Môrhïn Bohémienne
Nombre de messages : 338 Localisation : Dans un coin de ces terres.... Rôle : Danseuse, arnaqueuse et voleuse
~ GRIMOIRE ~ -: Humaine -: 25 années -:
| Lun 12 Juil 2021 - 22:20 | | La mort est une compagne, silencieuse, évanescente. Un murmure ou une plainte oppressante diluée dans le bruissement des arbres et du vent. Un souffle hivernal sur ma nuque. Une salve de frissons cheminant sur mon corps tuméfié. Ce froid, irrépressible, irradiant de la gangue neigeuse interminable qui asservit lentement mes membres et m’attire vers un sommeil éternel. Elle est là, à chacun de mes pas, plus difficile que le précédent, présente à chacune de mes respirations saccadées et embuées, prédatrice à l’affut de ma chute, charognard affamé s’attachant à mon ombre meurtrie.
Elle guette cet instant fatal où ma détermination flanchera sous les assauts de la bise et de la douleur, celui ou je sombrerai, incapable d’avancer, brisée, esseulée dans cet océan mortel immaculé. Est-ce que l’on me retrouvera, ma nudité exposée, mes lèvres bleuies craquelées, ma peau marbrée de violet et de sang, l’ébène de mes cheveux étoilé de givre sous les vestiges de ma capeline déchirée ? Ou finirais-je dans l’estomac des loups et des corbeaux ? Qu’importe, je refuse de me rendre, je refuse l’inévitable évidence, pas après pas, le cœur grondant d’une colère sourde, les veines empoisonnées du fiel de la vengeance. Cette rage brûle en moi d’un feu intense, d’une flamme que quelques flocons ne sauraient éteindre. J’ai froid, je suis au-delà, et pourtant l’incendie me ravage d’un soubresaut. Oh… évidement… je ne sens plus le bout de mes pieds nus et de mes doigts crispés sur le tissu fin qui m’entoure tel un linceul miteux, ni même mes chevilles ou mes jambes, mon corps tout entier anesthésié mais le venin de ma vindicte et ma fureur sont tout ce qui me reste, tout ce qui me pousse à continuer alors que la lassitude se fraye inexorablement un chemin en mon sein.
Le désir de voir ces mécréants tomber, m’oblige à avancer. Un pas pour chaque visage, pour chaque coup que j’aimerais leur assener. Il n’y a pas assez de mots pour exprimer le besoin irrépressible que j’ai, de les observer mourir lentement, aussi lentement que l’exécution des miens fut longue, de les entendre agoniser, crier, gémir, pleurer. Ils riaient lorsqu’ils ont pris nos vies, égorgé le petit Mikail, tailladé méthodiquement Ferd dans un jeu sadique ou violenté Selima alors que son enfant gisait à côté d’elle, le regard vide et la bouche tordue dans un rictus silencieux. Jamais je ne pourrais oublier le bruit de succion des lames qu’on arrache d’un corps, le bouillonnement du sang qui gorge la terre, le fracas d’un crâne que l’on écrase sous les éclats hilares et les regard égrillards, les encouragements obscènes sous les coups de boutoirs. Jamais je ne pourrais oublier leur odeur de charogne et de sueur, leurs mains brutales, leurs faciès vérolés, la rudesse du sol glacé et saillant pourtant presque doux en comparaison à leurs assauts bestiaux.
Du sang coule de la lèvre crevassée que je mords pour essayer de chasser les émotions qui m’assaillent et me poignardent. Des larmes perlent sur mes cils pour se figer en diamants gelés sur mes joues blafardes. Je pleure, mes frères, mes sœurs, mes pères, mes mères, mon clan entier englouti dans l’obscurité au nom de la cupidité, de l’avidité ou tout autre idiotie. Je pleure, seule dans la neige, à genoux. Pourquoi suis-je encore vivante alors qu’ils gisent tous, face contre terre, dans un ruisseau écarlate à quelques kilomètres. Pourquoi ne suis-je morte comme eux ? Pourquoi ? J’aimerais avoir la force de poursuivre, mais l’hiver m’asservit, et sous ses baisers volages, ma fougue s’éteint, les flammes se muent en étincelles pour ne plus être que des braises à peine tiède sous mon chagrin. Ma colère ? Elle s’émousse sous le frimas. Je suis fatiguée de me battre, fatiguée de respirer, fatiguée de vivre, et soudainement l’idée de m’allonger sur le matelas duveteux de neige ne me semble plus aussi cruel.
Je ne sens même plus la morsure du froid lorsque mes yeux se closent, que mon corps se love au creux des flocons. Et, comme un amant, le gel emprisonne mes cheveux érigeant mon suaire, mon cercueil, de cristaux de givre et de neige. Alors que les minutes s’égrènent, mon souffle se raréfie et mon cœur ralentit jusqu’à devenir un imperceptible tambourinement, aussi ténue que le silence retrouvé de cette nature sauvage, aussi ténue que cette légère buée filtrant au travers de mes lèvres glacées.
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