Nombre de messages : 1082 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
La nuit rohirrim était bien fraîche. Depuis le coucher du soleil, les températures avaient fortement chuté et un fort vent d’ouest s’engouffrait entre les petites maisons du village agricole. Dehors, la lueur blafarde de la pleine lune était troublée par un voile de sombres nuages qui semblaient progresser au-dessus du Riddermark. Ainsi prostrée dans l’étable, auprès de la présence rassurante de sa fidèle monture, Kryss Ganaël devait sans doute regretter de ne pas avoir songé à prendre au moins une petite couverture avec elle avant de quitter la salle à manger de la famille qui les avait généreusement accueilli. Toute personne socialement constituée aurait sans doute songé à retourner là-bas, présenter ses plus plates excuses pour la gêne occasionnée et chercher à se réchauffer auprès du feu de cheminée. De toute évidence, l’ancienne membre des Ombres n’appartenait pas à cette catégorie.
Ne trouvant pas le sommeil, elle se contenta d’observer silencieusement les rares allées et venues en cette heure tardive. Parfois un chat sauvage ou rongeur passait furtivement devant elle, en quête d’un maigre dîner.
Au bout de quelques dizaines minutes elle put entendre la démarche balourde d’Eopren qui se dirigeait vers l’étable. Il avait meilleure mine. Quelques heures plus tôt, ses cheveux gras et poisseux encadraient un visage marqué. L’homme n’avait pas subitement rajeuni en l’espace de quelques heures et ses traits portaient encore les stigmates de ses expériences passées mais il affichait désormais une expression satisfaite. A en juger par l’odeur moins désagréable qui se dégageait de lui, il s’était sommairement lavé et avait attaché ses cheveux à l’arrière de son crâne. Donnant un semblant d’aperçu du brave cavalier qu’il fut peut-être jadis. Le vétéran avait ramené avec lui plusieurs quartiers de pommes qui faisaient guise de dessert après son copieux dîner. Là encore, un contraste intéressant pour cet homme qui se trouvait bien plus souvent avec une flasque d’alcool qu’un fruit à la main.
Il s’approcha de la jeune femme et lui tendit un morceau: “T’en veux?” Fit-il avec un brin de malice, conscient de perpétuer le petit rituel qui s’était installé entre eux deux.
Le soldat s’installa ensuite sur un tas de paille, à proximité de Kryss sans pour autant s’en approcher de trop près et empiété sur son intimité. La jeune femme pouvait dresser une longue liste de défauts de son compagnon, mais les regards et gestes déplacés envers elle n’en faisaient définitivement partie. Ils n’échangèrent pas un mot pendant un long moment, observant ensemble le silencieux tableau de la vie nocturne de ce hameau. Puis, sans aucune raison apparente, Eopren éclata de rire.
“La mystérieuse et téméraire Kryss, mise en déroute par une gamine de quatre ans.”
Il lui lança un regard taquin mais se doutait bien qu’elle ne le lui rendrait pas. Cela ne l’arrêta pas pour autant.
“Mais j’te comprends, les marmots ça peut être terrifiant. Comme ma vieille mère le disait toujours, les p’tites pousses ne bouffent pas les grandes.”
Il eut alors un sourire à la fois triste et joyeux à l’évocation de celle qu’il avait cherché à protéger depuis de si longues années. Celle-qui avait été la seule raison de son service et de toutes ses actions ces dernières années. Depuis sa mort, il s’était retrouvé sans but, prêt à tout reprendre à zéro. Tout comme Kryss. Le destin avait-il placé ces deux âmes sur le même chemin? Ces deux vagabonds errant sur les sentiers douloureux de la vie, en quête de sens. Était-ce pour cela qu’ils avaient choisi de faire route ensemble, malgré leurs différences? Quitte à ne pas connaître sa destination, autant partager le périple avec un voyageur au plan similaire.
“T’sais Kryss. La vie est une pute et le monde est horrible. Ne le rends pas plus dur pour toi qu’il ne l’est déjà.”
Eopren n’était pas un idéaliste, ni un franc optimiste. Cela faisait des années qu’il avait saisi tout le cynisme qui gangrénait le cœur des hommes, et qu’il s’évertuait à en tirer profit. Cela avait quelque chose de désespérant mais le vétéran avait décidé que s’en plaindre n'arrangeait rien, il valait mieux l’accepter. “La plupart des gens que tu croiseras voudront abuser de toi, ou alors te planter un poignard dans le dos. Ou les deux. Mais parfois, parfois, des salauds comme toi et moi croisent des gens bons. Qui ne cherchent qu’à vivre sereinement.”
Eopren n’était pas un homme qui accordait aisément sa confiance, à vrai dire il n’était un homme de confiance non plus. Sa réputation d’escroc et de magouilleur avaient fini par avoir eu raison de la patience de ses officiers, en particulier depuis l’exil de celui qui avait toujours cherché à le couvrir. Il avait parfois été trahi, il avait souvent trahi. Telle était la vie qu’il avait choisi de mener. Jamais, pourtant, n’avait-il perdu de vue que certains pouvaient choisir une autre voie.
“Kryss, tu m’excuseras de penser que t’es pas franchement une personne fréquentable. Une jeune fille asociale, sachant se battre, seule sur les routes du Riddermark. Faut pas être érudit pour comprendre que quelque chose à mal tourné. Mais j’te juge pas. Et j'te demanderais jamais comment t'es arrivé là. J’ai aussi fait des choses terribles dont j'veux jamais parler.”
Instinctivement il porta sa main à la poche de son veston, là où il cachait habituellement sa flasque d’eau-de-vie, mais il n’y avait rien. Il l’avait laissé dans sa chambre; il croqua dans un quartier de pomme.
“Nos défauts, nos horreurs, elles nous suivront jusque dans notre tombe. Mais cela ne nous empêche pas d’adoucir tout cela avec des souvenirs plus doux.”
Il se redressa alors et tendit sa main vers la jeune femme, l’invitant elle aussi à se lever.
“Allez arrête de pleurnicher et viens. Des draps propres et une chaude couverture t’attendent.”
