Une mission qui ne tombera pas à l'eau

- Aucune idée.

C'était une réponse à la fois laconique et qui en disait long sur la situation à Esgaroth. Personne ne savait qui faisait disparaître les navires, et personne n'était même en mesure de dire exactement dans quelle zone du lac ils avaient disparu. Tout ceci était très étrange, et laissait planer une aura de mystère sur la situation que les trois Elfes devraient dissiper d'une manière ou d'une autre. La rumeur de leur présence allait se répandre rapidement, et elle leur permettrait d'avoir un certain soutien dans la ville, mais ferait également peser une pression sur leurs épaules. Si quelqu'un était responsable de ces disparitions, que penserait-il de la présence de trois Premiers-Nés venus enquêter sur l'affaire ?

Sigvald avait choisi de suivre la trace de ce barde qui était intervenu inopinément dans la conversation qu'il avait avec les marins, laissant ces derniers à leurs affaires avec une outre de vin qu'ils allaient être heureux de pouvoir partager ensemble. Le ménestrel appartenait de toute évidence à l'Académie de la ville lacustre, qui était renommée même en dehors des frontières du royaume de Dale. C'était un lieu d'érudition et de culture, mais ici à Esgaroth on murmurait de drôles de choses à leur sujet. On disait qu'ils en savaient parfois bien plus qu'ils voulaient le dire, et le comte Saule semblait désireux de reprendre le contrôle sur cette institution qui jouissait de privilèges nombreux. Leur grande autonomie et leurs liens très forts avec l'ancien comte Erco Skaline n'arrangeaient sans doute rien à l'affaire. Ce ménestrel-ci semblait avoir un côté espiègle, et il s'amusa de l'intervention de l'Elfe en lui répondant avec amusement :

- Vous souhaitez me faire chanter ? Comme c'est cocasse !

Il s'amusa un instant de sa plaisanterie, avant de reprendre son sérieux.

- Une chanson pour une histoire… l'affaire semble honnête, maître Elfe. Pourtant je pourrais vous proposer beaucoup mieux. Venez avec moi.

Le ménestrel s'éloigna d'un pas leste, entraînant Sigvald dans son sillage. Il connaissait visiblement Esgaroth comme sa poche, car il les mena par des chemins sinueux et tortueux sans jamais paraître se perdre ou hésiter. On aurait dit un conspirateur qui se déplaçait dans les ombres, à la différence que la culture était son épée, et le verbe son bouclier. Comme un symbole, ils ne croisèrent aucune des patrouilles du comte, et débouchèrent bientôt sur les abords du lac, mais d'un côté où l'Elfe n'était jamais allé. En face d'eux s'ouvraient des quais qui, contrairement à ceux où embarquaient et débarquaient les marins pêcheurs, étaient défendus par quelques hommes en armes qui surveillaient les environs d'un air mauvais. Trop loin pour être aperçus par ces derniers, le ménestrel et Sigvald pouvaient discuter librement sans craindre d'être entendus. L'homme tendit sa main, et lança :

- C'est ici que s'amarre la flotte d'Esgaroth. Un bien grand mot, si vous voulez mon avis, pour désigner les quelques navires dont dispose le comte afin d'assurer des patrouilles sur le lac. Comme vous pouvez le constater, ils ne semblent pas pressés d'enquêter sur les affaires de disparition.

Effectivement, des ouvriers s'affairaient sur la coque des navires qui avaient été sortis de l'eau pour effectuer quelques réparations. Le ménestrel reprit :

- Regardez attentivement, vous ne voyez pas quelque chose d'étonnant ?

Il laissa à Sigvald le temps d'observer la situation. Les navires alignés les uns à côté des autres, les gardes qui circulaient, les ouvriers qui s'affairaient… Et puis entre deux des bateaux, un espace vide. Le seul de tout le quai. La conclusion qui s'imposait était évidente, mais le ménestrel choisit de la formuler à haute voix :

- Il manque un navire. Et je peux vous dire qu'il a disparu sur le lac comme les autres, car je l'ai vu partir il y a peu. Parti, mais jamais revenu. Comme les autres. Et celui-là avait à son bord une compagnie des hommes de Toras, le bras droit du comte en personne. Vous comprenez ?

Les choses n'étaient pas forcément évidentes pour qui ne maîtrisait pas les arcanes politiques et les jeux de pouvoir internes à la cité lacustre, et le ménestrel s'empressa de compléter :

- Les hommes de Toras sont peu nombreux en dépit de leur grande influence dans la cité. Quelques dizaines d'hommes tout au plus. Ils assurent principalement la sécurité du comte Saule, qui les envoie souvent régler ses affaires. Leur présence sur un navire signifie qu'il y avait quelque chose de précieux à bord. Quelque chose qui a vraisemblablement disparu également…

Il marqua une pause, comme s'il était soudainement las d'avoir trop parlé :

- Voilà ce que je pouvais vous dire… Des choses étranges se passent sur le lac, et si quelqu'un a pu venir à bout des hommes de Toras, c'est une menace à ne pas prendre à la légère. Saule n'a pas rendu la disparition de ses hommes publique, car cela inquiéterait le bon peuple de savoir que même les soldats sont attaqués. Et pour ne rien vous cacher, cela m'inquiète aussi.

Le ménestrel avait abandonné son côté jovial et avenant pendant une seconde, laissant entrevoir la profondeur de son désarroi. Le lac était tout pour la ville d'Esgaroth, et après ce qu'ils avaient subi lors du Rude Hiver, les attaques de bandits, la grande purge… ils avaient besoin de paix et de quiétude pour se reconstruire, pas d'un nouveau danger qui menaçait la seule chose qui leur restait. Acceptant de raccompagner Sigvald vers le cœur de la ville, ils discutèrent encore un peu de choses et d'autres, de la situation dans la ville. Au détour de la conversation, le ménestrel lança sur un ton soudainement devenu grave :

- Au fait, méfiez-vous de Saule. Cet homme est mauvais.

Puis il reprit sa discussion, acceptant de répondre aux questions de Sigvald.




Au sein de la caserne, une forme de fébrilité passa dans les rangs quand la femme Elfe annonça qu'elle et son compagnon étaient des représentants du seigneur Angrod de Vertbois. Ils avaient cru au départ qu'il ne s'agissait que de simples voyageurs comme on en croisait parfois, mais s'ils étaient mandatés personnellement par le puissant seigneur d'Eryn Lasgalen, il était peut-être préférable de les traiter avec le respect dû aux ambassadeurs. Hadden se redressa perceptiblement, et changea soudainement d'attitude :

- Des envoyés du seigneur Angrod ? Je… Le comte Saule ne nous avait pas mis au courant, toutes mes excuses noble dame.

Il s'inclina légèrement du buste, imité en cela par tous les hommes présents. Leur réaction était motivée par le respect, ou plutôt par la peur qui accompagnait inévitablement celui-ci. Ils ne souhaitaient pas créer d'incident diplomatique majeur face à un royaume qui était à la fois un allié de Dale, mais qui s'était aussi montré capable d'être inflexible par moments. Les gens de Vertbois pouvaient parfois être étranges. En outre, aucun d'entre eux ne souhaitait aller contre la politique du comte Saule, et risquer de mettre celui-ci dans l'embarras en traitant de manière inconvenable les émissaires d'un souverain étranger. La punition pour un tel manque de tact et respect dépassait probablement ce qu'ils pouvaient imaginer de pire.

L'inconvénient de la peur, c'était qu'elle ne menait pas les cœurs très loin. Elle permettait de débloquer certaines situations, mais elle contribuait à briser la confiance et l'entraide mutuelle. Les hommes de la garde étaient désormais en position d'infériorité, et ils craignaient le bâton s'ils n'aidaient pas ces Elfes dans leur tâche. Cela ne signifiait pas pour autant qu'ils étaient devenus leurs alliés inconditionnels. Hadden n'était pourtant pas un mauvais bougre, et lorsque la femme Elfe lui indiqua qu'elle souhaitait s'inscrire sur les registres de la cité, il lui répondit avec le zèle qui caractérisait les hommes soucieux de bien faire leur travail :

- Les registres, oui les registres… Euh… Nos registres ne sont pas tenus aussi bien qu'ils ont pu l'être, du fait des récents troubles. Entre l'hiver et les conflits, c'est quelque chose que nous réservons principalement aux marchands. Mais si vous souhaitez vous inscrire, c'est avec plaisir que je vous les ferai chercher.

Il fit signe à un de ses subalternes, qui s'empressa d'aller chercher lesdits registres, qui se trouvaient dans un bâtiment tout à côté. En attendant son retour, le sergent invita les deux Elfes à s'éloigner un peu pour discuter en privé, dans un petit bureau où ils tenaient à peine tous les trois.

