[Suite du sujet : Le Grand Fleuve ] _______________________________________________________________________________________
—… nous ne pouvons pas faire ça… —… noirs… je n’en ai jamais vu… nous ne pouvons pas la… —… pas à nous de décider… le capitaine Thedras… le Maréchal sinon, peu importe… —… Thedras ? Il ne voudra pas prendre position… le roi Fendor ?
Le lieutenant Horn haussa les épaules et mit fin à la discussion qu’il entretenait avec les gardes devant les portes de la cité. Sur les remparts, des cavaliers se penchaient pour regarder ce qu’il se passait. La rumeur avait été plus rapide qu’un Mearas au galop et quand ils franchirent les portes une troupe de curieux s’amassait pour voir ceux qui rentraient de mission. Certains étaient venus pour saluer des compagnons de retour, d’autres pour prendre des nouvelles et se dégourdir les jambes, d’autres encore, uniquement pour faire passer le temps. Après la guerre civile, les cavaliers avaient eu à faire de nombreuses interventions pour calmer les querelles et les rancœurs. Mais petit à petit le calme reprenait ses droits et nombre d’hommes encore en poste à Aldburg se tournaient les pouces en attendant de rentrer chez eux.
— Où est Olfem ? demanda un jeune homme. — Il est vivant ? demanda un autre, à propos de Windred.
À peine plus que vivant. Le lieutenant Horn descendit de cheval et donna sa monture à un jeune garçon chargé des écuries.
— Qu’on vienne nous aider à le descendre de cheval. Faites appeler un guérisseur.
Et priez Eorl. Horn donna encore ici et là des ordres pour qu’on leur laisse le passage et qu’on prévienne le capitaine Thedras. Le nouveau Maréchal de la Marche Est ne résidait pas dans la cité, le seigneur Olaf avait toujours préféré parcourir les plaines du Rohan plutôt que de demeurer entre quatre murs. Dans l’agitation générale, les hommes ne s’étaient pas rendu compte immédiatement de la présence de l’étrangère. Encore attachée à son cheval, elle dardait des yeux horrifiés sur les cavaliers autour d’elle et les murs d’enceinte. Ses lèvres s’ouvrirent et se refermèrent sur des cris de surprise muette. — Par Théoden et Nivacrin !
Quelques hommes se rendirent compte de ce qu’elle était, de la noirceur de sa peau et de ses traits si différents et ils reculèrent.
— Une femelle orc ? — Qu’est-ce que c’est que ça ? — Une ruse du Mordor ? — De la sorcellerie elfe… — Une femme, c’est une femme…
Chacun semblait avoir son mot à dire et ses suppositions. Le lieutenant Horn en avait assez fait lui-même le temps du trajet de retour, mais il préférait les garder par-devers lui.
— Faites desseller vos chevaux ! Pieds à terre ! Mettez cette femme aux fers. Est-ce que quelqu’un est allé prévenir le capitaine Thedras ?
Horn rugissait pour se faire entendre au milieu des remarques de tous et de chacun. Pourtant ses hommes gardaient le silence. Fram s’était rembruni et n’avait plus prononcé un mot depuis qu’ils avaient quitté les bois. Moridred et son ami demeuraient de leur côté, Helm s’était permis de poser quelques questions, Eodred les avait assommés d’hypothèses à propos des Dwimmen et de requêtes pour se débarrasser de la prisonnière. Horn n’avait pas trouvé d’autres solutions que de l’envoyer en queue de file pour se débarrasser de lui. Ils étaient tous fatigués et abattus. Le soleil leur avait brûlé le visage et les cheveux, certains d’entre eux avaient des mèches plus blondes qu’à leur départ. Ils étaient tant couverts de poussière qu’ils essaimaient ici et là de petits nuages grisâtres et volatiles quand ils se déplaçaient. — Fram ! Aide-les à la descendre de cheval et fais-la mener jusque dans les geôles.
Brutal, l’homme semblait néanmoins être le seul à pouvoir manipuler l’étrangère sans qu’elle ne crie ou ne montre les dents.
— Helm, Eodred, Moridred. Tous ! Repos. Prenez le temps de vous reposer. Votre mission est finie.
Si seulement, se dit Horn en lui-même.
***
Le groupe formé et dirigé par le lieutenant s’était éparpillé. Chacun était retourné à ses affaires. Pourtant, l’agitation n’avait jamais été aussi intense dans Aldburg. Des cavaliers avaient tenté d’en savoir plus, mais Horn les avait repoussés en leur disant que ce n’était pas leurs affaires. La femme noire avait été enfermée dans une cellule, des ordres avaient été gueulés ici et là pour ramener les hommes à leur poste et l’après-midi s’était achevée sur des questions sans réponse.
Dés réponses, il n’y avait qu’un lieu dans toute la cité pour s’en procurer. Le soir venu, le Hall des Eorlingas était si bondé que les hommes levaient le bras pour ne pas renverser leur pinte en se déplaçant. Ceux qui avaient accompagné Horn pendant la mission étaient entourés de groupes variés et les hommes avaient été rapidement mis au courant. Il n’y avait pas là que des combattants et des guerriers. De petits bergers, des commerçants et quelques rares artisans de passage dans la ville tendaient aussi l’oreille. Tous avaient un avis à donner et les discussions s’étaient rapidement mises à tourner en joute verbale.
— Une créature noire ici, ça n’a rien de bon ! disait un grand gaillard au visage balafré. Les orcs sont noirs, les Nazguls, on disait qu’ils étaient noirs aussi. Y a des Orientaux noirs tout pareil. Le Mordor et ses terres sont noirs. J’ai jamais vu un homme ou une femme noire. Pas comme ça ! Sa peau est plus sombre que la nuit. — Ou que le trou du cul de mon cheval ! rugit un homme passablement éméché.
Son intervention fit rire quelques hommes, mais le premier qui avait pris la parole continua sur sa lancée.
— Cette femme est une créature des profondeurs, un monstre envoyé pour nous leurrer et nous détruire de l’intérieur. — Envoyé par qui ? demanda une voix dans l’assemblée. — Des elfes ! Ceux-là sont trop bien cachés et depuis trop longtemps pour ne pas préparer un mauvais coup. — Les elfes ils sont terrés dans leurs forêts, occupés à chanter. Les elfes c’est fini tout ça, on n’en verra plus la couleur. S’ils sont pas perchés dans leurs arbres, y en a pour moitié qui doivent nourrir les poissons dans l’océan.
Il y eut de nouveau des échanges incompréhensibles tant les voix se mêlaient et s’entremêlaient au milieu des vapeurs d’alcool. Le lieutenant Horn, dans un coin, écoutait les propos sans rien dire. Ils s’abrutissaient l’esprit à propos d’une femme un peu bizarre. Ils ne pensent qu’à elle, mais elle n’était pas seule. Il était toujours étouffé par le même mauvais pressentiment. Mais il ne voulait rien dire, pour ne pas susciter d’autres inquiétudes et soulever une foule de cavaliers éméchés contre un ennemi qu’ils ne connaissaient pas. Mais si Horn se tut, Fram, lui, se permit de prendre la parole. Mauvais signe, pensa Horn. — C’est pas la peine de se demander ce qu’elle est, ou ce qu’elle est pas. Les orcs, je connais et c’est pas une orc. C’est pas une elfe non plus. Et on saura peut-être jamais trop ce qu’elle est. Ce que je sais moi, c’est qu’elle était pas toute seule le long du fleuve et qu’on a vu des bateaux avec une cinquantaine de types comme elle, aussi noirs que… que ce que vous voulez. Et qu’ils étaient pas là pour venir pêcher l’anguille ou cueillir des framboises. Ils ont tué des Rohirrims, ils ont tué Olfem et Aldric et peut-être même Windred pour ce qu’on en sait ! Ils ont tué des cavaliers et même un gosse ! Un gosse ils ont tué. Et ce qu’on fait, nous ? On la ramène ici et on la nourrit dans une cellule. Alors qu’on devrait lui avoir crevé la peau et avoir tué les autres. Et sous les ordres de qui ?
Horn sentit le vent tourner, mais c’était trop tard. Fram leur faisait une de ses scènes bien de chez lui pour échauffer les cœurs et les esprits. Il ne tarderait pas à soulever toute la salle et ce serait bientôt le chaos.
— Sous les ordres d’un roi qui n’est pas là ! Sous les ordres d’un roi qui se cache, comme les elfes, dans les bois, là où le Magicien a déjà essayé de nous faire la peau. Quel roi laisserait son propre peuple se faire massacrer par une bande de noirauds assoiffés de sang ? Quel roi, hein ? Un roi Rohirrim ? Rohirrim mon cul ! Le gosse est un gondorien tout craché ! Et le petit Fendor laisse ses hommes se faire tuer ! Et Mortensen ne fait rien de plus ! Chevaucher sa femme et lui fouailler les entrailles il sait faire ! Mais depuis combien de temps on l’a plus vu à cheval avec une vraie lame au poing ? Et le capitaine Thedras ? Pas mieux… il se…
Mais on ne sut jamais ce que le capitaine Thedras faisait. Horn, ainsi qu’un autre lieutenant, avait ordonné l’arrestation de Fram. Des cavaliers s’étaient levés pour l’attraper, d’autres pour le défendre. Fram cogna le premier qui s’approcha de lui. Une mêlée désordonnée et brouillonne prit forme, mais les hommes étaient trop serrés les uns contre les autres pour s’échanger de véritables coups ou pour sortir l’épée. En revanche, on ne s’entendait plus. Chacun avait pris soin de gueuler sur son voisin et plus personne n’écoutait plus personne.
Jusqu’à ce que le son d’un cor résonne entre les murs.
Dès que le Lieutenant leur ordonna d’aller prendre du repos, Moridred ne se fit pas prier. Mais il fallait d’abord prendre soin de son cheval qui avait aussi beaucoup souffert pendant cette mission. Il prit le temps d’aller chercher de l’eau pour rincer la pauvre bête qui était bouillante, ayant dû porter son cavalier à allure forcée sous un soleil de plomb. L’animal fut très heureux de l’attention portée par son monteur, surtout qu’il lui amena aussi une bonne ration de foin et d’herbe qu’il avait été couper lui-même. Une fois que son compagnon de voyage fut dans un état de fraîcheur et de satiété qu’il trouva convenable, Moridred pu enfin penser à lui. Il fallait aussi qu’il puisse nettoyer son corps couvert de sueur et de poussière et surtout, il devait se reposer. Les jours précédents avaient été très pénibles. Après s’être lavé avec l’eau prélevée au puit, il s’était immédiatement dirigé vers son baraquement pour aller se reposer sur sa paillasse. Malgré le fait qu’il était épuisé par la mission, il ne trouva pas le sommeil. Il ne cessait de repenser à tout ce qu’il s’était passé le long de la rivière et surtout à la prisonnière qu’ils avaient ramenée. Qu’allait-il lui arriver ? Arriverait-on à lui tirer quelques informations ? Elle qui ne parle pas une langue connue dans cette partie du monde.
Cela faisait maintenant presque une heure qu’il s’était allongé et il comprit vite que le sommeil ne l’attraperait pas pour le moment. Il pensait beaucoup trop, il lui fallait d’abord vider son esprit. Il décida de se lever et de chercher Silfried pour qu’ils puissent converser ensemble. Il savait très bien où il pourrait trouver son ami : au hall des Eorlingas. Il sortit du baraquement et remonta la petite rue étroite qui l’amenait en face de la grande salle. Lorsque qu’il pénétra à l’intérieur, il fut énormément surpris du nombre de personne présente. Le hall était plein comme un œuf. On pouvait entendre nombres de conversations qui se croisaient et il en résultait un véritable brouhaha pour quelqu’un qui ne participait à aucune d’entre elles. Moridred commença à scruter la salle du regard pour trouver la grand rohirrim et il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour le localiser. Le grand gaillard était débout entrain de raconter avec de grands gestes ce qu’il s’était passé le long de la rivière. Il mettait tellement d’énergie dans son récit qu’il cognait de temps à autre quelqu’un avec ses grandes mains en simulant son lancer de lance.