The Young Cop
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C’était la pleine lune semble-t-il…et déjà Kryss savait qu’elle en aurait le sommeil troublé. Elle poussa un soupir qui se transforma aussitôt en brume s’échappant de ses lèvres, et resserra à nouveau sa cape autour d’elle, serrant ses dents. Elle devrait convaincre Dana de se coucher auprès d’elle si elle souhaitait avec un minimum de chaleur cette nuit…elle n’en doutait pas qu’elle réussirait mais pour le moment elle était beaucoup trop perturbée pour y réfléchir. Elle n’avait pas sommeil….elle contemplait donc cet astre d’argent qui s’élevait lentement dans le ciel nocturne, voilé par moment par de paresseux nuages. Elle avait toujours eu une fascination pour la nuit et la lune. Tout y était plus….calme. Serein. Silencieux. Elle passa sa langue sur ses lèvres gercées de froid et se rassura d’avoir eu au moins un repas chaud pour lui tenir le ventre ce soir. Combien de temps voyageraient-ils ? Allait-elle rester avec ce cavalier un peu trop bavard, ou tenter sa chance par elle-même comme bien des fois auparavant ? La jeune femme remua dans la paille, chercha une position plus confortable, et retira de sous elle sa sacoche qui s’était glissée contre ses côtes. Voilà….c’était mieux ainsi. Sa main remonta sa capuche sur sa tête pour se protéger du vent qui semblait avoir une volonté propre de s’infiltrer jusque dans les écuries malgré l’abri qu’il lui offrait…
Sa contemplation put durer quelques minutes comme une heure, elle ne s’en aurait conscience…mais bientôt elle entendit les pas de son compagnon de route s’approcher et elle put distinguer les changements opérés chez lui malgré l’obscurité ambiante, seulement éclairé par le clair de lune. Il ressemblait plus à ce qu’il prétendait être désormais. Elle ne put retenir un soubresaut de rire et elle s’empara d’un quartier de pomme qu’elle croqua alors qu’il prenait place auprès d’elle. Elle avait fini par s’y habituer dans une moindre mesure, à sa présence… Elle ne fit pas mine de poser sa main sur sa dague, ce coup ci…Cela pouvait paraître extrême mais chez la jeune femme, cela indiquer un début de confiance tacite vis-à-vis de l’homme et c’était déjà beaucoup. Elle ne put retenir un grognement face à la boutade du cavalier, heurtant sa fierté mis à mal par les derniers évènements… En effet il était fort étrange qu’une femme d’apparence si téméraire et forte, soit mis en déroute par une gamine. Mais les enfants étaient si…étranges, imprévisibles…Ils semblaient réagir et intérargir de manière totalement incompréhensible pour Kryss. Ils ne répondaient à aucune logique et à chaque fois, leurs émotions semblaient exploser dans toutes les directions et à l’opposé et à contradiction…comment s’y retrouver face à tout cela ? Elle se demandait si chaque parent recevait des instructions sur comment comprendre leurs bambins…cela serait tout de même plus facile… Son esprit retourna un bref instant vers sa sœur enceinte qu’elle avait laissé attachée et inconsciente dans la neige il y a de cela une dizaine de jours. Elle ne se préoccupa pas cependant de son sort ni de ce qu’elle était devenue depuis leurs « retrouvailles ». Kryss sentait les médaillons jumeaux reposer contre sa peau et elle garda le silence un long moment, incapable de répondre à Eopren qui continuait de se moquer sans ménagement d’elle.
La jeune femme se redressa un peu dans son tas de foin, dégageant sa lame de sa cape. Elle murmura, comme pour elle-même :
- Et tu fais parti de quelle catégorie ?
De ceux qui voulaient abuser d’elle, lui planter un couteau dans le dos ? La suite de son discours faisait penser qu’il ne faisait pas parti des gens bons. Tout comme elle. Lui planterait-elle son couteau dans le dos néanmoins ? A voir… Jusque-là, il ne lui en avait pas donné raison pour…. La jeune femme n’avait pas de gêne vis-à-vis du sang, mais elle réfléchissait cependant consciencieusement à quand le verser, et comment. Elle ne voulait pas s’ajouter inutilement du travail…. Son regard plongea dans celui du cavalier dont elle pouvait à peine discerner les traits, à quelques pas d’elle. Elle ne contredit pas son analyse de sa personnalité, ne chercha pas à prendre sa défense. Elle n’avait rien à se faire pardonner, encore moins à ce soldat qu’elle commençait à peine à connaître. Non, elle n’était pas une personne fréquentable. Oui…le peu d’interactions sociales ces dernières années se soldaient généralement par un bain de sang. Elle ne s’était rapproché dernièrement que de son mentor qu’elle considérait pas comme un ami, mais un guide. Elle prenait toute l’aide qu’on pouvait lui apporter, si cette aide ne venait pas avec des chaînes, visibles ou cachées. Tout ce qu’il lui avait apporté, elle l’avait repayé de ses lames. Elle se jugeait quitte, et n’avait aucune dette à payer. Elle hocha la tête silencieusement donc, ignorant s’il pouvait voir ce geste, reconnaissante qu’il ne cherche pas à en savoir plus sur elle ni son passé. Elle ne cherchait pas à sauver son âme, ni à se refaire une vie. L’obscurité coulait dans ses veines comme la lune régnait sur la nuit. Inévitable.
Il s’était relevé pendant qu’elle était perdue dans ces pensées et prit un moment avant de réaliser qu’il lui tendait sa main, qu’il lui parlait. Ces mots prirent un moment à faire leur chemin dans son esprit embrouillé par le froid. Après un moment d’hésitation, sa main glacée attrapa avec force celle du cavalier et elle tira dessus sans ménagement pour se relever. Elle ajouta cependant sur un ton de reproche :
- Je ne pleure pas.
Et cela était vrai. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait versé une larme. S’il y avait bien une chose sur laquelle ils étaient d’accord, c’est qu’il était inutile et improductif de se lamenter sur son sort. Elle serra donc les dents, se préparant au défi ultime que de retourner dans cette chaumière familiale qui représentait ses pires blessures et ses angoisses les plus profondes. Elle relâcha la main d’Eopren après l’avoir serré probablement un peu trop fort, comme pour marquer son mécontentement, et épousseta sa cape pour ne pas ramener la moitié de l’écurie à l’intérieur. Elle n’avait pas de connaissances sociales particulières et avait perdu l’habitude des interactions aussi basiques, mais elle se doutait que cela soit mal considéré… Elle se laissa donc guider par Eopren, et baissa la tête honteusement face à la mère de famille. Son regard accrocha le visage rougi par les larmes de l’enfant mais elle semblait s’être remise de ses émotions et jouait actuellement avec des cubes en bois près du feu. Kryss poussa un léger soupir de soulagement. Au moins il semblerait qu’elle ne l’ait pas blessé dans sa hâte. Elle ne put cependant dire un mot et laissa Eopren gérer la situation. Ils furent ensuite redirigés vers l’arrière de la chaumière, dans une petite pièce où avaient été déposés deux couches simples avec des couvertures épaisses. Elle remercia d’un geste de tête et déposa contre le mur sa sacoche en bandoulière. Elle accrocha sa cape sur le coin d’une armoire et en ouvrit les portes pour se changer à l’abri d’œil indiscret. Elle n’était pas particulièrement pudique mais tout de même…
Une fois changée elle se glissa dans les couvertures. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que cela était tout de même plus confortable qu’une simple couverture sur le sol inégal en terre battue…Et la proximité du feu dans l’autre pièce semblait se propager jusqu’à eux. Ainsi sur son dos cependant, le sommeil la fuya. Elle murmura donc dans l’obscurité :
- Et si j’en suis incapable ?