- Je peux essayer de vous renseigner, fit-il en parlant sans élever la voix, comme s'il craignait que ses hommes l'entendissent. Je suppose que vous venez pour les disparitions sur le lac. Tout le monde en parle en ville…

Il soupira profondément, comme si toute cette histoire lui pesait :

- Je préfère que cela reste entre nous, mais le capitaine Syla est tombé en disgrâce. S'il ne résout pas cette affaire de disparition, il risque d'être renvoyé au rang de simple soldat. J'ai bien peur qu'il ne survive pas à une telle humiliation… Depuis qu'il a perdu son épouse, c'est un homme brisé, et il n'a plus que sa fille unique. Mais ça n'excuse pas son laxisme, et le fait qu'il ait négligé ses devoirs en tant que capitaine de la Milice d'Esgaroth !

Il y avait un mélange de colère et de sympathie chez Hadden, les deux sentiments se disputant la prééminence. Syla était de toute évidence quelqu'un pour qui il avait – ou du moins avait eu – une certaine estime, mais qu'il regardait aujourd'hui avec un mépris coupable. Il reprit :

- Nous avons cédé trop de terrain à ces Orientaux, et nous avons perdu plusieurs marins, dont des proches de certains de nos hommes. Et Syla s'est montré incapable de mettre en place un plan cohérent, alors que DuGrand lui avait ordonné de régler cette affaire, et que le comte Saule avait insisté pour qu'il n'y ait plus de pertes. A cause de son inaction, les Orientaux nous menacent à nos portes, et nous en sommes réduits à nous terrer dans nos maisons, à attendre la prochaine attaque.

La passivité était un sentiment que les soldats toléraient mal en général, a fortiori quand le danger menaçait leurs foyers et leurs familles. La position de Hadden était compréhensible, mais en même temps il semblait empressé et déjà convaincu de la responsabilité des Orientaux. Dans son esprit l'explication était claire, et il souhaitait mener une opération de grande envergure pour aller déloger leurs ennemis de la base avancée qu'ils avaient sans doute installée, pensait-il, sur les rives du lac. Pour l'heure, Syla l'avait toujours défendu de s'y risquer, mais si le capitaine venait à ne plus pouvoir assumer ses fonctions, c'était à lui que reviendrait la tâche de conduire les hommes au nom de leur supérieur à tous, le commandant DuGrand. Ce dernier était devenu beaucoup plus politique depuis quelques temps, et il ne prendrait pas le risque de se mouiller personnellement dans cette affaire. Il fallait quelqu'un qui aurait le courage de prendre les décisions qui s'imposaient, et Hadden était convaincu de pouvoir être cet homme.

Revenant aux deux Elfes, il leur lança :

- Si vous trouvez ces Orientaux, je ferai en sorte de mettre toute la milice d'Esgaroth sur le pied de guerre afin de vous aider à purger ces misérables. Alors, par où allez-vous commencer à les chercher ? Sur la rive orientale ? Vous pensez qu'ils ont une base plus loin dans les terres ?

Enfin quelqu'un de cultivé et de confiance, un ménestrel ne pouvait se faire permettre de se faire une mauvaise réputation. Sigvald trouva l'homme à la fois tout à fait sympathique et enjoué, mais de lui se dégageait une certaine aura de mystère dont-il en jouait à la perfection. D'un signe de tête notre elfe approuva à son tour et emboîta le pas au ménestrel.

Le chemin qu'ils prirent n'était pas le plus rapide, au fur et à mesure des détours et de ses observations Sigvald dû admettre que la manœuvre du ménestrel était intelligente ; autant pour rejoindre leur destination en toute discrétion, autant pour l'emmener au cœur d'une embuscade. Force est de constater que l'homme connaissait Esgaroth autant que Sigvald connaissait Vertbois. Ils évitèrent ainsi les grandes artères et les rues fréquentées pour déboucher sur de vastes quais, défendu et surveillé par des hommes en armes. Voilà un semblant de flottes de défense ! Ce dit notre elfe, si toutefois les navires étaient prêts au moindre signal.

- Regardez attentivement, vous ne voyez pas quelque chose d'étonnant ?

- Rien qui ne me saute aux yeux, les coques sont entretenus, quelques hommes en armes restent les surveiller, j'espère que les autres sont dans les casernes et qu'ils savent rapidement préparer leurs navires pour une sortie, sinon en cas d'attaque je ne vous conseillerais de ne pas rester dans le coin. Et... au moins un navire en patrouille.

La réponse du ménestrel le surprit, des hommes « d'élites » avaient eux aussi échoué et disparu au milieu du lac. Sigvald ne voyait pas encore la relation entre la compagnie de Toras sur le lac, le Comte et les disparitions sur le lac. Sa méfiance envers Saule et ses hommes n'avançaient pas plus Sigvald, pourquoi s'attaquer à des pêcheurs si ceux qui ont attaqué les hommes de Saule et leur soi-disant cargaison spéciale avaient réussi.

- Une affaire compliquée pour moi qui vient d'ailleurs... Selon vous il y aurait eu une chose précieuse qui aurait disparu à bord du navire des hommes de Toras ? mais pourquoi alors s'attaquer aux pêcheurs et marins ? Aussi. Vous qui connaissez la cité comme votre poche, qui aurait le plus à gagner dans cette histoire ? Je voudrais en savoir tellement et résoudre cette affaire qui bouleverse votre cité.

Sigvald savait que si l'affaire était un jeu de pouvoir ou de politique celle-ci commencerait à devenir compliqué et démêler le vrai du faux deviendrait une tâche encore plus ardue. Mais il espérait toujours que ce ne soit qu'une simple affaire de pillage de brigands ou des attaques voilés d'hommes de l'Est où viendrait se greffer d'autres histoires profitant du chaos engendré.

- Ah oui, les pêcheurs m'ont parlé du épaisse brume et que celle-ci n'avait pas l'air des plus naturels et ceux les jours où les navires ont disparu.

HRP : Avec toutes mes excuses pour ce retard, je vais essayer de poster un peu plus régulièrement à l'avenir, même si avec les concours je risque de ne pas pouvoir maintenir un rythme aussi soutenu qu'avant. Encore désolé ! /HRP
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Le désir de Sigvald de porter assistance à la communauté d'Esgaroth était tout à son honneur, et cela n'échappa guère au ménestrel, qui le dévisagea avec une gratitude non feinte. Il était bien rare de croiser sur son chemin une âme qui voulût bien prêter assistance à son prochain, et les Elfes se tenaient désormais au premier rang des races les moins susceptibles de tendre la main à quiconque. Devant même les Nains, avec qui les gens d'Esgaroth et de Dale savaient encore faire commerce quand venaient les heures sombres. Les mystérieux Premiers Nés, quant à eux, s'étaient retirés dans leurs forêts et contemplaient le monde qui s'effondrait sans ciller, immobiles dans toute la splendeur de leur immortalité. Mais Sigvald semblait différent, animé d'une volonté encore farouche comme des Eldar de jadis qui, disait-on dans les contes et les légendes d'âges depuis longtemps révolus, brûlaient d'une flamme ardente de savoir et de pouvoir.

Savoir.

L'Elfe le désirait tout autant que le Ménestrel, et tous deux se retrouvaient dans une impasse face à ces mystères à n'en plus finir.

Pouvoir.

Il semblait le rechercher aussi… le pouvoir d'agir, le pouvoir de changer le cours des choses… Y avait-il destin plus tragique que celui de l'impuissant condamné à contempler sa propre existence sans rien pouvoir y faire ? Sigvald souhaitait avoir le pouvoir d'agir, cela transpirait de toutes les fibres de son être. Toutefois, il y avait dans son sang elfique autant de bien que de mal, autant de héros au noble cœur qui avaient lutté pour autrui, que d'âmes corrompues qui s'étaient laissées aveugler par la rage.

Le savoir et le pouvoir étaient inextricablement liés, et il fallait les manier avec précaution.

- Pourquoi s'attaquer aux pêcheurs, dites-vous ? Je l'ignore. Le comte Saule s'est fait beaucoup d'ennemis ici, des gens que sa politique indispose, même s'ils n'osent pas le clamer tout haut, de peur de tomber en disgrâce à ses yeux – et à ceux du roi. Pourtant, je ne vois pas qui pourrait s'en prendre délibérément à d'innocents civils pour de simples motifs politiques. Cela ressemble plutôt à une action irréfléchie, pour ne pas dire bestiale. De la cruauté à l'état pur.

Il marqua une pause, soucieux de ne pas perdre le fil de sa réflexion alors que l'émotion le gagnait. Il était un habitant d'Esgaroth, et il connaissait certains des marins qui avaient disparu. Il aurait payé cher pour connaître l'identité du coupable, et pour le voir traîné devant la justice.

- Je crois que la réponse se trouve sur le lac, nulle part ailleurs… Mais il faudrait être fou pour s'y aventurer. Seul, de surcroît.

Si même les gardes ne souhaitaient pas faire face à la menace qui paralysait la vie de la cité lacustre, alors il fallait être fou en effet. Mais quelque chose dans le regard de Sigvald indiquait au Ménestrel qu'il y avait chez lui ce petit grain de folie qui n'était pas près de disparaître. Puis vint la question de l'Elfe concernant la brume, et tout à coup le visage du chanteur se para d'un voile soucieux. Il fronça les sourcils, et répéta :

- Une brume non naturelle… Je crois que nous savons tous à quoi cela fait référence, mais si aucun pêcheur ne vous l'a dit, c'est qu'ils craignent de l'invoquer. Son nom n'est pas tombé dans l'oubli, malgré les siècles, et si d'aucuns croient qu'il s'agit d'une légende, d'autres comme moi savent que les maléfices du passé ont bel et bien existé.

