequel il fallait compter – ils faisaient tous ça, et puis quelques mois après on retrouvait leur cadavre dans une rivière, sans que personne ne se rappelât de qui il s'agissait. Personnellement, j'avais fait en sorte de me montrer un peu plus discret, en me mêlant davantage aux serviteurs et aux esclaves qu'aux hauts dignitaires. Je savais que des yeux pouvaient me regarder, et je préférais éviter de m'afficher trop ouvertement proche de Taorin, car ce n'était pas particulièrement un allié sûr. Le vent pouvait tourner rapidement dans le désert, et il valait mieux ne pas montrer trop de fidélité à un parti, sans quoi on risquait d'être emporté avec lui lorsqu'il serait balayé par la prochaine tempête. Pour ma part, j'essayais de m'imposer par ma compétence davantage que ma mon allégeance – après tout, je n'imaginais pas Taorin avoir confiance en moi, puisqu'il n'avait confiance en personne. C'était, je crois, une attitude pleine de sagesse. Ma loyauté n'allait qu'au seul royaume de Rhûn, et c'était en définitive pour lui que je travaillais. Soutenir Taorin ou Reznor, quelle différence ? Tant que je pouvais récolter des informations, j'étais heureux. J'étais un homme plein de simplicité.

Simple mais pas inefficace, fort heureusement. Grâce à moi, Taorin s'était débarrassé d'un de ses concurrents les plus zélés. Riordan, le Seigneur Pirate, était mort dans une attaque que j'avais moi-même orchestrée. Oh, j'avais fait en sorte que personne ne pût remonter jusqu'à moi, et encore moins à Taorin qui après tout était le véritable commanditaire de cette action violente. Je n'étais qu'un messager, un simple émissaire chargé de faire exécuter sa volonté, et ses ennemis par la même occasion. Il n'avait pas été difficile d'orienter les tueurs pour qu'ils pussent frapper au moment opportun, étant donné que je connaissais parfaitement les habitudes de Riordan, la façon dont il anticipait une attaque sur sa personne. Il ne se confiait à personne sur ce point, mais il n'était pas difficile de laisser traîner une oreille quand on était aussi insignifiant à leurs yeux qu'un poteau de bois planté dans le sol. Les puissants sous-estimaient presque toujours les hommes qui les servaient, et qui dès lors constituaient de grandes sources d'information. Il suffisait de les faire parler – ce qui était parfois assez amusant – ou bien de réussir à faire partie de ces serviteurs. Ce n'était pas toujours une tâche ingrate, et faire le service auprès de ces messieurs n'était pas toujours un plaisir. Ils avaient des goûts horribles, des habitudes désagréables, et il fallait toujours se montrer affable. Mais c'était fou ce que l'on pouvait apprendre d'eux en quelques heures passées à les observer.

A la suite de ces incidents, Taorin m'avait demandé de prendre un peu de distance avec lui. Il devait se concentrer sur ses propres affaires, des négociations difficiles avec les émissaires du Harondor, et il préférait qu'on ne me voie pas dans ses pattes. Il avait raison, pour une fois, et je ne trouvai rien à redire, préférant m'éclipser avant qu'il ne changeât d'avis et me demandât de prendre note de tous les détails pendant leurs réunions. Il trouverait bien quelqu'un d'autre pour faire le travail de scribe. De préférence quelqu'un qui aurait déjà la langue coupée, car je tenais à la parole. Je me mis donc en route pour la Cité Blanche, troquant mes vêtements outrageusement tapageurs de secrétaire officiel de Taorin – il avait décidé de nous habiller richement pour afficher l'opulence d'une cité qui en réalité était en proie à des difficultés terribles, mais soit, cela faisait partie du jeu politique – pour quelque chose de plus seyant. Une tunique simple, de cuir, quelque chose de passe partout que j'avais l'habitude de porter, et qui ne me pèserait pas par cette chaleur étouffante qui régnait. Après l'hiver interminable, le redoux était difficile à supporter, même pour nous qui venions des terres lointaines du Harad.

Je pris premièrement la direction du campement du Rhûn, non pas pour y pénétrer mais simplement pour voir de quoi il retournait là-bas. J'arrivais à un moment inopportun, car il semblait n'y avoir personne, comme si une grande partie de la délégation s'était rendue en un endroit spécifique, à un grand rassemblement. J'aurais bien voulu en savoir davantage, mais je ne pris pas la peine de ruiner ma couverture pour des informations que je pourrais obtenir par ailleurs. Ainsi donc, je m'engageais entre les tentes, sur la voie bondée qui menait à Minas Tirith. Il y avait de tout : des visiteurs, des marchands de toute condition, des producteurs qui transportaient des grains et des blés jusqu'aux marchés de la place principale. Beaucoup étaient des artistes de rue, qui allaient trouver leur place pour amuser la galerie. Quant à moi, j'incarnais pour l'occasion le rôle de Salem Hamza, philosophe et penseur de son état, quelques papiers et un support en bois sous la main, un calame dans la petite sacoche que je transportais. Pour écrire, bien sûr, et pour le planter dans l'œil d'un malandrin en cas de besoin. Ca pouvait toujours servir. Les armes étaient prohibées et les gardes étaient en alerte en permanence pour prévenir toute dérive, mais les malheureux n'étaient certainement pas assez nombreux pour empêcher le moindre crime. Il fallait reconnaître que pour des Occidentaux, ils faisaient un travail plutôt correct, et qu'on ne se sentait pas menacé dans les rues. Peut-être était-ce parce que je revenais d'Umbar, en passant par Dur'Zork, où la sécurité était un concept strictement théorique.

Je pénétrai enfin dans l'enceinte majestueuse de la ville, ne m'étonnant plus guère de voir des animations et des amuseurs publics m'aborder pour me demander de venir observer leur spectacle, ici de dressage d'animaux, là de jonglerie. Je déclinais toujours avec politesse, et m'enfonçais sans ralentir vers les quartiers qui m'intéressaient davantage : ceux où on pouvait trouver des érudits. S'il y avait bien une chose que j'avais apprise, c'était que les vieux sages séniles étaient du genre à partager leurs connaissances – souvent très pointues – sans réserve. Il fallait créer un lien de confiance, bien entendu, mais une fois qu'on avait réussi à leur faire accepter que l'on était vraiment intéressé, il n'était pas difficile de les faire parler de tout et de rien. Ils ne colportaient pas de rumeurs, ou en tout cas pas consciemment, et ils avaient plutôt tendance à parler de choses factuelles, qu'ils avaient la certitude d'être vraies. Il fallait, en échange, leur fournir quelques informations qui en général ne valaient pas grand-chose en comparaison. Pour ma part, j'avais réussi à trouver un vieux sage avec qui j'étais déjà resté discuter deux bonnes heures, et que j'avais promis de revenir voir. L'homme était intéressé par la culture des autres royaumes, et il avait l'intention d'utiliser la présence de nombreux étrangers ici pour se renseigner. Les ouvrages historiques dataient, et il essayait de voir si ceux-ci étaient toujours d'actualité ou non. Fatalement, mes origines orientales l'avaient immédiatement attiré, et il s'était mis à me poser de nombreuses questions. Lorsque nous nous étions quittés, je lui parlais de la diversité de nos paysages, ce qui avait l'air de beaucoup l'intéresser. Il fallait dire que le Rhûn était un royaume vaste, avec des montagnes au Nord, le Mordor au Sud, les déserts du Khand pas très loin, de grandes steppes à l'Est, mais une mer à l'Ouest. Bref, la richesse de notre territoire était fascinante, et il était heureux de pouvoir bénéficier de quelques informations que j'allais puiser dans ma mémoire.

J'avais l'intention de lui parler un peu plus des coutumes de Vieille-Tombe, qui cultivait le vin. J'avais de la famille là-bas, notamment un oncle et une cousine, et je présumais que la ville serait d'un intérêt bien plus grand à ses yeux qu'Albyor la Noire, qui fournissait la plupart des esclaves du pays. Elle jouissait d'une mauvaise réputation dans notre royaume, et il était certain qu'un Occidental, aussi érudit fût-il, aurait du mal à comprendre le rôle économique capital qu'elle jouait. Il était certaines choses qu'il n'était tout simplement pas possible d'expliquer. L'esclavage n'était pas un mal en soi. C'étaient les mauvais traitements qui étaient souvent déplorables, car contre-productifs. Les esclaves bien traités pouvaient faire des travailleurs tout à fait convenables, que l'on rémunérait en nature et que l'on pouvait acheter et vendre. L'économie était prospère. A Albyor, toutefois, on trouvait le pire de ce que l'esclavage pouvait compter. Ceux qui travaillaient dans les mines étaient parmi les plus à plaindre, car ils devaient se courber toute la journée à la recherche de métaux précieux. Et encore, ils étaient chanceux par rapport à ceux qui étaient envoyés au Temple Sharaman. Quand j'étais parti du Rhûn, le culte se développait, mais j'avais entendu dire qu'on sacrifiait désormais plusieurs esclaves quotidiennement. La pratique me laissait toujours dubitatif : pourquoi tuer des individus qui pouvaient encore servir ? Mes propres convictions religieuses me poussaient à respecter la nature et notamment un concept d'utilité assez facile à comprendre. Chaque chose avait un intérêt en soi : les plantes poussaient et nourrissaient les animaux, qui eux-mêmes nourrissaient les hommes, qui eux-mêmes nourrissaient les animaux à leur mort. Pourquoi tuer en masse des hommes pour les priver de leur substance vitale, et la dévouer à un Dieu Sombre qui de toute façon devait s'en ficher. Attention, on ne pouvait pas dire que je ne croyais pas en Melkor. Après tout, qui pouvait douter de son existence ? Cependant, je n'étais pas convaincu qu'il aurait voulu qu'on sacrifiât des âmes innocentes. J'avais plutôt la conviction qu'il souhaitait des guerriers, pour mener sa guerre contre les dieux de l'Ouest. Sans doute les prêtres de Sharaman interprétaient-ils les choses différemment.