D’adoucir cette vie, de profiter des petits plaisirs. Savait-elle-même ce que cela était ? S’agissait-il en effet de cette paillasse sommaire mais confortable, au sein d’une chaumière à l’atmosphère détendue ? Etait-ce de retrouver un sens à sa vie, maintenant que sa revanche était derrière elle ? Etait-elle capable d’apprendre à interagir avec des personnes étrangères, de refaire sa vie, potentiellement avec quelqu’un ? Tant de questions, tant de doutes, et cet astre plein au dehors dont elle pouvait sentir la présence jusqu’au fond de sa poitrine…
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Le goût de cette curieuse boisson était pour le moins intrigant. Une saveur astringente héritée de la racine écrasée utilisée dans la préparation couplée à une acidité qui titillait agréablement le palais. Erlin lui avait conseillé d’adoucir l’infusion en y plongeant une cuillère de miel local, ce qui avait le mérite de rendre le goût plus abordable pour un novice. Cela changeait de l’eau-de-vie que le vétéran transportait dans sa flasque désormais vide; et ce n’était pas un tisane qui remplacerait l’étreinte envoûtante l’alcool qui enveloppait d’ordinaire son esprit. Mais, faute de mieux, cela se buvait.
“Alors ?” S’enquit le maître des lieux. “Surprenant mais pas désagréable.” Lui répondit le soldat d’une voix qui se voulait la plus basse possible.
La maison de leurs hôtes était désormais bien calme, Helga était montée à l’étage pour y coucher la benjamine de la famille, tandis que Leo s’était retranché dans sa chambre. Tout annonçait une nouvelle nuit paisible dans ce village de l’Ouestfolde. Eopren avait déposé ses effets dans la petite chambre à l’étage dans laquelle se trouvaient deux couchages, pour lui et sa prétendue fille. Il s’était ensuite retiré pour profiter encore quelques minutes de la chaleur du feu qui brûlait encore dans la pièce à vivre, laissant à Kryss un peu d’intimité. Il observait d’un regard triste les flammes qui dansaient devant lui et les braises qui se consumaient lentement. Le vétéran ferma les paupières un instant. Les mêmes images revenaient toujours à son esprit. Le feu qui anéantissait tout sur son passage. Les cris de détresse des innocents pris au piège. L’odeur âcre du bois brûlé qui se mêlait à celle de la chair calcinée.
Il tressaillit. Ses bras fut secoué de tremblements soudains qu’il s’efforçait de contrôler en serrant fort les appuie-bras de son fauteuil de bois, pour ne pas effrayer son hôte. La voix distante d’Erlin le tira finalement de ces visions du passé et il rouvrit finalement les yeux. “Je peux vous poser une question indiscrète messire ?”
D’un geste de la tête, le soldat l’invita à poursuivre.
“Les colporteurs et marchands de passage parlent d’une menace qui grandit à l’Est du Royaume, de spectres mangeurs d’hommes, des Dwimmen. C’est vrai tout ça ?”
Eopren acquiesça silencieusement, avant de reprendre une gorgée de la boisson encore chaude. Erlin l’observait avec un air interdit. Le monde du fermier venait sûrement de s’effondrer. Les plaies de la guerre civile n’étaient pas encore cicatrisées, les effets du Rude Hiver et les ravages de la sécheresse qui avait suivi se faisaient encore sentir. Depuis quelques semaines, ils commençaient seulement à sortir la tête de l’eau et entrevoir un avenir plus radieux et voilà qu’on lui confirmait, très calmement, l’existence d’une nouvelle menace. Saisissant son inquiétude, le vétéran chercha à le réconforter. “Mais ne vous en faîtes pas. Ils sont loin et nos troupes vont les écrabouiller avant qu’ils ne franchissent le Snowbourn.”
Erlin fronça les sourcils, visiblement circonspect. “Ces troupes, vous ne devriez pas en faire partie ?”
Pris de court, Eopren ne sut quoi répondre. La cape verte de la Garde Royale qu’il portait fièrement était l’assurance de voir de nombreuses portes s’ouvrir mais il avait sous-estimé le fait qu’elle ferait se lever de nouveaux sourcils. Que faisait donc un membre d’une telle unité d’élite si loin du front et du Vice-Roi qu’il était censé protéger. “Vous fuyez n’est-ce pas ?” Poursuivit Erlin, une pointe d’accusation dans la voix.
Un sentiment inhabituel gagna le cœur du guerrier. Il avait rarement eu honte au cours de sa vie. Toutes ses combines, ses mensonges et petites ristournes ; il n’en regrettait rien. Pourtant, quelques jours plus tôt il était allé bien plus loin en tournant sciemment le dos à sa patrie, plus menacée que jamais.
“Non” Mentit-il. “J’fuis pas, je vais simplement mettre ma fille unique à l’abri. Puis j’repartirai au front. Vous êtes un père vous aussi, vous devriez comprendre.”
Habile, Eopren était parvenu à se ressaisir et inverser la dynamique de la discussion. C’était désormais au tour d’Erlin de se montrer gêné. Il balbutia quelques excuses mais le vétéran décida d’enfoncer le clou afin de clore définitivement le sujet.
“Helen est tout ce qui me reste en ce monde. Sa mère est morte en donnant naissance à son frère. Ni lui, ni elle, n’aura survécu à cette terrible nuit. -Je suis désolé. Je n’aurais pas dû… -Ce n’est rien.”
Les deux hommes restèrent assis un moment en silence, contemplant les dernières bûches de bois se noircir et craqueler au contact des flammes. Erlin proposa alors à son invité une autre tasse d’infusion, ce dernier accepta volontiers. “Ah mince ! Il ne reste presque plus d’eau.” Déplora l’homme qui s’était rendu dans la cuisine. “Les petits ont besoin de boire au réveil.”