Son ton était devenu grave et sérieux, comme s'il plongeait dans la mémoire des Hommes, transmise de génération en génération par des lignées de conteurs qui s'étaient passés le souvenir de ces jours funestes.

- Je parle de Smaug le terrible, naturellement. Le grand dragon qui a dévasté notre cité, et qui a fait planer une ombre immense sur le Troisième Âge. On dit de lui qu'il était plus grand que la ville toute entière, et que de sa gueule jaillissaient des flammes capables de tout détruire. On dit aussi que son intelligence était à nulle autre pareille, et que sa ruse avait fait de lui le dernier des dragons à arpenter la Terre du Milieu. Aujourd'hui encore, vous verrez des gens conjurer le mauvais sort en entendant son nom murmuré… Quant à cette brume… On raconte que quand la bête eût sombré dans les flots, la fournaise dans son immense poitrine continua à brûler encore et encore, comme un brasier inextinguible. Et, à mesure que l'eau remplissait son corps, une fumée remontait du lac et enveloppait la ville d'Esgaroth. Ce n'est qu'une légende, bien entendu…

Il haussa les épaules. En tant que Ménestrel, les légendes étaient son fonds de commerce, et il en connaissait un certain nombre. Certaines contredisaient les autres, et il n'était pas sûr qu'il s'agît de la vérité. Toutefois, il ne connaissait aucune autre histoire du passé qui évoquât une telle brume mystérieuse sur le lac.

- Peut-être… peut-être que le brasier brûle encore, qu'en savons-nous ? Peut-être que quelqu'un a retrouvé la carcasse de la bête, et en la maniant aurait généré ces fumées mystérieuses. J'ignore tout de cela, mais cela n'augure certainement rien de bon pour personne. Si quelqu'un a exhumé les trésors de Smaug, je ne peux imaginer que ce soit pour de bonnes raisons…

Le regard du Ménestrel se perdit dans le lointain. Son hypothèse était effrayante, et il espérait de toutes ses forces avoir tort. Mais comment savoir ?




Hadden s'excusa d'un geste devant la question à la naïve et extrêmement importante de l'Elfe. Naïve de son point de vue de sujet du royaume de Dale et habitant d'Esgaroth, mais il devait se rappeler qu'en dépit de leur profonde sagesse, les Eldar ne savaient pas tout. Les deux nouveaux venus ignoraient les détails complexes de la politique du Rhovanion, et ils avaient besoin de renseignements précis pour pouvoir se montrer des alliés utiles. Le sergent lui-même ne connaissait pas tout, car il n'était qu'un officier subalterne dans une organisation davantage tournée vers la défense des foyers de la cité lacustre qu'un grand amené à commander les armées de Gudmund. Cependant, comme tout un chacun, il connaissait ce qu'on racontait au sujet des Orientaux, et il se fit un plaisir d'éclairer la lanterne de la femme Elfe, la plus loquace des deux :

- Les Orientaux, commença-t-il, ne respectent jamais aucun traité. Ce sont des lâches et des ennemis de la justice. Ils viennent la nuit dans les campagnes, et ils enlèvent hommes, femmes et enfants pour les ramener dans leurs sombres terres et en faire des esclaves. Certains venaient faire du commerce il y a quelques années, et même s'ils n'étaient guère appréciés, leurs marchandises se vendaient. Mais il y a environ cinq ou six ans, ils ont cessé de venir pacifiquement. Tous ceux que nous avons surpris étaient des esclavagistes entrés illégalement sur notre territoire. J'ai moi-même participé à plusieurs missions contre eux, et j'ai déjà vu ce qu'ils font à leurs prisonniers. Les plus faibles sont destinés aux travaux de force, et on les nourrit à peine assez pour qu'ils puissent faire le chemin du retour. Les femmes sont violées sauf quand elles sont d'une beauté exceptionnelle. Les enfants, quant à eux, servent de moyen de pression sur les autres esclaves. Celui qui se rebelle sera responsable pour la mort d'un petit… Ces êtres n'ont que la cruauté dans le regard et le vice dans leur cœur.

Il marqua une pause. Il avait toujours craint les Orientaux, mais depuis qu'il avait appris à manier l'épée, sa peur s'était muée en haine. Il les détestait de tout son être, et espérait sincèrement pouvoir trouver et tuer tous les esclavagistes qui parcouraient les terres autour de sa cité. Depuis quelques temps, on rapportait des incursions plus fréquentes et plus vives, ce qui ne devaient rien au hasard. Les gens de l'est lointain avaient décidé d'établir une base avancée non loin de Dale, et ils accroissaient d'autant leur rayon d'action.

- Avez-vous entendu parler du comptoir commercial des Orientaux ? Demanda le sergent soudainement. A la faveur de l'hiver, ils ont décidé de s'implanter à l'est de Dale, et d'y établir une base fortifiée. Je ne connais pas trop les détails, mais je sais que cela préoccupe en haut lieu, et on raconte que le roi Gudmund aurait levé des hommes pour essayer de leur faire faire demi-tour. Cela n'augure rien de bon, assurément.

Hadden était un bon soldat, mais il avait toujours eu pour défaut de trop donner son avis, et de ne pas toujours savoir respecter la hiérarchie. Il était agréablement surpris de voir qu'aujourd'hui, on lui demandait explicitement une opinion sur la question, les questions des deux Elfes le mettaient dans une position confortable, où il pouvait leur apprendre ce qu'il savait, et essayer de les guider vers la résolution de cette affaire. Toutefois, la question que lui posa la femme le glaça subitement. Son visage devint livide, alors qu'il répondait :

- Je… Naturellement je ne voudrais pas créer un incident avec le seigneur de Vertbois… Mais… eh bien…

Il se mit à tirer nerveusement sur ses doigts, tout à coup très embêté :

- Nous vivons sur le lac, fit-il bientôt, et les accident arrivent parfois. Ils sont rares, mais inévitables. Cependant, cela concerne principalement des pêcheurs inattentifs, ou bien des enfants encore trop jeunes pour savoir nager. Ces drames sont… eh bien… explicables.

Son regard se perdit successivement dans celui d'Achas, puis dans celui de Delaynna, avant qu'il ne reprît :

- Il n'y a qu'une seule disparition qui soit véritablement inexplicable… celle de la femme du capitaine Syla. C'est un homme de bien, comprenez, et je ne voudrais pas jeter davantage de malheur sur un homme brisé. Cela fait plusieurs années maintenant, mais son corps n'a jamais refait surface. On n'en a trouvé aucune trace. Les anciens disent que ce n'est jamais bon qu'une âme n'ait pas de sépulture décente. Ils disent que c'est les gens qu'on n'enterre pas reviennent pour hanter les vivants.

Il leva les mains, comme s'il voulait se détacher de ces racontars. Au fond de ses yeux, toutefois, on devinait aisément qu'il y croyait dur comme fer, et que pour lui les disparitions récentes n'étaient pas étrangères à cet esprit tourmenté qui hantait les eaux du Long Lac. La confrontation entre ses peurs et ses certitudes était pourtant très intéressante, et montrait que derrière les superstitions et les légendes des anciens, se cachait peut-être un début de piste, une source d'explication.

- Les esprits… c'est une chose à laquelle je ne veux pas vraiment penser. Par contre, je sais que les Orientaux comptent parmi les leurs des sorciers et des mages de grande puissance. Des gens qui seraient peut-être capables de réveiller un esprit endormi, et de le retourner contre les habitants d'Esgaroth. C'est pour cela que je pense qu'il faut les chasser… pour qu'ils laissent enfin la femme du capitaine reposer en paix.

Achas échangea un regard avec Delaynna.

Un regard à la fois interrogateur et perplexe. Croyances et mythes naissaient à la surface du Long Lac, et se mêlaient au tissu de la réalité pour construire une trame complexe dont il était difficile de tirer une once de vérité.

#Hadden

Sigvald écoutait attentivement le barde, il considérait ces paroles de l'homme réfléchi bien que teinter par les légendes qui font des bardes d'excellent conteur. Au fur et à mesure de ce jeu de questions-réponses notre elfe en vint à rejoindre la vision des choses du barde.

Pour  notre elfe deux possibilités s'offraient à lui et il s'y fixa dessus au dépit de se tromper totalement de trajectoire. S'attaquer aux pêcheurs ne rime à rien si ce n'est pour but de voler leurs prises, à moins qu'ils ne soient tombés sur quelqu'un ou quelque chose qui ne pouvait se permettre de les laisser en vie. Et ce quelqu'un aurait pu être à la recherche des richesses voir de reliques perdues aux alentours des ossements de Smaug. La brume émanant de la carcasse pourrie de Smaug aurait tenu la route, mais il n'en reste certainement aujourd'hui que des os, mais au moins cela indiquait clairement la zone où Smaug était tombé. Il y avait aussi la possibilité du comptoir Oriental qui s'attaque aux pêcheurs isolés loin des regards pour capturer une main-d’œuvre robuste pour en faire des esclaves. Notre mercenaire penchait donc pour ces deux pistes-là. L'une pouvait être dissociée de l'autre et à la fois toutes deux se confondre, à moins que d'autres éléments viennent s'y greffer.