- Ah te voilà enfin ! lança-t-il à Moridred dès qu’il l’eu aperçut. Je pensais qu’on ne te verrait pas ce soir.
Moridred lui répondit d’un petit sourire en coin et d’un petit signe de tête mais dit ne pas un mot. Il prit place à la table et on lui donna immédiatement une choppe d’hydromel. Il écouta la fin de l’histoire de son ami, même s’il connaissait déjà tout. Lorsque Silfried eu fini et qu’il vint s’asseoir à ses côtés pour se désaltérer, ils tinrent une conversation sur un ton plus discret.
- Je pensais que tu dormais déjà et que je pourrais raconter n’importe quoi. Je n’avais personne pour contrôler mes dires, dit-il sur le ton de l’humour. - Je pensais aussi que je serai en train de dormir. Mais il paraitrait que c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire pour le moment. - C’est pour ça que je n’ai même pas essayé. Je pense qu’après quelques choppes et quelques heures passées ici, ce sera quand même plus simple. - Et tout ce qu’on a vu sur place ne t’inquiète pas plus que ça ? - Bien sûr que si. Mais j’espère juste que dès la Dwimmen aura été interrogée et que le capitaine Thedras aura entendu le rapport du Lieutenant, nous retournerons sur place pour faire la peau à cette bande de sauvage noir et nous ne serons pas douze cette fois … - Je l’espère aussi l’ami …
C’est à ce moment qu’ils entendirent à quelques mètres d’eux la grosse voix de Fram qui s’élevaient au-dessus de l’assemblée. Les autres hommes se turent et il n’y eut plus que lui qui parla d’un ton assez agressif. Malgré le fait qu’ils avaient vécu plusieurs jours côtes à côtes, Moridred portaient encore moins Fram dans son cœur. Il l’avait senti réticent à suivre les ordres et cela avait éveiller encore plus de méfiance en lui. Dès que le renégat commença à parler du roi, il se leva et se tint prêt. Il sentait que la situation allait déraper et que ça pourrait sûrement mal se finir. Quand la situation dégénéra complètement qu’une vraie mêlée débuta, Moridred tenta d’atteindre Fram pour l’arrêter, comme l’avait ordonné le Lieutenant Horn mais il ne pouvait y parvenir. Les hommes étaient tellement serrés les uns contre les autres qu’il ne put s’approcher à moins de deux mètres de sa cible. Cela ne ressemblait plus à rien et on ne demandait bien comment tout cela allait finir lorsque la sonnerie de corps fit stopper tout le monde.
Moridred jeta directement un regard en direction de la porte d’entrée, là d’où provenait la puissante sonnerie. Des hommes d’armes avaient pénétrés dans les lieux, tous solidement armés et dans de très belles armures. Au milieu d’eux, debout sur ses deux jambes bien fermes, se tenaient la Capitaine Thedras, regardant la grande mêlée d’un regard noir.
- Qu’est-ce-que ce foutoir ? Peut-on m’expliquer ce qu’il se passe ici ? lança-t-il sur un ton agressif.
Le Lieutenant Horn avança vers lui et commença à lui parler. Moridred étant à plusieurs mètres et toute une série de murmure commençant à remplir la salle, il ne put entendre le moindre mot. La discussion entre les deux officiers dura quelques minutes. Ensuite le capitaine scruta la salle et le visage des hommes présents du regard, personne ne savait ce qu’il allait faire.
- Que les hommes revenus de mission aujourd’hui viennent avec moi, ordonna-t-il assez sèchement. Toi aussi Fram … dans un premier temps du moins.
Moridred écarta les hommes devant lui pour pouvoir sortir de la mélée. Tous les hommes revenus de la mission étaient présents et se rejoignaient en face du capitaine. Quand tout le monde fut là, le capitaine lança aux personnes présentes de la salle :
- Je ne veux plus aucune échauffourée ce soir. Je prendrai des mesures exemplaires à celui provoquerait le moindre grabuge.
Le capitaine tourna les talons et partit vers ses appartements, toujours entourés de ses quelques hommes d’armes qui escortaient le petit groupe. Ils arrivèrent dans une pièce éclairée par des torches au mur. Une grande table qui servait de bureau était au milieu et la capitaine se tint debout derrière celle-ci. Il regarda les neufs hommes les uns après les autres.
- Horn, explique-moi donc ce qu’il s’est passé et pourquoi ta mission se termine au Hall.
Horn s’avança et commença à expliquer toute l’histoire. Du moment où ils avaient passés les murs de la cité jusqu’à la mêlée suite à l’intervention de Fram. Il y mit tous les détails nécessaires. Le capitaine ne l’interrompit pas une seule fois et lorsque le récit fut terminé, il ordonna de faire venir la Dwimmen. Elle arriva quelques instants plus tard accompagnée par les gardes. Ils la posèrent devant le bureau, à genou. - C’est donc elle. Cette fameuse femme noire …, dit-il en l’observant avec attention.
Nathanael Espion de l'Arbre Blanc
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À la lueur des torches, la peau de la Dwimmen était parcourue de mille reflets. L’or des flammes dansa sur son corps d’ébène, repoussa les ténèbres de son visage et révéla toute la noirceur de son regard. Le capitaine Thedras ne semblait pas y croire. La captive avait le cheveu court, aussi sombre que les ailes d’un corbeau. Elle portait des cicatrices qui formaient sur ses épaules des dessins plus clairs, comme des ratures d’ivoire sur un parchemin d’encre. Tout autour d’elle se dressaient les hommes du capitaine, la main sur la garde de leur épée.
- Étaient-ils tous comme elle ? demanda Thedras. – Tous, répondit le lieutenant Horn.
Un bref tressaillement agita la moustache rousse du capitaine. Large d’épaules, il portait une barbe en collier qui soulignait une mâchoire carrée. Thedras avait la peau tavelée par le soleil et le vent, burinée par les nombreux combats qu’il avait menés. De profondes rides marquaient son front. Ses cheveux de cuivre étaient retenus en un catogan serré qui lui donnait l’air austère. Proche de la famille Mortensen, il n’en avait pas moins gravi chaque échelon à la force du poignet et au fil de l’épée. Le poste de capitaine lui était échu du temps où le Vice Roi occupait encore la cité, après la Guerre des Trois Rois. Une nomination qui suscitait encore la méfiance et l’incompréhension des hommes et qu’on qualifiait, à voix basse, de fratricide. Le capitaine Thedras avait pourtant réussi mieux que quiconque à rassembler les Rohirrims sous une même bannière en participant lui-même à la traque des bandes d’orcs qui avaient déferlé dans le Riddermark au printemps.
– Combien étaient-ils ? – Une douzaine à terre, peut être un peu plus, dit Horn. – Et sur l’eau ? – Une cinquantaine, plus ou moins. Il nous était difficile d’en juger dans la nuit, dit Horn. – Avez-vous remarqué autre chose ? – Ils ne brûlent pas leurs morts. – Qu’est-ce qui vous fait dire cela lieutenant Horn ? – Parce qu’elle a gueulé mon cap'taine. Tout ce qu’elle a pu quand on a allumé le bûcher, dit Fram d’une voix pâteuse. Et qu’elle les regardait brûler comme si c’était le seigneur noir en personne.
Le capitaine Thedras n’accorda à Fram qu’un regard plein de dédain et de répugnance. Il ne pouvait plus souffrir ses frasques à répétition. Les rappels et les mises à pied ne suffisaient plus. L’exil lui brûlait les lèvres. Mais repousser hors les murs tous ceux qui avaient soutenu Hogorwen, c’était prendre le risque de les voir s’amasser à nouveau loin du pouvoir officiel. Certaines langues rapportaient de temps en temps que de telles bandes existaient déjà, ou encore. – Ramenez cet énergumène dans sa cellule, une nuit au moins. Le temps qu’il décuve son fiel et nous laisse en paix.
Les hommes de main du capitaine firent sortir Fram sans ménagement. Du couloir on perçut des bruits sourds, un grognement étouffé, puis le claquement des bottes sur la terre nue s’éloigna.
– Pensez-vous qu’elle nous comprenne ?
Le capitaine Thedras s’était mis à parler en langue commune, reprenant le fil de la conversation comme si Fram ne les avait jamais interrompus. La Dwimmen dardait sur eux son regard plein de haine et de colère.
– Non, ou elle simule parfaitement l’incompréhension. Horn continuait de parler dans sa langue natale. Elle comprend l’épée qui menace, le sang qui coule, mais pas notre langue, j’en jurerai. Eux s’expriment par... cris, ou chants. Comme les hiboux ou les chouettes. Et ils...
Le lieutenant marqua une pause. « Les morts, si tu pouvais voir les morts » avait dit Sigeric. Il les avait vus. Les cadavres découverts dans les bois. Deviné, plus que vu. Il s’était bien gardé d’en parler sur le chemin du retour. Aucun d’eux, pas même Eodred n’en avait parlé. L’horreur rendait parfois muet.
– Ils arrachent le cœur des morts. Ils badigeonnent les arbres de sang. Moridred pourra vous en dire plus à ce sujet.
Tandis que le cavalier s’exprimait, Horn se mordit la langue. Il s’était demandé bien des fois, s’ils arrachaient le cœur des morts, ou s’ils l’arrachaient tandis que leurs victimes étaient encore vivantes. Il avait un fils et une fille. Il croisa le regard du capitaine Thedras et il sut que l’homme se posait les mêmes questions. Plus ils avançaient dans leur rapport et plus le capitaine prenait la mesure de cet ennemi aux contours flous. Les Dwimmen avaient franchi leur frontière et assassiné leur peuple. Pourquoi ? La réponse demeurait en suspens.
Les yeux verts du capitaine suivaient la danse des flammes sur la peau nue de leur captive.
– L’avez-vous capturé ou s’est-elle rendue ? – Capturé. Je ne comprends pas. – Comment être sûr qu’elle ne se soit pas laissée capturer volontairement ? Comment être sûr qu’elle ne porte avec elle aucun maléfice, aucun sortilège ou aucune maladie ? Le cheval ou la brebis qu’on ramène au troupeau ne doit pas décimer le cheptel. – Je ne peux rien vous assurer. Elle n’a rien tenté ces deux derniers jours. Elle boude notre nourriture et ne sait pas monter à cheval. Mais elle présente tous les signes de la pleine santé. Pourquoi cette question ? – Rien, lieutenant. Des rumeurs. Le vent du Gondor porte quelques fois d’étranges nouvelles. Remmenez cette drôlesse dans sa cellule. Que personne ne la touche.
La captive fut menée au-dehors à bout d’épée.
– Ne doit-on pas chercher à savoir ce qu’ils veulent mon capitaine ? – Tout ce qu’il y a à savoir, c’est qu’ils ne sont pas les bienvenus ici. - Et la prisonnière ? demanda Eodred. – Elle portera notre premier message, il y a une langue que toutes les races parlent en ce monde.
***
Il y eut un ordre, un seul et tous les hommes s’exécutèrent. À la lueur de la lune, on transporta du bois jusqu’à la cour intérieure. Les branches sèches craquèrent entre les mains des Rohirrims, les bûches faisaient un bruit clair quand on les empilait. L’odeur de résine de pins et de hêtres se répandait dans l’air. Tous les hommes de la garnison étaient là. Le bûcher avait été monté promptement et habilement. « Pas autant de bois que d’habitude » avait ordonné Thedras. Les hommes n’avaient pas posé de questions. Une seule voix montait vers les étoiles. La Dwimmen, qu’on poussait à l’aide de longues piques et de lances, hurlait. Un cri perçant, aigu. Un cri où se mêlait la peur et le désespoir. Un cri qui fit taire bien des guerriers. Le capitaine Thedras beugla pour se faire entendre. – Baillonez-la ! Et faites-la monter sur le bûcher !