Il saisit son veston qui traînait sur la table. “Ça vous dérange de m’accompagner au puits ? Ensemble on pourra ramener plus de seaux et y’aura assez pour tout le monde demain.”
Eopren se leva, quelque peu contrarié d’avoir à quitter le confort de la demeure chauffée mais il ne voulait pas contrarier son hôte, surtout après la discussion qu’ils venaient d’avoir.
“Je vous suis.”
Les deux hommes sortirent de la maison. La nuit était sombre. La lune était désormais totalement couverte d’épais nuages et le vent froid avait gagné en intensité. Ils marchèrent de longues minutes dans les rues du hameau. La plupart des demeures avaient été construites sans réel ordre établi, disséminées à travers le village de façon anarchique, au bon vouloir de leurs occupants. En cette heure tardive, bien peu de lumières étaient encore allumées.
Un calme absolu régnait.
Au loin, un essaim d’oiseaux prit son envol. Le bruissement de leurs ailes vint chatouiller leurs oreilles.
Une brindille craqua sous la botte du guerrier du Rohan.
Le large puits de pierre trônait au centre de la plus grande place du village. Au sein des capitales, on érigeait de titanesques monuments autour desquelles la population pouvait se rassembler ; ici, un simple puits remplissait cette fonction en jouant un rôle vital pour des dizaines de familles. A l’aide de la corde, Erlin fit descendre lentement le baquet de bois jusqu’à la source qui se trouvait des dizaines de mètres sous leurs pieds. Avec l’aide de son invité, ils le firent remonter. Le récipient était désormais rempli de plusieurs dizaines de litres. En voulant le déposer sur le rebord pour en transvaser le contenu, Eopren glissa légèrement et le seau bascula vers le sol. Son contenu se déversa, rendant la terre sous leurs pieds boueuse et humide. Un fracas retentissant et pour le moins étrange accompagna la chute de l’objet.
“Oh merde !” Jura Eopren qui se baissa instantanément pour récupérer le seau. Allez Erlin, venez m’aider.”
Aucune réponse. Le vétéran insista :
“Erlin ?”
Toujours rien. Si ce n’est une nouvelle déflagration puissante, pourtant, cette fois rien n’était tombé. Alerté, Eopren se tourna vers son compagnon. Ce dernier, en état de choc, avait lâché ses ustensiles et observait d’un regard vitreux le spectacle qui semblait se jouer à l’autre bout du village.
La vision d’Eopren reprit vie.
L’odeur de l’incendie le gagnait à nouveau.
Des flammes s’élevaient encore sous ses yeux ébahis.
Et ces cris, toujours ces mêmes cris.
Cette fois, tout cela semblait bien réel.
Seuls deux mots parvinrent à sortir de la bouche du rohir: “Oh merde…”
Malgré toutes ses sombres pensées, Kryss; blottie sous sa couverture, avait fini par trouver un sommeil agité. Il fallait dire que l’épuisement de ces longues heures de voyages passées en selle ou à dormir à même le sol se faisait sentir. Le confort d’un véritable lit était un luxe dont elle ignorait la prochaine occurrence.
Le premier grondement de tonnerre ne fut pas assez tonitruant pour la tirer de ses rêves.
Le second, plus proche, la réveilla.
L’hiver avait été relativement clément depuis le début de leur périple, les zones enneigées limitées et le temps plutôt tranquille. L’orage était enfin arrivé.
Pourtant, à travers la petite fenêtre, il n’y avait pas l’ombre d’un éclair ni même la trace d’une petite goutte d’eau. Une tempête d’un genre bien étrange.
Il y eut un troisième bruit de fracas, cette fois beaucoup plus puissant. Le plancher sous ses pieds se mit à trembler bientôt suivi de cris d’effroi au rez-de-chaussée. Alertée, Kryss, encore vêtue de ses habits de nuit, bondit hors de son lit et put remarquer que le lit d’Eopren était vide.
Elle s’approcha de l’entrée de la chambre pour observer ce qui se passait par l'entrebâillement de la porte. En contrebas, elle distingua d’abord distinctement le visage de Helga, figé dans une expression d’effroi. L’ancienne assassine entrouvrit la porte pour élargir son champ de vision. Le corps de la mère de famille gisait au sol au milieu d’une flaque de sang, éventrée sans ménagement. Dans un coin de la salle de vie, qui s'apparente désormais plus à une salle de mort, l’aîné de la famille Leo, tentait de protéger sa petite sœur, réfugiée derrière lui. Le brave adolescent faisait tournoyer un long bâton dans l’espoir vain de tenir à distance un assaillant dont Kryss ne pouvait voir que les peaux de bêtes qui le recouvraient et la pointe ensanglantée de la lance qu’il tenait fermement. Pas de traces du vieux vétéran de la Garde, ni du père de famille. Un coup d'œil en direction de l’autre bout de la porte lui indiqua que la porte avait été enfoncée, lui offrant une sortie facile vers les écuries et fuir sur le dos de Dana, loin du danger.
Sa dague déposée sur un meuble près du lit était à portée de main.
Porter secours aux deux enfants en détresse ou fuir, seule. Seule, comme elle l’avait toujours été.
Quelque soit son choix ; elle devait agir vite au risque de voir ces deux opportunités se refermer pour de bon.
