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 Tombent les murs, demeurent les fondations

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Hadhod Croix-de-Fer
Seigneur de la Moria
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Hadhod Croix-de-Fer

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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyLun 8 Aoû 2016 - 19:20
Suite de : https://jeuderoles.forumactif.com/t6387-l-intrigue-du-sage-de-la-dame-et-des-aigles#81619



En premier, il y eut Isilo, l'initiateur, celui qui décida de quitter le confort rassurant de son domaine pour sortir au-dehors, pour regarder le monde bien en face et être réceptif à ce que ce dernier lui renverrait, le bon comme le mauvais. De lui découlait la réaction en chaîne des événements qui les avaient menés jusqu'ici, jusqu'à ces terres grises, austères et inhospitalières, bien loin des couleurs chatoyantes et des chants des oiseaux de la Combe Fendue. Percevait-il tout de même de la beauté en ces régions, tout comme il percevait la beauté de chaque être vivant qu'il rencontrait ? Si on lui posait la question, il dirait sans doute que même les endroits les plus sinistres ont leur raison d'être. D'ailleurs, un endroit n'est jamais beau, lugubre, vilain, féérique par nature : ce sont les histoires qui s'y sont déroulées qui lui donnent telle ou telle atmosphère. Le pays où ils allaient avait pu être beau par le passé, avant de connaître des choses malheureuses.

Le deuxième membre de cette aventure avait été Tatië, la dame qui avait suivi jadis la seconde vague de migration des Elfes d'Aman vers les Terres du Milieu. Elle, qui avait acquis sa sagesse auprès des êtres non-corrompus par le déclin d'Arda, avait derrière elle une lente et longue réflexion sur bien des domaines d'étude, et pourtant elle n'en restait pas moins une enfant d'à peine deux cents printemps en ces Terres Mortelles. Elle abordait avec calme bien des questions qui pouvaient déstabiliser ou briser un homme ordinaire, et malgré cela elle arrivait à avoir peur de choses tout à fait banales. La sécurité qu'elle avait longtemps connu dans sa jeunesse lui avait permis de libérer son esprit, tel les rayons d'un soleil à son zénith, mais paradoxalement l'avaient privée d'une certaine forme de sagesse, d'une sagesse qui ne peut se développer qu'en présence d'un certain danger et des remises en question inhérentes à ce dernier. Qui n'a jamais connu la nuit ne peut apprécier pleinement le jour. Qui n'a jamais pensé à la mort ne peut vraiment connaître la valeur de la vie. Tatië était en train d'apprendre ces choses-là, et l'aventure même dans laquelle ils se trouvaient, elle la voyait comme une étape de son initiation.

Enfin, la dernière personne destinée à prendre part à cette quête était une certaine Luin, dont le ciel bleu semblait être obscurci par d'épais nuages. Elle était peut-être la plus atypique du trio, celle qui contrastait le plus avec ses deux autres compagnons. En fait, elle les complétait bien, elle qui était si compétente dans un domaine que les deux autres n'avaient pas daigné approfondir, parce que trop dérangeant, trop paradoxal, trop salissant pour l'âme. Elle était la troisième arrivée, mais bien souvent la première quand ils marchaient en fil indienne sur les étroits sentiers des collines.

Moins de six jours de marche séparaient Imladris de l'ancienne forteresse des Gwaith-i-Mírdain. Jadis, le seigneur Elrond avait fait le voyage en sens inverse, emmenant les restes du peuple Noldo trouver refuge dans les reliefs septentrionaux quand Eregion fut dévastée. Aujourd’hui, les trois elfes effectuaient une sorte de retour aux sources, un pèlerinage vers le pays qui fut témoin de l'âge d'or de l'artisanat et de l'habileté de leur peuple, mais également vers ce qui fut le théâtre de leurs heures les plus noires. Pendant les premiers jours de marches, ils avaient traversé le piémont désertique qui s'étendait sur la rive orientale de la Bruinen. Tatië était assez silencieuse. Bien que leur allure ne fut pas des plus soutenues, elle sentait jour après jour le poids de la fatigue s'accumuler dans ses jambes endolories, qui n'étaient guère habituées à pareil périple et à des efforts renouvelés jour après jour. Qui plus est, elle ressentait un certain inconfort à dormir ainsi à la belle étoile, et son sommeil troublé ne fut guère réparateur les premiers jours. La dame en ressentit presque de la honte, à préférer ainsi le mobilier confortable d'une chambre créée de toute pièce par la main elfique à l'écrin naturel et sans artifice façonné par les Valar. Fort heureusement, les nuits suivantes furent bien meilleures. Elle n'alla pas jusqu'à dire qu'elle dormait aussi bien qu'à Imladris, mais commença à apprécier le fait de sentir le vent caresser son visage et les bruits nocturnes témoigner de la vie animale qui animait les étendues sauvages. Ce pays n'était pas si désertique que cela, après tout.

- C'est comme si je me sentais plus vivante, leur dit-elle un matin, alors que le soleil se levait sur les crêtes déchiquetés des Monts Brumeux tandis qu'une pluie fine venait rafraîchir leur visage, tombée d'un gros nuage juste au-dessus d'eux. Le scintillement des gouttes cristallines à la lueur rosée du soleil levant était comme un baume pour les yeux et le cœur. L'espace d'un instant,Tatië oublia les joyaux et les voleurs, les quêtes et les trésors, les missives et les dangers. Les gouttes de pluie d'Ulmo, la lumière d'Arien, l'air frais de Manwë, tout cela se mélangeait pour son plus grand bonheur.

- La magie n'opère pas qu'au Valinor, murmura-t-elle. Ici, elle y est plus ténue, plus sporadique, mais c'est cela même qui la rend encore plus belle. Rien que pour cela, ne ne regrette pas d'être venue.

Soudain, le ciel fut traversé par une multitude de couleurs. Un fugace arc-en-ciel venait de se former à l'horizon.

- Olórë Mallë...

Les deux autres se tournèrent vers elle, visiblement dubitatifs.

- C'est ainsi que nous nommions les arcs-en-ciel quand je demeurais à Tirion. Ceux qui n'avaient jamais fait la grande traversée disaient que les arcs-en-ciel matérialisaient le chemin entre ce monde et l'autre, entre les Terres Immortelles et les Terres Mortelles, maintenant qu'elle ne sont plus séparées seulement par la Mer. Olórë Mallë... Le Chemin des Rêves... Mais c'est là une légende poétique, hélas. Olórë Mallë existe bel et bien, mais il n'est pas aussi visible. Sans quoi il serait bien trop facile pour les hommes de le trouver : vous vous rendez compte, ils n'auraient qu'à se rendre au pied du premier arc-en-ciel venu et à le suivre !

Un sourire malicieux illumina ses traits. Son discours devait paraître bien étrange pour eux qui avaient toujours vécu dans cette partie du monde...

L'arche colorée s'évanouit aussi rapidement qu'elle était apparue. Des nuages noirs s’amoncelèrent dans le ciel et la pluie redoubla d'intensité. Le moment de paix et de béatitude qu'ils venaient de connaître venait de prendre fin, et la dure réalité de ces terres les rappelaient à l'ordre. Ils levèrent le camp et se tournèrent vers le sud. Là, à une lieue tout au plus, une chaîne de collines se détachait des Monts Brumeux et leur barrait la route. Ils n'avaient pas trente-six solutions, il fallait soit la contourner par l'ouest et accepter de faire un bon crochet, soit arpenter les reliefs et arriver directement en surplomb du pays d'Eregion, où se dressait naguère la Forteresse des Elfes, la fameuse Ost-in-Edhil qui occupaient toutes leurs pensées depuis que l'Aigle les avait envoyé en sa direction. L'altitude des collines était toutefois sans commune mesure avec celle du reste des Hithaeglir : ce ne serait pas le chemin périlleux que Tatië et Isilo avaient affronté quelques semaines plus tôt. Ils choisirent donc la seconde option, et montèrent doucement en direction d'un petit col relativement accessible, où ils firent halte.

- J'ai longuement consulté les cartes dans la grande bibliothèque d'Imladris. Si j'en crois ce qu'elles indiquent, nous nous trouvons à la frontière même du pays d'Eregion. Regardez la déclivité qu'on voit là-bas au loin... ce doit être le lit du ruisseau Sirannon. Si nous le suivons en direction du sud-ouest, nous devrions tomber sur le lieu où s'élevait la Cité des Mírdain il y a plus de quarante siècles. J'ignore ce qu'il en reste...

Même en scrutant attentivement la courbe du Sirannon, elle ne parvenait pas à discerner une quelconque ruine au milieu de ce paysage minéral. Elle jeta un œil à ses deux compagnons, respira profondément, rajusta sa besace sur son dos et fit le premier pas dans l'ancien territoire des Noldor.

- Écoutez. Il me semble déjà entendre murmurer les pierres.


The Half Cop
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Isilo
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyLun 8 Aoû 2016 - 22:59
Toujours, la profondeur de la méditation marchée qu’Isilo appréciait lors d’un voyage dépendait du caractère véritable de la synchronie que ce dernier et ses compagnons, ensemble, mettaient en place. Synchronie qui se définissait par la réceptivité que l’un et l’autre avait envers ses partenaires de route, la faune qui était témoin de leurs pas, la flore qui vibrait autour d’eux et envers les éléments plus subtils du grand arrière-plan du voyage. Quand cette réceptivité, cette ouverture était tel le gosier d’une tourterelle qui s’ouvre pour s’inonder de l’air humide du matin, la magie pouvait opérer et, ainsi, la synchronie apparaissait au fur et à mesure que le voile des préoccupations perdait de son opacité. De cette manière, Isilo se surprenait à esquisser un sourire timide et naïf, alors que la nature véritable du monde acceptait une fois de plus de lui transmettre son enseignement : cette synchronie était constante et omniprésente, elle était comme une pépite d’or couverte de suie que l’on devait nettoyer afin de jouir de sa brillance.

Ce jour-là, les différents paramètres qui constituaient la qualité de son repos formaient un amalgame particulier au sein duquel des énergies distinctes de par leur nature ne se mélangeaient pas toutes parfaitement. Évidemment, le but du voyage y était pour quelque chose, vu son dénouement incertain et mystérieux, mais l’ajout de Luin à la compagnie avait été comme transformé un accord parfait en lui imposant une note atonale. Cela n’avait rien de mal en soi, mais l’oreille d’Isilo avait dû s’habituer aux pas militaires de la jeune dame, à son silence comparables aux heures les plus glaciales du matin et, surtout, à l’incessante cascade de murmures qui se fracassaient dans l’esprit de Luin. Certes, le seigneur de Limeclaire ne pouvait la blâmer et le faire n’aurait pas été dans sa nature, mais la manière que leur protectrice avait de fermer les yeux sur la rosée du matin était quelque chose de particulièrement troublant. Visiblement, elle n’en voyait tristement plus la pureté, la légèreté et encore moins les torrents qui s’y cachaient. Mais, Isilo, chaque jour, trouvait le moyen de se réjouir de sa présence quand la soldate se livrait au sommeil qui la prenait dans son étreinte en lui soutirant une profonde respiration. Chaque fois, elle laissait une partie de son malheur dans l’immensité de l’Eregion qui la dissiperait et l’utiliserait pour faire germer une petite athelas. Alors, Isilo souriait et essayait de le faire de telle sorte que cette dernière puisse le sentir dans ses rêves.

Quand la journée le bénissait de la parole de Dame Tatië, il dégustait chacun des contes de cette dernière et s’amusait à en déchiffrer des messages subliminaux qu’elle y cachait, peut-être involontairement, et qui portaient des secrets des Terres de l’Ouest. Visiblement, il ne pouvait qu’espérer pouvoir jouir de sa présence encore longtemps tellement plus elle en racontait, plus tout semblait inconnu à l’esprit du jeune Noldo. Décidément, le caractère bavard de la bienveillante dame pouvait révéler dans une seule aventure le savoir de plusieurs vies ! Ainsi, telle une encyclopédie dont les pages vieillies empêchent que l’on y abatte sa couverture, Tatië réussit à guider le discret trio de premiers nés vers leur destination en maintenant une ambiance légère et conviviale. Voguant dans les terres sauvages de l’Eregion sans qu’aucun obstacle ne les arrête, tels trois doigts que l’on glisse sur une carte poussiéreuse, Luin, Tatië et le maître de Limeclaire s’étaient approché si prêt de la destination que les marques du passé étaient désormais visible sur le sol et même dans l’air.

Bien qu’Isilo eut été en train de découvrir une région restée invisible à ses yeux jusqu’à ce jour, il percevait au loin des formes familières et des chemins dans la nature sauvage, comme le ferait un daim qui parcourait ces terres en voyant à travers les yeux de ses ancêtres. Ainsi, le silence qu’il créait dans son esprit devait attirer les voix des arbres dont les esprits bavards lui parlaient sans trop de clarté de l’immobilisme des roches. Leurs paroles, décousues et éphémères, qu’il confondait parfois avec les complaintes du vent, auraient été, comme il pouvait se l’imaginer, probablement plus claires s’il avait pu entendre le dialogue logique et organisé du rhizome qui connectaient des forêts entières, sous ses pieds. Or, ces longs réseaux de racines n’arrivaient pas à faire parvenir leur chant aux oreilles de l’amoureux de la nature, comme ils étaient enfouis sous un sol d’une isolante argile. Cependant, dans un soupire floral non loin de la compagnie elfique Isilo arriva à percevoir une bribe d’information, qui lui confirma qu’ils étaient sur le bon chemin.

- Nous ne sommes plus très loin, mes amis. La forêt ici est toujours animée d’une musique fougueuse, ce qui peut signifier deux choses. Soit ce que nous sommes partis chercher dans ces ruines est de moindre puissance, soit cette personne ou cette chose n’émet volontairement que très peu d’énergie afin de se dissimuler.

Isilo n’avait peut-être pas la connaissance de Tatië et ses oreilles n’avaient peut-être jamais été bercées par la musique des Valars, mais l’Elfe qui avait passé la plus claire partie de sa vie à contempler les humeurs d’Ennor pouvait différencier le silence véritable, qui émanait du vide, d’un autre, plus fourbe, que l’on étend sur quelque chose que l’on cache avidement pour le voiler. En effet, lui-même avait usé de ce stratagème maintes fois pour dissimuler dans des racoins de son esprit des émotions indésirables ou des vérités trop difficiles à accepter. Un homme ou une femme de pouvoir qui possédait la connaissance des grandes Lois du monde aurait certainement pu arriver à faire disparaître des corps physiques. Logiquement, ceci était très probable si Ilmendil et les siens n’avaient pas été encore en mesure de récupérer ce qui leur appartenait. Peu à peu, les pièces du casse-tête s’assemblaient et révélaient l’obscure nature de cette épopée.

Quand leur progression se faisait de plus en plus aisée et que la forêt laissait place à un boisé formé de populations végétales moins denses, Isilo surprit ses accompagnatrices à laisser paraître des signes non-verbaux plus inquiétants. Une main sur la garde, quelques regards en arrière et un pas plus incertain transmettaient définitivement un changement dans l’atmosphère. À en croire cette légère anxiété, un indice important menant à des réponses était sur le point de se révéler. Quand le sage de Fondcombe voulut demander à Luin et à sa Dame si ces dernières avaient besoin de repos, l’ombre de la nuit ne sut accomplir son dessein, car elle ne put cacher de leur vision elfique les ruines de l'ancienne cité juchée sur la colline. Comme un enfant qui ne devrait pas être en deuil, mais dont la tristesse de l’histoire venait courroucée son innocence, Isilo, observant le marbre paya le premier hommage.

- Mae govannen, Ost-in-edhil. J’espère que tu as pu trouver la paix, durant tout ce temps.
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Ryad Assad
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMar 9 Aoû 2016 - 16:37
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Sa taille ne faisait aucun doute sur sa nature. Elle n'était qu'une enfant, une jeune fille aux pieds nus et aux longs cheveux bruns qui volaient derrière elle. Elle courait à en perdre haleine, jetant des regards fréquents derrière elle. Son visage n'était pas celui, rieur, qu'aurait dû arborer une personne de son jeune âge. Elle avait, figée sur ses traits, une expression de terreur qui agrandissait ses yeux où on lisait à la fois la crainte et l'incompréhension. Ses pas rapides mais maladroits claquaient sur le sol de pierre, suivis par ceux de bottes ferrées qui la talonnaient de près. Elle bifurqua brutalement, et n'écouta pas ses poumons enflammés qui lui réclamaient un sursis. Les harangues criées derrière elle ne lui donnaient pas la possibilité de s'arrêter, car la mort la filait au train, accompagnée par ses chiens qu'étaient la douleur et la tristesse. Ils couraient, puissants molosses, pour lui mordre les talons et le cœur. Ils couraient pour la faire vaciller, la faire choir dans le ravin près duquel elle filait en prenant soin de ne pas basculer. Ils couraient à ses côtés, et lorsqu'elle tournait la tête elle voyait leurs corps noirs et massifs, musculeux, qui ajustaient leur rythme au sien. Elle pouvait voir leurs yeux jaunes et vicieux braqués sur elle, brillant d'une lueur malveillante qui auraient pu la voir, se fût-elle dissimulée dans les ombres. Ils encadraient sa course, la rabattant vers les chasseurs qui ne manqueraient pas de l'étriller lorsqu'ils la verraient surgir à leur rencontre.

Luin observait toute la scène, debout. Elle ne pouvait rien faire de là où elle se trouvait, mais son cœur ne pouvait pas rester inactif dans cette situation. Abandonnant tout, sa mission et le confort relatif dans lequel elle se trouvait, elle dévala la colline qui surplombait les environs, et laissa ses jambes fuselées avaler la distance qui la séparait de la jeune fille. Elle avait désespérément besoin de son aide ! Son épée quitta son fourreau, et elle accéléra encore, bondissant avec la souplesse d'un cerf par-dessus les obstacles. Le monde autour d'elle n'était plus qu'un ensemble d'obstacles de supports, qu'elle évitait ou utilisait pour se rapprocher de sa cible. Les chasseurs, dont les torches blanches brûlaient comme des feux sans flammes, se refermaient déjà autour de la fuyarde qui était piégée. Luin vit trop tard le premier coup partir.

Il y eut un bruit sourd.

La jeune fille se retrouva étendue par terre, un filet de sang gris coulant de sa tempe ouverte. Le cercle se referma encore autour d'elle, et la masse ténébreuse de ses poursuivants forma une muraille qui l'arracha à la vue de Luin. Mais elle entendit les hurlements déchirants, les appels étouffés, les supplications qui resteraient sans réponse. La guerrière sentit une rage sans commune mesure gorger ses veines, et son visage hanté par le désir de vengeance ne fut que le reflet de la violence qu'elle était prête à déchaîner sur ses adversaires. Elle surgit de nulle part, pareille à une panthère bondissant au milieu de ses proies. Griffes et crocs d'acier tranchèrent la chair sans réfléchir. Un sang noir et gluant emplit l'air, tachant le ciel de marques indélébiles capables de faire disparaître les étoiles elles-mêmes. Tant pis ! Luin tranchait chaque silhouette qui se présentait devant elle, et les coups de ses ennemis semblaient trop lents et trop imprécis pour la toucher. Elle se fraya un chemin dans le carnage et la mort, arrivant bientôt auprès de la jeune fille qui gisait, étendue par terre.

Une silhouette agenouillée auprès d'elle, paraissait vérifier si elle vivait encore.

- Lâchez-la ! Cria Luin de toutes ses forces.

La forme sombre ne parut pas remarquer cette interruption. Ses mains dégantées vinrent presser le visage pâle de l'innocente petite fille. Les pouces, comme s'ils étaient pourvus de lames, se glissèrent un chemin dans sa peau, et l'écartèrent comme on ouvrirait une pêche en deux.

- Arrêtez ! Arrêtez !

La guerrière n'en pouvait plus de hurler, mais elle était paralysée, incapable de faire le moindre pas en avant pour porter secours à la malheureuse victime. Sa joue gauche, ouverte, vomissait une lumière pure et claire qui s'échappait de manière incontrôlable. On aurait dit que son sang éclatant n'était que poussière d'étoiles, et que sa force vitale était impitoyablement propulsée hors de son corps fragile. Les coups assénés par des bottes impitoyables, ses côtes cassées et ses os fêlés se répareraient avec le temps, mais cette blessure… Cette blessure lui laisserait une immense cicatrice qu'elle garderait pour l'éternité. Elle ne mourrait pas, mais elle vivrait à jamais diminuée, ce qui n'était pas un sort plus enviable.

Les larmes coulaient désormais à flots sur les joues de la guerrière impuissante, dont l'épée basse marquait la fin de son combat. Elle avait perdu toute volonté de se battre. Elle était arrivée trop tard. Elle ne pouvait pas détourner les yeux du spectacle de cette jeune fille promise à un avenir doré et radieux, gisant sur le sol comme un animal blessé, détruit, pris dans les rets de chasseurs sans cœur. La silhouette se redressa, et s'approcha de la guerrière, qui tremblait. L'Elfe la dominait de la tête et des épaules, et quoi qu'elle ne vît pas son visage, elle sentit sa présence l'entourer. Son aura menaçante l'enveloppait et menaçait de la conduire à la folie. Il s'arrêta à ses côtés, et lui murmura :

- Réveille-toi, Imladris…

Luin ouvrit les yeux subitement.

Ce n'était qu'un rêve.

Un mauvais rêve…


~ ~ ~ ~


Luin s'éveilla au petit matin, comme souvent, émergeant de songes d'une rare violence qui ne l'atteignaient plus désormais. Peu importait le tour de garde qui lui était assigné, elle trouvait l'énergie de quitter la tiédeur de son couchage avant que le troisième membre de la compagnie fût lui-même réveillé. Son éducation militaire lui avait appris à survivre avec peu, et elle avait deux raisons de ne pas s'accorder de répit superflu. Deux raisons qu'elle avait la charge de protéger, et dont elle s'occupait comme une servante préparerait la journée de ses maîtres. Aucun des deux n'était foncièrement incapable, et leur expérience considérable leur permettait de se débrouiller parfaitement par eux-mêmes. Cependant, ils avaient passé davantage de temps à penser le monde qu'à agir auprès de lui, et l'organisation d'un campement était quelque chose qu'ils ne connaissaient que de manière théorique. Savoir quoi faire et le faire étaient deux choses très différentes. Chaque soir, alors que Isilo et Tatië reposaient leurs muscles endoloris par la marche, Luin récupérait le bois dont ils auraient besoin pour entretenir le feu jusqu'au lendemain matin, cueillait quelques baies et quelques fruits au passage pour agrémenter leur soirée, avant de s'occuper de la cuisine. Leurs vivres leur permettaient de voir venir, mais elle avait immédiatement commencé un rationnement systématique de tout ce qu'ils consommaient, par prudence. Du pain pour accompagner la viande fraîche et le fromage étaient au menu depuis leur départ, pour ne pas laisser le temps les gâter. A leur retour, ils entameraient les provisions séchées et les biscuits de voyage qu'ils avaient soigneusement empaquetés. Le lembas n'était pas un aliment du commun, et leur voyage ne durait pas assez longtemps pour qu'ils en prissent pour la route. Après tout, leur expédition ne les conduisait pas aux confins du monde connu, même s'ils devaient traverser des terres sauvages pour rejoindre la cité perdue d'Ost-in-Edhil. Ils ne s'autoriseraient aucun repas conséquent sur ces terres où les prédateurs étaient attirés par la perspective d'un festin facile. Un festin de bœuf séché, de fruits frais, ou d'Elfes sages ne représentait pas une différence fondamentale pour eux. Chaque soir, quand son tour de garde s'achevait, elle s'endormait en serrant contre elle son arme, bercée par les bruits de la nuit.

De même, chaque matin elle s'occupait de nettoyer le camp, de préparer un petit-déjeuner suffisant pour permettre à ses compagnons de route de reprendre une journée de marche pénible et répétitive, avant de s'affairer à emballer son propre paquetage. Elle faisait tout cela en silence, avec une efficacité et une précision militaires qui avaient quelque chose de rassurant et de dérangeant à la fois. Ce que ses yeux voyaient, les autres ne le repéraient pas, et vice-versa. Tatië s'émerveillait en permanence de la magnificence du monde qui l'entourait, manquant de s'arrêter devant les fleurs qui avaient éclos au bord d'un sentier, ou de s'absorber dans la contemplation des montagnes immenses qui les flanquaient à l'Est, et dont les sommets disparaissaient dans les nuages. Paradoxalement, sa candeur vis-à-vis des beautés du monde se paraît d'une connaissance profonde de chaque chose et de chaque être qu'ils croisaient. Elle les abreuvait gratuitement de sa sagesse, de sa culture, leur expliquant l'histoire, les mythes et les légendes des merveilles qu'ils rencontraient sur leur route. Même la pluie et le vent qui tourbillonnait autour d'eux ne parvenaient pas à entamer sa bonne humeur constante. Les longues heures de marche, le couchage à la belle étoile, rien ne paraissait pouvoir la distraire des splendeurs d'Arda qu'elle embrassait de son regard à la fois ancien et juvénile.