- Vous m'en avez beaucoup appris et vous me donnez des pistes qui me semblent intéressantes. Le mieux serait d'aller voir de quoi il en retourne là ou ce fléau ancien est tombé. Je vais vous quitter et rejoindre mes compagnons, je vous en suis reconnaissant. Pour la chanson promise je vous en apprendre une magnifique qui parle de renouveau et d'amour où préférez-vous que je vous narre le dénouement de cette mystérieuse histoire si toutefois il y ai une fin? Et je ne vous ai pas demandé, comment vous appelez-vous ?

Une fois qu'il aurait pris congé du barde il partirait rejoindre ses compagnons et aviser ensemble de la marche à suivre. Toujours sur ces gardes comme un loup en chasse, ces sens étaient tournés sur le monde qui l'entourait et ses pensées focalisés sur sa mission. Mission dont le but n'était désormais plus de se racheter aux yeux de son peuple, mais bel et bien de voir les gens libérer de leur malheur.




HrP : Réponse courte, je suis pris dans les cours et les manifestations ^^

- Ian. Ian le Barde, c'est ainsi qu'on me connaît ici.

L'intéressé s'inclina légèrement, en portant la main à son torse, dans un geste à la fois élégant et respectueux. Il se redressa rapidement, et demanda à Sigvald :

- À qui ai-je l'honneur ? Je suppose que votre arrivée ici n'est pas une pure coïncidence.

Puis, ayant pris connaissance de l'identité de Sigvald, et de ce que pouvait signifier sa présence au sein de la cité lacustre, le Ménestrel se fendit d'un commentaire qui reflétait bien l'esprit de ce groupe singulier à Esgaroth, et pour ainsi dire dans toute la Terre du Milieu :

- Qui pourrait dire non à une bonne histoire ? Si d'aventure vous survivez à tout ceci, venez me trouver à l'Académie, et contez-moi votre formidable aventure. J'en ferai une chanson qu'on fredonnera dans tout le royaume de Dale, et, si les Valar le permettent, dans tous les grands royaumes. Une grande notoriété pour vous, une reconnaissance artistique pour moi, et peut-être le privilège d'appartenir au cercle restreint des bardes les plus demandés.

Ici à Esgaroth, et plus largement dans le royaume de Dale, commerce et art s'entremêlaient selon des modalités qui pouvaient parfois paraître étonnantes aux yeux des étrangers. Pour les Elfes, notamment, chez qui l'art était conçu par et pour lui-même. Pour la beauté du geste, pour l'amour de la création. Chez les Hommes du Rhovanion, la création servait de nombreux objectifs, et l'enrichissement personnel était l'un d'entre eux, au même titre que le prestige, la gloire et la renommée. Ian ne s'amusait pas de la situation dramatique sur le lac, mais l'opportunité de raconter la lutte féroce d'un Elfe venu de Vertbois contre les dangers qui menaçaient le peuple d'Esgaroth lui ouvrait des perspectives intéressantes qu'il ne prenait pas la peine de cacher.

Il joignit les mains, comme pour clore un entretien, et lança :

- Je ne suis ni marin, ni soldat, et je ne peux vous aider d'aucune sorte dans votre entreprise. Je manie davantage la plume que l'épée, et vous auriez en moi un bien piètre compagnon. Cependant, si vos aventures remuent le fond du lac, et exhument des secrets trop profondément enfouis, vous aurez peut-être besoin d'un barde de votre côté pour vous appuyer. Le cas échéant, je vous apporterai mon aide, dans la mesure de mes modestes moyens.

Il s'inclina une nouvelle fois, laissant glisser sur son visage le même sourire mystérieux dont il s'était vêtu quelques temps plus tôt.




Pour Achas, la conversation avec le sergent Hadden avait soulevé plus de questions que de réponses. Il ne savait pas quoi penser de ses allégations, et avait l'impression que sa haine des Orientaux obscurcissait son jugement. Néanmoins, il ne voulait pas mettre de côté la possibilité que les Hommes de l'est fussent derrière les nombreuses disparitions. Pourquoi ? Comment ? Ils ne le savaient pas encore, et ce n'était probablement pas en restant sur le rivage qu'ils découvriraient le fin mot de cette affaire.

Mais que fallait-il faire de cette histoire de magie ?

Achas avait conscience que les humains, limités par nature, ne comprenaient pas tous les secrets du monde, et qu'ils étaient prompts à donner des explications farfelues à ce qu'ils n'arrivaient pas à appréhender. Pour eux, le plus banal des Eldar devait ressembler à une créature empreinte de magie, ce qui ne pouvait pas manquer de le faire sourire. Pourtant, il y avait bien dans le monde des réalités qui échappaient à la compréhension du plus grand nombre, et que lui-même regardait avec méfiance et une pointe d'effroi. Le lien tout à fait unique et mystérieux que Delaynna entretenait avec l'eau le mettait mal à l'aise, et lui rappelait fréquemment qu'elle appartenait à une forme de caste dans laquelle il n'entrerait jamais. Cela le frustrait, et lui donnait l'impression d'être un inférieur… un sentiment que les humains ressentaient fréquemment les uns envers les autres, mais que les Eldar n'expérimentaient pas aussi souvent. C'était quelque peu déstabilisant.

Cependant, il savait que Delaynna utilisait ses compétences particulières pour faire le bien, et que même si elle avait décidé de s'en servir à de mauvaises fins, elle n'était pas toute puissante. Il y avait bien longtemps que les plus puissants des Eldar avaient quitté la Terre du Milieu, et les miracles dont ils étaient capables s'étaient évanouis avec eux à Valinor. Sans cela, comment expliquer que le monde fût dans un tel état ? Cependant, d'autres forces beaucoup plus sombres étaient restées enfermées dans les profondeurs du monde, dans les ténèbres du Mordor, ou dans les territoires inexplorés de l'est. On n'avait jamais pu faire totalement disparaître les maléfices de Morgoth, là-bas, et rien ne pouvait affirmer qu'un arc ou une épée pourraient rien faire contre les pouvoirs dévastateurs des émissaires du Noir Ennemi qui avaient peut-être survécu à la chute de leur maître, et à la fin de son valet Sauron.

Ces questions, ces doutes, ces angoisses tourbillonnaient dans l'esprit de Achas, qui regardait ses armes avec une pointe de désillusion. Que pouvait accomplir une flèche ou une lame contre les dangers qu'ils devraient peut-être affronter, si Hadden avait raison concernant ses soupçons de sorcellerie noire ? Même Delaynna ne pourrait pas les sauver si la menace était aussi sérieuse qu'ils pouvaient le craindre. L'archer inspira profondément, avant d'expirer calmement. Il ne devait pas laisser l'inquiétude le gagner. Ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils devaient affronter, et peut-être que tout ceci était un artifice pour les effrayer.

Alors qu'il était encore absorbé par ses pensées, Sigvald fit son apparition et Delaynna choisit très sagement de les mettre à l'abri des oreilles indiscrètes. L'archer ne pouvait pas s'empêcher de se méfier des humains qui les observaient avec un brin de crainte, et un brin d'intérêt. Le Rude Hiver avait fait des ravages dans la cité lacustre, et pour beaucoup c'était aussi une marque de sorcellerie que certains attribuaient peut-être aux Eldar. Ils ne comprenaient pas comment les choses fonctionnaient, et ils se plaisaient à accuser la première personne qui se trouvait sur leur chemin. Les Orientaux, les Elfes, et bientôt ils maudiraient leurs propres voisins pour les épaisses chutes de neige, et désormais la chaleur moite qui nuisait aux cultures.

A l'instar de la Dame de l'Eau, l'archer écouta attentivement le récit de Sigvald, en espérant entendre des informations complémentaires qui viendraient décrire une image plus nuancée de celle qu'il se faisait pour le moment de la situation. Toutefois, ils n'auraient de confirmation de leurs hypothèses qu'une fois sur le lac. C'était une réalité qui ne plaisait pas à Achas, mais qu'il acceptait pleinement. Il s'ouvrit à ce sujet à ses compagnons :

- Nous avons des doutes, des pistes, mais finalement rien de concret. J'ai bien peur que nous devions aller nous-même dans la gueule du Warg, pour voir ce qu'il en est.

Il inspira profondément.

Son inimitié vis-à-vis de Delaynna était persistante, même si elle s'était muée peu à peu en une forme de raillerie plutôt qu'en une haine franche et totale. Toutefois, il y avait encore de l'honneur chez Achas, un honneur un peu chevaleresque, peut-être déplacé, mais qui le conduisit à formuler une solution qui ne pourrait pas contenter tout le monde, il en était certain :

- Nous ne pourrons peut-être pas convaincre un batelier de nous faire traverser le lac, surtout pas de nuit. Toutefois, nous pourrions louer une embarcation, et nous aventurer nous-même à la rencontre de celui ou celle qui envoie les navires par le fond.