J'en étais là de mes réflexions, quand j'eus soudain la désagréable impression d'être suivi. En général, cela se manifestait quand mon contact se trouvait non loin de moi, mais je savais que ce n'était pas lui. Son physique particulier ne lui permettait pas de m'aborder facilement à Minas Tirith, et j'étais convaincu qu'il aurait privilégié une rencontre dans les Champs du Pelennor. Qui donc pouvait bien m'en vouloir ? Après tout, je n'étais qu'un simple secrétaire, qui pour l'heure n'était même pas en service. Conscient qu'au milieu de la foule, je ne risquais absolument rien, je m'arrêtai un instant pour observer un spectacle, en essayant de ne pas regarder autour de moi. Le danseur était bon, et j'applaudissais des deux mains en rythme avec le musicien qui jouait un air festif. C'était un violoniste, qui paraissait absorbé par sa prestation. Lorsqu'il eût terminé, il y eut de nombreux applaudissements, et on s'approcha pour leur donner quelques pièces. Je me laissai porter, et allai les rémunérer misérablement, avant de reprendre ma route. La cohue derrière moi risquait de ne pas faciliter la tâche de ceux qui me suivaient, et j'entrepris de bifurquer sèchement pour les semer. J'attaquai une rue moins fréquentée, qui me permit de forcer un peu l'allure. Je tournai de nouveau, sans trop savoir où j'allais, essayant surtout de garder une démarche naturelle pour ne pas donner l'impression de fuir. Au fond de moi, j'étais toujours très calme. Je savais que des voleurs n'avaient aucun intérêt à s'en prendre à moi, et qu'ils verraient rapidement que je n'avais aucun bien de valeur. Ils finiraient par me lâcher.

Cependant, alors que je bifurquais de nouveau, je me retrouvai nez-à-nez avec un homme qui marchait droit dans ma direction. Je devinai instantanément qu'il n'était pas du genre à s'être perdu lui aussi, et il paraissait me chercher. Pourquoi donc ? Je reculai de quelques pas, et vis dans la rue d'où je venais qu'un autre homme arrivait, marchant d'un pas décidé. Très honnêtement, j'aurais pu courir, essayer de les semer, mais pour faire quoi au final ? Je n'avais rien, je ne savais rien – tout du moins, c'état ce que j'allais leur dire – et ils ne pouvaient pas vraiment m'enlever ou me torturer en pleine rue, pas avec le nombre de gardes qui traînaient là. Je n'exhibai pas trop ma confiance, et me contentai d'afficher un visage calme, mais passablement inquiet – j'étais doué dans mon genre. Ils s'avancèrent jusqu'à se trouver à la limite de la portée de mon bras, et s'arrêtèrent. Je lâchai tranquillement :

- Si vous voler moi, moi pas rrésister. Moi pas fuirr. Tiens, prrendrre sac.

Je lui tendis ma bourse, qui contenait quelques misérables pièces, à peine de quoi acheter deux repas. J'avais fait exprès de parler comme un étranger, en espérant que cela les dissuaderait de poursuivre leur entreprise. La main toujours tendue, ils ne réagirent pas à l'or que je leur proposais, et je compris alors qu'ils n'étaient pas ceux que je croyais. Sous leur cape apparemment banale, je pouvais entrevoir un plastron aux armes du Gondor. Le premier était un soldat, capable de prendre immédiatement ses fonctions si le besoin de faisait sentir. Le second n'arborait pas de tunique semblable, mais je devinai qu'il devait être, comme l'autre, un militaire. Je levai les mains tranquillement, et lançai en laissant tomber mon simulacre de parler étranger :

- Alorrs vous n'êtes pas des voleurrs… Suis-je en état d'arrestation ?

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Nathanael
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Loyal rime avec vénal EmptyMer 22 Juil 2015 - 19:29

Les deux hommes échangèrent à peine un regard entendu. Ils n’avaient pas mis longtemps à identifier et à suivre l’étranger. Ils étaient même à peu près certains que l’homme n’avait pas fait de grands efforts pour les éviter ou les semer. Sa réputation était encore incertaine, son histoire demeurait floue, ses intentions étaient inconnues et son allégeance semblait suivre les vents dominants. Afin d’éviter la tempête, l’Arbre Blanc avait souhaité prendre les devants, incitant la girouette à s’orienter convenablement. C’était du moins la ligne à suivre. Les deux hommes encadrèrent le Rhûnien sans laisser de doutes sur leurs intentions. Il était hors de question que l’oiseau prenne son envol et disparaisse de la cité. Mais qui trop embrasse, mal étreint. Il leur avait été clairement assigné l’ordre de ne pas en faire trop pour le ramener à bon port. D’autant qu’il n’était nullement nécessaire d’éveiller les soupçons, même d’un individu lambda, d’un commerçant ou du poissonnier du coin. Aucune vague ne devait être perceptible sur le paysage sans heurt du mariage royal. Si le moindre soupçon était éveillé, nul ne savait quelle ampleur pourraient avoir les retombées politiques entre les royaumes, mais elles seraient catastrophiques. Il était donc de bon ton de faire profil bas et de marcher dans les rues comme si de rien n’était.

- Veuillez-nous suivre je vous prie. Vous êtes cordialement invité à discuter avec un dignitaire de la cité. Quelques formalités administratives à régler, rien de plus.

Le mensonge était clairement énoncé, mais rien ne laissait paraître qu’il pouvait effectivement s’agir d’autre chose. Aucune main ne fut portée aux gardes des épées, rien de menaçant dans leur attitude, si ce n’était leur regard déterminé et le ton de la voix, légèrement intransigeante, et qui ne laissait place à aucun commentaire. L’un des hommes fit un signe de la main poli pour inviter l’étranger à les précéder. Ils le suivirent légèrement en retrait, suffisamment prêts, sommes toute, pour lui faire sentir qu’ils l’encadraient en bonne et due forme. L’homme qui ne portait pas les insignes de soldat faisait de petites gestes de la main à chaque croisement pour lui indiquer la route à suivre, discrètement. Ils n’empruntèrent aucune voie principale, aucun passage bondé, évitant également les ruelles abandonnées et glauques où régnaient la pègre des espions et des truands de basse-fosse. Ceux-là étaient les premiers à répandre les rumeurs les plus improbables, et il aurait été de mauvais goût que les proches de Taorin soient au courant de quoi que ce soit. Une missive officielle pourrait calmer les esprits, mais pas les soupçons. Ils déambulèrent peu de temps à la lumière du jour, gagnant rapidement une bâtisse dans les étages supérieurs de la Cité. Le bâtiment ressemblait à un commerce de détails, proposant des luminaires et des lampes de toutes sortes, des torches finement ouvragées, quelques briquets à amadou - des ornements plus que des outils. Un homme aux traits efféminés se trouvait derrière un large comptoir, parlant sur le ton de la conversation avec un client qui souhaitait apparemment refaire le système d’éclairage de sa vaste demeure. L’acheteur jeta un coup d’œil un peu étonné aux nouveaux-venus. Le commerçant se tourna vers eux, posément.

- Votre commande se trouve à l’étage messieurs. Je vous laisse l’inspecter à votre guise, vous me direz de quoi il en retourne par la suite. Je vous rejoindrai plus tard.

Et sans sourciller, il se retourna vers son client pour continuer de le conseiller à propos de nouveaux luminaires aux vitres colorées, « le nouveau courant dans les hautes sphères de notre merveilleuse cité ». Les deux soldats firent un bref signe de tête pour remercier le commerçant et poussèrent l’étranger à avancer parmi les étagères et les verreries. Une haute porte en bois donnait sur un large escalier de pierre qui montait jusqu’au premier étage. Paradoxe assez étonnant, dans un commerce de lampe, aucune torche n’éclairait la montée et ils gravirent les marches en tâtonnant dans l’obscurité totale. Le bruit des bottes des soldats semblaient prendre une ampleur démesurée, la réputation des soldats Gondoriens quant à leur discrétion n’était plus à refaire. L’escalier semblait monter inlassablement, mais ils s’arrêtèrent devant un lourd panneau de bois. L’un des soldats passa devant le Rhûnien et frappa quatre coups caractéristiques sur la porte, un petit sourire aux lèvres.

- Inutile de mémoriser quoi que ce soit, le code n’est jamais le même.

Précision inutile sans doute, mais le soldat jugea bon de le signaler. Le raisonnement gondorien devait quelque peu échapper à l’esprit de l’étranger. Il n’y avait pas que la distance géographique qui séparait les deux royaumes, une vaste faille culturelle et intellectuelle formait un gouffre sans fond, presque infranchissable. Une voix répondit de l’intérieur, aucune formulation précise, un son, plus qu’un ordre. Les hommes ouvrirent la porte et laissèrent le Rhûnien entrer en premier.

La pièce était beaucoup plus éclairée, de hautes fenêtres donnaient, d’un côté, sur la rue, et de l’autre, offraient une vue à couper le souffle sur les plaines du Gondor. Ils devaient se trouver sur les franges extérieures des derniers étages de la Cité.  Aucune table. De larges fauteuils accueillaient déjà un homme confortablement assis, un verre d’eau à la main, servi par un autre homme grisonnant qui demeurait effacé. La chaleur étouffante des bas quartiers laissait place à une petite brise agréable transportant des parfums épicés. De part et d’autre de la porte par laquelle ils venaient de rentrer, deux grands miroirs ajoutaient à la profondeur à la pièce, rendant l’espace beaucoup plus grand qu’il ne l’était en réalité. L’homme au verre d’eau avait un visage d’une banalité indéfinissable, des traits passe-partout, aucun signe caractéristique qui puisse l’identifier de quelconque façon. On aurait très bien pu l’imaginer commerçant, tavernier, trappeur, boucher, bourreau ou simple soldat. Il était de taille moyenne, de corpulence moyenne, les cheveux longs, portant la barbe, il n’avait pas de cicatrices visibles, pas de bijoux ou de fioritures ornementales, le teint clair, impossible de lui donner un âge précis. Le Gondorien le plus typique qui soit : parfaitement normal … Même ses habits semblaient aussi simples que possibles : une cape bleu-gris, une chemise de la même couleur, un gilet gris, une paire de bottes en cuir. Un point c’est tout.

- Bien le bonjour maître Salem Hamza.