Isilo partageait son enthousiasme, l'exprimant seulement différemment. Il souriait tranquillement, écoutait beaucoup, et portait son regard sur le monde pour en désigner les mystères à Tatië, qui s'empressait de les commenter. Leur complémentarité était à la fois amusante et touchante : ils étaient comme un frère et une sœur se promenant au milieu d'un pays étranger, main dans la main, prêts à découvrir tout ce que le monde recelait. Luin se sentait étrangement de trop dans cette compagnie, et elle se cantonnait au rôle qui était le sien, bien qu'elle ne manquât pas de voir que les deux autres faisaient des efforts pour essayer de l'intégrer. Les remarques de Tatië n'étaient jamais exclusivement adressées à Isilo, mais il était rare que la guerrière s'attardât plus de quelques secondes sur un nuage qui avait la forme d'un navire numénoréen des temps anciens, ou sur un arc-en-ciel qui avait sa propre histoire chez les Valar. Force de l'habitude, elle jetait un regard à ce que la vénérable leur montrait, avant de balayer l'horizon de ses yeux perçants pour essayer d'y détecter les signes avant-coureurs d'une menace en approche. En dépit de tous les malheurs qui s'étaient abattus sur elle, depuis ses premiers jours, la Terre du Milieu conservait un aspect paisible trompeur qui endormait la vigilance du naïf et qui l'entraînait invariablement dans les griffes d'une quelconque malfaisante créature. Luin, qui avait passé plus de temps à arpenter ces plaines, ces vallées et ces montagnes que ses deux compagnons de route réunis, ne s'émerveillait plus des beautés du quotidien. Ses yeux ne voyaient que le danger à venir, la menace latente, l'ennemi tapi dans les ombres qui attendait de pouvoir leur sauter à la gorge. Elle n'avait pas craint particulièrement pour eux lorsqu'ils étaient encore dans la sphère d'influence de Fondcombe, mais à mesure qu'ils s'en étaient éloignés, son inquiétude avait cru exponentiellement. A chaque fois qu'ils abordaient une petite colline, elle forçait l'allure pour leur servir d'éclaireur, et vérifier qu'aucun traquenard ne les attendait. Les arbres majestueux qu'on lui montrait n'étaient que des caches potentielles où des archers isolés pouvaient les attendre ; les pierres qui avaient chuté au bord de leur chemin, des postes rêvés pour une embuscade. Elle ouvrait la voie comme s'ils avançaient en plein terrain ennemi, et son bouclier ne quittait jamais sa main. Pure précaution.

Cependant, rien ne vint troubler la quiétude de leur voyage. Nulle créature ne descendit des montagnes en hululant de sauvages cris de guerre. Nul animal malveillant n'était venu les surprendre à la faveur de la nuit. Ils n'avaient croisé personne et leur route avait été une véritable promenade de santé. Luin attribuait cette réussite à sa vigilance de tous les instants, à leur célérité et à leur prudence. D'autres auraient pu simplement avancer qu'avec ou sans sa paranoïa, le groupe n'aurait pas rencontré la moindre menace. La vérité reposait probablement à mi-chemin entre les deux.

Ils arrivèrent donc bientôt en Eregion, et leurs pas se laissèrent accompagner par les fantômes du souvenir. Il y avait des millénaires, cet endroit était riche de vie et d'activité. On y venait de loin, pour commercer ou pour faire appel à la sagesse légendaire des Premiers Nés. Le cœur vibrant de ce royaume avait donné naissance à certaines des plus belles et des plus terribles créations des Eldar, comme si le Bien et le Mal ne pouvaient jamais aller l'un sans l'autre. Comme si les plus beaux chefs d'œuvre devaient forcément attirer plus de jalousie que d'admiration, plus d'envie que de joie. La noirceur insufflée dans la musique d'Iluvatar cesserait-elle un jour de corrompre les cœurs les plus fragiles ? Ost-in-Edhil avait connu le faste et la lumière…  et puis l'Ombre était passée, la mort avait frappé, et désormais que restait-il ? Des sentiers dévorés par la végétation qui reprenait ses droits, des pierres jetées à bas là où des édifices construits amoureusement s'étaient tenus jadis. Des vestiges d'un passé enterré, oublié.

A mesure qu'ils approchaient, une tension s'emparait du groupe. Luin n'avait pas la même sensibilité que ses compagnons, mais elle était perpétuellement sur ses gardes et elle ne pouvait que se méfier d'un domaine abandonné depuis si longtemps. Le monde ne restait jamais immobile très longtemps. Toujours il se mouvait, et dans la nuit les monstres rampaient en silence, invisibles mais pas inactifs. Quelque chose chez Isilo avait changé, et lui qui paraissait si apaisé d'ordinaire avait l'air incroyablement tendu. Une menace diffuse naviguait à la lisière de sa perception, attendant de bondir sur lui quand il baisserait la garde. Pour l'heure, tout semblait calme, et alors que les lueurs du soir s'emparaient du ciel pour y peindre des fresques grandioses et chaleureuses, ils virent apparaître les ruines de la cité perdue d'Ost-in-Edhil. Son apparition presque soudaine, attendue tout en étant surprenante, figea les trois aventuriers. Même Luin, dont le cœur lourd était souvent aveugle, ne put s'empêcher de frémir devant cette vision surgie d'un autre temps. Elle ne dit pas un mot, se contentant d'incliner légèrement la tête en signe de respect. Il y avait dans l'air et dans la terre une énergie qu'elle percevait sans la comprendre, une pulsation du passé qui lui donnait l'impression curieuse et désagréable qu'ils allaient pénétrer dans un cimetière. Elle déglutit, et retourna à l'observation des environs, cherchant un endroit où ils pourraient se reposer.

Poser le camp au sommet d'une colline était rarement une bonne idée, sauf s'ils voulaient être vus à des lieues à la ronde. Or ils se trouvaient présentement en hauteur, et il faisait encore assez jour pour chercher un endroit propice à s'établir pour la nuit. La guerrière s'avança de quelques pas, et observa en contrebas. Après avoir descendu la pente douce qui s'ouvrait sous leurs pieds, ils n'auraient qu'à remonter légèrement sur leur droite pour se réfugier derrière des rochers qui leur permettraient d'être abrités à la fois du vent et des regards.

- Par ici, souffla-t-elle pour attirer l'attention de ses compagnons, avant de repartir.

Son pas était sûr, mais elle prit tout de même garde de ne pas trébucher malencontreusement sur une pierre mal fixée ou trop abîmée. Il aurait été bien bête de se blesser maintenant. Prenant garde de ne pas tomber, donc, elle conduisit Isilo et Tatië vers le site qu'elle avait repéré. Toutefois, alors que ses deux compagnons de route continuaient à observer Ost-in-Edhil, elle s'immobilisa pour regarder sur sa gauche, où elle avait cru voir quelque chose. Le seigneur de Limeclaire et la vénérable de Valinor la dépassèrent, comme cela arrivait souvent quand elle surveillait leurs arrières, occupés à discuter. Mais Luin n'entendait pas ce dont ils parlaient. Elle avait capté, à la périphérie de son champ de vision, un mouvement furtif qu'elle n'arrivait pas à attribuer à un phénomène naturel. Son regard, pourtant, ne voyait que des pierres et des collines. Elle était sur le point de poursuivre quand elle la vit. Une forme sombre qui l'observait de derrière une cachette, tapie comme un félin.

Elle écarquilla les yeux.

- A terre ! A terre ! Cria-t-elle en essayant de revenir vers Isilo et Tatië, qui devaient la croire folle.

Ils n'eurent pas à douter de ses paroles très longtemps, car le corps de Luin fut soudainement projeté en arrière, percuté par un projectile inconnu. Son corps svelte, celui d'une poupée de chiffon percutée par un marteau, ne résista pas à la puissance du choc. La guerrière chuta lourdement en arrière avec un bruit mat. Elle avait été emportée bien plus loin qu'elle ne l'aurait été si le sol avait été plat, et de là où se trouvaient ses deux compagnons, il leur était impossible de voir si elle respirait encore… ou même de s'approcher pour lui prêter main-forte. Un tireur embusqué venait de mettre à terre leur garde du corps, et aller vers elle maintenant signifiait peut-être entrer dans une ligne de mire mortelle.

Une seule et unique flèche avait été tirée cependant.

Une flèche, puis le silence absolu.


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 11 Aoû 2016 - 1:33
L’hommage qu’ils payèrent à la cité de leurs aïeux allait devoir être plus court que prévu, exactement comme l’existence de cette dernière, que les flammes et les ténèbres avaient jugée déjà suffisamment longue. Bien que les ruines n’eut pas quémandé quelque pitié soit-elle, Isilo avait senti que les présentations avaient été trop brèves, comme s’il avait impoliment mis fin à un rituel ancien. Toutefois, la nuit et ce qu’elle cachait étaient tombés sur les deux nobles épuisés et leur protectrice toujours vigilante, qui commençait à s’impatienter, et la nécessité de trouver un petit coin à l’abri des ombres se faisait sentir de plus en plus. Chez Isilo, ce besoin se manifestait à travers la faim et le désir de se reposer près d’un feu où il pourrait faire le point sur cette longue journée de marche. Doucement, il arriverait à observer les images capturées dans son subconscient, lieu sans forme ni dessein qui laissait entrer l’information que ses sens lui faisaient parvenir sans la filtrer. Seulement à ce moment, le mouvement frénétique et incontrôlable de ses iris s’apaiserait jusqu’à s’arrêter presque totalement et les images pourraient cesser de s’amasser dans les tréfonds de l’esprit. Ainsi, comme la boue qui se dépose au fond de la mare, l’esprit deviendrait limpide, révélant au sage la vraie nature de ce qui s’y trouve.

Cette méditation était pour Isilo une manière de garder le cap sur sa quête et d’en comprendre plus facilement son sens. Bien entendu, il n’oublierait pas la raison première, le sens littéral de sa venue en ces étranges terres sauvages et, lorsque son objectif serait atteint,  il saurait reconnaître l’heure du retour. Par contre, Isilo avait appris à aiguiser son sens de l’interprétation et savait dorénavant que même la petite empreinte de pas que laissait un lièvre dans sa course était parfois aussi important dans la vie d’un homme qu’une carte longuement étudiée ou des chemins de pèlerinage cent fois parcourus. Aussi, il croyait que le plus cher de ses professeurs, sa défunte mère, organisait le monde autour depuis l’Autre Côté afin que le sentier devant être emprunté par son fils lui soit plus clair. Ce soir-là, le jeune Noldo était stupéfait de voir que cette dernière l’avait mené jusqu’au toit du monde, dans l’antre d’un fils d’un esprit du ciel, puis, finalement, dans un lieu où l’espace avait été occupé par des êtres d’une inimaginable puissance, avant de revenir un simple pré orné de modestes collines. La méditation l'aiderait à y voir plus clair là-dedans.

Sans que sa perception elfique ne puisse l’en avertir, ce repos contemplatif allait être retardé, car, dans son insouciance et dans sa foi en la bonté de l’endroit, le destin avait pris la forme d’une flèche sournoise. Alors que la compagnie était si près de se libérer de sa charge pour l’espace d’une soirée et de jouir d’un repos réparateur sous un ciel clément, la panique s’empara d’Isilo qui entendit le cri sourd de Luin, qui avait disparue dans la gueule du crépuscule assez mature pour avaler le corps de cette dernière. Dans un éclair, l’instinct de survie du voyageur pris au dépourvu l’emporta sur le raisonnement qui tentait d’établir une séquence chronologique d’événements et poussa Isilo à faire volte-face, agrippant Tatië par le bras. S’enfargeant dans l’irrégularité de la pente, ce dernier se trouvait désormais derrière un grand rocher, s’isolant de la zone hostile où Luin, la seule personne véritablement armée, gisait, paraissait-il, dans l’ombre et la douleur. À ce moment, le cœur innocent d’Isilo sentit un venin obscur en obstruer ses artères, accablé de la perte d’une vie si pure qu’il avait appris à aimer au long de ce voyage. Il préféra ne pas essayer de se convaincre que Luin était en vie et, de toutes manières, l’adrénaline qui électrocutait son corps décuplait ses perceptions sensorielles, qui tentaient à tout prix de lui sauver la vie.

Le silence qui vînt dans l’immédiat était celui qui excitait les prédateurs et frigorifiait de peur la proie. Les derniers mots de Luin avait été clairs et révélèrent la présence d’une menace sournoise, comme le maître de Limeclaire l’avait pressenti. Malheureusement pour leur prédateur tapi dans l’ombre, le temps n’avait pas été suffisamment abondant pour que le sacrifice de Luin soit vain, et cette dernière avait réagi assez tôt pour honorer sa mission. Isilo et Tatië, adossés à un menhir surplombant le boisé, étaient saufs, oui, mais à cours de solutions, comme ils n’étaient ni des archers, ni des maîtres de la cascade ou de la furtivité. Immobilisé par son sort, celui d’un homme qui ne pouvait ni courir, ni appeler au secours, ni faire face à l’envahisseur, Isilo retira ses bras des épaules de Tatië, qu’il avait serrée comme une sœur, et joint les mains avant de les appuyer sur son ventre. Puis, il ferma les yeux et quand il ne sentit plus la sueur de ses vêtements sur la peau de ses poignets, il tenta de ralentir son souffle en récitant de vieilles chansons que ses pères lui avaient enseignées. Envahi par la peur, ceci ne fut pas tâche facile et à maintes reprises les pleurnichages de son enfant intérieur le privèrent du calme qu’il désirait tant. Mais, alors qu'il pouvait toujours compter ses respirations, son amie n’avait, elle, assurément pas cette chance, alors qu’elle avait été frappée de malheur. Ce fut donc la pensée de Luin, cette pauvre créature, qui amena Isilo à agir.

Ainsi, élevant la voix, les yeux rivés vers la grande toile de constellations, Isilo projeta ses mots dans la nature environnante, s’assurant que chaque créature, chaque centimètre de matière se soit senti interpellé par son interjection. Au milieu de la nature paisible, Isilo et Tatië, amis de la Création, n’étaient pas seuls et, tous ensembles, pouvaient arriver à incommoder  l’agresseur, qui était venu troubler la paix. Du moins, c’était en cette croyance que reposait l’espoir qu’Isilo avait de s’en sortir. Convoquant les esprits de la nature, les créatures de l’invisible et les êtres à plumes et à poils, rassemblant les éléments qui veillaient sur l’ordre du monde et embrasant de sa volonté l’air ambiant, il voulut que l’univers entier se fasse si pesant autour de leur ennemi que ce dernier sorte de sa cachette, fou et désespéré. En fait, Isilo voulait inverser les rôles. Puisse l’obscurité chérie de leur prédateur devenir une prison où les êtres de la nuit le pointeraient du doigt, le couvrant de honte.

- Cette flèche que tu as décochée, tous en avons été témoin. Toi, enfant de Melkor, tu te couvres de honte devant la grande assemblée du monde, où esprits de la terre et du ciel te voient, même si tu te caches, et te méprisent. Ta fin, je te la raconte : le jour où ton dernier souffle s’abattra sur toi, tu tomberas sous le poids de ton propre corps et retournera à la terre d’où tu viens. Que ce jour soit celui-ci si tu ne brises pas ton arc et restes caché là où la lumière d’Isil n’atteint pas ton visage maudit !

Et alors les arbres frémirent. Le vent tourbillonna levant la poussière, les feuilles et l’odeur de la traque. Pas un son ne venait interrompre la complainte du vent et de la forêt dont la paix avait été troublée par les misérables conflits de ce bas monde. Le cœur d’Isilo brulait d’une rage comparable à celle d’une mère louve qui protège ses petits. Ce n’était pas de la haine, ni de la violence délibérée, mais plutôt une barrière épineuse érigée par l’instinct de survie qui essayait de rassembler toutes les défenses possibles afin de contrer la menace. Chaque seconde, l’Elfe, ce jeune homme si loin de sa maison, avait peur, tout comme un fauve poussé au fond de sa tanière par des chasseurs, mais il savait qu’il devait user de toutes ses sciences pour ne pas subir le même sort, ou pire, que celui de Luin.

Sa mère lui avait toujours enseigné que l’univers tout entier se retrouvait dans toute chose, aussi insignifiante soit-elle. Que le grain de sable était montagne et la goutte d’eau était océan. Ce soir-là, Isilo aurait voulu être un Thoron pour prendre Tatië et Luin dans ses serres et s’envoler vers le firmament.
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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMar 16 Aoû 2016 - 21:52
Tombent les murs, demeurent les fondations Tatiy10

Le choc fut d'une violence et d'une soudaineté incroyables. Pas seulement le choc qu'avait produit l'impact du projectile sur le corps aguerri de leur protectrice armée, mais également le choc émotionnel que l'événement avait occasionné. En fait, Tatië avait presque cru, pendant les journées qui avaient précédé le voyage et celles passées dans les terres sauvages, que les soucis ne commenceraient que lorsque leur trio arriverait au seuil même de l'antique ville-forteresse et chercheraient un moyen de pénétrer dans ses ruines, et non pas avant. Elle n'était pourtant pas idiote et n'allait pas sans savoir, malgré son manque d'expérience ici bas, que traverser les plaines et les collines non-civilisées occasionnait en soi un danger, mais avait pensé que ce danger là, qu'il se présentât sous la forme d'animaux sauvages et dangereux, de bandits de grand chemin ou d'individus mauvais traversant par hasard le même pays, n'aurait rien d'insurmontable pour Luin, et qu'elle ne se laisserait pas avoir. Si des individus les attendaient, ce ne serait qu'à l'endroit même auquel ils souhaitaient accéder...

Et pourtant, Luin la taciturne, Luin la tenace, Luin la grande guerrière, s'était faite avoir comme une louve touchée à mort par le trait d'un chasseur.

La surprise et l'effarement furent si grands pour la Dame qu'ils la privèrent de toute réaction spontanée ; elle était comme paralysée, changée en pierre par la faute de quelque morbide enchantement. En fait, elle ne faisait que payer son inexpérience. Pour une quête initiatique, c'en était certes une, et elle commençait tambour battant. Elle ne dut son salut qu'à la présence d'esprit et au dévouement d'Isilo.

Lorsqu'elle revint tant soit peu à elle quelques secondes plus tard, de nombreuses pensées disparates se bousculaient dans sa tête, chacune succédant à la précédente selon un ordre aléatoire. Comment pouvaient-ils espérer conclure la mission alors que celle qui était la plus armée pour les défendre venait de succomber ? L'individu qui avait commis ce crime était-il le voleur du joyau ? Combien de secondes allaient s'écouler avant qu'elle ne sente elle-même un trait implacable transpercer son corps ? Combien d'années attendrait-elle dans les cavernes de Mandos avant d'être autorisée à prendre possession d'un nouveau hröa ? Mais toutes ces interrogations se succédaient à une vitesse telle qu'elle ne les perçut presque pas consciemment, et en tout cas elle ne tenta nullement de leur trouver une réponse. Isilo la tenait serré contre lui, comme pour la protéger de ce dont lui-même ignorait la nature. Un frisson la parcourut. La nuit était presque totalement tombée, et la fraîcheur mêlée de peur occasionnait de curieuses sensations. Leur agresseur avait bien choisi son moment, il fallait le reconnaître, car sous cette semi-obscurité et vu le caractère escarpé du terrain, aucun des deux sages elfes ne pouvait l'atteindre ni le voir. Tatië sentit alors Isilo la lâcher doucement et se décaler de quelques pas. Elle se retrouvait comme nue dans la nuit, sans protection, à la merci du danger. C'est alors qu'elle entendit le monologue terrible et grandiose du Seigneur de Limeclaire, qui avait décidé de toucher leur opposant de la seule manière possible : par la parole. En réponse aux pointes des flèches, le grand penseur envoyait sa verve et ses malédictions, armes qui si elles ne touchaient point le corps n'en étaient que plus destructrices pour le cœur. L'autorité qui était tout à coup apparue dans sa voix en laissa Tatië pantoise ; elle ne l'avait jamais entendu s'exprimer sur ce ton, ni avec une telle aura.

Alors, la Dame du Valinor se posa une nouvelle question, cette fois tout à fait délibérément, et qui était sans doute bien plus utile que les précédentes : que pouvait-elle faire pour aider Isilo dans sa tentative, et forcer leur mystérieux agresseur à respecter, contre toute attente, ses injonctions ?

Un peu tremblante, elle se tourna dans la même direction que son ami et avança d'un pas ou deux, prit une profonde inspiration et se mit à déclamer à son tour...

- J'ai longtemps vécu dans les terres où l'on ne meurt point, et j'ai eu le temps de comprendre, quoique dans une infime mesure, le desseins de Ceux qui veillent sur le Monde. Ils ont œuvré pendant bien des siècles pour façonner notre terre, et par conséquent sont très attachés à leur œuvre, ou tout du moins à l’œuvre qu'ils ont chérie et embellie. Ils ont créé, pendant que d'autres détruisaient. Leur œuvre, ce sont les montagnes, ce sont les mers, ce sont les nuages... C'est le menu bourgeon qui croît sur l'arbre et le fragile flocon qui tournoie dans le vent... Mais ce n'est pas seulement cela. Ce sont aussi les kelvar, et les êtres-doués-de-paroles. C'est Luin, la jeune femme que vous venez d'abattre froidement. Les Valar ne porteront en en leur cœur l'individu qui aura détruit un élément de leur grande Vision. Qui êtes-vous, inconnu qui frappez en tapinois, dans l'ombre, sous le ciel nocturne, derrière les rochers, et à distance ? Êtes-vous de l’engeance des Orcs, discordance originelle qui peut difficilement se racheter ? Êtes-vous un Nain qui serait davantage de la descendance et de l'esprit de Naugladur que de Durin ? Êtes-vous un Quendi qui pour quelque raison fantasque aurait décidé de décimer les siens ? Êtes-vous de la race des Hommes, impétueuse et imprévisible autant que le vent ? Êtes-vous celui que nous cherchons ?

Elle laissa planer ses mots un instant pour qu'ils puissent bien pénétrer l'esprit de leur mystérieux destinataire, puis conclut sa tirade :

- Que vous soyez l'une ou l'autre de ces personnes, les Valar ne pourront pardonner votre geste qu'à la condition que vous vous repentiez dès maintenant et cessiez votre jeu macabre. Ou oserez-vous affronter leur colère, à la toute fin ?


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Ryad Assad
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyVen 19 Aoû 2016 - 10:59
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L'air semblait chargé d'une énergie surnaturelle, crépitant comme s'il était parcouru par la foudre elle-même, alors que les deux Eldar déversaient leur courroux sur la colline derrière laquelle, semblait-il, le tireur se cachait. Ils s'étaient redressés au mépris de toute crainte, insensibles ou inconscients du danger qui menaçait de fondre sur eux, jetant leurs malédictions avec une furie qui n'avait rien à envier à celle des guerriers lorsqu'ils plongeaient au cœur de la bataille. Ils n'étaient peut-être pas formés au maniement des armes du commun, les épées, les arcs ou les lances au fer argenté que maniaient les simples soldats ; toutefois, les mots qui constituaient leur bouclier étaient hérissés de piques cinglantes, rehaussés d'invectives brûlantes, et caparaçonnés d'accusations douloureuses. Quelle que fût l'identité de celui ou celle qui les avait pris à partie, qu'il fût Orc, Nain, Elfe ou Homme, il ne pouvait demeurer insensible à la violence des mots que déversaient les Premiers Nés, et qui faisaient peser sur lui le poids de son crime, l'incitant à baisser la tête plein de honte.

Du moins... si cette créature connaissait pareil sentiment...

Il y avait dans ces plaines et dans ces vallées, partout où s'étendaient collines et bois de chênes, de hêtres et de bouleaux, des gens de bien comme des gens de mal. Les seconds, hélas, étaient les plus enclins à tendre ce genre d'embuscades traîtresses, et ils prêtaient bien volontiers le flanc à la critique, dès lors qu'ils pouvaient espérer mettre la main sur l'or et les richesses des infortunés voyageurs qui croisaient malencontreusement leur route. La pitié était une notion qui leur était étrangère, et les remords ne venaient pas les troubler un seul instant. Pas même lorsqu'ils dépensaient l'or arraché aux doigts gourds d'innocentes victimes. Les visages de ces dernières, déformés par la douleur, ne venaient pas même hanter leurs pensées la nuit, en songes, et il était presque injuste de voir que les criminels avaient accès à ce que les braves ne pouvaient atteindre : un sommeil profond, reposant, durant lequel les souvenirs de leurs forfaits ne venaient pas les maudire et leur promettre mille tourments dans l'après-vie.

Le mystère qui entourait l'agresseur des trois Elfes était toujours entier, mais cela n'avait pas découragé les deux survivants dans leur tentative. Leur courage le disputait certes à la folie, mais il se trouvait que pour l'heure nul trait n'avait vrombi en tranchant l'air pour aller porter un coup fatal à leur estocade verbale. Ils continuaient de déchaîner leur juste colère sans être inquiétés, ce qui était tout à fait surprenant, pour ne pas dire miraculeux. Leur voix était-elle donc si puissante ? Le courroux de seigneurs des Eldar pouvait-il, à lui seul, faire tomber le bras armé d'un bandit pour le forcer à reculer. L'arc malfaisant serait-il brisé sur l'autel de la réconciliation ? C'étaient tant de questions qui demeuraient en suspens, tenues à un fil incroyablement fin que l'archer tenait peut-être entre ses doigts en ce moment-même.

S'il le lâchait…

Alors que Tatië et Isilo tentaient toujours de repousser la présence maléfique qui venait de porter atteinte à leur petite compagnie, ils entendirent distinctement une voix étouffée s'adresser directement à eux. Ils ne purent que se retourner pour en observer la provenance, et la voix répéta, à bout de forces :

- Restez à terre, par les Valar !