Son regard glissa vers Sigvald, puis vers Delaynna :

- Nous risquons gros si nous allons tous les trois sur le lac, sans savoir ce que nous risquons de trouver. Delaynna, il serait sans doute plus prudent que vous restiez ici, et que vous nous laissiez y aller seuls.

Il leva la main, pressentant qu'elle allait rétorquer quelque chose, et poursuivit :

- N'y voyez pas une question de sexe, mais bien de compétence. Sigvald est un guerrier accompli, et j'ai toute confiance dans sa capacité à prendre les bonnes décisions au bon moment. En outre… le rhaw… le hröa d'une Dame de l'Eau est beaucoup plus précieux que nos propres corps. S'il vous arrivait quelque chose, ce serait une grande perte pour la Terre du Milieu.

Pour une raison qu'il n'expliquait pas encore très bien, Achas ne pouvait pas supporter l'idée de perdre Delaynna. Il n'appréciait guère sa présence, qui lui rappelait par trop à quel point il n'était qu'une sentinelle d'Eryn Lasgalen, mais il savait également que sa douceur n'était pas feinte, et qu'elle avait un brillant destin devant elle. La perdre serait un échec personnel, et il n'était pas prêt à cela. Il sentait l'opposition venir, et son regard se tourna de nouveau vers Sigvald, qui soutiendrait peut-être sa proposition… à moins qu'il eût une meilleure idée.

#Ian

Sigvald quitta la compagnie du barde pour rejoindre ses propres compagnons, il avait hâte que cette histoire se termine. Il fit marche arrière, longea les ruelles presque insalubres des quartiers les plus démunies et arriva en périphérie du centre de la cité à quelques rues de l'auberge où il tomba sur Delaynna et Achas qui eux aussi remontait à l'auberge. Il les salua et la Dame de l'Eau les écartèrent prudemment de l'agitation des rues pour un coin plus calme à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes, ce qui sembla soulager la sentinelle de Vertbois.

- Ma visite chez les pêcheurs à soulever plus de question que de réponse, leurs récits se mêlaient aux histoires de magie, mais dans le fond leur discours ma ouvert des pistes. À la suite j'en ai appris plus avec l'un des bardes d'Esgaroth, qui lui ma permis de distinguer plus ou moins deux pistes sérieuses selon moi. Sigvald prit une grande inspiration, son regard allant de l'un à l'autre. Déjà ceux qui disparaissent ne reviennent pas, leurs navires ne sont pas retrouvés, nous ne retrouvons que des débris rien de plus. Ceux ou la chose qui fait ça ne veut soit aucun témoin soit ne rien laisser en vie. Les pêcheurs m'ont parlé d'une brume étrange, le barde m'a parlé de la même chose lors de la chute de Smaug. Pour ma part il faut aller dans cette zone-là et voir ce qui s'y passe. J'en viens aux deux pistes qui me semble les moins tiré par les cheveux, la première des Orientaux capture les équipages pour en faire des esclaves et coule les navires. La deuxième, nous avons à faire aux hommes, un groupe qui ne veux aucun témoin gênant et qui pourrait rechercher les anciens trésors et reliques que Smaug avait sur lui. Pour ma part j'exclus l'hypothèse d'une créature d'un autre âge sortie de l'ombre pour s'en prendre à ceux qui navigue sur le lac.

Sigvald espérait que son récit ne sois pas loin de la vérité et que se préparer aux diverses conséquences avec l'un de ses problèmes ne serait que bénéfiques. Il écouta attentivement Achas et leurs idées s'accordaient.

- Oui louer une ou deux embarcations et y aller seraient la meilleure chose à faire. Là où les hommes ont besoin du feu pour y voir clair, nous pouvons y aller sans nous faire remarquer. De nuit serait le mieux pour nous glisser discrètement sur lac et voir de qui il en retourne. Delaynna vous avez une autre idée ? Notre mercenaire sentait que l'esprit de la Dame de l'Eau se concentrait sur autre chose qu'il ne parvenait pas à saisir. Je pense que l'un de nous doit effectivement rester à terre et convaincre les soldats de la ville de se préparer en fonction de ce que nous trouverons là-bas et avoir une longueur d'avance sur un éventuel adversaire.

Son cœur s'accéléra brutalement à la penser d'un futur combat, non pas pour le combat en lui-même, mais ce qui pourrait en découler comme la mort de l'un d'eux. À cette simple pensée s'il n'écoutait pas sa raison il y serait allé seul pour ne risquer aucune autre vie. De toute façon la première approche se voulait discrète afin de recueillir des informations ou d'agir s'il est possible de le faire.




Ps : Long moment avant cette réponse. Préparation et petites révisions avant l'examen que j'ai réussi (I am the best) ! ^^

Achas lâcha un discret soupir de soulagement. Finalement, Delaynna n'avait pas marqué une trop vive opposition à son idée, et il s'en félicitait. Cela signifiait sans doute qu'elle commençait à prendre la mesure du danger qu'ils risquaient d'affronter, et qu'elle comprenait que dans cette situation, il n'était pas utile de se sacrifier pour deux guerriers aisément remplaçables. Elle-même était beaucoup plus précieuse qu'ils pouvaient l'être, et leur mission était de la protéger. Pas l'inverse. L'archer ne put s'empêcher de noter qu'elle acceptait avec réticence, et il en conçut une forme de respect nouveau pour elle. Malgré tout, elle tenait sincèrement à les accompagner, et l'idée de les laisser partir seuls sur le lac l'inquiétait plus qu'elle ne voulait bien l'avouer. Le danger l'effrayait moins que la perspective de perdre ses deux compagnons. C'était un noble sentiment, et Achas lui-même se rendit compte qu'il éprouvait une pointe de soulagement en sachant qu'elle allait rester sur la terre ferme. Peut-être ressentait-il davantage pour Delaynna que le mépris et la méfiance qui s'étaient emparés de lui. Peut-être la voyait-il enfin comme une fidèle alliée à qui il ne souhaitait que de continuer à vivre en Terre du Milieu pour y dispenser conseils et bienfaits.

Il baissa subitement le regard quand elle le dévisagea, et s'empressa de prendre ses armes alors qu'elle quittait leur chambre subitement pour s'affairer à Manwë savait quoi.

- Sigvald, puis-je vous emprunter votre pierre à aiguiser ?

Les deux guerriers n'étaient pas proches, mais leur condition de soldat les inclinait naturellement à se tourner l'un vers l'autre dans ces circonstances. Il y avait chez Achas une forme de respect inhérent pour les gens de guerre, et bien qu'il eût une forme de dégoût pour le passé de Sigvald, il se rendait compte que son compagnon d'armes n'était pas aussi mauvais qu'il l'avait cru au départ. Chacun pouvait commettre des erreurs, et lui semblait désireux de faire amende honorable et de servir une juste cause désormais. C'était heureux, sans quoi l'archer aurait dû l'abattre d'un trait mortel en plein cœur. C'était d'ailleurs la pointe de ses flèches que Achas aiguisait soigneusement, car ses lames elfiques étaient toujours tranchantes et auraient eu tôt fait d'abîmer la malheureuse pierre à aiguiser. Il s'appliquait en attendant à rendre ses traits aussi effilés que possible, afin de leur permettre de se glisser dans la cuirasse d'un Oriental si besoin. Ces hommes, il l'avait déjà vu par le passé venaient cuirassés de la tête aux pieds, et il préférait se préparer au pire que de se laisser prendre au dépourvu.

Le bruit reposant du métal sur la pierre était propice à la détente et à la méditation. Les deux combattants retrouvaient des réflexes habituels, des gestes familiers qu'ils avaient pu pratiquer souvent avant de partir au combat. Chacun avait ses rituels, ses manies. Il n'y avait pas de peur chez eux, seulement la conscience du devoir à accomplir, et une pensée efficace tournée toute entière vers leur mission. Ils n'avaient pas à craindre la mort physique que les Hommes redoutaient, et cela les libérait d'un poids terrible, tandis que leur esprit ancestral leur rappelait à quel point tout ceci n'était pas nouveau pour eux. Ils avaient déjà affronté des situations bien pires, et ils triompheraient cette fois encore, si Manwë l'autorisait.

- Il y a une chose que je ne voulais pas aborder devant Delaynna… fit soudainement Achas à voix basse. Nous savons que les Orientaux et leurs esclavagistes aiment à capturer les gens de notre peuple. Je ne vous apprends rien…

L'insinuation était claire, mais pas agressive. C'était un constat, rien de plus.

- En tant que Dame de l'Eau, Delaynna détient des secrets qui nous dépassent, et j'ai peur que des Hommes mal intentionnés voient en elle une prise de choix. Une femme elfe, dotée de grands pouvoirs… elle pourrait être en danger si sa présence était révélée. Même ici, à Esgaroth. Plus elle fera usage de ses dons, même pour faire le bien, plus elle attirera l'attention sur elle. Et avec l'attention viennent les plus sombres dangers.