Le ton était poli, neutre. L’homme semblait être conscient de n’être qu’un pion, de n’avoir que peu de latitude dans les négociations qui s’annonçaient, avec la seule certitude, pourtant, qu’il devait les mener à leur terme. Son air blasé était presque pitoyable. L’homme qui servait à ses côtés s’éclipsa, quand aux deux soldats qui avaient accompagné le dénommé Salem jusqu’à l’étage, ils se retirèrent à leur tour derrière la lourde porte. Le Gondorien était seul dans la pièce avec le Rhûnien. Mais l’homme à la tunique bleue dévisagea à peine Salem Hamza. Un pion de plus, semblait-il, sur la partie d’échec de l’Arbre Blanc. A quoi bon s’attacher à des hommes qu’on enverrait disparaître plus tard à l’autre bout des Terres du Milieu ?

- Je me nomme Bore. Membre de l’Arbre Blanc. Soldat de la Citadelle.

Les choses avaient le mérite d’être clair. L’homme semblait être déterminé à en finir le plus rapidement possible, d’écourter les négociations, de rentrer chez lui et de finir sa journée de travail. Qu’étaient l’espionnage, le renseignement, la désinformation, la surveillance, l’étude et le vol de documents ? Un travail. Il semblait être de ceux qui parcouraient plus souvent les dédales de couloirs de la Citadelle et les grandes soirées mondaines que les chemins poussiéreux et les tavernes miteuses. Il semblait. Il claqua des mains, comme si le contrat était déjà clôt. Tout dans son attitude laissait paraître que les choses avaient déjà été décidées en amont et qu’il n’y avait aucune résistance à lui opposer.

- Je suppose que vous vous doutez à minima des raisons qui nous ont poussés à vous conduire jusqu’ici. Le Gondor ne parvient plus à regarder au Sud en toute quiétude. Je ne vous parle pas des rumeurs, des ragots, tout cela, nous savons que cela satisfait le petit peuple. Non. Je vous parle de pouvoir. Certains diraient, de jeux de pouvoir.

Il appuya sur le terme « jeux », comme si la situation n’avait rien de grave. En vérité le Gondor ne pouvait plus attendre aucune alliance du Sud. La débandade à Assabia avait mis à mal les dernières relations de confiance qui unissaient encore les deux cités, et le fil arachnéen sur lequel marchait la diplomatie de Minas Tirith s’était rompu. Et impossible de faire marche arrière avec ces bornés de sudistes. Bore eut un petit soupire en pensant aux difficultés que leur imposait le caractère impétueux de leurs voisins méridionaux. Si seulement …

- C’est pourquoi nous souhaitons faire appel à vos services. Voyez-vous, votre proximité avec le seigneur Taorin… Il eut une petite voix étouffée en prononçant le mot « seigneur » … nous intéresse. Vous n’avez aucun intérêt personnel à défendre une patrie à laquelle vous n’appartenez pas, n’est-ce pas ? Ce sont donc des motivations qui dépassent le simple patriotisme qui vous poussent à parader au côté de ce Sudiste. Des motivations qui pourraient sans doute vous pousser à travailler pour nous … à partir du moment où nous vous proposerions plus que le seigneur Taorin, bien évidemment.

« Des motivations qui pourraient vous poussez à nous trahir à la moindre occasion ». Bore, derrière son masque implacable de fonctionnaire blasé ne pouvait s’empêcher de retourner la question dans son esprit, inlassablement. Soit les hautes sphères de l’Arbre Blanc avait déjà réfléchi à la question et ne souhaitait emprunter les services de Salem Hamza qu’une unique fois, soit le confort du haut de la cité leur avait ramolli le cerveau. Dans tous les cas, il ne pourrait être tenu personnellement pour responsable de la décadence de cet étranger à la peau matte. Les ordres avaient été clairs : « Rattachez-le à notre cause ». Et rien d’autre. Bore reprit une gorgée d’eau comme s’il s’agissait d’un grand vin. Il se contenta de regarder le Rhûnien, le regard vide.

- Qu’en dîtes-vous ?
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Loyal rime avec vénal EmptyMer 29 Juil 2015 - 19:45
Des formalités administratives ? Je me retins de rire. Cette affaire puait l'embrouille à plein nez, et ce n'étaient pas leurs belles paroles rassurantes qui allaient me faire changer d'avis à ce sujet. J'avais un sixième sens pour ce genre de choses, un sixième sens qui m'évitait la plupart des problèmes, fort heureusement. Je savais reconnaître les problèmes quand ils se présentaient, même quand ils apparaissaient cachés, voilés, ou bien présentés derrière un bel uniforme du Gondor. Toutefois, pour oser me lancer un tel mensonge en plein visage, et espérer quand même que j'allais marcher, c'était que l'affaire devait être énorme. Vraiment énorme. En général, on se contentait de peu d'informations, et on ne prétextait pas quelque chose de totalement bidon, sinon le premier idiot venu se disait qu'il y avait anguille sous roche, et il se dérobait en courant dans les rues comme un forcené. Je n'avais pas particulièrement envie de me donner en spectacle dans les allées bondées de Minas Tirith, mais j'étais convaincu au fond de moi-même que mes deux interlocuteurs non plus. Après tout, je n'avais rien fait, et si je me laissais arrêter gentiment, on pourrait toujours m'oublier au fond d'un cachot, ou prétexter que j'avais disparu. Alors que si je me mettais à courir, je risquais de semer une belle pagaille, et aucun mensonge ne serait assez gros pour en expliquer les raisons. Incident diplomatique assuré, et pourquoi pas une guerre contre ces idiots du Sud. Pendant un instant, l'idée d'enflammer la situation purement et simplement me traversa l'esprit, mais je me retins. Le travail avant le plaisir, toujours. D'une voix résignée, je répondis :

- Oh, eh bien puisqu'il ne s'agit que de quelques forrmalités, je vous suis. Je suppose que cela ne prrendrra pas trrop longtemps, n'est-ce pas ?

Ils ne se donnèrent même pas la peine de répondre, et ne me laissèrent pas les suivre. J'avais joué le jeu, mais ils n'étaient pas pour autant stupides, et je dus partir devant eux, les laissant me guider discrètement dans les rues. Je crus tout d'abord que nous allions emprunter les quartiers les plus sombres de la cité, mais ils se gardèrent bien de m'y emmener, comme s'ils craignaient d'être repérés par des malfrats qui n'avaient en général pas leur langue dans leur poche, et qui pour quelques pièces d'or racontaient ce qu'ils avaient vu avec beaucoup de détails. Pour quelques pièces de plus, ils racontaient même des choses qu'ils n'avaient pas vues, et c'était parfois encore plus dérangeant. Nous nous contentâmes des rues désertes, des passages abandonnés par la population qui festoyait quelques mètres plus loin, cachés à notre vue par la présence d'un bâtiment superbe. Même ici, on pouvait encore admirer l'architecture splendide de la capitale du Gondor, qui était un véritable chef d'œuvre. Je n'avais pas besoin de faire un effort particulier pour observer ces maisons du commun taillées à même la roche de la montagne, et ouvrir de grands yeux devant ces décorations discrètes mais si esthétiques qui jaillissaient tantôt d'une façade, d'un balcon. Ils devaient me prendre pour un idiot, mais cela ne faisait que renforcer ma couverture, et accessoirement cela me permettait de profiter un peu de cette promenade à laquelle je ne pouvais décemment échapper.

Nous pénétrâmes bientôt dans une échoppe de belle taille, qui vendait de toute évidence des lanternes et des lustres dont certains étaient réellement impressionnants. Des pièces rares et chères, décorées de cristal et de diamants finement ciselés, des moulures en or et en argent, rehaussées même de quelques gemmes ou pierres précieuses du plus bel effet. Je m'étonnai un bref instant de ne voir aucun garde à la porte d'un tel établissement qui, s'il ne faisait pas que des articles de luxe, était tout de même une boutique qui aurait fait le bonheur d'un voleur audacieux. Peut-être l'explication tenait-elle au fait que les gardes de la cité patrouillaient en grand nombre dans les rues, et que nul n'aurait pu essayer de commettre un tel crime sans être immédiatement rattrapé par les autorités compétentes. A moins que l'explication ne fût ailleurs, mais je préférai ne pas m'appesantir sur le sujet, décidant que les réponses viendraient en temps utile. Le vendeur se tourna vers nous, et nous indiqua que notre « commande » était prête. Ainsi donc, derrière ses manières dérangeantes – il me rappelait par trop le comportement odieux de l'assistant de ce gros porc d'Omar, vendeur d'esclaves de son état –, se cachait en réalité un autre complice qui était dans la confidence et qui faisait partie de la tromperie. Combien d'hommes avaient donc été mis au courant de mon arrivée ?

Pressant le pas pour répondre à la poussée dans mon dos, je m'enfonçai entre les rayons, qui contenaient là un matériel fort fragile et fort cher. Pendant un instant, il me prit l'envie de tenter de m'enfuir. Dans cet espace confiné, renverser l'étagère sur laquelle trônaient des dizaines de lampes bloquerait très certainement mes deux gardes du corps sous un déluge de verre et de fer. Ils mettraient de longues minutes à s'extirper de ce chaos, minutes que je mettrais à profit pour filer droit vers la sortie sans manquer d'assommer le commerçant à l'entrée. Hm… L'idée était tentante, mais je n'avais aucune idée de qui me recherchait, ni du pourquoi d'ailleurs. Je pouvais raisonnablement espérer coincer les deux cerbères qui me filaient le train, mais qui pouvait dire si le vendeur n'était pas en réalité un tireur expérimenté qui me collerait une flèche en pleine poitrine avant que je l'eus touché ? Qui pouvait dire si l'acheteur n'était pas lui aussi de mèche, et s'il ne me barrerait pas la route ? Très franchement, la situation était trop bizarre pour tenter une évasion aussi panachée que risquée. Je n'étais pas fou, non plus. Ainsi donc, maîtrisant mes pulsions escapologiques, je franchis la première porte, et gravis à tâtons l'escalier enténébré qui suivait. Décidément, ces gens avaient une bien curieuse manière d'accueillir un visiteur, et de toute évidence ils tenaient à protéger leurs secrets. Arrivés à ce qui devait être le premier étage, un des soldats prit la tête de notre trio hétéroclite, et frappa à la sorte selon une mélodie spécifique. Son commentaire me tira un sourire, et je répondis avec une pointe d'insolence :

- C'était un code ? Vous prrenez les forrmalités administratives trrès au sérieux, ici. Vous devrriez venirr fairre un tourr à Durr'Zorrk, une fois…

Mon sourire n'était pas que pure provocation. Je ne savais pas ce qu'on me reprochait, mais je trouvais leurs précautions ridicules. Après tout, je n'étais qu'un simple secrétaire, guère davantage qu'un gratte-papier, et je pensais bien que toute cette mise en scène n'était là que pour m'impressionner d'une manière ou d'une autre. J'aurais pu feindre la peur panique, la terreur, mais j'avais bien l'intention de leur montrer que je n'étais pas du genre à me laisser abuser par quelques artifices, un escalier sans lumière et quelques coups frappés à la porte. Et puis d'ailleurs, pourquoi un code ? N'y avait-il pas une autre manière de s'assurer que les visiteurs étaient bien attendus ? Un mot de passe, un symbole spécifique, ou plus simplement une compagnie de soldats entraînés placés de l'autre côté qui passeraient par le fil de leur lame les intrus. Ah, les Gondoriens et leurs manies curieuses… ils ne cesseraient jamais de m'étonner.