Luin, accroupie, avait réussi à les rejoindre péniblement. Son visage crispé par la douleur en disait long sur les conséquences de sa chute, mais elle était focalisée sur le moment présent, et la meilleure façon de se sortir de ce piège. Avec une discrétion surprenante dans cette circonstance, elle avait réussi à les rejoindre, et elle les força à demeurer dans la même position qu'elle – baissée, dissimulée derrière l'abri de fortune qui les protégeait pour l'heure – afin de ne pas offrir une cible trop facile à leur adversaire. D'un rapide coup d'œil, elle s'assura que le Seigneur de Limeclaire et la vénérable de Valinor n'avaient rien. Elle avait eu le temps de les prévenir avant le premier tir, mais elle fut tout de même satisfaite de ne pas trouver sur le corps les marques d'une quelconque blessure. Elle n'avait pas failli. Pas complètement.

Il y avait beaucoup de choses auxquelles elle devait penser pour l'heure, mais la sécurité de ses seigneurs était primordiale, et une fois qu'elle eût réglé cette question, son attention se porta sur la crête qui leur barrait la vue sur l'archer. Elle raisonnait selon des priorités qui étaient les siennes, mais qui ne mettaient pas sa santé au premier plan. Elle avait à peine eu le temps de se rendre compte qu'elle-même était en vie, avant de ranger instinctivement cette information négligeable dans un coin de son esprit pour se focaliser sur l'important. Pourtant, elle l'avait échappée belle et elle pouvait remercier son bouclier qui avait arrêté la flèche, l'empêchant de la traverser de part en part. Le trait avait transpercé le bois, et avait légèrement entaillé le bras de la guerrière en se glissant vicieusement dans sa chair, là où sa cuirasse s'arrêtait pour laisser sa peau sans protection. En cet instant, elle regrettait presque de ne pas avoir pris une armure lourde. Un léger filet de sang coulait sur sa tunique, mais ce n'était rien, et elle s'en préoccuperait plus tard. C'était surtout sa chute qui l'avait un peu sonnée, en même temps qu'elle lui avait coupé le souffle. Elle garderait un bleu de belle taille sur le dos - la faute à son sac de voyage qui lui était rentré dans les reins -, et elle grimaçait encore quand elle changeait trop rapidement de position.

Pour l'heure, toutes ces considérations passaient au second plan, reléguées à des problèmes annexes tandis que le premier et plus important demeurait cette menace qu'ils ne parvenaient pas à discerner dans les ténèbres qui les environnaient. La nuit n'était pas l'ennemie des Elfes comme elle pouvait être celle des Hommes, mais ils n'en demeuraient pas moins incapables de localiser la provenance de la prochaine attaque. Il fallait cependant éventer le bluff, et forcer l'adversaire à se révéler pour mieux lui porter un coup décisif. Pour cela, il n'y avait guère de solutions. Luin n'était pas une grande stratège, elle ne concevait pas de plans extraordinaires, mais elle savait quel était son rôle dans ce genre de situations. Gardant son bouclier brandi pour couvrir Tatië – lequel bouclier arborait un trou de belle taille – elle fit descendre son sac de ses épaules, et donna son arc de chasse et ses flèches à Tatië. Elle ignorait si la philosophe savait s'en servir, mais il faudrait bien qu'elle prît sur elle pour apporter son soutien à la petite compagnie. Luin dégaina son épée et jeta un regard à Isilo qui paraissait être le plus à même de la seconder :

- Restez ici. Restez à terre. Attendez qu'il se montre.

Elle n'était guère volubile, mais les implications de ses paroles étaient claires : ne me suivez pas, sous aucun prétexte. Et abattez ce mécréant avant qu'il ne m'ait achevé. C'était en substance ce qu'elle venait de leur faire comprendre. Sans leur laisser le temps de réagir, elle quitta leur cachette en grimpant habilement sur le promontoire, et s'élança en droite ligne vers la crête. Le maigre rempart derrière lequel elle s'abritait, déjà percé en un endroit, lui offrait une chance ridicule de résister à un nouveau tir si jamais elle devait y être soumise. Sauf que cette fois, bien campée sur ses appuis, elle s'arrangerait pour ne pas basculer et pour continuer sa progression. Elle savait bien que contre un adversaire armé d'un arc, elle n'avait que peu de chances de survivre de toute façon. Sa meilleure chance restait encore de casser la distance, de venir provoquer le tireur au corps à corps, sur un terrain où elle pourrait le dominer. Elle courait à toute vitesse, avalant les mètres qui la séparaient du sommet malgré la pente difficile. On aurait dit un félin puissant, dont les muscles noueux pouvaient enfin exprimer leur plein potentiel. Comme si la marche, l'attente et le calme n'étaient que des entraves à sa nature profonde. Elle n'était qu'action et mouvement, et dans cette situation de tension extrême, elle laissait son esprit retrouver un niveau plus instinctif, plus primitif. Avec un mélange surprenant de force et de grâce, elle fit voler en éclats l'avantage de leur adversaire en un rien de temps, posant le pied au sommet telle un général ayant enfin achevé la conquête d'une terre convoitée.

Et elle observa.

Le paysage immobile s'étendait à perte de vue.

Au loin, Ost-in-Edhil paraissait concentrer la noirceur de la nuit, comme un tombeau.

Des corbeaux volaient au-dessus de leurs têtes, croassant en échangeant probablement au sujet des nouvelles du monde d'En-dessous, là où les créatures-qui-marchent se livraient à des jeux de pouvoir, des guerres et des intrigues. Leurs yeux perçants voyaient tout, et depuis le royaume des Aigles ils jetaient un regard condescendant aux gesticulations des bipèdes.

Il y régnait pour l'heure un grand silence. Luin fit un pas en avant, de l'autre côté de la colline, croyant avoir vu quelque chose qui accrochait son regard. Elle disparut un instant aux yeux des deux Elfes, et le temps parut se suspendre comme une goutte d'eau de source perchée sur le cil d'une jeune femme, incapable de rester en équilibre, mais incapable d'achever sa chute. La guerrière se baissa légèrement. Ses yeux s'agrandirent comme ceux d'un félin, alors que l'air se déplaçait autour d'elle.

Une flèche à la pointe étincelante. Elle eut le temps de voir qu'elle était empennée de plumes d'aigle…

Il ne se passa guère plus de quelques secondes, qui parurent durer une éternité cependant, avant que la silhouette de Luin revînt plus tranquillement qu'elle était partie. Elle avait toujours l'épée à la main, mais gardait cette fois la pointe basse. Son pas lent contrastait avec la fulgurance avec laquelle elle avait gravi cette crête. Elle rejoignit Isilo et Tatië sans dire un mot, en s'asseyant lourdement. L'adrénaline était descendue, et son corps la lançait soudainement :

- Disparu sans laisser de traces. A part ça.

Elle jeta au milieu d'eux la flèche qu'elle avait trouvée par terre. Une flèche comme elle n'en avait encore jamais vue. Elle ressemblait à une flèche elfique par certains aspects, mais elle avait été taillée avec plus de grossièreté, et sa pointe n'avait ni le raffinement ni l'élégance des traits des Premiers Nés. Ce n'était qu'une tige de métal destinée à percer les cuirasses et les boucliers, rien de plus qu'un vulgaire outil comme les Hommes en faisaient. Cela ne les renseignait guère sur l'identité de leur tireur. Il y avait d'ailleurs de la frustration dans la voix de Luin, comme si elle aurait voulu pouvoir mettre la main sur l'archer afin de l'interroger. A dire vrai, elle était surtout contrariée de devoir passer la nuit en étant désormais certaine qu'ils se trouvaient sur un territoire hostile, sans pour autant savoir comment se défendre efficacement. Ils ne pourraient pas dormir sur leurs deux oreilles, et les tours de garde qu'ils avaient pu instaurer dans la partie la plus reposante de leur trajet allaient désormais prendre une réalité douloureuse. Oui, autour d'Ost-in-Edhil la cité perdue des Elfes, il y avait des dangers qu'il ne fallait pas sous-estimer. Luin était restée silencieuse un instant, et elle reprit :

- Vous auriez pu vous faire tuer.

Le ton de reproche dans sa voix n'était pas méchant, mais il ne pouvait pas non plus être ignoré. Elle leur avait clairement dit de rester à terre, d'éviter de s'exposer, et pourtant ils avaient délibérément choisi de ne pas l'écouter, de se redresser et de défier un adversaire inconnu. Que se serait-il passé si l'un d'entre eux avait perdu la vie ? Qu'aurait-elle pu faire ? Elle s'imaginait, tenant le corps de l'un d'entre eux frappé par un projectile mortel. Elle les voyait s'éteindre et rejoindre les côtes de Valinor où ils trouveraient le repos et la paix. Elle avait vu tant et tant des siens subir ce triste sort. Des gens qu'elle connaissait… des gens qu'elle aimait… Ils avaient disparu, désormais. Elle se souvenait de leurs visages froids et pâles, de la texture de leur peau sous ses doigts. Elle se rappelait parfaitement de leurs larmes quand, mourants, ils lui avaient confié leurs dernières paroles. Tous n'étaient pas des Elfes, et tous n'étaient pas maîtres de leur destin dans l'après-vie. Car il y avait eu des Hommes à Imladris. Des braves qui avaient sacrifié leur existence si fragile, si courte, si incertaine, pour elle. Et c'était leur main ensanglantée qu'elle avait tenue. Et c'était leur cœur qu'elle avait senti s'arrêter. Et c'était leurs yeux qu'elle avait vu se draper d'un voile diaphane. Combien étaient morts dans ses bras ? Combien ? Luin revint au moment présent en ravalant son immense tristesse, et songea à ce qu'il serait advenu de leur mission si l'un d'entre eux avait succombé. Ils seraient probablement rentrés à Imladris en portant le corps de leur défunt camarade, dans un silence de plomb qu'elle n'aurait rompu pour rien au monde. Pleine de honte, elle n'aurait jamais pu expliquer à quiconque que, sous sa protection, un seigneur Elfe avait perdu la vie. Mais il fallait croire que Isilo et Tatië étaient capables d'exploits extraordinaires, que la force de caractère qui les habitait était exceptionnelle. Elle n'avait jamais vu quelqu'un agir de la sorte et s'en sortir indemne.

- Vous avez dû le faire fuir.

Elle parlait en suivant le cours de ses pensées sans véritablement faire de connexions logiques, et à aucun moment les mots qu'elle prononçait ne semblaient avoir de sens par rapport à ce qu'elle avait dit juste avant. Dans son esprit, les images défilaient si rapidement, les souvenirs s'empilaient en tant de tas vacillants qu'elle ne pouvait simplement pas prendre la parole pour les expliquer. Il y avait trop de choses qui se bousculaient derrière son regard. On sentait néanmoins dans cette dernière phrase une forme de soulagement, avec une pointe d'admiration non dissimulée. Elle ignorait tout à fait quelle était la part de responsabilité de ses seigneurs dans la fuite de l'archer, mais s'ils avaient réussi à le faire battre en retraite par la simple puissance de leurs volontés conjuguées, alors elle et ses modestes qualités de guerrière risquait fort d'être la moins utile de leur groupe. Elle n'avait pas su prédire l'embuscade, et si ce n'était pour son bouclier, elle serait morte actuellement. Un sentiment d'impuissance vis-à-vis d'Isilo et de Tatië s'empara d'elle brusquement, et elle baissa la tête en se disant que sa mission se résumerait à ce qu'il venait de se passer. Elle prendrait les coups à leur place, pour leur permettre de faire usage de leurs incroyables dons.

Si elle devait prendre une flèche mortelle pour les protéger, elle le ferait.

Si elle devait retenir à elle seule une armée de leurs ennemis pour leur donner le temps de fuir, elle le ferait.

Si elle devait renoncer à revoir Imladris, sa chère cité, pour leur permettre d'accomplir leur mission… Elle…

- Que faisons-nous ?


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyVen 19 Aoû 2016 - 18:34
La nuit était déjà froide quand le sort des voyageurs s’avéra être meilleur que celui que leur avait annoncé le destin quelques instants plus tôt. L’haleine de la mort se faisait sentir dans l’air, mais son effluve fétide se mêlait à l’odeur des feuilles mortes et aux parfums transportés par le vent des vallons. Oui, le spectre de la mort avait laissé la marque de ses griffes sur leur garde du corps, mais s’était montré trop piètre prédateur pour l’emporter dans son antre, là où les choses vont pour ne jamais revenir. Comme le fauve qui répond à sa nature, il rôdait encore autour du malheureux groupe, reniflant l’odeur du sang que ses crocs avaient cherchée et étouffant des complaintes bestiales d’un carnivore insatisfait à mesure que les plaies se cicatrisaient, trop promptement. Toutefois, visiblement, l’assaillant n’avait pas été le roi de la jungle cette nuit-là, constatation qu’il fit probablement alors que, tel un boa qui ressert ses anneaux, les esprits de la nuit étouffèrent sa raison, attaquant de toute part ses sens confus. Les mains ruisselantes de sueur, la vision lui faisant défaut et la queue entre les pattes, il avait dû courir pour sa vie, retournant d’où il était venu, couvert d’une honte existentielle. Or, comme dans tout assaut, chaque camp subissait un profond traumatisme physique et personne ne sortait indemne de ce type d’altercation. Isilo et Tatië, trop peu habitués à cette dure réalité, en comprenaient dorénavant la gravité, alors que l’adrénaline leur brûlait les veines et le regard sévère de Luin était rivé sur eux.

Isilo n’eut pas le temps de demander à leur amie si cette dernière allait s’en sortir, que la guerrière était déjà repartie à la course, traquant celui ou ce qui l’avait attaqué et qui se méritait dorénavant sa vengeance. Grande fut la surprise du maître de Limeclaire quand leur protectrice revînt seule, sans un cri, le pas lent. Ce ne fut seulement qu’à ce moment que le seigneur Elfe put finalement soupirer et relâcher la tension dans ses bras, ses jambes et sa mâchoire. Observant les alentours comme pour s’assurer que Luin ne serait pas victime d’une autre lâcheté, Isilo n’arrivait pas encore à croire ce qui venait de se passer et l’état actuel des choses : ce n’était pas le fait d’être attaqué qui était incroyable, mais plutôt la constatation que tout allait bien. Bouche bée, l’homme qui avait pourtant dédié sa vie à l’acquisition d’un discours juste avait usé de toutes ses munitions et ne sut quoi répondre au ton de réprimande de Luin. Visiblement, le pacte qu’il avait fait avec les éléments le privait de la parole, comme s’il avait dépensé toutes ses forces, et ne trouva du sens qu’au geste de fermer les paupières. Il baissa la tête et grande fut sa joie quand il réalisa que le pouvoir de sa volonté se mélangeait à présent à la lueur des étoiles et à l’herbe que la brise berçait.

Avec ce calme passager qui retrouva sa place au sein de sa poitrine, Isilo ne put s’empêcher de prendre vigoureusement sa Dame dans ses bras et de la serrer comme l’on serrerait un Elfe sur le quai des Havres Gris, pour la dernière fois. Il était évident qu’Isilo ne savait plus cacher l’amour qu’il portait en lui pour cette femme, que la vie lui prêtait afin qu’ils connaissent, ensembles, le sens de la confiance et du don de soi. À ce jour, ils avaient connu beaucoup d’aventures qui mirent à épreuve leur complicité et Isilo sentait à présent que leurs existences étaient relatées par Eru dans un seul et même livre. Ce fut pour cette raison qu’Isilo ne voulut pas accepter que les pages de leur existence leur eussent été arrachées sans connaître le sens d’une telle fin. En sentant les boucles de la chevelure de sa confidente entre ses doigts humides, il consacra de sa magie ce petit moment de répit, prit le temps d’ériger un impénétrable bastion autour de leur étreinte dans l’espace environnant pour la présence de sa tête contre la sienne. Puis, il prit la tête de Tatië entre ses mains, lui couvrant les oreilles, caressa de son pouce sa joue et lui sourit, trahissant la peur qu’il avait eu de la perdre et la joie qu’il ressentait de la voir encore, même figée par la panique.

Isilo, oubliant presque la réalité et la chaîne d’événements qui avait fait en sorte qu’ils se tiennent tous encore debout, sentit les muscles de sa gorge se contracter au passage de la gêne et de l’ingratitude. Ainsi, lorsque Luin et son sens de l’action venaient les forcer à prendre une décision éclairée, Isilo alla vers elle, regardant la blessure de la jeune femme, puis plongeant son regard dans le sien. Il comprit l’importance de la personne qui se tenait devant lui et il n’était pas dans l’habitude du seigneur de Fondcombe de prendre pour acquis que ses amis savaient la valeur qu’ils avaient à ses yeux. En riant, il lui confia :

- Avant de quitter notre cité, je vous ai dit, Luin la Brave, Luin la Vaillante, que je mettais ma vie dans la vôtre. Vous m’avez pris au pied de la lettre, semble-t-il. Gen hannon.

Il fit un pas de plus pour se rapprocher d’elle et porta son autre main au niveau des épaules de la guerrière.

- Si nos vies sont liées, je ne pourrais accepter de vous perdre et c’est pourquoi je vous donne une mission additionnelle, soldat. Lorsque tout ça sera terminé, revenez, vous aussi, à la maison.

Le regard que le seigneur Noldo porta vers le ciel fut trop bref pour que ses amies ne le voient, mais il portait en son cœur une signification particulière : il demandait aux Valar de sceller cette journée de leur bonté et les remercia d’avoir laissé l’amitié triompher. Se pliant ensuite à la nécessité du moment, le jeune homme demanda à Luin de bien vouloir lui laisser jeter un coup d’œil au projectile qu’elle avait trouvé au sommet de la colline.

La grossièreté du travail de son fabricant laissait croire que cet objet provenait d’une source non-elfique. Des brigands, des mercenaires qui utilisaient ce qui leur tombait sous la main ou un groupe de criminels organisés en faisait peut-être la production et le commerce en Eregion et Isilo avait des raisons de croire, à la vue de la flèche maudite, que cette altercation n’avait rien à voir avec le trio d’Imladris et sa mission. En effet, si le danger à Ost-in-Edhil ne se résumait qu’à un groupe de bandits ayant pris la vieille cité comme quartier général, il aurait été difficilement inexplicable que les Theryn n’eussent pas été en mesure de déloger de tels mécréants eux-mêmes. Ainsi, les indices actuels portaient à croire que cet assaut était le fruit d’un chemin malchanceux ou d’une orientation malhabile mêlés à une coïncidence défavorable qui mena un esprit perverti à commettre un acte de violence.

Mais la fatigue prit le dessus sur la réflexion quand l’énergie qui avait atteint un sommet trouva finalement un creux profond laissant Isilo sans la force de pouvoir faire quelque choix soit-il. Par conséquent, il supplia les deux autres de bien vouloir passer la nuit dans le refuge que Luin avait trouvé et d’accroître la vigilance lors des tours de garde. Chose qu’ils firent tous, combattant l’épuisement et luttant contre le mouvement de leurs paupières pesantes qui tombaient en chute libre.

Le matin suivant leur laissa suffisamment de temps pour se remettre de la veille, pour trouver des plantes médicinales afin de guérir la blessure de Luin, non fatale, mais particulièrement incommodante et pour se revigorer le corps et l’esprit. Les journées qui suivirent, constituées essentiellement de marche et de chasse revêtirent la bannière de la légèreté et de la joie, comme celles qui avaient ouvert le périple. Curieusement, il eut beaucoup de rires ces jours-là, ce qui était probablement dû à un sens de l’aventure que les récents événements avaient affuté et qui avait érodé la gravité de la dernière péripétie jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Les liens s’étaient resserrés, rendant chacun plus précieux aux yeux de ses compagnons et augmentant la valeur d’un moment passé la compagnie de l’un et l’autre.

Si la beauté fleurissait dans les cœurs, la mélodie des oiseaux et le chant des créatures environnantes ne faisaient que raconter une nature qui se fanait. Au fur et à mesure que les contours  de la cité qui avait été le théâtre de la chute de Celembrimbor se faisaient plus clairs, l’environnement dans lequel les trois Noldo avançaient, lui, semblait perdre de cette clarté, comme si une force discordante eut voulu en effacer les traits précis et caractéristiques de toute engeance de la Création. C’est donc dans un décor où la ligne de l’horizon se dissolvait dans le néant et où les arbres paraissaient vouloir retourner à l’air plutôt que de tendre vers les cieux, qu’Isilo pressentit ce qui allait se passer.

- Une force destructrice se cache derrière les murs qu’ont érigés nos aïeux. Je ne connais pas sa nature ni ne prétends pouvoir capter ses intentions, mais je la sens m’atteindre à travers la désolation de ces terres malades. Le frisson qui me parcoure l’échine est, je le crains, une des mises en garde d’Ilmendil qui se matérialise autour de nous. Je ne sais pas ce qui s’est érigé à l’intérieur de la Cité des artisans, mais je pressens que son effet et sa malveillance sur notre volonté et notre moral se feront sentir de plus en plus forts. Pour ce qui est de l’épicentre de cette force…

Isilo fronça les sourcils.

- …Et bien je croyais que ces choses n’existaient que dans les légendes.
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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptySam 20 Aoû 2016 - 19:38
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Pendant quelques minutes, la dame à la robe indigo avait cru qu'elle ne reverrait plus jamais leur garde-du-corps vivante. Dans le feu de l'action et le souci de leur propre vie, elle n'avait pas eu le temps d'en éprouver réellement de peine. Ce dernier sentiment serait sans nul doute venu à posteriori, lorsque les deux survivants auraient eu le temps de se mettre hors de danger, que ce soit en réussissant leur tour de force verbal ou en trouvant une cachette sûre. Elle se serait alors rappelée les moments passés en sa compagnie lors de la dernière exode, moment qui bien que peu productifs en terme de dialogues n'en avaient pas moins créé un lien. On ne pouvait pas réellement parler d'amitié, car les contraintes de leur condition respective ne laissaient pas la place à ce genre de sentiment dans un système où l'appartenance à une classe régissait les relations avec autrui. Une amitié entre une noble et une guerrière aurait été très mal vue par le peuple et les dirigeants d'Imladris, dans un bastion où les classes sociales étaient peut-être plus marquées qu'ailleurs. Contrairement à certaines communautés sylvaines où ce genre de choses importait moins et où les rôles sociaux étaient moins définis, les Noldor avaient une culture bien plus stricte dans ce domaine. Cependant, Tatië ressentait une affection profonde envers la soldate. Et le fait que ce sentiment fut teinté d'une certaine responsabilité depuis qu'elle s'était occupée de ses blessures lors du trajet vers Gar Thulion, ne faisait que le renforcer.

Une pensée troublante s’immisça toutefois dans l'esprit de la philosophe : après ce qui s'était passé à Imladris, Luin avait-elle peur de la mort ou au contraire la recherchait-elle, consciemment ou non ? Elle s'était protégée de son écu, c'est vrai, mais cette volonté de vivre était-elle sincère ou simplement dictée par le devoir de ne pas faillir à sa mission auprès d'eux ? C'était une bien triste question, pour laquelle Tatië n'obtiendrait sans doute jamais de réponse.

De toute façon Luin était revenue, et avec elle son parler concis et pragmatique.

Plus Tatië la regardait, plus il lui semblait voir une fourmi qui usait de son temps avec justesse et précision, se concentrant sur le travail à effectuer, ce qu'elle faisait avec abnégation. Elle faisait passer l'action avant toute autre chose, en quelque sorte. Mais bien qu'ils fussent de dispositions différentes, Isilo et Luin ne recherchaient-ils pas le même but en empruntant des chemins radicalement opposés ? Par sa méditation et sa concentration sur le souffle, le Seigneur de Limeclaire cherchait à se libérer des pensées parasites qui pouvaient à tout instant assaillir son esprit ; Luin, elle, tendait sûrement vers le même but, encore qu'elle y arrivât – ou tentât d'y arriver – en emplissant ses journées de préoccupations très terre-à-terre et de tâches à l'utilité immédiate.

A vrai dire, la faculté qu'avait Luin à se projeter si rapidement vers un nouveau but était impressionnante. De chassée, elle comptait devenir chasseur et de faire intervenir les deux autres dans la chasse. Tatië la vit s'avancer vers elle et lui tendre son arc ainsi que plusieurs flèches. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la Dame avait déjà eu l'occasion de manier l'arc. Dans son ancienne vie à Tirion, certains pratiquaient une discipline étrange qu'en langage commun on nomme tir à l'arc à défaut d'autre terme, mais qui possède un nom spécifique dans les langues elfiques. Car ce tir à l'arc là était davantage une méthode pour apprendre à améliorer sa concentration qu'un véritable sport où l'on recherche la performance pour la performance. Le tireur se saisissait d'un arc presque aussi grand que lui et visait une cible placée à l'autre bout d'une salle. L'accent était mis sur la précision et la beauté du mouvement, ce qui permettait de vider son esprit de toute pensée parasite... Comme la méditation d'Isilo et la recherche d'action de Luin. Ces temps pouvaient être lointains, Tatië savait qu'elle n'avait pas tout perdu de son apprentissage ; aussi se prépara-t-elle à aider la guerrière du mieux qu'elle le pouvait. La cible serait toutefois en mouvement et non figée, le temps pour décocher très réduit et la visibilité mauvaise... mais elle essaierait.

Elle n'eut jamais à le faire car, heureusement ou malheureusement, leur opposant sans corps ni visage ne vint jamais. Luin avait seulement rapporté une de ses flèches, ce qui en soit constituait déjà un bien bel exploit. Le trio observa longtemps le projectile pour tenter de définir la nature de son possesseur. Il ne s'agissait pas d'une flèche orque, car ces dernières étaient souvent de facture encore inférieure et bien plus disgracieuses. Ce n'était pas non plus la flèche d'un Nain sans quoi elle aurait été plus courte, les naugrim n'utilisant pas d'arcs longs.