Les cavaliers obéirent. L’un d’eux se fit mordre quand il voulut fourrer un morceau de tissu dans la bouche de la condamnée. Les dents ne se desserrèrent que quand la phalange craqua. La Dwimmen recracha l’extrémité du doigt et se débattit. Elle rua, chercha à s’enfuir, donna des coups de tête en tout sens. Rien n’y fit. Quelqu’un finit par réussir à la bâillonner et on la bouscula jusque sur le bûcher. On lui avait ôté ses vêtements. Elle ne portait qu’une tunique de laine grossière.
– Que chacun d’entre vous soit témoin cette nuit, dit Thedras d’une voix forte. Le Rohan est la terre des Rohirrims. Eorl fit un serment. Ces terres sont nos terres, de l’Entalluve aux Montagnes Blanches, du Gwaihir aux bois sombres des Monts Brumeux. Aldor l’Ancien se battit pour elles, Helm se battit pour elles, Théoden et Eomer se battirent pour elles. Et nous nous battrons pour elles.
Tous les hommes crièrent de concert. Certains frappèrent leur plastron de leurs mains gantées de fer, d’autres firent résonner leur épée contre leur maille.
– Les Dwimmens ont violé nos frontières. Ils ont tué nos frères, nos femmes et nos enfants. Cette sorcière noire est des leurs. Elle est de ceux qui ont ôté la vie, elle est de ceux qui ont arraché les cœurs de nos familles. Nos cœurs ! Les Dwimmens sont noirs comme la nuit, noirs comme les ténèbres et les ombres qui peuplent les profondeurs et les bois. Le Rohan n’est pas leur royaume. Et c’est pour le Rohan que nous devons nous en débarrasser. – Pour le Rohan ! Pour le Rohan !
Les hommes crièrent en cœur une phrase que beaucoup d’entre eux n’avaient plus prononcée ensemble depuis de longues et douloureuses saisons. Qu’ils aient soutenu le roi ou qu’ils aient préféré voir Orwen ou son père sur le trône, cette nuit, ils étaient tous Rohirrims.
– Que les Dwimmen sachent ! Qu’ils sachent qu’on ne foule pas impunément nos terres, qu’on ne tue pas impunément nos familles. Qu’ils sachent que le Rohan appartient aux Rohirrims et à nul autre !
Le capitaine Thedras s’empara de la torche que tenait un des gardes et la jeta sur le bois qu’on avait couvert d’huile. Les premières flammèches léchèrent l’écorce, puis les flammes s’emparèrent de la structure et montèrent jusqu’aux pieds de la femme noire. Attachée à une longue poutre, elle cherchait à éteindre le brasier en piétinant les flammes, en vain. Rapidement le bois éclata sous la chaleur, des gerbes d’étincelles furent projetées ici et là, faisant reculer les hommes. La captive ne pouvait plus crier, mais tous entendirent ses gémissements, ses grognements étouffés et ses plaintes gutturales. Elle se débattait encore tandis que les langues orange et bleues atteignaient ses épaules, sa poitrine et son visage. Puis les flammes s’emparèrent de son corps et on ne vit plus rien.
***
Les braises étaient encore chaudes au petit matin. Des fumerolles s’échappaient des cendres qu’on enlevait pour nettoyer la cour. L’aurore poignait à peine, mais les cavaliers étaient déjà en selle. Le lieutenant Horn avait les yeux rougis par le manque de sommeil. Se frotter les paupières d’un revers de main ne suffisait plus à le soulager, il sentait poindre des picotements désagréables, brûlant, à chaque fois qu’il regardait quelque part. Sur la place, il vit Moridred ainsi que son ami, Silfried. Le capitaine Thedras lui avait confié une mission bien particulière et il comptait s’entourer de deux cavaliers sur qui il pouvait compter pour s’en acquitter.
– Moridred, Silfried, par ici !
Il fit un signe de la main pour les inviter à le rejoindre. Ils s’étaient montrés dignes de confiance et prompts à lever l’épée pour protéger les leurs. Horn espérait qu’ils en feraient autant pour la prochaine tâche qui leur incombait. Il n’était pas certain que les volontés de Thedras ramèneraient la paix sur cette partie du Rohan. Mais le capitaine ne lui avait pas laissé le choix. Quand il regardait derrière lui, Horn ne pouvait se targuer d’y voir un passé vierge de toutes mauvaises actions. Le capitaine lui avait rappelé avec fermeté ce qu’il lui devait. Horn avait serré les dents sans broncher. Une parole était une parole.
– Vous guiderez votre dizaine de lanciers et de cavaliers à mes côtés, jusqu’au fleuve. Nous irons directement sur les berges de l’Entalluve, au plus près du courant. Le capitaine souhaite transmettre un message aux Dwimmen. Un message fort… Qu’ils n’oublieront pas.
Sur son visage se dessinaient les contours de la nervosité. Il talonna son cheval et siffla pour ordonner à ses hommes de se mettre en rang et de se préparer au départ.
– Helmet, le chariot !
Les moyeux étaient si bien huilés qu’on n’entendait aucun grincement ni aucun couinement propre aux vieilles carrioles utilisées sur les routes poussiéreuses. Les deux chevaux qui franchirent l’obscurité dans laquelle baignaient les écuries ne ressemblaient en rien à ceux qu’on voyait paître habituellement dans les plaines. Plus larges d’épaules et de croupe, leur robe noire luisait déjà sous la contrainte et l’effort. Le regard du lieutenant Horn s’assombrit. Le capitaine Thedra l’avait prévenu, mais il n’avait pas participé aux préparatifs. Seuls deux hommes avaient été mis dans le secret jusqu’alors. L’attelage sortit au pas et, peu à peu, à la lueur du jour, les cavaliers purent découvrir la cargaison qu’ils devraient encadrer. « Pas autant de bois que d’habitude » avait ordonné Thedras.
De la captive, ne restait que les contours informes d’un corps brûlé, décharné, consumé par les flammes. Attachée à une longue et large lance en bois, son cadavre exprimait encore la douleur et la terreur qui l’avaient saisie et dévorée. Quelqu’un lui avait remis ses vêtements.
Horn détourna la tête et prit la tête de ses hommes. Tout message, se dit-il, a le défaut d’invoquer une réponse…
Moridred avait observé la discussion entre le Lieutenant Horn et le Capitaine Thedras avec attention. On ne lui avait pas adressé la parole mais il sentait que sa présence dans cette pièce ne signifiait pas la fin de son rôle dans cette histoire. Les explications du Lieutenant avait réveillé en lui les souvenirs de ce qu’il s’était passé sur place et une sensation d’angoisse l’envahi à nouveau. Ses poings se serrèrent aux souvenirs de ce qu’il s’était passé dans la clairière le long de la rivière.
Lorsque la prisonnière fut emmenée dans la cour intérieure, il suivit le groupe se demandant quel message allait bien vouloir envoyer le capitaine à ces sauvages. Mais dès qu’il vit qu’on amenait du bois et qu’il entendit le discours, il comprit ce qu’il allait se passer et préféra quitter les lieux. Se battre à arme contre arme ne le dérangeait pas mais brûler vif quelqu’un n’était pas un spectacle auquel il voulait assister, surtout que cela signifiait qu’il faudrait transmettre ce « message » jusqu’au fleuve.
Il partit donc vers les écuries pour aller prendre soin de son cheval car il sentait que les choses n’en resteraient pas en l’état et qu’il faudrait prochainement encore quitter la ville pour aller à la rencontre des Dwimmens. La fin de la nuit arrivant, il retourna dans la cour et y trouva Silfried qui regardait les restes calcinés de la femme noire.
- Comment ça s’est passé ? lui lança Moridred. - Comment veux-tu que ça se soit passé ? … lui répondit-il ironiquement. Ce n’était pas beau à voir. - Ce qui est sûr c’est que ça n’en restera pas là.
Et en effet, le Lieutenant Horn les appela près de lui pour leurs dire de s’apprêter à repartir pour le fleuve. Ils partirent prévenir leurs autres compagnons du départ imminent. Moridred retourna vite à son baraquement pour préparer son paquetage et surtout ses armes. Epée, lance et bouclier devaient être prêts à servir. Moridred sentait que dans un futur pas très lointain, il faudrait se battre.
L’aube pointait le bout de son nez quand les cavaliers furent complètement prêts et regroupés devant la grande porte de la cité. Un autre groupe amena le chariot qui transportait les restes de la Dwimmen. Moridred détourna le regard du spectacle. Le Lieutenant cria un ordre et les portes s’ouvrirent. La troupe s’élança à nouveau vers la plaine du Rohan, toujours roussie par cet été tenace. Le trajet allait être long, le « message » ne pouvait pas voyager aussi vite que les cavaliers.
La nuit du deuxième jour de voyage, les cavaliers avaient dressés leur campement dans un petit vallon à seulement un peu plus qu’une lieue de la rivière. Ils la suivaient de loin pour arriver facilement à la destination voulue mais surtout pas trop près pour être à l’abri des regards pouvant en provenir.
Un feu de camp pas trop grand avait été allumé afin de pouvoir cuire les rations qu’ils avaient prises avec eux. Ils avaient même chassé un cerf égaré dans la plaine, ce qui leur faisait un repas assez copieux. Deux sentinelles patrouillaient autour du campement tandis que les autres se relaxaient à la lueur des flamme qui crépitaient, Quelques branches étaient lancées régulièrement au centre du brasier. Le ciel était dégagé et on pouvait admirer la presque totalité des étoiles du ciel.
Les deux premières journées de voyage avaient été chaudes. La fraîcheur et la pluie ne semblaient pas vouloir revenir. Les cavaliers et les chevaux avaient souffert. Les hommes parlaient en finissant leur repas mais la plupart étaient regroupés autour de Moridred et Silfried.
- Vous pensez qu’ils réagiront en voyant le cadavre ? - Je n’en sais rien, répondit Moridred. Mais je pense qu’ils n’auront pas peur. Ces hommes ne pensent pas comme nous, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. J’espère juste qu’on ne nous fera pas entré dans cette satanée forêt.
Un petit silence s’installa entre les hommes. Chacun imaginant ce qu’il se passerait dans le cas contraire.
- En tout cas, on a intérêt à être prêt au combat lorsqu’on arrivera ….
L’aube du cinquième jour du voyage faisait poindre ses premières lueurs. Le Lieutenant ordonna de lever le camp et de se mettre en ordre de marche le plus rapidement possible. Ils n’étaient plus qu’à quelques heures des premiers arbres de la forêt, là où elle longeait la rivière. La nervosité avait augmenté durant la nuit mais les hommes n’avaient pas trop parler. Chacun s’était apprêté à en découdre avec ses fameux hommes noirs. La petite troupe se remit en marche quelques instants plus tard, en tirant toujours le chariot macabre. Il ne se passa absolument rien sur les dernières lieues du voyage. Les hommes furent particulièrement silencieux.
- Halte, soldats ! Lança le Lieutenant à son groupe alors qu’ils ne restaient que quelques centaines de mètres jusqu’à la lisière de la forêt. Nous dresserons le camp ici. Mettons nous ne position défensive. Préparer des grands feux autour du camp pour la nuit, ils doivent pouvoir voir le tableau et on doit pouvoir les voir s’ils approchent. Affûtez vos armes, il pourrait se passer beaucoup de chose d’ici demain matin.