On finit par répondre à l'intérieur, et celui qui avait frappé ouvrit la porte en me laissant passer. Plein de dignité, je m'engageai sur les dernières marches, et franchis le seuil plissant les yeux pour m'habituer à la luminosité de l'endroit. Tout était éclairé, en effet et c'était bien la moindre des choses, chez un lanternier, même s'il est vrai qu'on dit souvent que les vignerons sont les derniers à boire leur cuvée. Bon, ce n'est pas toujours vrai, et je pourrais m'étendre largement sur le sujet pour avoir vu un groupe de vignerons si ivres qu'ils étaient totalement incapables de travailler, au grand dam de leurs épouses qui essayaient de les ramener à la maison. Le soleil et l'alcool avaient eu raison des malheureux, et même si cette anecdote avait eu lieu plusieurs années auparavant, je me souvenais encore parfaitement du rire de mon oncle et de mon père devant cette scène. C'était le bon temps.

Rangeant ce souvenir précieusement dans la boîte d'où il était sorti bien malgré moi, je revins à la pièce mystérieuse où j'avais été introduit tout aussi mystérieusement. La belle affaire. L'endroit était bien sobre, pour un lieu de rendez-vous secret, et pour ce qu'on y trouvait, on aurait tout aussi bien pu se rendre dans une cave sombre et pourrie, et y mettre deux fauteuils. Le rendu aurait été similaire, à l'exception de l'odeur. De l'odeur et de la vue, il fallait bien l'avouer, qui était magnifique. Les champs du Pelennor, s'étendaient à perte de vue en contrebas, et on ne pouvait que s'attendrir devant ces tentes minuscules et innombrables qui pullulaient comme autant de petits insectes venus se repaître d'un fruit tombé de l'arbre. Ce fruit, c'était la pomme de la discorde que les peuples de l'Ouest laissaient tomber négligemment partout où ils posaient le pied, en étant convaincus de faire le bien. Aujourd'hui, on parlait de paix et d'alliances, mais demain ils recommenceraient à vouloir imposer leur domination sur leurs voisins, envahir ceux qui n'étaient pas comme eux, et combattre activement les royaumes qu'ils considéraient comme « mauvais ». Il était frappant de constater que c'était leur seule justification pour nous mépriser : nous étions les « mauvais Hommes », et cela leur suffisait pour nous massacrer.

Je m'avançai sans un mot, découvrant peu à peu les deux hommes qui occupaient déjà les lieux. Le premier, debout, avait tout d'un serviteur. Il se tenait légèrement dans l'ombre, mais je savais par expérience – et surtout pour m'être tenu dans ce rôle plusieurs fois auparavant, notamment auprès de ces idiots de pirates – que c'était une place privilégiée pour écouter, observer et prendre des notes mentales sur de petits détails qui n'étaient qu'à peine remarquables. Il me faudrait donc prêter une attention particulière à ce drôle de personnage, même si c'était au second que j'allais devoir m'adresser. Assis tranquillement, un verre d'eau à la main – qui n'était pas superflu, eu égard à la chaleur étouffante qui régnait dans la cité –, il ressemblait à tout un chacun, et il correspondait assez bien à la définition qu'on pouvait se faire d'un homme « normal ». Ce fut pour cette raison que je décidai instantanément de me méfier de lui. Je n'apprendrai pas son identité, ni même ne découvrirai ses réelles intentions – il avait dû soigneusement réfléchir à la question, et il était si banal qu'il devait avoir endossé ce rôle depuis pas mal de temps… comme moi – mais je comptais bien ne pas trop lui en dévoiler en me montrant paresseux et confiant. Je ne devais surtout pas oublier qu'il me tenait au creux de son poing, et qu'en dépit de sa bienveillance apparente, il pouvait me broyer d'une seule pression.

Et puis, sans explication, le serviteur et mes deux gardes sortirent, me laissant seul avec l'inconnu au verre d'eau qui paraissait très las. Je haussai légèrement les sourcils, ne comprenant pas trop ce que cela signifiait. N'était-ce donc pas un interrogatoire auquel on allait me soumettre ? N'allait-on pas essayer de me soutirer des informations, de découvrir quelle était la vérité et quel était le mensonge dans ce que j'allais raconter ? Ce type n'était-il pas un interrogateur qualifié, expert en torture psychologique et physique qui allait me lancer un sourire sadique et quelques phrases bien senties pour me faire ressentir l'étendue de sa domination ? Zut, je m'étais préparé mentalement pour rien… Au lieu de quoi, il avait l'air d'un simple exécutant, et en plus de ça il paraissait contraint et forcé. Je pensais toujours que sa normalité était de façade, mais il fallait bien dire qu'il avait l'air absolument pathétique, assis seul avec son verre d'eau. Même pas un vin fin pour titiller mon palais sensible. Rien du tout. Il se contenta de me saluer par mon nom, ou plutôt par le nom sous lequel j'étais principalement connu en Terre du Milieu. Salem Hamza. Cela me fit bizarre de l'entendre prononcé ainsi, avec une forme de détachement absolu, comme s'il répétait un texte appris par cœur. Il aurait pu essayer de me faire peur, me montrer qu'il savait qui j'étais, et qu'il avait donc un ascendant fort sur moi – ce qui aurait été partiellement vrai, et j'aurais ainsi pu garder une petite marge de manœuvre en sachant bien qu'il ne savait ce que je voulais qu'il sût – mais même pas. Il était simplement là pour me transmettre un message, en gros. Tout ça pour entendre un type dont le charisme le disputait à celui de sa chaise me transmettre une information à peine capitale ? Honnêtement, je commençais à croire au truc de la formalité administrative, et ce fut d'une voix un peu contrariée que je répondis :

- Vous connaissez mon nom, puis-je m'enquérrirr du vôtrre ? C'est qu'on ne m'a pas dit grrand chose avant de m'emmener ici…

Il répondit calmement. Ainsi donc, il s'appelait Bore, et il appartenait à l'Arbre Blanc. J'étais bien avancé. Ce devait être une sorte d'organisation militaire, puisqu'il me confia en même temps être soldat de la citadelle. Du peu que j'en savais, il s'agissait d'un poste relativement prestigieux, et j'avais un peu de mal à l'imaginer en grande uniforme se battant contre un ennemi farouche. Il avait plutôt l'air du parfait commerçant, peureux et incapable de tenir une arme. Ironiquement, je devais lui faire le même effet. Je pris un instant pour réfléchir :

- L'Arrbrre Blanc… Hm… Vous serrvez le Gondorr, c'est ça ?

Il ne prit pas vraiment la peine de répondre directement. Soit ma question était stupide, soit elle était mal posée. Comme je ne pose jamais de questions stupides, c'était qu'elle devait être mal posée. Effectivement, tous les hommes du Gondor se réclamant soldats étaient bien évidemment des serviteurs du Gondor. Mais ma question portait davantage sur « comment servez-vous le Gondor ? » que sur « êtes-vous un serviteur du Gondor ? ». J'aurais pensé qu'il aurait compris, mais soit il était idiot, soit il avait décidé de me snober. Comme la plupart des gens passaient leur temps à me prendre de haut, c'était qu'il ne devait pas être si idiot que ça. Encore que. Sans vraiment faire preuve de retenue, comme pour me montrer qu'il n'avait rien à perdre, et qu'il abattait toutes ses cartes d'un seul coup, il m'expliqua en détail la situation. Une situation que je connaissais assez bien, mais de l'autre côté du miroir. Il ne faisait que me résumer la guerre entre le Harondor et le Harad de Taorin, du point de vue non pas des hommes du Sud, mais bien du Gondor. Il fallait dire que de leur point de vue, les choses étaient quelque peu désastreuses. Leur dernière campagne militaire en Khand s'était soldée par un cuisant échec, et les armées menées par le Haut-Roy en personne avaient été arrêtées sèchement à Assabia. La première cité – si on pouvait considérer que les barbares du Khand vivaient dans autre chose que de grands villages – qu'ils avaient rencontrée avait stoppé net la progression de l'armée censée être la plus puissante de l'Ouest. Alors oui, la chaleur, oui les mercenaires, oui la désorganisation et la précipitation, mais tout de même. Prendre Assabia aurait dû être un jeu d'enfants, et ils avaient échoué.

