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Sujet: Les femmes sont plus traîtresses que l'alcool
Nathanael

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Rechercher dans: Pelargir   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Les femmes sont plus traîtresses que l'alcool    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 9 Sep 2015 - 19:46
Gueule de bois. Le réveil fut difficile et lui coûta un effort démesuré pour ne pas vomir aussitôt qu’il ouvrit les yeux. Le plafond dansait au-dessus de lui comme le ventre d’une femme du Harad. Il avait mal au crâne. Son esprit était une toile abstraite où ses pensées se délitaient sans cesse. Des images sautaient confusément devant ses yeux puis glissaient dans l’oubli avant de ressurgir, quelques secondes plus tard, alors qu’il pensait ne les avoir jamais vues. Quelques minutes passèrent ainsi, mais le temps lui-même n’avait plus de sens pour Nathanael. Il était perdu entre deux eaux, incapable de regagner la rive. Dehors le soleil peinait à se faire une place entre des nuages lourds et sombres. Un mince rayon de soleil caressait les rideaux entrouverts mais cette maigre clarté l’éblouissait.

Il chercha à retenir la couverture qui glissait de ses reins mais sa main ne découvrit pas ce qu’il attendait. Des courbes chaudes et fermes remplissaient l’espace à côté de lui. Il eut un brusque mouvement de recul, et sauta du lit aussi vite que son état le lui permettait. Le monde se bouscula en formes tourmentées devant lui,  il perdit l’équilibre, anéanti par ses frasques alcoolisées. Il chut lourdement sur le sol, et renversa la chaise sur laquelle reposaient pantalon masculin et robe féminine. Vacarme matinal. La jeune femme eut un petit sursaut, se tourna sur le côté, émit un petit gémissement d’énervement, puis se rendormit. Nathanael resta assis sur le sol, incapable de se relever et profita de ce calme imposé pour réorganiser ses pensées. Il ne savait plus guère où il se trouvait. Il n’en savait pas plus sur la personne à ses côtés, ni sur les raisons de son état maladif. Le soir précédent lui semblait être un souvenir lointain, comme s’il s’était passé plusieurs mois entre le coucher et le lever du soleil. Il attendit que la chambre cesse de tourner et chercha à se rappeler pourquoi il était arrivé là. Là ? Mais où ? Il se releva difficilement, les yeux fermés pour éviter de régurgiter, et se rapprocha à tâtons de la fenêtre. Un brouhaha s’élevait plus bas, dans la rue, et des effluves de poissons lui agressaient les narines. Pelargir. Au loin, un coude du fleuve serpentait au pied d’un vieux bâtiment militaire. Le bateau, Assabia, Forlong, l’Ordre de la Couronne de Fer, le sang, les combats, … un flot de pensées submergea son esprit. Il ouvrit précipitamment la fenêtre et vomit.

Tandis que des plaintes s’élevaient au pied de l’auberge, Nathanael revint s’asseoir sur le sol après avoir enfilé veste et pantalon. La femme continuait de dormir ; son souffle soulevait à peine la couverture qui dissimulait sa nudité. Il se remémora sa soirée agitée. Il avait tout le côté gauche meurtri  et son oreille le lançait. Les jours précédents s’étaient étirés inlassablement. Malgré les violentes déconvenues avec les derniers membres de la Couronne, il avait repris ses activités. L’Ordre avait été un grand ennemi, mais il restait bien des personnes louches et des intrigues de moindre envergure à résoudre. Quelques conflits sans grande importance mais qui pouvaient avoir des répercussions néfastes dans le royaume de Gondor. Des histoires de commerces de poissons faussés, de spéculation sur certains aliments, des dettes non réglées. Ainsi que quelques contrats pour des personnes privées qu’il avait réalisées pour remettre un peu de beurre dans les épinards. L’Arbre Blanc ne payait qu’à réception des informations, et il n’était pas sûr de rentrer dans l’immédiat à Minas Tirith. Surtout après la dernière missive. Une recrue devait le retrouver dans la cité portuaire pour le seconder, ou l’aider sur certains sujets. Il n’avait pas bien compris toutes les allusions de Gilgamesh. Le vieux fou était si méticuleux à enrober ses informations de palabres bizarres que même ses agents ne le comprenaient pas toujours.

Il fut sorti de ses pensées par la jeune femme éveillée. Elle le regardait sans discrétion aucune, les yeux rivés sur son visage. Il ne parvenait pas à déchiffrer son regard. Tout lui paraissait particulièrement étrange ce matin là et cette jeune femme semblait tout droit sortir d’un songe.  Ses cheveux coupés courts, plus courts qu’il n’était permis pour une femme, flamboyaient au-dessus de deux étincelles de lumière vert émeraude, plein de malice et de détermination. Elle avait des formes généreuses, et se trouvait là nue, offrande sublime aux yeux de Nathanael.

- Je vous … enfin, nous avons … vous êtes ?

Il bégayait comme un adolescent pris sur le fait. Un sourira illumina le visage de la jeune femme, puis se mua en un grand rire clair. Elle se redressa sur sa couche, nullement gênée par sa nudité, alors que Nathanael n’osait plus poser le regard sur elle.

- J’ai souvenir que, de coutume, les présentations se font avant de mettre une jeune femme dans son lit.

Il resta muet, ne sachant que répondre. Elle continuait de le dévisager et la situation devenait gênante. Comme si tout était normal, la jeune femme se leva, se rapprocha de Nathanel et pris sa robe posée sur la chaise. Elle se vêtit et enveloppa sa taille d’un ceinturon en cuir d’où pendaient deux longues épées savamment affutées. Nathanael déglutit tant bien que mal. Il n’avait pas pris la peine de fouiller dans les affaires de l’étrangère pour en savoir un peu plus à son sujet. Elle le devança.

- Enora, de Pelargir, sieur... ?
- Nathanael, … conteur de grands chemins. Gueux aux manières scandaleuses à ses heures, mes excuses madame.


Il se leva, maudit son mal de crâne qui lui tambourinait les tempes, et fit mine de la saluer, sans trop se pencher, de crainte de ne finir à nouveau sur le sol. Il était heureux tout de même d’avoir vomi avant qu’elle ne se lève. Ses lèvres tressaillirent alors qu’il se retenait de poser la question qui lui brûlait les lèvres. Enora sembla comprendre ce qui le tracassait.

- Rassurez-vous, vous en étiez bien incapable. Et, outre vos ronflements, vous ne m’avez pas importuné. Disons qu’ainsi, nous avons chacun économisé la moitié des frais d’une chambre.

Drôle de point de vue. Il espérait par ailleurs avoir assez d’argent pour ne pas se faire arrêter par la milice locale. Il n’était pas bienvenu de faire rater une mission pour un écart alcoolisé. Par Eru, comment s’était-il laissé emporter de la sorte ? Les rouages de son esprit, quoi que ralentis par ses nausées et son état fiévreux, se remirent en marche. Qu’est-ce qu’une dame, une femme aussi jolie, à défaut d’avoir un quelconque titre, venait faire dans une taverne miteuse ? Il retourna la question plusieurs fois mais ne lui trouva aucune réponse convenable. La méfiance l’envahit peu à peu. Il avait su user de ses charmes à l’époque pour extorquer des informations à certaines nobles dont les maris étaient trop occupés par leurs affaires politiques. Cette femme avait elle réussi à obtenir de lui des informations quelconques ? Son mal de crâne était-il uniquement dû à l’alcool ?

- Vous semblez préoccupé ? Quelque chose ne va pas ?

Sa voix envoûtante mit fin à ses questionnements. Ses courbes étiraient l’étoffe de tissus, des promesses charnelles qui fascinaient l’esprit du conteur. Il se passa la main sur le visage. Il n’avait pas abusé de l’alcool de la sorte depuis belle lurette et il regrettait amèrement son geste. La jeune femme continuait de l’interroger du regard, presque amusée par la situation. Elle continuait de s’équiper comme si de rien n’était. S’équiper. C’était un bien grand mot. Sa robe diaphane dissimulait à peine les secrets de son anatomie et le court gilet en cuir qui couvrait son buste mettait en valeur le large décolleté de sa tunique. Sa poitrine semblait prête à s’échapper de sa prison de tissus pour s’offrir au premier venu. Malgré lui, Nathanael se rendit compte qu’il gardait les yeux rivés sur les seins d’Enora depuis quelques secondes. La jeune femme émit une nouvelle fois un rire cristallin, à la fois moqueur et enjôlé. Il se reprit, mais il comprit immédiatement qu’il n’était absolument pas maître de la situation. Il avait le sentiment d’être un jeune garçon à la découverte de sa virilité qui venait d’être pris sur le fait. Honteux.

- Sieur Nathanael ?

Il leva les yeux vers les lèvres rieuses de la jeune femme. Les Valars lui jouaient un mauvais tour, ou alors il se trouvait dans une bien mauvaise situation. Il n’osait poser la question fatidique au risque de passer pour le plus grand benêt du Gondor mais il était impérieux qu’il sache ce qu’il s’était passé la veille au soir et plus tard dans la nuit. Après une longue semaine sur les chemins champêtres du Lebennin il avait regagné la cité portuaire dans l’attente de la jeune recrue que Gilgamesh souhaitait lui coller dans les pattes. Il avait laissé son cheval et sa mule à l’aimable paysan qui avait pris l’habitude de l’alléger de quelques piécettes à chacune de ses visites, puis il avait gagné une taverne sans envergure pour y récupérer le dernier message de la Tête. Des broutilles administratives à régler, encore une fois, en faisant pression sur un commerçant un peu prétentieux pour qu’il cesse de mener son inflation continue sur le cours du poisson en détruisant les stocks des autres poissonniers.   L’homme avait été assez facile à convaincre, surtout lorsque Nathanael avait évoqué le nom de sa jeune maîtresse à vive voix, maladroitement, pendant que sa femme arrivait au comptoir. Son épouse dévouée savait évidemment que son mari avait depuis longtemps brisé les chaînes de leur mariage, mais il lui avait échappé que sa jeune sœur partageait avec une indéfectible affection la couche de son époux.  Le scandale familiale éclata jusqu’au milieu de la rue et mit fin à la réputation du brave homme. L’objectif atteint, Nathanael était allé fêter sa réussite en solitaire dans une auberge des plus banales en bordure de l’Anduin. Il se souvenait des premières bières, des premières paroles, de quelques histoires racontées ici et là, puis sa mémoire se perdait dans un immense trou noir.

- Il faut croire que vous n’avez pas supporté l’hydromel elfique que vous avez offert lors de votre dernière tournée générale !
- Pardon ?


Il était prêt à s’enfuir comme un voleur. Plus la peine de se demander qui était Enora et ce qu’il avait fait la veille. Il se savait trop pauvre pour payer une telle boisson à un ensemble de saoulards assoiffés et il savait également le sort qu’on réservait à ceux qui ne pouvaient pas payer leurs dettes. Mieux valait prendre la poudre d’escampette. La jeune femme sembla s’amuser de sa réaction.

- Je plaisante sieur Nathanael, mais vous êtes quelqu’un d’extrêmement drôle. Bien malgré vous cela dit. Vous n’avez rien à craindre, si ce n’est un mal de crâne récurrent les deux prochains jours. On m’a simplement demandé de vous annoncer l’arrivée de votre ami. Il semblerait que vous sachiez où le trouver. Sachez en tout cas que la soirée en votre compagnie fut des plus agréables. Une prochaine fois peut-être…

Et d’un dernier regard taquin, elle réduisit à néant le restant de virilité du conteur. La jeune femme récupéra une longue cape légère de voyage et sortit sans plus d’explications. Nathanael demeurait les bras ballant, atterré.  Bien qu’il fût seul dans la pièce, il ne savait plus où se mettre. Malgré les derniers évènements tragiques dont il avait été témoin, la vie lui réservait encore quelques surprises, et pas des moindres. Il hésitait entre l’embarras et l’humiliation, le trouble ou l’opprobre. Cette jeune femme, alliée de près ou de loin à l’organisation de l’Arbre Blanc, avait transformé la simple transmission d’un message en une farce ridicule dont il était le guignol. La gente féminine avait de bien drôles d’idées quelques fois, et il s’en voulait de s’être laissé avoir à ce jeu. Mais au-delà du caractère grotesque de la situation, il était maintenant clair qu’il devait reprendre du service. Et pas en baguenaudant dans les rues de Pelargir. Sauf qu’un élément essentiel du puzzle lui manquait … il était incapable de savoir « où le trouver » … pas plus qu’il ne savait « qui » trouver.  
#Nathanael #Ryad
Sujet: Loyal rime avec vénal
Ryad Assad

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Rechercher dans: L'Auberge des Murmures   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Loyal rime avec vénal    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 13 Juin 2015 - 16:00
Flashback, pendant le mariage d'Aldarion à Minas Tirith


Quelle histoire que ce mariage, franchement… J'avais fait des centaines de lieues pour m'y rendre, en compagnie de Taorin et de la délégation pirate, et honnêtement, je ne m'attendais pas à tomber sur un tel spectacle. Il y avait vraiment de tout. Des hommes, des Elfes – qu'ils soient maudits, eux et leurs sortilèges ! – et des Nains. Les gens venaient de partout, de tous les coins de la Terre du Milieu pour participer aux festivités, ou plus vénalement pour vendre leurs marchandises en profitant de l'afflux de population. Il fallait dire que c'était un gros événement, que personne n'aurait voulu rater. Pas même moi, à la vérité. Non pas que j'avais envie de faire la fête, de boire et de chanter à tue-tête comme la plupart des soudards que l'on croisait dans les rues, mais plutôt que j'avais l'intuition qu'avec une telle concentration d'individus différents, il était possible d'obtenir des renseignements, et de mener quelques opérations intéressantes. D'ailleurs, Taorin comptait sur moi pour accomplir ses quatre volontés, et je n'entendais pas le décevoir. Ce type était vraiment étrange, et j'avais encore du mal à le cerner. Je l'avais d'abord vu comme un fou, puis comme un téméraire, puis comme un audacieux dont la chance insolente lui avait permis de s'imposer à Dur'Zork, malgré tout. Et par ce « malgré tout », j'entendais « malgré l'opposition de Radamanthe et de son armée, malgré les raids incessants des hommes du Khand, malgré l'opposition d'une partie de la population, les finances désastreuses, le service de renseignement catastrophique, malgré l'opposition des autres Seigneurs Pirates qui voulaient une part du gâteau, malgré les intérêts divergents, les trahisons et les retournement de veste nombreux ». Bref, malgré tout. C'était prodigieux de voir ce qu'un homme avec un seul œil pouvait faire avec de la chance, finalement. Une partie de cette chance s'appelait Salem Hamza, et travaillait en tant que son secrétaire et conseiller pour l'heure, ce qui n'était pas même suffisant à l'aider à assseoir sa domination sans partage.

Nous étions arrivés à Minas Tirith, et avions quelque peu profité des festivités. Taorin avait fait en sorte de bien se montrer, pour s'imposer comme un dirigeant de poids avec lequel il fallait compter – ils faisaient tous ça, et puis quelques mois après on retrouvait leur cadavre dans une rivière, sans que personne ne se rappelât de qui il s'agissait. Personnellement, j'avais fait en sorte de me montrer un peu plus discret, en me mêlant davantage aux serviteurs et aux esclaves qu'aux hauts dignitaires. Je savais que des yeux pouvaient me regarder, et je préférais éviter de m'afficher trop ouvertement proche de Taorin, car ce n'était pas particulièrement un allié sûr. Le vent pouvait tourner rapidement dans le désert, et il valait mieux ne pas montrer trop de fidélité à un parti, sans quoi on risquait d'être emporté avec lui lorsqu'il serait balayé par la prochaine tempête. Pour ma part, j'essayais de m'imposer par ma compétence davantage que ma mon allégeance – après tout, je n'imaginais pas Taorin avoir confiance en moi, puisqu'il n'avait confiance en personne. C'était, je crois, une attitude pleine de sagesse. Ma loyauté n'allait qu'au seul royaume de Rhûn, et c'était en définitive pour lui que je travaillais. Soutenir Taorin ou Reznor, quelle différence ? Tant que je pouvais récolter des informations, j'étais heureux. J'étais un homme plein de simplicité.

Simple mais pas inefficace, fort heureusement. Grâce à moi, Taorin s'était débarrassé d'un de ses concurrents les plus zélés. Riordan, le Seigneur Pirate, était mort dans une attaque que j'avais moi-même orchestrée. Oh, j'avais fait en sorte que personne ne pût remonter jusqu'à moi, et encore moins à Taorin qui après tout était le véritable commanditaire de cette action violente. Je n'étais qu'un messager, un simple émissaire chargé de faire exécuter sa volonté, et ses ennemis par la même occasion. Il n'avait pas été difficile d'orienter les tueurs pour qu'ils pussent frapper au moment opportun, étant donné que je connaissais parfaitement les habitudes de Riordan, la façon dont il anticipait une attaque sur sa personne. Il ne se confiait à personne sur ce point, mais il n'était pas difficile de laisser traîner une oreille quand on était aussi insignifiant à leurs yeux qu'un poteau de bois planté dans le sol. Les puissants sous-estimaient presque toujours les hommes qui les servaient, et qui dès lors constituaient de grandes sources d'information. Il suffisait de les faire parler – ce qui était parfois assez amusant – ou bien de réussir à faire partie de ces serviteurs. Ce n'était pas toujours une tâche ingrate, et faire le service auprès de ces messieurs n'était pas toujours un plaisir. Ils avaient des goûts horribles, des habitudes désagréables, et il fallait toujours se montrer affable. Mais c'était fou ce que l'on pouvait apprendre d'eux en quelques heures passées à les observer.

A la suite de ces incidents, Taorin m'avait demandé de prendre un peu de distance avec lui. Il devait se concentrer sur ses propres affaires, des négociations difficiles avec les émissaires du Harondor, et il préférait qu'on ne me voie pas dans ses pattes. Il avait raison, pour une fois, et je ne trouvai rien à redire, préférant m'éclipser avant qu'il ne changeât d'avis et me demandât de prendre note de tous les détails pendant leurs réunions. Il trouverait bien quelqu'un d'autre pour faire le travail de scribe. De préférence quelqu'un qui aurait déjà la langue coupée, car je tenais à la parole. Je me mis donc en route pour la Cité Blanche, troquant mes vêtements outrageusement tapageurs de secrétaire officiel de Taorin – il avait décidé de nous habiller richement pour afficher l'opulence d'une cité qui en réalité était en proie à des difficultés terribles, mais soit, cela faisait partie du jeu politique – pour quelque chose de plus seyant. Une tunique simple, de cuir, quelque chose de passe partout que j'avais l'habitude de porter, et qui ne me pèserait pas par cette chaleur étouffante qui régnait. Après l'hiver interminable, le redoux était difficile à supporter, même pour nous qui venions des terres lointaines du Harad.

Je pris premièrement la direction du campement du Rhûn, non pas pour y pénétrer mais simplement pour voir de quoi il retournait là-bas. J'arrivais à un moment inopportun, car il semblait n'y avoir personne, comme si une grande partie de la délégation s'était rendue en un endroit spécifique, à un grand rassemblement. J'aurais bien voulu en savoir davantage, mais je ne pris pas la peine de ruiner ma couverture pour des informations que je pourrais obtenir par ailleurs. Ainsi donc, je m'engageais entre les tentes, sur la voie bondée qui menait à Minas Tirith. Il y avait de tout : des visiteurs, des marchands de toute condition, des producteurs qui transportaient des grains et des blés jusqu'aux marchés de la place principale. Beaucoup étaient des artistes de rue, qui allaient trouver leur place pour amuser la galerie. Quant à moi, j'incarnais pour l'occasion le rôle de Salem Hamza, philosophe et penseur de son état, quelques papiers et un support en bois sous la main, un calame dans la petite sacoche que je transportais. Pour écrire, bien sûr, et pour le planter dans l'œil d'un malandrin en cas de besoin. Ca pouvait toujours servir. Les armes étaient prohibées et les gardes étaient en alerte en permanence pour prévenir toute dérive, mais les malheureux n'étaient certainement pas assez nombreux pour empêcher le moindre crime. Il fallait reconnaître que pour des Occidentaux, ils faisaient un travail plutôt correct, et qu'on ne se sentait pas menacé dans les rues. Peut-être était-ce parce que je revenais d'Umbar, en passant par Dur'Zork, où la sécurité était un concept strictement théorique.

Je pénétrai enfin dans l'enceinte majestueuse de la ville, ne m'étonnant plus guère de voir des animations et des amuseurs publics m'aborder pour me demander de venir observer leur spectacle, ici de dressage d'animaux, là de jonglerie. Je déclinais toujours avec politesse, et m'enfonçais sans ralentir vers les quartiers qui m'intéressaient davantage : ceux où on pouvait trouver des érudits. S'il y avait bien une chose que j'avais apprise, c'était que les vieux sages séniles étaient du genre à partager leurs connaissances – souvent très pointues – sans réserve. Il fallait créer un lien de confiance, bien entendu, mais une fois qu'on avait réussi à leur faire accepter que l'on était vraiment intéressé, il n'était pas difficile de les faire parler de tout et de rien. Ils ne colportaient pas de rumeurs, ou en tout cas pas consciemment, et ils avaient plutôt tendance à parler de choses factuelles, qu'ils avaient la certitude d'être vraies. Il fallait, en échange, leur fournir quelques informations qui en général ne valaient pas grand-chose en comparaison. Pour ma part, j'avais réussi à trouver un vieux sage avec qui j'étais déjà resté discuter deux bonnes heures, et que j'avais promis de revenir voir. L'homme était intéressé par la culture des autres royaumes, et il avait l'intention d'utiliser la présence de nombreux étrangers ici pour se renseigner. Les ouvrages historiques dataient, et il essayait de voir si ceux-ci étaient toujours d'actualité ou non. Fatalement, mes origines orientales l'avaient immédiatement attiré, et il s'était mis à me poser de nombreuses questions. Lorsque nous nous étions quittés, je lui parlais de la diversité de nos paysages, ce qui avait l'air de beaucoup l'intéresser. Il fallait dire que le Rhûn était un royaume vaste, avec des montagnes au Nord, le Mordor au Sud, les déserts du Khand pas très loin, de grandes steppes à l'Est, mais une mer à l'Ouest. Bref, la richesse de notre territoire était fascinante, et il était heureux de pouvoir bénéficier de quelques informations que j'allais puiser dans ma mémoire.