- Ce trait a pu être décoché par un humain... ou par un elfe, affirma-t-elle enfin. Ou tout du moins est-ce comme ça que je vois la chose à l'aune de mes faibles connaissances en armes.

À mesure qu'ils avançaient vers le sud et qu'ils se rapprochaient de leur but, les tours de garde devinrent de plus en plus angoissants. Ils n'avaient pas subi d'autre attaque depuis l'épisode sur les reliefs mais la sensation d'être épié, d'être attendu tout au bout de leur périple allait grandissante dans leurs cœurs. Tatië ne parvenait pas à définir s'il ne s'agissait que d'une impression, comme une illusion créée par leur imagination exacerbée, ou bien si c'était là le juste pressentiment d'un danger qui les guettait. Autrement dit, leur agresseur en avait-il fini avec eux, ou attendait-il de les piéger au moment opportun ? Vaste question à laquelle Tatië aurait bien aimé avoir le loisir de réfléchir pour la tirer au clair, ou au moins pour voir se profiler un semblant de réponse. Mais sa concentration était loin d'être parfaite et son esprit ne cessait de dériver vers une autre pensée. En fait, les scènes où Isilo l'avait enlacé de ses bras et serrée contre lui revenaient dans sa tête. En particulier la dernière qui n'était pas arrivée sous le coup de l'action. Cet homme était doté d'un grand esprit et d'une vision du monde rassurante, chaleureuse, presque enivrante. Elle avait pour lui une grande estime, et trouvait plus facile de parcourir le monde à ses côtés qu'avec n'importe qui d'autre. Bénie était l'heure où il était venu de son fief, et celle où elle avait choisi de répondre à son appel...

Le trio finit par trouver le cours du Sirannon, rivière sombre et sinistre d'une largeur modeste qui descendait des Monts de la Moria et qui parcourait une partie d'Eregion. Ils ne traversèrent pas mais se tournèrent en direction du sud-est vers l'aval du cours d'eau.

- Regardez !

Loin en contrebas, Tatië indiquait du doigt des formes sombres et déchiquetées qui ressemblaient à des ruines. En fait, elles avaient une forme générale presque circulaire, et gisaient sur la rive opposée à celle où ils se trouvaient. Une autre rivière, bien plus importante, confluait avec le Sirannon juste après les ruines tant et si bien qu'elles avaient l'air coincées dans un angle formé par les eaux.

- Ost-in-Edhil, mîn Glanduin a Sirannon... *

En disant ses mots, un mélange de soulagement et de dégoût était apparu dans sa voix. Elle était satisfaite d'arriver en vue de leur destination mais l'atmosphère qui se dégageait du lieu, même à cette distance, ne lui plaisait pas du tout. Elle ressentait le poids de l'Histoire et des mauvaises choses qui s'y étaient passées. Elle imagina les belles tours qui tombaient sous les attaques de la soldatesque sauronienne ; elle imagina les Noldor fuyant tant bien que mal à travers la rivière, quittant la demeure qu'ils avaient appris à aimer ; elle imagina Celebrimbor empalé sur sa pique et agité en l'air comme une bannière macabre. Avec un rictus d'horreur qu'on ne lui avait encore jamais vu, elle tourna la tête vers Luin puis vers Isilo pour se rassurer, espérant trouver la force nécessaire dans les yeux de son ami. Elle n'aurait pas cru qu'il faille autant de courage pour aller affronter les ombres du passé...



* Ost-in-Edhil, entre Glanduin et Sirannon


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMar 6 Sep 2016 - 20:26
Tatië était loin d'être sereine. Elle ne pouvait définir elle-même ce qui lui faisait le plus peur, l'atmosphère sinistre et désespérée qui se dégageait de la vallée du Sirannon et qui grandissait à mesure que leurs pas les poussaient en avant, ou bien l'assassin potentiel qui courait en toute liberté dans les parages, les épiait peut-être et pensait à eux sûrement. Elle alla jusqu'à se demander si elle n'aurait pas mieux fait de tenir sa langue lors du colloque dans la charmante salle du Feu de Fondcombe, de laisser l'idéaliste Seigneur de Limeclaire partir pour ses pérégrinations comme bon lui semblait et de rester elle-même à sa place dans les appartements de la noblesse elfique, au confort restauré. Elle eut bien vite honte de ses pensées couardes et préféra détourner la tête du côté de la rivière plutôt que de prendre le risque qu'Isilo puisse lire ses cogitations dans son regard. Elle n'obtint aucun réconfort dans la contemplation des tristes eaux du Sirannon, qui lui rappelèrent simplement que, tout comme son courant, le trio se dirigeait inéluctablement vers l'ancienne capitale nimbée de mystères.

La Pierre de Guérison. La Pierre des Aigles. Pour se donner du courage, elle tâcha de concentrer ses pensées sur le but de leur périple, sur ce pourquoi ils étaient venus jusqu'ici et continuaient de marcher. L'exercice mental ne fut pas parfait, mais au moins le positif vint se mêler au négatif et rendit ces moments plus supportables.

Plus ils avançaient, et plus la tache sombre des ruines d'Ost-in-Edhil paraissait grandir et accaparer leur champ de vision. Bien qu'elle s'y attendît, Tatië fut choquée de voir que l'ancienne cité des Mírdain n'existait plus que dans l'horizontalité et non dans la verticalité. Plus encore que le temps, ce devait surtout être la destruction de la forteresse par Sauron qui avait éliminé aussi nettement le relief du bâti. Si le voleur d'I Mîr o Nestad se cachait par ici, ce devait obligatoirement être dans un lieu souterrain, à moins qu'un bloc de pierre un peu plus gros que les autres n'ait pu lui tenir lieu à la fois de murs et de toit... Cela expliquait pourquoi Ilmendil et les Aigles n'avaient pu dénicher celui qui avait dérobé leur bien, et ce même en sachant qu'il se terrait là : pénétrer dans les entrailles d'Ost-in-Edhil était au-delà de l'habileté de ces grands volatiles, tous bénis de Manwë qu'ils fussent.

Le trio finit de longer la rive septentrionale du Sirannon et arriva au pied des ruines. Au pied des ruines... mais hélas du mauvais côté du cours d'eau. Dame Tatië remarqua que des dents de pierre émergeaient ça et là, usées et irrégulières, de l'eau devant eux.

- On dirait les anciens piliers d'un pont. Ou plutôt ce qu'il en reste. Ce n'était pas du tout comme ça quand j'ai...

Elle n'osa même pas terminer sa phrase tant ce qu'elle allait dire lui paraissait sot tout à coup. Quand j'ai regardé la carte, voulait-elle dire. Oui, elle se souvenait d'une carte qui était encadrée sur l'un des murs de la grande bibliothèque d'Imladris, probablement dans la partie de la salle dédiée à la géographie d'Arda.


Tombent les murs, demeurent les fondations Oie10


Elle l'avait contemplée souvent et bien qu'elle n'eût alors qu'un intérêt purement intellectuel, elle se souvenait assez bien des traits dessinés sur le vieux papier. Cette carte n'avait sans doute pas résisté aux récents saccages car la noble n'avait pas pu y remettre la main dessus avant leur départ. Or dans son enthousiasme elle avait espéré que le pont qui se trouvait en haut à gauche ait pu, même en ruines, leur permettre de traverser à gué. Non, les pierres d'ouvrage étaient depuis longtemps au fond des flots et les restes des piliers étaient trop espacés pour pouvoir sauter de l'un à l'autre. En tout cas pour le Seigneur et la Dame. Luin, dans sa force et son agilité de guerrière, le pouvait peut-être... mais Tatië en doutait fort.

Son malaise s'accrut jusqu'à devenir une inquiétude véritable. Elle n'aimait guère l'idée de rester trop longtemps à découvert, à cogiter sur le meilleur moyen de passer de l'autre côté. Elle regarda en arrière, puis en avant en direction des ruines, puis de nouveau en arrière. Et tout comme quelques heures plus tôt, elle ne parvint pas à définir ce qui lui faisait le plus peur : les dangers qui les attendaient peut-être à l'intérieur ou celui qui rôdait à l'extérieur.


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 8 Sep 2016 - 1:04
Alors qu’elle observait les alentours, le regard de Tatië fut soudainement attiré par une petite silhouette rouge qui se dirigeait vers eux à une vitesse impressionnante. Les voyageurs n’eurent pas le temps de réfléchir et se contentèrent de dégainer leurs armes pour faire face à l’assaillant mystérieux. Lorsqu’il n’était plus qu’à une dizaine de mètres d’eux, l’inconnu trébucha soudainement sur une racine, et termina sa course à quatre pattes. Etonnés, les aventuriers purent s’apercevoir qu’il s’agissait d’un Periannath, d’un habitant de la Comté. Ses yeux verts émeraude remplis de crainte et des brindilles coincées dans ses cheveux blonds en bataille, le petit homme vêtu d’une magnifique veste rouge se réfugia, toujours à quatre pattes, derrière les jambes d’Isilo, en s’écriant :

-Au secours ! Les elfes ! Ils veulent ma mort ! A l’aide !

Puis il leva son regard, et en apercevant pour la première fois les oreilles pointues de ses supposés sauveurs, il lâcha :

-Mm..mais vous êtes des elfes ?! C'est un complot!

L’hobbit tomba en arrière sur ses fesses, et dégaina maladroitement le court fauchon qu’il portait dans le dos, le tenant devant lui d’une main tremblante.

-Je ne mourrai pas sans combat !


Toute tentative de dialogue s’avéra impossible lorsqu’une flèche siffla à côté de l’oreille du hobbit. Une flèche empennée de plumes d'aigle…S’il n’avait pas bougé une seconde plus tôt en reculant devant Luin, le projectile étincelant se serait planté dans son crâne. L’archer tirait pour tuer, mais il avait clairement choisi comme proie le malheureux Periannath plutôt que les elfes qui auraient représenté des cibles plus faciles. Alors que le semi-homme restait bouche bée après avoir frôlé la mort, Isilo, Tatië et Luin n’avaient pas de temps à perdre. Ils ne pouvaient pas se permettre de laisser le tireur en liberté. Cela faisait deux fois qu’ils échappaient de peu à ses flèches, la troisième rencontre s’avérerait sans doute fatale. Il fallait se débarrasser de celui qui les traquait. Leurs yeux d'elfes leur permirent d'identifier l'assaillant au loin. Ils purent apercevoir l’archer vêtu de brun et de gris escalader un arbre avec l’agilité d’un écureuil, puis sauter vers les branches de l’arbre voisinant, essayant clairement de les semer. Auraient-ils le temps d’agir avant qu’il ne disparaisse pour de bon? Un hobbit apeuré et un archer solitaire avec des tendances meurtrières, qui croisent le chemin de trois elfes parmi les ruines d'une cité antique? Cela n'avait aucun sens...il leur fallait des renseignements.


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMer 21 Sep 2016 - 15:16
Tombent les murs, demeurent les fondations Femme_10

La flèche avait manqué son but. Aujourd'hui, sur ces plaines où ne soufflait pas le moindre vent, la mort avait décidé de passer son chemin et de laisser les trois aventuriers en paix. Pourtant, la violence et la soudaineté de l'attaque avaient laissé sur leurs esprits une marque indélébile, faisant prendre à leur voyage des colorations nouvelles. Plus sombres. Isilo et Tatië prenaient peu à peu conscience des enjeux de leur mission, et des difficultés qui pesaient sur eux désormais. Ils n'échapperaient pas au jeu de massacre dans lequel leurs ennemis cachés les avaient traînés d'une main de fer, et dorénavant ils dansaient eux aussi. Ils dansaient dans une ronde endiablée, cherchant à échapper le plus longtemps possible au dernier voyage, celui qui les cueillerait à l'aide d'une pointe argentée et les mènerait sur les rives de Valinor où ils demeureraient pour l'éternité et au-delà.

La guerrière, quant à elle, faisait preuve d'un calme surprenant compte tenu des circonstances. II fallait dire qu'elle en avait vu d'autres, et que sa frustration naissait simplement du fait qu'elle n'avait pas été en mesure de capturer l'auteur du tir, qui pouvait revenir à n'importe quel moment pour achever son sinistre travail. Elle considérait cela comme un échec personnel, et s'en voulait de n'avoir pas été plus rapide, de ne pas avoir mieux anticipé pareil danger. Elle avait été à deux doigts de perdre le contrôle de la situation, et leur salut venait simplement du fait que le tireur embusqué avait décidé de battre en retraite. Pour le moment. Alors, incapable de trouver le sommeil, elle montait la garde avec une attention redoublée, s'assurant que rien ne viendrait troubler son quart. Elle partageait ses pensées entre le monde plongé dans un calme irréel autour d'elle, et son bras blessé qui la faisait souffrir. Elle n'avait rien dit à ses compagnons de ce qu'elle ressentait précisément, et par sa seule attitude elle avait réussi à les pousser à se préoccuper de choses plus importantes. Rester alertes, rester actifs, prêts à subir une nouvelle attaque, définir un périmètre de sécurité, une zone de repli… Voilà quelles étaient les choses qui allaient les maintenir en vie. Une égratignure n'avait, à côté, aucune valeur. Mais maintenant qu'ils prenaient un repos bien mérité, essayant de dormir malgré la pression, elle avait détaché sa cuirasse et abaissé sa manche pour observer les dégâts. Fort heureusement, ce n'était rien de grave, et elle pouvait aisément couvrir la petite plaie avec les quelques bandages qu'elle avait pris soin d'emporter avec elle. La douleur lancinante lui tirait fréquemment un petit rictus dont seules les étoiles étaient témoin en cette nuit fraîche mais calme.

Cependant qu'elle pansait son bras, elle ne pouvait s'empêcher de réfléchir et de repenser à ce qu'Isilo lui avait dit. Les mots qu'il avait prononcés tourbillonnaient dans son esprit comme une tempête dans un verre d'eau, et elle n'arrivait pas à prendre suffisamment de recul sur la situation, curieusement. Il avait déclaré vouloir la voir revenir vivante de cette mission, la voir survivre à la quête dans laquelle elle s'était engagée pour lui. Il l'avait regardée dans les yeux, avec une intensité telle qu'elle n'avait pu que baisser le regard et hocher la tête positivement, incapable en réalité de lui refuser cette promesse.

Même si…

Elle était rapidement passée à autre chose, principalement pour s'épargner d'avoir à justifier la raison pour laquelle ses joues s'étaient soudainement empourprées. Elle avait senti le rouge lui monter aux joues, et elle avait rapidement fait en sorte de se concentrer sur d'autres tâches plus importantes, mais sa réaction la surprenait elle-même. Elle n'avait jamais été du genre à s'émouvoir, et elle avait souvent eu l'occasion d'entendre des mots de soutien qui, pourtant, ne l'avaient jamais touchée autant. Maintenant qu'elle avait un peu de temps pour y penser, elle essayait de remettre de l'ordre dans ses idées qui étaient curieusement confuses. Isilo était un seigneur Elfe, quelqu'un à qui elle n'aurait jamais dû pouvoir adresser la parole avec autant de familiarité. Elle le craignait dans un sens, car elle voyait en lui l'incarnation de tout ce qu'elle n'était pas. Ils appartenaient à deux groupes tellement différents, et ses immenses connaissances sur tous les sujets possibles n'étaient que la manifestation la plus parlante de leur différence de statut. Il n'y avait pas que cela : il paraissait toujours si altier et si plein d'enthousiasme, alors qu'elle portait péniblement tout le malheur d'Arda sur ses épaules, en faisant en sorte de ne pas trop le déranger. Pourtant il s'échinait à casser la distance, à faire preuve de gentillesse vis-à-vis d'elle, et à prendre soin de ses émotions. Il n'agissait pas comme un chef donnant des ordres et attendant que ses subalternes les exécutassent avec diligence. Il n'agissait pas non plus vraiment comme un ami, car il respectait son silence et il s'efforçait de lui laisser l'espace dont elle avait besoin. Il agissait davantage comme... Eh bien... Elle ne savait pas trop comment qualifier son attitude. Elle passa une main sur son visage, et s'efforça de chasser ces pensées parasites. Elle s'imaginait des choses.

Revenant à son observation méticuleuse du paysage, elle continua de veiller sur ses seigneurs jusqu'à la fin de son tour de garde. Le seul mouvement de sa part était celui de sa main qui massait nonchalamment son épaule blessée, en essayant de s'habituer à la douleur désagréable qui lui donnait des picotements dans les doigts.


~ ~ ~ ~


Les jours qui suivirent furent paisibles, bien que Luin ne baissât jamais complètement sa vigilance. Ils avaient fait un petit détour pour trouver de quoi la soigner plus convenablement, malgré ses réticences à rallonger leur voyage pour un besoin aussi trivial. Isilo et Tatië avaient cependant insisté pour arriver entiers et en forme à Ost-in-Edhil, et elle n'avait pas trouvé comment les convaincre du contraire. Puis ils avaient continué leur progression, toujours sur le même rythme. La guerrière, quoique légèrement blessée, menait toujours la marche, ouvrant la voie à ses deux protégés qui la suivaient et obéissaient à ses rares directives. Ils avaient pris conscience de la nécessité de respecter une chaîne de commandement efficace dans les situations périlleuses, et ils lui faisaient de toute évidence confiance pour les mener à destination en un seul morceau, ce qui n'était pas une mince responsabilité. Quoi qu'il arrivât, ils avaient toute autorité sur elle, mais elle avait été recrutée pour son expertise particulière du combat, et ils se rangeraient volontiers derrière ses directives, particulièrement car elle n'en abuserait jamais.

Toutefois, elle n'eut pas besoin de tirer l'épée de tout le reste de leur chemin jusqu'aux abords de la cité perdue des Elfes, bien que le chemin fût relativement plus long que prévu. Elle avait cru, en voyant se dessiner au loin les contours rugueux des ruines de la ville, que celle-ci serait facile à atteindre, et qu'ils étaient bientôt arrivés à destination, mais elle dut se rendre à l'évidence. Les Elfes d'antan avaient construit une forteresse colossale qui, même si elle avait été détruite par la furie d'esprits malveillants et par les griffes impitoyables du temps, demeurait immense à tous les niveaux. Les jours de marche se succédèrent, longs et monotones, seulement ponctués par la bonne humeur des deux seigneurs qui paraissaient plus proches que jamais. Luin se tenait soigneusement à l'écart des conversations qui ne la concernaient pas spécifiquement, mais écoutait d'une oreille pas si distraite les discussions qu'ils échangeaient. Elle ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une petite pointe douloureuse dans sa poitrine chaque fois qu'elle percevait le rire cristallin de Tatië faire écho à un trait d'humour du seigneur de Limeclaire. Elle s'était même prise une fois à vouloir accélérer l'allure simplement pour ne plus avoir à subir cette torture.

Le manque d'action était définitivement en train de la rendre folle, et elle-même commençait à percevoir les ondes étranges qui émanaient de la sinistre forteresse. Son esprit n'était pas suffisamment affûté pour lui permettre de percevoir la menace aussi clairement que Tatië ou Isilo, pas davantage qu'ils ne pouvaient discerner la nature profonde de ce qui les menaçait. Pourtant, elle avait un mauvais pressentiment qui mettait en éveil son instinct de guerrière. Elle regardait fréquemment par-dessus son épaule, comme si un esprit animé d'intentions hostiles guettait chacun de ses pas et attendait le moment propice pour la frapper. Son inquiétude croissante n'était que le reflet du malaise que ressentait la compagnie à mesure qu'ils approchaient de la cité. Leur sentiment diffus se transforma en une véritable désillusion lorsqu'ils se rendirent compte que leur chemin était barré par le cours d'eau qui semblait se dresser comme un obstacle infranchissable. Ils n'avaient aucune idée de sa profondeur, mais sa seule vitesse le rendait dangereux. Debout sur les berges, les pieds enfoncés dans une terre sablonneuse, ils se mirent à observer les alentours à la recherche d'une idée qui leur permettrait de rejoindre l'autre rive. Tatië manifesta à haute voix sa déception, mais elle fut la première à repérer les restes d'un pont qui avait dû servir à enjamber la rivière des siècles auparavant. Il n'en restait que des ruines qui avaient miraculeusement survécu au passage du temps, et qui les narguaient en se tenant résolument hors de leur portée.

- Il y a peut-être un moyen… Souffla Luin moitié pour elle-même.

La guerrière fit tomber son sac de ses épaules, en réprimant difficilement une grimace de douleur. Le cataplasme avait bougé légèrement, et frotté sur sa plaie, jetant une onde de douleur qui lui brûla le bout des doigts. Elle ne s'arrêta pas pour si peu, et sortit une longue corde de son barda, avant de s'employer à y faire un nœud coulant. Si elle pouvait la lancer suffisamment loin pour l'enrouler autour du premier pilier, elle pourrait leur assurer une traversée relativement rapide à défaut d'être confortable. Ils auraient besoin de s'immerger dans les eaux du fleuve, mais au moins ils s'épargneraient de devoir chercher un gué où ils pourraient traverser sans encombres. Un genou au sol, elle s'employa à nouer le morceau de corde convenablement, essayant d'estimer la largeur nécessaire pour passer tour autour du premier pilier. Il lui faudrait très certainement plusieurs essais pour parvenir à atteindre sa cible, après quoi elle devrait vérifier la résistance du pilier qui, il fallait l'espérer, ne se briserait pas sous la première traction. Les deux autres Elfes la regardaient faire, discutant à voix basse de leurs options et de la suite des opérations.

Mais rien ne se passa comme prévu.

En un instant, la situation bascula de nouveau, rendue chaotique par l'arrivée d'un petit homme tout de rouge vêtu qui s'immobilisa devant eux en apportant avec lui de la confusion, et une nouvelle menace. La vision de son arme dégainée incita immédiatement Luin à abandonner ce qu'elle faisait et à brandir sa lame argentée. Ce fut alors qu'ils repérèrent l'archer, lequel était d'une rare souplesse. Il était en train de s'échapper sous leurs yeux, escaladant les arbres avec un mélange exceptionnel de grâce et de force. La guerrière abaissa son bouclier, et se tourna vers le semi-homme, qui paraissait perplexe. Avec une rapidité et une puissance saisissantes, elle frappa son fauchon et l'envoya valdinguer au loin, laissant le frêle personnage totalement désarmé, à la merci de la pointe qu'elle glissa sous sa gorge. Puis elle se tourna vers ses compagnons :

- Sire, nous devons tuer l'archer. Tous les trois.

Luin était d'une froideur incroyable, mais elle n'avait pas tort dans un sens. Elle ne parviendrait pas, seule, à casser la distance entre elle et un tireur embusqué qui pouvait aisément l'étriller. A l'inverse, s'ils l'attaquaient tous ensemble, ils pouvaient facilement le prendre en tenaille. Isilo et Tatië n'auraient qu'à se débrouiller pour esquiver ses tirs, tandis qu'elle et son bouclier se fraieraient un chemin jusqu'à l'assassin pour mettre un terme à ses agissements. Cependant, la fièvre guerrière que ressentait la jeune femme ne s'apaiserait pas avec une seule vie. D'une voix dure comme le diamant, elle grogna :

- Laissez-moi déjà tuer celui-ci, et je vous rapporterai la tête de l'archer.

Superbe et hautaine, elle toisait le Hobbit de toute sa hauteur. Il pouvait sentir la pointe acérée sur sa peau, et la langue glacée de la mort lui embrasser le cou.


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyLun 3 Oct 2016 - 23:36
C’était comme si les étoiles là-haut doublaient d’effort afin de briller d’un bleu plus éclatant. Dans leur froide immobilité, exactement où la grande Dame Varda leur avait ordonné de se tenir et de ne jamais oublier les marques du temps, elles tenaient le terrain qu’il leur restait en ces étendues de guerre, comme pour faire croire aux visiteurs que la honte des événements passés ne les atteignait guerre. Blindées par d’incalculables lieues, elles affichaient cependant une lueur qui contrastait avec le voile d’obscurité qui tapissait la vieille cité, lueur qui, selon Isilo, devait ressembler à celle qui rendait le visage d’Elentari si réconfortant. Les murmures des eaux à l’heure où le soleil se faisait absent, mélangés aux pas lents et prudents de la compagnie avaient eu un effet hypnotique sur le seigneur de Limeclaire, qui se surprenait parfois à écouter la voûte céleste vibrer dans des fréquences perceptibles que par un esprit endormi au lieu de suivre les directives de Luin. Alors, quand les mirages de ce monde qui les entourait ne pouvaient plus faire compétition à la réalité sauvage et imprévisible de leur voyage, Isilo usait de ses outils mentaux de manière à se concentrer sur les femmes avec qui il avait parcouru tant de chemin, semblait-il, jusqu’à présent. Il pensait à elles.