Et puis il y avait eu Taorin. Ah, le Chien Borgne. Un seul œil, mais de l'ambition pour quatre. Il avait profité de la situation, profité de la faiblesse passagère du Gondor pour venir contester les territoires défendus par Radamanthe. Pire, il avait réussi à le repousser hors de sa capitale, et à s'y installer à sa place, devenant gouverneur de Dur'Zork. Un titre que les occidentaux ne devaient pas s'attendre à voir tomber dans les mains d'un sanguinaire chef de guerre comme ce Taorin, qui n'était rien de plus qu'une brute épaisse avec un joli costume. On ne pouvait pas dire que c'était un mauvais officier, et on sentait quand même qu'il maîtrisait son sujet, mais il fallait voir les troupes qu'il avait à son service… Un groupe de paysans de Rhûn aurait eu plus de discipline, plus de courage et probablement qu'il se serait montré plus efficace que la horde de pirates, d'esclaves en quête de liberté et de mercenaires qu'il avait ramassée au passage. Ramassée littéralement, puisque beaucoup s'étaient engagés à l'issue d'une soirée bien arrosée, en signant plus ou moins consciemment au bas d'un contrat qui leur promettait un salaire intéressant, et le droit de prendre ce qu'ils pourraient dans les villes razziées. Appeler ça une armée, c'était comme qualifier un Rohirrim de poète, ou qualifier un Khandéen de pacifiste. C'était se tromper lourdement. Et pourtant, ces sauvages avaient gagné. C'était dire l'opposition… Alors forcément, le Gondor commençait à s'inquiéter, et pour une raison qui ne me paraissait pas encore très claire, tout cela retombait sur moi…

Et voilà qu'on me proposait maintenant de trahir Taorin, pour encore plus de profit. Si la proposition avait visé à trahir Lyra, j'aurais bien ri, je me serais levé poliment, et j'aurais courtoisement enfoncé mon poing dans la figure du malandrin, avant de le balancer par la fenêtre. Quitte à me faire tuer par les deux autres. J'aurais au moins eu la satisfaction de ne pas trahir ma Reine, et de toujours lui rester fidèle, conformément au serment que j'avais prêté. Cependant, on parlait bien du Chien Borgne, et je demeurai un long moment silencieux, considérant les options qui s'offraient à moi :

- Vous ne me laissez pas beaucoup d'alterrnative, vous savez…

C'était vrai. Très franchement, quel choix avais-je ? Soit je restais fidèle à Taorin, auquel cas on s'arrangerait pour me faire disparaître maintenant que j'en savais trop, ou bien j'acceptais le marché qui serait forcément assorti de plusieurs garde-fou qui leur permettraient de me tomber dessus si j'essayais de les doubler. Fatalement, je n'avais pas trop le choix. Mais je pouvais essayer de faire mieux que ça. Depuis quelques temps, j'avais commencé à comprendre que la position de Taorin était de moins en moins tenable, et qu'il allait faire de plus en plus attention aux hommes qui l'entouraient. Je savais que je risquais gros, de par les connaissances que j'avais, et de par mon statut un peu particulier – en effet, je n'étais pas Haradrim, et on ne s'était pas privé de me le faire savoir. Pour eux, j'étais un traître potentiel, un ennemi potentiel, et si quelqu'un devait sauter, ce serait moi. Forcément… Alors la proposition du Gondor, c'était peut-être ma porte de sortie. C'était peut-être l'opportunité pour moi de m'écarter de cette menace qui planait au-dessus de ma tête, et de me mettre un peu à l'abri. J'étais pour l'heure trop exposé à Taorin, et aux caprices de la politique du Sud. S'il sautait, je sautais aussi. Et s'il décidait de me faire sauter pour se maintenir, je sauterais aussi. Je ne manquerais à personne. Prudemment, je répondis :

- Vous savez, on ne rrefuse pas la prrotection d'un homme comme Taorrin… Quand il est venu fairre appel à moi, j'étais un simple serrviteurr. Savoirr lirre, et fairre son trravail sans se laisser corromprre est déjà beaucoup, là-bas. Je suppose que c'est pourr ça qu'il m'a donné ma chance. Je sais aussi que dès qu'il n'aurra plus besoin de moi, il me ferra exécuter. Ainsi sont les sultans du Harrad…

Leur réputation les précédait, et les conflits familiaux avaient non seulement décimé les familles princières, comme les Ben Elros, mais également ceux qui leur étaient fidèles. Le Sud avait perdu une grande partie de ses hommes de valeur, et c'était peut-être aussi pour cette raison qu'il peinait à retrouver sa stabilité. Je poursuivis, lentement :

- Cependant, ceux qui trrahissent le Seigneurr Taorrin subissent un sorrt encorre moins enviable que la morrt. Ils sont torrturrés des jourrs durrant, des mois durrant. Des années, même… Et pourrtant, vous avez rraison : je ne parrtage pas les convictions des Harradrrim. Je ne suis pas l'un d'entrre eux. Je cherrche simplement un trravail qui paie bien, et qui me garrantisse la sécurrité. Vous crroyez que le Gondorr peut m'offrrirr cela ?

C'était mon premier pas sur la corde raide des négociations, et je levai les yeux pour plonger dans le regard de mon interlocuteur – et aussi pour ne pas regarder en bas, dans le précipice vers lequel je menaçai de tomber. Je n'avais pas le droit à l'erreur, sinon je risquais d'être lâché par les deux parties, et de me retrouver absolument dépourvu d'alliés. Il me fallait un protecteur, et si le Gondor me faisait faux-bond, je risquais de payer très cher mes paroles. Mais d'un côté, je savais qu'eux aussi prenaient un gros risque en me contactant, et ils savaient sans doute à quoi s'attendre. M'immergeant totalement dans la personnalité de Salem, je continuai d'une voix mesurée mais ferme :

- Je connais beaucoup de choses à prropos de Taorrin, de ses prroches, de ses parrtisans. Je connais bien les rrapporrts de forrce au sein du Conseil, je sais surr qui il s'appuie, et de qui il compte se débarrasser. Des inforrmations qui pourraient vous êtrre utiles. Je suis disposé à les parrtager avec vous, mais vous devez me garrantirr plusieurrs choses en échange.

Je n'avais pas été trop difficile à convaincre en définitive, et c'était désormais l'heure de faire monter les enchères. Je n'étais pas particulièrement intéressé par l'argent, mais il fallait bien que je leur donnât l'impression que je n'étais qu'un homme cupide et vénal, qui s'intéressait uniquement à sa propre sécurité, qu'il s'agît d'une protection physique ou d'une rémunération à la hauteur de mes compétences. J'énumérai, en comptant sur mes doigts :

- Prremièrrement, je veux êtrre habilité à rrester au Gondorr. Si je continue à trravailler à Durr'Zorrk, vous ne pourrez pas assurrer convenablement ma prrotection. Rrassurrez-vous, je connais assez de gens qui pourront me fourrnirr des inforrmations de prremier orrdrre, mais je veux êtrre à l'abrri de toute rreprésaille de Taorrin. C'est non négociable.

J'eus une pensée pour Agathe, restée à Dur'Zork, et qui continuait à travailler dur. Je ne pouvais pas la faire venir au Gondor pour la garder à mes côtés, mais de toute façon elle serait beaucoup plus efficace là où elle était. Tant qu'elle faisait bien son travail, Taorin la conserverait à ses côtés. Par contre, si je me faisais prendre, elle risquait d'être la première à trinquer. Il faudrait peut-être que j'arrive à lui parler, à lui faire part de mon plan pour qu'elle pût s'en tirer quand la situation commencerait à sentir le roussi. Une petite voix dans ma tête me dit que, peut-être, j'étais en train de faire passer cette femme avant les intérêts de ma mission, et je décidai de remettre ce débat intérieur à plus tard. Quand je pourrai y réfléchir à tête reposée. Je levai un second doigt, et ajoutai :

- Ensuite, je veux pouvoirr trravailler pourr vous. Avec si possible un salairre conforrtable. Comprrenez-moi, maintenant qu'on m'a vu avec Taorrin, perrsonne ne voudrra êtrre vu avec moi. Je veux la garrantie d'un trravail qui ne fasse pas insulte à mes compétences, et qui paie. J'ai une très bonne situation à Durr'Zorrk, et je rrefuse de la quitter pour vivrre dans la misèrre ici, détesté et haï de tous. Si je deviens votrre inforrmateurr concerrnant le Sud, je veux que ce soit dans le cadrre de votrre orrganisation. Je veux connaîtrre vos stupides codes à l'entrrée, et ne pas vivrre avec l'imprression que tout le monde me surrveille en perrmanence. Vous crroyez que c'est jouable ?

J'étais certain qu'il allait négocier, mais c'était pour ça que j'avais mis la barre assez haut. J'espérais bien me greffer sur leur organisation pour récolter quelques renseignements au passage, et les transmettre au Rhûn, mais je savais bien qu'ils ne me laisseraient jamais avoir accès à tous les secrets de leur groupe. Je prendrai ce qu'ils pourraient bien me donner, en espérant qu'ils ne me colleraient pas un chaperon. Encore que s'il s'agissait d'un nouveau, d'un jeune homme un peu naïf, je pouvais espérer le retourner et le manipuler pour en apprendre davantage. Il faudrait voir. J'aurais pu m'arrêter là dans mes demandes indécentes, mais je savais que cette affaire risquait de me tarauder si je ne la réglais pas rapidement. Le cas d'Agathe. Actuellement, j'étais en train de lui faire courir tous les risques à ma place, si je ne le faisais pas, mon contact risquait de s'en apercevoir, et de juger que j'étais compromis pour cette mission. Les espions compromis étaient soit abandonnés en terrain ennemi – quand ils étaient aussi fidèles que moi, c'était une punition plus que suffisante, et on pouvait toujours nous réactiver après des années de silence – ou bien éliminés purement et simplement. Il fallait donc que je décidât, et je levai finalement un troisième doigt, me penchant légèrement en avant :

- Derrnier point… Une des perrsonnes qui se trrouve encorre à Durr'Zorrk, et qui serra en mesurre de me fourrnirr des rrenseignements quand ceux dont je dispose ne serront plus valables, prrendrra de trrès grros rrisques pour vous aider. Si sa situation vient à êtrre comprromise, elle doit pouvoirr me rejoindrre ici. C'est la seule perrsonne qui me prréoccupe, je vous le jurre.