Les homes s’exécutèrent et ils prirent les deux heures suivantes à tout apprêter. Les conversations étaient peu nombreuses et les visages étaient sévères. Quand tout fut prêt, les hommes prirent le temps de manger, de se reposer mais jamais sans quitter la forêt ou le fleuve des yeux. La tension était palpable. Toutefois, il ne se passa rien de la journée et petit à petit , les hommes se demandaient s’il allait se passer quelque chose mais dès que les dernières lueurs du soleil se sont dispersées et que l’obscurité se fit profonde autour du camp, les premiers cris lointains et quelques sons ressemblant à des tambours se firent entendre. Moridred se redressa sur ses jambes et serra sa lance dans sa main ...
Nathanael Espion de l'Arbre Blanc
Nombre de messages : 1025 Age : 35 Localisation : Pelargir Rôle : Espion
Jamais trajet ne lui avait paru aussi long. En tête de colonne, le lieutenant Horn menait ses hommes, la mine lugubre. Les avis étaient divisés sur le sort qui avait été réservé à la Dwimmen. Beaucoup approuvaient sa mort. La mise en scène improvisée par le capitaine Thedras n’avait pourtant pas plu à tout le monde. Quand le sommeil le prenait, Horn entendait encore les grognements de la femme tandis que les flammes lui consumaient les pieds, puis les jambes. Elle avait levé les yeux vers le ciel pour implorer quelques dieux inconnus. Il avait deviné les larmes sur son visage crispé par la douleur. Le même visage qui, dans leur dos, s’obstinait à leur offrir un masque de reproches. À côté du meneur qui guidait les chevaux tirant le cadavre, un homme s’affairait à chasser les mouches et les corbeaux. Les oiseaux suivaient le convoi en croassant leur voracité, agitant leurs ailes de charbon, agacés de ne pouvoir se repaître d’un repas si facile. Il était aisé de les maintenir à distance. Il en allait autrement des insectes qui s’acharnaient à fournir à leurs progénitures un nid douillet et chaud dans les chairs noircies de la Dwimmen. Les premiers asticots apparurent le troisième jour, formant des excroissances frémissantes sous la peau brûlée avant d’éclater en petites couronnes blanches et charnues. La surface du corps avait brûlé, mais non les muscles profonds et les os. Et plus les jours avançaient, plus le cadavre suintait, dégageant une odeur fétide qui avait déjà fait vomir plusieurs cavaliers. Les chevaux avaient depuis longtemps refusé de se rapprocher du convoi et il devenait de plus en plus difficile d’atteler les grands destriers noirs chaque matin.
Alors, lorsque Horn aperçut les premiers arbres de la ripisylve, il se sentit comme soulagé. Quoi qu’il advienne ensuite ils pourraient abandonner là le cadavre de la Dwimmen et s’en éloigner. Il ne supportait plus de poser les yeux sur les bras décharnés et les doigts recroquevillés de l’étrangère. Des doigts en nombre impair. Un annulaire était tombé lors d’un heurt sur une pierre. Et personne ne s’était porté volontaire pour ramasser la pièce manquante. Horn en avait été informé, mais il avait rejeté la nouvelle d’un geste las de la main. Au point où ils en étaient…
Le soleil n’avait cessé de darder sur eux son imposant œil de feu auquel rien ni personne ne pouvait échapper au milieu des vastes plaines du Riddermark. Les animaux transpiraient même au pas et les hommes avaient tous leur tunique ourlée de cristaux de sel. Quand Horn s’estima suffisamment près du fleuve et des arbres, il fit cesser la marche. Un sursaut de terrain formait comme un promontoire d’herbes et de pierre et Horn décida de positionner le cadavre à cet endroit. La Dwimmen était visible à plusieurs centaines de mètres à la ronde et le lieutenant eut soudainement le sentiment de n’être qu’un gigantesque appât pour quelques créatures maléfiques. Horn aboya ses ordres à la trentaine de cavaliers qui se trouvaient là afin d’organiser au mieux l’accueil qu’ils réservaient à leurs ennemis. Quelques hommes furent désignés pour aller récolter du bois. Horn leur demanda de ne pas s’enfoncer trop profondément sous les arbres et de marcher par deux, pour éviter toute mauvaise surprise. L’un d’entre eux, un brin goguenard, se permit une bravade qui ne fit sourire personne.
– Allons, lieutenant, on ne va pas se prendre par la main non plus. Ils ne peuvent pas être si terribles que ça ces noirauds.
Le regard que Moridred et Silfried posèrent sur lui suffit à le faire taire. Horn ne releva pas l’insolence. Il avait besoin de tous ses hommes si les Dwimmens arrivaient, ce n’était pas le moment de les réprimander pour quelques enfantillages.
Le lieutenant avait judicieusement placé leur camp sous le vent pour ne pas avoir à supporter les effluves aigres dégagés par le corps. Les chevaux les plus indépendants avaient été mis à l’entrave, les autres paissaient à proximité, sellés et prêts à être montés en cas de besoin. Ils durent intervenir plusieurs fois pour les empêcher de se rouler avec leur équipement. La chaleur et les mouches agaçaient les animaux et ils ruaient souvent pour se débarrasser de la morsure douloureuse d’un taon. Horn avait fait monter plusieurs abris de fortune pour offrir un peu d’ombre à ses hommes. Une grande toile avait été tendue entre deux arbres morts pour servir tout à la fois de lieu de repos et de discussions, de cantine et de caserne. Plusieurs guetteurs veillaient sous le soleil aux extrémités du camp. Ils étaient relayés toutes les heures pour éviter à l’un d’entre eux d’être terrassé par une insolation. Les Rohirrims allèrent et vinrent ainsi toute la journée, se déplaçant de l’ombre à la lumière soit pour prendre leur tour, soit pour aller boire, uriner ou surveiller les chevaux.
Horn ne s’attendait pas à un affrontement direct. Le capitaine Thedras voulait avant tout passer un message et il lui avait ordonné de déposer le cadavre aux yeux de tous pour faire sortir les Dwimmens de leur cachette. Les autres patrouilles sillonnaient les prairies en amont et en aval pour dénicher les hommes noirs qui s’étaient aventurés sur leurs terres. Une centaine de cavaliers parcouraient depuis deux ou trois jours les berges de l’Entalluve. La veille ils avaient croisé le groupe mené par Helm, chargé de surveiller la zone en amont de la leur. Ils s’étaient avancés un peu dans les bois, mais n’avaient rien trouvé d’autres que des sangliers et des lièvres sous les broussailles. Le fleuve était nu et aucune embarcation n’avait été vue depuis la rive.
– À croire qu’on a rêvé, avait dit Helm. À moins qu’ils ne se soient enterrés quelque part. Allez savoir, peut être qu’ils craignent la lumière comme les trolls et qu’ils se cachent le jour dans des trous. Qu’est-ce qu’on en sait ? Fichtre, j’aimerai leur tomber dessus rapidement, pour qu’on en finisse.
Horn et ses hommes étaient certains de ne pas avoir fait de songe. Et s’ils en doutaient, la vue du corps en putréfaction les rappelait à leurs bons souvenirs. Ils convinrent de se retrouver deux jours plus tard, de façon à former un groupe plus conséquent si jamais les choses devaient dégénérer. Et si rien ne se passait, ils seraient plus judicieux de faire une battue avec dix hommes de plus.
Et comme le lieutenant s’y attendait, il ne se passa rien. Les heures s’étiraient, longues et brûlantes, au son des lames qu’on aiguise et des soupirs des hommes. Quelques fois Horn jetait un œil au cadavre. Peu de détails laissaient deviner qu’il avait un jour s’agit d’une femme. Ses seins n’étaient plus que deux bosses déformées par le feu sous lesquelles grouillaient les vers. Les flammes avaient effacé les traits de son visage. Le nez saillait comme une énorme croûte noire entre les orbites où les yeux, séchés, avaient représenté un maigre en-cas pour une corneille plus roublarde que les autres. Le cavalier se posait de plus en plus de questions au sujet de la Dwimmen et de son peuple. Qu’avait été cette femme ? Une guerrière ? Seulement une guerrière ? Ou avait-elle été mère ? Et ces créatures de la nuit, étaient-elles vraiment humaines ? Il l’avait vu à la lueur des torches. Sa peau était d’une autre couleur, mais elle portait les mêmes attributs que les femmes rohirrimes. Elle n’avait pas de crocs, pas de griffes et le feu l’avait tuée, comme il avait tué bien d’autres hommes. Leurs épées avaient transpercé leur peau et leur chair. Ils étaient pourtant si noirs et si différents.
– Dans quel coin du monde ça naît ces gens-là lieutenant Horn, hein ?
Horn fut tiré de ses réflexions personnelles par le jeune Deor, tandis qu’il scrutait l’orée des bois à la tombée de la nuit. Dans son dos, d’autres cavaliers exposaient déjà leur point de vue tout en alimentant les feux.
– De l’est ou du sud, je vois pas sinon. – Et comment ils seraient arrivés jusque là, par le sud ? Ils ont pas traversé tout le Gondor à pied ! – Par le fleuve, andouille. Ils sont remontés là en bateau, j’en suis sûr. – Et puis quoi ? Vers les ports du Gondor ils sont passés sur leurs coquilles de noix en saluant de la main depuis l’eau et les gars de là-bas les auraient juste regardé filer ? Tu parles. Ils peuvent pas venir du sud. Ils viennent de l’est moi je dis.
Deux cavaliers commençaient à se chamailler sur les origines des Dwimmens en étalant leurs maigres connaissances de la géographie d’Arda, quand bien même ils n’avaient jamais quitté les frontières de leur royaume. À défaut de pouvoir utiliser leur épée, ils tuaient le temps en théories plus rocambolesques les unes que les autres.
- Suffit ! dit Horn. Ils ne sont ni du Roune ni du Arade.
Il avait détaché le regard des arbres et du fleuve.
– J’ai combattu au nord avec les gens du Roune. Avec certains d’entre eux en tout cas. Sous les ordres du roi Firion, puis du roi Theneor. Les gens de l’est n’ont pas la peau si noire. On dirait plutôt qu’ils ont la couleur de l’ambre, ou de l’écorce brune d’un chêne. Ils ne sont pas aussi sombres que le charbon ou la nuit. Et ceux du sud… vous savez tous à quoi ils ressemblent. Même toi Deor, tu as du en entendre parler. Ils n’ont pas les mêmes traits. Et Dunhere a raison. S’ils venaient vraiment du sud, le Gondor les aurait arrêtés, d’une façon ou d’une autre. – D’où viennent-ils alors ? redemanda Deor.
Horn haussa les épaules lentement. Il n’en savait strictement rien. Évoquer les rois morts lui offrit une grande bouffée de nostalgie qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. Ils avaient régné sur le Riddemark quelques années auparavant. Ils avaient su unir leur peuple pour affronter des ennemis terribles et sanguinaires, ils avaient su faire du Rohan un royaume, sous une seule bannière. Mais ils étaient morts et avec eux les symboles de tout un peuple. Comment en étaient-ils arrivés là si vite ?
– Lieutenant, vous entendez ?
Deor avait levé la main en l’air pour attirer l’attention et demander aux cavaliers de se taire. Sa silhouette se détachait en demie-ombre à la lueur des flammes que les hommes entretenaient sans discontinuer. Entre le bruit du bois qui éclate et le vrombissement sourd des foyers, Horn n’entendait pas grand-chose. Au clair de lune, pourtant, les chevaux avaient redressé la tête et regardaient tous en direction de la ripisylve et du fleuve. Deux d’entre eux renâclaient, prêts à faire demi-tour et à partir au galop.
– Qu’est-ce que c’… ? – Chut ! Taisez-vous.
Les hommes quittèrent la lueur rougeoyante des feux pour se rapprocher un peu des bois. On entendait un peu plus au sud des bruits sourds et répétés. Le rythme était toujours le même. Boum, boum, boum, boum, boum. Plus près d’eux, une branche craqua au cœur de la forêt. Le cœur de Horn lui sauta dans la poitrine et il dégaina aussitôt son épée, suivi par l’ensemble des cavaliers derrière lui.