À côté de lui, en synchronie parfaite, sa dame Tatië dans une splendeur qui changeait au rythme des rayons d’Isil et d’Anor, de leurs jeux de lumière. Aux yeux d’Isilo, cette dame représentait tout ce qu’il avait toujours admiré d’une femme : la connaissance de soi et du monde, une aura maternelle réconfortante, une simplicité et, surtout, un sourire magnifique. Le Noldo, beaucoup plus jeune que sa dame, avait toujours eu un faible pour la beauté inhérente à la nature et une attirance toute spéciale pour les fleurs, la rosée et les cascades. Or, le sourire de Tatië, selon Isilo, provenait de la même chanson que ces petites choses pour lesquelles il vouait une fervente fascination. Certes, ils étaient des Quendi, des Premiers-Nés et donc, par défaut, des êtres d’une beauté unique, mais aux yeux du seigneur de Limeclaire, Tatië était un individu encore plus rare au sein de son peuple. À travers cette longue aventure, d’Imladris au Haut-Col, puis jusqu’ici, le dévouement qu’il avait envers cette femme n’avait fait que s’enraciner dans le terreau le plus profond de son cœur. Pour lui, aimer avait toujours été quelque chose de très naturel que ses parents lui avaient appris à ne pas mélanger à la gêne ou à l’envie. Ainsi, Isilo, si on lui demandait, était en mesure de dire qu’il aimait Tatië et que sa vie avec elle ne serait qu’embellie.

Face à eux, la femme à qui ils emboîtaient le pas était une espèce particulière, dont les arômes floraux de sa féminité avaient été mélangés à l’odeur du sang trop de fois. Aux yeux de son seigneur, Luin était une créature particulière, à laquelle on pouvait s’attacher si on arrivait à percer la carapace de la vie qui se blinde contre la mort. Oui, Isilo aimait sa compagnie et même ses froids silence où parfois il percevait des émotions pures comme celles d’un enfant. Oui, Isilo aurait voulu la prendre dans ses bras ces nuits où la jeune femme avait pleuré, puis cessé quand son corps n’en avait plus la force. Aussi, il aurait voulu pouvoir descendre du ciel comme son ami Ilmendil, la prendre dans ses ailes et l’emmener dans une clairière de Limeclaire pour qu’elle prenne un bain de soleil, loin du métal et des vies qui se fracassent. De plus, elle et lui avaient passé presque le même nombre d’années en Ennor, mais la différence de leurs destins avait touché Isilo profondément dans une zone sensible de son être. Pour cette raison, il avait surpris la tristesse lui déborder des yeux quand il pensait aux horreurs que cette femme si belle avait dû endurer. Bien que de classes totalement différentes, Isilo sentait qu’il devait être la personne qui lui montrerait l’amour, la paix d’un foyer familial et le calme d’un esprit qui ne désire pas le sang. Quand elle osait confronter son regard, Isilo la désirait près de lui.

Mais, une fois de plus, la vie rappelait à Isilo que l’instinct du prédateur n’était pas facilement domptable et qu’il fallait user de patience. Craignant la rage d’un guerrier qui a trop longuement attendu de frapper, Isilo ne sut s’approcher de leur protectrice et du Petit-Homme, qui était proie à la décapitation. Par contre, l’adrénaline se mêla à un tantinet de raison.

- Il n’est plus armé Luin, épargne-le.


Isilo se jeta à genoux par terre et écarta de sa main la lame qui brûlait d’une soif ardente de sang. Dans les yeux de leur garde-du-corps il ne voyait pas une Elfe, car cette dernière était cachée derrière les cris et la guerre. Ainsi, comme il ne la trouva pas, il porta plutôt son regard vers la petite créature figée d’horreur. Ne percevant pas la malice dans leur captif, Isilo tenta d’apaiser sa propre respiration et de transmettre ce calme aux alentours afin d’au moins éviter plus de blessures inutiles.

- Nous ne te tuerons pas, toi que la vie a placé dans une position fort peu recommandable. Crains la griffe de cette femme qui me protège moi et les miens, car si tu bouges elle te tuera, mais n’aie pas peur de celui qui te parle.

Isilo leva les yeux en direction de l’obscurité qui voilait leur assaillant et cru comprendre que ce dernier avait déjà pris la fuite. Certes, le momentum de l’instant le poussa à mettre la main sur son épée et tenta de l’aspirer vers la profondeur de la forêt, mais quelque chose lui disait qu’ils ne rattraperaient pas l’archer. Par contre, à la vue de Luin dont les veines étaient gorgées de rage guerrière et de sa dame qui courait déjà en direction de l’archer, tel qu’ordonné par la spécialiste en la matière, Isilo se leva en laissant à contrecœur le hobbit sur l’étendue gazonneuse et terreuse. Il se précipita dans les bois, en s’efforçant de zigzaguer d’un rocher à l’autre, puis d’un grand arbre à une autre cachette de manière à se protéger d’un féroce projectile, qui, il le savait, pourrait le tuer. Pour une des rares fois dans sa vie, il mettait à profit ses sens elfiques, qui pouvaient arriver à discerner le mouvement dans la pénombre, la chaleur d’un corps dans le froid de la nuit et à prévenir le danger avant que ce dernier n’effectue une frappe fatale. Bien qu’en danger de mort, une partie de lui semblait revivre alors que ses instincts primaux faisaient surface. Ainsi, il décida d’embrasser ces décharges d’adrénaline, chose qu’il fit maladroitement probablement, comme il n’était ni un chasseur, ni un archer et ni un guerrier.

Ayant plus ou moins volontairement pris une direction différente de celle de Tatië, il se rendit compte, alors qu’il reprenait son souffle et que sa poitrine se faisait plus lourde que jamais, que sa dame semblait être suffisamment loin de lui pour qu’il ne puisse pas attendre ses pas, ni sa respiration. Isilo paniqua et perdit le contrôle de ses pensées. À ce moment-là, quand ses pensées étaient comme des feux d’artifices que l’on lance dans toutes les directions, Isilo se retrouva né à né avec ses démons et ces choses que la méditation avait neutralisés. Dans ce désespoir soudain, il se sentit à nouveau comme le petit Isilo face au loup, face au mal, rien qu’eux. Il eut peur de perdre sa mère, même si elle était déjà perdue, depuis tellement de temps. Il eut peur de ne pas revoir Limeclaire ou le ciel du matin qu’Ilmendil lui avait montré. Il eut peur de perdre Tatië et Luin.

Essuyant des larmes que même la sueur ne diluait pas, il lâcha un cri dans la langue de ses géniteurs, comme, on aurait dit, pour reprendre ses esprits.

- Ion alag o Morgoth, lasto nin! (Sauvage fils de Morgoth, écoute-moi !)

Le jeune seigneur ravala la salive qui lui restait dans sa bouche séchée par la course et la fatigue et, fronçant les sourcils d’une colère qui venait plus de la confusion et de l’épuisement que de la haine, projeta dans la forêt un :

- Je viens chercher ce que tu protèges, alors tue-moi avant que je ne t’en défasse !

Sortant de sa cachette, il leva les yeux vers la canopée et discerna le mouvement en altitude.


Dernière édition par Isilo le Jeu 6 Oct 2016 - 1:15, édité 1 fois
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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMer 5 Oct 2016 - 20:50
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Courir au milieu des arbres à la poursuite d'un ennemi sautant d'une branche tortueuse à une autre aurait presque pu être le thème d'un de ses cauchemars. Car Tatië était devenue sujette aux mauvais rêves depuis son arrivée sur le littoral de la Terre du Milieu. Elle n'en faisait sans doute pas plus qu'un autre, et peut-être même moins que la moyenne des gens – elle ne s'était jamais posé la question – mais le fait est que le profond sommeil immaculé dont elle jouissait dans sa jeunesse à Tirion n'était plus qu'un souvenir. Bien des fois par contre, elle s'était posée la question de savoir si elle pouvait retrouver cet état de quiétude parfaite en faisant le voyage inverse... Mais aujourd'hui, l’important n'était pas là. Elle était happée presque contre son gré dans une chasse qui avait tout de cauchemardesque au vu de son tempérament et de ses habitudes. Et paradoxalement elle sentait une émotion étrange la parcourir, se répandre dans son thorax et son abdomen pour la faire respirer plus efficacement, se diffuser jusqu'à ses orteils pour faire avancer ses jambes plus vite. Elle n'avait pas saisi la longue dague elfique qu'elle avait emportée par sécurité, mais dans un coin de sa tête une petite voix lui susurrait de la retirer de son fourreau de cuir. L'exaltation procurée par le risque était en train d'opérer.

Mais les traits de personnalité habituels de la Dame n'avaient pas abdiqué pour autant. Sagesse, tempérance et réflexion étaient tellement ancrées en elle qu'elles avaient le pouvoir de ressurgir à tout instant pour la rappeler à l'ordre. Ce qui, fatalement, arriva dès l'instant où elle prit conscience que son ami Isilo n'était plus visible à ses côtés. Elle avait entendu avec un frisson ses phrases courroucées. Elle réalisa soudain pleinement dans quelle situation incertaine elle se trouvait et cela l'obligea à poser son esprit et à réfléchir, tout en essayant de poursuivre sa course en suivant les bruits légers que produisaient les sauts de leur proie, ainsi que les quelques feuilles qui tombaient mollement des branches où celle-ci s'était appuyée un instant plus tôt.

Deux fois.

Deux fois ce mystérieux agresseur s'était approché d'eux. Deux fois il avait bandé son arc et décoché, deux fois il était passé tout près de son but mais n'avait pas réussi à l'atteindre. Et deux fois il s'était enfui. Il était habile mais pas au point de ne pas connaître l'échec. Etait-il de ceux qui, éblouis par leurs propres qualités se croient habilités à jouer les maîtres, à faire croire que rien ne peut les atteindre alors qu'il ne s'agit que d'une façade, d'une apparence qu'ils ne peuvent tenir indéfiniment faute de talent ? Ou son plan était-il établi depuis le début et exécuté sur le bout des doigts, auquel cas cette maladresse et cette couardise étaient délibérées et participaient à son dessein ?

Cette dernière pensée fit frémir Tatië. Elle avait réagi instinctivement dès que Luin avait conseillé, ou ordonné, de prendre ensemble le fuyard en chasse afin qu'elle, Luin, ait une chance de l'occire. Mais maintenant elle avait peur. Peur que tout ceci ne soit qu'une ruse, un piège tendu et savamment orchestré par cet elfe – puisque de toute évidence il en était un – afin de les éloigner de son repaire et d'y revenir en tapinois s'y terrer à jamais, une fois qu'il les aurait perdu dans cette forêt.

Non, ce ne pouvait être ça, c'était ridicule. Sur le territoire d'Eregion ne croissait aucune forêt dont l'étendue eut pu dérouter des voyageurs à tout jamais.

L'archer avait donc dû réellement être surpris de tomber sur le groupe tandis qu'il s'amusait à chasser ce pauvre hobbit apeuré, et avait fui pour sauver sa peau. Tout simplement. C'était la seule explication plausible que la dame pouvait trouver sans un bon feu de cheminée et une tasse de suthlas... Pour autant, fallait-il...

- Isi...

Elle se ravisa. Isilo ne commettrait pas un tel acte à moins qu'il ne se trouvât en situation de légitime défense, et elle le savait. C'est la guerrière implacable qu'elle devait héler.

- Luin !

Elle avait crié avec autant de force que le lui permettait sa voix fine et sa respiration haletante, tant et si bien que son timbre s'en trouva éraillé et disgracieux au possible.

- Il faut le prendre vivant ! ...

Elle dut interrompre sa phrase pour reprendre son souffle, tout en continuant d'avancer entre les troncs ternes et torturés des arbres.

- Il peut nous être utile ! ...

Elle crut qu'elle allait tomber d'asphyxie mais elle fit l'effort incroyable de terminer ce qu'elle avait à dire. Sans quoi Luin ne verrait jamais comment un ennemi pouvait se révéler plus utile vivant et bien portant que découpé en deux au niveau du larynx.

- L'entrée est sûrement cachée !


Sentant un vertige la saisir, elle trouva plus raisonnable de ne plus rien ajouter et de se concentrer sur ses inspirations et expirations. Elle continua néanmoins de courir. La garde-du-corps l'avait-elle entendue ?


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Ryad Assad
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMar 25 Oct 2016 - 1:32
HRP : Avec toutes mes excuses pour le long long retard !
__________


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Epargner le Semi-Homme ? Pourquoi faire ?

Luin tremblait d'une rage contenue difficilement maîtrisable, comme si elle voulait déchaîner toute sa frustration sur la pauvre et misérable créature qui gisait devant elle. Son visage figé, comme celui d'une statue, était fendu par les deux puits de violence qui se trouvaient sous ses sourcils fins. La guerrière balafrée, Elfe au visage entaillé par la guerre, semblait ne pas être capable de retenir son bras d'épée. Le Hobbit, recroquevillé, terrorisé, et récemment désarmé, ne pouvait qu'assister impuissant à la discussion qui lui échappait totalement, mais dont la conclusion déciderait de son sort en ce monde. Mourir par la main d'une guerrière impitoyable, ou vivre encore pour devoir s'expliquer de toute cette situation auprès d'autres Elfes qui n'étaient peut-être pas moins belliqueux que les précédents. Voilà l'alternative qui semblait lui être proposée. Ou imposée, en l'occurrence. Finalement, ce fut la paix qui l'emporta sur la guerre. La lame argentée quitta le cou délicat du Hobbit, et il put recommencer à respirer normalement, conscient qu'il l'avait échappée belle. Toutefois, la combattante n'était pas apaisée pour autant, et quoique Luin eût beaucoup de choses à dire sur la situation dans laquelle ils se trouvaient, elle se rappela violemment quel était son rang, et qu'il n'était pas dans ses prérogatives de contester les décisions d'un de ses supérieurs. Même si la décision en question lui paraissait à la fois dangereuse et insensée.

Pourquoi l'épargner ? Se demanda-t-elle encore une fois.

Il ne pouvait rien leur apporter ou presque, mais il pouvait s'avérer être un véritable danger. Qui pouvait dire qu'il n'avait pas des intentions malveillantes et cachées ? Le tuer sur-le-champ leur épargnerait des soucis ultérieurs. S'il était là pour leur dérober leurs biens, ou des informations, ils prenaient un très gros risque en le laissant libre d'aller et venir. Un petit meurtre de sang froid pouvait les mettre à l'abri du danger plus sûrement que la négociation. Mais Isilo en avait décidé autrement, et elle ne pouvait pas aller contre sa volonté. La guerrière inspira profondément, en sentant tout à coup un dégoût d'elle-même glisser insidieusement sous sa cuirasse de froideur. Quelles étaient ces pensées cruelles et malsaines qui la guidaient sur un chemin bien sombre ? D'où lui venait cette fureur qu'elle maîtrisait à grand-peine ? Etait-ce… ? Etait-ce… ? Elle jeta un long regard à Isilo, alors qu'il s'adressait au Hobbit avec l'assurance d'un Prince. D'un Roi. Elle ne put s'empêcher d'éprouver une forme de honte, en s'étant ainsi laissée aller à de bien vils sentiments face à une personne qu'elle admirait, qu'elle estimait. Qu'elle… Non. Ses yeux durs et froids glissèrent un bref instant vers Tatië, avec beaucoup moins de chaleur, avant qu'elle ne vînt mettre un terme à leur hésitation en tranchant dans le vif du sujet, comme elle savait si bien le faire. Ils devaient agir, et vite. Avare de mots, comme à son habitude, elle se contenta de leur rappeler de manière laconique quel devait être l'objet de leurs pensées les plus immédiates :

- L'archer !

Ce simple mot parut ramener les deux Elfes dans l'instant présent, comme si convoquer leur ennemi pouvait leur faire prendre conscience du danger qui les environnait. Les malheurs qui s'étaient abattus sur eux, et qui par chance n'avaient pas trouvé comment prendre leur vie, couraient désormais au loin et cherchaient à s'échapper le plus rapidement possible. Il fallait mettre un terme aux agissements du tireur embusqué, car il ne manquerait pas sa cible s'ils devaient croiser sa route une troisième fois, alors que ses deux premiers échecs étaient déjà inexplicables. Luin ne s'étendit pas davantage en explications, et elle s'élança vers le tireur, ses yeux s'étrécissant légèrement comme ceux d'un prédateur focalisé sur sa proie. Le monde venait de prendre une coloration nouvelle, binaire. L'archer se découpait curieusement sur le paysage, comme s'il était entouré d'un halo lumineux qu'elle ne parvenait pas à quitter des yeux. Il était sa cible, et elle était la chasseresse déterminée à le mettre à mort. La connexion entre eux était aussi puissante que destructrice. Elle ressentait la présence de leur ennemi avec toutes les fibres de son corps, et ses foulées allongées mais régulières ne la fatiguaient pas, tant qu'elles la rapprochaient du moment où elle pourrait le transpercer. Elle était convaincue qu'Isilo et Tatië étaient sur ses talons, et ils devaient probablement imiter sa course qui décrivait des zigzags de plus en plus prononcés à mesure qu'elle cassait la distance. Quand elle voyait l'archer se retourner pour essayer de les localiser, elle bifurquait immédiatement, et accélérait de nouveau quand il lui laissait une ouverture.

Une première flèche fila à travers les arbres qui fournissaient un abri relatif, mais tirée de trop loin, elle se perdit dans le lointain en manquant très largement la guerrière qui poursuivait sa traque. Irradiant une énergie incroyable, Luin paraissait inarrêtable, déchaînée. Elle ne ressentait plus la fatigue, et son esprit était plus clair que jamais. Dans le feu de l'action, elle retrouvait la pleine possession de ses moyens quand les corps qui n'étaient pas habitués à fournir de tels efforts ressentaient exactement l'inverse. Là où Isilo et Tatië pouvaient éprouver des difficultés, elle se sublimait. Là où ils voyaient un obstacle, elle voyait un tremplin. Les courbes harmonieuses de la terre sous ses pas ne la jetaient pas au sol et n'agrippaient pas son pied avec méchanceté, mais au contraire lui fournissaient un tapis de velours sur lequel elle évoluait avec une grâce difficile à représenter. Elle était comme une danseuse de la mort, en perpétuel mouvement, portée par la musique de la guerre qu'elle seule pouvait entendre. L'archer se rapprochait, elle le sentait. Il avait désormais peur, car en dépit de tous ses efforts, il n'avait pas été capable de se débarrasser de la guerrière qui le talonnait, et qui venait chercher son dû désormais. Elle ignorait ce qu'il pouvait bien avoir contre eux, mais elle était déterminée à lui arracher la réponse, ou à l'enterrer à tout jamais. Elle ne le laisserait pas continuer à les espionner, à récupérer des informations les concernant, et à les menacer perpétuellement. La traque prenait fin aujourd'hui. Ici. Maintenant.

Toutefois, quelque chose d'inattendu se produisit. Elle entendit de nouveau la voix d'Isilo résonner, comme lorsqu'il s'était dressé contre la menace que représentait le tireur embusqué la première fois. Elle aurait dû le prévoir. Elle aurait dû prévoir qu'il tenterait quelque chose de ce genre, comme il l'avait déjà fait lors de leur première rencontre contre le tireur. Noble et fier, il ne pouvait pas rester les bras croisés, mais il luttait avec ses propres armes. Le verbe, la connaissance et la sagesse. Hélas, celles-ci n'avaient qu'une force limitée dans le domaine de la guerre. Une flèche parlait plus vite et plus douloureusement que n'importe quel poème. Leur ennemi, entendant cette voix également, s'immobilisa et chercha du regard la source de ce défi qui lui était lancé. Il ne tarda pas à le repérer, en même temps que sa plus proche poursuivante. Leurs regards accrochèrent simultanément la silhouette d'Isilo de Limeclaire, qui se dressait sans protection, attendant la mort sans paraître la craindre. L'esprit de Luin se retrouva alors confrontée à un dilemme infernal. Poursuivre sa course et essayer d'atteindre le tireur avant que celui-ci décochât une flèche pour abattre Isilo, une cible facile ? Ou bien courir vers le noble et essayer de lui sauver la vie, au risque de voir leur ennemi leur filer entre les doigts une nouvelle fois ? Elle s'immobilisa, perdue. Partagée entre son devoir et son impulsion violente, elle était absolument incapable de prendre une décision sensée.

Immobile au milieu de rien, elle se rendit compte trop tard qu'elle était aussi visible que son seigneur. L'archer n'était ni fou, ni idiot, et il choisit de reporter son attention sur la principale menace. Il aurait tout le loisir de clouer les autres au sol après. Elle plongea au sol brusquement en entendant un trait siffler dans sa direction, lequel la manqua de peu et alla se ficher dans le tronc d'un arbre qui se trouvait derrière elle, juste là où sa gorge s'était trouvée quelques instants plus tôt. Seul un réflexe de survie à peine volontaire lui avait épargné une mort douloureuse et ridicule. Roulant sur elle-même, elle perdit de vue son adversaire – première erreur – et ses alliés. Elle se mit à ramper dans les feuilles, et rejoignit un abri de fortune pour échapper à un nouveau tir mortel. Les arbres fournissaient un couvert relatif, et elle s'assit au pied d'un tronc suffisamment épais pour lui offrir une bonne couverture. Hélas, la situation venait de prendre un tournant inattendu. L'intervention d'Isilo avait rebattu les cartes, et les chasseurs étaient devenus la proie.

Luin inspira profondément, rassemblant ses forces et son courage, et se releva en brandissant son bouclier. Attentive au moindre mouvement dans la forêt, elle espérait sincèrement voir le prochain tir arriver avant qu'il ne la fauchât en plein élan. Un pas après l'autre, marchant légèrement baissée, elle reprit sa progression. Lentement. Très lentement.


~ ~ ~ ~


L'archer était peut-être seul, traqué et sur la défensive, mais il s'agissait d'un adversaire redoutable à ne pas sous-estimer. Elfe, à n'en pas douter, il n'était pourtant pas possible de le comparer à ceux qui le pourchassaient. Là où ceux-ci ressemblaient à des nobles portant de beaux habits et se déplaçant avec une grande prestance, il allait comme un félin au milieu de son domaine. Sûr de lui, vif et puissant, toute sa gestuelle était tournée vers l'efficacité brute. Une efficacité d'une grande beauté, naturellement, et ce fut avec une grâce certaine qu'il descendit de son promontoire, maintenant que ses cibles s'étaient cachées. Il avait réussi à rompre leur concentration, et quand il avait vu l'épéiste plonger au sol, il s'était lui-même dissimulé pour les prendre au piège. En faisant à peine plus de bruit qu'un souffle de vent dans les feuilles, il posa les pieds au sol délicatement, et fit sortir son poignard de son fourreau. La lame était simple, mais bien affûtée. Un outil davantage qu'une arme d'apparat, mais un outil qui avait fait ses preuves et qui le servirait bien. Il n'était plus temps de jouer désormais. Il avait tenté de semer ses poursuivants, en croyant à tort qu'ils étaient de simples humains venus se perdre dans cette région désolée, mais il s'était trompé. Il avait affaire à trois des siens, lesquels paraissaient suffisamment tenaces et obstinés pour braver le danger qu'il représentait et le suivre jusqu'ici. Hélas pour eux, cela signifiait affronter une mort certaine. Il ne pouvait pas se permettre de les amener trop près, mais puisqu'ils ne lâchaient pas ses talons, il devait s'arranger pour neutraliser ces intrus gênants. Après quoi, il achèverait le Hobbit, et repartirait comme il était venu.

Il connaissait parfaitement ces arbres, leur organisation, et leur disposition. Il n'avait aucun mal à s'orienter ici, alors même que pour ses poursuivants cela ressemblait à une mosaïque végétale complexe au cœur de laquelle ils étaient perdus. Prudent, il s'écarta de la trajectoire qu'il voyait l'épéiste emprunter, et opéra un mouvement circulaire pour la contourner. Calmement, il tendit l'oreille pour capter le moindre souffle non naturel. Il connaissait si parfaitement les plantes et les animaux qui vivaient ici qu'il aurait pu déceler le moindre changement dans la musique de la vie. La moindre brindille craquant de manière anormale, le bruit de feuilles que l'on écrasait avec une botte, le frottement d'un vêtement sur l'écorce… Tout cela résonnait en lui, et il s'en servait pour localiser ses adversaires. Même le plus insignifiant des sons avec une signification. Alors les pas lents d'une femme qui paraissait le chercher ? Un jeu d'enfant.

Il s'immobilisa, hors de vue de celle-ci, quand elle passa devant lui. Un frisson d'excitation parcourut ses veines, mais il se disciplina pour ne pas quitter son abri et sortir en plein jour. Patience. Patience. Voilà quel était le secret du bon chasseur. La patience. Et une bonne connaissance de sa proie. Il risqua un œil à l'extérieur, et l'étudia brièvement. Sa démarche, sa façon d'observer aux alentours, le champ de vision qui semblait être le sien. Le moindre détail se grava dans son esprit, et lui permit d'établir une ébauche de plan. Arme en main, elle représentait une menace, mais s'il parvenait à la prendre par surprise et à la désarmer, elle ne lui poserait aucun problème. Il lui suffisait simplement d'agir vite et sans la moindre pitié. Il attendit donc tranquillement qu'elle le dépassât, et quand il fut certain qu'elle avait franchi l'endroit où il se trouvait caché, il commença à se bouger. Il se dissimula dans son angle mort, et guetta le moment où elle jetterait un œil dans la direction opposée. Ce qu'elle finit par faire. Rapide comme l'éclair, il bondit avec agilité, franchit la distance qui les séparait sans laisser à sa malheureuse victime le temps de se retourner, et donna un grand coup de pied dans sa main armée. Un cri plus tard, elle était totalement maîtrisée, à la merci de cet Elfe inconnu.