J'aurais peut-être dû dissimuler le fait qu'il s'agissait d'une femme, puisque Agathe et moi n'étions ni mariés, ni même amants. Toutefois, il y avait un lien à la fois fort et difficile à vivre entre elle et moi. J'étais attaché à elle, elle à moi, pour des raisons qui ne s'expliquaient pas vraiment. Peut-être parce que j'ignorais tout de son passé, et qu'elle ignorait tout du mien. Peut-être parce qu'en dépit de tout ce qui nous séparait, nous étions extrêmement proches et complémentaires. J'aurais mal vécu qu'elle fût éliminée pour m'avoir aidée, alors que je m'arrangeais présentement pour être particulièrement bien protégé. L'idée de l'utiliser n'était pas répugnante en soi – tout le monde exploitait son prochain, non ? –, mais celle de la voir mourir pour un combat qui n'était pas le sien était dérangeante, pour ne pas dire clairement insupportable. Je n'étais pas sûr qu'elle survivrait à cela – moi non plus, d'ailleurs, même si je prenais plus de précautions à mon égard –, mais je devais au moins lui laisser une porte, et l'inclure dans le contrat très curieux que j'essayais de signer avec ce Bore de l'Arbre Blanc. Peut-être que cet idiot finirait par me dire de quoi il s'agissait, à moins que ce ne fût encore un des mystères du Gondor…


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Nathanael
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Loyal rime avec vénal EmptyMer 9 Sep 2015 - 18:43

Bore mettait toute sa concentration à l’épreuve pour ne pas tiquer. Non seulement l’accent de l’étranger l’irritait au plus haut point, sans parler de sa façon de se comporter comme s’il n’était qu’un vulgaire citoyen honnête, mais en plus il cherchait à négocier. L’homme était ce que la populace appelait communément un « filou », un esthète du mensonge qui se faufilait entre les mailles des lois pour fuir le joug de la justice et esquiver le fouet de la condamnation. Et tout cela en profitant au passage de la crédulité des courtisans, des hommes de pouvoir et de ses « supérieurs » pour en tirer quelque chose : un confort social ou quelques pécules tintinnabulant. Bore était persuadé que ce Rhûnien n’était que la forme humaine d’une mante religieuse, qui après avoir profité pleinement de sa copulation avec un royaume, cherchait ensuite à lui trancher la tête. Le Gondor prenait des risques en concluant un marché avec un malandrin pareil. Les Orientaux n’étaient-ils pas tous les mêmes : de vulgaires traîtres dissimulés sous des masques de courtoisie et de courbettes alambiquées ? L'agent de l’Arbre Blanc se demandait encore pourquoi le Gondor n’avait jamais pris le temps d’écraser ce peuple misérable aux mœurs condamnables. Et bien qu’il n’ait jamais osé prononcer tout haut ce qu’il pensait tout bas, quelques fois, il trouvait que leur Haut Roi manquait de détermination. Bore continua néanmoins de jouer la carte de la franchise, et mit fin aux tentatives de son interlocuteur pour échapper au contrat qui lui était proposé. Imposé aurait été plus à propos, mais on ne négocie pas avec le plus grand royaume de l’Ouets.

- Vous serez donc heureux de savoir que votre hésitation n’a plus lieu d’être. Encore quelques heures, un jour ou deux tout au plus, et votre très cher Taorin ne fera plus parti de la carte politique. En tout point, ne trouvez-vous pas que l’on vous facilite la tâche ?  Nous vous offrons la vie sauve et un poste rémunéré. Sans quoi vous seriez sans doute déjà dans les geôles parmi les rats gondoriens.

Bore eut pour la première fois un sourire appuyé et condescendant. Ce petit jeu l’ennuyait. Il était à ce point blasé par toutes ces années de négociations que même les échanges les plus piquants ne lui procuraient plus aucun plaisir. Il n’y avait plus qu’auprès des femmes qu’il retrouvait un peu de sens à ce mot. Les femmes … et il retint un violent soupir. Il reposa son verre sur le bras du fauteuil dans lequel il était installé et fit un signe de la main pour que le serviteur vienne le remplir. La fraîcheur du Mont Mindolluin ne parvenait plus à faire le poids contre les vagues de chaleur venues du Sud et la férocité du soleil estival. Une veine battit sur la tempe du membre de l’Arbre Blanc, sans parler de l’atrocité de supporter la transpiration qui lui dégoulinait dans le dos. Il vivait un vrai calvaire, et c’était sans doute une des raisons pour lesquelles il voulait en finir au plus vite. Il but avec précaution quelques gorgées d’eau même si tout son corps lui criait de finir le verre cul-sec et de s’en resservir un autre aussitôt. Il fit migrer son esprit de son inconfort corporel jusque vers la discussion qui reprenait son cours tandis que Salem Hamza débitait une succession de conditions incontournables. Bore ne pouvait cesser de se répéter intérieurement : « Mais qu’on lui coupe la tête ! ». Il fit néanmoins mine de l’écouter avec attention. Après tout, il n’était qu’un négociateur et aucunement un décisionnaire. Il avait eu pour ordre d’accepter à peu près toutes les requêtes de leur nouveau cheval de bataille à l’exception de celles qui envenimeraient une situation déjà des plus compliquées avec le Sud. Bore ne comprenait toujours pas en quoi racheter un ancien espion au service du Harad arrangerait les relations avec les Sudistes mais la guerre de l’information semblait plus importante aux yeux du Gondor après la débandade dans le désert que n’importe quelle autre arme en leur possession. Bore inclina une première fois la tête à la demande de Salem à propos de sa condition géographique.

- Accordé.

Il se retint bien de préciser que cette condition faisait également partie de la liste imposée par l’Arbre Blanc. Le Gondor ne disposait pas suffisamment d’hommes, et qui plus est d’hommes compétents, dans le sud pour surveiller un plaisantin dans son genre qui saurait leur fausser compagnie dès que le besoin s’en ferait sentir. Et il voyait mal comment les forces de Mephisto pourraient par la suite se présenter aux portes de Dur’ Zork en prétendant venir récupérer un espion qui a retourné sa veste et qui leur a fait faux bond. Il ne voyait pas pire animal en liberté pour semer la discorde entre des royaumes qui se regardaient déjà en chien de faïence. Mieux valait le museler et le garder dans sa niche ou le sortir avec une muselière plutôt que de le laisser lever la patte sur toutes les bottes au risque de froisser certaines sensibilités. La seconde condition du Rhûnien effleurait la corde de son énervement, même s’il s’y était préparé. Quel rat n’essaierait pas de venir grappiller les miettes d’un gâteau dont il n’a jamais goûté. L’on parlait du Gondor, « Bon sang », pas d’un ramassis de tentes et de bourgades battues par les vents du désert où grouillaient une population de miséreux et de voleurs. Comment ce freluquet osait-il faire l’affront à la plus grande puissance d’Arda en parlant d’un salaire « supérieur » ? Comment osait-il laisser penser que l’Arbre Blanc embauchait au rabais ? Et tout cela pour émettre une comparaison éffrontée entre le Gondor et le sud. La veine sur la tempe de Bore battit une nouvelle fois, mais ce ne fut pas à cause de la chaleur. Il serrait les dents. Cartogan faisait pendre les gueux pour moins que ça. C’est pourtant avec toute la maîtrise de soi et l’amabilité dont il était encore capable qu’il répondit le plus posément du monde.

- Accordé.  

Après tout, le Gondor était vaste et cette girouette ambulante ne devrait pas forcément travailler dans l’enceinte de la Cité Blanche. C’était d’ailleurs une éventualité à proscrire et ses supérieurs avaient déjà savamment pensé à cette modalité du contrat. Bore se ragaillardit à cette idée et avala sans trop de difficulté quelques gorgées d’eau supplémentaire sans trembler. C’était un faux calme, et c’était à présent un véritable combat qu’il menait contre lui-même pour ne pas faillir à sa tâche. Il s’abstint de tout commentaire de trop, et, surtout, de lui parler de l’homme qui le suivrait comme son ombre lors de ses prochaines missions. Après tout, il n’était pas le plus à plaindre. Il croisait l’énergumène quelques minutes le temps de négocier et il ne le verrait sans doute plus jamais de son existence. Il avait plutôt de la pitié pour le pauvre homme qui devrait se coltiner cet étranger des jours durant jusqu’à mener une quelconque tâche à bien. Il y aurait des pertes sans doute.

Il retint sa respiration lorsqu’il vit un troisième doigt se lever. Est-ce qu’il allait continuer ainsi jusqu’à dix ? Malgré la façade impassible qu’il efforçait de maintenir, Bore subissait de véritables sueurs froides. D’autant que sur le point des invitations, rien n’avait été spécifié par ses supérieurs. Plus réputé pour vivre en solitaire, du peu que l’on savait de lui, qu’occupé à s’inquiéter du sort de son prochain la question n’avait même pas été évoquée. Qui plus est on ne lui connaissait pas de famille, au grand damn des autorités compétentes qui s’en seraient bien servies pour faire pression sur lui. Mais si l’homme affectait une attention particulière pour une personne, quelle qu’elle soit, cela pourrait  un jour tourner à l’avantage de l’Arbre Blanc. Bore avait depuis longtemps appris à faire chanter les autres, mais il ne donnait lui-même que rarement de la voix. Sa longue expérience des négociations reprit le dessus sur ses angoisses d’administrateur ensuqué. Il abdiqua donc d’un simple digne de tête.

- Accordé.

Et encore une fois il ne s’étala pas sur les détails. L’Arbre Blanc autorisait le transfuge éventuel à rejoindre les frontières du Gondor et à obtenir un asile salutaire, en aucun cas il ne s’engageait à l’aider dans son voyage. Ils se contenteraient d’observer la course poursuite et de l’interrompre en temps et en heure aux portes du royaume. Avant cela ils se comporteraient comme de simples observateurs lors d’une partie de chasse.

Enfin ! Il était temps de passer aux choses sérieuses et d’expulser rapidement ce migrant audacieux des hauts murs de la cité blanche pour qu’il aille se dégourdir les jambes au grand air. L’agitation au sud n’était pas du seul fait de Taorin et de ses troupes de chiens affamés. Les pirates également causaient du souci au Gondor, et Pelargir manquait d’informations sur place pour contrecarrer toutes leurs agressions et anticiper leurs mouvements. En espérant qu’il y ait quelque chose à anticiper, car ces boucaniers des mers semblaient aussi bien organisés qu’une bande de ouargs, guidés seulement par leur soif de rhum et de conquêtes côtières. Bore reposa son verre, claqua des mains pour que le serviteur expédie le service et range leurs petites affaires, il se leva prenant déjà presque le chemin de la sortie.