- Restez près des foyers ! lança Horn. Ils veulent nous attirer dans les bois. Ils n’ont pas encore vu le message du capitaine Thedras. Laissons-les s’approcher.
D’autres branches craquèrent ici et là. Nul n’était besoin d’être un grand chasseur pour savoir que plusieurs personnes se déplaçaient sous les arbres. La tension monta d’un cran lorsque les Rohirrims entendirent le hululement si particulier des Dwimmens. Il n’y en eut qu’un, avant que le silence reprenne ses droits. Bien peu de temps. Un second cri surgit sous les arbres au nord. Puis un autre, et un autre encore. Encore et encore. Toute la forêt semblait s’être mise à hurler dans la nuit, tandis que, derrière les Rohirrims, les flammes révélaient le corps de la Dwimmen au cœur de la nuit.
– Mais qu’est-ce qu’ils foutent ? lâcha un cavalier.
Les hululements durèrent de longues minutes. De trop longues minutes, et de trop nombreux hululements au goût de Horn. Combien étaient-ils réellement dans les bois ? Il aurait été vain et dangereux d’engager ses hommes avec si peu d’informations. L’honneur et le courage laissaient souvent en bouche le goût du sang quand ils poussaient seuls les hommes à agir.
- Restez près des flammes ! hurla Horn à un cavalier qui s’était avancé en dehors du cercle de lumière.
Le lieutenant ordonna à Silfried et un autre cavalier de se mettre en selle pour se rapprocher de la lisière et essayer de comprendre ce qu’il se passait.
– Moridred, avec vos hommes, chevauchez non loin du camp pour vous assurer que ces drôles ne cherchent pas à nous prendre à revers pour nous pousser vers les bois. Je reste ici avec le gros des troupes si jamais ils voulaient récupérer le corps et nous attaquer de front.
Horn cria de nouveaux ordres pour que tous se mettent en selle. Les chevaux ne seraient utiles que dans les plaines. Mais déjà, serrant les rênes d’une main, ses hommes semblaient plus fiers et plus braves. Le jeune Deor tenait sa lance comme un homme du Rohan et, sur son destrier, la peur avait disparu de son front. Ils devaient maintenant attendre. Attendre que les Dwimmens quittent le couvert des bois pour les affronter. Horn était prêt à en découdre.
L’attente, pourtant, dura. L’aube dissipait l’obscurité de la nuit tandis que les feux mouraient, étouffés par leurs propres cendres. Rien. Il ne se passa rien. Les hommes noirs étaient demeurés dans les bois. Les boum, boum réguliers, pourtant, avaient réveillé plusieurs fois la vigilance des hommes pendant la nuit. Un hululement perçant avait fait sursauter tout le monde, les chevaux y compris. Des branches craquaient de temps en temps et les cavaliers resserraient alors leur prise sur leurs armes. Mais le silence, toujours, reprenait ses droits. Lorsque les premiers rayons du soleil touchèrent les sommets des Montagnes Blanches, Horn ordonna de mettre pied à terre pour se reposer. Seuls quatre d’entre eux restèrent à cheval pour veiller. À cheval, on voyait plus loin et Horn souhaitait garder un œil alentour. Il souffla dans son cor un coup bref pour rappeler Moridred et ses hommes. Ils revinrent un peu plus tard, en même temps que l’éclaireur qui avait surveillé l’orée des bois toute la nuit. On dessella les chevaux pour leur offrir quelques heures d’un repos total. Horn donna les tours de garde et autorisa les autres à s’installer pour essayer de dormir. Deor secouait la couverture de son cheval pour se coucher à même le sol quand il releva soudainement la tête, comme si quelque chose lui revenait soudain en mémoire.
Tout le monde était en selle et les ombres des cavaliers s’entrecroisaient en suivant la danse des flammes des différents foyers. Les hommes étaient tendus, prêt à l’affrontement. Les hululements des Dwimmens leur donnaient des frissons. Les flammes tout autour des cavaliers, les cris sauvages des hommes noirs, tout cela avait vraiment l’air d’une scène démoniaque. La peur se lisait sur le visage de certains rohirrims mais ils ne quittaient pas la formation. Moridred était lui aussi prêt. Il tenait fermement sa lance dans sa main et maintenait son cheval en position. Il était prêt à éperonner son cheval et à charger dès que l’ordre du Lieutenant arriverait. Mais cet ordre n’arrivait pas, le Lieutenant fixait la forêt et ne semblait pas vouloir quitter les lieux. Cela valait sûrement mieux car aller dans la forêt serait du suicide mais Moridred voulait en découdre avec ces hommes qui avaient tués quelques uns de ses amis. Le temps passait lentement, les minutes semblaient durer des heures.
Lorsque le Lieutenant donna l’ordre à Moridred, ce n’était pas celui d’avancer vers les arbres mais plutôt de partir dans l’autre sens. Le jeune cavalier obéit non sans jeter en partant un regard en arrière en espérant apercevoir quelque chose. Mais il n’y avait rien à voir, il y avait par contre toujours cette vague d’hululement qui provenait de la lisière. Moridred prit Thorn avec lui. Comme tout bon chasseur, il pourrait être utile dans cette mission d’éclaireur.
- Nous allons nous mettre quelques centaines de mètres en retrait pour retrouver l’obscurité et nous remontrons vers la rivière, lança Moridred à ses hommes . Je pense que si ils tentent quelque chose, ça viendra de là.
Le petit groupe chevaucha dans la nuit totale pendant quelques dizaines de minutes. Mais ils ne virent personne. Ils arrivèrent en vue de la rivière sur un petit surplomb de terrain. Ils voulaient tenter de voir le plus loin possible la ligne de la rivière qui ressortait légèrement du paysage nocture grâce aux reflets des étoiles et de la lune sur la surface de l’eau. Et c’est comme ça qu’ils aperçurent deux barques de Dwimmens à hauteur des premiers arbres. Toutefois, elles n’étaient pas en mouvement.
- Tu penses qu’ils s’apprêtent à avancer vers nous ? Demanda un des cavaliers à Moridred. - Je ne pense pas. Ils ne bougent absolument pas et ne semblent pas prêt à se mettre en mouvement. Je pense qu’ils font comme nous, ils protègent leur flanc, répondit Moridred.
Ils continuèrent à les observer pendant de longues minutes pour s’en assurer. Mais les Dwimmens ne bougèrent pas. Aucun des deux groupes ne souhaitait s’affronter à cet endroit. Quand les Rohirrims furent certains qu’il ne se passerait rien de ce côté, Moridred ordonna de se replier. Ils allaient suivre le même chemin que celui qu’ils avaient fait pour venir à la rivière afin de jeter un dernier coup d’œil sur les arrières du camp et ils pourraient rentrer faire leur rapport au Lieutenant.
L’aube se leva pendant le trajet du retour et ils ne virent aucun Dwimmens. Thorn confirma même que les hommes noirs n’avaient pas foulés les prairies de leurs pieds, il n’y avait aucune trace sur le sol. Ce fut donc au soleil levant, qu’ils arrivèrent en vue du camp. Les foyers étaient presque éteints mais il y avait toujours une certaine agitation.
Dès qu’il arrivèrent, Moridred se dirigea vers le Lieutenant et lui fit son rapport. Le Lieutenant écoutait avec attention mais Moridred sentait que son supérieur était mal à l’aise. Quand il eu finit, un petit silence se mit en place.
- Bien, très bien, susurra le Lieutenant. Mais je voulais vous signifier qu’un homme est porté manquant suite aux événements de la nuit … Il s’agit de Silfried.
Moridred resta stupéfait. Son coeur se serra à l’idée que son ami aurait périt.
- Comment cela s’est-il passé ? Demanda Moridred. - Je l’ai envoyé observer la lisière des arbres. A l’aube, il n’était pas revenu. Nous n’avons aucune nouvelle de lui depuis. - Permettez-moi d’aller à sa recherche … - Je savais que vous me le demanderiez. Nous allons lever le camp dans les prochaines heures pour s’éloigner un peu des arbres maintenant que le message est passé. Vous pouvez prendre quelques hommes avec vous mais je vous interdis de pénétrer dans la forêt. J’ai déjà perdu assez d’hommes pour le moment.
Moridred salua son officier et fonça à travers le camp chercher quelques compagnons dont Thorn pour partir à la recherche de son compagnon d’armes. Les hommes furent prêt en quelques instants. Et tandis que les hommes restants préparaient leurs affaires pour suivre le Lieutenant, le petit groupe de quelques cavaliers partit vers la lisière de la forêt à la recherche du valeureux Silfried.
- Soyez attentifs aux moindres traces. Il faut le retrouver avant la tombée de la nuit, lança d’un ton autoritaire Moridred.
Les hommes s’appliquèrent. Thorn, le chasseur, prit la tête et ils commencèrent à parcourir la lisière et les praires la bordants. Il leur fallut une bonne heure pour que Thorn ne tombe sur les traces du sabot du cheval. Elles se dirigeaient vers le sud en longeant les premières rangées d’arbres. Ils suivirent cette piste pendant un long moment jusqu’à ce qu’elle se perdit dans les premiers arbres. Moridred ne savait que faire. Il ne pouvait suivre les traces, il ne pouvait désobéir mais il voulait tellement retrouver son ami en vie. Il l’espérait secrètement mais ce qu’il connaissait des Dwimmens ne lui laissait que peu d’espoir.
- Thorn, viens avec moi. On va suivre ces traces. Les autres, continuer à chercher plus au sud et revenez nous prévenir si vous trouvez quoique ce soit, lança Moridred presque résigné à désobéir.
Les deux hommes commencèrent à s’enfoncer quelque peu parmi les arbres. Thorn suivait la trace à terre, Moridred observait les arbres avec inquiétude. Il s’attendait à voir apparaître ces démons à n’importe quel instant. Il savait que , au milieu des arbres, ils n’auraient de peu de chances de s’en sortir vivant. Mais le Dwimmens semblaient avoir quitter cette zone. Aucun bruit, aucun hululement ne se faisait entendre, juste le son de la forêt. Au bout d’une nouvelle heure de recherche et toujours sur la piste du cavalier qui ne s’enfonçait toutefois pas très loin, ils finirent par trouver le cheval de Silfried mais aucune autre piste ne quittait cet endroit comme si le cavalier s’était volatilisé. Ils continuèrent à fouiller les alentours encore un long moment.
- Nous ne trouverons plus rien ici, Moridred, dit Thorn. Je ne trouve absolument rien. Silfried n’a pas mis pied à terre ici. Je ne comprends pas ce qu’il a pu se passer.
Le soleil commençant déjà à décliner. Moridred se régina à quitter la forêt avant que quelque chose ne leur arrive. Il ne servait à rien de risquer la vie de plus de monde pour le moment, surtout qu’ils ne savaient où aller. Ils prirent avec eux le cheval de Silfried et rejoignirent leurs compagnons qui revenaient bredouille de leurs recherches. Il fallait rattraper la petite troupe du Lieutenant avant la nuit. Mais où était donc passé Silfried ?
Nathanael Espion de l'Arbre Blanc
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Harassé, Horn harnacha son cheval. Ses gestes lents trahissaient la fatigue qui lui ceignait le corps. Les épaules de ses hommes étaient plus voûtées qu’aux portes d’Aldburg. Même Deor, le plus jeune d’entre eux, se tenait courbé. Ils n’avaient jamais connu une telle chaleur à cette saison et tous souffraient de la moiteur de l’air. Le ciel semblait toujours prêt à leur tomber sur la tête, mais aucun orage ne voulait quitter les montagnes pour arroser les plaines. Dunhere, à ses côtés, rongeait un brin d’herbe sèche pour s’occuper tout en vérifiant le sanglage de son cheval.
— Tout est prêt lieutenant, nous pourrons y aller dès que les hommes seront de retour du bois.