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Combien de temps elle dormit cette nuit-là ? Elle l’ignora…Après de profondes réflexions et des efforts de positivisme, elle avait fini par sombrer, le visage légèrement éclairé par la pleine lune voilée par-delà la petite fenêtre de la chambre à l’étage qu’on leur avait assignée. La chaleur de l’âtre au rez-de-chaussée se propageait dans les murs et apportait une atmosphère douce et réconfortante avec des jours passés sur la route. Elle avait bien fait d’écouter Eopren, finalement… On ne pouvait pas refuser une telle offre lorsqu’elle était disponible, et ces pauvres gens ne semblaient pas être une menace…Détend toi, Kryss…tu t’étais promis d’essayer, au moins… Ses rêves furent quelques peu agités néanmoins et les visions semblaient en noir et blanc. Un monde de contrastes et d’opposés se bataillant dans une tempête de neige qui n’avait pourtant rien de néfaste, bien au contraire… c’était une pluie de candeur agitée par le vent, venant caresser vos joues et arracher des nuages d’imaginaire à vos lèvres. Le froid ne la dérangeait pas. Elle souriait, même. Sous ses semelles de cuir des crissements de neige fondante, le voile d’acre semblant vouloir la recouvrir de sa blancheur innocente. Était-ce cela, la rédemption ? Était-elle pardonnée, finalement ? Sa main se leva au niveau de son regard et joua avec les flocons, observant les éclats d’argent à la lumière de l’astre nocturne. Mais déjà, déjà le froid qui semblait auparavant l’accueillir se referma autour d’elle et s’infiltrait tout ses vêtements, gerçant ses orteils et ses doigts. Elle serra les dents, entendit un éclair de tonnerre au loin. Non…non ne partez pas, petits flocons pâles sur ce fond d’encre… Elle n’était pas encore blanche, elle n’était pas encore graciée… Recouvrez-moi, pardonnez-moi…
Un deuxième bruit de tonnerre la réveilla désormais et elle se redressa sur sa couche, perdue et confuse sur ses alentours. Un coup d’œil l’informa que la couche à côté d’elle était vide et elle se souvint. Un troisième grondement la tira définitivement de ses songes et ses sens s’éveillèrent, à l’affut. Elle se releva, attrapa sa besace dans laquelle était ses affaires et agrippa sa dague dans sa main fermement avant de s’éclipser doucement vers l’embrasure de la porte pour observer la situation… Elle dut abandonner derrière ses bottes qui auraient fait craquer le parquet…Elle n’avait pas le temps de toute façon pour tout ces laçages…elle se maudit de ce manquement, mais se rassura de ses habitudes la poussant à réunir toutes ses affaires dans sa besace pour se préparer à de potentiels départs rapides…au moins, toujours cela de pris… Elle glissa donc sur les lattes de bois et n’eut pas de mal à voir en bas des escaliers le corps sans vie de la mère au foyer, ainsi que l’assaillant et les enfants cherchant bravement à se défendre. Kryss n’eut pas à s’attarder sur les blessures de la femme pour confirmer qu’elles étaient mortelles. Déjà le voile de la mort recouvrait son regard vide, fixant d’un air ébahi l’intrus. Que faisait donc les enfants en bas, alors que leurs chambres étaient à l’étage ? Sacrebleu…Elle pesta et observa la voie de sortie la plus proche. Une fenêtre, tout au bout. Elle était petite, et à l’étage mais en passant par la toiture…Elle était persuadée de pouvoir s’en tirer, suite aux entraînements prodigués par Héli sur les toits de la Cité Blanche. Toits dont elle avait dégringolé. Mais non, pas ce coup-ci. Elle n’était plus la femme qu’elle était…elle avait pris en assurance, en compétence. Elle pouvait le faire !
Elle se faufila donc, longeant le couloir d’un pas feutré, tous ses sens à l’affut. Elle y était presque…mais. Mais, mais. Non. Kryss. La sortie est juste là, la sécurité, la liberté, la survie ! Que fais-tu ?! Arrête. Pas de demi-tour, attrape le rebord de fenêtre, tu y es, grimpe ! Mais la jeune femme hésita, la main sur le parapet. Elle entendit le jeune adolescent en bas hurler et donner des coups de bâtons, tentant de repousser le meurtrier, malgré avoir le cadavre de sa mère à ses pieds. Kryss serra les dents. Maudit Eopren. Balança sa besace à travers la fenêtre et pivota sur elle-même, cape en main et dague dans l’autre, se coula à nouveau le long de ce maudit couloir qui lui vaudra sa perte, elle le savait bien, tout ça pour quoi, hein Kryss ? Toi ? Héroïne du peuple ? On aura tout vu ! Si elle ne jouait pas tout sur sa furtivité elle en aurait rit de l’ironie. Elle persista cependant, alla jusqu’en haut de l’escalier…. En bas elle voyait l’intrus en peaux de bête d’une taille impressionnante et aux allures étrangères. Mais sa vue était coupée, elle ne pouvait avoir la certitude qu’il était seul…Elle n’avait pas le choix cependant. Eopren le lui paierai cher. Tel un chat sauvage attendant sa proie, elle patienta que la brute soit en bas des marches et bondit, lançant sur les côtés sa cape pour ne pas obstruer sa vision. Tel un boulet de canon elle vola par-dessus les marches pour atterrir sur l’homme sauvage en un fracassement qui allait avec certitude attirer de potentiels compagnons de bataille. T’as intérêt à être réveillée maintenant Kryss, il est trop tard pour fuir. Avec un cri de rage elle enfonça sa dague profondément dans le creux de la clavicule, l’homme tombant sous elle sous son poids et son élan. Ses genoux en prirent un coup mais qu’importe.
- Ouste !
Elle jeta à peine un regard au jeune homme qui s’empara de sa sœur avant de fuir la maison. De la fumée atteignit son nez, ses yeux. Feu. En plus il y avait du feu. Manquait plus qu’il pleuve pour créer une situation des plus dramatiques. Mais pas le temps pour les blagues. Déjà elle regrettait son choix mais n’avait pas d’autre solution que de se tirer de ce bourbier. Détends-toi qu’il disait le vieil homme, tout se passera bien, MAIS BIEN SUR Kryss, bien joué va, tu aurais du coucher avec Dana comme tu l’avais envisagée depuis le début… La jeune femme arracha sa dague de la plaie et fit une roulade pour se dégager de l’assaillant le plus rapidement possible. Son regard chercha rapidement les sorties, se positionna pour l’avoir sur ses côtés mais pas dans son dos…toujours avoir un mur dans son dos… Déjà le géant se relevait en grognant, récupéra sa lance ensanglantée. Son interruption ne lui avait pas bien plut, en vu du regard de feu qu’il lui jetait. Aie. Qu’il était grand cet homme…C’est vrai que vu du bas, juste à côté…elle était clairement à son désavantage. Concentre toi…écarte toute pensée intrusive…
Inspiration. Expiration.
La jeune femme raffermit sa prise sur sa dague comme à sa propre vie, et s’accroupit le plus qu’elle put. Se faire la plus petite possible…cible minuscule, mouvante…déjà ses réflexes refirent surface. Son regard ne lâcha pas son adversaire, cherchant le moindre signe dans ses mouvements pour prédire les prochains coups… Elle glissa sur le parquet avec ses pieds nus, testa la garde du sauvage, ses sourcils froncés de concentration. Elle avait tout contre elle. La stature de l’homme, la portée de cette lance, redoutable…et le feu. Le feu elle s’en occuperait plus tard. Si elle était encore en vie pour s’en préoccuper. Que faisait cet homme si aguerri au combat en plein milieu du Riddermark ? Il n’avait pas l’air d’être un gars du coin…et était-il seul ? Kryss serra les dents et tenta d’attaquer, furtivement, s’élança, tenta un coup de dague, avant de bondir en arrière sans même vérifier si elle avait fait des dégâts. Elle voulait se tenir à distance de ces longs bras et de ce dard vermeil. Les deux combattants se jaugeaient silencieusement, un regard de haine pure passant entre eux. Elle était à son désavantage, mais cela n’était pas la première fois et surtout, son instinct de survie était particulièrement développé.