Il soupira. Pour une raison qu'il n'expliquait pas très bien, il avait l'impression que la présence de Delaynna dans leur groupe leur avait peint une cible dans le dos, et il se demandait lequel des gens d'Esgaroth les trahirait en premier pour un peu d'or. On racontait que les gardes corrompus pouvaient fermer les yeux sur certains crimes, que des esclavagistes s'infiltraient parfois dans les villes pour enlever des voyageurs que personne ne connaissait, qui n'avaient ni famille ni amis dans la région. Sur le marché, Delaynna valait sans doute une petite fortune. Bien plus qu'il n'en fallait pour qu'on la prît pour cible et que les autorités fermassent les yeux sur son enlèvement.

- J'ai besoin que vous le lui expliquiez… En notre absence, quand nous irons sur le Lac… j'ai peur que quelque chose de terrible se produise. Je crains pour sa sécurité.

La porte s'ouvrit avant qu'ils aient eu le temps de terminer leur conversation, et ils s'interrompirent brutalement. Sigvald et Achas échangèrent un regard entendu, mais choisirent de ne rien évoquer directement devant la Dame de l'Eau, afin de ne pas l'inquiéter. Au sein du monde des Elfes, elle était révérée et respectée, mais ici au milieu des Hommes, il fallait faire preuve de davantage de prudence. Achas était peut-être paranoïaque, mais ce terrible pressentiment ne voulait pas le quitter.

Quelques minutes après le retour de Delaynna, une jeune fille qui travaillait probablement dans l'auberge toqua à la porte, et déposa une grande bassine d'eau sur une petite table. Elle jeta un regard angoissé vers les deux Elfes qui aiguisaient silencieusement leurs armes, de toute évidence plus à l'aise devant la figure maternelle et plus douce de la Dame de l'Eau. Sans un mot, elle s'éclipsa, non sans avoir jeté un dernier regard par-dessus son épaule à ces trois créatures d'exception qui lui faisaient l'honneur de venir dormir dans l'auberge où elle était employée. Quand elle raconterait ça !

Delaynna quant à elle semblait avoir quelque chose en tête, et elle s'approcha de la bassine, sous le regard de ses deux compagnons qui, perplexes, continuaient à se préparer tout en la dévisageant.




La vision n'était pas nette, comme un rêve dont on aurait dévoré les détails. Elle ressentait le chaud et le froid, sans pour autant percevoir distinctement le vent frais du soir sur sa peau ou dans ses cheveux. Son esprit comprenait le mouvement, sans pour autant que ses muscles lui indiquassent qu'elle bougeait. Elle était encore fermement ancrée dans le sol de la chambre, mais une partie d'elle-même était ailleurs. Près du Lac.

Et alors elle le vit.

Syla.

L'homme avait troqué sa cuirasse de la Milice d'Esgaroth pour une tunique de cuir qui ressemblait à s'y méprendre à celle d'un voyageur ou d'un brigand. Habillé tout de brun, il ressemblait à une tâche d'encre sur le plumage d'un corbeau, et seule la lumière pâle des étoiles permettait de distinguer son visage déformé par l'effort et la tristesse. Il avait une épée au côté, et un poignard était glissé dans sa ceinture, mais ses mains étaient occupées par autre chose. Une rame, plantée fermement dans le sable, sur laquelle il poussait de toutes ses forces pour projeter son embarcation sur le Lac.

Sur le Lac.

En pleine nuit.

Armé.

Que pouvait-il bien faire ? Que projetait-il ? De nombreux navires avaient disparu récemment, et les membres de la garde étaient effrayés à l'idée de se rendre sur les eaux sombres et menaçantes, au risque d'y croiser des mages, des sorciers ou une armée tapie. Pourquoi y allait-il seul ? Delaynna était libre de ses interprétations, libre de choisir s'il fallait plaindre ou se méfier de l'homme, s'il fallait lui porter secours ou au contraire l'espionner. Elle aurait voulu en découvrir davantage, mais quelque chose se glissa brusquement dans sa vision.

Une ombre.

Et soudainement elle eut très froid. Terriblement froid. Comme si toute vie avait disparu à l'horizon, et que sa propre force vitale était absorbée hors de son corps. Elle-même était sensible à ce que les Hommes appelaient naïvement « magie », et elle ne put que se rendre à l'évidence. Il semblait y avoir quelque chose de cette nature dans les environs. Une chose bien plus terrible et bien plus puissante qu'elle-même. Une chose contre laquelle ses pouvoirs de Dame de l'Eau ne pouvaient rien.

Et la chose était consciente.

Elle tendait son esprit comme un serpent agitant sa langue à la recherche d'une proie, tandis qu'elle restait tapie dans la nuit, invisible. Delaynna ne pouvait même pas en identifier la nature, l'emplacement ou les intentions. Mais soudainement, elle fut piégée. La chose venait de la trouver. Leurs deux esprits entrèrent en contact brutalement, et elle sentit tout à coup une force incommensurable la happer, la tirer vers le fond. Les eaux étaient ses alliées, mais aujourd'hui cette chose voulait l'y noyer, l'emprisonner dans un océan de ténèbres opaques dont elle ne pourrait jamais ressortir. Et elle était incapable de se défendre contre cette puissance terrifiante.

Elle allait mourir.

Elle allait tout simplement mourir.

Non pas la mort physique que les Elfes comprenaient. Non. Son esprit, son hröa allait être anéanti, pulvérisé, réduit en poussière par une force si maléfique et si obscure qu'elle ne rejoindrait jamais les Cavernes de Mandos.

Cette chose allait la tuer.

La dernière chose qu'elle vit fut un œil unique qui la regardait fixement.

Et un mot se forma dans son esprit en retour.

Lingwë.




Delaynna s'écroula sur le sol en même temps que ses deux compagnons, et ce fut seulement à cet instant qu'elle se rendit compte que Sigvald et Achas s'étaient arc-boutés pour essayer de rompre l'enchantement. Tous deux avaient attrapé la Dame de l'Eau par la taille et l'avaient tirée en arrière de toutes leurs forces elfiques, jusqu'à ce qu'enfin elle fut arrachée à sa contemplation. Elle était retombée sur eux, s'épargnant quelques blessures inutiles, mais les deux guerriers furent les plus prompts à se redresser, s'empressant de vérifier si la jeune femme les entendait.

- Delaynna ? Delaynna, vous m'entendez ?

Achas lui tapotait la joue pour essayer de la ramener à elle. Il aurait voulu lui donner un peu d'eau, ou essayer de lui rafraîchir le visage, mais tout à coup la moindre source d'eau lui paraissait être un danger mortel à tenir éloigné. Malheureusement, il ne savait que faire en la circonstance, et il demeurait impuissant. Face aux blessures de l'esprit, ses maigres connaissances médicales n'étaient d'aucun secours. Avant qu'ils eurent réussi à ramener entièrement la Dame de l'Eau à elle, on vint frapper à leur porte.

- Tout va bien ? Demanda quelqu'un. Nous avons entendu des cris.

Qui ne les avait pas entendus, en réalité ?

- Répondez-leur, Sigvald. Rassurez-les, dites-leur n'importe quoi, mais qu'ils nous laissent en paix.

Achas parlait vite, nerveusement. Il en avait encore la chair de poule. Au départ, Delaynna avait semblé absorbée par la contemplation de la bassine, et ils avaient compris qu'elle se livrait à quelque chose que seules les Dames de l'Eau comprenaient. On racontait qu'elles pouvaient voir le passé, le présent et le futur dans l'eau, même si seule Galadriel de Lothlorien avait un pouvoir suffisant pour réellement lire les signes et les interpréter convenablement. Ses suivantes devaient se contenter de visions plus diffuses, moins précises, et surtout moins contrôlées. Intéressés par l'opération en cours, Achas et Sigvald avaient observé leur compagne de voyage, et ils avaient commencé à s'inquiéter légèrement en voyant ses muscles se crisper progressivement. Son visage serein avait perdu des couleurs, et elle avait tout à coup paru souffrir, comme si quelque chose s'était emparé d'elle.

Tout avait culminé quand, incapable de se retenir, elle s'était mise à hurler de toutes ses forces. C'était comme si quelqu'un était en train de la torturer, de lui infliger les pires souffrances imaginables, et que son corps appelait à l'aide. Les deux guerriers avaient réagi au quart de tour, et le souvenir cuisant de la résistance surnaturelle qui s'était opposée à leurs efforts glaçait encore le sang de l'archer. Il n'avait aucune idée de ce qui venait de se passer, mais une peur viscérale venait de s'emparer de lui. Quand il vit Delaynna revenir peu à peu, et qu'il accrocha son regard, il lui demanda :

- Vous allez bien ? Vous m'entendez ?

Puis très rapidement, comme pour conjurer le mal qui s'était emparé de la pièce :

- Par tous les Valar, qu'avez-vous vu ?

Il passa une main douce sur la joue de la malheureuse Dame de l'Eau.

Elle était glacée.