Dunhere eut un coup d’œil pour le cadavre qui suintait ses dernières humeurs sur le sol, couvert d’insectes. Ils avaient tiré à la courte paille pour désigner ceux qui auraient la tâche de sortir le corps de la carriole et d’atteler les deux grands chevaux noirs. Les trois gaillards qui s’étaient acquittés de la corvée étaient revenus, de la bile dans la barbe et l’air grognon. Même vide, la carriole exhumait les odeurs putrides des corps en décomposition. Le plancher avait été frotté avec des poignées d’herbes sèches, mais il restait des taches plus sombres où s’étaient écoulés les différents liquides corporels. Horn leur fit un signe de tête pour signaler qu’il était satisfait de leur travail et qu’il ne leur en demanderait pas plus cette après-midi-là.
— Quelque chose ? hurla le lieutenant à un homme posté en vigie sur une colline qui dominait le camp.
Le cavalier secoua la tête. Bon sang, qu’est-ce qu’ils foutent ? Horn n’était pas serein. Il espérait que Moridred avait retrouvé son ami et que ses hommes rentreraient sous peu, simplement retardés par la fatigue ou un cheval boiteux. Mais plus il cherchait à se convaincre qu’ils reviendraient rapidement, plus le temps s’étirait et semblait vouloir lui donner tort. En son for intérieur, il le savait, il serait incapable de rentrer à Aldburg sans l’ensemble de sa compagnie. Même les cadavres réconfortaient, quelque part, les familles endeuillées. Un corps valait mieux que des doutes ou de faux espoirs. Et c’est pourquoi il avait ramené une poignée de cendres des bûchers mortuaires d’Aldric et d’Olfem jusqu’à la cité rohirrime. La mort avait besoin d’être vue pour être acceptée. Sans quoi les gens la repoussaient de leur esprit et refusaient d’admettre l’impossible. N’était-ce pas pour cette raison qu’il avait autorisé Moridred à chercher son ami ? Il avait lui-même des doutes sur le fait que Silfried soit toujours vivant. Pourtant, de la guerre, il n’y avait qu’une leçon à retenir : l’espoir finit toujours par mourir, lui aussi.
* * *
Derrière les montagnes du pays de pierre, le soleil achevait de se dissimuler du regard des hommes alors que les premières étoiles apparaissaient au-dessus des terres du Mordor. De lourds nuages s’assemblaient petit à petit de l’autre côté de l’Entalluve en hautes volutes grises et noires. Thorn s’essuya le front en pestant tandis qu’il remontait à cheval. C’était à n’y rien comprendre. Silfried avait disparu « comme ça ». Comme par magie. L’idée lui arrachait des sueurs froides même s’il cherchait à n’en rien montrer. Dans le regard de Moridred se mélangeaient de la peine et de la déception. De la détermination aussi. Thorn savait la voir quand elle était là. Il avait formé de jeunes pisteurs à son art, et certains d’entre eux avaient cette lueur dans les yeux. Une lueur qui pouvait se transformer en brasier et dévorer un cavalier de l’intérieur quand il ne savait pas l’étouffer au bon moment. Silfried s’était envolé, en quelque sorte. Il n’y avait pas eu une seule trace de lui autour de son cheval ni plus loin. Ils avaient levé le nez dans les arbres, ils avaient cherché des signes sur les troncs aux alentours, la boule au ventre. Aucun d’eux ne souhaitait retrouver leur camarade suspendu à un frêne ou un hêtre, un trou béant dans la poitrine.
Il prit de l’élan pour se remettre à cheval tandis que les autres cavaliers tournaient bride. Il se rendit compte trop tard, quand il appuya sur ses longues jambes pour se mettre en selle, que son cheval s’était tendu. Dans sa main les rênes frémirent et du coin de l’œil il devina le mouvement des oreilles de son hongre qui se tournaient vers les entrailles de la forêt. Il n’y eut aucun bruit, aucun frémissement. C’est à peine, si, dans l’air, quelque chose avait changé. Il passait la jambe par-dessus la croupe, emporté par l’énergie qu’il avait mise à se hisser sur le dos de Folle Envie, quand les jambes de l’animal se dérobèrent sous lui dans un craquement. Thorn bascula de l’autre côté, ne sachant pas ce qui lui arrivait alors qu’une douleur lancinante à la cuisse lui apprenait qu’il venait d’être touché. Il tomba lourdement sur le sol, vit, dans sa chute, l’éclair blanc d’un regard au milieu d’une face noire dans un buisson de ronces. En atterrissant, il eut la respiration coupée.
Plus loin les cavaliers s’agitèrent. Ils s’étaient tous retournés. Thorn se dégagea juste à temps pour ne pas se faire écraser par son cheval qui luttait pour essayer de se remettre debout. Il avait le bas d’un antérieur fracturé, éclaté par une pierre. Des esquilles d’os et un morceau de tendon saillaient sous la peau, alors que le sabot ne tenait au membre que par une lanière de peau, ballotté à chaque mouvement. Le pisteur voulut se relever lui aussi, mais une flèche de mauvaise qualité s’était brisée dans sa cuisse. Il hurla, autant de rage que de douleur. Il se protégea le visage alors que Folle Envie se rapprochait trop et risquait de le piétiner une seconde fois. Il vit d’autres chevaux l’entourer et il se retrouva rapidement au centre d’une forêt de membres noirs, alezans et gris alors que les autres cavaliers se portaient à son secours et se préparaient au combat.
— Qu’Eorl les maudissent tous, saloperies de monstres de mon cul !
Thorn n’avait jamais eu aussi mal, pas même le jour où il s’était fait rosser par son père pour n’avoir pas retrouvé la carcasse d’une brebis qu’un loup avait emportée.
— Crevez-lez ! hurla encore le pisteur. Bon sang, mais crevez-les ! Il y en a un qui s’est planqué dans les buissons. Ils rampent dans les ronces ces enfoirés !
Certains des cavaliers s’étaient enfoncés un peu plus profondément dans les bois pour chercher l’attaquant. Mais ils ne trouvèrent au milieu des arbres qu’une déception mal contenue et une rage terrible qui leur tenaillait les tripes sans jamais pouvoir s’exprimer. L’un d’eux, Gamnere, ne put contenir son irritation et dégaina son épée, taillant inutilement dans les branches d’un petit saule pour laisser exploser sa colère.
— Il n’y a rien dans les buissons, dit-il. Rien dans les arbres. Ce sont des ombres qui nous attaquent. Ils ont de la magie dans le sang, pesta-t-il.
Mais l’ombre qui se dessina sur son front n’avait rien à voir avec la fureur ou l’agacement. Doucement, la peur se dessinait sur les traits des Rohirrims et rongeait leur visage. — On doit pas rester là, dit l’un d’eux. Les autres nous attendent.
Il écarta la main pour faire faire demi-tour à son destrier.
— C’est pas naturel ces choses-là, dit un autre qui engagea également son animal à revenir sur ses pas.
Claudiquant sur une jambe, Thorn appuyait sa main sur le filet de sang qui lui dégoulinait sur les chausses. La douleur irradiait dans toute sa cuisse et lui grignotait la hanche et le genou. Il chercha à se rapprocher de Folle Envie pour lui accorder une dernière caresse avant de le faire passer dans l’autre monde. La plaie était incurable et Thorn n’avait jamais vu de cheval survivre à une tentative d’amputation. Certains cavaliers tentaient tout pour garder leur destrier auprès d’eux, mais Thorn n’était pas de ceux qui veulent préserver la vie si elle est dénuée de dignité et remplie de souffrances. Il dégaina un long couteau et prit son cheval par la bride.
— Là, dit-il.
Sa voix trembla un peu. La peur, la douleur et la tristesse l’étranglaient.
— Là.
Il posa sa main sur l’auge de Folle Envie. Son poil était chaud et la vie s’agitait avec énergie sous sa peau frémissante. Quelque part, un orage gronda et il perçut dans le lointain le roulement du tonnerre. Il appuya la pointe de sa lame sous la gorge de son cheval et prit une courte inspiration avant de prendre l’impulsion nécessaire pour trancher la carotide. Mais au moment d’appuyer sur le couteau, le cheval fit un écart spectaculaire et piétina Horn, emporté par une terreur inexplicable. Les autres chevaux s’emballèrent de la même manière, secouant leurs cavaliers comme de vulgaires poupées de chiffons. Le cheval de Silfried échappa à Moridred et partit, ventre à terre, en direction des plaines, l’œil blanc de terreur et les oreilles plaquées contre l’encolure, au cœur de la nuit.
Thorn s’était retrouvé une nouvelle fois couché sur le sol, sonné. Le couteau lui avait échappé des mains et il s’était entaillé les doigts en se protégeant le visage. Il jura encore une fois en voyant le sang chaud lui couler sur le poignet. Il en avait sa claque de ces Dwimmens, de leurs attaques traîtresses et de leurs manières furtives de vous agresser dans le dos. Ils étaient plus fourbes que les gobelins des monts brumeux, plus pervers que les orcs des montagnes blanches et plus lâches que les elfes de la Lorien. Rien, rien ne lui plaisait chez ces adversaires sortis de nulle part. Il chercha à se redresser, prit appui comme il put sur sa jambe valide et serra les dents quand la douleur lui entrava les muscles. Il dégaina son épée, gardant son couteau dans sa main blessée. Il était prêt à en découdre, quoi qu’il lui en coûte.
Au milieu des bois, des branches craquèrent sous des pas lourds et Thorn sentit le sol trembler sous ses pieds. Au silence succéda dans l’obscurité des bois des hurlements qui déchirèrent brusquement l’espace. Puis il y eut un cri, un seul, grave et profond. Doucement, le son des tambours rythma la nuit. Boum, boum, boum, boum, boum. Doucement, un chant guttural, solitaire, profond, s’extirpa du cœur de la ripisylve et gagna les prairies. D’autres branches craquèrent plus près de Thorn. Il jura pour se donner du courage. Ses doigts se resserrèrent sur la garde de son épée et il se campa sur ses jambes.
Le sol trembla, plus fort, plus vite. Un cri rageur lui parvint alors que le bruit de branches qui cassent au passage d’une bête sauvage se rapprochait de plus en plus de lui. Le pisteur ne comprenait pas ce qu’il entendait. Malgré la tension qui l’habitait, il fit un pas de plus vers les arbres. Une ombre, plus haute et plus large que celle d’un cheval apparut au milieu de la nuit, sous les frondaisons obscures des chênes noirs et des charmes endormis. Trop tard.
La bête surgit si vite et si soudainement que Thorn n’eut pas le temps de s’écarter. La tête baissée, elle chargea le pisteur au plein galop. Ses longues cornes d’ivoire transpercèrent le cavalier sans effort et Thorn fut projeté plusieurs mètres en arrière. Mort.
Plus loin les cavaliers qui avaient réussi à retenir leur monture contemplèrent le spectacle sans pouvoir intervenir. Quoi qu’ils fassent leurs chevaux refusaient d’avancer. Gamnere frappait la croupe de son destrier, sans succès. Les naseaux dilatés, les chevaux renâclaient et piaffaient, cabraient, mais aucun d’eux ne voulut retourner vers les bois. Un éclair de chaleur éclata au-dessus du fleuve et inonda brièvement la nuit d’une vive lueur.
La silhouette noire d’une bête s’apparentant à un taureau se découpa sur l’entrelacs des branches et des buissons, les cornes maculées de sang, le sabot raclant le sol. Son poil était strié de symboles. Derrière, un homme tendait vers les cieux une longue pique de bois en chantant des paroles lugubres. La lumière fut avalée par la nuit. Quelques secondes passèrent. Un autre éclair zébra le ciel, mais la bête et son maître avait disparu. Ne demeurait que le corps de Thorn dans l’herbe sèche, l’épée à la main.