L’homme se jeta sur elle en balançant sa lance, cherchant à la transpercer tel un sanglier dans une forêt de pins. Elle pivota sur elle-même, grogna lorsque la lame écorcha son flan. Elle ne recula pas néanmoins. Elle se servit de l’élan de la brute pour glisser son bras gauche le long de celui de son adversaire, déviant l’arme et bloquant ainsi une contre-attaque. D’un geste brutale sa main droite fila dans l’ouverture ainsi créé et se planta sous les côtes. Elle fit remonter la dague vers le haut, cherchant à transpercer un organe vital. Elle retira si tôt sa lame dans une giclure de sang qui lui recouvra son poignet. La bête poussa un cri de douleur tonitruant mais il en faudrait plus…Il en faudrait plus. Mais au moins, entre la plaie à la clavicule et cette nouvelle, il devrait bien saigner. Kryss était prête à faire autant d’entaille qu’il le faudrait. Elle sauta en arrière, se rendit compte enfin du sang qui maculait sa propre chemise mais elle l’ignora. Par chance elle n’était pas bien profonde…mais elle avait conscience que chaque erreur de calcul pouvait causer sa perte… La jeune femme reprit sa garde, accroupie le plus possible sur elle-même, les pieds solidement plantés sur le sol en bois. Elle en avait de ces allures…jeune femme frêle en petite nuisette et pantalon de toile lui tombant sur les hanches…Mais elle ne recula pas. Son regard était tel celui du loup solitaire qui avait été bien trop blessé auparavant pour chercher le confort d’une meute. Elle ne chercha même pas à hurler ou à appeler à l’aide. A quoi bon ? Elle toussa, le feu crépitant gagnant petit à petit du terrain, rongeant un à un les meubles modestes du logis. Le paysan aura tout perdu, si ses enfants ne survivaient pas…mais elle ne pouvait rien faire de plus pour eux, désormais.
L’homme attaqua à nouveau, devina ses feintes et en voulant éviter la lame elle ne put esquiver le bras puissant qui l’envoya s’envoler vers une porte en bois qui craqua sous le choc. Kryss n’eut que le temps de protéger ses organes vitaux de ses avants bras avant d’encaisser le coup qui lui arracha un cri de douleur, son avant-bras gauche craquant sinistrement sous la violence du choc. Des larmes lui montèrent aux yeux et la porte explosée dans son dos lui arracha un crachas de sang sur le sol. Elle se releva tant bien que mal dans les débris, recula. D’un pas. De deux pas. Son bras gauche pendait désormais mollement à ses côtés et sa main glissait sur le manche de sa dague. Ce n’était pas le moment de flancher Kryss… Le bourreau s’approcha d’elle d’un pas lent, conscient de prendre le dessus sur leur combat… Elle passa devant les débris de porte à nouveau, la salle derrière elle étant un cul de sac. Accroche toi…accroche toi. Elle lui fit face, de plein pied ce coup-ci, des mèches de cheveux sombres s’accrochant à la sueur et au sang de son visage. Ça t’apprendra à te prendre pour ce que tu n’es pas, gamine. Mais elle tint bon. Un rictus sauvage apparut même sur le coin de ses lèvres, qui fit un instant hésiter le molosse en face d’elle. Il délaissa son arme, préférant semble-t-il lui arracher ce sourire de son visage d’inconsciente à coups de poings. Il roula ses épaules musclées et y mit toute sa force. Elle ne tressaillit pas, l’observa faire avec une moue, le sang lui coulant du bord de la bouche sur son menton. Elle attendit le dernier moment, le tout dernier moment, et plongea. Elle sentit l’appel d’air faire voleter ses cheveux et des débris de murs tomber sur ses épaules. Elle roula au sol, lacéra l’arrière du genou du colosse au passage, grogna de douleurs à cause de son flan, de son avant-bras probablement brisé… L’assassine se releva dans le dos de son adversaire et lui asséna un coup de pied dans lequel elle mit toutes ses forces, sur l’entaille béante qu’elle venait de lui infliger, le mettant une fois de plus à genoux.
Elle courut ensuite. Sans se retourner. La fumée lui piqua les yeux, lui arracha les poumons. Une poutre enflammée tomba juste devant elle. Noir.
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Ainsi Kryss Ganaël avait choisi d’intervenir pour sauver la vie des deux enfants. Un geste de bravoure noyé dans le chaos et la mort qui régnaient. Quelle ironie. Cet acte héroïque qui aurait pu marquer la rédemption de cette âme damnée tomberait probablement dans l’oubli. Les enfants avaient obtenu un sursis mais l’extérieur de la maison n’était pas plus sûr. Quant à Kryss, elle se trouvait en bien fâcheuse posture. Engagée dans un corps-à-corps acharné face à son ennemi, elle pouvait sentir le goût du sang dans sa bouche pâteuse. Tous les coups étaient permis, cela chaque adversaire l’avaient compris, usant de leurs armes mais aussi de chacun de leurs membres pour frapper là où cela faisait mal, pour briser l’autre.
L’assaillant avait même fini par prendre le dessus sur l’ancienne Ombre, la projetant au sol. Toutefois, emporté dans rage meurtrière, il avait laissé choir sa lance afin de l’achever à mains nues. Finir le travail en se salissant les mains, comme ces héros qui animaient les récits de guerre violents qui avaient bercé son enfance au sein de son clan. Erreur fatale. Loin de se douter qu’il avait face à elle une assassine entraînée, il avait donné à cette dernière une porte de sortie sans s’en rendre compte. Une échappatoire qu’elle s’était pressée d’emprunter sans hésiter. Sans qu’il ne sache trop comment, l’homme se retrouva à genoux, une profonde blessure à la jambe.
Kryss se précipita vers la porte sans un regard supplémentaire pour lui. Dehors, le chaos régnait. Plusieurs habitations du hameau avaient été incendiées et les flammes s’élevaient dans la nuit en un ballet macabre qui se mouvait au rythme des cris de guerre et des supplications des victimes. Tout autour d’elle, des hommes, des femmes, des enfants et des animaux couraient de façon complètement anarchique, cherchant vainement à échapper à leur funeste destin. Elle mit le pied dans une flaque mais ne sut dire si c’était de l’eau de pluie ou du sang versé par les envahisseurs.