J'avais l'intention de lui parler un peu plus des coutumes de Vieille-Tombe, qui cultivait le vin. J'avais de la famille là-bas, notamment un oncle et une cousine, et je présumais que la ville serait d'un intérêt bien plus grand à ses yeux qu'Albyor la Noire, qui fournissait la plupart des esclaves du pays. Elle jouissait d'une mauvaise réputation dans notre royaume, et il était certain qu'un Occidental, aussi érudit fût-il, aurait du mal à comprendre le rôle économique capital qu'elle jouait. Il était certaines choses qu'il n'était tout simplement pas possible d'expliquer. L'esclavage n'était pas un mal en soi. C'étaient les mauvais traitements qui étaient souvent déplorables, car contre-productifs. Les esclaves bien traités pouvaient faire des travailleurs tout à fait convenables, que l'on rémunérait en nature et que l'on pouvait acheter et vendre. L'économie était prospère. A Albyor, toutefois, on trouvait le pire de ce que l'esclavage pouvait compter. Ceux qui travaillaient dans les mines étaient parmi les plus à plaindre, car ils devaient se courber toute la journée à la recherche de métaux précieux. Et encore, ils étaient chanceux par rapport à ceux qui étaient envoyés au Temple Sharaman. Quand j'étais parti du Rhûn, le culte se développait, mais j'avais entendu dire qu'on sacrifiait désormais plusieurs esclaves quotidiennement. La pratique me laissait toujours dubitatif : pourquoi tuer des individus qui pouvaient encore servir ? Mes propres convictions religieuses me poussaient à respecter la nature et notamment un concept d'utilité assez facile à comprendre. Chaque chose avait un intérêt en soi : les plantes poussaient et nourrissaient les animaux, qui eux-mêmes nourrissaient les hommes, qui eux-mêmes nourrissaient les animaux à leur mort. Pourquoi tuer en masse des hommes pour les priver de leur substance vitale, et la dévouer à un Dieu Sombre qui de toute façon devait s'en ficher. Attention, on ne pouvait pas dire que je ne croyais pas en Melkor. Après tout, qui pouvait douter de son existence ? Cependant, je n'étais pas convaincu qu'il aurait voulu qu'on sacrifiât des âmes innocentes. J'avais plutôt la conviction qu'il souhaitait des guerriers, pour mener sa guerre contre les dieux de l'Ouest. Sans doute les prêtres de Sharaman interprétaient-ils les choses différemment.

J'en étais là de mes réflexions, quand j'eus soudain la désagréable impression d'être suivi. En général, cela se manifestait quand mon contact se trouvait non loin de moi, mais je savais que ce n'était pas lui. Son physique particulier ne lui permettait pas de m'aborder facilement à Minas Tirith, et j'étais convaincu qu'il aurait privilégié une rencontre dans les Champs du Pelennor. Qui donc pouvait bien m'en vouloir ? Après tout, je n'étais qu'un simple secrétaire, qui pour l'heure n'était même pas en service. Conscient qu'au milieu de la foule, je ne risquais absolument rien, je m'arrêtai un instant pour observer un spectacle, en essayant de ne pas regarder autour de moi. Le danseur était bon, et j'applaudissais des deux mains en rythme avec le musicien qui jouait un air festif. C'était un violoniste, qui paraissait absorbé par sa prestation. Lorsqu'il eût terminé, il y eut de nombreux applaudissements, et on s'approcha pour leur donner quelques pièces. Je me laissai porter, et allai les rémunérer misérablement, avant de reprendre ma route. La cohue derrière moi risquait de ne pas faciliter la tâche de ceux qui me suivaient, et j'entrepris de bifurquer sèchement pour les semer. J'attaquai une rue moins fréquentée, qui me permit de forcer un peu l'allure. Je tournai de nouveau, sans trop savoir où j'allais, essayant surtout de garder une démarche naturelle pour ne pas donner l'impression de fuir. Au fond de moi, j'étais toujours très calme. Je savais que des voleurs n'avaient aucun intérêt à s'en prendre à moi, et qu'ils verraient rapidement que je n'avais aucun bien de valeur. Ils finiraient par me lâcher.

Cependant, alors que je bifurquais de nouveau, je me retrouvai nez-à-nez avec un homme qui marchait droit dans ma direction. Je devinai instantanément qu'il n'était pas du genre à s'être perdu lui aussi, et il paraissait me chercher. Pourquoi donc ? Je reculai de quelques pas, et vis dans la rue d'où je venais qu'un autre homme arrivait, marchant d'un pas décidé. Très honnêtement, j'aurais pu courir, essayer de les semer, mais pour faire quoi au final ? Je n'avais rien, je ne savais rien – tout du moins, c'état ce que j'allais leur dire – et ils ne pouvaient pas vraiment m'enlever ou me torturer en pleine rue, pas avec le nombre de gardes qui traînaient là. Je n'exhibai pas trop ma confiance, et me contentai d'afficher un visage calme, mais passablement inquiet – j'étais doué dans mon genre. Ils s'avancèrent jusqu'à se trouver à la limite de la portée de mon bras, et s'arrêtèrent. Je lâchai tranquillement :

- Si vous voler moi, moi pas rrésister. Moi pas fuirr. Tiens, prrendrre sac.

Je lui tendis ma bourse, qui contenait quelques misérables pièces, à peine de quoi acheter deux repas. J'avais fait exprès de parler comme un étranger, en espérant que cela les dissuaderait de poursuivre leur entreprise. La main toujours tendue, ils ne réagirent pas à l'or que je leur proposais, et je compris alors qu'ils n'étaient pas ceux que je croyais. Sous leur cape apparemment banale, je pouvais entrevoir un plastron aux armes du Gondor. Le premier était un soldat, capable de prendre immédiatement ses fonctions si le besoin de faisait sentir. Le second n'arborait pas de tunique semblable, mais je devinai qu'il devait être, comme l'autre, un militaire. Je levai les mains tranquillement, et lançai en laissant tomber mon simulacre de parler étranger :

- Alorrs vous n'êtes pas des voleurrs… Suis-je en état d'arrestation ?

#Ryad #Assad
Sujet: Un os dans le Palais [Flashback]
Ryad Assad

Réponses: 3
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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Un os dans le Palais [Flashback]    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 8 Aoû 2014 - 19:38
Récit de la prise du Palais de Radamanthe - 300 QA

Il m'a toujours semblé difficile de déterminer avec certitude à quel moment une bataille pouvait être considérée comme terminée. Celle qui s'était déroulée devant Dur'Zork avait été d'une rare violence, et les morts se comptaient par milliers, ce qui n'aidait pas à proclamer un vainqueur. L'assaut des troupes de Radamanthe, bien mieux équipées et bien mieux préparées pour ce genre de missions avait été dévastateur, et beaucoup des fantassins réquisitionnés dans les rangs de Taorin avaient perdu la vie, notamment les esclaves placés en première ligne, qui avaient été décimés comme il était de coutume quand on "recrutait" des "auxiliaires" de cette qualité. Les malheureux n'avaient même pas d'armure digne de ce nom, et leurs armes étaient tout juste bonnes à effrayer des enfants. Ils étaient malingres et dépenaillés, placés en face d'une cavalerie lourde lancée à pleine vitesse. Le choc avait été rude, et le fracas de la bataille nous était parvenu alors que nous nous trouvions encore dans l'enceinte de la ville. Je n'avais pas eu le temps d'observer le déroulement des combats, toutefois, et j'avais pris la décision - en tant que chef des infiltrés - de prêter main-forte aux pirates qui avaient réussi à pénétrer dans la cité.

Ils avaient subi de lourdes pertes, terrassés par les miliciens - c'était dire l'incompétence de ces bandits de grands chemins que l'on peinait à appeler soldats - qui avaient de toute évidence reçu un excellent entraînement, et qui avaient su compenser leur faible nombre par une organisation sans faille. Les pirates s'étaient pour la plupart débandés, et ma tâche avait été de retrouver les survivants, et de les réorganiser. Avec Agathe, nous effectuâmes un travail de sape dont l'efficacité ne nous apparût pas immédiatement. En effet, seuls face à une si grande cité, sans avoir la certitude que nos actions allaient servir à quelque chose, nous étions livrés à nous-mêmes et obligés de croire en la victoire de Taorin. Les pirates désorganisés que je retrouvais avaient pour mission d'incendier les bâtiments stratégiques de la ville : la caserne, les stocks d'armes et de flèches, de saboter les machines de guerre qui protégeaient la forteresse, en somme de provoquer le chaos chez les militaires pour les désorganiser. S'ils pouvaient éliminer des gardes en faction, ils avaient ordre de le faire sans hésiter, afin de semer un peu plus la confusion.

Incroyable ce que l'on pouvait faire avec un arc, quelques flèches, et beaucoup de volonté. Nous approchant d'un mur, il m'avait suffi de tirer dans le torse d'une sentinelle, trop occupée à observer le champ de bataille au loin. Ses compagnons avaient donné l'alerte, et rapidement un contingent de miliciens avait rappliqué, mais n'avait trouvé personne : nous étions déjà loin. Et de toutes parts dans la ville, des hommes isolés ou en petit groupes s'occupaient de faire perdre la tête aux officiers en charge de la défense de la cité. Des traques étaient organisées, mais le gros des troupes était au dehors désormais, et il n'y avait pas assez de soldats pour protéger l'entièreté de la ville, qui semblait céder à la panique. Des incendies se déclenchaient un peu partout, et les habitants qui sortaient dans les rues pour les endiguer gênaient le travail des gardes, incapables de savoir où donner de la tête. Il suffisait de porter un seau pour être habilité à circuler partout dans la cité, ce qui ne m'empêchait pas de commettre quelques meurtres ici ou là. A dire vrai, la présence d'Agathe à mes côtés fut d'une grande aide, car un homme et une femme courant avec empressement dans la ville avaient naturellement l'air moins suspects qu'un individu seul cherchant à échapper à la garde.

Cela ne nous empêcha pas d'être pris à partie par des soldats par deux fois, mais nous nous en débarrassâmes avec facilité : il suffisait de s'arrêter et de les laisser approcher en leur faisant croire que nous étions des civils tout ce qu'il y avait de plus banal. Et, quand ils baissaient enfin leur garde, il n'y avait plus qu'à les poignarder rapidement. Nous ne prîmes même pas la peine de cacher les corps, considérant qu'un vent de panique plus important encore se répandrait si on trouvait ici ou là des cadavres de soldats. On se demanderait qui avait pu les éliminer, et on se méfierait de tout un chacun, ce qui contribuerait à faciliter notre opération de sabotage. Quand des milliers de suspects se promenaient dans les rues, il n'était pas possible d'assurer la sécurité des édifices principaux. Rapidement, les gardes furent submergés de travail, et les officiers débordés de rapports alarmants. Je m'occupai de tuer un capitaine qui distribuait des ordres, d'une flèche en pleine poitrine. Ses hommes me donnèrent la chasse, mais je les semai habilement. Encore un qui ne donnerait plus de consignes, ce qui affaiblirait considérablement l'efficacité des troupes de l'Emir.

Les heures passèrent, et nous continuâmes notre lent et méthodique travail de destruction. Il s'agissait parfois de mettre le feu à une maison située dans un quartier pauvre, pour inciter les habitants à sortir de chez eux, et à se mettre à pied d'œuvre pour combattre les flammes. Les gardes approchaient alors, et nous pouvions sauter dans une autre zone pour commettre un autre forfait. Nous courûmes comme jamais, à chaque fois à la limite de la rupture, mais fort heureusement nous n'étions pas seuls, et nous pûmes bénéficier de l'action de nos compagnons d'infortune, déterminés à semer la pagaille sur leur chemin. Dur'Zork était en proie à une panique totale, et de longues colonnes de fumée s'élevaient en tourbillonnant vers le ciel, encourageant - je l'espérais ! - Taorin et ses hommes à continuer la lutte pour s'emparer de cette cité. Ils avaient fait une longue route pour venir jusqu'ici, et j'espérais qu'il n'abandonnerait pas le combat, sans quoi nous risquions bien d'être condamnés. La perspective de finir mes jours dans cette cité du Sud était loin d'être plaisante, et elle me poussait de l'avant, me donnait des ailes lorsqu'il s'agissait d'échapper à des gardes à l'œil perçant, ou bien de me cacher d'une patrouille attentive. Tuer, courir, incendier, détruire, et puis tuer encore. Voilà le cycle de violence dans lequel nous étions pris, et duquel nous ne pourrions nous défaire qu'avec l'entrée d'une des deux armées dans l'enceinte de la ville.

Et, lorsque les cloches de la ville se mirent à résonner, je compris que l'heure était venue d'adresser une prière à tous les dieux qu'il m'était donné de connaître. S'il s'agissait des troupes de Taorin, la victoire était nôtre, car il n'y avait plus en ville que quelques gardes qui céderaient devant l'avancée d'une armée déterminée à piller et à détruire. En revanche, s'il s'agissait des troupes de Radamanthe, nous étions finis. Une chasse aux traîtres serait organisée, et même si je savais être en mesure de me cacher et de me fondre dans la foule, les chances de survivre à la purge étaient infinitésimale. Mes prières furent entendues quelque part, car les portes de la ville demeurèrent closes, contrairement à ce qui aurait dû être fait pour accueillir le retour triomphant du seigneur des lieux et des ordres commencèrent à être braillés un peu partout, des accents de panique clairement perceptibles dans le dialecte local. Les civils se dépêchèrent de se cacher, hurlant de terreur, pleurant et maudissant l'arrivée des pirates qui, à n'en pas douter allaient faire couler le sang, tandis que les gardes abandonnaient leurs positions, pour se replier dans les endroits stratégiques. Les officiers encore présents voulaient absolument défendre le Palais de l'Emir, mais plusieurs poches furent constituées au niveau de la caserne, des écuries. Les tours de garde fermèrent leurs portes, et se préparèrent à supporter le siège, même si c'était totalement en vain. Que pouvait une poignée contre une multitude, sinon mourir en martyr ?

Les gardes ayant déserté les remparts, il nous fut extrêmement simple d'ouvrir les portes pour les troupes de Taorin, qui pénétrèrent pour la seconde fois dans l'enceinte de la cité. Les pirates nous menacèrent, mais nous leur apprîmes notre identité, et ils firent rapidement venir leurs supérieurs, craignant de s'engager dans un piège. Un cavalier du désert, de toute évidence membre d'une des tribus que Taorin avait ralliées à sa cause, s'approcha de moi, et me demanda dans un commun à peine compréhensible :

- Toi... Ami Taorin ? Quoi ton nom ?

Je levai les yeux vers lui. Il venait de l'extrême Harad, et il avait l'air exotique même au regard des gens du Sud, qui semblaient le craindre autant qu'ils le respectaient. Sa peau était noire comme la nuit, et sa voix grave donnait envie de lui obéir immédiatement. Il ne portait en guise d'armure qu'une épaulière de cuir, rehaussée d'or, le reste de son torse étant nu, exposant à la vue de tous sa musculature titanesque, et ses cicatrices innombrables. Dans son dos, une épée gigantesque était attachée, et il n'était pas besoin de le voir avec pour comprendre qu'il savait s'en servir. Cet homme n'était pas né chef, de toute évidence, et il avait conquis sa position à la force de son bras. De quoi gagner mon respect, même si je ne le connaissais pas vraiment. D'une voix claire, je répondis :

- Je m'appelle Salem, Taorrin a dû vous parrler de moi.

- Hmm... Lâcha-t-il sans qu'il me fût possible de déterminer s'il me croyait ou non. Palais où ?

Un soupir de soulagement quitta mes poumons, et je sentis Agathe se détendre à mes côtés. Nous étions enfin victorieux, même s'il restait des choses à faire avant de pouvoir nous emparer de la cité. Ce que j'ignorais alors, c'était que de toutes parts, les portes étaient prises d'assaut, et les pirates retrouvaient leurs compagnons infiltrés à l'intérieur, pour la plupart épuisés et blessés d'avoir tant couru et combattu. Ceux-ci les guidaient donc vers les postes stratégiques, qu'ils devaient prendre et où ils devaient hisser le drapeau du Harad libre. Pour ma part, je décidai de me concentrer sur le plus important, et de ne pas disperser les précieuses forces que le chef Haradrim avait réunies :

- Suivez-moi, je vais vous y conduirre.

Il adressa quelques mots à ses troupes, constituées pour la plupart de membres de sa tribu - il était facile de les identifier à leur peau sombre, et aux bijoux assez semblables qu'ils portaient tous -, mais également de mercenaires qui venaient ensuite. Ceux-ci furent lâchés dans le reste de la cité, et ils s'empressèrent d'aller fouiller les maisons, se répandant comme une marée humaine, partout où ils trouvaient à rentrer. Ils délogèrent les hommes qu'ils firent prisonniers - conformément aux consignes qu'ils avaient reçues, car Taorin ne souhaitait pas régner sur un cimetière -, s'occupèrent de violer les femmes comme il était de coutume pour eux, et ils s'emparèrent à leur compte de tout ce qu'ils pouvaient porter. Les habitants avaient pris soin de cacher leurs bijoux et leurs biens précieux, mais la violence des tueurs et la force de persuasion d'un couteau sous la gorge d'une épouse ou d'une fille eurent raison de la vaine résistance des locaux, qui s'empressèrent de confesser.

Pendant ce temps, nous marchâmes vers le Palais, dernière place forte des fidèles de Radamanthe, qui entendaient bien nous donner du fil à retordre. Ils comptaient - et nous aussi - sur le retour de leur Seigneur, espérant - et nous non - qu'il nous prendrait à revers avant que nous ayons eu l'opportunité de mettre la main sur le cœur de la ville. Ce que nous ignorions tous, c'était que jamais l'Emir n'allait revenir, et qu'il avait mis le cap avec ses troupes vers le Nord, abandonnant sa précieuse capitale aux mains d'Umbar, dont la victoire n'était pas encore proclamée, mais déjà certaine.

#Ryad #Taorin
Sujet: [RP Resynchro]Une histoire s'achève, une autre commence
Ryad Assad

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Rechercher dans: Minas Tirith - Le Haut de la Cité   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: [RP Resynchro]Une histoire s'achève, une autre commence    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 9 Juin 2014 - 21:13
Un soleil nu dans un ciel sans nuage annonça le lever du jour, en cette matinée bien étrange pour nous tous, et plus particulièrement pour moi. Après tout, comment aurais-je pu deviner que les événements qui s'étaient déroulés allaient me mener ici, à Minas Tirith, capitale du Gondor, pour assister parmi les personnalités les plus importantes du monde à un mariage royal ? Même mon contact n'avait certainement jamais pensé à pareille promotion pour moi, et je me félicitais d'avoir été capable de jouer mon rôle jusqu'au bout, et d'avoir su me positionner de si belle manière. Toujours allongé dans mon lit, il ne me fallut qu'une seconde pour replonger dans mes souvenirs, et laisser mes pensées remettre de l'ordre dans l'enchaînement d'événements qui avait présidé à ma nomination.

Après notre sabotage réussi à l'intérieur des murs de Dur'Zork, capitale de l'émirat du Harondor, et tandis que nous assistions impuissants aux combats qui faisaient rage au niveau de la porte, et qui tournaient désespérément à l'avantage des défenseurs, Agathe et moi-même avions eu le choix de notre destin : fuir avec le gros des troupes, ou rester dans la cité pour continuer notre travail, quitte à nous mettre encore un peu en danger. J'avais opté pour la retraite prudente, mais elle avait choisi de rester, et je m'étais donc plié à sa décision - pas par affection, mais parce que ses arguments m'apparaissaient plus que raisonnables. Elle considérait en effet que les troupes de Taorin n'avaient pas engagé toutes leurs forces, et qu'il faudrait certainement encore les appuyer lors de leur second assaut. Sa présence d'esprit nous avait permis de rester embusqués dans la cité, et d'assister aux premières loges à la mobilisation des troupes de l'émirat, à leur contre-offensive audacieuse, et à leur funeste destin.

Pendant ce temps, nous n'avions pas chômé, désireux de nous mettre au travail aussi vite que possible. Nous avions dès lors fondu sur quelques patrouilles pour les neutraliser rapidement, ce qui n'avait pas été très difficile - après tout, nous choisissions bien nos cibles, isolées et vulnérables, et nous frappions avec la rapidité et l'efficacité d'une vipère du désert. Puis, considérant que des objectifs plus importants devaient être remplis, nous avions mis le cap sur le palais pour essayer de décapiter la chaîne de commandement de la capitale, en l'absence de l'Emir. Il nous fut impossible de trouver les officiers supérieurs, mais nous éliminâmes tout de même deux capitaines et un lieutenant qui allaient porter des ordres et des consignes, contribuant par là-même à affaiblir la défense de la cité.

Ainsi donc, quand les pirates arrivèrent, nous n'eûmes qu'à leur montrer diligemment quels étaient les points stratégiques dont il fallait s'emparer pour prendre le contrôle de la cité, maintenant que l'armée harondorim était en déroute. Une tâche simple, mais dont le chef de l'expédition avait probablement eu vent, car il n'avait pas tardé à nous convoquer Agathe et moi-même, afin de nous faire part de la suite de ses plans. Je demeurai avec Taorin pendant les six mois qui suivirent, tout d'abord en tant que simple intendant car il appréciait mes services - sans se douter que j'accumulai sur lui une masse d'informations considérables -, avant qu'il ne me chargeât officieusement de gérer son réseau d'espions - une tâche qui m'allait comme un gant. Pour assurer ma couverture, il me confia de manière très officielle la tâche de secrétaire-conseiller, qui me permettait de rester à ses côtés pour prendre des notes et lui donner des informations cruciales, tout en étant suffisamment discret pour que personne ne me remarquât.

C'était d'ailleurs en cette qualité que j'assistais au mariage du Roi Aldarion et de sa Princesse venue d'un obscur royaume du Nord. Je me tenais juste derrière Taorin, parmi sa suite non armée, tandis que celui-ci était encadré par deux Chiens du Désert parmi les plus fidèles - à défaut d'être compétents. Je ne pouvais pas voir son visage en cet instant, mais il était évident qu'il se sentait très à l'aise dans son nouveau rôle, après les élections qui l'avaient propulsées à la tête du territoire conquis, et qui avaient fait de lui un véritable monarque. Recevoir une invitation de la part des Royaumes Réunifiés n'avait fait que conforter sa position, et cela n'était pas pour plaire à Radamanthe, assis non loin, et qui paraissait contenir à grand peine son envie de sauter à la gorge du Chien Borgne.

Pour ma part, je me concentrai davantage sur une autre délégation, qui m'intéressait davantage. Celle en livrée sang et or, dont les gardes en armure impeccable et au regard inquisiteur escortaient la sublime Reine du Rhûn, Sa Majesté Lyra, loué soit son nom. Il faudrait que je trouve un moyen de les approcher avant la fin de cette semaine de festivités.

#Ryad

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L'ennui se peignait sur les traits de la femme la plus puissante de Rhûn, mais le protocole la poussait à rester assise le temps qu'il faudrait pour enfin présenter son présent et pouvoir rejoindre sa tente pour enfin se délasser. Le voyage depuis Blankânimad avait été long et éprouvant, et elle n'avait répondu à l'invitation formulée par les Royaumes Réunifiés que pour tenir la dragée haute à ses conseillers qui voyaient cela comme une insulte. Elle-même trouvait amusant de venir parader officiellement au milieu de ces sauvages, d'étaler la puissance de son royaume aux yeux de tous, et surtout de venir narguer les esprits pacifistes tandis qu'en sous-main elle ourdissait de sombres machinations.