Moridred ainsi que ses compagnons étaient sous le choc. Tout s’était passé si rapidement, ils avaient encore difficile de réaliser ce qu’il s’était passé. Cela ressemblait plus à un mauvais rêve qu’à la réalité. Avoir été attaqué par un orage et un monstre ? Cela ne pouvait être vrai mais pourtant ils avaient tous vu la même chose. Un moment s’écoula avant que les hommes ne reprennent leurs esprits. Ils étaient comme pétrifiés ce qu’ils venaient de voir. Le silence régnait autour, cela ressemblait presque à une peinture tellement tout semblait calme et immobile.
Moridred fut le premier à bouger. Doucement, il descendit de son cheval et s’approcha du corps sans vie de son ami. Le visage de Thorn était marqué par la terreur qui l’avait envahi juste avant sa mort. Moridred s’abaissa et mis sa main sur la poitrine du défunt. La tristesse et le désarroi l’envahirent. Il reste immobile à genou jusqu’au moment où un des cavaliers ayant repris ses esprits lui lança :
- Il ne faut pas trainer par ici. Ils risquent de revenir avec cette chose. - Tu as raison, répondit Moridred.
Il se releva doucement tout en soulevant le corps de son ami qu’il alla poser sur son cheval afin de l’emmener et de lui offrir des funérailles dignes de lui. C’est le cœur lourd qu’il remonta en selle et qu’il rejoignit les autres cavaliers qui avaient commencés à repartir vers l’orée de la forêt. Les cavaliers avançaient tous têtes basses sachant que leur imprudence avait amené la mort d’un de leurs compagnons.
Moridred était plongé dans ses pensées et dans sa tristesse. Il venait de perdre deux de ses amis en quelques heures. Thorn était mort mais il se demandait ce qui avait pu arriver à Silfried. Les Dwimmens tuaient et laissaient les cadavres mais, pour ce qu’il savait, il n’enlevait pas les personnes. Cela le faisait énormément réfléchir. Le petit groupe venait de passer les derniers arbres de la forêt et retrouvait les paysages de verdure du Rohan. Moridred chevauchait quelques mètres en retrait en tirant le cheval transportant le corps de son ami. Soudain il fit halte sans un mot et descendit de son cheval.
- Pourquoi t’arrêtes-tu ? lança un des cavaliers. Il ne faut pas traîner par ici. Ils pourraient revenir à tout moment. Eloignons-nous des arbres. - Je dois découvrir ce qu’il se passe dans la forêt et où est passé Silfried, répondit Moridred. - Tu es fou ! Ne Fais pas ça ! - Il faut que je sache. J’en ai marre de voir les nôtres mourir les uns après les autres. - Ils vont te prendre toi aussi ! - S’ils peuvent se cacher, moi aussi. Seul je passerai inaperçu. Ramenez Thorn. - Mais … dit encore timidement le cavalier. - Laissez-moi. Je sais ce que je fais. Je ne changerai pas d’avis.
Il avança en tendant la lanière du cheval de son ami au jeune cavalier qui lui lança un regard de compassion mais aussi de terreur.
- Allez-y, lança Moridred à ses compagnons d’un ton autoritaire.
Le petit groupe reprit son avancée vers les prairies pour aller retrouver le reste de la troupe. Ils ne purent s’empêcher de lancer quelques regards en arrière pour regarder si Moridred ne changeait pas d’avis mais le Rohirrim restait de marbre et les regardait s’éloigner jusqu’à ce qu’ils disparaissent derrière un petit dénivelé.
De marbre, Moridred n’en avait que l’apparence. Son esprit était emplit de doutes. Il avait toujours rêvé être un excellent soldat, fidèle aux ordres et d’être reconnu pour sa discipline mais voilà qu’il allait à l’encontre de ce qu’avait ordonné le Lieutenant. Il n’avait jamais imaginé se retrouver dans une telle situation, de se retrouver devant un tel ennemi qui ne se battait pas bannière au vent sur un champ de bataille mais qui pratiquait des attaques sournoises et lui prenait des êtres chers, les uns après les autres. Il avait décidé de suivre son instinct et il ne savait pas absolument pas vers quoi cette décision allait le mener.
Il commença à aller mettre son cheval à l’abri dans un petit renfoncement de terrain qui était hors de portée des regards de la forêt. La bête pourrait s’y reposer et y trouvait quelques herbes pour manger. Il bougea l’intégralité de son équipement excepté son épée. Il se souvenait de la première fois qu’il avait passé une nuit dans cette forêt et qu’il avait réussi à passer inaperçu en évitant tout ce qui reflétait la lumière. Si ces hommes noirs pouvaient se faufiler sur les terres du Rohan, un Rohirrim pouvait y arriver aussi, surtout seul et sans monture.
Quand il fut prêt, il repartit vers l’orée de la forêt, la peur au ventre. Il allait peut-être vers une mort certaine mais le besoin de savoir ce qu’il se passait sous ses arbres était encore plus fort. Il avançait baissé tel un animal chassé qui s’attend à ce qu’une flèche le fauche à tout moment mais il progressait prudemment, de buisson en buisson, d’arbre en arbre, en prenant le temps chaque fois de vérifier qu’il n’y avait aucun son ni aucune présence autour de lui. Cela lui prenait du temps, beaucoup de temps car au moindre bruit, il restait immobile pendant de longues minutes afin d’être sûr qu’il ne s’agissait que d’un son de la forêt ou même un produit de son imagination.
Les minutes et les heures passaient, la forêt devenait de plus en plus dense et la lumière du jour s’estompait. L’angoisse continuait à le ronger ce qui le mettait encore plus sur ces gardes et le ralentissait d’autant plus. Et bientôt, les ombres de la nuit l’entourèrent ce qui donna à la forêt des airs encore plus sinistres. Moridred commença doucement à se demander si son choix avait été le bon, s’il allait vraiment trouver autre chose dans cette forêt que sa propre mort. De plus, la fatigue commençait à l’assaillir. Il venait de passer plusieurs jours sous tension sans beaucoup dormir, de plus le silence et l’obscurité étaient permanents. Mais il ne devait pas arrêter d’avancer. L’obscurité était souvent l’ami des Dwimmens mais elle pouvait aussi être le sien. Il pouvait se faufiler dans la forêt sans un bruit et sans être vu.
Le temps continuait à s’écouler et Moridred ne voyait toujours rien. Pourtant il avançait vers les rives de la rivière, là où il avait vu la plus grosses activité lors de la nuit précédente. Il était presque sûr qu’il allait dans la bonne direction mais vu qu’il n’entendait rien et ne voyait rien, il commençait à douter, pensant qu’il s’était peut-être perdu en déviant de sa trajectoire. Mais cela ne l’arrêtait pas, il avançait encore et toujours et cela paya. Après avoir escaladé un petit talus, il entendit des voix au loin. Il progressa avec extrême prudence, sans bruit. Les voix venaient d’un petit groupe des Dwimmens qui marchaient dans la forêt. Il venait de la direction des rives et s’en allaient vers l’orée de la forêt où ils avaient brûlé la femme.
Moridred attendit à l’abri d’un buisson que les hommes s’éloignèrent. Quand ils furent partis depuis un bon moment et qu’il fut sûr qu’il n’y avait plus personne dans les environs, il recommença à avancer en sens inverse pour voir d’où venait ce groupe. Cela lui prit encore au moins une heure voir plus, afin de voir enfin ce qu’il espérait : des lumières. Il espérait être arrivé près du camp des Dwimmens. Il progressa encore des quelques dizaines de mètres et commença à entendre des voix, de nombreuses voix et des chants qui provenaient de la zone illuminée.
Encore quelques dizaines de mètres à progresser et il pourrait enfin apercevoir, à leur insu, les nouveaux ennemis du Rohan. Il pourrait peut-être déjà savoir ce que ses quelques dizaines d’hommes préparaient et espérait voir son ami Silfried prisonnier. Il arriva à la dernière rangée de buissons avant le camp, se glissa sous les branches d’un bien touffu afin d’être sûr de ne pas être repéré. Ses mains tremblaient et son cœur battait à grande vitesse.
Quand il écarta les feuilles, il fut stupéfait. Il y avait là de nombreux feux et il apercevait de nombreuses silhouettes noires, de grandes bêtes qui ressemblaient à de grandes ombres. Ils étaient beaucoup, beaucoup plus que ce qu’il pensait. Ce ne devait pas être un petit groupe qui avait remonté le fleuve en exploration. Cela ressemblait plus à un début d’armée d’invasion.
Nathanael Espion de l'Arbre Blanc
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Attroupés autour du cadavre de Thorn, les cavaliers regardèrent leur lieutenant s’emporter contre l’intrépidité de Moridred. Ceux qui étaient revenus des bois avaient ramené avec eux une histoire étrange qui avait offert, au plein cœur de l’été précoce, une sueur froide aux Rohirrims. Horn se passa la main sur le visage, affligé. Il avait perdu trois hommes en deux jours. Horn était mort, terrassé par une créature de ténèbres, mais le sort de Sielfried et de Moridred demeurait un mystère. Le premier s’était « envolé » selon les termes des cavaliers. L’autre avait choisi de partir à la poursuite de chimères et de mystères des plus dangereux.
— Que ferons-nous mon lieutenant ? demanda le jeune Deor. — Il est trop dangereux de rester, lâcha un cavalier. Rentrons à Aldburg. — Non, dit Dunhere. C’est encore plus dangereux de partir. On ne sait pas ce qu’ils sont, mais on sait encore moins combien ils sont. Ceux qu’on a vus pouvaient aussi bien être que des éclaireurs. Il y a peut-être toute une armée dans les bois pour ce qu’on en sait. — On n’en sait rien, reprit le cavalier tenaillé par la peur. Et je n’ai pas envie d’en savoir plus. — Dunhere a raison, dit le lieutenant Horn. Nous resterons. Mais Aldburg doit être prévenue. Tu iras, dit-il. Va prévenir les nôtres. Va leur dire que des spectres noirs sont apparus sur les berges de l’Entalluve et qu’elles avancent vers le nord. Le capitaine Thedras avisera. Dis-leur tout s’il le faut pour les faire réagir. Et donne cela au capitaine, il saura que tu t’adresses en mon nom et que tu ne mens pas.
Horn ôta de sa poitrine une broche sculptée dans le bois. Un cheval cabré étirait ses antérieurs rageurs dans le vide. Le cavalier se saisit de l’objet et ne demanda pas son reste. Il s’enfonça dans la nuit en direction des montagnes blanches et mit son cheval au petit galop sans se retourner. — Mon lieutenant ? questionna Deor pour attirer l’attention de Horn. Des cavaliers approchent.
Le groupe de Helm revenait du nord, las et fourbu. Ils avaient vu un petit groupe d’hommes noirs remonter le fleuve et les avaient abattus. — Ils n’étaient que cinq ou six, dit Helm. Des hommes et des femmes mélangés. Presque nus. L’un avait une lance faite de bois vert et une espèce de bouclier tressé dans des joncs. Nos piques ont percé leurs défenses sans mal. Ils repèrent quelque chose, ils remontent le fleuve. Mais pourquoi ? Je n’en sais fichtre rien. — Ils ont des monstres noirs à cornes avec eux. — Nous avons entendu des tambours en revenant vers vous, dit Helm.
Les cavaliers continuèrent d’échanger leurs observations sous le couvert des étoiles. Plus ils parlaient, moins ils comprenaient ce qu’il se passait.
Ils décidèrent de rester à bonne distance de la ripisylve jusqu’au petit matin et d’attendre Moridred jusqu’à l’aurore. Après quoi, s’ils n’en savaient pas plus, ils repartiraient vers la cité d’Aldburg, avec ou sans lui.