Notre elfe pensait que Delaynna serait plus utile à terre et non sur le lac, il voyait bien que le cas de Syla occupait son esprit. Ils étaient dans leur chambre, toujours la fenêtre ouverte afin de profiter de la douce brise d'Esgaroth. Dans cette situation calme et reposante, Sigvald assis sur une chaise au bord de la fenêtre pensait à son futur ennemi et vint à une conclusion qui ne plairait qu'à lui-même. Si comme le craignait la Dame de l'Eau notre ennemi se retrouverait être des esclavagistes du Rhûn, oui il se ferait une joie de mettre un terme à leur vie. Il sait aussi qu'il ne pourrait s'arrêter là et les pourchasserait tel Oromë, par plaisir et parce qu'il le doit pour le bien d'Arda.

- Certainement. Il fouilla dans son sac et en ressortit plusieurs pierres à aiguiser, certaines plus usées que d'autres et de tailles différentes. Tenez.

Achas aiguisaient ses flèches et sa lame, sans nul doute il se préparait. Quant à notre mercenaire il était plus adepte de la méditation, de ne faire qu'un avec lui-même et le monde. La sentinelle se rapprocha de Sigvald sans un bruit pour ne pas attirer l'attention et le sorti de ses rêveries. Les paroles chuchotées de Achas piquèrent la curiosité de notre elfe et commençait à voir ou il voulait en venir.

- Jusque-là vous ne m'apprenez rien. Je partage votre point de vue, j'y ai déjà réfléchi. Elle doit ce faire discrète et si elle vient à se faire enlever comme vous dîtes, ils nous faudrait alors la délivrer ou s'il n'y a pas d'autres choix...

Sigvald restait un elfe à part des siens, mais il gardait en lui une inflexibilité sur certain sujet digne de son défunt Roi. Il entendait par là qu'il valait mieux que la Dame de l'Eau trouve la mort qu'être corrompue ou torturer comme il avait été. Bien qu'il fasse absolument tout pour la délivrer. Son sang bouillait à nouveau à l'idée d'esclavagiste et de ses propres démons qu'était les Melkorites. Achas l'avait coupé et le chargea de mettre en garde Delaynna, lui expliquer que sa sécurité prélevait sur la nôtre.

Quittant leur petite conversation, Sigvald et Achas s'interrogèrent sur le petit manège de Delaynna, qui semblait à la fois concentrer et impatiente. Au début curieux, il vit l'elfe se pencher au-dessus de la bassine puis notre elfe referma les yeux et se replongea rapidement dans le fils de ces pensés et souvenirs. Il se remémora d'anciennes batailles en tant que mercenaire dans des affrontements rangés ou embuscades, mais avec un œil avisé et un esprit apaisé. Suivant comme un fil conducteur un souvenir en amenait un autre et ainsi de suite, c'est  ainsi que Sigvald s'apprêtait à combattre. Il préparait son esprit et son corps, par la suite il se sentait plus alerte et à même de répondre aux différentes situations qui se présenteraient à lui. Sans crier gare, il se retrouvait enchaîner dans un lieu qu'il ne reconnaissait que trop bien, les caves sombres du temple à Djafa. Réalité et souvenir semblaient se muer pour ne faire qu'un, une peur l'envahit tel un déferlement et le submergea. Cette impression d'avoir toujours été là et de ne jamais avoir quitté ce lieu, une peur et une angoisse primaire qu'il ne pensait jamais ressentir c'était emparer de lui, insidieusement la voix du Grand-Prêtre murmurait dans sa tête. Alors en pleine détresse il entendit des cris non loin, celle d'une femme, ceux de Delaynna. Il s'y accrocha fermement, bandant toute sa volonté, luttant contre ses propres souvenirs, il lui sembla devenir géant, impossible à battre et il rouvrit les yeux. Encore un peu décontenancer par son expérience il maudit sa propre mémoire et se précipita aux côtés de la Dame de l'Eau.

- Delaynna ? Delaynna revenez. Sigvald s'exprimait d'un ton calme et apaisant il s'inquiétait mais n'en montrait rien. Il ne savait pas si c'était les conséquences normales de l'utilisation de tel pouvoir ou si quelque chose ne s'était pas passée comme elle le souhaitait. Le mercenaire ne savait quoi faire et pour rajouter à la tension ambiante une personne frappait à la porte à cause des cris.

Sigvald entrouvrit la porte de façon à masquer la scène, seul lui était visible et il planta fermement son pied derrière la porte au cas où la personne veuille rentrer tout de même. Il prit un ton enjoué et timide à la fois, comme une personne honteuse de rire du malheur de quelqu'un puis il inclina respectueusement la tête.

- Bonjour. Je vous prie de nous excuser, ça nous à même surpris, mais visiblement notre amie a peur des chauves-souris. Il feignit un sourire amusé Nous allons refermer la fenêtre. Encore désolé pour le dérangement. Oh si vous pouviez nous apporter quelques fruits ou pâtisserie sucrés, je pense que ça lui ferait le plus grand bien. Sigvald passa une main sur sa droite et sur la commode pris une fleur du bouquet servant normalement de décoration florale à la pièce et tendit ses mains en direction de la chevelure de la fille. Pour le dérangement. Puis-je ? Elle acquiesça, et Sigvald lui plaça la fleur dans le chignon de façon à ce qu'elle ressorte bien, l'inquiétude sembla quitter son visage. Elle prit congé un sourire aux lèvres et notre mercenaire referma la porte.

Il revint à Delaynnna et lui passa une main autour de la nuque pour délicatement y placer un oreiller, puis lui prit la main. La Dame de l'Eau était gelée, ses muscles crispés et elle tremblait quelque peu. Sigvald reconnaissait bien là la douleur, une douleur intense pour qu'elle ne puisse répondre. Elle commençait tout juste à rouvrir les yeux. Son inquiétude avait pris le pas sur sa curiosité et l'état de Delaynna le préoccupait vraiment.

- Concentrez-vous sur l'instant présent, revenez.

Elle était revenue.

Le soupir de soulagement qui s'échappa de la poitrine d'Achas n'était pas feint. En voyant Delaynna cligner des paupières et revenir progressivement à elle, il se rendit compte qu'ils l'avaient échappée belle. Elle avait bien failli disparaître sous leurs yeux, et ils ne savaient même pas si leur intervention avait aidé d'une quelconque manière à rompre le sortilège auquel elle avait semblé succomber. Il sentait encore l'incroyable résistance qui semblait raccrocher leur compagne à sa vision, et pendant quelques secondes elle leur avait paru aussi inamovible qu'une montagne. Avait-elle trouvé la force de rompre l'enchantement par elle-même ? Si tel était le cas, l'exercice l'avait laissée épuisée. Alors que Sigvald congédiait les visiteurs indésirables avec une affabilité toute humaine, qui tranchait avec le caractère habituel des Eldar de cet âge, l'archer avait pris le pouls de Delaynna. Il battait vite, comme si elle venait de courir à toute allure à travers ses cauchemars. De toute évidence quelque chose de grave venait de se produire, mais les explications viendraient plus tard. Pour l'heure ils devaient se concentrer sur sa santé, et s'assurer qu'elle n'avait rien.

Pourtant, au lieu d'évoquer son propre état, la jeune femme se mit à leur parler de Syla. Achas marqua une pause lorsqu'elle leur en dit plus sur sa vision. Il avait déjà entendu parler de ce genre de choses, et il savait qu'il fallait se montrer prudent vis-à-vis de ces rêves éveillés qui pouvaient paraître plus vrais que nature. On lui avait maintes fois répété de se méfier des voyants et de leurs dires, et il avait depuis fort longtemps appris à ne faire confiance qu'à ses propres sens, et non pas aux illusions. Toutefois, il avait bien senti la force terrible et implacable qui semblait tenir Delaynna prisonnière. Il avait ressenti la tension extrême dans son corps svelte alors qu'elle hurlait de toutes ses forces, comme si mille lames la transperçaient soudainement. Cela, il ne l'avait pas imaginé, et il était soudainement plus enclin à écouter les paroles de la jeune femme. En partie parce qu'il était inquiet à son sujet et qu'il cherchait à comprendre, en partie parce qu'il accordait de l'importance au sort de Syla, un homme qui semblait en savoir davantage qu'il voulait le laisser paraître. Mais surtout, il commençait à avoir foi en la jeune femme. Il commençait à croire en elle, et si ce qu'elle venait de leur révéler était vrai, alors ils devaient non seulement l'écouter, mais aussi agir en conséquence.

- Seul sur le Lac, Syla va se faire tuer, résuma Achas d'une voix sombre. Nous devons faire quelque chose.

Il posa un regard bienveillant sur Delaynna. Sans elle, ils auraient peut-être appris sa disparition au matin, et n'auraient certainement pas soupçonné de le chercher parmi les victimes du Lac. Aujourd'hui, grâce au risque qu'elle avait pris, ils avaient l'opportunité d'agir. Et peut-être de le sauver… Les deux guerriers s'efforcèrent d'aider la jeune femme du mieux qu'ils le purent, tout en discutant à toute vitesse de leurs options. Achas, pragmatique, ne voyait qu'une seule option logique :

- Nous ne pouvons pas attendre que le jour se lève. Si cette vision est bien réelle, alors chaque seconde compte. J'ai peur que nous ne puissions pas trouver un batelier à cette heure, mais Sigvald vous savez où se trouvent les embarcations des pêcheurs, non ?