Elle avait donc trié sur le volet les hommes chargés de l'accompagner, et n'avait fait appel qu'à des membres de la cavalerie d'élite, les Cataphractes. Les guerriers aux armures rutilantes et aux montures impressionnantes avaient traversé des terres vides d'habitants sur lesquels la Reine avait posé un regard plein de mépris, avant de pénétrer, après une longue chevauchée, en Gondor. Les habitants aux frontières avaient été surpris, effrayés par le passage de ces hommes brandissant des armes étranges, exotiques et menaçantes. Ils avaient détalé sur leur chemin, et s'étaient terrés dans leurs maisons en priant qu'on ne vînt pas les en déloger. Lyra avait souri, appréciant l'effet produit par son passage. Finalement, des cavaliers du Gondor étaient venus à leur rencontre, et elle avait dépêché un jeune lieutenant pour servir d'interprète, et pour s'assurer que personne ne sortirait l'épée. Tout s'était bien déroulé, et elle avait été conduite sans difficultés jusqu'à Minas Tirith.

Et voilà que désormais, la Reine attendait au milieu d'autres souverains, aussi radieuse qu'il était possible de l'imaginer. Elle ne se faisait pas d'illusions, elle n'était pas la principale attraction du jour, même si quelques murmures s'étaient élevés quand elle était arrivée, impériale, et qu'on avait annoncé bien haut son nom et son titre. Il fallait dire que sa robe était particulièrement luxueuse, et elle portait sur elle les symboles de la royauté en Rhûn, dont la couronne qui ceignait son front, faite d'or et d'argent, incrustée de pierres précieuses, ainsi que l'épée qui pendait à sa taille, et qu'elle arborait avec autant d'aisance que si elle était un homme. Les femmes de l'Ouest avaient été étonnées de ce fait, habituées qu'elles étaient à vivre au dépens de leurs maris pour ce qui était de leur protection.

Elle avait souhaité marquer son indépendance en ne convoquant pas de siège pour son défunt mari, afin de bien signifier qu'elle gouvernait seule désormais, et qu'elle n'était plus la femme du Roi, mais bien la Reine du royaume. C'était un message fort, mais qui avait un certain inconvénient qu'elle n'avait pas encore mesuré : il attirait des prétendants. Déjà, elle avait été saluée personnellement par quelques nobles assez jeunes, qui s'étaient montrés d'une galanterie et d'une mièvrerie presque insultante, visiblement intéressés à l'idée de monter sur le trône d'un royaume, fût-il étranger, fût-il un ancien ennemi. Certains ne reculaient décidément devant rien, et considérait que les femmes étaient de vulgaires objets dont on pouvait revendiquer la propriété.

Pour mieux représenter son royaume, la Reine avait choisi deux gardes du corps particulièrement redoutables, tous deux officiers de haut rang dans la cavalerie, mais surtout bretteurs de talent. Ils servaient ensemble depuis plusieurs années maintenant, mais la principale particularité de ce duo était qu'ils étaient mari et femme. Elle avait en effet décidé d'incorporer quelques femmes à sa garde personnelle, et si celle qui la flanquait portait un casque et un turban, comme il était de coutume, elle aurait l'occasion de révéler son identité au cours de la semaine, et de susciter encore davantage d'interrogations auprès des peuples de l'Ouest, enclins à s'émouvoir pour pas grand chose.


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#Rokh


Le guerrier contemplait Minas Tirith, les mains sur les hanches, observant l'architecture assez impressionnante des lieux. Il ne trouvait pas la cité fantastique en soi, mais il trouvait que parée de mille oriflammes, grouillant de vie et d'animations, la capitale du Gondor était belle à voir. En cet instant, elle était la capitale de la Terre du Milieu, car à la connaissance du soldat, aucune délégation n'avait refusé de venir, ce qui était un signe fort de réconciliation, après les événements qui s'étaient déroulés. Six mois s'étaient écoulés depuis, mais les blessures étaient toujours vives, et les plaies demeuraient à panser.

++ Rokh, tu viens ? ++

++ J'arrive ++, répondit le soldat en retournant auprès de ses compagnons d'armes.

Le guerrier réajusta son armure réglementaire, et se dirigea vers les tentes carmin de sa délégation. Il n'avait pas été convié aux festivités, en dépit de ses grandes qualités martiales, mais il trouvait déjà formidable que la Reine l'eût personnellement sélectionné pour faire partie de la compagnie chargée de l'escorter jusqu'à Minas Tirith. Après tout, son retour n'avait pas été des plus simples, et quitter Aldburg - il avait appris à bien le prononcer - n'avait pas été une mince affaire. Il se souvenait avec précision du jour où le Maréchal était rentré, totalement brisé. Ce n'était plus que l'ombre de l'homme qu'il était sur le champ de bataille, et il ressemblait à une coquille vide. L'Ordre semblait s'être acharné sur lui, de sorte à anéantir tout ce qui restait de noble et d'honorable chez cet homme. Il n'avait pas totalement réussi, mais les dégâts étaient considérables.

Spontanément, Rokh avait décidé de repousser la date du duel, qui devait avoir lieu au retour du Maréchal. Mais qui pouvait défier un homme à peine capable de tenir debout, et en tirer une quelconque gloire ? Il s'était donc proposé pour assurer sa sécurité en plus de celle de sa femme, et avait fait preuve d'une certaine efficacité pour détourner les attentats contre le Maréchal - il avait éliminé trois individus qui avaient tenté de forcer le passage jusqu'à la chambre des deux seigneurs, et en avait dénoncé un quatrième à la garde qui avait fait son travail avec efficacité. Toutefois, il n'avait pas été en mesure de protéger la Dame contre elle-même, et cet échec lui restait profondément en travers de la gorge.

Pendant un temps, il avait accompagné le Maréchal presque partout, tandis que celui-ci réglait des affaires politiques propres au Rohan, et auxquelles le guerrier ne comprenait rien. Il y avait une histoire de trahison, de double jeu, et de fidélité à l'Ordre. Des lames avaient été tirées, du sang versé, bref, rien d'extraordinaire dans le quotidien du cavalier oriental. Et puis était venue l'heure du duel tant attendu. On avait aménagé un espace dans la cour d'Aldburg, pour que les deux combattants puissent se mesurer l'un à l'autre. Epée et bouclier étaient leurs armes, et sous les yeux d'une foule de spectateurs inquiets, ils avaient commencé à s'affronter sans la moindre retenue, comme si ces mois de coexistence pacifique n'avaient été qu'une parenthèse dans un duel qui ne s'était jamais vraiment terminé, comme si tout à coup ils se retrouvaient dans la boue et le sang devant Aldburg, au milieu d'un océan de morts, d'un concert de cris déchirants.

Sans surprise - aux yeux du guerrier oriental -, le duel avait tourné à son avantage. Il avait eu le temps de récupérer, de reprendre des forces, et surtout de bien s'entraîner. En face, le Maréchal avait peut-être précipité son retour, surestimé ses capacités... à moins qu'il eût volontairement décidé de s'opposer à l'oriental alors qu'il n'était pas encore totalement remis. Quoi qu'il en fût, la victoire de Rokh fut incontestable, et à l'issue d'un combat acharné, il parvint à désarmer le rohirrim, et à placer le fil de son épée sur sa gorge. Toutefois, pour des raisons qu'il ne s'expliqua pas immédiatement, il retint son bras, et laissa la vie sauve à son adversaire. Ce n'était pas dans ses habitudes, mais il avait reconnu chez le Maréchal Mortensen - cela aussi, il avait appris à le dire - une certaine noblesse d'âme qui faisait écho à ce qu'on lui avait enseigné. Il n'avait pas pu lui prendre la vie ainsi, car il ne voyait pas l'intérêt de tuer un lion blessé. Non. Ce qu'il voulait en vérité, c'était obtenir sa liberté et retourner chez lui, quitter le Rohan et retrouver sa vie. Et qui sait, peut-être un jour, retrouver Gallen Mortensen et l'affronter à nouveau pour déterminer franchement qui serait le meilleur.

Il était rentré en Rhûn par la suite, sans se retourner, et avait retrouvé miraculeusement une place dans l'armée. Il fallait dire que sa famille avait fait pression pour qu'il soit réengagé parmi les Cataphractes, et que les révélations qu'il avait à faire concernant son passage par l'Ordre ne tenaient pas à être rendues publiques. Il fallait étouffer l'affaire en haut lieu, et puisque sa seule demande était de retrouver son grade et son affectation parmi la cavalerie d'élite du royaume, on considéra qu'il s'agissait d'un petit prix à payer. Ainsi se retrouva-t-il à Minas Tirith, perdu au milieu d'un océan de tentes, occupé à surveiller un campement luxueux pour le protéger des autres délégations, des voleurs, des assassins et de tous les rebuts de la société qui pouvaient se trouver dans les parages. Toutefois, il avait entendu dire que la délégation du Rohan se trouvait non loin, et il envisageait sérieusement d'aller y faire un tour pour rendre visite au Maréchal, en dépit des consignes strictes qui avaient été données aux soldats, ordonnant notamment de ne pas provoquer de bagarre inutile auprès des autres peuples.

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Evoluant au milieu de la cité blanche avec une grâce qu'un danseur lui aurait enviée, Sinove se rapprochait de son objectif tranquillement, tandis que la foule l'entourait comme l'eau entoure un nageur. Elle se déplaçait facilement, silencieusement, sans jamais avoir à pousser qui que ce fût. C'était comme si son corps ondulait pour épouser le moindre espace libre, et se plier aux contraintes de son environnement, plutôt que de le tordre à sa volonté. Elle allait à une allure naturelle, rapide sans être anormale, et elle ne laissait dans son sillage qu'un parfum épicé, légèrement poivré en vérité, pour éviter qu'un chien ne puisse suivre sa trace au flair. Il faisait chaud pour la saison, probablement par contraste avec le terrible hiver qui s'était abattu sur la Terre du Milieu, mais la jeune femme portait une tunique de cuir sobre boutonnée jusqu'à la base du cou, avec des manches longues. Elle avait un chapeau à larges bords sur la tête, autant pour se protéger du soleil que pour dissimuler ses traits sous une chape d'ombre à quiconque aurait jeté un regard dans sa direction. En fait, elle était habillée comme une servante, une domestique, et elle était venue à Minas Tirith en tant que cochère.

La couverture était idéale. Il y avait plusieurs milliers de personnes dans la Cité Blanche, dont un bon nombre venant d'ailleurs. Les attelages étaient arrivés en masse, et les cochers circulaient donc dans la capitale du Gondor pour profiter pleinement des festivités, avant de repartir sur les routes. Nul ne faisait attention à eux, car tout le monde était concentré sur les principaux invités, les riches et les puissants qui s'entouraient de gardes et de mercenaires pour assurer leur protection. Certes, les armes étaient interdites dans la cité, mais pour la plupart ces combattants savaient se débrouiller avec leurs poings, et ils prendraient volontiers un coup d'épée à la place de leur patron si d'aventure quelqu'un enfreignait la règle. Sinove, en tout cas, appréciait de pouvoir déambuler de la sorte sans risquer d'être agressée par un individu suspect, et elle allait et venait à Minas Tirith comme une habituée des lieux, ce qu'elle était sans aucun doute.

Depuis la mission catastrophique avec Mirallan, il s'était passé du temps, mais elle avait suffisamment arpenté ces rues, de jour comme de nuit, furtivement ou pas, pour connaître leur agencement pratiquement par cœur, et pour savoir quel trajet il valait mieux emprunter pour se rendre à destination. En l'occurrence, elle avait choisi le chemin le plus fréquenté, pour éviter d'être suspecte, et pour compliquer la tâche à quiconque voudrait la suivre. Une précaution qui n'était pas nécessaire au vu de ses capacités martiales, mais elle avait pour la première fois de sa vie laissé des individus potentiellement hostiles en vie à Minas Tirith, et elle ne se sentait pas aussi à l'aise que d'ordinaire, lorsqu'on l'affectait sur une mission. Surtout que ces adversaires étaient talentueux... en attestaient les nombreuses blessures que son corps avait récolté dans la bataille, et qui avaient mis du temps pour guérir.

Elle se faufila tranquillement jusqu'à l'assistance qui applaudissait le Roi, en tapant des mains machinalement pour se fondre dans la masse, mais en focalisant toute son attention sur les signes. Le billet reçu dans le temple d'entraînement était clair : venir seule et attendre la fin de la cérémonie. Pour le reste, il n'y avait aucune précision. Elle était habituée aux fantaisies d'employeurs tous plus scrupuleux sur la sécurité les uns que les autres, et cela ne la choquait pas outre mesure. En règle générale, elle attendait pendant un bon moment, jusqu'à ce qu'il n'y eût plus personne. Alors, un colosse bien armé venait la voir en lui demandant d'une voix grave si elle était là pour le contrat. Elle ne répondait pas, et se contentait de lui emboîter le pas, pour aller étudier le cas, et signer l'accord passé entre les deux parties.

Mais ici, les choses ne se passèrent pas exactement comme prévu. La cérémonie venait de s'achever, et la remise des présents démarrait. Une partie de la foule s'était dirigée vers la tente officielle, afin d'y voir des personnalités importantes, tandis que plusieurs autres retournaient en ville pour célébrer à leur façon le mariage, profiter des tavernes et des bars, faire de bonnes affaires chez les marchands qui s'étaient installés là récemment, et qui venaient de toutes les régions de la Terre du Milieu. Plusieurs gardes se détachèrent du lot, et emboîtèrent le pas à la foule, pour maintenir l'ordre, canaliser les déplacements, et éviter les cohues. De toute évidence, les mesures de sécurité étaient une question cruciale pour les autorités. Sinove demeura un instant immobile, ignorant si elle devait se rapprocher des badauds, ou filer avec les ivrognes. Durant sa seconde de réflexion, elle balaya les environs, et son regard croisa celui d'un homme qu'elle n'avait pas particulièrement envie de rencontrer.

Il portait une belle armure du Gondor, et une belle épée au côté, mais elle ne se trompait jamais sur un visage, et même s'il avait troqué ses vêtements ensanglantés et ses blessures abominables contre une tenue d'apparat et une paire de gants, il n'en demeurait pas moins le même homme au fond, le même serpent insaisissable, toujours prêt à mordre. Elle savait qu'il y avait un risque pour que ses pas la menassent à lui, mais sur les douze envoyés à Minas Tirith, elle était la seule à être revenue, et elle était celle qui connaissait le mieux la ville, désormais. Elle n'avait pas eu le choix. Comprenant que sa présence n'était pas une coïncidence, elle tourna les talons en rabattant son chapeau, et s'éloigna en direction des étages inférieurs de la cité, suivant pour l'instant le gros de la foule, avant de bifurquer dans une ruelle proche, où elle attendit dissimulée dans l'ombre. Elle n'avait pas l'intention de l'attaquer, car il était armé et elle non, mais il y avait une chance pour qu'il voulût signer un contrat, et elle n'avait pas le droit de fuir pour des motifs personnels sans avoir pris le temps de vérifier la faisabilité d'une mission. Telle était la règle.
Sujet: Devenir Emir à la place de l'Emir
Ryad Assad

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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Devenir Emir à la place de l'Emir    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 20 Nov 2013 - 1:03
Ah... Dur'Zork...

Au fond, ce n'était pas une ville désagréable. Surtout quand on avait fréquenté les pirates d'Umbar, et leurs manières de débauchés. A côté d'eux, les pires rustres de Rhûn ressemblaient à des princes, des modèles d'éducation et de savoir-vivre. Et dire que c'étaient eux qui menaçaient actuellement la capitale du Harondor... c'était à n'y rien comprendre. La cité était bien fortifiée, d'après ce que j'avais pu observer en déambulant ici ou là. Les murs, épais et hauts, semblaient être capables de supporter les assauts de la marée humaine qui allait bientôt s'abattre sur eux, et il semblait presque déraisonnable, de là où je me trouvais, de continuer à soutenir Taorin envers et contre tout. Mais malheureusement, il semblait qu'il n'y avait pas de bon choix à faire en ces jours troublés. Soutenir un vulgaire pirate, borgne qui plus est, c'était une pure folie. Il osait attaquer la ville avec un assortiment chaotique de pirates ivres, d'esclaves malingres, de tribus du désert incontrôlables, et d'autres créatures ramassées au fond des caniveaux. Très honnêtement, je n'aurais jamais parié le moindre sou sur eux. Alors parier ma vie... je devais être totalement fou. Mais de l'autre côté, il y avait ces Occidentaux prétentieux, suffisants, imbus d'eux-mêmes. Ces êtres qui prétendaient pouvoir donner des leçons à tous ceux qui les entouraient, et qui entendaient régir la vie de leurs voisins contre leur volonté. Non pas que j'éprouvasse la moindre inimitié contre eux, non. C'était simplement que depuis tant de siècles, ils nous méprisaient et cherchaient à nous envahir que les miens en avions conçu une haine farouche, qui persistait malgré tout. Il fallait dire que les Gondorien, les Rohirrim et autres peuplades sauvages ne faisaient rien pour casser cette image détestable. Lorsqu'ils avaient attaqué le Khand - où je me trouvais en mission à l'époque -, j'avais eu l'occasion d'entendre parler de leurs faits d'armes. Ils avaient assiégé Assabia, guère plus qu'un village, à peine un point sur une carte, et ils avaient trouvé le moyen d'échouer dans leur entreprise. C'était la première fois que j'avais éprouvé une certaine admiration - très mesurée et très éphémère - pour les gens du Khand.

Maintenant que je les voyais de près, ils m'apparaissaient encore plus pathétiques que je le croyais. Après un temps interminable, l'état d'alerte avait finalement été déclaré dans la cité. Pas officiellement, tout du moins, mais les contrôles aux portes étaient beaucoup plus stricts, les patrouilles avaient été doublées dans les rues, et il semblait qu'une sorte de frénésie paranoïaque s'était emparée des officiers de la garde - ils n'étaient déjà pas très sereins en temps normal, alors inutile de préciser que les choses ne s'arrangeaient pas. On aurait dit que la cité était en ébullition, comme si la menace était bien réelle... Si Radamanthe avait eu des espions dignes de ce nom, il se serait contenté de rassembler une armée, et de marcher droit sur l'armée coalisée. Avec une bonne attaque surprise, une charge de cavalerie sur les arrières de cette formation hétéroclite, il aurait probablement réussi à causer une panique suffisante pour les forcer à battre en retraite. Une frappe d'une précision chirurgicale, avec un minimum de pertes. Mais les Occidentaux étaient couards, et se réfugiaient trop facilement derrière la solidité - supposée - de leurs remparts. Ils croyaient dans la supériorité de leur architecture, plutôt que dans la supériorité de leurs bras. En même temps, il fallait dire qu'ils n'avaient pas de quoi se rengorger de ce côté-là. Quand je voyais leurs hommes patrouiller, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'ils avaient la préciosité d'une bande de courtisanes, mais avec un physique hypertrophié, un visage déformé par l'imbécilité, et une conversation que seul un mouton pouvait soutenir sans s'endormir.

Ces quelques considérations objectives mises à part, il fallait dire que les choses s'organisaient toutefois de manière relativement - relativement ! - intelligente. Radamanthe avait dû distribuer des ordres, et de toute évidence, ils étaient appliqués à la lettre. Les armes étaient emmenées aux forges pour y être affûtées, les commandes de flèches avaient augmenté... en flèche - hum hum -, et tous les corps de métier étaient sollicités pour participer à l'effort de guerre. On faisait rentrer autant de marchandises que possible, et le rationnement commençait à se mettre en place. Plus question de jeter la moindre denrée qui pouvait encore servir. A Melkor les chiens errants et les enfants des rues : les restes étaient donnés aux soldats, aux bataillons qui s'entraînaient quotidiennement, et tiraient inlassablement sur des cibles de paille, comme si cela allait leur sauver la vie le moment venu. Pathétique. Les patrouilles étaient de plus en plus vigilantes, et les guetteurs semblaient ne pas quitter l'horizon des yeux, comme s'ils s'attendaient à tout moment à voir apparaître des voiles noires sur le fleuve, ou bien les silhouettes de milliers d'hommes piétinant le sable autour de la cité.

Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! Agathe10

- A quoi pensez-vous ? Me demanda Agathe. Vous avez l'air distrait.

- Distrrait vous dites ? J'étais simplement en trrain de rréfléchirr...

Elle fronça les sourcils :

- Et à quoi donc, si ce n'est pas trop vous demander ?

Je me permis un sourire discret, et me levai du banc sur lequel nous étions assis. Nous avions décidé de nous installer non loin de la muraille et de la porte principale, pour pouvoir l'observer sans attirer l'attention. Elle m'imita sans attendre, mais sa gestuelle trahissait l'impatience qu'elle éprouvait à recevoir la réponse :

- A l'avenirr, Agathe... A l'avenirr...

Elle ne répondit pas. Quelle réponse pouvait-on apporter, de toute façon ? Cela faisait plusieurs jours que je n'avais plus de nouvelles de Taorin, qui devait être très concentré sur la préparation, et la mise en marche de son armée. A Dur'Zork, même si on essayait de rassurer la population, des rumeurs circulaient de manière insistante. On racontait que des navires pirates avaient été aperçus au large des côtes du Harondor, remontant vers le Nord. C'était précisément le genre d'informations qui m'incitaient à penser que le moment d'agir était proche. Très bientôt, sans nul doute, la cité de Radamanthe fermerait ses portes, et se préparerait à résister au siège imposé par les forces d'Umbar. J'avais vu certains des Chiens de Taorin infiltrés dans la ville, et tous m'avaient demandé quand et comment ils devraient agir. Si j'avais su répondre à la seconde question avec grande précision, je m'étais montré  bien plus énigmatique quant à la première. Je leur avais simplement répondu qu'ils sauraient pertinemment quand le moment serait venu.

Je ne voulais pas leur communiquer un moment particulier, car c'était un risque bien trop important à prendre. Il n'y avait rien de plus dangereux que des unités autonomes, capables d'agir à n'importe quel moment. J'avais beau mépriser les espions du Harondor, il valait mieux rester prudent - la malchance pouvait frapper n'importe qui -, et puisque les Chiens n'étaient pas familiers des opérations de sabotage et d'espionnage, je préférais ne pas risquer de ruiner leur couverture. En outre, nous n'étions pas assez nombreux pour faire beaucoup de dégâts aux troupes de Radamanthe. Tout au plus pouvions-nous espérer assassiner un capitaine, un commandant si nous étions très chanceux. Nous pouvions éventuellement empoisonner une dizaine d'hommes, mais ce ne serait guère suffisant. Non. Notre principale tâche serait de semer la zizanie dans les rangs, par des actions d'éclat. Nul besoin, donc, d'agir simultanément. Au contraire ! Le premier qui se lancerait à l'action attirerait immanquablement l'attention sur lui. Les autres réagiraient forcément en conséquence. Des actions de sabotage menées à des moments différents avaient l'avantage de faire monter la pression, de créer un vent de panique. Si chaque individu de la cité devenait une menace potentielle, si l'ennemi ne se bornait plus à ceux qui se trouvaient face aux remparts de la cité, alors il serait plus aisé pour Taorin de prendre le contrôle de la cité.