* * *
Le long de la berge, sous le regard de Moridred, des hommes tiraient sur des cordes pour aider de longues barques à accoster. Des hommes et des femmes, noirs comme l’ébène, descendirent dans la vase du bord du fleuve au milieu des broussailles et des saules. De nombreux autres Dwimmens étaient déjà là autour de petits feux. Ils avaient piétiné le sol autour d’eux et taillé plusieurs jeunes arbres pour en faire des lances. Des femmes, à la lueur des flammes, tressaient des sortes d’armures sommaires avec de la clématite, des joncs secs et de grands carex souples. Il y avait aussi des enfants et des vieux qui s’activaient autour des braises pour durcir les pointes des armes et s’occuper des aurochs noirs.
L’une des créatures était entourée de plusieurs mains s’affairant à la laver. Son poil ruisselant d’eau brillait et dégouttait sur le sol. Un Dwimmen s’appliquait à nettoyer ses longues cornes d’ivoire maculé de sang en chantant dans une langue inconnue et lugubre. De temps à autre, l’un d’entre eux poussait le hululement si caractéristique que Moridred avait entendu avec ses compagnons des jours plus tôt.
Ils étaient des centaines au bord de l’Entalluve. Des centaines de spectres noirs qui s’apprêtaient à combattre. Des centaines de formes et de silhouettes étranges qui se déplaçaient presque sans bruit entre les troncs des arbres, sous l’œil de la lune.
Ils étaient organisés en groupes autour des feux, se mélangeant peu et échangeant davantage par signes que par paroles. Certains d’entre eux portaient des tatouages difficilement discernables sur leur peau sombre. Leurs vêtements étaient faits de tissus et de plantes tressées. Ils mâchaient de la menthe aquatique et en recrachaient les feuilles après plusieurs longues minutes tout en préparant leurs armes. Des braises, ils ressortaient parfois de gros tubercules oblongs qu’ils partageaient entre eux après en avoir ôté la cendre. De l’eau bouillait dans de petites gamelles, pleines de feuilles, de racines et de plantes sauvages. Des odeurs entêtantes montaient des foyers, végétales, douceâtres, appétissantes. Nulle part, pourtant, ne se sentait le fumet de la viande grillée ou bouillie. Aucun cerf, aucun chevreuil ne faisait partie de leur nourriture, pas même une carcasse de lapin garnissait leur repas.
Un groupe s’agita plus que les autres et interrompit les observations minutieuses de Moridred. Au sud, un grand fracas de pas gonfla au milieu des arbres. La lumière accrocha l’ivoire de longues cornes dans l’obscurité du sous-bois alors qu’apparaissaient plusieurs attelages tirés par les bêtes sombres. Les animaux étaient plus gros que les bœufs rohirrims et présentaient une grosse bosse au niveau du garrot. Leur mufle était clair et ceint d’anneaux en bois. Un assemblage grossier de cordes formait un joug simple autour de leur tête et de leurs cornes. Malgré le peu de lumière, Mordired put voir qu’il s’agissait aussi bien de mâles que de femelles, car des pis gonflés de lait pendaient entre les postérieurs de certaines bêtes.
Les Dwimmen s’organisèrent pour dételer les bêtes et les faire boire. Sans qu’on pût distinguer de réelle hiérarchie, de meneurs, de lieutenants, ou d’hommes empreints d’une quelconque autorité, les étrangers présentaient une étonnante efficacité d’organisation. Les enfants et les femmes jouaient les mêmes rôles que les hommes, les vieillards aidaient quand ils le pouvaient. Tous semblaient pouvoir occuper plusieurs fonctions, plusieurs rôles. C’est du moins ce que put voir le cavalier, distinguant mal, pourtant, les individus entre eux, tant ils se ressemblaient dans la demi-clarté offerte par les feux.
Il était impossible de voir ce que contenaient les chariots. Il semblait y avoir pêle-mêle de nombreux objets qui déformaient les toiles qui les protégeaient. Des silhouettes s’en approchaient, en repartaient, sans qu’il fût possible de voir ce qu’ils faisaient. Y avait-il quelques armes dans ces carrioles ? De nouvelles supercheries empreintes de magie ? Que cachaient et transportaient ces hommes venus d’on ne savait où ? Et pourquoi ? Autant de questions qui demeuraient sans réponse.
Soudain une silhouette s’éleva au milieu des Dwimmen et le silence s’abattit sur leur assemblée. Les différents groupes épars tournèrent leur attention vers la haute femme qui s’était redressée, la tête ceinte d’un masque dont la forme rappelait celle d’un palmipède noir à long cou. Sur son passage, les Dwimmen s’écartaient avec déférence. Elle portait un long poignard à son côté, dont la lame renvoyait parfois un éclat rougeoyant entre les flammes. Son ombre projetée semblait danser autour d’elle. S’approchant d’un vieux chêne, elle se tint face à une autre personne dissimulée aux yeux de Moridred. Elle lui parla dans sa langue étrange puis retira d’un des chariots une petite cage en bois où se trouvait une salamandre. Elle ramena l’animal auprès de l’homme derrière le tronc. Une enfant totalement nue lui tendit un pot en terre cuite. Y glissant la main la femme ressortit un mélange de pigment noir dont elle couvrit la salamandre puis l’homme. Ce dernier se débattit comme si la teinture lui brûlait la peau. Il cria, un long cri de douleur mêlé à une peur viscérale qui déchira la nuit.
Un cri que Moridred reconnut aussitôt. Celui de Silfried.
* * *
La vingtaine de cavaliers sous les ordres de Horn se tenait inquiète à un quart de mille de la forêt. Dans la nuit, les arbres formaient un liseré d’ombres noir plus sombre que l’herbe grise qui renvoyait la lueur de la lune. Les chevaux broutaient, paisibles. Les hommes quant à eux, malgré l’instauration d’un quart, ne parvenaient pas à dormir. Deor s’était tellement rongé les ongles qu’il s’en était fait saigner les doigts. Dunhere faisait les cent pas, nerveux, ne parvenant pas à trouver un moyen efficace de faire passer la tension qui l’étreignait. Ils avaient regardé la fumée grisâtre de plusieurs feux s’étirer dans le ciel avec angoisse, non loin du fleuve.
— Combien ils peuvent être ? avait demandé Helm, sans attendre de réelle réponse.
Trop nombreux, pensa Horn. Beaucoup trop nombreux. Il n’était pas certain d’avoir pris la bonne décision. Ils auraient dû partir vers Aldburg à bride abattue pour prévenir les autres et lever les éoreds. Ils auraient dû. Mais l’espoir le tenaillait de voir revenir Moridred avec Sielfried. Un des leurs suffisait pour lancer l’alerte. D’ici le lendemain soir, la cité serait prévenue. Et eux, ici, avec un peu de chance, pourraient contenir les spectres noirs et limiter les dégâts.
— Est-ce qu’on ne devrait pas foutre le feu à la forêt ? lança quelqu’un.
Horn fut tiré de ses pensées brutalement. L’idée, aussi saugrenue qu’improbable, n’était pourtant pas si mauvaise. Mais il y avait deux des leurs, dans la forêt.
— Tu voudrais sacrifier les nôtres pour une poignée de sauvages ? — Une poignée ? Une poignée de géants alors ! Tu as vu toutes ces fumerolles. Il doit y en avoir des centaines là-bas dessous. — Ou quelques dizaines qui ont allumé plein de feux pour nous faire croire qu’ils sont plus nombreux que ce qu’ils sont. — Ou une vraie centaine avec plein de feux. Je te dis qu’ils sont un paquet là-bas dessous ! — Et moi je dis que tu réfléchis pas assez. C’est un leurre. Ils veulent nous enfumer, oui ! — Suffit ! cria Horn.
Il réfléchissait aussi vite qu’il le pouvait. Le vent, une petite brise venue du nord, pouvait être un allié de poids. Quelques brandons bien positionnés, un souffle régulier et les Dwimmen feraient définitivement partie du monde des morts. S’ils avaient jamais été de celui des vivants.
* * *
Sielfried avait été recouvert d’une peinture noire et visqueuse des pieds à la tête, tout comme le petit animal que tenait la sorcière. Il ne faisait plus aucun doute qu’elle avait une fonction magique et spirituelle. Les Dwimmen avaient étiré autour d’eux un silence grave et plein de respect. Seule la voie de la femme s’entendait, grave, profonde, presque gutturale. Elle exécuta plusieurs gestes des mains au-dessus de la salamandre, puis sur Sielfried. Puis elle se saisit d’un brandon enflammé qu’elle passa au-dessus de l’animal et devant le visage du Rohirrim. Elle formula de nombreuses incantations face au brandon. Les Dwimmens répétèrent ses mots et toute la forêt sembla se mettre à parler. La femme masquée se dirigea vers le fleuve et plongea la torche dans l’eau au milieu de fumerolles serpentines. Il y eut alors un concert de hululements joyeux, comme s’ils venaient de battre un ennemi invisible. Comme si quelques sortilèges s’étaient abolis et les avaient libérés d’un enchantement maléfique.
La prêtresse revint vers Sielfried, grava sur la peau de la salamandre, puis sur la peau du cavalier, des arabesques de suie. Le silence revint, pesant cette fois, lourd d’un sens qui échappait à un œil étranger. La femme s’approcha d’un homme et d’un enfant et leur présenta l’animal. Ils se mirent à genoux devant elle. La sorcière se saisit de son long couteau effilé, tint fermement la salamandre entre ses doigts et planta la pointe de son arme dans le flanc de la petite créature. Doucement, avec minutie et précision, elle incisa la peau. On n’entendait plus que le crépitement des flammes et le murmure du vent dans les feuilles. Même le crissement des grillons et des petites bêtes du bois s’était tu. La lame, enfoncée de quelques millimètres à peine tailla la chair de l’amphibien. D’un geste précis la femme inclina son couteau et dans sa main, la petite créature devient molle et inerte. Au bout du poignard se trouvait le cœur minuscule de l’animal.
D’autres gestes eurent lieu, d’autres hululements furent entendus. La salamandre, une fois dépouillée de son cœur, fut rendue au fleuve. Des Dwimmen se levèrent alors, nombreux, des hommes essentiellement. Ils se saisirent de leurs tambours et entourèrent Sielfried en un large cercle de silhouettes noires. Les femmes et les enfants, les vieux également, se levèrent à leur tour et, tous, entourèrent le Rohirrim dont les yeux exorbités n’exprimaient plus que de la peur. Il avait vu ce qu’ils avaient fait à la salamandre. Et il devinait, il savait, au plus profond de lui, ce qu’il adviendrait par la suite.
* * *
La chaleur des flammes lui brûlait le visage alors que, haut dans le ciel, les arbres s’enflammaient comme pour brûler le ventre des nuages. Horn contempla devant lui l’immense brasier qu’il venait de faire naître au milieu des chênes et des vieux saules qui bordaient le fleuve. Ils s’étaient avancés aussi peu que possible dans le bois pour trouver du combustible, comptant sur la sévérité de la sécheresse pour les aider. Deor, le visage trop grave pour son âge, contemplait, haut au-dessus d’eux les nuées d’étincelles et de flammèches qui se perdaient dans la nuit.
De longues minutes s’étirèrent avant qu’ils n’entendissent retentir les premiers coups de tambours, nombreux et puissants. De longues minutes s’étirèrent avant qu’ils ne comprissent ce qu’il se passait. S’étaient-ils sentis piégés par le feu ? Où avaient-ils machiné d’autres moyens de les surprendre ? Les hululements stridents leur parvinrent au milieu de la musique terrible des instruments à percussion. — Qu’Eorl nous protège, lâcha Horn, bien malgré lui.
Ils étaient des centaines. Peut-être des milliers à sortir du bois, à s’avancer dans la nuit à travers les plaines du Riddermark, suivis de leurs bêtes noires et de leurs chariots. Ils s’étalaient massivement dans la plaine, comme des ombres noires surgies du néant, marchant sur le Rohan tel des spectres, frappant leurs tambours sous les étoiles.