~ ~ ~ ~


Luin essayait de maîtriser ses tremblements. Elle n'avait pas peur, non. Après tout, ce n'était pas elle qui était dans la posture la plus fâcheuse. L'arme brandie, elle se tenait à moins de quelques mètres de son ennemi, lequel retenait Tatië dans ses griffes. Il avait glissé une lame sous la gorge de la vénérable de Valinor, et ses attentes muettes étaient claires. Si la guerrière ne déposait pas son arme, il la tuerait sur-le-champ. Le regard sombre de l'archer glissa légèrement sur la droite, quand sortit des fourrés une nouvelle silhouette. Pas besoin de l'observer pour savoir qu'il s'agissait d'Isilo. Il tombait à point nommé. De curieuses négociations s'annonçaient, et il faudrait tout le tact et la diplomatie du seigneur de Limeclaire pour régler cette situation. Restait à savoir quelles étaient ses options. Parviendrait-il véritablement à éviter un bain de sang ?


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMar 25 Oct 2016 - 16:14
Ce qui préoccupait plus Isilo que sa sécurité et la possibilité de perdre toute espoir d’un jour retourner au calme de ses études botaniques, ce fut le silence qui semblait, tout d’un coup, avoir l’excessive courtoisie de laisser entendre même la sueur qui se creusait des ruisseaux sur son visage. Non loin de lui, un premier fauve avait frappé, planté ses griffes dans sa proie tremblotante et ne les rétractait pas toujours, vu l’immobilisme de l’espace ambiant. Aucune bataille, aucune lutte ne permettait même à un cri de faire ricochet sur un arbre et d’informer Isilo sur la position exacte de l’attaque furtive. Comme un chien borgne et vieux d’une vie de blessures qui affectèrent ses sens, Isilo avançait dans la forêt dense en tentant de capter un signe d’une vie qui se débattait, quand son cœur commença à battre la chamaille. À seulement quelques mètres de lui, là où un rocher énorme barrait la route à des troncs vides cherchaient la fin d’une pente douce, trois individus, une tension électrique entre eux.

Ce fut alors que le petit groupe se rendit compte de la présence du seigneur de Limeclaire et que le premier échange de regard eut lieu. Bien qu’il eût été bref, il décida des dénouements à venir et parût durer des âges, donnant à Isilo un aperçu, peut-être, de l’immobilisme patient du Valinor avec un avant-goût cruel de la mort. Le brun foncé comme la terre du boisé fut la première couleur qu’Isilo vit, car lui et l’assaillant mystérieux se regardèrent droit dans les yeux pour la première fois. Isilo vit un monde derrière les iris marrons de cet personne, un Elfe, un Sinda, pensa-t-il, de par la brillance de son aura, et le désir de contrôle qui animait son corps, son visage et sa main, qui, elle, ne laisserait pas tomber son arme de sitôt. Ensuite, comme dans l’étreinte d’un boa, sa Dame, sa belle Tatië, le regardant aussi dans les yeux, qui attendait de lui une parole ou un geste digne de son sang-froid, crut-il. Isilo serra les moins quand il se rendit compte à quel point la lame lui avait déjà entaillé une partie du cuir chevelu. Il voulut à ce moment être le Seigneur des Vents et envoyer leur agresseur contre le sol avec un mot de pouvoir ou le Seigneur de l’eau et le noyer dans son propre sang, l’asphyxier dans sa salive immonde. Où étaient Manwë et Ulmo ce jour-là ?

Or, ce fut le troisième regard qui le précipita vers l’action. Luin, comme la chasseresse qu’elle était se tenait à distance pour porter un coup fatal, évidence que le ravisseur savait bien et utilisait à son avantage et au plus grand malheur de la compagnie elfique. Même si elle avait tout l’air d’une tigresse déchaînée, les décharges d’adrénaline qui lui avaient parcouru le corps, mêlées à la sensation que l’on sent quand on est bord de la catastrophe, elle ne sut dissimuler ses tremblements aux yeux du jeune Noldo. Alors, face à la dure réalité d’un prédateur qui gagnait la partie de traque, Isilo baissa les yeux, sentant la honte d’avoir mené ces deux femmes, qu’il aimait, dans la gueule du loup, où elles souffriraient. Quand il entendit un gémissement, qui aurait dû être l’exaltation d’un plaisir charnel que l’on déguste lors d’un moment d’intimité tant désiré, mais qui provenait en fait de la gorge sèche de Tatië, Isilo se libéra, sans même y réfléchir, de la honte qui avait détourné son regard.

Alors il se rappela le Haut-Col, les prés de Limeclaire et la douce brume d’Imladris. Il se souvint, jusqu’au moindre détail, des heures de marche qu’ils passèrent, tous ensemble, en établissant l’humour comme mot d’ordre et à veiller l’un sur l’autre. Il prit conscience de tous ces sentiments, vit qu’ils étaient poussière qui vole au vent et respira afin qu’ils se dissipent. Comme la honte ou la panique, la peur de perdre un être cher voilait l’esprit. Il respira. Encore. Une autre fois, puis une autre. Pendant qu’il revenait en lui, le son des poings qui se contractaient sur les pommeaux, le corps en sueur des femmes et de l’être servile qui exécutait machinalement des ordres apparut très clairement devant lui comme des pions d’un jeu. Il y avait les feuilles, celles qui étaient mortes et celle encore pleines de vie, les rochers, les fourrés, les rayons d’un soleil fatigué et…eux. Oui, c’était le moment pour le seigneur Noldo de mettre en pratique son art, de livrer une bataille avec ses règles, dans un royaume où il en surpassait plusieurs. Aussi, il voulut que ses amies sachent qu’ils ressortiraient vivants de ce cul-de-sac.

- Tatië, ton séjour en Arda ne s’arrête pas ici, tu sais, regarde-moi.
Il sourit comme il lui avait tant de fois souri.

Puis, il regarda Luin comme un frère le ferait, avec un visage dont les traits ressemblaient à ceux d’un amant qui demande pardon et lui fit signe de la main de baisser sa garde. Cette fois, il ne se trompait pas.

- Luin, sois donc polie et montrons à ce jeune frère les bonnes manières.


Isilo, les paumes vers le hauts et vides, fit un pas et s’immobilisa au moment où l’Elfe resserra son étreinte, forçant Tatië contre lui, la lame bien appuyée sur la peau fragile de la dame du Valinor. En fait, il délimitait le territoire comme une meute de chiens, chacun testant jusqu’où il pourrait gagner du terrain. Pour Isilo, la limite se trouvait à un mètre cinquante environ de son assaillant, plutôt sûr, visiblement, de lui-même. Isilo supplia Luin de son regard de déposer son bouclier et son épée, qui causeraient plus de mal que bien à ce point-ci de la négociation.

- Tu ne travailles pas seul et ton groupe t’a recruté pour tes talents d’archer hors du commun. Ils ont raison, tu es vraiment extraordinaire. La récompense sera plus grande si tu nous captures vivants. Celle que tu retiens et moi sommes de puissants seigneurs et elle, une des meilleures guerrières qui soit. Honnêtement, je ne vois pas de meilleur cadeau pour ton chef qui se ravira de constater quel grand chasseur tu es.

Isilo souleva sa tunique de voyage dans un mouvement exagérément visible et jeta par terre sa petite dague d’argent dissimulée à la hauteur de ses côtes. Il sentait déjà son emprise sur le cerveau juvénile de leur agresseur, toutefois, peut-être se trompait-il. Chose sûre, il allait renchérir.

- Tu es déjà en retard ! Tu aurais dû nous abattre il y a de cela deux jours, tu te tortilles la nuit sur ta couchette à cause de la douleur infligée par les punitions de celui qui te commande. Tue-nous maintenant et tu n’auras accompli qu’un compromis décevant de ta mission de départ. Tue-nous là-bas, dans l’enceinte de la cité de mes pères où vous vous cachez tous et tu seras vu comme un lion qui ramène sa proie dans sa tanière.


Satisfait de son discours, Isilo fit deux pas en arrière, posa une main sur l’autre, ferma les yeux un tout petit instant, comme pour se redonner des forces ou pour apprécier ses derniers instants en compagnie de ses amies. Il joua son dernier tour.

- Tu penses que je veux gagner du temps…Mandos m’attend de l’autre côté avec bien des vies et des projets, ne sais-tu pas que, même si je meurs par ta main ici ou dans ton antre, j’ai tout le temps du monde ?

Alors qu’il avait été paisible jusqu’à maintenant, un calme que sa discipline spirituelle avait forcé sur sa personne, il décida plutôt, dans le silence, d’apparaître comme un grand seigneur de la Terre, un esprit puissant qui allait où bon lui semblait. Non, Isilo n’était pas un guerrier et ne désarmerait pas leur potentiel assassin sans se blesser ou blesser quelqu’un, mais son verbe était juste et sa voix résonnait dans l’au-delà où les Valars règnent. Appelant la foudre et le vent, comme le ferait Ilmendil par sa voix qui connaissait l’air alpin, Isilo savait que si son assaillant le voyait comme un Roi, héraut d’une paix que les Valars avaient un jour voulue, il s’inclinerait devant lui.
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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 3 Nov 2016 - 17:15
Tombent les murs, demeurent les fondations Tatiy10

Sans s'en rendre compte Tatië perdait du terrain. Non seulement sur le fugitif, mais aussi sur ses deux camarades chasseurs qui se trouvaient être plus résistants et rapides qu'elle. Malgré l'élan d'euphorie qui s'était emparée d'elle en même temps qu'elle avait goûté à l'excitation de la poursuite, elle n'en demeurait pas moins une personne dont les principales qualités étaient la réflexion, la connaissance et le partage de cette connaissance, et en aucun cas la capacité de s'adonner à des exploits physiques. Luin la distança bien vite et même Isilo finit par faire de même, mais cela, dans le tumulte de ses respirations haletantes, lui passa complètement inaperçu. Continuant sa course à l'allure déclinante, elle se retrouva bientôt devant un grand bloc de pierre qui semblait émerger du sol de la forêt, braver les racines entrelacées pour se dresser ici, immuable.

Tatië s'arrêta net. Elle n'aurait su dire pourquoi exactement. Était-elle subjuguée par ce mastodonte minéral ou bien ressentait-elle la présence de leur proie tapie non loin, derrière le roc peut-être ? La peur l'envahit, mais elle tint bon. Ce n'était pas un courage inné qui la tenait, mais simplement la volonté de se prouver qu'elle n'était pas simplement la dame à l'esprit éthéré qu'elle avait peut-être été depuis le début de leurs pérégrinations. Et aussi de le prouver à Luin, dont elle avait surpris des regards pas toujours amicaux depuis un jour ou deux. Elle n'avait pas souhaité ou osé lui en demander la raison, n'étant sûre de rien et voulant éviter à tout prix une dissension dans le trio, mais elle se doutait bien qu'elle, la Dame du Valinor, avait fini par provoquer de l'agacement chez la jeune guerrière à force de disserter sur les choses du monde et de montrer si peu d'habileté pour les tâches pratiques du quotidien. Mais avant tout, elle avait à cœur de montrer au Seigneur de Limeclaire que cette fois-ci elle irait jusqu'au bout de l'aventure malgré les risques et ne s'arrêterait pas à mi-chemin.

C'est pourquoi, armée de sa lame de modeste dimension et de son envie de bien faire, elle se mit à épier prudemment les alentours tout en marchant à pas de loup à travers les troncs qui entouraient le fameux rocher, ou tout du moins aussi prudemment que le lui permettait son éducation militaire inexistante. L'elfe qu'ils cherchaient n'était pas loin, elle le sentait ; derrière un buisson, un arbre ou un pli du relief elle le trouverait et, pris par surprise, il n'aurait d'autre choix que de capituler. Quelle ne serait pas sa fierté...

Un souffle d'air. Une ombre aperçue du coin de l’œil. Un coup sec sur sa main. Un objet froid se posant sur sa gorge et un bras puissant maîtrisant son corps frêle. En un instant fulgurant elle s'aperçut de sa naïveté et de son inconscience. Elle n'était pas celle qui débusquait, elle était celle qui venait d'être débusquée. Son espoir de voir l'admiration dans les yeux de ses compagnons venait de disparaître : elle avait voulu jouer la femme providentielle, elle venait de compromettre tout bonnement leur mission et leurs espoirs. Ses camarades arrivèrent bientôt là, à quelques mètres, se demandant que faire. D'ailleurs, qu'allaient-ils faire ? Elle se demanda si elle devait dire cette fameuse phrase, grandiose et courageuse... Ne lui cédez pas, tuez-le même si cela m'en coûte la vie, continuez sans moi. Mais par petitesse ou par peur et pour sa plus grande honte, les mots ne sortirent pas.

Car elle avait peur de mourir.

La chose était plutôt paradoxale pour une noldo qui avait vécu de très nombreuses années dans le pays béni, côtoyant les Premiers-nés les plus versés dans la connaissance de la vie, de la mort et de la résurrection. Ces Premiers-nés-là avaient reçu leur enseignement des Valar eux-même il y a bien longtemps et elle pouvait donc présager sans trop de risque de se tromper que ce savoir n'était pas de simples rumeurs et légendes. Ce savoir ne pouvait être pure invention, encore qu'il put être enjolivé en passant de bouche en bouche : le peuple des quendi, de par sa nature, était lié à la matière même d'Arda et ses représentants ne se voyaient pas accorder le Don des Hommes, que d'aucuns appelaient gurth, la mort, la mort véritable. Pas temps que le monde existerait. Ce n'était donc pas la peur de ne plus vivre qui angoissait Tatië, mais bel et bien la peur de l'inconnu, de ce temps d'attente à passer dans les Cavernes de Mandos dont même les plus érudits des Vanyar ne savaient que peu de choses, à ce qu'on disait. Námo, bien que juste et impartial, était le Vala le plus craint par les Elfes, à l'exception de celui qu'on ne nomme plus. Et ses demeures n'avaient rien de commun avec le reste du gracieux et scintillant Valinor : l'on ne savait pas ce qu'il y avait à l'intérieur, ni pour combien de temps l'on y restait.

Un seul mouvement malencontreux de Luin, un seul mot de travers de la part d'Isilo, provoqueraient la réaction de son ravisseur. Une seule glissade de sa lame cruelle sur son cou et elle se retrouverait devant l'aîné des Fëanturi... Son cœur battit plus fort encore que lors de la course effrénée de tout à l'heure ; réaction de l'organisme en vue de se défendre contre un danger, mais réaction risible et inutile puisque son destin ne se trouvait plus entre ses mains. Elle était passive et savait que sa seule chance de salut reposait sur ses compagnons de route.

Tatië, ton séjour en Arda ne s’arrête pas ici, tu sais, regarde-moi.

Son affolement baissa un peu d'intensité. Les mots et les yeux d'Isilo se révélaient être pour elle le plus efficace des élixirs décontractants. Malgré la tension de la situation, elle laissa voguer un bref instant son esprit sur les eaux douces de la rêverie et visualisa un instant leurs deux âmes, celle du Maître de Limeclaire et la propre sienne, planer en direction de ces fameuses Cavernes de l'Attente, puis en ressortir presque instantanément, jeunes et renouvelées comme des bourgeons qui se déploient pleins de vie au printemps. Il n'y aurait plus alors toutes ces années d'écart entre eux... Puis la vision cessa et elle revint à l'instant présent, le douloureux mais inévitable instant présent. Isilo venait de lui dire que son séjour en Arda ne s'arrêtait pas ici. S'il voulait qu'elle vive, de quel droit se permettait-elle de s'imaginer une mort commune comme un bienfait ? Elle avait suivi Isilo, première d'entre tous les participants à ce fameux conseil dans la salle du feu, pour regarder le monde et non pas pour le fuir.

Pour l'instant, c'était son ami qu'elle regardait et qu'elle écoutait. Il était en train de déployer sa verve pour tenter de la sauver contre toute attente, de la tirer de cette situation désespérée. Il essayait de percer, en observateur attentif, les desseins de leur adversaire et de le convaincre, en habile orateur, de la nécessité de ne pas tuer son otage. Tatië se promit d'écrire un chant élogieux à la gloire de cet exploit s'il parvenait à l'accomplir. Un chant qu'elle ferait entonner dans tous les recoins d'Imladris, et tous ses habitants sauraient comment, d'une pierre deux coups, le seigneur elfe avait permis au trio d'être toujours un trio et d'entrer dans les fondements d'Ost-in-Edhil contre toute attente. Pouvoir un jour composer un tel chant était son vœu le plus cher.


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Ryad Assad
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyDim 20 Nov 2016 - 3:19
HRP : En retard encore, désolé !
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Les yeux rivés sur ses proies, le chasseur patient s'attendait à tout sauf à les voir capituler devant lui. Il était seul, dans une position certes avantageuse, mais pas au point de lui permettre de l'emporter dans les négociations. Il avait agi par instinct, sautant sur une cible facile pour satisfaire son appétit de traqueur né. Toutefois, il s'était retrouvé surpris par l'arrivée rapide des deux autres qui avaient fait voler en éclats son embryon de plan. Il se retrouvait en équilibre précaire, incapable de s'échapper, et incapable d'éviter l'affrontement direct. C'était sans doute la raison pour laquelle il ne leur avait pas demandé de déposer les armes en premier lieu. Il n'avait pas envie de gaspiller sa salive inutilement, et il pensait les voir lui rire au nez s'il avait formulé une telle demande. Or, il n'aimait pas qu'on lui rît au nez…

Il ne put donc cacher son étonnement lorsque l'Elfe mâle prit la parole, ordonnant à la guerrière défigurée de baisser les armes. Celle-ci sembla hésiter légèrement, comme si elle essayait de discerner derrière ses injonctions l'ébauche d'une stratégie. Il aurait eu la même réaction à sa place. Elle parut vouloir contredire son supérieur – à raison, sans doute –, mais elle avait de toute évidence prêté allégeance au premier, car elle lui obéit sans discuter, se contentant de lui adresser un regard qui en disait long. On lisait sur ses traits qu'elle attendait un ordre de sa part pour sauter à la gorge de celui qu'elle percevait comme un ennemi, et le déchiqueter. On sentait pulser dans ses veines une rage violente que même sa nature elfique ne parvenait pas à contrôler. Comme beaucoup des Premiers Nés, elle était sujette à des émotions qui parfois dépassaient les limites de l'acceptable, et la poussaient à des réactions stupides, voire dangereuses. Le chasseur gardait un œil sur elle, conscient qu'elle représentait le principal danger du trio. De toute évidence, il sous-estimait largement Tatië et Isilo, préférant se focaliser sur l'épéiste. Le sourire hautain du prédateur s'élargit sur son visage quand il croisa le regard de Luin. Si elle faisait le moindre geste, l'otage mourrait, et il prendrait un malin plaisir à lui montrer par la suite lequel des deux était le plus fort. Il ne doutait pas de ses capacités, et il savait que rien ni personne ne pouvait l'égaler. L'arrogance suintait de toute sa personne, comme ravivée par une force surnaturelle.

Le Parleur continua à essayer de convaincre le Chasseur de ce qu'il était dans son intérêt de ne pas les tuer. Et à dire vrai, il marquait des points. N'était-il pas vrai qu'il était le meilleur pisteur que les siens avaient connus ? N'était-il pas vrai qu'il allait toujours seul car il était si compétent qu'aucun de ses compagnons ne pouvait l'accompagner sans le retarder ? Alors oui, peut-être que les ramener vivants était, après tout, la meilleure chose à faire. Il était parfaitement conscient que tout cela était contraire aux ordres qu'il avait pu recevoir. Il était parti pour faire un carnage, pour anéantir tous ceux qui voulaient essayer de pénétrer dans la glorieuse cité d'Ost-in-Edhil. Mais ces ordres ne spécifiaient pas ce qu'il fallait faire d'éventuels Elfes qui se seraient retrouvés dans les parages. Il n'encourrait pas le courroux de ses pairs s'il ramenait ces trois-là captifs, enchaînés, brisés. Au contraire, il démontrerait à tous ses compétences exceptionnelles, et gagnerait peut-être même une récompense…

Oui… Le Parleur avait raison. Et puis après tout, ils étaient ses proies… Ses proies à lui ! Il pouvait en faire ce qu'il voulait, car c'était lui qui les avait attrapées. N'était-ce pas lui seul qui avait réussi à dominer ces trois individus hostiles ?

- Lâchez vos armes ! Tonna-t-il sans prévenir, faisant sursauter Tatië dans ses bras.

Ils s'exécutèrent, avec plus ou moins de réticence. La guerrière répugnait à abandonner son épée et son bouclier, mais elle n'avait pas le choix. Il était en position de force, et désormais que leur chef avait décidé de coopérer et de se soumettre, il pouvait profiter de son ascendant pour leur demander tout ce qu'il souhaitait. Si elle refusait d'obtempérer, d'une légère pression il pouvait ouvrir la gorge fragile de l'Elfe qu'il tenait entre ses bras puissants, et réduire à un duo leur petit groupe. Il sourit de nouveau en voyant la tension passer parmi ses ennemis, dès lors qu'ils eurent déposé les armes devant lui. Ils étaient à sa merci, désormais.

- Toi, attache-lui les mains ! Solidement !

Il s'était adressé à Isilo avec autorité, désignant Luin du menton. La guerrière, comprenant qu'il était inutile de lutter, tendit ses poings à son supérieur, lui adressant un regard qui exprimait à la fois sa désapprobation et sa profonde confiance. Un curieux mélange.

- Non, dans le dos !

Elle soupira, et glissa les mains dans son dos pour mieux sentir les liens venir entraver ses poignets. Isilo aurait pu tenter de l'attacher de manière maladroite, pour mieux lui permettre de se libérer par après, mais le Chasseur veillait au grain, et ses yeux de lynx s'assurèrent que rien n'avait été laissé au hasard. Sitôt que Luin fût attachée, il ordonna à la guerrière de s'approcher, et effectua un échange. La lame acérée vint glisser sous la gorge de l'Elfe balafrée, tandis que Tatië retrouvait sa liberté. L'échange n'était pas à l'avantage du trio, dont la plus fine lame se retrouvait désormais à la merci du combattant.

- Je pourrais vous tuer sur-le-champ, souffla-t-il. Cela m'épargnerait bien des soucis.

Luin demeura impassible. Pas seulement parce que sa mort physique ne serait pas définitive, et qu'elle rejoindrait incessamment les plaines de Valinor. Non. Elle paraissait ne pas craindre la fin des temps, et peut-être même l'espérer. Si ses deux compagnons de route, dont elle avait la charge, n'avaient pas été eux aussi à la merci de ce traqueur impitoyable, elle aurait sans le moindre doute tenté quelque chose pour lui échapper. Elle n'aurait pas laissé quiconque la faire prisonnière sans lutter. Elle ne se serait pas laissée capturer sans combattre, et elle n'aurait pas abandonné sa lame aussi facilement. Mais la situation avait évolué d'une façon qui lui échappait, et elle ne pouvait que suivre le mouvement, perdue au milieu de l'océan du destin qui la ballottait elle ne savait où.

Le Chasseur ordonna à Isilo et Tatië de rassembler leurs armes dans un grand sac qu'il leur lança, et qu'il récupérat sitôt qu'ils eurent achevé leur tâche. Il le glissa par-dessus son épaule puis, s'étant assuré qu'ils ne tenteraient rien de stupide, il les fit avancer droit devant, vers une destination dont lui seul avait connaissance. Toute autre considération avait disparu de son esprit obnubilé par sa prise, et il ne songeait plus aux autres menaces qui avaient pu essayer de se glisser dans les ruines. Il n'y avait que lui, son bien, et sa récompense.

Ils échappèrent rapidement au calme de la forêt, et se laissèrent descendre le long d'une pente douce, avant de remonter au sommet d'une butte. Les ruines de la cité leur apparaissaient toujours plus grandes, révélant malgré elles l'ampleur de la cité qui jadis s'était dressée ici. Ils ne pouvaient pas imaginer, pourtant, quelle splendeur s'était un jour dressée en ces lieux, et leur imagination seule ne pouvait pas concevoir la merveille qu'avait été cet endroit. Les ravages du temps et des séides de Melkor avaient jeté à bas le travail patient des Eldar, rayant de la surface de la Terre du Milieu les souvenirs d'Ost-in-Edhil. Toutefois, ce n'était pas à la surface qu'ils devaient chercher leur salut.

Leur guide de fortune les conduisit jusqu'au pied d'une structure apparemment pas différent des autres. Il s'installa sur une saillie rocheuse qui paraissait jaillir de la terre, mais ordonna à ses prisonniers de se tenir à genoux devant lui, les mains levées derrière la tête pour ceux qui le pouvaient. La position était aussi inconfortable que ridicule, mais elle confortait surtout l'impression de domination que l'Elfe pouvait ressentir. Il se comportait en tyran tout-puissant, sans qu'il fût possible d'expliquer si cela tenait à sa nature véritable ou bien aux circonstances qui lui donnaient l'impression de pouvoir tout exiger de ses prisonniers. Quelle que fût la réponse, l'arc posé en travers de ses genoux suffisait à garantir son emprise sur ses malheureuses victimes. Il prit la parole, sur un ton à la fois curieux et méfiant :

- Vous venez d'Imladris, n'est-ce pas ? Êtes-vous de ces gens qui se sont emparés de la cité cachée ?

Sa question ne précisait pas clairement s'il était au courant que, depuis le temps, Fondcombe avait été reprise aux mains des séides de la Couronne de Fer. Avait-il fait exprès de ne pas trop en dévoiler, ou bien était-il sincèrement ignorant de la situation ? Difficile à dire. Luin, dont les poignets étaient rongés par le contact rugueux de ses entraves, se contenta d'essayer de trouver une position plus confortable, tout en laissant le soin à Tatië et Isilo de répondre. Elle n'était pas du genre à prendre la parole inutilement, et elle ne savait pas ce qu'il était judicieux de révéler ou de cacher à leur gardien. D'ailleurs, peut-être que la contenu de la réponse importait moins que la façon dont elle était formulée. Gardant cette question pour elle-même, la guerrière se concentra sur la situation en essayant de l'analyser avec la froideur qui la caractérisait.