- L'avenir... Je l'imagine sombre...

Je levai la tête vers les nuages qui s'amoncelaient dans le ciel. Dans l'absolu, il faisait encore relativement bon, mais en comparaison des températures caniculaires que supportaient habituellement les gens du coin, on pouvait dire que le temps avait nettement fraîchi. La faute à cet hiver interminable, que j'aurais préféré voir s'étendre au loin. Sûrement qu'ailleurs, il se manifestait par des chutes de neige, ou des pluies torrentielles. Mais ici, c'étaient simplement de gros nuages d'un noir inquiétant, qui paraissaient raccourcir les journées, et happer jusqu'au dernier rayon de soleil dans leur immense carcasse cotonneuse. De tels béhémoths - c'est une sorte de monstre, dans un livre très ancien que j'ai lu il y a longtemps - étaient de très mauvaise augure, et il n'était pas besoin d'être chaman ou devin pour comprendre que les temps étaient en train de changer. L'hiver s'étendait au-delà du raisonnable, les mers et les vents semblaient déchaînés par la colère de Melkor, et les germes de la guerre bourgeonnaient - à défaut de pouvoir dire éclore - aux quatre coins de la Terre du Milieu. Avec tous ces changements, il était donc envisageable de penser que la horde de pirates de Taorin avait une chance, après tout. Et cela, tenez-vous le pour dit, n'est pas un signe encourageant...

- Sombrre, c'est le mot... Rrentrrons nous mettrre au chaud, voulez-vous ? Le temps est à l'orrage...

#Ryad #Agathe
Sujet: L'essentiel en enfer est de survivre
Ryad Assad

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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'essentiel en enfer est de survivre    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 20 Jan 2013 - 16:00
Suite de L'âme sûre ruse mal
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J'avais toujours eu une certaine réticence à me déguiser pour tromper l'ennemi, mais il fallait reconnaître que cela marchait plutôt bien, car celui-ci n'était pas habitué à affronter des gens insaisissables. La plupart des espions de l'Ouest se promenaient vêtus de tenues sombres, la mine patibulaire, avec un air coupable qui les trahissait à des lieues à la ronde. Ils ne se comportaient pas si différemment des assassins qu'on pouvait envoyer pour tuer un vulgaire paysan dans une auberge, même si certains étaient assez doués pour jouer la comédie et ne pas se faire prendre. Mais ces espions de bas étage étaient une véritable insulte à la profession, et je n'avais guère de pitié pour des gens si peu qualifiés. Depuis le début de notre périple, à Agathe et à moi, j'avais déjà eu l'occasion d'en réduire deux au silence. Le premier sur la route, le second à Al'Tyr. J'étais persuadé que les Ombres qui contrôlaient la ville étoufferaient l'affaire, et quand bien même, cela ne me dérangeait pas. C'était là le privilège de ceux qui agissaient déguisés. Tuer en toute impunité et repartir comme si de rien n'était, vers un autre endroit où ils allaient accomplir la même tâche.

Agathe avait déposé la lettre que je lui avais confiée sans aucun problème, et elle m'avait même expliqué en détail comment elle avait surveillé les alentours de manière discrète, pour s'assurer que personne ne la suivait, et que personne ne risquait d'intercepter le Chien une fois le mot remis. Cela m'avait quelque peu impressionné. Pour une novice, elle avait de bonnes intuitions, et de la suite dans les idées. Le seul problème était qu'elle avait tendance à prendre cela comme un jeu. Nous étions pour l'heure à Al'Tyr, une ville qui était acquise à la cause de Taorin, ce qui pouvait expliquer que tout fût facile. Jouer à l'espion, regarder de droite et de gauche d'une manière furtive avait de quoi exciter, mais le danger n'était pas omniprésent. A Dur'Zork, les choses seraient différentes, et il faudrait composer avec la garde qui risquait d'être attentive, les espions chargés par Radamanthe de traquer ceux qui essayaient de s'infiltrer dans sa ville, ainsi que tous les citoyens paniqués prompts à lancer des accusations sur les étrangers. De quoi se retrouver pendu avant d'avoir eu le temps de poser ses bagages. Assez désagréable.

Après la soirée passée dans la taverne, Agathe et moi avions retrouvé notre petite auberge, dans laquelle nous avions passé une nuit des plus reposantes, pour attaquer la dure journée du lendemain qui consisterait principalement à reprendre la route. Aux premières heures du matin, nous avions gagné la porte de la ville qui ouvrait sur la route du Nord, et avions attendu une caravane ou un convoi qui nous permettrait de nous fondre dans la masse. J'avais entre temps troqué mon costume de marchand contre une vieille cape de voyage, et passé une perruque et une barbe qui me faisaient ressembler à un vieillard. J'avais même le bâton qui allait avec. La touche finale qui faisait toute la différence. Je prenais un grand soin à marcher lentement et d'un pas mal assuré, ce qui avait le don d'exaspérer Agathe, désormais habituée à mon rythme habituel.

- Ne pouvez-vous pas avancer plus vite ? M'avait-elle lancé sur un ton un peu acerbe.

Jouant le jeu à fond, je répondis d'une voix vieillie et fatiguée :

- Hmm...

Elle soupira, et passa son bras sous le mien pour me soutenir et me tirer. Celle-là devait avoir une notion très particulière de l'aide aux anciens, non mais ! Cependant, je ne me démontai pas, et continuai à incarner mon vieillard irascible et fatigué. Nous arrivâmes enfin aux portes, ou des caravanes attendaient de pouvoir partir. Agathe me demanda de rester sans bouger, et fila demander à quelques personnes si elles ne pouvaient pas nous accompagner. Pour faire bonne mesure, je me forçai à prendre une respiration sifflante, et à sembler épuisé. Je ne doutai pas qu'avec son talent de persuasion et mon air pathétique, quelqu'un finît par accepter notre présence. Et encore une fois, je pus me targuer d'avoir eu raison sur toute la ligne. Quelques minutes plus tard, j'étais installé sur un chariot, bien calé sur des sacs d'or qui voyageaient en direction de Dur'Zork pour y acheter du grain. En plus de ça, nous étions escortés par une trentaine de soldats Gondoriens qui me semblaient être des types loyaux et prêts à se battre jusqu'au bout. Il me fallut un effort de volonté pour ne pas éclater de rire. Voyager jusqu'à la capitale sur le chariot des impôts qui arrivaient à Radamanthe. Quel culot, cette fille !

Le voyage avait été assez rapide, et surtout très confortable. Nous avions voyagé selon une trajectoire assez particulière, sans passer par Djafa où nous aurions très probablement attiré l'attention. L'or devait gagner la capitale rapidement, et nous fûmes rejoints en route par d'autres soldats qui vinrent renforcer le contingent déjà conséquent qui nous escortait. De mon côté, je jouais parfaitement mon rôle. Le vieillard sénile dans la peau duquel je m'étais glissé était dur d'oreille, ce qui me permettait de me tenir non loin dans gardes sans qu'ils s'inquiétassent de savoir si oui ou non j'allais comprendre quelque chose. Agathe avait en outre laissé entendre que je ne parlais pas bien le westron, ce qui m'arrangeait. Elle avait trouvé à expliquer sa présence en déclarant qu'elle était la fiancée de mon fils, soldat à Dur'Zork, et qu'elle avait souhaité faire le voyage pour me ramener jusque là-bas pour célébrer leurs noces. Pas mal trouvé.

J'avais rarement effectué un tel trajet aussi rapidement et sans jamais avoir à m'inquiéter de ce qui pouvait survenir. Très honnêtement, il aurait fallu être fou pour attaquer un tel convoi, et même soixante ou soixante-dix bandits auraient été en peine de gagner contre tous ces soldats. Ce fut ainsi que nous gagnâmes Dur'Zork en toute tranquillité, franchissant ses murailles sans avoir à subir le contrôle drastique des autorités locales. J'avais bien conscience que le joli minois d'Agathe n'était pas étranger à cette affaire, mais si elle pouvait me servir de passe-partout, je ne pouvais qu'en être ravi. Le chef de cette expédition nous abandonna aux portes, et nous conseilla une auberge non loin, dans laquelle, dit-il, "nous serions traités comme des rois". Ma compagne lui assura cependant qu'elle devait rejoindre son fiancé pour achever les préparatifs, et qu'elle avait beaucoup à faire. Je pus lire une pointe de regret dans les yeux du soldat, qui me tira un sourire amusé. Il devait se dire qu'il n'avait pas de chance...S'il savait à quel point !

Dans tous les cas, nous étions dans la place, introduits dans les lieux dans la plus grande discrétion, ce qui n'était pas pour me déplaire. Nous nous mîmes en quête d'un lieu où passer la nuit, de préférence dans un endroit calme et à l'écart de la foule et des lieux de pouvoir. Un endroit où nous pourrions passer inaperçu. Tandis que nous marchions - très lentement, grâce à mes efforts - à travers les rues, je tendis l'oreille et ouvrit l'œil pour être sûr que nous n'étions pas filés. Fort heureusement, je ne remarquai personne. Cela pouvait signifier qu'il n'y avait personne derrière nous, ou bien que celui qui me suivait était du genre très bon. Mais cette dernière éventualité était la plus improbable. Tous les bons espions devaient être occupés à surveiller les frontières, à recueillir des informations sur les mouvements d'Umbar, et à essayer de dresser un portrait fidèle de la situation. L'Emir devait faire confiance à son armée pour assurer la sécurité des lieux. A quoi aurait-il servi de garder ses meilleurs hommes à l'intérieur de ses murs, surtout qu'en face, ce n'étaient que de vulgaires pirates. S'il les sous-estimait comme je les méprisais, alors il avait probablement envoyé tout ce qu'il avait pour les surveiller, laissant sa ville à la merci de gens comme moi.

Nous trouvâmes finalement une auberge où nous décidâmes de passer la nuit, mais nous passâmes devant sans nous arrêter. J'avais tiré le bras d'Agathe pour l'inciter à continuer. Maintenant que nous étions dans la place, j'avais besoin de ma liberté de mouvement, et surtout de retrouver mon apparence habituelle. Marcher voûté avait de quoi user prématurément, et je préférais de loin me promener avec une épée au côté qu'avec un simple bâton...même si je pouvais être redoutable avec cette seule défense. A l'abri d'une petite ruelle qui se trouvait un peu plus loin, j'exécutai mon numéro de transformiste tandis qu'Agathe surveillait les alentours. En deux minutes à peine, j'avais retrouvé l'apparence de Salem, rangé mes affaires dans mon sac, prêt à retourner à l'auberge.

L'endroit était modeste et peu peuplé, mais il semblait propre. Je laissai Agathe nous réserver une chambre, tandis que je mémorisais intérieurement la configuration des lieux. Il était important de bien connaître cet endroit, car il constituerait notre point de chute, et si d'aventure nous étions démasqués, il y avait de fortes chances pour que nous soyons obligés de fuir d'ici avec la garde aux trousses. Connaître les issues était primordial si l'on voulait se donner de bonnes chances de survivre. Agathe revint à mes côtés rapidement, avec une petite clé dorée, et une moue désolée sur le visage. Lorsque je l'interrogeai du regard à ce sujet elle répondit :

- La chambre avec deux lits coûtait trop cher, donc j'ai été obligée de prendre un lit double.

Je haussai un sourcil :

- Et ?

Elle me regarda, visiblement chiffonnée :

- Vous êtes vraiment un crétin !

Et elle s'élança dans l'escalier d'un pas décidé, la mine boudeuse. Je la suivis, perplexe, cherchant à comprendre ce que j'avais bien pu dire pour l'énerver à ce point. Me résignant à la laisser piquer sa petite crise tant que ça lui plairait, je décidai d'éluder le problème. Nous avions des affaires plus urgentes à régler. Comme par exemple nous repérer dans la ville, prendre contact avec les Chiens que j'avais envoyés avant nous, et essayer de déterminer un plan pour recueillir des informations à Radamanthe. Il fallait également que je trouve comment communiquer discrètement et sûrement avec Taorin, sans éveiller les soupçons. Faire confiance à quelqu'un pour acheminer les informations ? Cela augmentait le risque d'interception, et présenterait un inconvénient majeur quand la guerre serait déclarée, et que les allées et venues seraient surveillées de manière très stricte. Non, il nous fallait autre chose. Les pigeons ? Banal mais efficace. Cela aurait en outre le mérite d'être rapide. Mais pas question de les envoyer directement à Umbar, non. Autant peindre directement "Espion" sur mon front et aller danser l'estampie au milieu de la caserne. Non. Par contre, Al'Tyr pouvait constituer un relais intéressant pour l'instant. Et lorsque les armées de Taorin y parviendraient, ce serait encore mieux. Oui.  C'était pour l'heure la meilleure solution.

Absorbé par ces pensées qui requéraient tout de même une bonne dose de concentration, je lâchai un "hmm ?" interrogateur en me tournant vers Agathe qui m'avait adressé la parole. Je n'avais tout bonnement pas écouté, et je ne voyais pas ce que cela avait d'insultant, mais ses sourcils se froncèrent instantanément comme si je lui avais demandé d'aller se faire voir ailleurs. Forcément, elle répondit avec passion :

- Arrêtez de faire "hmm" comme ça ! J'en ai déjà assez soupé de vos manières de vieillard pendant le trajet, alors faites-moi au moins grâce de cela quand nous sommes seuls.

Ce fut à mon tour de froncer les sourcils. Il y avait quelque chose qu'elle ne comprenait pas encore, et qu'il était de mon devoir de lui expliquer, sans quoi aucun de nous ne risquait de survivre à nos premiers jours ici :

- Mais qui vous dit que nous sommes seuls ? Je vous rrappelle que nous ne jouons pas à quelque comédie, Agathe. Rressaisissez-vous si vous ne voulez pas que nous finissions dans les ennuis jusqu'au cou. Et surrveillez votrre langue. Je sais que cela peut sembler alarrmiste, mais n'oubliez pas qu'ici, perrsonne ne nous ferra de cadeaux. Et maintenant, si vous aviez quelque chose à me dirre, dites-le sans détourr, point final.

Elle accusa le coup de mes paroles, et avait visiblement envie de répondre quelque chose, mais elle savait que j'avais visé juste, et qu'elle ne trouverait pas d'arguments pour me contrer sans aller dans une surenchère puérile et inutile. Cependant, même si elle s'avouait pour l'instant vaincue, son visage n'affichait rien d'autre qu'une colère bouillonnante qui menaçait de déborder les limites de sa politesse et de son contrôle. Elle serra les poings et la mâchoire, avant de lâcher :

- Je vous disais simplement que l'aubergiste nous avait préparé un bain. C'est tout.

Ce fut à moi de me retrouver bête. Nous en étions arrivés là pour une simple histoire de bain ? Décidément, nous frisions le ridicule. Si nous étions en ce moment-même en train d'être espionnés par un des hommes de Radamanthe, celui-ci aurait soit quitté son poste pour aller informer son maître que ceux qu'il suivaient n'étaient en réalité pas une menace, puisqu'ils se chamaillaient pour des broutilles, à moins qu'il ne fût tombé du promontoire par lequel il nous observait à force d'avoir trop ri. Dans l'une comme dans l'autre des hypothèses, je me sentais humilié. Pourquoi fallait-il toujours que nous en arrivions là avec cette femme ? Elle tourna les talons, et s'apprêta à sortir. Ce fut alors que je remarquai qu'elle tenait une serviette et des vêtements propres entre ses mains. Peut-être que si j'avais prêté un peu plus attention à elle, j'aurais pu les voir, et comprendre où elle voulait en venir. Mais ce qui était fait était fait. Alors qu'elle avait la main sur la poignée, je lançai distraitement :

- Voulez-vous aller manger en ville, ce soirr ?

Elle se figea un instant.

- Crétin.

Et elle sortit. Au moins, j'avais essayé.

#Ryad #Agathe
Sujet: L'âme sûre ruse mal
Ryad Assad

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Rechercher dans: Al'Tyr   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'âme sûre ruse mal    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 11 Jan 2013 - 2:24
Ah...Al'Tyr...Enfin nous y étions.

Il nous avait fallu traverser quelques turbulences, mais globalement nous avions réussi à éviter le plus gros du danger. Enfin...Il avait fallu faire usage d'un peu de persuasion auprès des émissaires de Radamanthe, qui s'étaient montrés peut-être un peu trop zélés. De pathétiques techniques d'assassinat fonctionnaient certes bien contre des mercenaires - et encore... - mais contre un espion entraîné, ils passaient carrément pour des amateurs. Enfin... Je m'étais réveillé avant Agathe, ce qui m'avait permis de nettoyer un peu la saleté. Lorsqu'elle avait émergé, elle n'avait proprement rien remarqué, sinon l'absence de notre ami...et la présence de son cheval. Je lui avais sorti une excuse pathétique en lui disant que Tolvir était parti à pied, et qu'il nous avait gracieusement laissé sa monture. Elle m'avait regardé comme si je lui sortais une mauvaise histoire, mais que pouvait-elle prouver ? Le corps dudit gars devait flotter dans la rivière dans laquelle je m'étais abreuvée, et vu la vitesse à laquelle il était parti, il devait être loin maintenant. Et nous, nous avions un cheval. Quelle aubaine ! Elle m'avait harcelé de questions, mais je lui avais resservi la même soupe encore et encore, à tel point qu'elle avait fini par se taire. Guère convaincue, mais dans l'impossibilité de se faire une idée.

Nous avions ensuite fait halte à Djahar'Mok, où nous avions vendu le cheval et acheté des provisions avec l'argent gagné. J'avais fait en sorte qu'Agathe portât en permanence un tissu cachant ses cheveux et son visage, et une fois en ville, je l'avais consignée à sa chambre d'auberge, de sorte à pouvoir traiter sans risque mes propres affaires. Officiellement, c'était pour des raisons de sécurité, car je ne voulais pas que nous empruntions la même identité pour traverser jusqu'à Al'Tyr. J'avais fait semblant d'aller acheter des vêtements pour nous déguiser, tandis qu'en réalité, je déposais un message à l'attention de mon contact :

Citation :
Flamme marche et déteste la tête. On veut éteindre le feu mais pas d'eau et la bourse est vide. Pas de grand soleil. Le vent souffle doucement en tête. Le voyageur sera le prochain brûlé.


J'avais très attentivement surveillé nos arrières, pour voir si je n'étais pas suivis, mais il ne semblait y avoir personne à mes trousses, fort heureusement. J'avais déposé mon courrier là où je savais que mon contact allait le retrouver, et entreprit de me changer à l'abri d'une ruelle, dans le renfoncement d'une porte. C'était un exercice toujours très périlleux, car il fallait que le costume fût crédible tout en n'attirant pas trop l'attention. J'avais acheté des vêtements de qualité, même si cela avait encore entamé mon budget, pour incarner un homme d'un certain rang. Non pas un marchand opulent, mais plutôt une sorte de noble en manque d'argent. Cela expliquerait mon air hautain, et justifierait ma piètre richesse. Fort bien. Je m'ajoutai des cheveux, ainsi qu'une barbe postiche, et une fois satisfait du rendu que le miroir miniature que j'emportais partout me donna, je me lançai dans les rues en quête d'Agathe.

Elle avait - pour une fois - écouté mes conseils, et était restée sagement assise à ne rien faire, ou plutôt à pester après moi, très probablement. Je ne vins pas frapper à sa porte, pour ne pas attirer l'attention de l'aubergiste qui m'aurait peut-être reconnu. Au lieu de quoi, j'allai délicatement frapper à sa fenêtre, à l'aide d'une pierre de belle taille. Elle rebondit sur la vitre sans la briser, fort heureusement, et quelques secondes plus tard, sa silhouette apparut. Elle ouvrit et se pencha sur le balcon. Sans savoir d'où me venaient ces mots, je lançai :

- Quelle lumièrre jaillit par cette fenêtrre ?

Elle haussa un sourcil interloqué :

- Pardon ?

- C'est du théâtrre...Enfin, je crrois...Descendez vite !

Cette fois, ce furent ses deux sourcils qui se haussèrent simultanément, comme sous le coup de la surprise et de la compréhension subite d'une chose qui jusqu'alors lui était demeurée cachée :

- Salem ?

- Descendez vous dis-je !

Elle referma le battant, et s'empressa de ramasser nos maigres possessions. Deux minutes plus tard, elle se tenait en bas à mes côtés, les bras écartés et la mine à la fois surprise et ravie. Un grand sourire étirait ses lèvres, mi-moqueur mi-admiratif. Je ne savais quelle moitié m'effrayait ou me dérangeait le plus.

- Salem ! Cela vous va si bien ! Pourquoi ne pas vous habiller comme ça plus souvent ?

Je l'invitai au silence d'un geste du doigt, et l'entraînai avec moi en direction des quais. Nous devions prendre la mer rapidement, pour gagner Al'Tyr tout aussi rapidement. Le delta de l'Harnen ne poserait pas de problèmes, mais je préférais éviter de traîner dans une ville où pouvaient traîner des hommes de Radamanthe. Se battre dans cette tenue serait inconvenant. Décidément, je collais bien à mon personnage. Je marchai d'un bon pas pour simuler un empressement qui n'était pas aussi feint que je voulais bien le croire, car j'avais un mauvais pressentiment quant à cette ville. S'attarder par trop longtemps ne nous apporterait rien de bon. Nous filâmes prestement, et arrivâmes bientôt à proximité de l'eau. Peu de navires, contrairement à Umbar, mais beaucoup de petites barges qui effectuaient la traversée en quelques heures à peine. Formidable, il n'était pas encore midi. Déjeuner à bord, débarquement en début d'après-midi, puis nous aurions tout le temps de poser nos valises et d'organiser la suite du périple, après avoir profité d'un repos bien mérité. J'expliquai rapidement ce plan à Agathe, qui sembla ravie de la tournure que prenaient les évènements. Surtout la petite escapade sur l'eau, qui semblait l'enchanter. Avait-elle guéri son mal de mer, depuis la dernière fois ? J'allais bientôt le savoir.