À quelques mètres d’elle, deux corps gisaient face contre terre, sauvagement éventrés. En l’espace de quelques minutes, le paisible petit village agricole de l’Ouestfolde s’était mué en véritable charnier. Au milieu de la débâcle, la jeune femme avançait sans repères, cherchant à comprendre la situation et se situer tant bien que mal. Balayant les environs du regard, elle reconnut les écuries où Eopren était venue la chercher quelques heures plus tôt. Par chance, le bâtiment était encore intact. Y retrouver Dana et s’éloigner au triple galop de ce champ de bataille représentait certainement l’option la plus rationnelle.
Cependant, avant même qu’elle ne puisse prendre une décision, elle ressentit une main rugueuse l’empoigner fermement par la cheville. Kryss n’eut pas le temps de pousser un cri, qu’elle chuta en avant. En se retournant rapidement, elle ne put que constater son erreur commise quelques secondes plus tôt. En n’achevant pas son adversaire, la jeune femme lui avait donné l’opportunité de poursuivre ce duel. Le sauvage avait rassemblé ses forces et ramper jusqu’à l’extérieur et rattraper sa proie. Dans sa chute, Kryss avait lâché sa dague et se retrouvait désormais sans armes face à un ennemi physiquement supérieur. Celui-ci plongea sur elle et referma ses gros doigts sur la frêle gorge de la pauvre rohirrim. Il serra, encore et encore, bloquant ses voies respiratoires.
La douleur était atroce, ses poumons se vidèrent puis se mirent à brûler, réclamant un air qui ne pouvait guère arriver. La bouche grande ouverte, Krysse se débattait, donnant coup de pieds et de poings. Mais rien n’y faisait, animé par une rage meurtrière et insensible à la douleur, l’homme vêtu de peaux de bêtes ne relâchait pas son emprise. Au contraire, il se mit à appuyer plus fort pour la faire suffoquer. Bientôt sa vision se troubla, et le tumulte environnant s’évanouit progressivement.
L’heure de l’ancienne apprentie des Ombres était-elle arrivée? Finir ainsi, sans aucun panache, dans un trou au Rohan, entre les mains d’un simple sauvage? Elle ne s’était jamais considérée comme une héroïne animée d’un grand destin mais avait-elle seulement pu imaginer une issue aussi banale quand elle suivait son entraînement auprès de la Confrérie des Ombres.
Soudain, tout revint dans une explosion de sensations. Elle sentit d’abord sa trachée se détendre et l’oxygène entrer en trombe, trop vite même, si bien qu’elle fut secouée par une violente quinte de toux. Puis l’ouïe revint et le vacarme environnant l’assourdissait à nouveau. Le sauvage gisait inerte au-dessus d’elle, l’écrasant de tout son poids. L’odeur de sa transpiration mêlée à celle des peaux de bêtes qu’il portait était répugnante. Toutefois, sentir une mauvaise odeur était bon signe; elle revenait bien à la vie. Il lui fallut plusieurs secondes pour remarquer que son visage était couvert de sang, il ne s’agissait pas du sien. Une lame avait transpercé de part en part la gorge de l’assaillant. “Bordel! Kryss c’est toi?” Beugla une voix familière.
Un bras puissant l’aida à se relever alors que sa vision lui revenait peu à peu. Eopren était dans un sale état. Une profonde entaille lui barrait le front, un mince filet de sang s’en échappait et l’aveuglait partiellement. Pourtant, le vétéran était bien debout, tenant fermement son épée rouillée des deux mains. Il s’approcha du cadavre de l’homme qu’il venait de tuer, et du pied, le retourna pour contempler son visage.
Lorsque les premiers cris avaient retenti et que l’ombre des premiers assaillants avaient menacé le village, Eopren, qui se trouvait au puits au côté d’Elrin, avait d’abord cru à un assaut des Dwimmen. Ces envahisseurs mystérieux qui menaçaient les frontières du Rohan. Il n’en était rien. L’ennemi qui les attaquait était bien plus familier, mais pas moins redoutables. “Un raid de Dunlendings…”
Il cracha au sol. Comment était-ce possible? Si loin à l’intérieur des terres du Riddermark? Toutefois, l’heure n’était pas encore aux interrogations. Le vétéran devait d’abord se tirer d’affaire et lui aussi avait remarqué les écuries.
“Ils sont partout Kryss. Il faut s’casser d’ici avant qu’ils nous défoncent!”
Devant eux une famille entière fuyait leur ferme enflammée, coursée par deux autres silhouettes velues. Sans défenses, ils n’avaient aucune chance. “C’est pas l’moment de jouer les héros, Kryss. On peut rien d’plus pour eux, allez filons!”
Les deux compagnons s’élancèrent finalement. L’entrée du bâtiment visé se trouvait seulement à quelques dizaines de mètres, mais diminués et évoluant sur un sol boueux et au milieu du chaos, le parcours était bien périlleux.
À mi-parcours, un nouvel assaillant surgit des ténèbres. Au moins aussi imposant que celui qui s’était opposé à Kryss, il se rua sur Eopren, cherchant à le désarmer le plus rapidement possible. Le vétéran, pas assez vif, ne put éviter la ruade et les deux hommes se mirent à lutter au corps-à-corps. Un duel qui fut rapide; plus faible mais plus malin, le vétéran se laissa chuter sur le côté emportant dans sa chute son adversaire qui vint s’écraser avec fracas au sol. Eopren plongea ses mains dans le sol détrempé et lança des poignées de boue sur le visage de son adversaire afin de lui réduire sa vision. Il récupéra son arme et se précipita sur lui pour l’achever.
Toutefois, dans cette manœuvre, il s’était précipité et n’avait guère fait attention à la pointe de la lance que le sauvage tenait encore. Alors que la vie le quittait, ce dernier parvint à plonger son arme dans la cuisse du rohirrim qui hurla de douleur. Il roula sur le côté, s’étalant dans la boue, incapable de se relever pour atteindre son objectif.
Cet objectif, les écuries, qui ne se trouvait qu’à une vingtaine de mètres. “Allez p’tite Pousse! Aide-moi!” Supplia-t-il “Ensemble on peut y arriver!”
