Il devait se rendre à l’évidence : il était complètement perdu.
Il avait suivi la route d’Amon Sûl à travers l’En Enredoriath, c’était simple mais dangereux. Les mauvaises rencontres n’étaient pas rares dès lors qu’on pénétrait en Rhudaur. Néanmoins, il avait pris garde de s’arrêter à chaque fois dans les relais de la Garde des Landes.
La garde ne pouvait pas se permettre d’occuper continuellement chacun des relais, distant d’une bonne journée de cheval l’un de l’autre, bordant la route. Néanmoins, ces lieux étaient craints par les brigands et les créatures qui hantaient la Plaine Sans fin. De plus, on y trouvait toujours une petite réserve de bois, de fourrage et d’eau.
Fatigué du voyage, las d’avoir chevauché un peu moins de deux semaines, il avait décidé de couper au plus court. Entre messagers royaux, on se transmettait les trucs et astuces, les raccourcis et les coins à champignons.
“Quand tu auras passé Net Riagaill, longe le premier ruisseau qui descend vers le sud-est, tu éviteras de passer par les marais et tu gagneras une demi-journée de trajet”, lui avait dit son ami Thormund avant son départ d’Annuminas.
Cette demi-journée de gagnée devait lui éviter de passer une nouvelle nuit dehors alors qu’il était si près du but. Malheureusement pour lui, le ruisseau en question était difficile à suivre, ses berges accidentées obligeant souvent à s’écarter à bonne distance.
Il avait fini par se perdre et par ne plus parvenir à retrouver le lit du fleuve. L’épaisse forêt offrait peu de points de repère d’autant qu’il est très difficile de percevoir le soleil au travers du feuillage.
Le soleil avait fini par disparaître et Kesser avait dû se résoudre à monter un camp sommaire. Il avait attaché son cheval à un arbre et allumé un petit feu. Il avait donné quelques graines et un peu d’eau au pigeon qu’il transportait avec lui depuis Amon Sûl. L’animal connaissait le chemin jusqu’au pigeonnier de Cameth Brin et lui servait d’ultime recours au-cas où il ne serait pas en mesure de transmettre son message en mains propres.
Le sentiment du devoir accompli, il s’était adossé à un arbre centenaire. Enroulé dans sa couverture, son épée en travers de ses jambes, il était prêt à monter la garde toute la nuit. Demain, il reviendrait sur ses pas : cette forêt devait bien avoir une fin.
***
Kesser avait fini par s’assoupir. Malgré l’humidité, le froid et la peur il avait fini par céder au sommeil. Un bruit sourd le réveilla en sursaut. Un second, plus proche, accompagné d’un grognement, termina de lui remettre les idées en place.
Une bûche terminait de se consumer au milieu du feu devant lui. Il ne devait pas dormir depuis plus d’une heure. Serrant la poignée de son épée, il scruta les environs à la recherche d’un indice.
“Ooooh”, fit une voix lente et caverneuse,
“Un feu et un bon repas…”Émergeant de l’ombre une créature massive et sale apparut en face de lui. Un troll. Il savait que ces sales engeances descendaient fréquemment des Hautes Terres, et en particulier des Landes d’Etten, pour venir commettre des rapines dans les Fourrés des Trolls mais il se pensait suffisamment proche de Cameth Brin que pour échapper à ce type de dangers.
Le messager se redressa d’un bon et d’un mouvement vif se rua sur son cheval. Ses chances de survie étaient plus que réduites mais il ne voulait pas que sa mission en pâtisse. D’un geste rapide il ouvrit la porte de la petite cage à pigeon accrochée à sa selle. L’animal s’échappa en roucoulant.Le message serait transmis.
Kesser se tourna alors pour faire face au troll, les mains serrées autour de la poignée de son épée.
***
Fein indiqua quelque chose au sol, une trace profonde et circulaire. Il en pointa une seconde, presque identique, à quelques centimètre. Cela faisait plusieurs jours qu’ils traquaient une bête qui terrorisait la région.
“Tu vois, fils, ça c’est une trace de troll.”, fit-il dans un murmure.
Le jeune homme qui se trouvait juste derrière lui se pencha pour mieux voir la trace à la lumière d’une torche. Machinalement il porta la main à la courte épée qu’il portait à la ceinture. Un léger sourire se dessina sur le visage sévère de Fein.
“Il est encore loin, tu ne risques rien… par contre, éteignez vos torches.”La petite vingtaine d’hommes, composée à moitiés de gardes des landes et à moitié de soldats personnel du gouverneur, s’exécuta. Ils restèrent silencieux quelques minutes pour laisser à leurs yeux le temps de s’habituer à l’obscurité.
La lune n’était pas encore pleine mais déjà suffisamment que pour faciliter leur traque. Fein se dirigeait d’un pas leste et rapide pour son âge. Il passait d’une trace à l’autre, suivant au plus près le passage du troll.
Soudain il s’arrêta imité aussitôt par le reste de la compagnie. Il indiqua de la main une série d’autres marques au sol.
“Un homme et son cheval, pris en chasse par le troll.”Fein ne fit aucun autre commentaire. Il savait qu’il risquait de tomber sur un cadavre au bout du chemin.
La petite troupe se dispersa, formant un râteau silencieux dans les bois profonds. La plupart des hommes avaient encoché une flèche à leur arc. Le fils de Fein se tenait derrière son père armé lui aussi d’un arc prêt à tirer.
Au bout de quelques minutes de marche silencieuse, ils distinguèrent un petit feu dans une clairière. Le gouverneur fit un signe à ses hommes pour qu’ils opèrent un mouvement d’encerclement.
Ce qu’il vit en arrivant à la bordure de la petite clairière manque de lui retourner son estomac pourtant bien aguerri. Un troll était assis, tournant le dos au feu. Il avait accroché le corps d’un homme, la tête en bas. Du sang semblait avoir coulé abondamment au départ de sa tête. Fein remarqua une incision au niveau de la carotide. Le troll avait déshabillé l’homme, entassé ses vêtements dans une coin et entreprit de le vider. “Comme un vulgaire chevreuil”, pensa le gouverneur.
Sans plus attendre, il s’avança dans la lumière, l’épée au poing.
“ Au nom du Roi et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés je vous arrête pour meurtres et rapinages !”, déclama-t’il d’une voix assurée.
Le troll se tourna, surpris d’être interrompu dans son activité. Il se redressa lourdement, laissant son ouvrage de côté le temps de se charger de l’importun.
Sans un mot il rua en direction du gouverneur, balançant son poing lourd en direction de son visage. Fein s’écarta d’un mouvement agile avant d’abattre son épée sur le bras du troll. Ce fût comme un signal et en quelques secondes le troll se transforma en hérisson, criblé de flèches.
Le monstre tomba à genoux, regardant impuissant son bras sectionné. Il grogna une dernière fois de douleur avant de s’abattre lourdement au sol. Mort.
“Vois-tu, fils, fit Fein imperturbable,
toutes les créatures de cette terre ont droit à un procès. Certaines préfèrent passer directement à la sentence.”Son fils acquiesça silencieusement.
Le gouverneur s’approcha du tas de vêtement à la recherche d’information sur l’infortunée victime du troll. Sa main finit par toucher un parchemin plié en quatre et marqué d’un sceau familier. Fein brisa la marque royale et déplia la missive. Le message était finalement arrivé à son destinataire. Il releva la tête et se tourna vers son fils.
“Fils, tu vas visiter Annuminàs.”