Nous arrivâmes devant les docks, et j'étais sur le point d'expliquer à Agathe que j'allais devoir simuler un mutisme pour ne pas me trahir à cause de mon accent, quand un homme trop joyeux et trop dynamique pour être honnête nous accosta, avec un enthousiasme exubérant qui avait le don de m'irriter. Mais je n'avais pas eu le temps de mettre au point un code avec Agathe, aussi espérai-je qu'elle allait débloquer la situation à ma place :

- Mademoiselle pleine de charme, et monseigneur plein d'élégance, laissez-moi me présenter je suis Mosi, batelier de son état, et je suis prêt à vous emmener jusqu'à Al'Tyr si vous le souhaitez pour la modique somme de cinquante pièces, rien que cela. Je vous garantis confort et intimité sur ma barge, certes petite, mais adaptée pour ceux qui ne désirent pas être dérangés. Mes seigneurs, si la traversée vous intéresse, acceptez sans hésiter, vous ne trouverez pas une meilleure opportunité dans tout Djahar'Mok, je vous le garantis !

Il parlait beaucoup, il parlait fort, et il avait un sourire absolument insupportable sur le visage. Enfin, je ne pouvais pas dire grand-chose, car j'avais affiché le même sur mon visage, en relevant même les sourcils, feignant un air intéressé. J'étais tellement sceptique par rapport à son manège que j'étais surpris qu'il ne vît pas que je n'en pouvais plus. Cependant, cantonné que j'étais à mon rôle de muet, je me tournai vers Agathe avec un regard qui signifiait "passons notre chemin, ce type me paraît louche". Mais le batelier devait l'interpréter comme : "qu'en penses-tu, il me semble bien ce garçon ?". J'eus la désagréable surprise de constater qu'Agathe semblait comprendre "prenons-le, il a l'air parfait !". Elle afficha une moue interloquée en voyant que je ne répondais pas, mais parut croire que je lui laissais pour cette fois l'occasion de décider. Avec un sourire de gamine satisfaite, elle déclara :

- Mosi, nous acceptons votre offre ! Nous souhaiterions partir au plus tôt.

J'ignore comment ils firent pour ne pas voir mon exaspération. J'avais l'impression de vivre dans un cauchemar où personne ne peut vous voir, où vous êtes seul. Quelle plaie !

- Nous pouvons partir dans la seconde, gente dame. Puis-je prendre vos bagages ?

Je lui tendis sans grande conviction nos sacs, et adressai un regard contrarié mais résigné à Agathe. Elle me regarda avec une pointe interrogation, comme si elle voulait dire "quoi ? J'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?". Bien entendu qu'elle avait fait quelque chose qui n'allait pas ! Outre le fait de dépenser allègrement mon argent, alors que nous aurions pu voyager sur une barge deux fois moins chère, elle avait confié notre sort au plus loquace et au plus insupportable des commerçants. Comment faisais-je pour ne pas exploser ?

Nous embarquâmes rapidement, sur un rafiot qui à défaut d'être grand semblait propre et en bon état. C'était au moins ça. Le capitaine - et le simple fait de l'appeler ainsi après avoir côtoyé les Seigneurs Pirates d'Umbar était une preuve des efforts que je devais fournir pour être sympathique - nous fit faire le tour du propriétaire, ce qui ne nous prit guère de temps. Nous avions à notre disposition une cabine confortable, dans laquelle nous avions le droit de nous reposer à notre guise, à moins que nous préférions circuler sur le pont pour profiter de l'air frais. J'avais levé le nez et regardé les nuages noirs qui s'amoncelaient dans le ciel avec un scepticisme à peine dissimulé. Agathe m'avait pris par le bras, et m'avait enjoint à ne pas faire d'histoires. Elle avait un don pour voir les choses du bon côté, elle. Toujours sans un mot, je pénétrai dans la petite cabine, alors qu'une fine pluie commençait à tomber. Le batelier nous salua de la main en nous souhaitant de profiter du voyage. J'étais heureux qu'il ne traînât pas dans nos pattes, et qu'il fût trop occupé à piloter son engin pour venir nous déranger.

Agathe était comme une princesse ravie, s'attardant sur les moindre détails, savourant même le confort que procurait l'unique lit qui se trouvait dans la cabine. L'unique lit ? Je soupirai perceptiblement, et l'ancienne esclave se tourna vers moi, comme peinée par mon manque d'enthousiasme.

- Qu'y a-t-il Salem ? Vous semblez irrité depuis tout à l'heure. Et même cette barbe et cette perruque ne cachent pas votre air de cochon grognon.

- Je prréférrais encorre quand vous m'appeliez maîtrre.

Elle haussa les épaules, éludant de ce simple geste tout ce que j'avais pu mettre comme méchanceté dans ma remarque, faisant par là même retomber ma colère. Elle avait le don de me rendre ridicule quand elle le voulait, et de désarmer chacune de mes estocades, pour peu qu'elles fussent peu sérieuses. Revenant à des considérations moins conflictuelles, elle désigna le lit du menton :

- Il n'y a qu'un seul lit, vous aviez remarqué ? Quel côté voulez-vous prendre ?

Ce fut à mon tour de hausser les épaules, ce que je fis sans me faire prier. Et ce n'était pas pour lui signifier que j'étais indifférent à sa question, mais bien pour lui démontrer qu'elle n'avait pas lieu d'être :

- Le voyage n'est pas long. Je dorrmirrai parr terre.

- Allons, Salem, ne soyez pas aussi grincheux. Il y a assez de place pour deux, et je ne mords pas.

Je fronçai les sourcils. Pourquoi insistait-elle autant ?

- Je serrai très bien surr le sol, Agathe.

Elle éclata d'un rire bref, et revint à notre conversation :

- Allons bon, on dirait que je vous dégoûte au point que vous ne puissiez supporter une telle proximité. Ne me trouvez-vous pas attirante ?

Je faillis répondre, mais je ne sus quelle posture adopter. Lui dire qu'elle n'était pas attirante était un mensonge éhonté, qui aurait eu le don de la blesser et de la fâcher contre moi. Son comportement aurait pu en être bouleversé, et pour le bien de ma mission, il fallait que nous restassions en bons termes. Mais d'un autre côté, lui dire qu'elle était attirante, ou plutôt que je la trouvais attirante pouvait avoir des conséquences encore plus dramatiques sur la suite des évènements. Je choisis de ne rien dire, ce qui était peut-être pire pour elle sur le moment, car son imagination allait tourner à plein régime, mais au moins elle resterait dans le flou. C'était l'essentiel. Devant mon absence de réponse, elles 'empourpra. Je discernai dans ses yeux une confusion plus grande encore que je l'avais escompté, ce qui eut pour effet de me perturber.

- Pardonnez-moi, Salem. Je n'aurais pas dû vous demander ça. C'était déplacé.

Je levai la main pour l'apaiser, et répondit :

- Ne vous en voulez pas. Et puisqu'il faut que je prrenne un morrceau de ce lit pourr vous prrouver que vous ne me dégoûtez pas, je choisis la drroite.

Elle me lança un petit sourire presque d'excuse, mais n'ajouta mot. C'était probablement mieux ainsi. Je fis une sieste qui me parut fort agréable, car le lit était somme toute assez confortable. Cela changeait de la route que nous avions arpentée des jours durant, et les choses risquaient de se compliquer encore par la suite. Le capitaine vint toquer à notre porte, nous réveillant en douceur, pour nous annoncer à travers l'huis que nous étions à proximité des côtes, et qu'il fallait nous préparer pour le débarquement. Je me levai rapidement, et vérifiai mon maquillage dans un miroir proche. Après quelques menus ajustements plus esthétiques qu'autre chose, je m'estimai prêt à sortir. Agathe avait remis de l'ordre dans sa chevelure, et s'était étirée longuement, avant de hisser le sac sur ses épaules, et de grimper sur le pont. Je la suivais de prêt, désireux d'analyser notre arrivée à Al'Tyr. La ville grossissait à vue d'œil, et le fourmillement des navires offrait un spectacle assez intriguant. Il faisait étrangement sombre, probablement à cause des nuages, et cela rendait l'agitation encore plus mystérieuse.

Ah...Al'Tyr...La ville des Ombres, et c'étaient précisément les Ombres qui nous accueillaient. Je fis un effort pour y voir là un signe encourageant.

#Ryad #Agathe
Sujet: Les chiens, la vipère et la renarde
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Les chiens, la vipère et la renarde    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 29 Déc 2012 - 22:48
La nuit tombait sur le Sud de la Terre du Milieu, apportant avec lui un froid qui promettait d'être désagréable. Bah... J'avais connu des voyages pires que celui qui s'annonçait, très probablement. Il en fallait plus pour me déranger, et je savais pertinemment que cela ne serait que le prélude à une situation plus confortable. Il fallait savoir souffrir un peu pour obtenir des résultats. Pour l'heure, je ne risquais pas ma vie. Il fallait déjà voir cela comme un point positif. La suite promettait d'être plus mouvementée, et rien ne garantissait que nous allions nous en sortir. Enfin, je ne me faisais pas trop de soucis pour moi. J'avais reçu un entraînement intensif qui avait exercé mon endurance et ma capacité à gérer les situations de stress. Mais pour Agathe, j'avais quelques doutes. Non pas qu'elle fut incapable, bien au contraire, mais je m'interrogeais quant à sa capacité à faire face en cas de danger mortel. Elle avait passé pas mal de temps à ne faire que survivre, et je me demandais si elle allait être capable de réfréner l'instinct qui poussait à fuir, pour accomplir sa mission. Difficile à dire.

Elle était justement là, en train de boucler son paquetage. Enfin...son sac de voyage, car après tout, nous étions supposés voyager comme deux simples civils. J'avais même insisté pour que nous n'emportions pas de monture, ni d'ailleurs de vêtements particuliers pour combattre le froid. Elle avait fait la tête pendant toute la journée, jusqu'à ce que je revinsse avec une tunique de voyage rembourrée. Elle avait souri comme pour montrer qu'elle avait gagné, mais comme j'avais menacé de lui reprendre la dague si elle n'arrêtait pas, elle avait fini par se calmer. Nous étions tous les deux prêts au départ, moi dans ma tenue de voyage habituelle, avec mon sac bouclé sur les épaules, et elle dans sa tunique chaude, prête à parcourir plusieurs miles dans le froid et la peine, pour remplir une mission qui, au final ne la concernait en rien.

A la nuit tombée, nous quittâmes le navire du Capitaine Vardrin. Je lui avais laissé un message pour le remercier de son hospitalité, et lui assurer en quelques mots bien choisis de mon soutien si jamais il venait à avoir besoin de moi. Du blabla pas si inutile que ça, car il était toujours bon de parfaire une couverture, dans les moindres détails. J'adressai un salut au marin de garde, qui étrangement me répondit de la même manière. Avais-je fait en sorte qu'il obtînt une ration de rhum plus importante pour qu'il me saluât ainsi, ou bien avais-je réellement marqué des points en sauvant la vie de son supérieur ? Je l'ignorais, et à vrai dire, je n'avais pas vraiment le temps de m'en préoccuper. De toutes façons, la psychologie des pirates était tellement simple que la première réponse était très certainement la bonne.

Agathe et moi-même, silencieux mais pas particulièrement discrets, nous traversâmes la Cité du Destin sans échanger un mot. Moi, parce que je n'avais rien à dire de très intéressant, et elle - d'après mes observations - parce qu'elle ne savait pas par quoi commencer. Pour une fois qu'elle se taisait, je n'allais pas m'en plaindre. Nous dépassâmes les quartiers des docks, souvent mal famés à ces heures, mais qui aujourd'hui semblaient calmes. La vague de recrutement avait un peu vidé les rues des types louches qui erraient en quête d'alcool ou de bagarre, et c'était un premier pas vers la civilisation. Ici, pas de patrouilles pour assurer la sécurité des passants, et il semblait que seule la guerre contre un voisin pouvait assurer un minimum d'ordre - si ce mot avait jamais été prononcé sincèrement ici - entre ces murs crasseux. Nous évitâmes soigneusement les ruelles sombres qui serpentaient au travers de la ville, et passâmes comme deux individus normaux par les artères les plus fréquentées. Des ivrognes rentraient ou sortaient des bars, contents d'avoir eu une avance sur leur paie. Certains avaient même négocié pour être payés la moitié tout de suite, et l'autre moitié après. Des gars qui n'imaginaient pas revenir vivants de l'expédition, et qui décidaient de profiter de la vie avant de la quitter. Pathétique. Nous n'eûmes cependant pas à jouer des coudes, et j'en fus ravi, car j'aurais été contrarié de devoir corriger un malandrin le jour de notre départ. C'était souvent mauvais signe.

Nous arrivâmes finalement aux imposantes portes de la cité. Bel ouvrage, qui avait résisté aux affres du temps. Effectivement, il ne datait pas de l'époque des pirates, mais de bien avant. C'était Numénoréen, à n'en pas douter, car aucun pirate n'aurait eu l'idée de créer un tel monument, agrémenté de sculptures discrètes, qui commençaient à disparaître à cause du temps et des éléments. Dommage. Nous nous présentâmes aux factionnaires, munis de lettres officielles que nous avait données Taorin. Une chacun, pour que nous puissions quitter la ville après la tombée de la nuit. Le garde la parcourut du regard un moment, s'arrêtant davantage sur le sceau du Seigneur Pirate que sur les lettres tracées, avant de nous faire signe que c'était bon. J'attrapai la lettre d'Agathe, m'approchai d'un soldat qui tenait une torche, et entreprit de brûler soigneusement ces documents qui pouvaient nous compromettre si quelqu'un nous découvrait avec. Consciencieux, j'attendis qu'ils fussent totalement détruits avant de franchir la poterne qui avait été ouverte pour nous. Comme d'habitude, nulle fanfare, nulle foule en délire pour un espion comme moi. Seulement les petites portes, les endroits sombres et surtout l'anonymat. J'aimais ce métier. Agathe s'arrêta à la porte, et se retourna pour contempler les murs et les toits de la Cité du Destin.

- Agathe ?

Elle se retourna rapidement, comme si elle avait été prise en faute :

- Désolée...C'est juste que...

- Prrenez votrre temps, la coupai-je.

Je savais qu'il était difficile de quitter son chez-soi. On pouvait l'aimer profondément, comme moi, ou le haïr de toute son âme, comme Agathe, mais cela demeurait un endroit familier où on avait ses repères. Partir à l'aventure dans l'inconnu demandait une certaine dose de courage. Je pensai un instant à demander à Agathe si elle désirait suivre sa propre route, et m'abandonner ici, au pied de cette porte. Très franchement, je pense qu'elle aurait pu répondre par l'affirmative, et me tourner le dos définitivement. Mais je n'en fis rien, et elle acheva finalement de dire adieu mentalement à sa cité. Elle se porta à ma hauteur, et ferma les yeux lorsque le claquement de la porte se fit entendre dans notre dos. Nous étions partis.

Nous marchâmes pendant un peu moins d'une heure, direction plein Nord, en suivant la Grand'Route qui menait jusqu'à Al'Tyr. Nous avions rendez-vous avec les Chiens de Taorin, que je devais rencontrer au moins une fois avant le début de notre mission. J'avais déjà parlé à Agathe, et j'avais décidé de la mettre dans la confidence quant à ce que nous allions devoir faire. Etrangement, elle n'avait pas paru très choquée d'apprendre que notre action risquait de conduire à la mort d'innocents. Lorsque je lui en avait fait la réflexion, elle s'était contentée de me dire : "si vous aviez vu les regards des gens qui venaient chez Omar, vous sauriez que pas grand-monde n'est innocent". Réponse tout à fait correcte. Cependant, je ne savais ce qui la motivait. Désirait-elle se venger de quelqu'un, ou bien simplement s'amuser ? Certains combattaient et tuaient par pur plaisir, d'autres par obligation...Les deux étaient à craindre. Il fallait savoir tuer quand c'était nécessaire, épargner quand il le fallait, et surtout se débrouiller pour garder autant que possible les mains propres. J'avais dû ôter la vie plusieurs fois, lorsque je servais dans les rangs de l'armée régulière, mais j'avais appris qu'il était toujours préférable de faire commettre les petits meurtres par un tiers. C'était une meilleure protection, et souvent c'était beaucoup plus efficace.

Je fus heureux de constater qu'Agathe marchait d'un bon pas. J'avais moi-même l'habitude d'aller assez vite à pied, et j'étais souvent contrarié de voir que les gens ne suivaient pas le rythme. Bien qu'elle ait été emprisonnée de longues années durant, Omar avait dû bien la traiter, en lui donnant le droit de faire de l'exercice régulièrement, sans quoi jamais elle n'aurait pu être aussi en forme. Sous nos pieds, le terrain était irrégulier, composé d'une succession de petites collines où la végétation était rare, mais cela ne nous ralentît guère, et nous arrivâmes en vue des cavaliers à l'heure prévue. Je les saluai de la main, comme convenu, car notre mot de passe consistait à ne pas dire un mot. Ils me répondirent de la même manière, et mirent pied à terre pour m'accueillir.

#Ryad #Agathe
Sujet: Des ombres dans la nuit
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Des ombres dans la nuit    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 18 Déc 2012 - 22:21
A l'instar d'un cheval sauvage des vastes plaines de Rhûn oriental, le destin était capricieux, et difficile à dompter. Très difficile. J'avais pourtant cru que tout allait se passer comme prévu, et que nous allions atteindre le Harondor sans difficulté. Sans difficulté autre que le mal de mer d'Agathe, qui avait vomi tripes et boyaux pour le plus grand plaisir des marins moqueurs de l'équipage de Vardrin. Le Capitaine, lui, était resté distant, mais une lueur d'amusement passait dans son regard chaque fois qu'il la voyait se précipiter par dessus le bastingage, prête à rendre le déjeuner qu'elle avait avalé si difficilement. Moi-même, j'avais eu du mal à retenir quelques sourires en voyant son visage blême lorsqu'elle venait s'endormir dans la cabine que nous partagions. Elle m'en fit le reproche plusieurs fois, et cela ne m'aida pas à retrouver mon sérieux.

Ah ! La mer. Quelle formidable invention ! Apaisante à souhait, on se serait cru au milieu d'un paradis, où rien ne semblait pouvoir vous atteindre. Le danger était loin, à l'intérieur des terres, sous la forme d'une armée qui se mobilisait aux portes d'Umbar, et qui prévoyait de marcher sur Dur'Zork quelques semaines plus tard. La guerre, le sang. J'avais abandonné tout cela depuis assez longtemps pour être partagé entre le désir ardent de participer à un combat de grande envergure, et la lassitude de voir encore et toujours les mêmes scènes, les mêmes carnages, les mêmes actions héroïques mais inutiles. Tant d'hommes allaient tomber sans comprendre pourquoi ou comment, que cela en devenait presque ridicule. Sauf pour celui qui distribuerait le butin. Plus de mort, plus d'économies. Un calcul machiavélique qui m'aurait choqué si on avait parlé de soldat de Rhûn. Mais ce n'étaient que des pirates. Des pirates et des esclaves. Par centaines ou par milliers, leur mort n'avait de désagréable que le sang qui collerait à mes bottes, que l'odeur de chair brûlée par le soleil qui monterait à mes narines, et probablement qu'ils s'arrangeraient en plus pour tomber en travers du chemin, de sorte qu'il soit impossible de les contourner. Il faudrait un pas inélégant pour les enjamber, ou bien quérir un aide de camp valide - de corps, tout du moins - pour déblayer le passage. Ah...la guerre et ses charmes. On sous-estimait trop souvent cette partie particulière de la bataille.

Au milieu de la mer, tout cela me paraissait étrangement lointain, et j'eus bien de la chance d'avoir reçu une formation militaire approfondie, sans quoi nous aurions tous pu être surpris par le danger qui se cachait au milieu de nous. Tapi dans l'ombre, déguisé en l'un des pirates, un espion du Harondor s'était infiltré dans nos rangs. J'avais eu des doutes quand des signes étranges m'avaient alerté. Un marin qui parlait peu et qui rigolait peu, qui faisait très attention à ne pas boire trop - détail très surprenant - et qui consignait des choses. Je n'avais jamais vu de toute ma vie un pirate un crayon à la main. Sauf pour le porter à ses yeux ébahis en se demandant de quoi il s'agissait, après un pillage réussi. Mais lui, à la faveur de la nuit et à la lueur de la lune, il écrivait des choses. Il consignait des rapports. Je n'en dit rien à Vardrin, désireux de d'abord confirmer mes soupçons...Et ils s'étaient confirmés. J'avais un peu tardé à le démasqué, il est vrai, et j'avais réussi à empêcher in extremis qu'il ne tuât notre bon Capitaine, d'un coup de dague dans le dos. Il avait dû être surpris, le pauvre bougre. Salem, l'intendant du navire, à peine capable de porter les caisses de vivres qu'on lui confiait, avait arrêté son bras d'une seule main ferme. A ce moment précis, je sus qu'il s'agissait d'un espion de pacotille, d'un misérable envoyé du gouvernement Harondorim, qui devait avoir raclé les fonds de tiroir pour oser envoyer un homme aussi incapable et aussi peu discret. D'une clé adroitement placée, j'avais désarmé et neutralisé l'homme, avec une classe et une élégance rare. Sans cri brutal, sans grands gestes inutiles, et avec une efficacité très professionnelle. Vardrin avait été sauvé, mais la mission était compromise. Nous étions repérés, et probablement qu'il piège nous attendait à notre arrivée. Il nous avait fallu faire demi-tour en toute urgence, et le trajet du retour avait été des plus tendus.

Mais nous étions finalement arrivés à destination sans encombres, car en plus d'être incompétent, cet espion travaillait seul. Pauvre Harondor...Si j'étais à la place de l'intendant, tout cela changerait et vite. Nous avions débarqué dans le port d'Umbar, et Vardrin s'était immédiatement éclipsé pour aller rendre des comptes à Taorin, très probablement. Cela devait lui brûler les lèvres de lui expliquer qu'ils étaient peut-être démasqués, et qu'il fallait accélérer les préparatifs. A moins qu'il ne veuille lui raconter en détail comment il avait froidement torturé l'espion pour lui faire cracher qui était son employeur. Cela n'avait pas été facile, et j'avais assisté à une partie de l'interrogatoire. Trop musclé et trop salissant à mon goût, mais indéniablement efficace. Et puis cela avait l'avantage de nécessiter très peu d'outils, au final. Il faudrait que j'y pense en cas de pénurie de matériel. On pouvait toujours faire avec les moyens du bord, mais l'usage de ses deux mains avec probablement quelque chose de jouissif. En tous cas, les marins qui étaient venus épauler le Capitaine étaient ressortis ravis, le sourire aux lèvres, gueulant à qui mieux mieux pour avoir de l'eau dans le but de se rincer les jointures. Parfois, un seau plein ne suffisait pas. Agathe s'était portée volontaire pour essayer de faire parler en douceur le prisonnier, comme elle savait si bien le faire, mais Vardrin avait préféré ne pas l'envoyer. Il jugeait préférable de s'en tenir à sa bonne vieille méthode, et elle avait eu le mérite de produire des résultats.