Voler n'était guère dans ses habitudes, mais Achas savait que le temps était compté, et que la peur des habitants jouait en leur défaveur. S'ils voulaient vraiment aider Syla, alors ils ne devaient penser à rien d'autre. Avec de la chance, ils parviendraient à rentrer avant le point du jour, et personne ne se rendrait compte de leur larcin. Delaynna les écoutait attentivement, mais elle semblait encore trop faible pour prendre la parole. A moins qu'elle ne fût absorbée dans ses pensées. Achas nota les regards insistants qu'elle jetait à Sigvald, mais il ne fit aucun commentaire à ce sujet. Ces deux-là avaient voyagé ensemble, et ils se faisaient profondément confiance. L'archer se dit que la peur l'incitait naturellement à se tourner vers celui qu'elle considérait comme son allié le plus proche en la circonstance, et il ne pouvait pas lui en vouloir. Cependant, il essaya de capter l'attention de la Dame de l'Eau épuisée, qui la lui accorda finalement :

- Delaynna, nous allons partir sur le lac. Prenez le temps de vous reposer, et quand vous serez remise, prévenez le sergent Hadden, dites-lui que nous sommes partis après Syla. Le plus tôt sera le mieux. Il faudra peut-être que des hommes d'armes se tiennent prêts à intervenir. J'ignore ce que nous rencontrerons sur le Lac, mais j'ai peur que l'aide des gardes ne soit pas de trop. Vous comprenez ?

Il veilla à ce qu'elle eût bien compris ce qu'il venait de lui dire. Il savait qu'il lui en demandait beaucoup, surtout après ce qu'elle venait de traverser, mais il ne pouvait pas faire autrement. Arpenter le lac seul n'était pas une option, il avait besoin de Sigvald comme Sigvald avait besoin de lui : cela signifiait que Delaynna devrait couvrir leurs arrières, et veiller à préparer leur retour. Cependant, plus il y réfléchissait, moins cette idée lui semblait rassurante. Laisser Delaynna seule, affaiblie de surcroît, n'était pas pour lui plaire. Pourtant, quel autre choix avaient-ils ?

Le guerrier lui posa une main sur l'épaule, avant de faire un signe de tête à Sigvald. Avec mille précautions ils aidèrent la Dame de l'Eau à se redresser, et l'installèrent sur le lit le plus proche, où elle s'étendit sans protester. Ses yeux ne lâchaient pas Sigvald, et Achas aurait payé cher pour savoir ce à quoi elle pensait en cet instant.

- Sigvald, je vous laisse quelques instants, je vais aller toucher deux mots à l'aubergiste pour que personne ne vienne déranger Delaynna pendant qu'elle se repose. Je vous attends en bas.

L'archer se leva, s'emparant de ses armes et de son équipement. Il avait le regard fermé de ceux qui s'apprêtent à partir au combat, et qui déjà se concentrent sur leur mission. Une bonne nuit de repos lui aurait fait du bien, mais il savait que la situation exigeait de lui qu'il fût pleinement concentré, et sa constitution toute elfique lui permettrait de surmonter ce petit désagrément sans difficulté. Après avoir fait quelques pas en direction de la porte, il revint brièvement vers la Dame de l'Eau, et lui glissa maladroitement :

- Soyez très prudente, et surtout ne vous approchez pas du Lac. J'ai un mauvais pressentiment, et je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit.

La formulation était étrange. Révélatrice.

Sans rien ajouter sinon une moue embarrassée, il tourna les talons et laissa ses deux compagnons seuls. Ses pensées étaient déjà tournées tout entières vers le combat à venir.


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HRP : Je vous laisse poster vos réponses ici si vous le souhaitez afin de jouer le dialogue entre Sigvald et Delaynna, puis vos enquêtes respectives vont continuer de manière séparée pour un temps. Vous évoluerez en parallèle, et vos décisions auront une grande importance pour la suite.

Sigvald, tu poursuivras ta route sur le Lac dans le topic Le venin dans nos veines

Delaynna quant à toi, ton enquête t'amènera à mieux connaître Esgaroth et ses secrets, dans le topic Désillusions

Si vous avez la moindre question, n'hésitez pas à me contacter par MP !

Sigvald sentait une puissance inhabituelle envahir le corps de Delaynna, une puissance qui a ces yeux semblait-elle supporter sans pouvoir l'arrêter. Notre mercenaire faisait son maximum, mettre la  Dame de l'Eau dans une position plus agréable pour elle, afin qu'elle ne se blesse pas et lui parler afin de la sortir de ses visions. Il se sentait toutefois impuissant face à ce qui se déroulait sous ses yeux.

Sigvald ne pouvait que se remémorer son passé en voyant Delaynna souffrir ainsi. La douleur avait été d'une affreuse compagnie durant un court moment de sa vie d'Eldar, il fallait laisser couler, mais surtout ne pas se laisser submerger sinon il n'y a pas de retour possible.

Quand elle ouvrit enfin les yeux, un sourire de soulagement passa sur le visage de notre elfe. C'était enfin fini, son corps cessa dans la foulée de trembler et elle sembla recouvrir ses esprits.

- Lingwë...

La vague de joie qu'avait ressenti Sigvald s'estompa aussi brutalement qu'elle était venu. Notre elfe ne lui avait jamais donné son « vrai » nom. Son nom il l'avait choisi à ses sept ans après s'être confronté à un serpent dans la forêt, il s'était retrouvé entre un immense rocher et le reptile sans pouvoir fuir. Pendant ce qui lui sembla des heures l'un et l'autre se regardèrent sans pour autant bouger, malgré son jeune âge il connaissait déjà la très mauvaise réputation de ces créatures notamment accentuées par les dragons ou serpent comme certains les appelaient. Déjà paré d'un esprit aventureux il avait alors déplacer sa main très lentement vers la créature en la faisant ramper au sol, un geste presque imperceptible qui prit du temps. Le serpent ne fut pas effrayé, mais s'avança lui aussi doucement jusqu'à remonter le long du bras de l'enfant elfe pour regagner son abri sous le rocher. Sigvald fut fasciner par le calme et la présence au combien dangereuse que dégageait le serpent, c'est cette dualité entre cette non-agressivité et le fait que la créature pouvait l'attaquer à tout moment, qui lui fit choisir ce nom.

Mais revenons à Delaynna, elle ne le connaissait pas sous ce nom-là, cela démontrait que ses visions étaient bien réelles et notre elfe avait une grande appréhension quant au sens que pouvait prendre ce mot « Lingwë ». L'entendre dire ça perturba profondément notre mercenaire qui voulait savoir, mais ne pouvait apporter de réponse claire sans le demander à Delaynna. Une réponse qui l'effrayait  et qu'il brûlait à la fois de connaître. Le reste du temps il n'osa pas parler d'une crainte qu'il ne comprenait pas lui-même, il la regardait avec inquiétude . Il écoutait Achas parler et essaya tant bien que mal de se concentrer sur la suite des évènements avec un succès mitigé.

Ils déposèrent ensemble Delaynna sur le lit, naturellement Sigvald ajusta les oreillers derrière la nuque de la Dame de l'Eau, voulant quitter à tout prix la pièce pour rejoindre un endroit familier et rassurant  qu'était de partir en mission, mais il fut arrêter par Delaynna qui empoigna fermement sa main. Décontenancer la main de notre elfe était comme pétrifié dans celle de Delaynna, il passa un regard furtif sur leurs mains avant de la regarder, elle bougeait doucement, mais il la sentait revenir en force malgré la fatigue intense qu'elle devait ressentir. Avant qu'à son tour il empoigne la main de son amie elle le lâcha, il inspira profondément se reconcentrant sur sa tâche. La sentinelle de Vertbois avait déjà donné la direction que leur chemin prendrait par la suite et notre elfe n'était pas vraiment d'humeur à parler plus.

- Achas, de nuit sur le lac, je pense que le choix qui s'impose à nous est le meilleur, nous n'aurons nul besoin de lumière, les hommes si. Notre première approche se veut avant tout furtive, nous ne savons pas ce qui se passe là-bas.

La sentinelle de Vertbois emboîta le pas pour descendre, Sigvald le stoppa et se tourna vers lui.

- Achas demandez à ce qu'il nous prépare une outre de bon vin, nous en aurons certainement besoin pour notre embarcation... Et pour Delaynna demander une boisson chaude, ça ne lui fera que du bien je pense, des herbes de l'Est s'ils ont de préférence, j'ai crû voir qu'ils en avaient.

Achas quitta la chambre, notre elfe attendit de l'entendre descendre les escaliers avant de tourner son regard vers Delaynna, il s'avança jusqu'aux pieds du lit.

- Lingwë... Ce prénom, je crois ne l'avoir jamais entendu de la bouche de quiconque depuis des centaines d'années... Il déposa la carafe et un verre sur la table de chevet près de la Dame de l'Eau ainsi que les fruits restants. Notre elfe expira profondément puis tourna les talons pour gagner la porte et rejoindre Achas en bas. Notre sentinelle dois m'attendre, rétablissez-vous bien nous nous reverrons plus tard...