- Affaire conclue alors ! Vous travaillerez à notre service sous l’étendard de l’Arbre Blanc. Il va de soi qu’afin de protéger votre couverture et d’assurer la politique actuellement menée entre le Gondor et le Sud, vous vous ferez toujours passer pour un fidèle serviteur du seigneur Taorin. Je vous suppose suffisamment imaginatif pour anticiper ce qu’il adviendrait de votre personne en cas de rupture du contrat qui vous lie au Gondor.

Bore exprima un franc sourire comme s’il maintenait une conversation amicale. L’agent avait l’impression de reprendre pied en reprenant les rênes de la conversation et il avait soudainement l’air plein d’un nouvel entrain. Il tapa un coup sec contre la porte après quoi les deux hommes qui avaient accompagné Salem jusque chez les Lanternier reparurent épée au fourreau, fidèles à leur poste.

- Ces soldats s’assureront que vous retrouviez le chemin de la sortie ainsi que la ruelle dans laquelle ils vous ont trouvé. L’ensemble des informations qui vous importent vous serons transmis dans les prochaines heures par courrier. A la tombée de la nuit ne refusez-pas les formes voluptueuses des belles-de-nuit qui frapperont à votre porte. Il est des confidence qui ne se font que sur l’oreiller.

Bore pensa aux femmes qui l’attendraient également chez lui mais avec lesquelles il ne s’occuperait d’aucune affaire officielle.

- Profitez bien de la côte ! L’air marin est des plus revigorants à ce qu’on dit.

Sans plus de précision ni d’explications, Bore s’assura que leur nouvelle recrue prenne la porte et redescende en bonne compagnie jusque dans la boutique. Une fois le battant de bois rabattu, ce n’était plus son affaire. Il venait d’achever sa propre mission, advienne que pourra, et vive le Gondor !
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Ryad Assad
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Loyal rime avec vénal EmptySam 12 Sep 2015 - 23:29
Accordé ?

Il m'avait tout accordé, cet idiot… Si j'avais su, j'aurais demandé d'autres avantages, juste pour voir jusqu'où le Gondor était prêt à aller dans sa générosité. Ces hommes de l'Ouest ne faisaient pas preuve de la même méfiance que les Suderons, et ils étaient si faciles à berner ! Quelque part, j'avais du mal à comprendre… Ils n'étaient quand même pas stupides au point de faire aveuglément confiance à quelqu'un comme moi, si ? Enfin, quand même ! Même en essayant d'en dissimuler le plus possible sur ma véritable identité, j'avais l'air clairement d'un traître en puissance. Me recruter était un pari audacieux, et je comprenais pourquoi ils avaient eu envie de faire de moi l'un de leurs espions, mais de là à m'offrir tout ce dont je rêvais… C'était aller un peu vite en besogne tout de même. Nous n'étions pas même amants qu'il voulait déjà m'offrir de quoi me combler… Cela sentait étrangement l'entourloupe, et je préférais rester sur mes gardes, m'attendant presque à ce qu'il s'élevât en me disant « surprise ! Je blague ! ». Je ne l'aurais même pas mal pris.

Cependant, il était de toute évidence particulièrement bien disposé à mon égard, et la phrase qu'il avait lâchée quelques instants avant me revint en mémoire. « Taorin ne fera plus partie de la carte politique ». Ainsi donc, ils avaient trouvé un moyen de se débarrasser du Chien Borgne ? J'avais beaucoup de mal à croire à une telle fable, mais puisque pour le moment je n'avais aucune possibilité de vérifier ses dires, il me fallait procéder avec prudence. Je préférais ne pas trop m'emballer, mais s'il disait la vérité, alors les choses étaient extrêmement intéressantes. Taorin mis hors-jeu, cela me laissait énormément de latitude pour agir, tout en laissant d'autres que moi attirer les soupçons sur eux. Il était probable que le Gondor n'avait pas eu les ressources suffisantes pour faire condamner le Seigneur Pirate, et qu'ils avaient dû s'allier avec des Haradrim qui avaient vendu le Chien Borgne, ce qui impliquait que d'autres que moi auraient à payer le prix fort si ce dernier réussissait à sortir du piège dans lequel il était tombé.

Et moi, pendant ce temps, j'étais libre de reprendre la route et de faire semblant de travailler pour le Gondor. L'opportunité était trop belle pour être laissée de côté, et je n'avais pas particulièrement de raisons de refuser. J'acceptai donc l'offre en question, sans montrer un enthousiasme débordant. Je voulais apparaître comme quelqu'un de pragmatique et de mesuré, qui ne retournait sa veste que quand il était objectivement plus intéressant de le faire. L'Arbre Blanc – qu'importe ce que cela pouvait être – n'aurait jamais confiance en moi, c'était certain, mais je voulais leur donner le sentiment que mon point faible tenait à des biens matériels qu'ils pouvaient m'offrir. Ils resteraient donc à l'affût de mes moindres faits et gestes, et ils s'empresseraient de renchérir si quelqu'un me proposait davantage qu'eux. L'avantage qu'ils avaient était que le Gondor était un royaume riche, et qu'ils pouvaient se permettre de dépenser beaucoup pour garder un individu tel que moi. Il faudrait seulement que je m'assurât de me protéger efficacement, en collectant des informations à leur sujet. Le jour où ils essaieraient de me tuer, je m'arrangerais pour négocier au mieux pour m'en sortir. Du petit chantage entre amis qui n'avait rien de malsain.

Je souris très légèrement à mon interlocuteur, Bore, qui paraissait vouloir s'enfuir d'ici le plus rapidement possible. Peut-être à cause de la chaleur, sans doute à cause de cette conversation qui ne menait nulle part. Je lâchai d'une voix particulièrement monotone :

- J'imagine trrès bien oui… Je suppose qu'en dépit de votrre rréputation de peuple tendrre et faible, vous êtes aussi capable de crruauté et de violence…

Il ne répondit pas. Il n'y avait de toute façon rien à répondre à cela. Le Gondor était du genre à se battre pour des raisons qu'il estimait justes, mais dans le même temps il n'hésitait pas à se mettre au niveau de ses ennemis en matière de torture et de massacres. La campagne d'Assabia avait laissé des traces dans l'imaginaire collectif des Khandéens et des Haradrim, qui se souvenaient du traitement fait aux prisonniers pendant que les officiers ne regardaient pas, ou bien la façon dont les auxiliaires étrangers étaient considérés au sein d'un campement qui prônait l'égalité. Les échauffourées avaient été nombreuses, les rixes également. Pour eux, il n'y avait qu'une seule race d'hommes bons et dignes de quoi que ce fût. J'ajoutai, pour détendre l'atmosphère :

- Je suppose que nous ne nous reverrons pas, monsieur. Je vais rrentrrer désorrmais, et essayer de ne pas me fairre rretarrder parr d'autrres démarrches administrratives… Je peux ?

Sourire aux lèvres, il m'invita de la main à me lever, et frappa à la porte pour appeler les deux cerbères qui m'avaient gentiment escorté jusque dans cet endroit. Alors que nous étions sur le point de nous séparer, il me glissa avec malice que j'aurais à attendre la visite de jeunes demoiselles pleines de charmes à la nuit tombée. Je ne pus m'empêcher de hausser un sourcil interloqué. Décidément, ces gens avec leurs codes et leurs secrets étaient vraiment très amusants. S'ils traitaient ainsi les gens avec qui ils faisaient affaire, j'étais curieux de voir quels avantages ils réservaient à ceux qui étaient des leurs, leurs plus éminents membres. Ceux-là devaient avoir des harems comme on en trouvait parfois chez les puissants seigneurs de guerre du Harad, et des centaines d'esclaves à disposition pour assouvir tous leurs caprices. Ah non, j'oubliais… ces sauvages étaient – inexplicablement ! – contre l'esclavage…

- On m'avait vanté l'hospitalité du Gondorr, mais jamais on ne m'avait parrlé de cette coutume… Vous savez rrecevoirr convenablement, c'est cerrtain !

Le Gondorien paraissait légèrement pensif, et je me demandai si ce n'était pas parce qu'il savait qui était la jeune femme qui allait m'être envoyée durant la soirée. Il se pouvait fort qu'il s'agît d'une espionne elle aussi, et soudainement la perspective de passer la nuit avec une d'entre elles me parut beaucoup moins agréable. Il était évident que l'on pouvait obtenir beaucoup de renseignements par le biais d'une jeune et affriolante jeune femme. C'était également un bon moyen – et le simple fait que quelqu'un eût envisagé les choses sous cet angle était retors – de repérer d'éventuels signes distinctifs sur le corps d'un individu. Des signes comme un tatouage, par exemple. Je me retins de porter la main à la base de mon cou, où l'encre représentait une vipère à cornes, animal symbole de notre tribu. Je fixai un instant l'homme en face de moi, me demandant s'il était assez audacieux pour tenter quelque chose du genre…

- J'ai toujourrs aimé la merr, c'est un plaisirr que de voirr des navirres, et d'entendrre le crri des oiseaux marrins.

Sa question et ma réponse ne laissaient aucun doute. Oui, il était tout à fait du genre à m'envoyer une femme pour ce genre de raisons…


~ ~ ~ ~


L'entrevue terminée, je m'empressai de remplir mes obligations, avant de rentrer au campement, où j'appris que les Haradrim étaient dans tous leurs états. Taorin avait été arrêté au beau milieu de sa délégation et de ses gardes par les troupes de Minas Tirith, qui l'avaient conduit au travers des rues jusque dans les geôles royales, où il était détenu. Personne n'était autorisé à lui rendre visite pour l'instant, et on préparait un procès qui aurait des conséquences retentissantes. Les différentes parties rassemblaient leurs témoins potentiels, et essayaient de préparer des arguments pour faire triompher leur opinion. Très sincèrement, j'espérai que le Seigneur Pirate allait rester enfermé un certain temps dans la capitale du Gondor, le temps de me permettre de m'échapper un peu de son emprise. Mais en même temps, il ne fallait pas qu'il fût condamné trop vite, sinon toute l'autorité qui découlait de lui se tarirait comme une source soudainement asséchée par le soleil du désert. Je ne désirais qu'un mince filet de ce pouvoir, suffisant pour que je pusse m'en régaler, sans qu'il me submergeât. Subtil équilibre, non ?