L'équipage et moi-même avions passé un jour à quai, avant qu'on nous autorise enfin à débarquer. J'avais traîné un peu dans les rues avec Agathe, et nous avions fait quelques courses, surtout pour la demoiselle qui avait besoin de s'équiper. Elle m'avait harcelé pendant plusieurs heures jusqu'à ce que je consente enfin à lui acheter une arme pour qu'elle puisse se défendre seule. J'avais jeté mon dévolu sur un set de poignards. Le vendeur nous avait assuré qu'ils étaient parfaitement équilibrés, et très pratiques pour le lancer. Je n'avais rien trouvé à redire face à cet argument, et avais laissé Agathe mener la négociation à sa manière. Roublarde et habile avec les mots, elle avait réussi à embobiner le type qui lui avait cédé trois poignards pour le prix de deux. Avec un sourire enjôleur, elle lui avait fait un petit signe de la main, tandis que nous partions. J'étais de plus en plus surpris par ses talents cachés. Elle avait visiblement beaucoup de ressources, et suffisamment d'intelligence pour survivre dans les rues de la cité. Je lui demandai une fois si elle ne désirait vraiment pas reprendre sa liberté, et partir là où le vent la porterait. Elle m'avait fusillé du regard avec une telle force que j'avais préféré ne rien ajouter, et ne pas aborder le sujet une nouvelle fois. Elle était un boulet à ma cheville, mais un boulet en forme de clé. Une clé qui pouvait ouvrir bien des portes, là où ma subtilité bien que prononcée ne serait pas suffisante.

Puis, au beau milieu de la rue, un petit gamin était venu me tendre un billet, avant de repartir prestement chercher son paiement. La note était on ne peut plus explicite, tout en restant assez évasive. On avait besoin de moi. C'était signé Taorin. Ce n'était pas vraiment une invitation, plutôt une convocation, et puisqu'elle ne stipulait aucune date ni aucune heure, il s'agissait d'une convocation immédiate. Pas de lieu, donc je considérai qu'il devait s'agir du lieu où nous nous étions rencontrés la première fois : le Palais des Seigneurs d'Umbar. Mon flair ne m'avait pas trompé. Agathe sous le bras - façon de parler -, j'avais fait irruption avec la plus extrême des courtoisies sous le nez des gardes, qui m'avaient laissé passer comme s'ils me connaissaient depuis toujours. Quelques jours auparavant, j'étais Salem, le commis au service des Seigneurs Pirates. Désormais, j'étais Salem, intendant du Capitaine Vardrin, appelé par le Seigneur Taorin. Les promotions allaient bon train, en période de guerre, et je me demandai ce que mes exploits à bord du Pourfendeur des Vents allaient me valoir. Des remerciements, peut-être. De nouveaux ordres, probablement. De précieuses informations pour le Trône de Rhûn, sans doute. Je cachai habilement ma satisfaction sous le masque d'impassibilité qui me caractérisait, et qui hérissait tant Agathe.

La nuit tombait sur la cité portuaire, et le calme était en train de tomber sur les rues agitées. Le vent avait eu le don de chasser les rats et la vermine hors des pavés. En disant vermine, je fais bien évidemment référence à la vermine bipède. Il faisait froid, et seule mon allure rapide quoique mesurée me permettait de combattre le froid. En outre, j'appréciais de voir ma compagne obligée de trotter à mes côtés pour suivre la cadence quasi-militaire que je lui imposais. Nous arrivâmes en quelques minutes, et après avoir gravi quelques escaliers de marbre, devant un bureau privé qui, au regard de la taille des lieux, devait avoir la dimension d'une grande chambre. Des gardes armées barraient l'entrée, et je notai d'emblée qu'il ne s'agissait pas des gardes habituels du palais. Non. Ceux-là étaient les hommes de Taorin, ses fidèles les plus proches, qui étaient incorruptibles et incapables de le trahir. Prudent, le Borgne. Je m'avançai jusqu'à eux sans ralentir, jusqu'à ce qu'ils commencent à paniquer et que leurs mains s'approchent de leurs armes. Alors, je leur tendis le billet dont j'étais détenteur. Ils mirent un moment à le lire - mais au moins ils savaient lire, exception suffisamment rare pour être notée - avant de me le rendre.

- Vous, seulement. Elle attendra dehors.

Je me tournai vers Agathe, et je lui ordonnai du geste de rester tranquille. Têtue mais loin d'être idiote, elle avait bien compris que ses frasques étaient déjà à peine tolérées par Vardrin. Derrière cette porte, c'était non pas un Capitaine avide de gloire et de richesse qui se tenait, mais bien un véritable chef de guerre à la tête d'une puissante armée, et dont les velléités de conquête visaient à redessiner la carte du Sud de la Terre du Milieu. Pas mal, pour un type qui ne voyait que d'un œil. Le roi Méphisto devait remercier les Valars qu'il n'en ait pas eu deux, sans quoi il aurait peut-être marché directement sur Minas Tirith. Mais que son ambition fut proportionnelle au nombre de ses globes oculaires ou non, il était l'heure de rentrer dans la fosse. Les gardes toquèrent par trois fois, ouvrirent la porte, et j'entrai sans crainte. Sans crainte, mais emplis de questions.

Je marchai, tête droite et regard sérieux, jusqu'à une distance respectable, avant de m'incliner à la manière d'un serviteur devant le Chien Borgne, le Seigneur Taorin.

- Seigneurr Taorrin. Salem Hamza, à vos orrdrres.

Je me redressai et l'observai. En lui-même, le bonhomme n'avait rien de particulièrement exceptionnel. J'en avais vu des plus grands. J'en avais tué des plus grands, d'ailleurs. Et outre ses cicatrices et son œil manquant, ce qui n'était guère rare chez les pirates, il n'avait rien de très exotique. Et pourtant, c'était à lui que répondait l'armée hétéroclite qui se massait sous les murs de la cité. C'était à lui que répondaient les huit autres Seigneurs Pirates...en tous cas en théorie. Les alliances se faisaient et se défaisaient plus vite que les lacets du corsage d'une catin, et il y avait fort à parier qu'il ne tiendrait pas le choc jusqu'au  bout. Le pauvre. Il m'était sympathique, pourtant, avec son côté sérieux et fier, et l'impression de lassitude qui parfois se peignait sur ses traits, comme si tout cela était une mission terriblement lourde qu'il avait à accomplir, confiée par une autorité plus puissante que lui. Ah...les tyrans...Ils avaient quelque chose de touchant à toujours vouloir faire comme si commander était un fardeau terrible. Quoique commander à des incapables, des ivrognes, des pirates et des esclaves devait avoir de quoi décourager. Je le pris en pitié, et écoutai avec attention ce qu'il avait à me dire, tout en prenant place dans un confortable fauteuil qui grinça agréablement en épousant la forme de mon corps.

Lorsqu'il me parla de la promotion, je ne laissai filtrer aucune réaction. Il se demanderait probablement pourquoi, et je m'en régalais d'avance. La réponse à cette question était simple. Que pouvais-je attendre d'autre d'un entretien privé avec le chef d'une invasion imminente, moi vulgaire serviteur élevé par un subalterne au rang d'intendant, sinon une promotion. Un pirate aurait ouvert des yeux médusés, tandis que l'idée commençait à peine à faire son chemin dans sa tête. Pour ma part, j'avais déjà réfléchi à la question longtemps à l'avance, et je m'étais préparé. Une mission de la plus haute importance. Génial, j'attendais ça depuis un moment. Cependant, je ne m'attendais pas à ce qu'il s'agisse d'une mission d'infiltration. Fort heureusement, il se leva pour aller chercher une carte, et cela me permit de dissimuler rapidement la brève agitation qui s'était emparée de moi. Ce n'était pas de la crainte, non, car je savais que j'en étais capable. C'était mon métier, ma spécialité, et j'étais excellent dans mon domaine. Cependant, je trouvais la coïncidence trop belle. Envoyer un serviteur promu intendant mais en réalité espion pour espionner sous couverture était un coup magistral, trop bien orchestré pour n'être que le fruit du hasard. Je restai de marbre pendant un instant, considérant les options qui s'offraient à moi.

Si Taorin m'avait grillé, cela ne pouvait signifier qu'une chose : Vardrin lui avait révélé mon identité, et ils en étaient arrivés à cette conclusion. Ils connaissaient peut-être mes origines, mon accent ne m'aidant pas à les cacher, et ils savaient peut-être d'où je venais. S'ils savaient avec certitude, je devais les tuer. Les ordres étaient clairs. J'avais mon poignard dans ma botte. En une seconde je le dégainais, en une seconde je m'approchais du Capitaine, en une seconde il était mort. Rapide, et propre. Si la chance me fuyait, il aurait le temps de lâcher un cri. Les gardes feraient irruption dans la pièce, et m'attaqueraient. Je tuerais le premier d'un couteau lancé en pleine gorge. Le second, je m'en occuperais à mains nues. Désarmé, neutralisé puis éliminé proprement, j'aurais quelques minutes à peine devant moi. Je barrerais la porte, m'enfuirais par la fenêtre, trouverais Vardrin, le tuerait, enverrait un message à mon contact et battrait précipitamment en retraite au Khand. Tant pis pour la mission, je serais revenu à Rhûn en un peu plus d'un mois, et j'aurais la satisfaction de pouvoir me reposer en savourant un bon vin local.

Toutes ces pensées défilèrent en une fraction de seconde dans ma tête, mais une image me vint alors que je m'apprêtais à passer à l'action. Agathe. Elle était derrière la porte. Si j'opérais ainsi, elle finirait capturée. Ou plutôt, elle commencerait capturée, puis elle serait torturée - ce qui était déjà désagréable - avant d'être probablement démembrée et éviscérée, ou quelque réjouissance dont les pirates ont le secret. Le simple fait d'imaginer son cadavre étalé sur la place publique me remplit d'effroi et me paralysa. Foutue esclave qui m'empêchait d'accomplir ma mission ! Taorin profita de cet instant pour sortir une carte du Harondor, qu'il étala sous mes yeux. Lorsqu'il m'invita à approcher, j'avais retrouvé ma contenance avec la facilité de l'aigle qui retrouve son nid. Fort de cette comparaison, j'étais certain que l'œil unique du Seigneur Pirate n'avait rien décelé. Et le cas échéant, il partirait avec davantage de questions que de certitudes. Tant mieux, tant mieux.

Je fus ravi de voir qu'il ne s'était pas formalisé outre mesure, et qu'il continuait son explication avec naturel. Penché sur la carte, je suivis le trajet de son doigt, qui désigna d'abord Al'Tyr, où j'étais supposé recruter des Ombres - une guilde d'assassins dont j'avais entendu parler auparavant - puis entrer au cœur de la capitale Harondorim, afin d'y faire le boulot d'un infiltré : espionnage, sabotage et désinformation. Une partie de plaisir pour quelqu'un comme moi. J'acceptai avec plaisir le verre de vin que le Seigneur Pirate me tendit, et je me sentis tout à coup élevé dans la hiérarchie. Un homme tel que lui ne partageait pas son breuvage avec n'importe qui. M'accordait-il à ce point sa confiance. Je humai le nectar vermillon qui dansait dans mon verre, goûtant à ses arômes, tandis que le rustre marin l'engloutissait d'un trait. Sans lui accorder trop d'attention, je trempai les lèvres et fit claquer ma langue :

- Celui-là vient de Rrhûn, je peux l'affirrmer. C'est un trrès bon crru, qui plus est.

Le petit compliment était destiné à masquer l'affliction que j'éprouvais à voir de quelle manière il avait massacré le rituel pour savourer un bon breuvage. Pirate. Je l'écoutai vanter les mérites de ses hommes. Probablement qu'au regard de ses critères, il devait s'agir de l'élite, de la crème de la crème du guerrier. Que les dieux me permettent un jour de pouvoir enfin expliquer à ces hommes la réalité ! Par pitié ! J'allais devoir me trimbaler une bande de loubards rustiques, mal élevés et sans doute pas très intelligents. Dire qu'ils ne seraient pas efficaces pour les manœuvre subtiles était un doux euphémisme pour dire qu'ils n'avaient aucune chance de tous franchir les mailles du filet. Alors, le pirate me posa la question fatidique. Pouvait-il compter sur Salem ? Pouvait-il compter sur le serviteur, l'intendant, le désormais chef de cette petite opération ? Excellente question à laquelle je n'avais moi-même pas de réponse. Afin de ne pas lui donner l'impression que j'étais uniquement motivé par ma noblesse d'âme magnifique, je lui répondis d'un ton aussi sérieux que neutre :

- Je suppose que ce...trravail...est rrémunérré ?

Je n'avais pas cillé, pour lui montrer que si j'étais un homme efficace, je n'étais a priori pas si différent des autres. J'espérais faire taire ainsi les débuts de soupçons qu'il devait avoir. Et puis la perspective d'une belle paie n'était pas à négliger non plus. J'avais dépensé pour d'argent pour l'acquisition d'Agathe, et je préférais avoir un surplus d'économies que de manquer de fonds en cas de besoin. Pensant à l'ancienne esclave qui m'attendait derrière la porte, j'ajoutai :

- On ne peut pas satisfairre une dame uniquement avec du pain et de l'eau, n'est-ce pas ?

Tant qu'on en parlait, j'ignorais si le Seigneur Taorin avait quelqu'un dans sa vie. Le cas échéant, ce pouvait être une faille intéressante dans sa cuirasse, que j'aurais pu exploiter à un moment donné. Mais je n'étais pas suffisamment proche de lui pour lui poser la question de manière aussi directe. Peut-être allait-il m'en parler spontanément, mais ce serait inespéré. Et puis un homme comme lui devait être sans attaches de toutes façons... Il était toujours amusant de faire la conversation avec un homme qui avait des soupçons, et orienter ses pensées au gré du personnage que je m'étais forgé était toujours un véritable plaisir. Voir les gens se perdre en futiles suppositions, se débattre contre de la fumée. Qu'ils étaient ridicules. Cependant, malgré que je prît plaisir au jeu, je ne pouvais pas rester sans répondre au Capitaine. Il m'avait tout de même posé une question, et bien que ma loyauté dépendît de mon paiement, je devais le rassurer :

- Seigneurr Taorrin, vous pouvez compter surr moi pourr mener à bien cette mission. J'ai vu vos hommes...vos Chiens...ils sont trrès imprressionnants. Je suis cerrtain que leurr aide me serra trrès prrécieuse.

Nos regards se croisèrent, et je lui exprimai, le temps d'un battement de cils, toute l'étendue de ma détermination. Je ne pouvais pas mieux faire que de lui afficher ma plus perfide sincérité. Après que nos trois yeux eurent laissé leurs paupières se rabattre sur eux, nous étions redevenus le Seigneur et son soldat, prêts à travailler ensembles pour le bien de cette mission :

- Alorrs, Seigneurr Taorrin. Si je dois communiquer avec vous...Comment dois-je m'y prrendrre ?

#Taorin #Ryad
Sujet: C'est un fameux trois mâts
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Terres Sauvages   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: C'est un fameux trois mâts    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 23 Sep 2012 - 23:37
Enfin le départ ! On ne peut pas dire que je l'avais attendu, ni même que j'étais heureux à l'idée de partir, mais les pirates étaient tellement excités avant que nous mettions les voiles que j'étais presque soulagé que l'attente soit enfin terminée. Le Pourfendeur des Vents avait glissé dans un silence étonnant, au regard de sa taille, sur les flots, quittant en douceur le port d'Umbar. A cette heure de la matinée, le calme s'était emparé de la Cité du Destin, et notre départ passerait inaperçu pendant encore de nombreuses heures. Je n'avais jamais pris la mer et, curieux, je m'étais levé aux aurores pour suivre les manœuvres. Les mains nonchalamment croisées dans le dos, je regardais les hommes s'affairer à l'appareillage, joyeux comme des enfants. Ridicule. A mes côtés se trouvait Agathe, qui observait avec attention les réactions du navire aux directives du barreur. Bientôt, nous quittâmes le port non sans adresser un salut amical aux sentinelles qui gardaient l'entrée de la baie. Le vent était favorable, et il gonfla les voiles avec humeur, comme s'il nous enjoignait à nous éloigner le plus vite possible de cette maudite cité. Il faisait un peu froid, suffisamment pour que j'aie jugé utile de me vêtir d'une petite cape qui me mettait bien à l'abri. Agathe elle-même en portait une, dont le capuchon était rabattu sur ses oreilles frileuses. Personnellement, je restais tête nue à observer le paysage qui défilait devant nous.

Peu à peu, le navire gagna de la vitesse, au fur et à mesure que nous nous éloignions des côtes, comme si une force invisible avait relâché son étreinte à contrecœur, laissant le Pourfendeur libre de voguer à son rythme. Il y avait quelque chose que je n'avais pas prévu, et qui me secoua étrangement, ce fut le roulis du navire. Il n'allait pas encore très vite, mais je sentais nettement sous mes pieds le sol se dérober par à-coups, comme un cheval effectuant ruades sur ruades. Je m'agrippai au bastingage, imité bientôt par Agathe qui était aussi inexpérimentée que moi en la matière. Derrière nous, j'entendis le rire narquois des marins qui avançaient sans la moindre difficulté. J'avais bien noté leur démarche chaloupée à terre, mais maintenant que nous étions partis, ils semblaient se mouvoir avec une grâce surnaturelle. Tels de petits rongeurs, ils filaient sur le pont du navire, grimpaient le long des cordages, le tout avec une agilité surprenante pour des êtres aussi rustres. Leur ballet avec quelque chose d'émouvant, et il était particulièrement ironique qu'ils soient les premiers à ne pas en avoir conscience. Les secousses du navire se firent plus forte, à mesure que celui-ci gagnait en vitesse, et je pus identifier un rythme assez régulier. Il montait pour affronter une vague, et retombait avec un "Pof" triomphal, avant de se présenter face à la suivante. Malgré moi, mes genoux firent la mise au point, et si je n'étais pas totalement assuré sur mes jambes, j'étais déjà moins enclin à chuter. Une main se posa brutalement sur mon épaule, et je fis un pas de côté.

- Vous allez bien ? Demandai-je.

En fait, je connaissais déjà la réponse, mais j'avais eu besoin de poser la question, comme pour meubler une conversation imaginaire. Agathe, à mes côtés, était livide. Elle semblait sur le point de rendre son petit déjeuner, et ses jambes tremblotantes semblaient ne plus être en mesure de la porter. Je glissai un bras sous son épaule pour la soutenir, tandis qu'elle se penchait par-dessus bord pour nourrir les poissons. Il lui fallut quelques instants d'intimité toute relative pour achever de vider son estomac, instants que les marins mirent à profit pour nous lancer piques et moqueries dont elle ne perçut proprement rien, trop préoccupée par ses propres soucis. Moi par contre...

Je ne tins cependant pas compte des paroles cruelles des marins - il allait falloir que je m'y habitue, de toutes façons -, et raccompagnai Agathe, clopin-clopant, à notre cabine. Elle ne se sentait pas très bien, mais elle n'avait plus rien à rendre à la mer, aussi devait-elle désormais se reposer. Je la forçai à s'allonger sur sa couchette, et à boire un peu d'eau pour se désaltérer. Je crus lire dans ses yeux de la gratitude, mais je préférai ne pas m'avancer. Avec délicatesse, je la recouvris d'une couverture pour qu'elle ne prenne pas froid, et lui enjoignis de fermer les yeux.

- Vous êtes papa ? M'interrogea-t-elle.

Je marquai un temps d'arrêt. La réponse à cette question était trop douloureuse. Je croyais avoir enfoui ces souvenirs au plus profond de moi, mais sa question totalement innocente était comme la lame qui trouve le défaut d'une armure. Précise et particulièrement dangereuse.

- Rreposez-vous, lâchai-je, laconique.

Et je sortis. Décidément, elle avait le don pour me pousser dans mes retranchements, et mes réactions ne me plaisaient guère. Il allait falloir que j'exerce un plus grand contrôle sur moi-même, si je voulais éviter que quelqu'un ne me démasque. Il serait dommage d'avoir à faire disparaître un marin dès notre premier jour en mer. Retrouvant l'air frais - trop, d'ailleurs - du dehors, je me dirigeai d'un pas de plus en plus sûr - non sans resserrer autour de moi ma cape de voyage - vers le Capitaine Vardrin qui se tenait debout sur le pont, savourant pleinement l'odeur iodée et le bruit apaisant des vagues. Je ne cherchai pas à dissimuler ma présence, et quelques secondes avant que je ne m'annonce, le Capitaine se tourna vers moi, la mine visiblement réjouie. Il était tout aussi heureux que ses hommes de prendre la mer, de toute évidence.

- Le prremier d'une longue sérrie, je l'ignorre, mon Capitaine. Mais je dois reconnaîtrre que la Merr a quelque chose d'agrréable...d'apaisant...sauf pourr Agathe.

Je me permis de partir d'un rire léger, parfaitement calculé. Histoire de détendre l'atmosphère, dirons nous. Puis j'écoutai Vardrin m'expliquer un peu plus en détail en quoi allait consister notre mission. Etrangement, il se confiait à moi, alors qu'il ne devait pas parler énormément de ce genre de choses à ses hommes. Etait-ce parce qu'il voyait en moi un érudit capable de relever le niveau de la conversation, ou simplement parce qu'il m'appréciait en tant qu'individu ? Je décidai de tenter le tout pour le tout, lorsqu'il aborda la question des chutes de neige anormales :

- De la neige là où il n'y en a pas d'orrdinairre, dites-vous ? Je peine à imaginer mon village natal rrecouverrt de neige, je dois l'avouer. Mais il me semble avoirr lu quelque chose sur un phénomène similairre. C'était lorrsque je me trrouvais à la bibliothèque de Minas Tirrith, si je me souviens bien. Ils parrlaient du Rrohan, envahi à la faveurr d'un hiverr parrticulièrrement long et frroid. Je suppose que c'est de bonne augurre pourr ce qui concerrne le Harrondorr.

Je haussai les épaules, comme pour chasser le souvenir de ces temps immémoriaux, et fixai mon regard sur l'horizon qui s'étendait à perte de vue devant nous. Là, je savais que se trouvait le Harondor et le Gondor. A grande distance, certes mais si près à l'échelle des Terres du Milieu. Il ne nous faudrait que quelques jours pour y parvenir, et derrière nous suivrait l'ensemble de la flotte des Seigneurs Pirates, des esclaves par milliers, ainsi que des mercenaires avides d'or. Le simple fait de penser que tout ceci pouvait constituer une "armée" me tirait un sourire intérieur. Et dire qu'ils avaient une chance de réussir était encore plus ridicule ! Pauvres Harondorim, qui en étaient rendus à craindre l'assaut de péquenauds dépenaillés, d'esclaves décharnés, et de mercenaires désabusés. Sans détourner le regard de la frontière entre la mer et le ciel, je lançai l'air de rien :

- Espérrons simplement que les Harrondorrim n'aient pas eu vent de ce qui se trrame à Umbarr...Il serrait dommage que nous ayons l'honneurr d'êtrre les prremièrres victimes de cette guerre, n'est-ce pas ?