Désarmés, à la merci d'un combattant qui avait pouvoir de vie ou de mort sur eux, elle ne voyait pas vraiment quoi faire d'autre qu'attendre une opportunité de l'attaquer. Au moment où il baisserait sa vigilance, il fallait fondre sur lui, et le neutraliser le plus rapidement possible. Elle pouvait sans doute occuper son attention assez longtemps pour permettre à ses deux compagnons de l'immobiliser, voire davantage. Le seul inconvénient de son plan était que dans chaque scénario, l'un d'entre eux finissait invariablement par se voir transpercé par une flèche ou une lame. Or, elle n'arrivait pas à déterminer avec certitude qu'elle serait la victime du prédateur, ce qui ne lui permettait pas de passer à l'action sereinement. Si elle devait se sacrifier pour assurer à ses deux seigneurs de pouvoir poursuivre, elle le ferait sans hésiter. Mais pour l'heure, le risque était trop grand.

- Mensonges ! Tonna l'Elfe, ramenant Luin à la réalité.

Elle n'avait pas suivi de quoi ils parlaient, mais de toute évidence ils avaient contrarié leur ennemi, dont les yeux s'étaient soudainement assombris. Il était sur le point de se lever, quand soudainement un bruit attira leur attention. Sur la gauche des trois prisonniers, du mouvement. Des silhouettes graciles se détachèrent du paysage comme des esprits tout droit sortis du néant. Deux, puis quatre, puis huit Elfes apparurent. Ils portaient des tuniques simples et légères qui leur permettaient de se montrer discrets, mais les yeux acérés de la guerrière triste ne purent s'empêcher de noter que tous étaient armés. Sans exception.

- Callon ! Qu'as-tu fait, fou ?

La voix était sèche, mais on n'y décelait aucune méchanceté. C'était la réprimande d'un frère à un autre, d'un ami à un autre. Deux êtres proches qui étaient présentement en désaccord, mais qui nourrissaient un respect ancien. Le prédateur, interpellé de la sorte, réagit avec force :

- Je ne fais que mon devoir, quoi d'autre ?

- Ton devoir n'était-il pas de garder les intrus au loin ? Que font ici ces trois Eldar, constitués prisonniers par ta seule volonté ?

Les nouveaux arrivants jetèrent des regards curieux vers le trio, sans oser rien dire. La conversation n'était qu'un dialogue, et ils ne désiraient pas intervenir avant d'être appelés à le faire. Callon répliqua :

- Ce sont mes proies, et j'en dispose comme je l'entends. Ces trois-là sont soumis et inoffensifs désormais. Je les porterai moi-même à mon père, et recevrai de sa part les louanges qui me sont dues.

- Tu sais pourtant que cela est contraire à nos ordres. Je ne peux te laisser faire, à moins que…

Il marqua une pause, et un sourire malicieux apparut sur ses lèvres. Callon, lui, s'était involontairement placé sur la défensive. Son attitude était étrange, pour ne pas dire incohérente, vis-à-vis de quelqu'un qu'il avait toujours considéré comme un ami. Mais aujourd'hui, il n'arrivait pas à le voir autrement que comme un concurrent venu lui dérober les lauriers de la gloire auxquels il prétendait. Pourtant, c'était lui qui avait tout fait, lui qui avait traqué et capturé ces proies. Il ne partagerait pas la récompense ! Le second Elfe, conscient que ce qu'il allait dire, acheva sa phrase de manière théâtrale en glissant :

- … A moins que ces trois-là aient une quelconque valeur.

- Ils en ont une ! Dites-lui !

Callon s'était tourné vers Isilo et Tatië. C'était à leur tour de parler, et ils allaient devoir se montrer convaincants s'ils voulaient survivre à cette nouvelle épreuve. Tandis qu'ils se regardaient pour savoir lequel allait parler en premier, ils virent les Elfes porter la main lentement à leurs armes. Les secondes étaient comptées, et chaque mot serait précieux.

Car chaque mot serait peut-être le dernier.


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyMar 2 Mai 2017 - 19:45
Citation :
HRP: Je suis toujours là ! Et voilà un petit post pour me réchauffer et reprendre l'activité.

Bien que l'instinct de survie lui proscrit de fermer les paupières trop longtemps, le maître de Limeclaire ne put s'empêcher de s'incliner spirituellement devant le tumulte des eaux auxquelles lui et ses amies faisaient dos. Comme pour canaliser la voix de la raison, Isilo tenta d'écouter les conseils des éléments qui faisaient fit des personnages mis en scène par cette situation inhabituelle et qui ne connaissaient rien de la logique linéaire des fils d'Iluvatar. Ainsi, quand une situation ne semblait que présenter une paire d'options ne menant qu'à une unique issue, le seigneur Noldo préférait consulter les cartes d'Ulmo et de Manwë dont la conception de l'espace et du temps offrait à l'Elfe une plus grande gamme de possibilités. En fait, il savait que sa réalité n'était qu'une infime fraction de celle des Valars qui, eux, voyaient le grand portrait des choses.

Tout au long de cette aventure, Isilo comprit que les dilemmes s'enchaînaient et que les décisions devenaient de plus en plus importantes. Or, elles se résumaient toutes à choisir entre la vie et la mort. Comme les astres qu'Élentari combinent pour former des dessins célestes, lesquels seront à leur tour rassemblés pour former des constellations, puis des cartes, chaque choix qu'il avait fait jusqu'à présent l'avait mené soit un peu plus près de la mort, soit davantage vers la vie et en son sein. Grâce à cette vision du monde, Isilo ne craignait pas la mort, ni celle de ses compères, bien que la vision d'une mort violente soit la chose la plus difficile à laquelle il aurait à assister. Pour cette raison, les décharges soudaines de peur qu'il avait ressenties lors de leur périple surgirent à des moments où la dure réalité d'une lame contre la peau se faisait trop vraie. D'ailleurs, elle était, à ce moment, plus vraie que jamais...

Isilo comprit qu'il s'agissait d'un groupe dont les membres étaient nombreux et bien organisés, mais parfaitement déconnectés de la grâce des Eldar qui était propre aux Premiers Nés. Le seigneur Noldo ne sentait ni la lumière d'Eru, ni ce lien qui unit les Elfes au Valinor. Certes, ils possédaient les traits typiques aux siens, mais quelque chose de rebutant, comme un pacte avec l’infamie, les avait forcé à se replier dans les recoins les moins nobles de leur nature. Une chose était certaine, Isilo ne pourrait pas s'adresser à eux comme il l'avait fait toute sa vie avec ceux dont il reconnaissait l'antique lien fraternel. Aussi, Isilo se demandait même comment un groupe organisé d'Eldar avait pu se dissimuler et mener une vie parallèle sans que personne n'eut été mis au courant, surtout sachant la population si faible d'Elfes en Ennor.

Le meneur de la compagnie d'Imladris comprit qu'il ne pouvait pas laisser le poids de l'hésitation peser sur ses amies et prit la parole, au moment où leur ravisseur, qui avait déjà perdu sa crédibilité, commençait à perdre sa patience.

- Nous sommes des sages. Nous faisons partie d'un conseil d'érudits dont la fonction est de lire les runes se trouvant sur des objets de pouvoir. Lorsque nous avons eu connaissance de l'emplacement  d'au moins un de ces objets, nous avons décidé d'aller à la rencontre de ses propriétaires afin de leur apporter notre savoir. Pourquoi ? Et bien parce que les autorités de Fondcombe, comme vous l'avez mentionné, ne sont plus ce qu'elles étaient. Personne là-bas ne voit notre connaissance à sa juste valeur et, par conséquent, nous sommes rapidement devenus des sorciers que tout le monde évite.

Sans même regarder Tatië ou Luin, qui boullait de honte, Isilo poursuivit:

- Or, je dois vous avouer que la peur de ces ignares n'est pas totalement injustifiée. Bien des légendes voilent la vérité quant à l'étendue de nos pouvoirs et malheureux est le sort de celui qui ne sait faire preuve de discernement. Et soyons honnêtes; qui voudrait prendre le risque de se mettre des mages à dos, même dans l'au-delà ?

En attendant de voir l'impact de son récit abracadabrant sur les esprits confus de ses bourreaux, Isilo ajouta quelque chose qu'il espérait ne pas regretter par la suite.

- Bien que vous la dissimuliez, je sais que la pierre de Gwaihir est ici, en votre possession. Je crois qu'il serait plus sage de laisser des spécialistes vous expliquer son fonctionnement, d'abord, et puis de faire de nous trois ce que bon vous semblera ensuite.

Au fond de son coeur, Isilo de Fondcombe espérait que son ami Ilmendil ait entendu sa détresse et que, le moment venu, il saurait entrer à scène. Quand le seigneur Elfe prit conscience de cette foi en l'impossible, il sentit sa gorge se serrer et la sueur s'écouler le long des fleuves de ses paumes.
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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyLun 8 Mai 2017 - 15:50
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- Nosta Quende ea Eruanna, anna ne hehtalde lo tál intyar. Mana nostale Quendi lertasse nam Noldor tambe náma ? *

C'était la première fois que Tatië prenait sciemment un tel risque depuis le début de leur aventure. Même lorsqu'elle avait poursuivi leur agresseur dans la forêt un peu plus tôt dans la journée, même lorsqu'elle s'était faite faire prisonnière, le danger n'avait pas été si grand. Les deux phrases qu'elle venait de prononcer étaient pure provocation et elle le savait. Si leur ravisseur et sa bande en comprenaient le sens, ils se sentiraient vexés au point, peut-être, de ne pouvoir contrôler leur courroux et de mettre à mort le trio sans autre forme de procès, d'autant plus facilement que ce semblait être les ordres de leur chef. Seulement voilà, elle était persuadée que Callon ne le comprendrait pas, non plus que les individus qui venaient d'émerger des ruines quelques instants plus tôt. Et à en juger par le silence qui suivit sa déclaration, elle avait touché juste – à moins que ces Elfes ne fussent dotés d'une tempérance et d'une maîtrise d'eux-même sur lesquelles leur comportement n'engageait pas à parier. De toute évidence ils ne parlaient pas le quenya et ne le comprenaient guère mieux. Callon avait d'ailleurs usé jusque-là du sindarin et il en avait été de même pour ses congénères.

- J'ai dit, mentit-elle, que les langues des Elfes étaient un don d'Ilúvatar, un don qui est peu à peu délaissé et perdu. J'ai demandé quelle communauté d'Elfes pourrait dédaigner le savoir des Noldor en la matière...

La stratégie qui s'était faite jour dans la tête de la Dame de Tirion n'était que le prolongement de celle d'Isilo. Elle se défendit, en elle-même, de vouloir se l'approprier, préférant y voir une émanation de la bonne compréhension qui régnait entre elle et lui ; néanmoins une petite pointe de déception vint la titiller, comme si elle regrettait que cette idée ne fût pas sienne. Cette pensée la surprit et lui fit presque honte, car elle n'était pas habituelle chez elle... Le danger et la peur de mourir faisaient partir son esprit dans de drôles de directions, pensa-t-elle. Isilo venait de prétendre qu'ils étaient des mages et des sages capables de lire les runes ancestrales gravées sur les objets de pouvoir, et elle avait décidé d'apporter un aspect concret et indiscutable à ses affirmations. Les habitants de l'ancienne capitale des Elfes du Gwaith-i-Mírdain ne manquaient pas, à n'en point douter, de s'intéresser aux trésors qui pouvaient encore résider dans ses fondations, et s'ils n'avaient pas une maîtrise parfaite du quenya comme elle le conjecturait, ils ne seraient pas bêtes au point de se priver d'une aide lorsque celle-ci se présentait à eux comme par miracle. Ainsi Isilo et elle-même – et elle espérait aussi Luin – se verraient épargner une mort immédiate et pourraient retrouver l'espoir, à terme, de se sauver de cette situation délicate et par la même occasion d'en apprendre davantage sur le sort d'I Mîr o Nestad, la fameuse pierre pour laquelle ils avaient entamé cette aventure.

Tatië, qui était une descendante de ceux qui avaient jadis accompli le Grand Voyage sous les étoiles depuis Cuiviénen, savait que tous les Elfes, s'ils étaient égaux dans l'esprit d'Ilúvatar, n'étaient pas égaux en gloire et en majesté, et que la brillance de leur aura pouvait varier de l'un à l'autre, d'une communauté à l'autre voire d'une peuple à l'autre en fonction des choix qu'avaient jadis fait leurs ancêtres. Bien qu'elle sut pertinemment que des Elfes de Lumière pouvaient se révéler mauvais dans leurs actions et que parallèlement, des Elfes qualifiés de Sombres pouvaient développer une sagesse plus simple mais parfois plus bénéfique – quel elfe pouvait affirmer en toute objectivité que le grand Fëanor n'avait pas causé plus de maux que le modeste Denethor fils de Lenwë ? – elle n'en pensait pas moins que ceux dont les lointains aïeux n'avaient jamais vu la lumière des Deux Arbres avaient, de manière générale, plus de risque de quitter le droit chemin et d'avoir des états d'âme parfois plus proches des Humains que des Elfes. Et l'attitude comme le ton de leurs ravisseurs poussaient Tatië à croire qu'ils étaient de cette condition, bien qu'elle ne pût l'affirmer.

Le fait que Callon craigne davantage la guerrière que les sages n'étayait-il pas cette conjecture ?

- Je suppose, continua-t-elle en s'adressant non pas à Callon mais à celui avec qui il était en désaccord, celui qui se proposait tacitement de les tuer, qu'Ost-in-Edhil regorge de savoirs. Certains, vous pouvez les mettre à jour, mais d'autres non car vous ne pouvez déchiffrer toutes les écritures. Le savoir est un don et lorsqu'il se perd, les objets, si puissants soient-ils, perdent pareillement de leur utilité et de leur pouvoir, n'étant plus que des bibelots sur les étagères d'un antiquaire. Nous pouvons vous dispenser ce don. La Pierre dont parle mon ami, nous savons qu'elle a le pouvoir de guérir. Mais qui voulez-vous guérir et de quoi, et y êtes-vous parvenu ?

Des nuages d'orage étaient montés dans le ciel et le recouvraient à présent d'une chape sombre et pesante. Cette baisse soudaine de luminosité baignait le paysage de teintes inhabituellement pourpres, presque violacées, qui se reflétaient dans la chevelure brune et voluptueuse de la Dame. Une vraie sorcière elfe dans toute sa terrible splendeur.



* Naître elfe est un don d'Ilúvatar, un don que vous délaissez par vos bas idéaux. Quel sorte d'Elfes peut considérer des Noldor comme du butin ? Pardonnez la traduction très littérale et approximative que j'ai faite avec mon petit dico de Haut Elfique, il y aurait de quoi écorcher les tympans des Elfes s'ils m'entendaient, et ils me tailleraient les oreilles en pointe ! ^^


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 11 Mai 2017 - 12:32
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Des sages ? Des mages ? Des créatures de pouvoir parlant des langues oubliées, mais dont les accents ensorcelés faisaient peser le poids d'une culpabilité surnaturelle sur le cœur de ceux qui les entendaient ? Il n'en fallut pas davantage pour qu'une légère vague d'inquiétude s'emparât des Elfes qui s'étaient rassemblés autour des trois prisonniers. Isilo et Tatië avaient vu juste : ceux qui les avaient constitués prisonniers n'étaient guère au fait des mystères du monde des Eldar, et ils s'effrayaient facilement du pouvoir dont leurs semblables semblaient disposer, à la manière des Edain qui se terraient dès qu'ils entendaient le son de l'orage, qu'il fût dans le ciel ou dans leur imagination. Luin se félicita de voyager en si intelligente compagnie, elle qui vivait davantage par l'épée que par la plume, et qui n'était pas de ces esprits vifs capables de concevoir des stratégies élaborées à mesure que la situation se compliquait. Simplicité était son maître mot, mais il fallait bien avouer que pour l'heure elle avait totalement perdu pied et qu'elle laissait bien volontiers les commandes à ses deux acolytes, qui semblaient mieux entrevoir l'issue favorable qu'elle-même.

Isilo faisait preuve d'un aplomb à la fois surprenant et attendu. Depuis le début de leur expédition, il avait fait montre de sa grande qualité intellectuelle, mais Luin n'était pas certaine qu'il aurait eu le cran de se dresser ainsi face à l'adversité, et de se montrer aussi droit et fier alors que ses genoux s'enfonçaient dans la terre meuble qui entourait la cité enfouie d'Ost-in-Edhil. Tout le paradoxe était là. Les mains liées, sa parole semblait se libérer et foudroyer sur place les Elfes qui l'entendaient, et qui semblaient croire à ses paroles. Ils se figèrent particulièrement à la mention de la pierre de Gwaihir, et Luin laissa son regard glisser vers les membres de cette étrange compagnie.

Ils se regardèrent les uns les autres avec surprise, et même Callon parut légèrement décontenancé l'espace d'un instant.

- La pierre de Gwaihir ? Mais… Comment… ?

- Silence, siffla le chef de la compagnie en se tournant vers l'un de ses gardes un peu trop volubile.

Trop tard. Le mal était fait. L'était-il vraiment ? Luin ne voulait pas tirer de conclusions hâtives, et elle préférait se garder d'interpréter les choses de manière erronée. Elle s'en était sortie dans ce monde en se fiant exclusivement à ce que lui présentaient ses sens, sans céder aux tentations de l'esprit qui se laissait aller aux inférences les plus complexes. Il faisait d'une ombre un monstre, du souffle de vent un hurlement, et d'un lapsus une vérité cachée. Elle-même ne se fiait qu'à des certitudes, ce qui réduisait sans nul doute son champ de vision bien en deçà de ce que ses compagnons de route pouvaient percevoir. Ils voyaient et entendaient sans doute des choses qui alimentaient leurs esprits ingénieux, tandis qu'elle était davantage dans le présent, dans ce « ici et maintenant » fait de souffrance et de violence. Hélas, ce qu'elle décela de ses yeux ancrés dans le monde sembla totalement échapper à Isilo et Tatië qui étaient pris dans leurs pensées. Les Elfes venaient de porter subrepticement la main à leurs armes, et deux d'entre eux s'étaient légèrement déplacés comme s'ils voulaient se rapprocher des prisonniers pour les éliminer sur-le-champ.

Les paroles de Tatië ne firent rien pour les apaiser, bien au contraire. Elle leur parla de la pierre, elle leur parla des secrets de la cité cachée, en des termes qui pouvaient évoquer le désir des Noldor de s'emparer des trésors qui y étaient enfouis. Ne voyait-elle pas que par ses mots, elle attisait leur colère, et qu'elle risquait de tous les condamner si elle persistait ainsi ? Si Isilo avait su préserver l'ambiguïté entre la posture du sage érudit et celui de du mage aux pouvoirs cachés, Tatië avait clairement opté pour cette dernière option. Effrayante, elle risquait de pousser les Elfes à des actions désespérées, car ce peuple semblait enclin à défendre son territoire par tous les moyens, et contre tout ennemi. S'ils avaient affaire à une sorcière, ils s'arrangeraient pour lui faire goûter l'acier avant de la laisser finir la moindre incantation. Et quand ils verraient qu'une lame pouvait les débarrasser de leur problème le plus immédiat, leur confiance serait restaurée, et les trois prisonniers perdraient le maigre avantage qu'ils avaient pu constituer.

- Pourquoi ne dégainez-vous pas ? Demanda Luin avec froideur.

L'Elfe qui se trouvait en face d'elle se figea, et Callon lui jeta un regard furieux. Son vis-à-vis, celui qui lui avait tenu tête, se fendit d'un commentaire cinglant pour demander au guerrier de reculer :

- Mais Findor, nous devons respecter les lois ! S'ils veulent s'emparer des trésors de la cité, alors…

- Silence, grogna-t-il de nouveau. Pour l'heure, le commandement me revient encore, et je châtierai quiconque outrepassera son rôle et son rang. Est-ce clair ?

Ils hochèrent tous la tête sans rien ajouter. Findor n'avait pratiquement pas haussé le ton, mais il était évident qu'il ne plaisantait pas et que ceux qui se risqueraient à s'en prendre aux prisonniers sans son autorisation en subiraient les conséquences. Luin garda les yeux rivés dans ceux de celui qui avait voulu les éliminer discrètement. Il lui renvoya un regard de mépris réciproque, auquel elle répondit par son air le plus impénétrable. Elle ne vit pas venir la gifle magistrale que lui administra le dénommé Findor, laquelle claqua dans l'air avec tant de force qu'on aurait dit un coup de fouet. La guerrière bascula sur le côté, davantage à cause de la surprise qu'à cause de la force du coup, et elle mordit littéralement la poussière. En levant les yeux, elle put voir un doigt accusateur pointé sur elle, comme le symbole du destin venu la frapper :

- Ce sera mon dernier avertissement. Je pose les questions, et vous ne parlerez que quand je vous y aurai invité. Compris ? Vous ne m'avez pas encore expliqué pourquoi est-ce que je devrais vous garder en vie, mais je suppose que vous n'êtes là que pour protéger ces deux « sages ». Votre utilité s'arrête ici : faites attention à ce qu'elle ne s'arrête pas maintenant.

Elle aurait pu tenter un trait d'esprit, mais elle sut que chacun des mots qu'il venait de prononcer était empli de vérité. Elle n'était rien, elle n'était personne, et elle ne pouvait que se taire et laisser parler ses deux compagnons. Elle se redressa malgré tout, une moitié du visage rougie par le coup, et l'autre salie par la terre. Métaphore curieuse de son existence. Elle déglutit péniblement et, perdant de sa superbe, se contenta de jeter un regard honteux à Isilo qui se trouvait à ses côtés. Elle n'avait pas voulu qu'il la vît ainsi, fragile et vulnérable face à des Elfes indignes même de ce nom.

- Bien, fit Findor en constatant qu'elle ne protestait pas. Puis revenant à Isilo et Tatië, il ajouta : Et maintenant, oh « mages » de la cité d'Imladris, j'espère que vous saurez vous montrer aussi convaincants pour expliquer la présence de votre quatrième compagnon…

Luin leva la tête, légèrement surprise, et fronça légèrement les sourcils sans paraître comprendre. Devant leur silence perplexe, Findor adopta un air satisfait et se fendit d'une explication laconique :

- Votre ami Hobbit, envoyé en éclaireur…

Un éclair de compréhension passa dans le regard du trio, et Findor se permit d'ajouter :

- Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne soit amené devant nous, pieds et poings liés. Il a réussi à filer entre les doigts de Callon, mon frère, mais il n'a pas échappé longtemps aux autres pisteurs.

Il avait dit cela en levant le nez, et les trois prisonniers se retournèrent légèrement pour constater qu'en effet, au loin, des silhouettes semblaient se détacher à l'horizon. Leurs yeux d'Elfes leur permettaient de les apercevoir malgré la distance, et il semblait bien qu'une silhouette plus petite que les autres accompagnait trois individus de haute taille qui marchaient à faible allure. Voilà qu'Isilo et Tatië devaient désormais décider du sort d'un être qu'ils ne connaissaient même pas. Leurs talents de négociateurs allaient être mis à rude épreuve…


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Dernière édition par Ryad Assad le Ven 12 Mai 2017 - 18:39, édité 1 fois
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 11 Mai 2017 - 19:38
Comme un enfant qui jubile devant ses apparents talents de manipulateur qui lui obtiennent des faveurs parentales, le seigneur de Limeclaire sentit une décharge de confiance lui parcourir le corps. Bien que l'angle dans lesquelles ses jambes étaient ne démontraient que la soumission et que le poids du regard de ses ravisseurs eurent enfoncé ses genoux dans la vase, son esprit, lui, se tenait bien droit, comme un pilier entre la terre et les cieux. Ici bas, sa colonne vertébrale n'était qu'une tige osseuse dont l'écorce présentait les marques de leur voyages. Là-haut, où les messagers de Sulimo le connaissaient, elle était tel un faisceau de lumière solaire qui traversait l'espace et que les éléments ne pouvaient fléchir. Oui, Isilo de Fondcombe était bien plus que cet individu agenouillé, mais il aurait été idiot de croire que le jeune seigneur ne l'avait jamais oublié. En fait, il ressentait désormais un baume de soulagement pour la première depuis les dernières heures.

Une lueur dans ses yeux qu'il redirigea vers ses amies, le maître de Limeclaire tenta de capter les pulsions de celles qui partageaient son sort afin d'établir une synchronie dans les actions à venir. En premier, il regarda Tatië qui, visiblement, avait tenté le tout pour le tout en alimentant le mythe qu'Isilo avait spontanément inventé. Il percevait chez elle une sorte de confiance gorgée d'adrénaline, une espèce d'assurance aveugle qui inhibait les effets de la peur qui avaient fait des ravages sur son corps qui n'en pouvait plus. Le stress, les tensions et les réflexes de survie l'avaient ballottée comme une épave dans la tempête des événements. Instinctivement, Isilo voulut profiter de cet élan pour changer le cours des choses, car il savait que tout allait se jouer dans les prochains instants. Ensuite, Luin, comme une louve que l'on confina à une laisse et à une cage, attendait avec les tics nerveux d'un marathonien près à s'élancer vers la piste. Encore plus vite que le mouvement de sa poitrine qui montait et descendait, il y avait celui de ses yeux qui allaient dans toutes les directions sans vraiment évaluer la pertinence de l'information qu'ils rapportaient. Soudain, la gorge d'Isilo se noua à la vue de ces deux femmes vulnérables, que l'on regardait comme des bêtes et qui avait été disposées pour être écrasée par la vulgarité et l'ego. Il oublia le monde autour de lui, celui qu'il avait tant voulu regarder et se serait levé d'un coup, puis marché vers elles, qu'il aurait serrées dans ses bras. Il leur aurait demandé pardon, mais peut-être ne l'aurait-il jamais obtenu.

- Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne soit amené devant nous, pieds et poings liés. Il a réussi à filer entre les doigts de Callon, mon frère, mais il n'a pas échappé longtemps aux autres pisteurs.

Le triste érudit qui n'avait jamais voulu apporter misère à ceux qu'il aimait reprit ses esprits quand le scénario pathétique dans lequel il se trouvait décida d'inclure un autre acteur. Comme si les Puissances n'avaient pas été satisfaits de la pitié qu'Isilo avait démontré à l'égard du Petit-Homme, le malheureux personnage se retrouva à nouveau dans ce lieu où le destin mène ceux pour qui il n'a point de compassion. Le voilà qu'il venait le regard mouillé de suie et de honte, le pas forcé et la tête qui s'inclinait sous les coups du désespoir. Étrangement, un sentiment de dégoût teinta d'un goût amer la bouche d'Isilo qui répugna ses propres pensées, car ce dernier se demanda s'il n'aurait pas mieux fait de l'envoyer dans l'au-delà au moment où ce choix avait été sien. Misérable, Isilo savait pourtant qu'il avait agi en accord avec la virtue, mais ce fut une pitié viscérale et une tristesse jusque là inconnue qui le conduit vers ce questionnement. En fait, il aurait seulement souhaité ne jamais causer aucune souffrance à cet être si étrangement joli et innocent.

- Je crois que des gens de votre stature n'ont pas besoin d'être convaincus de l'absurdité de ce raisonnement. Pourquoi des érudits d'Imladris voyageraient avec une créature plus bruyante et insignifiante que même le plus maladroit des nôtres ? Il est vrai, par contre, que ce Petit-Homme est doué, car il a aussi échappé à la griffe de notre garde-du-corps. Aussi véritable que ses talents de fuite est le fait que ce malheureux voyageur n'appartient pas à notre compagnie.

Le seigneur Elfe ne pouvait pas se permettre de mettre davantage en danger ses deux comparses. Il avait fait des promesses trop importantes pour que l'audace d'un chasseur de trésor ait raison d'eux et leur dérobe toute possibilité de s'en sortir en un morceau, et surtout, en un groupe entier. Toutefois, l'affection et la chaleur qu'il avait ressenti au fond de son coeur pour cette fétiche figure lui saisit l'estomac dont la douleur expulsa des mots qu'un ventre accablé de honte ne peut contenir.

- Attendez ! Je connais des gens qui paieraient cher pour un individu comme celui-ci, très rare dans les contrées du sud. Le profit que vous tirerez d'un tel prisonnier sera supérieur à celui de sa carcasse.

Il le regarda, lui qui évitait son regard et tenta de conclure un marché avec les dernières bribes de raison. Au point où ils étaient tous, où quitter la mise était plus probable que la doubler, les promesses étaient fatales, mais elles étaient tout ce qu'il leur restait.

- Si ce Demi-homme vous cause problème, je m'en tiendrai responsable et subirai la foudre de votre justice que j'accepte au moment de prononcer ces mots. Veuillez accepter ma parole.

Isilo savait que les deux femmes qui l'accompagnaient n'auraient pas nécéssairement pris cette décision et que Luin serait folle de rage, mais il savait que les Valars n'étaient jamais bien loin et que rien n'échappait à leur regard. Si son corps lui faisait défaut, si son coeur était empli de tristesse, si son fief lui manquait terriblement, s'il ne se sentait que comme la moitié de ce qu'il avait jadis été, il n'oubliait pas lumière du Valinor qui brillait en lui et qu'il avait longuement cultivée. Oui, il y avait encore les germes de Telperion qui s'enracinaient dans son être et tant que son coeur purifierait le venin de ses actions déshonorables, l'ombre du Mal ne trouverait pas terreau fertile en lui. Tant que cela serait le cas, tant et aussi longtemps qu'il serait ainsi, il donnerait sa vie pour celui qui ne demande qu'à vivre la sienne.

- La voûte céleste sera bientôt perforée d'un million d'étoiles à travers lesquelles Elentari nous observera. Il serait sage de nous mettre en marche.
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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyDim 14 Mai 2017 - 16:15
Tombent les murs, demeurent les fondations Tatiy10

Les tirades de la grande dame des Noldor avaient généré un surcroît de tension chez les moriquendi qui les entouraient, durciçant l'expression sur leurs faciès et faisant blanchir les jointures de leurs doigts sur les poignées de leurs armes. Elle avait voulu entrer dans le jeu d'Isilo et accentuer la vision qu'il voulait donner à leurs adversaires, mais de toute évidence elle n'avait pas su trouver la juste mesure, elle était allée trop loin. Peut-être même aurait-elle causée une fin funeste et prématurée au trio si elle avait esquissé le moindre mouvement en direction des gardiens des ruines ; fort heureusement ses élans n'avaient été que verbaux, ce qui leur avait évité le pire. Dans l'atmosphère rassurante d'une salle de conseil elfique sa rhétorique était parfaite, elle savait trouver en permanence le mot juste et la formulation qui permettait d'émouvoir les cœurs et de les convaincre, mais confrontée au danger et à une mort imminente l'exercice n'était pas aussi facile. Elle avait voulu compenser cet inconfort en affichant une attitude très sûre d'elle-même... sans doute trop. Ces individus étaient facilement irritables, le visage de Luin taché de boue et rougi en était la preuve. Prenant conscience qu'une nouvelle erreur ne serait pas pardonnée, elle se jura de se montrer plus réfléchie désormais.

Mais ils étaient vivants malgré tout, et la Pierre de Guérison était bien en possession de ce peuple furtif, Callon venait de leur confirmer la chose de façon involontaire – elle n'était pas la seule à voir commis une bourde. La mission inspirée par Ilmendil tenait encore.

Tandis que les esprits semblaient revenir à un semblant de calme, un élément supplémentaire fit son apparition. Ou plutôt sa réapparition, à vrai dire, car la course-poursuite dans la forêt avait chassé de la tête de Tatië toute pensée pour ce semi-homme, qu'elle avait tout à l'heure pris pour quelque voyageur imprudent qui avait eu le malheur de s'approcher un peu trop près d'un lieu duquel il aurait dû se tenir à distance, mais qui avait dû se volatiliser et disparaître de cette histoire. Et pourtant non, le destin en avait décidé autrement : les elfes avaient décidé de le prendre en chasse et de le rapporter ici, croyant qu'il était le complice des gens d'Imladris. Il est vrai que la Dernière Maison Simple constituait le bastion elfique le plus proche du pays des Hobbits, et que l'un des plus illustres d'entre eux y avait vécu un temps sous la protection de Maître Elrond, mais tout de même... Tatië ne connaissait que peu ce Petit Peuple. Elle avait bien traversé leur contrée lorsqu'elle avait fait de voyage depuis le Lindon au siècle dernier... ou plutôt au siècle pénultième, puisqu'on venait tout juste d'en changer. Mais bien qu'elle eût été émerveillée par les curieuses habitations aux portes et aux fenêtres bien rondes qui jalonnaient la route, elle n'avait pas eu l'occasion d'en rencontrer les habitants, qui avaient une tendance prononcée à se musser dans leurs terriers au passage des Grandes Gens.

Et Isilo, en ami de tous les êtres vivants créés par Ilúvatar ou par les Valar, essayait comme tout à l'heure de le sauver.

Tatië dut bien le reconnaître en son for intérieur, le seigneur de Limeclaire faisait montre d'une générosité admirable. Elle souhaitait au fond d'elle que ce drôle de petit personnage puisse en réchapper vivant, bien entendu, mais voir son ami s'évertuer à trouver des arguments sortis de derrière les fagots la laissait à la fois pantoise et admirative. Elle espérait juste que le perian, issu d'un peuple que la tradition elfique décrivait comme léger et irréfléchi à quelques exceptions près, ne commettrait pas de bévue grossière qui pût leur causer du tort à tous les quatre. Car les paroles du sage avaient été fortes : il s'était porté garant, en quelque sorte, de la bonne conduite d'une personne qu'il ne connaissait même pas ! Toutefois, à bien y réfléchir c'était peut-être une décision qui pouvait se révéler profitable sur le long terme ; car si les choses, par miracle, prenaient une bonne tournure, le hobbit deviendrait débiteur d'Isilo et pourrait éventuellement les aider, qui sait ? Plus elle y pensait, plus la dame voyait dans l'errance du petit bonhomme près des ruines autre chose qu'une pure coïncidence...

Le crépuscule commençait à répandre sa couleur d'encre sur le ciel. Cela ne semblait pas alarmer outre mesure Findor, Callon, ni leurs congénères, qui semblaient vouloir attendre que les chasseurs les rejoignent avec leur demi-portion de proie. Peut-être n'étaient-ils pas convaincus par les explications et voulaient-ils confronter le trio au hobbit pour que les regards des uns ou des autres trahissent une connivence imaginaire... Ou peut-être voulaient-ils simplement attendre, par respect et curiosité, ceux qui avaient capturé le petit homme afin de rentrer dans leur repaire tous ensemble, telle une glorieuse troupe apportant non pas un, mais quatre trésors au bercail. Faste journée !

Il n'était pas aisé, dans la lumière déclinante, de discerner en détail la frêle créature que les nouveaux arrivants menaient sans grand ménagement. Tatië réussit néanmoins à apercevoir quelques éléments de protection comme des coudières dont l'éclat métallique parvenait encore à trancher sur le rouge foncé de son drôle de manteau. Et ce qui dépassait de derrière son dos n'était-il pas la poignée d'un glaive ou d'une épée ? C'était là un accoutrement bien étrange pour un perian : c'eut davantage été l'apanage d'un adan. Quoi qu'il en soit, ce hobbit-ci devait être considéré comme incroyablement extravagant par son peuple, à n'en point douter.

Tatië ne prit pas la parole, de peur de s'attirer une fois de plus les foudres de leurs détenteurs. Elle attendait que ces derniers autorisent leur prise à parler ; alors la dame arriverait peut-être à comprendre quel mystère se cachait derrière la tignasse blanchâtre de l'aventurier miniature... Un sage avait dit autrefois que l'aide viendrait des faibles lorsque les sages auraient fait défaut... Sa prophétie se renouvellerait-elle en ce Quatrième-Âge ? Elle ne pouvait que l'espérer, bien qu'à l'heure actuelle elle ne vît pas, mais alors vraiment pas comment.



[Un petit HRP pour signaler que Fofo' va revenir jouer lui-même son PNJ, et qu'il postera donc à ma suite. Deux Oranges rien que pour nous Isilo, on en a de la chance ! Very Happy]


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Forlong
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 18 Mai 2017 - 21:01
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Le malheureux Semi-Homme semblait encore plus petit que d’habitude, escorté par trois grands elfes armés. Sa veste rouge était tâchée de boue, et ses yeux vert émeraude lançaient des regards apeurés autour de lui, comme s’il cherchait une issue. Un des gardiens d’Ost-in-Edhil s’était emparé du court fauchon que le hobbit portait dans son dos, et jouait à présent avec ; Tatië put alors s’apercevoir qu’il s’agissait d’une arme d’excellente qualité, bien qu’inutile face à trois guerriers elfiques armés jusqu’aux dents.
Le Periannath était arrivé en face d’Isilo et de ses compagnons juste à temps pour entendre le monologue du seigneur. Son visage prit soudainement une teinte de rouge pouvant rivaliser avec celle de sa veste. Il s’exclama:

-Il a très certainement raison ! On ne peut pas faire partie du même groupe, puisqu’il y a moins d’une heure ces trois « érudits » hésitaient eux-mêmes à me tuer ! D’ailleurs, j’ai un problème d’arithmétique à résoudre pour vous, ô grands penseurs d’Imladris. Comment cela se fait-il qu’il suffit d’un archer pour appréhender trois grands elfes, alors qu’il faut trois pisteurs armés pour s’emparer d’un simple « Petit-Homme » ?

Le hobbit s’était à présent redressé, regagnant un peu de sa dignité, et foudroyait ses interlocuteurs du regard comme s’il avait oublié la situation désespérée dans laquelle il se trouvait. Il se tourna vers Findor, qu’il avait identifié en tant que dirigeant du petit groupe, et s’écria :

 -Tuez-moi comme un animal si vous le souhaitez, ou vendez-moi aux esclavagistes, mais si vous le faites, n’osez plus vous appeler les aînés des Enfants d’Illuvatar, car il n’y a pas de place dans les Cavernes de Mandos pour ceux qui ont l’apparence d’un elfe et le comportement d’un gobelin. Quoi ! Vous êtes surpris qu’un Semi-Homme connaisse l’histoire de votre peuple ? Je suis venu jusqu’aux ruines de cette cité en pèlerinage, prêt à faire face aux dangers et intempéries, à affronter les animaux sauvages, les brigands et les gobelins. Mais je ne m’attendais pas à être traité de la sorte par des descendants d’un peuple noble et puissant qui jadis était capable de bâtir des cités glorieuses d’une telle beauté.

Le hobbit essaya d’enlever une trace de boue de son visage, ce qui n’était pas une tâche facile car ses poignets étaient liés par une corde. Il soupira, et ajouta, d’un ton résigné :

-Si mes paroles n’éveillent rien en vous, alors je vous parlerai comme à des Atani. Ost-in-Edhil est une cité en ruines, et beaucoup de ses mystères sont enterrés sous les pierres, hors de la portée des pillards éventuels, mais aussi de ceux qui aimeraient restaurer la gloire d’antan à ce lieu. Nous, les Perrianath, vivons sous terre, et sommes assez petits pour nous faufiler là où un elfe resterait coincé à jamais. Laissez-moi vous aider à déterrer les secrets de cette cité, et pouvoir admirer ces reflets d’une autre ère me suffira amplement comme récompense.

Le Semi-Homme se tenait face à Findor, ses mains liées tendues vers l’avant, le menton redressé. Il regardait l’elfe dans les yeux, et seules quelques gouttes de sueur sur son front malgré la fraîcheur de la tombée imminente de la nuit montraient sa nervosité. Isilo, Tatïe et Luin s'était retrouvés avec un bien étrange compagnon de fortune. Ce Periannath qui s'adressait avec une telle détermination, voire insolence suicidaire à ceux qui allaient décider de son sort, était-il bien la même personne que l'espèce de misérable rongeur terrifié qui était littéralement tombé sur eux quelques heures auparavant en tentant de s'échapper aux flèches meurtrières de Callon? Décidemment, ce petit peuple ne cessait jamais de surprendre les grands de ce monde.


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Hadhod Croix-de-Fer
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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyVen 28 Juil 2017 - 17:15
Le semi-homme ne manquait pas de culot, ça non. On les dépeignait comme les timides habitants des collines du Nord-Ouest, apeurés par les recoins sombres des forêts, les eaux un peu trop profondes et les bêtes un peu trop sauvages... mais pour sûr ils ne devaient pas craindre les Elfes ou, quoi qu'il en soit, celui-ci ne les craignait point. Bien sûr, il n'osait rien tenter, sachant pertinemment qu'il se trouvait en position de faiblesse par rapport aux froids gardiens d'Ost-in-Edhil, mais sa langue allait bon train. Il gratifia même le trio d'Imladris d'un monologue mordant et provocateur qui les laissa bouche bée pendant quelques instants. Sans doute profitait-il du fait que les aventuriers ne pouvaient rien faire pour punir son outrecuidance, désarmés et agenouillés qu'ils étaient... Après tout ce qu'Isilo venait de tenter, verbalement, pour essayer coûte que coûte de lui sauver la vie, c'était tout de même un peu fort ! Mais Tatië savait que ce n'était pas le moment de se montrer indignée ni de rentrer dans un combat d’ego avec le petit être. Ce n'était pas le moment de se laisser aller à un emportement inutile et malvenu ni de commettre une nouvelle bévue qui mettrait son groupe dans une situation encore plus difficile qu'elle ne l'était...

Elle jeta un bref coup d’œil à Luin pour s'assurer que la guerrière ne parte pas au quart de tour, et s'empressa de répondre au hobbit avant que cette dernière ne le fasse :

- Je ne saurais trouver la solution à votre problème, maître perian. Car la vie des elfes ne réside pas dans des chiffres. Peut-être êtes-vous plus habile que nous, ce n'est pas impossible. Et il est parfois plus facile de repérer le groupe de chevreuil que le petit lièvre qui va seul.

Elle aurait également voulu ajouter que tous les chasseurs ne se valaient peut-être pas tous et que leur capture n'était peut-être pas due à leur manque de discernement ou de prudence, mais tout simplement aux qualités de pisteur de celui qui les avait traqués. Mais sagement, elle se contint et renonça à proférer des supputations susceptibles de semer la discorde dans les rangs de leurs ennemis. Paradoxalement, la discorde ne ferait qu'échauffer des esprits déjà plus que tièdes : elle sentait, sous des dehors de camaraderie, poindre un soupçon de rivalité entre ces étranges elfes. Et puisque le consensus qui les maintenait en vie tenait, il fallait à tout prix ne pas le mettre en branle.

- Epargnez-nous vos considérations philosophiques et vos belles phrases, réagit Findor. Si vous avez des choses à dire, c'est à moi que vous vous adressez, pas entre vous.

De ce qu'elle avait compris de ses paroles, ce Findor était le chef de ce groupe de sentinelles, officiel ou autoproclamé. Callon, l'elfe qui les avait poursuivis de ses flèches, qu'ils avaient ensuite traqué et qui enfin les avait fait prisonniers, était son frère. Drôle de communauté qui de toute évidence avait réinvesti les ruines de l'ancienne capitale d'Eregion. Leur manière d'être et leur accoutrement lui rappelait ceux des peuples sylvains sans toutefois s'y apparenter totalement, et leur accent lui était étranger. Étaient-ils d'anciens ressortissants des royaumes elfiques revenus à une vie plus primitive, ou bien des Avari dont les vicissitudes de l’existence avaient portés les pas jusqu'aux collines les plus reculées de l'Enedwaith, elle ne parvenait pas à le deviner... Ce qui était certain, c'est qu'elle devrait se tenir à carreau si elle ne voulait pas gagner la même correction que celle qu'avait subie la pauvre Luin.

- Très bien, répondit-elle en signe d'acquiessement.

Findor parut satisfait pour le moment et ses yeux se tournèrent vers le semi-homme. Car si un trio d'elfes des contrées septentrionales captait son attention, le vagabond qui lui arrivait au niveau du ventre aiguillonnait sa curiosité comme jamais.

- Vous devez être bien effronté pour vous adresser à nous de la sorte, semi-homme. Ou particulièrement courageux... mais je penche pour l'effronterie. Vous nous accusez d'agir comme des Gobelins, c'est cela ? Ramper en catimini jusqu'à une demeure qui ne vous appartient pas pour tenter d'y pénétrer sans être vu, ce n'est pas là méthode de gobelin ? Peu nous importent les tas de pièces des humains, mal forgées, mal frappées, sans valeur... Il est de bien plus grandes richesses que ces richesses factices, croyez-moi, et c'est pourquoi nous n'avons nulle envie de vous vendre. Vous tuer, par contre, est bien plus tentant.

Les congénères du locuteur firent imperceptiblement un mouvement en avant, la plupart resserrant leur prise sur leurs armes avec un regard glacial et implacable en direction du hobbit, tandis que Callon s'apprêtait à se dresser, défiant toute logique raisonnable, contre ceux qui voudraient réduire à néant sa prise de guerre. Findor leva la main droite...

- Mais... non, dit-il, nous ne vous tuerons pas avant d'en avoir su davantage. Il y a de la cachotterie dans l'air, je le sens. Que le perian soit complice avec le noldor, je l'ignore, mais je vois plus qu'une simple coïncidence dans vos venues respectives. Je vous laisse la vie, car je veux en savoir plus. Un pèlerinage, comme c'est charmant...

Il fit signe à ses hommes de relever les quatre prisonniers, et ils se mirent en marche tous ensemble, quittant l'obscurité du crépuscule pour celle, moins changeante, plus inexorable, des chemins des profondeurs. Findor ne l'avait pas avoué devant ses gens ni devant ses prisonniers, mais les promesses des elfes comme celles du semi-homme avaient éveillé chez lui des idées qui enflammaient son cœur de façon ardente. Il voulait s'approprier les connaissances des uns et l'agilité de l'autre, et être celui qui apporterait quelque chose de nouveau à son peuple.


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Tombent les murs, demeurent les fondations EmptyJeu 21 Juin 2018 - 7:31
En lui soudant les poignets par une corde dont les imperfections s’emparaient de lambeaux de sa peau, les bourreaux d’Isilo avaient voulu lui arracher quelque dernière fierté du seigneur qu’il leur semblait être. Ils avaient désiré l’agenouiller devant eux comme on le faisait avec une bête avant de l’abattre, la privant d’une pitié qu’on avait appris à ignorer en crachant au visage de la Vie. Dans leur for intérieur, ces ravisseurs fantasmaient à la simple idée de voir un noble ramper à l’extérieur des murs de son palais, tiré dans leur esprit par de perfides chaînes qui l’étranglaient et le tiraient vers leur enfer pervers. Chaque rictus de douleur que leur proie tentait de dissimuler éveillait une profonde rage en eux, comme s’ils attendaient impatiemment quelconque cri d’agonie, qui ne venait pas. Pendant un instant, ils se moquaient des Puissances, comme enivrés dans une ivresse de domination, que leur très peu de contenance semblait retenir encore et encore. Ces gens avaient cessé d’être des Eldar dès le moment où ils prirent la décision d’usurper la place du Créateur et de se faire grands maîtres des douleurs qu’ils infligeraient. Ils avaient défiguré le visage d’Ëa.

Isilo, écrasé par le poids de son devoir de protéger les deux femmes qui l’accompagnaient, aurait dû se sentir tel un prisonnier dans un cachot. Il aurait dû céder à la panique et perdre la face devant Luin et Tatië. On s’attendait que tout homme dans une telle situation perde tout contact avec la raison, surtout lui, qui n’avait connu qu’une vie contemplative au sein d’un havre de paix imperturbable. Qu’aurait-on pu lui reprocher à ce jeune savant pour qui la couleur du sang était davantage élément de prose poétique que synonyme des horreurs de la guerre ? Si l’on avait prédit son récit, par clairvoyance il aurait été dit que tous les événements avaient conspiré à l’échec d’Isilo de Limeclaire. Or, aujourd’hui, alors que la cage de son corps pesait plus que jamais, son esprit, lui, l’avait quitté tel un oiseau volant vers sa survie.

Plongé dans un calme méditatif forcé, Isilo n’était ramené au monde que par les soubresauts violents et subits de son corps en proie aux décharges d’adrénaline. Quand le groupe se remit en marche, il avait tenté maladroitement d’emboîter le pas au fier-à-bras qui lui pliait les bras derrière son dos, comme deux branches que l’on veut casser. Sa conscience, dispersée dans les alentours, sondait les corps et les esprits de ses amies, privant son corps de sa coordination normale et plus que nécessaire dans une telle situation. Irrité, son bourreau l’avait frappé à deux reprises depuis que ce dénommé Findor avait donné l’ordre de regagner l’intérieur de leur repère. Comme un enfant qui découvrait sa force en torturant des insectes, le malandrin sévissait sur le corps du Noldo en assénant des coups dans des endroit particulièrement sensibles qu’il s’amusait à mettre à l’épreuve. Cependant, Isilo ne flanchait pas, bien qu’il vacillait de plus en plus, à mesure que ses énergies commençaient à se faire rares.

Par la force de son fëa, il tentait de créer un passage lumineux autour et devant lui, qui aurait comme effet de rassurer ses partenaires de route. Au niveau de l’infiniment petit, cela se traduisait par de petites lueurs que l’on accrochait là où l’enfance et son innocence avaient élu domicile. De cette manière, il voulait atteindre le plus profond besoin de sécurité et le remplir par un flux constant de douceur paternelle. À l’extérieur, cela se traduisait simplement par un sourire bienveillant que son être résilient portait à son visage. Entre la vie et la mort, il est dit qu’Eru se fait plus proche et que le voile entre le visible et l’invisible ne devient que le vestige de l’ignorance. Isilo espèrait pouvoir Le trouver ce jour-là, lui poser quelques questions et ramener quelques réponses pour ses amies.

Dans les profondeurs des ruines, l’écho des pas des prédateurs, de leurs proies et l’agressive rumeur du fleuve se disputaient l’espace ambiant, se chamaillant en rebonds sur les murs froids des tunnels. Isilo ne reconnaissait plus la voix de l’eau, car on l’avait contrainte à un cri étouffé quand le Mal avait frappé lors du Second Âge. Plus fausses encore paraissaient ses comptines alors qu’une nouvelle affliction lui dérobait depuis un certain temps sa résonance. Qui étaient donc ces malheureux qui s’étaient construit une tanière si fourbe que même la musique d’Ulmo évitait ? Qui s’était volontairement érigé une palissade contre les Valar et pourquoi ?

Clairement, la désolation dont les traits d’Ilmendil s’étaient accoutrés prenait bel et bien sa source quelque part. Le cœur du chagrin du Thoron allait bientôt se révéler à celui qui s’était juré être prophète de bonnes nouvelles.
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