Je constatai néanmoins que beaucoup des Pirates qui accompagnaient Taorin n'avaient pas la réaction que j'avais escomptée. Je pensais qu'ils allaient se laisser emporter par la colère et la rage, qu'ils allaient menacer le Gondor, demander des comptes, et commencer à menacer le royaume de l'Ouest de lui déclarer la guerre. Mais non. Il n'y eut rien de tout cela. Les derniers Seigneurs Pirates rassemblèrent leurs hommes, et leur imposèrent de rester tranquilles, de ne pas se laisser entraîner dans ce qu'ils appelaient un « piège grossier » qui était censé les « pousser à la faute ». Le Gondor, selon eux, cherchait une raison simple et bonne de leur déclarer la guerre pour reprendre le Harondor, et s'ils voulaient préserver leurs gains, ils devaient simplement attendre que la justice fît son œuvre. De toute façon, continuaient-ils, puisque Taorin est innocent, il sera bientôt relâché, et alors il sera possible d'envisager avec lui la façon de faire payer sa traîtrise au Gondor. La faction la plus dure accepta de très mauvaise grâce ce compromis, mais finit par céder à la raison. Ils regagnèrent leurs navires prestement, en emportant avec eux la dépouille de leur chef Riordan, assassiné quelques jours plus tôt, et qu'ils n'avaient toujours pas mise en terre. Ces sauvages voulaient le jeter à la mer – ce qui en soi était tout à fait louable – mais ils n'envisageaient pas un seul instant que le cadavre pût pourrir. Les idiots…

Les serviteurs – auxquels j'appartenais, grâce à ma couverture exceptionnellement bien trouvée – et les marchands du Sud se retrouvèrent donc bien seuls, car nombre de Pirates avaient décidé de dormir à bord des navires pour ne pas être de nouveau pris par surprise par les « vils hommes du Gondor aux rudes manières ». Oh, certes, leur vocabulaire était un peu plus fleuri et moins délicat, mais l'important réside dans l'essence de leur message, non ?

La nuit tomba bientôt sur le campement, et alors que j'étais seul dans ma petite tente, enfin libéré de l'emprise des gardes et des Pirates qui déambulaient partout en hurlant, je vis une silhouette sombre se découper devant l'entrée de mon réduit. On gratta légèrement le long du tissu, et je m'enquis brièvement de l'identité de ma visite nocturne. Elle ne répondit pas, et je me levai pour lui ouvrir. J'eus la plaisante surprise de découvrir que mon nouvel employeur ne s'était pas moqué de moi. La ravissante créature qu'il m'avait envoyée ne devait pas encore avoir vingt printemps, mais elle était déjà charmante en effet. Je la considérai d'un œil critique pendant un instant, en me rappelant qu'elle était sûrement là pour m'arracher des informations, m'observer subrepticement, et découvrir des secrets me concernant. Difficile combat que j'allais devoir livrer. Elle m'observa en retour, avant d'ouvrir ses lèvres sensuelles en murmurant :

- Salem ?

- C'est moi.

Je l'invitais à entrer sans plus de cérémonie. Ma tente n'était pas aussi luxueuse que celle de Taorin, et il n'y avait globalement de la place que pour un lit, un bureau et une chaise. Mes affaires étaient dans un petit sac de jute, le reste se trouvant à bord du navire qui nous avait amené jusqu'à Osgiliath. La jeune femme posa un regard un peu inquiet sur son environnement. De toute évidence, elle était très mal à l'aise, et elle ne devait pas avoir beaucoup d'expérience de ce genre d'interrogatoires. Ou plutôt, elle n'en avait aucune. Je la fis asseoir sur le lit, et pris la chaise en face d'elle pour maintenir une certaine distance. Installé le plus loin possible d'elle, je demandai :

- Vous avez un nom ?

Ses réactions involontaires trahirent que la réponse était oui – quel génie, me direz-vous, et je vous répondrai que oui j'en suis un –, mais elle garda obstinément la bouche fermée, comme si elle se refusait à me communiquer son identité. Je haussai les épaules. C'était une tactique classique pour résister aux interrogatoires, et on avait dû la prévenir de ne pas engager la conversation avec moi, et de faire ce qu'elle avait à faire, rien de plus. Je souris légèrement :

- Vous êtes une prrostituée ?

Cette fois, elle ouvrit grand la bouche, presque outrée par le peu de tact avec lequel j'avais posé la question. En même temps, il fallait bien la faire réagir, cette gamine. Voyant qu'elle ne se sentait pas à l'aise, je l'incitai :

- Vous êtes-là pourr quoi, exactement ?

- Pour vous transmettre un message.

Elle essayait d'en dire le moins possible, mais je continuai inlassablement :

- Lequel ?

- Vous le trouverez à Pelargir. Il se fait appeler « Le Conteur ».

Je hochai la tête à plusieurs reprises, avec une moue dubitative. Le « conteur », rien que ça. Ce type devait se prendre pour un mec particulièrement intelligent, et son identité secrète devait lui tenir à cœur, tout comme les autres types qui m'avaient ramenés semblaient être très attachés à leurs codes secrets frappés sur les portes. C'était vraiment un monde bizarre que celui-ci. Mais bon, il me fallait trouver ce fameux « conteur » à Pelargir, ce qui serait sans doute assez compliqué. Une grande cité du Gondor, avec beaucoup d'habitants, dans laquelle j'aurais quelques difficultés à me renseigner sur un homme qui ne devait pas avoir d'existence officielle, qui devait être discret comme une ombre, un véritable noctambule qui marchait en rasant les murs. Bref, je devrais faire appel à mes talents de détective pour lui mettre le grappin dessus, et me mettre en relation avec lui. Bon, au moins je savais où je devais aller. Je me tournai vers la jeune fille, qui paraissait ne pas vouloir partir.

- Autrre chose ?

J'étais provocateur à souhait, et le sens caché de ma question ne lui échappa guère. Le rouge lui monta aux joues, et elle me lança un regard foudroyant, incapable de répondre. Je m'apprêtai à me lever pour la congédier, mais elle cria :

- Attendez, je vous en prie !

Je me calai sur la chaise, et la regardai, un demi-sourire aux lèvres. Tout son corps trahissait son émoi, pour ne pas dire son bouleversement. Elle n'était guère heureuse de se trouver ici. Je me penchai en avant, et lui glissai doucement une main sous le menton pour la forcer à croiser mon regard :

- Ils vous ont demandé de coucher avec moi, c'est ça ?

Elle voulut dire quelque chose, mais je poursuivis :

- Et vous ne voulez pas… Je ne suis pas votrre type, c'est ça ?

Elle voulut baisser les yeux, mais je la forçai de nouveau à m'affronter. J'avais toujours été doué pour gagner de l'influence auprès des gens – ce qui me rendait plutôt doué dans mon domaine d'expertise – et cette jeune novice n'allait pas m'apprendre comment soutirer des informations à quelqu'un. Elle l'ignorait encore, mais elle était déjà en train de danser au creux de ma paume. Restait à savoir quels pas je voudrais lui imposer, et surtout à quel moment. Je l'observai avec une grande attention, et fis quelques tentatives :

- Vous êtes encore vierrge, c'est ça ? Ou alorrs vous n'aimez pas les gens de l'Est, peut-êtrre… A moins que vous ayez déjà un fiancé… Ah ? C'est ça ? Vous avez un fiancé ?

Elle ne pouvait rien me cacher. Je lui souris :

- Allonge-toi.

Elle frémit perceptiblement, mais s'exécuta lentement, hésitant quant à la marche à suivre. Elle avait une tunique plutôt informe, qui laissait tout de même deviner ses courbes généreuses, mais pour la mission qu'on lui avait confiée, ce n'était qu'une armure de papier destinée à être balayée par la première brise. Elle devait partir au combat dans le plus simple appareil, et elle n'était pas censée garder la robe plus de quelques minutes. Ils imaginaient sans doute que j'allais l'aider à l'ôter, sots qu'ils étaient. Allongée sur le dos, elle respirait rapidement, observant mes déplacements dans la pièce avec au fond du regard une lueur effrayée. Je me levai, et ôtai ma veste de cérémonie pour conserver une tunique simple, très ajustée, laissant mes bras libres. J'ôtai mes chaussures, et m'approchai de la jeune fille qui commença à retrousser ses robes en essayant de rendre le tout sensuel et aguicheur :

- Ne te rrends pas rridicule. Allez, pousse-toi un peu. On peut dorrmirr à deux surr ce lit, si tu prrends la peine de parrtager.

Elle ne comprit pas, mais je lui montrai énergiquement comment se pousser. Je soufflai l'unique bougie qui nous prodiguait un peu de lumière, et m'installai à ses côtés. Elle était partagée entre la crainte et la perplexité la plus totale. Je rabattis la couverture sur nous deux, et lui tournai ostensiblement le dos, m'allongeant sur le côté sans la regarder. Le lit n'était pas très large, mais j'essayai de me recroqueviller pour lui laisser de l'espace. Elle conserva le silence un moment, de toute évidence très gênée. Je le rompis, tranchant l'obscurité avec quelques mots chuchotés :

- Dorrs, et ne te fais pas de souci. Demain, tu leurr mentirras, et tu leurr expliquerras que tout s'est passé comme prrévu. Ils ne te poserront pas beaucoup de questions…

J'espérais qu'elle allait me donner des informations sur ceux qui l'avaient employée, mais elle ne pipa mot. Elle était maligne, mais de toute évidence elle ne comprenait pas la raison de mon geste, ce qui la perturbait grandement. Alors que je croyais qu'elle allait se taire et m'oublier, je sentis qu'elle se blottissait contre mon dos. Mais pas comme une femme aimante, dont les bras seraient venus m'enlacer. Non. Elle s'était simplement rapprochée de moi, et s'était allongée comme une enfant contre une figure parternelle. Etait-ce que j'incarnais pour elle ? Je ne saurais le dire. Un simple murmure glissa contre mon épaule :

- Merci.

Je fermai les yeux.

Elle était là, à portée de main, et il n'allait rien se passer entre nous…

Ah quel con !


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