Et en disant cela, je n'étais pas aussi détendu que j'en avais l'air.

#Reznor #Ryad #Agathe
Sujet: Les bons crus font les bonnes cuites.
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Docks   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Les bons crus font les bonnes cuites.    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 30 Juil 2012 - 17:26
Le Pourfendeur des Vents. Ainsi nous étions montés à bord du navire du capitaine Vardrin. Je ne m'y connaissais guère en matière de vaisseaux, mais celui sur lequel nous nous trouvions avait tout d'un "prédateur". Ses courbes audacieuses, son profil élancé le destinaient à la vitesse. C'était un rapide, à n'en pas douter, capable d'arraisonner les marchands imprudents qui sillonnaient les eaux sous contrôle des pirates. A bord, tout était on ne peut plus fonctionnel. La trentaine de matelots à bord dormait sous le pont, à l'abri des intempéries, dans des espaces bien trop étroits pour être confortables. La place était essentiellement réservée aux marchandises embarquées - comprenez "volées" - ainsi qu'aux vivres - comprenez "l'alcool". Il y avait un peu de matériel de réparation, de quoi rafistoler sommairement une voile déchirée, retaper un mât endommagé, ou remettre en état un gouvernail défectueux. Les hommes s'affairaient sur le pont, au rythme des injonctions du second. Vardrin était parti pour affaire, probablement occupé à recruter pour compléter son équipage, à moins qu'il ne soit en train de discuter stratégie avec les Seigneurs Pirates. Ou peut-être qu'il supervisait l'entraînement des recrues qui partiraient bientôt à la guerre. Impossible de le savoir. Toujours est-il qu'il m'avait laissé aux bons soins de son second, avec pour ordre de "me familiariser avec l'équipage, le navire, et les tâches qui m'attendaient".

Les tâches qui m'attendaient n'avaient absolument rien de compliqué - pour quelqu'un de cultivé et d'intelligent comme moi. La plupart des pirates sur ce navire - qui représentaient un échantillon représentatif de la population de la Cité du Destin - ne savaient pas lire, ou écrire, et le peu qu'ils savaient compter était l'or qu'on leur devait à chaque escale. Le hic, c'est que pour se préparer à la guerre, il fallait amasser des vivres en quantité, refaire le stock d'armes individuelles, et changer quelque peu l'armement du navire lui-même, afin qu'il soit en mesure de se montrer dangereux pour autre chose que des navires marchands. Estimer les besoins en considérant une marge de sûreté, prospecter pour trouver les meilleurs tarifs, négocier avec les vendeurs des quais, pour finalement inventorier et répertorier soigneusement la moindre marchandise était long et se serait révélé fastidieux pour mon Capitaine, qui avait d'autres choses plus importantes à traiter. En l'absence de personne qualifiée pour ce travail, c'était à moi qu'il incombait de superviser tout ça. Le second, dénommé Kaerran - et qui, soit dit en passant, était originaire du Harondor que nous projetions d'attaquer - m'avait présenté deux matelots qui allaient m'assister dans ma tâche. J'envoyais régulièrement le premier sur les quais, avec pour mission de se renseigner sur les prix de tel ou tel article. Le second, quant à lui, s'occupait de l'embarquement des marchandises. Avec un zèle appréciable, il me montrait chaque objet destiné à intégrer le navire, de sorte que rien ne pouvait m'échapper.

Cela faisait maintenant deux jours que je travaillais, et le navire se remplissait petit à petit. Nous en étions seulement aux produits usuels que Vardrin m'avait conseillé de prendre : du matériel de réparation, des nécessaires de soin, bref, tout ce qui ne se gâtait pas. Pour le reste, avait-il dit, nous verrions après. Les hommes de bord me considéraient d'un regard peu amène, auquel je répondais par l'indifférence caractéristique de l'érudit plongé au milieu de l'ignorance. Je ne les regardais que lorsque c'était absolument nécessaire, et mis-à-part avec mes deux assistants, je ne leur adressais jamais la parole. Je n'aurais su dire d'où venait leur méfiance - pour ne pas dire leur mépris - à mon égard. Sans doute le fait que j'aie une cabine qui m'était réservée - un vrai trou à rat selon moi, mais le grand luxe selon les critères des marins -, mais plus sûrement parce que j'avais ramené une femme à bord. Agathe avait immédiatement attiré l'attention sur elle, lorsque nous étions arrivés. Ses vêtements affriolants avaient immanquablement capté l'attention des marins, qui s'étaient dits, songeurs, que leur Capitaine avait bien de la chance. Mais lorsque ce dernier leur avait annoncé qu'elle était avec moi, et qu'elle ferait partie de l'équipage, tous s'étaient indignés. Il avait bien tenté de leur expliqué qu'elle s'occuperait du prisonnier, mais il n'avait pas réussi à leur faire comprendre pourquoi nous devions partager la même cabine. Bah, ils finiraient bien par accepter cet état de fait, et puis ils n'y prêteraient plus attention.

Comme si le simple fait de penser Agathe avait pu la faire apparaître, j'entendis soudainement le claquement sec de son pas impérial sur le pont du navire. J'étais assis à une table, occupé à compter le stock de fils à coudre qui venait de nous arriver, aussi me retournai-je pour m'assurer que c'était bien elle. Et c'était évidemment elle. Un masque de fureur à peine contenue occupait ses traits, et ses poings serrés n'auguraient rien de bon. Sur son chemin, les hommes se retournèrent, une lueur avide dans le regard. La plupart se permettaient même un commentaire grivois, ou un sifflement appréciateur. Etrangement, cette fois, elle n'y prêta pas attention. Elle se dirigea vers l'autre bout du navire, visiblement désireuse de passer ses nerfs sur quelqu'un. Je demandai rapidement à mon assistant de m'attendre, et je m'empressai de l'intercepter. Les marins nous remarquèrent immanquablement, et beaucoup s'arrêtèrent de travailler. Je n'entendis pas le sifflet du second, ce qui prouvait que même lui était intéressé par la manière dont les choses allaient se terminer. Trop préoccupé par la colère d'Agathe pour m'attarder sur ce que penserait le second, je saisis fermement la femme par le bras, et la tirai vigoureusement jusqu'à notre cabine commune. Elle maugréa et se débattit quelque peu, mais je parvins finalement à refermer la porte derrière nous. Avec effronterie, elle me lança :

- Alors c'est pour maintenant !? On fait ça sur mon lit ou sur le votre ?

Et allez donc ! La voilà qui repartait. La première fois qu'elle m'avait dit ça, c'était après que je lui eut empêché de sortir de la cabine à la nuit tombée, pour aller - disait-elle - prendre l'air. J'avais été tellement surpris que je n'avais pas su quoi dire, et elle avait très bien compris de quelle manière elle pouvait pousser son avantage. Elle s'arrangeait toujours pour que cet échange ait lieu entre elle et moi, comme une menace tacite. Cette fois encore, je la regardai avec attention. Elle avait troqué sa tunique aguicheuse contre un corsage, un gilet en cuir, et des braies. Elle avait presque l'air d'un pirate : ne lui manquait qu'une balafre sur la joue et une arme au côté. Je laissai passer une seconde, et je lui demandai de s'asseoir. Comme la première fois, elle n'en fit rien.

- Je vous en prrie, asseyez-vous...

Elle s'exécuta sans se départir de sa mauvaise humeur massacrante.

- Je vois que vous êtes en colèrre, et je sais que vous pouvez avoirr envie de...

- Ne parlez pas comme si j'étais une enfant, Maître (elle insista cruellement sur ce mot), venez-en au fait.

Je m'interrompis presque malgré moi, et lâchai un soupir.

- Combien de fois vais-je devoirr vous demander de ne pas m'appeler "Maîtrre" ?

Elle ne répondit rien, et me laissa clairement ridicule. Comme si de rien n'était, je revins à mes préoccupations :

- Qu'imporrte ce qui peut vous trroubler, n'oubliez pas où vous êtes. Ne vous offrrez pas ainsi en spectacle à ces pirrates. Ils ne savent pas se contrrôler.

- Et si j'en ai envie ?

Il y avait clairement du défi dans son ton, dans son regard, et dans son attitude. Cependant, je n'en croyais pas un traître mot. Avec une lenteur calculée, je tendis ma main ouverte vers la porte, l'invitant par là à sortir. Elle frémit perceptiblement, et nous n'eûmes pas besoin de mots pour nous comprendre, cette fois.

- Rretourrnez-donc à votrre poste, et faîtes ce pourr quoi vous êtes là. Tout le monde s'en porrterra mieux.

- Comme vous voudrez, Maître.

Et elle sortit.


~~~

Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! Agathe2


Agathe était on ne peut plus contrariée, et elle n'arrivait étrangement pas à savoir exactement pourquoi. Etait-ce parce qu'elle avait à s'occuper d'un prisonnier absolument insupportable, qui la considérait avec mépris alors que des deux, il était de loin le plus méprisable ? Elle avait pourtant déjà rencontré des gens comme lui, qui se comportaient comme de princes, alors qu'ils étaient les derniers des manants. Tout ça parce qu'elle était une femme. Et pourtant, ce type avait attiré l'attention de Salem, qui l'avait confondu avec un nobliau de qui on pouvait éventuellement tirer une rançon. Maintenant qu'elle y pensait, Agathe avait bien remarqué que ses vêtements avaient jadis été de bonne facture, et qu'ils avaient pu appartenir à quelqu'un d'aisé. Et sa manière de s'exprimer était tellement différente de celle des habitants des bas-fonds d'Umbar.

Mais il n'y avait pas que ça. Il y avait aussi l'attitude de Salem, son "maître", comme elle se plaisait à l'appeler. Elle ne savait pas non plus que penser que lui. Il s'était montré relativement gentil avec elle, sans toutefois lui laisser une quelconque marge de manœuvre. Elle n'arrivait pas clairement à le cerner, et elle avait la désagréable impression qu'il trompait son monde, sans toutefois parvenir à mettre le doigt dessus. Elle l'avait observé à la dérobée, tandis qu'il effectuait ses calculs pour Vardrin. Il se comportait avec un certain détachement vis-à-vis des marins, et il n'était de toute évidence pas à sa place sur un navire. Il semblait incapable de ses deux mains. Et pourtant, le souvenir encore net du coup de poing qu'il avait adressé à son agresseur était encore présent dans l'esprit de la jeune femme. Elle s'évertuait à chercher le moindre indice, était à l'affût de la moindre faille dans sa carapace, mais même lorsqu'elle l'avait regardé dormir, elle n'avait rien décelé de surprenant.

Et enfin, il y avait Vardrin. Le capitaine pirate, qui, quand il ne l'ignorait pas purement et simplement, la traitait avec un mépris souverain. En sa présence, elle se sentait extrêmement mal à l'aise, et elle préférait suivre le conseil de Salem, et ne pas se retrouver dans ses pattes inutilement. Les rares fois où elle avait osé l'approcher pour lui demander quelque chose, il l'avait considérée avec hauteur, et lui avait répondu d'un ton sec qu'il n'allait pas lui servir de nourrice, et qu'elle devait s'adresser à son second pour des choses "sans importance". Elle n'avait tenté l'expérience que deux fois, car elle n'avait pas manqué de noter son irritation à peine contenue. Elle savait bien que même son légitime propriétaire serait impuissant à la protéger si le Capitaine décidait de lui couper la langue pour insolence, ou bien carrément de la passer par-dessus bord. Il avait déjà la bonté de lui faire partager la cabine de l'intendant, elle ne voulait pas qu'il la condamne à aller dormir avec ses hommes.

Mais entre ces trois individus étranges, elle était bien incapable de dire lequel l'horripilait le plus, et lequel pouvait faire naître un elle un tel sentiment de colère. D'un pas décidé, elle se dirigea vers la cale, dans le réduit où était enfermé le prisonnier. Le garde devant la porte - un costaud aux muscles noueux et aux longs cheveux bruns - sourit de toutes ses dents en la voyant arriver. Elle s'arrêta à bonne distance, et lui ordonna d'un ton péremptoire de lui ouvrir la porte sans délai. Le marin resta un bref instant immobile, son sourire stupide collé sur son visage rougeaud, avant de lâcher :

- Tu t'occupes du p'tit bout d'mec là derrière. Tu veux pas t'occuper d'moi avant ?

Son sourire s'élargit, tandis qu'il détaillait sans vergogne le physique de l'ancienne esclave. Agathe ne cilla même pas, et répéta son injonction d'un ton encore plus ferme. Le loubard haussa les épaules, et s'écarta d'un pas, en disant :

- T'es la première catin que j'rencont' qu'est la catin qu'd'un seul mec. Mais ton p'tit ami l' jaune s'ra pas toujours dans les bonnes grâces du Cap'taine, mam'zelle. Et pis la vie d'pirate, ça convient pas aux types comm' lui. Y s'pourrait ben qu'i' lui arrive des bricoles, un jour.

Agathe marqua une brève pause, mais le costaud nota qu'il avait visé juste, et son sourire grandit encore, révélant ses dents abîmées. Il la gratifia d'une tape sur le postérieur, et Agathe se retourna aussi rapidement que possible, mais il avait déjà refermé la porte derrière elle. Elle lâcha un grognement de rage, et se donna une poignée de secondes pour se ressaisir, avant de finalement se retourner vers le prisonnier, qu'elle considéra à nouveau. Il était un peu fluet, et il manquait sans doute d'entretien, mais il avait dû être charmant, fut un temps. Toutefois, son caractère était absolument insupportable, et elle ne le supportait d'ailleurs pas. Il nageait encore dans l'eau fraîche qu'elle lui avait lancé dessus. De l'eau de mer, assurément, à l'odeur de sel qui embaumait la pièce.

- Je vais vous retirer vos vêtements et vos bandages, pour voir comment vous vous remettez.

Elle n'attendit pas de savoir s'il était d'accord ou pas, et elle passa habilement derrière lui, de sorte qu'il soit incapable de voir avec précision ce qu'elle faisait, et qu'il ne puisse pas facilement se débattre. Elle jugea cependant plus prudent d'ajouter, à voix basse, tout près de son oreille :

- Si vous essayez quoi que ce soit, le Capitaine Vardrin vous fera exécuter sans attendre, alors soyez sage.

Agathe avait conscience qu'elle lui avait tapé dans l'œil. Elle se savait désirée, et elle escomptait bien en jouer un peu. Il avait sans doute pu sentir son souffle chaud le long de son cou, et peut-être serait-il émoustillé par le contact involontaire de ses cheveux sur son oreille. Depuis combien de temps un être tel que lui n'avait-il pas vu de femme comme elle ? Des lustres, sûrement. Omar lui avait bien appris comment stimuler les sens et endormir l'esprit des gens, et même si elle n'avait jamais rêvé de servir de compagne à un bourgeois quelconque, elle devait reconnaître que cela pouvait présenter quelques avantages. Elle déboutonna tranquillement la veste et la chemise trempées du prisonnier, et les lui retira non sans laisser ses mains s'égarer sur sa peau. Puis elle dénoua les bandages sur son bras, et caressa la peau avec douceur, vérifiant que la blessure était toujours fermée. C'était bien le cas. Elle passa sa main fraîche sur les hématomes qui parcouraient sa poitrine, et fit courir ses doigts lascifs jusqu'à son abdomen qui se soulevait au rythme de sa respiration qu'elle sentait de plus en plus soutenue. C'était là le bon moment. Elle approcha une nouvelle fois sa bouche tout près de son oreille, comme elle l'avait appris, de sorte que les mots venaient la chatouiller, et murmura avec lenteur :

- Je suis...curieuse...à votre sujet. Ce ne serait pas si mal que nous fassions...connaissance, n'est-ce pas ? Qui donc se cache sous ces fripes...? Êtes-vous vraiment le Roi du Gondor ?

Elle n'avait pas pu s'en empêcher. Il avait peut-être lancé cela pour distraire son adversaire, mais elle l'imaginait assez prétentieux pour se sentir flatté par le titre, et pourquoi pas lui apprendre quelque chose qui lui vaudrait une belle récompense.

#Ryad #Agathe #Denam
Sujet: L'aventure au bout d'un quai
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'aventure au bout d'un quai    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 22 Jan 2012 - 0:46
La soirée à laquelle j'avais participé la veille s'était terminée plutôt tranquillement, mais la journée qui débutait s'annonçait particulière. Elle avait pourtant bien commencé : j'avais passé une nuit excellente, au chaud et au sec, ce qui n'avait pas toujours été le cas ; j'avais donné ma démission, en annonçant que j'allais m'engager dans un équipage pirate - j'avais retiré mon salaire auprès de l'intendant, qui m'avait jeté un regard que l'on pourrait traduire par "Adieu, pauvre idiot" ; j'avais enfin pu reprendre contact avec supérieur hiérarchique, et lui transmettre les précieuses informations que j'avais récupérées. En effet, tant que j'étais le seul à les détenir, la moindre erreur de ma part pouvait empêcher le Trône de les obtenir. Il fallait donc que je les fasse parvenir à celui-ci, et pour cela j'étais aidé par une sorte de "capitaine espion". Il supervisait un réseau relativement conséquent, et tous les messages qu'il recevait, il s'arrangeait pour les faire parvenir de manière sûre jusqu'à Blankânimad, où ils seraient étudiés avec le plus grand soin. Une fois la soirée terminée, je m'étais enfermé dans le réduit où je dormais, et j'avais commencé à rédiger mon message. Nous conversions en Rhûnien - ce qui compliquait la tâche de nos ennemis -, et dans un langage codé qui nous était propre. Dans votre langue, on pourrait le traduire par :

Code:
"Du bois pour les flammes, la fumée s'élève. Une tempête de sable s'annonce en tête, relayée par l'écho d'une voix forte. De nombreuses bourses risquent d'être percées. Le soleil est toujours couché. Flamme manoeuvre en tête à la naissance du géant, sur le sol traître."


Pour ce qui est du sens, je me garderai bien de vous donner toutes les ficelles de ce mode de communication que nous avions mis des années à peaufiner, mais l'essentiel est de savoir que mon collaborateur était désormais au courant des projets guerriers d'Umbar, ainsi que de mes prochains mouvements. Pratique, non ? Quoiqu'il en soit, je m'étais mis en route en début de matinée, retrouvant le confort de mes vêtements habituels. J'avais en effet tombé le costume de serviteur, et passé ma tunique de cuir, celle avec laquelle j'avais particulièrement voyagé. Mon sac de voyage était plaqué contre mon dos et, quelque part, son poids familier me rassurait. A ma hanche, dans son fourreau noir et nu, pendait mon épée sans nom. Dans certaines villes, on m'aurait dévisagé avec insistance, voire avec une lueur d'inquiétude. Mais ici, j'avais l'air parfaitement normal. Peut-être même moins étrange que certains autres. En vérité, je semblais même complètement inoffensif, par rapport à certaines brutes épaisses qui traversaient les rues d'un pas assuré, exposant leurs muscles surdéveloppés au regard de tous.

Mais je savais que ce n'était que de l'esbrouffe. Toutefois, ils feraient de bonnes recrues pour l'armée d'Umbar. Je marchais d'un pas tranquille, en laissant traîner mes oreilles de-ci de-là, et dans tous les coins, on discutait des événements qui se préparaient. On se demandait, avec plus ou moins d'enthousiasme, ce que rapporterait cette campagne audacieuse. Certains rêvaient de richesse, faisant confiance à des talents qu'ils considéraient comme suffisants pour survivre aux affrontements qui allaient faire rage. D'autres - plus lucides - s'inquiétaient quant à leurs chances de remporter la victoire contre une armée de métier. Le discours de ces derniers était vite étouffé par la ferveur générale. Il régnait dans les rues une agitation fébrile, et on sentait que tout le monde avait du mal à dissimuler son impatience. Je voyais des gens rentrer dans des tavernes, où je devinais qu'il y avait un recruteur qui faisait passer un message incitant les jeunes hommes de la cité à s'enrôler dans une guerre qui n'était pas la leur.

Mais cela n'était pas mon affaire. Je passai à côté de tout cet empressement sans prendre le temps de m'arrêter. J'avais autre chose de prévu. J'avais rendez-vous au port, lorsque "le soleil serait haut", et je comptais bien être en avance, histoire de pouvoir faire un peu de repérage. En approchant, je distinguai les navires immenses, qui mouillaient près des quais. On voyait encore les traces de l'incendie qui avait emporté deux d'entre eux, la veille au soir. Des marins éplorés erraient, égarés, hésitant entre s'engager sur un autre navire, ou suivre leur capitaine. Étrangement, on aurait dit qu'ils ressentaient quelque chose comme de l'attachement envers leur chef. Je ne m'attardai pas sur le sujet, et observai les lieux. De toutes parts, on voyait des hommes affairés. Certains embarquaient, d'autres débarquaient. D'autres encore déambulaient à côté des navires, occupés à vendre des marchandises, voler les bourses mal surveillées, et toutes sortes d'activités peu reluisantes, typiques de cette cité maudite. J'ignorai où se trouvait le Pourfendeur des Vents, mais j'eus tôt fait de le savoir, après m'être renseigné auprès d'un homme de toute évidence peu soucieux de son apparence, de qui émanait une odeur surprenante mélangeant alcool, urine et menthe. Au vu de son état, il serait bien incapable de se souvenir de moi, au regard du passage éclair que j'avais fait dans sa vie, et c'était tant mieux ainsi.

Une fois renseigné, je mis le cap - voyez comme je fais un effort pour m'adapter à mon nouvel environnement ! - sur un navire que l'on m'avait indiqué. En approchant, je pus entendre une fois puissante héler les passants, les invitant à s'enrôler pour combattre l'ennemi du Nord. Il promettait richesses et gloire à quiconque rentrerait dans l'équipage, et je me demandais comment certains faisaient pour se détourner de si belles paroles. En tant que pirates, ils auraient tous dû accourir...à moins qu'ils n'aient commencé à se rendre compte qu'ils avaient toutes les chances de se faire massacrer avant de voir la moindre pièce d'or ? Quoiqu'il en soit, je commençais à me demander si l'objectif que Vardrin s'était fixé la veille - à savoir un millier d'âmes - n'était pas réalisable, finalement. En parlant de lui, je le repérai au milieu de quelques uns de ses hommes. Je baissai la tête, et me dirigeai vers lui, perdu dans mes pensées. J'avais réfléchi longuement à la manière de me comporter avec lui, et cela m'avait aidé à m'endormir, je dois bien l'avouer. Toutefois, je n'avais pas encore trouvé de réponse claire. Toujours est-il que j'avais décidé de ne pas agir de manière servile, avec lui, ne serait-ce que parce que ma période passée en tant que serviteur au palais avait été trop longue, et que j'avais besoin de trouver un poste où je sois un peu mieux considéré. Il me faudrait donc me montrer résolu, mais pas trop indépendant, sans quoi il prendrait peur, et me surveillerait de près. Je devais être un homme de confiance, sans être trop entreprenant, et jouer sur la corde raide sans qu'il se rende compte de ce qu'il avait en face de lui.

Je m'arrêtai devant lui, et lui adressai un sourire que je voulais sincère mais neutre - pas stupidement enthousiaste, ou inutilement intriguant -, tandis qu'il posait sa main sur mon épaule. Cette fois, je ressentis autre chose qu'un désir de dominer, mais bien une volonté de faire de moi un de ses alliés. C'est peut-être pour ça que je choisis de le regarder droit dans les yeux. J'avais l'intuition que cet individu, en tant que pirate vivant dans un monde fait de trahisons et de menaces constantes, avait besoin que quelqu'un le regarde franchement. Il ne lirait en moi que ce que je voudrai bien lui montrer, mais cela suffirait sans doute à le convaincre de ma bonne foi qui, pour l'instant, n'était pas feinte. J'entendis dans ses paroles de salutation qu'il m'avait appelé "mon ami". Qu'est-ce que cela pouvait-il bien signifier ? Étais-je donc plus qu'un simple marin ? J'en profitai pour jeter un coup d'oeil à ses hommes. Ils semblaient moins impressionnants, physiquement parlant, que ceux d'autres navires. Et pourtant, paradoxalement, je les jugeai plus dangereux. Déformation professionnelle, sans doute. À moins que ça ne soit l'influence de mon interlocuteur présent. Il m'invita à faire quelques courses, et je le suivis sans rechigner.

Je marchai à une allure tranquille, mon sac bien calé sur mes épaules. J'avais préféré le garder sur moi. Question d'habitude. Sans doute avait-il remarqué mon épée, aussi me demandai-je s'il m'emmenait dans une armurerie pour que je puisse m'y procurer un autre équipement...à moins qu'il ne s'agisse d'autre chose. Je remis ces questions à plus tard, et répondis à son ton jovial par un ton calme et posé :

- Je pense effectivement que nous pourrons discuter, Capitaine. Peut-êtrre voulez-vous vous assurrer que vous avez fait le bon choix, j'ajoutai. Je suppose que vous apprréciez de savoirr qui vous avez sous vos orrdrres.

J'avais dit ça presque à la légère, mais tout en le regardant droit dans les yeux. Peut-être en serait-il déstabilisé. Je l'espérais. Plus il serait perturbé, plus il se poserait des questions à mon sujet, et plus j'aurais de marge de manoeuvre. Pendant un moment, je songeai à lui laisser l'occasion de poser une question, mais je n'avais pas vraiment envie de lui laisser le temps d'orienter la conversation, aussi repris-je presque sans interruption :

- J'espèrre que cela ne vous dérrange pas de savoirr que je suis davantage un homme de lettrres qu'un marrin ou qu'un guerrier.

Sans me départir de mon petit sourire qui en disait long - sans vraiment le dire -, nous continuâmes à marcher dans les ruelles de la cité. Cette journée promettait d'être intéressante, et j'avais hâte de l'entendre commencer son interrogatoire : premier obstacle que j'allais devoir franchir pour mener à bien ma mission.

#Ryad
Sujet: Un diner tout en finesse
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Un diner tout en finesse    Tag ryad sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 8 Juil 2011 - 12:26
Un mois plus tôt

*
**

Ma botte heurta un pavé mal agencé, et dont une bonne moitié dépassait du sol de pierre qui composait la route. Je trébuchai, et manquai m’étaler au milieu des passants. J’étais arrivé à Umbar. Une impression de dégoût et de fascination morbide m’avait prise alors que j’approchais des remparts de la puissante cité portuaire, bientôt remplacée par un sentiment d’agacement et de mal du pays. J’avais fait un long chemin depuis les terres de Khand, où j’étais en mission précédemment. On ne peut pas dire qu’ils étaient civilisés, mais j’avais déjà plus de repères que là...Je m’y trouvais pour du repérage, et de l’évaluation. Il s’agissait de calcul, d’analyse, et de comptabilisation. Rien de bien passionnant. J’avais accompli ma tâche, et avait rendu compte de mon étude à mon contact, qui m’avait alors chargé de filer vers Umbar, afin de m’y tenir au courant de ce qu’il s’y préparait. Il ne m’en avait pas dit beaucoup, mais j’avais eu l’impression que quelque chose d’important se tramait, et que la Couronne avait envie d’être informée de tout ça, afin de pouvoir réagir en conséquence. Toutefois, cela ne m’enchantait guère de me trouver dans une cité de pirates. Non pas que j’en aie eu peur, non. Après tout, j’étais un soldat de l’armée de Rhûn, qu’aucun soudard servant sur un quelconque navire ne pouvait égaler, que ce soit en esprit ou à l’épée. J’éprouvais un mépris profond pour ces êtres dépravés qui se traînaient le long des rues, à la recherche d’une petite pièce pour s’acheter quelque chose à manger, ou plus probablement quelque chose à boire.

J’avais fait le trajet depuis Khand à bord d’une caravane de voyageurs en tout genre. J’avais réussi à me faire accepter d’eux en proposant de chasser pour ne pas tirer sur les réserves bien maigres du groupe, de monter la garde lorsque nécessaire, et de participer à toutes les tâches du quotidien, en échange de la protection relative que leur conférait leur nombre et de la possibilité de voyager dans une charrette. J’avais mis deux fois moins de temps que prévu pour rallier la cité pirate, et je m’en félicitai. En outre, cela m’avait permis de l’observer attentivement, tandis que nous nous en approchions, et de me préparer mentalement au choc qui allait inévitablement survenir. Je ne fus pas déçu. L’ordre était un mot qui, semblait-il, avait été banni de la ville. Ils auraient été bien avisé de l’annoncer aux voyageurs de passage sur un panneau à l’entrée, afin que tout cela soit officiel. Mais je doutai qu’il y ait quoi que ce fut d’officiel dans cette maudite ville. Chacun semblait travailler pour soi, ou plutôt pour son supérieur direct. Tandis que notre petit groupe progressait à travers les rues de la ville, à la recherche d’une auberge où s’arrêter, je pus observer que les hommes marchaient rarement seuls. La plupart des marins - que j’identifiai comme tels à leur carrure, leur “uniforme”, et leurs manières grossières - se promenaient en petit groupes, et ils avaient l’air d’éviter soigneusement ceux qui n’appartenaient pas à leur navire. De loin, on avait l’impression qu’ils étaient décontractés et assurés, mais certains détails ne trompaient pas. Ils riaient fort, mais leurs yeux allaient d’un groupe de pirate à l’autre avec vivacité, comme s’ils s’attendaient en permanence à être agressés. Leurs mains n’étaient jamais loins de leurs armes, et semblaient toujours prêtes à dégainer, pour parer à toute éventualité. L’impression de malaise se renforçait lorsqu’un pirate plus important que les autres circulait dans les rues. Il était facile de repérer un capitaine, car cette sous-classe particulière de marins, bénéficiant a priori d’un cerveau plus développé que les autres et d’une profonde tendance à s’entourer d’une cohorte de colosses pour le moindre petit déplacement, semblait très attachée à son apparence. Ils se vêtaient en général de leurs plus beaux atours, et se promenaient dans les rues en arborant un air royal, voire même impérial pour certains. Les catins entouraient en général ces groupes là, leur lançant des oeillades provocantes, et sifflant sur leur passage, abreuvant le capitaine et ses hommes de compliments tous plus raffinés que les autres. Inutile de préciser que notre groupe sali par la poussière de la route ne bénéficiait pas d’autant d’attentions. Les voyageurs n’étaient pas connus pour transporter beaucoup d’argent sur eux, contrairement aux marins revenant triomphants de leurs expéditions violentes et sanglantes.

Je fis barrage de ma main entre une vieille femme prête à me vendre son corps contre une poignée de pièces et la bourse qui pendait à ma ceinture. Je vis ses yeux se braquer dessus comme ceux d’un vautour qui a localisé sa proie. Avec empressement, je dissimulai mon argent sous la large bande de tissu qui ceignait ma taille, provoquant une profonde déception chez la vieille femme, qui se désintéressa purement et simplement de moi, et qui déporta son attention sur un autre voyageur visiblement aussi désireux de partager sa couche que de brosser les dents d’un orque. Je réprimai un sourire à cette pensée, et m’empressai de remercier chaleureusement mes compagnons de route pour leur hospitalité, leur bienveillance à mon égard, et pour leur bonne humeur. Je n’avais pas envie de m’attarder auprès d’eux, plutôt pressé de commencer ma mission et de quitter cet endroit pour le moins mal famé. Je savais pertinemment que me promener seul dans les rues de cette sinistre cité pouvait se révéler dangereux, mais je n’avais pas plus envie de faire une entrée remarquée. La discrétion étant de mise, je ne pouvais pas me permettre de rester avec des gens qui attireraient immanquablement l’attention. J’attrapai mon sac de voyage, toujours posé sur la charrette, et je le hissai sur mon dos. Son poids familier me rappela les longues heures de marche que j’appréciais tant d’habitude, et qui m’avaient un peu manqué ces derniers temps. Je vérifiai que mon sabre était bien accroché à ma ceinture, puis m’enfonçai dans les ruelles bondées de la cité.

Je marchai pendant une deux bonnes heures, observant tout ce qui constituait le paysage de la cité, notant tout ce qui me paraissait étrange. Mes pas me conduisirent instinctivement vers les quais, endroit où j’étais certain d’en apprendre beaucoup sur les événements récents. Je remarquai quelques navires, essayai de me remémorer leurs noms, qui les commandait, et quelle était leur réputation. Les marins étaient en général assez bavards, et ils ne tarissaient pas d’éloges lorsqu’ils parlaient de leur capitaine et de leur navire. Aucun ne me demanda d’argent en contrepartie. J’en fus assez surpris, m’attendant déjà à devoir payer pour obtenir le moindre petit renseignement. Après avoir interrogé plusieurs personnes, je fis une pause, afin de mettre au point un dessin clair et précis de l’organisation de la cité. Je rassemblai les informations que j’avais recueillies auprès des passants, et celles dont je disposais déjà avant de venir, avant de mieux comprendre ce qui m’entourait. D’après ce que j’avais pu entendre, la cité était gouvernée par un conseil composé de capitaines pirates. Ils représentaient l’autorité suprême, ou ce qui s’en rapprochait le plus dans cet endroit chaotique. Je m’étonnai à peine que la ville fût sous le joug de plusieurs personnes, car il m’apparaissait tellement improbable que les malandrins de tous horizons qui se massaient dans cette fourmilière se réunissent sous une seule et même bannière que je ne pouvais concevoir qu’il en fût autrement. Je supposai également que, pour prendre une décision importante, il fallait que plusieurs seigneurs se rassemblent, voire même tous. C’était souvent ainsi que les choses fonctionnaient dans les états qui n’étaient pas dirigés par une unique personnalité charismatique. Je ne pus m’empêcher de sourire en pensant à quel point il devait être difficile de s’assurer le soutien d’une telle horde incontrôlable, alors qu’un seul mot du trône de Rhûn pouvait suffire à unir tout notre peuple. Revenant à mon souci premier - qui n’était pas d’établir des comparaisons entre ce système politique inefficace et inutile, et la manière dont était gouvernée ma terre natale -, je me permis de croire que tant que les seigneurs ne seraient pas tous rassemblés, il n’y aurait pas grand chose à espérer de cette cité désorganisée. Je me dirigeai donc vers le palais, la seule chose qui présentait un intérêt véritable, en quête de davantage d’informations.

Ainsi, je remontai les rues en marchant d’un pas soigneusement étudié : apparaissant ni trop pressé - pour ne pas alerter la garde, pour ne pas inquiéter les gens, et pour avoir le temps de repérer des détails importants -, ni trop lent - pour ne pas laisser aux gens le temps de me détailler, et remarquer quelque chose qu’ils ne devraient pas voir. Je croisai plusieurs boutiques, vendant des produits en tout genre, comme des esclaves. Ici aussi, visiblement, le commerce de la vie humaine était répandu. J’avais l’habitude de voir des marchés de la sorte, et je ne plaignais pas vraiment les gens qui se retrouvaient enfermés derrière ces barreaux. Ils l’avaient sans aucun doute bien mérité. En Rhûn, c’étaient essentiellement des prises de guerre : des ennemis qui n’avaient pas eu le cran de mourir en défendant leur territoire, et qui termineraient leur misérable existence en tant que serviteurs à temps plein. Les guerres tribales faisaient certes beaucoup de victimes, mais elles enrichissaient aussi et surtout les marchands d’esclaves. C’était un commerce comme un autre, et il me semblait presque logique de retrouver la même chose dans cette cité barbare, où le profit comptait davantage que l’honneur.

J’arrivai bientôt devant le palais, construction ancienne et imposante. Son architecture n’avait absolument rien à voir avec celle des bâtiments plus récents. Ce bâtiment avait été construit dans le style de ceux qu’on retrouvait en Gondor, ce qui témoignait d’un passé commun, même si des constructions dans ce style se faisaient rares, au pays de l’Arbre Blanc. D’ordinaire, j’aimais bien compter les fenêtres et les issues, essayer de noter combien de gardes on pouvait trouver aux entrées, et noter s’il y avait ou non des allées et venues de serviteurs. Mais cette fois, je choisis de faire une exception. Le palais était si majestueux qu’il aurait été aussi fastidieux de compter combien de passages il y avait que de compter combien de couloirs recelait le palais royal de Blankânimad. Quant aux gardes, on aurait dit qu’une compagnie entière s’était rassemblée là. Il y avait des hommes en armes à toutes les entrées, sur les balcons, derrière les fenêtres, patrouillant dans les couloirs. J’avais quelques fois été contraint de m’infiltrer dans un château, dans un manoir, ou bien dans une résidence. D’ordinaire, on y trouvait une poignée de gardes, qu’il était facile de détourner de soi. Déclencher un petit incendie à une entrée pour s’infiltrer par l’autre, ou demander à un gamin des rues de jeter des pierres sur la façade de l’édifice pour créer une diversion. Rien de bien difficile. Cela m’avait permis d’éliminer des gens opposés au trône de Rhûn dans la plus grande discrétion. Mais cette fois, même si je ne venais pas avec des intentions clairement hostiles, j’aurais eu bien du mal à trouver de quoi détourner l’attention d’autant d’hommes. A en juger par le nombre de gardes, il y soit une véritable menace qui planait sur les seigneurs de la ville, soit un véritable besoin de garder la population sous contrôle, en lui faisant une démonstration de force permanente, pour mieux la soumettre. Incapable de deviner quelle réponse était la bonne, je choisis de me focaliser sur ma mission.

Je notai que quelques serviteurs faisaient des allées et venues, et qu’ils semblaient plutôt bien portants. N’ayant pas véritablement envie de payer une chambre à l’auberge pendant une période indéterminée, au risque d’épuiser mes maigres ressources et de paraître suspect, je me dirigeai vers le palais. On trouvait toujours du travail dans ces endroits, à condition de savoir y faire. Je m’arrangeai pour rencontrer un cuisiner, qui s’occupait de nourrir le bataillon de soldat qui campait là en permanence, ainsi que les nobles qui logeaient dans les lieux, sans compter leur suite, leurs gardes personnels, les valets, les marmitons eux-mêmes, et tous ceux qui étaient chargés de maintenir le palais en état de marche. Il y avait effectivement du travail à prendre, mais ce n’était pas le plus simple. Je n’étais pas très doué pour la lessive, ou pour la cuisine, ni même pour le service, mais j’aurais cent fois préféré travailler là dedans plutôt que de passer deux semaines entières à nettoyer les commodités. J’avais la délicate mission de débarrasser le fruit de la digestion de plusieurs centaines de personnes, ce qui me laissa souillé et honteux. J’aurais continué encore, si l’impatience ne m’avait pas gagnée. Usant d’un poison que j’avais sous la main, j’empoisonnai un repas préparé par le chef. La marmite était si grande que diluée, la toxine ne se révélerait pas mortelle. Toutefois, elle rendrait malade une bonne partie des servants, sous couvert d’une intoxication alimentaire. Le lendemain matin, plusieurs dizaines de personnes se plaignaient de douleurs au ventre, le chef cuisinier avait été sévèrement réprimé, et j’avais changé de travail. Tout le monde s’en tirait plutôt bien. On me nomma serviteur. Bien que je n’appréciât guère le titre, je savais que c’était là un excellent moyen de me tenir au courant de tout ce qui se tramait dans le palais. Deux semaines et demi plus tard, j’eus enfin le bonheur de voir que je n’avais pas fait tout cela pour rien.

En effet, on avait annoncé le retour d’un des seigneurs pirates, qui avait invité - ou convoqué, question de point de vue - tous les autres seigneurs à un repas qu’il organisait le jour même de son arrivée. Il semblait porteur d’une grande nouvelle, qu’il ne pouvait pas attendre avant de partager. J’en fus ravi. Cela m’éviterait d’avoir à trouver une raison pour faire le service ce soir là. En effet, un dîner à l’improviste, cela signifiait davantage de travail pour les cuisines, et tous ceux qui y étaient liés. Ainsi, je devançai mes compagnons fatigués par une dure journée de travail en me proposant pour mettre en place la table, et pour assurer le service au cours de la soirée. Le patron me jeta un coup d’oeil entendu, comprenant bien que cela me permettrait de gagner davantage d’argent. Je m’étais fait passer pour un travailler prêt à tout pour obtenir quelques pièces, et je jouai parfaitement mon rôle. C’est ainsi que je me retrouvai là, ce soir là, à observer les seigneurs pirates d’Umbar.

*
**

Discrètement installé dans un coin de la pièce, je me trouvai là où mon poste me commandait d’être. A un endroit d’où je pouvais répondre aux besoins des seigneurs, tout en étant assez loin pour ne pas les gêner. Je me permis de les observer attentivement, profitant des présentations que fit une jeune femme en entrant dans la pièce. Au vu de la déférence avec laquelle elle parlait, elle n’appartenait sans doute pas au clan très fermé des seigneurs pirates, même si elle ne semblait pas les déranger. J’appris par la suite qu’elle avait un rôle correspondant à celui de conseillère, ce qui expliquait sa présence parmi les puissants. Sur le commandement d’un des seigneurs, je m’empressai de rajouter un couvert à la table, afin qu’elle puisse prendre part au repas. Ce faisant, je restai attentif à ses paroles. Elle salua tous ceux qui se trouvaient là à son arrivée, ce qui me permit de les reconnaître : Taorin, dont j’avais entendu parler, et qui était à l’origine de ce repas. Il affichait un air parfaitement décontracté, saluant tour à tour tous les membres présents, en dardant sur eux son oeil unique, l’autre ayant probablement été emporté à la guerre. Il y avait aussi Yse - une femme, ce qui était assez surprenant pour être souligné - et Reznor, deux personnages qui semblaient bien plus proches l’un de l’autre que les autres. Ils étaient arrivés en avance, parlant entre eux comme des conspirateurs, sans même me remarquer, moi qui me tenait à l’autre bout de la pièce. Et pourtant, j’étais venu leur servir à boire. Un autre homme se tenait là : le capitaine Vadrin qui, d’après ses dires, était un allié du seigneur Taorin. Ils conversèrent tranquillement, en rivalisant de courtoisie, tandis qu’ils s’analysaient avec curiosité. Mais à l’évidence, le centre de leurs pensées était ce Taorin, qui n’était alors pas arrivé. Son apparition avait suscité un changement d’atmosphère soudain, et tout le monde s’était tombé dans les bras, heureux de se retrouver après tant d’années de séparation. Ils prirent des nouvelles les uns des autres, échangeant des banalités comme s’ils étaient autre chose que des pirates motivés par l’appât du gain et la perspective d’accroître leur pouvoir. Parmi eux, un nouveau seigneur avait fait son apparition. Riordan - comme il s’appelait - avait fait son entrée aux côtés de l’auteur de l’invitation, ce qui montrait qu’ils avaient eu une conversation avant. Visiblement, ces deux là avaient des choses à traiter en privé, qui ne concernaient pas les autres seigneurs.

Enfin, trois autres membres de la caste dirigeante firent leur apparition : un certain Sardanapale, un homme étrange en apparence, habillé avec sobriété, par contraste avec ses camarades, ce qui n’enlevait rien à sa prestance. Il salua les autres membres présents, et s’effaça pour laisser passer le seigneur Rice, un jeune pâlot que beaucoup - dont moi - auraient eu du mal à imaginer à la tête d’un navire pirate, et un certain Kabuchek, qui se présentait comme un prétendant au titre de seigneur pirate, au motif qu’il était le cousin du seigneur Lâhan, qui venait apparemment de mourir. J’appris par la suite que les autres seigneurs étaient malades et absents, et que le dîner allait commencer sans eux. Mais, n’étant pas venu là pour avoir l’immense honneur de rencontrer des personnalités, je ne m’en formalisai guère, et restai attentif à la moindre information. Je m’occupai de la coordination du service, aussi fis-je entrer d’un signe de la main les serviteurs qui apportaient les plats. En les voyant arriver, le seigneur Taorin invita ses compagnons à prendre place à table, avant d’ordonner aux domestiques de commencer leur chorégraphie complexe par laquelle ils offraient le meilleur repas de la cité aux personnages les plus prestigieux. Je restai en retrait, parfaitement dans mon rôle, tout en regardant la porte se refermer derrière le dernier serviteur. Ma présence ne dérangeait nullement. J’étais aussi remarquable qu’un candélabre ou que la sculpture d’un des pieds de la longue table, si bien que Taorin prit la parole sans vraiment se soucier de ce qu’il allait dire...pour mon plus grand plaisir.

Le charisme de cet homme était fantastique, et je ne doutai pas un seul instant qu’il était capable de mener ses hommes dans la tourmente de la bataille en les convainquant qu’ils allaient remporter la victoire. Toutefois, j’ignorais si son discours enflammé et si ton persuasif allaient suffire à rallier à lui les seigneurs pirates, qui écoutaient attentivement ses dires. A dire vrai, ses arguments étaient logiques, en plus d’être séduisants. Il parlaient de richesse, et de puissance - ce qui ne manquerait sans doute pas d’attiser l’intérêt de ces pirates avides et violents -, ainsi que de la perspective de gêner le Gondor et ses sbires - ce qui me tira un sourire discret. Lorsque Taorin eut fini de parler, je dardai sur lui mon regard. Je ne savais pas quelle allait être la décision des pirates, mais je savais que cet homme pouvait atteindre le Gondor, et le blesser. Si par mon aide, il pouvait y arriver, tant qu’il aurait comme objectif de tuer ces hommes de l’Ouest, il pourrait bénéficier de mon soutien.

#Ryad
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