De nouveau, l’ancienne apprentie assassin devait faire face à un choix épineux. D’un côté, elle pouvait se précipiter pour sauver et aider son allié afin de s’enfuir à ses côtés. Même diminué, il restait un combattant talentueux qui pouvait s’avérer utile pour la suite des évènements. D’un autre côté, en l’aidant à marcher, elle prenait un risque important. Seule, elle pouvait se mettre à sprinter, sauter en selle et s’enfuir rapidement sur le dos de Dana. Eopren la ralentirait et déjà d’autres assaillants semblaient les avoir repérés.
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D’un geste plus instinctif que réfléchit, la jeune femme évita la poutre enflammée tombant sur elle. Les yeux humides par la fumée et le souffle rauque, elle navigua à l’aveugle dans la bâtisse du fermier jusqu’à s’extirper de justesse par la porte brisée, à moitié pendue aux gonds arrachés. Elle vacilla une fois à l’extérieur, chercha à inspirer profondément l’air, toussa en plissant les yeux. Mais son cauchemar était loin d’être terminé…Partout où reposait son regard elle ne voyait que flammes, chaos et souffrances. Les enfants avaient-ils survécu ? Impossible de le dire. Déjà une évidence s’imposait à elle : si elle voulait survivre, elle devait tout abandonner derrière elle. Impossible de récupérer son sac, sa cape, ses bottes… sa mâchoire se serra, et ses pieds nus rencontrèrent une substance visqueuse qui lui arracha un frisson de dégout. Mélange de pluie, de sang et de boue glacée, elle aurait donné toutes ses maigres possessions pour une paire de sandales. Elle chercha du regard Eopren, ne le trouva point. Sonnée par les coups reçus et la brutalité de la scène devant elle, la jeune femme poursuivit son chemin vers les écuries, esquivant ça et là les paysans effrayés, hurlant les prénoms des proches qu’ils recherchaient, ou bien seulement hurlaient la perte de tous leurs biens et de leurs familles. Ses cris donnèrent la chair de poule, ses pieds trainèrent dans la boue, hagard, perdue.
Comment un tel chaos avait-il pu se déverser sur ce village si paisible, et pauvre ? Quel était le but de ces barbares dont elle ne cherchait pas à savoir le nombre ? L’appel du sang, la recherche de l’adrénaline du combat ? Ou bien les maigres biens que possédaient ces gens ? Cela lui était incompréhensible et d’un autre côté…Kryss avait déjà perdu toute foi en l’âme humain. Les hommes étaient tous des bêtes, insatiables et assoiffées. Elle déglutit avec difficultés, les lèvres déchiquetées par sa rencontre violente avec la porte. Ses dents étaient aiguisées semble-t-il, pour faire des entailles si profondes dans sa propre chair. Elle passa sa langue sur ses lèvres, goûta le gout métallique du sang envahir sa bouche pâteuse, déshydratée. Elle sentait le liquide chaud couler le long de son flan gauche également, et essaya d’y coller sa main pour limiter le saignement, tenant sa dague de sa main gauche dont l’avant-bras était dans un état déplorable, sans plus aucune force. Elle enjamba les corps sans vie, éventrés à ses pieds comme des porcs à l’abattoir. Elle marchait comme dans un état second, anesthésiée par la violence sans nom dont elle était témoin, une fois de plus, dans sa courte vie. Son espoir reposait sur sa jument Dana, si elle était encore dans les écuries un peu plus loin. Elle pensait l’apercevoir au loin à travers la fumée, les naseaux s’ouvrant frénétiquement, effrayée. ‘Shhh ma belle…tout va bien’ tenta-elle de l’apaiser à distance, son regard rivé sur elle. Elle pressa le pas, grimaçant de la douleur lui transperçant les côtes et l’avant-bras.
Bientôt, un choc brutal lui arracha la respiration de ses poumons et elle chuta lourdement au sol en poussant un râle. Ses pieds cherchèrent à frapper le bougre, lui enfonça ses orteils dans les yeux, le nez en un hurlement sauvage.
- Lâche-moi ! Cracha-t-elle entre ses dents, le visage recouvert de boue et de sang. Sa dague s’était échappée de sa main si faible, hors de portée. Une vague de panique s’empara d’elle tandis qu’elle se débattait, tentant de se défaire de la prise de l’homme qui désormais l’enjambait de tout son poids, un rictus de sauvagerie indéfinissable dessinée sur son visage de barbare. Ses doigts d’une force incroyable encerclèrent son cou, et il cogna sa tête contre le sol une fois. Deux fois. Sa vision se brouilla. ‘Qu’est ce que vous avez avec mon cou bordel’…étranglée deux fois en…trois jours ? Quatre, peut être. Elle serra les dents, chercha l’air vainement. Déjà des tâches de noir envahirent sa vision et elle poussa un gémissement, ses mains griffant celles autour de son cou, avant d’essayer de s’attaquer aux avant-bras, et ensuite plonger ses articulations dans les yeux de son ennemi, lui arrachant un cri de douleurs. Son bras gauche ne lui était plus d’aucune utilité, il lui était impossible de se libérer des griffes du sauvage. Une fois de plus il la fit légèrement décoller du sol pour lui frapper le crâne dans le sol. Une fois. Deux fois. Un caillou s’enfonça dans son cuir chevelu, un liquide chaud se mit à couler le long de sa nuque. Des larmes roulèrent le long de ses joues…tombèrent sur le sol. Ses mains relâchèrent la prise, s’effondrèrent sur le sol à ses côtés. Il était plus facile, au final, d’abandonner…le noir recouvrait désormais l’entièreté de sa vision et la douleur se dissipait en un voile doux, lointain…Elle ferma les yeux. La souffrance enfin prit fin. Partait-elle en paix ? Cela n’avait plus aucune importance…
Un bruit. Strident. Vibrant dans ses tempes. Cela fut ses premières sensations. Et l’air, brulant sa trachée, ses poumons. La douleur était inimaginable. Elle préférait mourir, finalement. Ses yeux demeurèrent fermés un instant. La voix d’Eopren la tira de l’entre-monde, l’incitant à revenir à celui des mortels, des vivants. Mais vivre était souffrir, voulut-elle répondre. Elle n’y arriva pas, une quinte de toux violente la secoua et elle se retourna pour cracher une gerbe de sang au sol en gémissant de douleurs. Le poids du sauvage sur tout son corps, puant la mort et la sueur. Elle eut toutes les difficultés du monde à le faire rouler sur le côté, enfin permettre à l’air vital d’entrer librement ses poumons. Ses lèvres se retroussèrent sur ses dents, la respiration sifflante. Elle était à moitié aveuglée, étourdie, tandis que le chevalier du Rohan l’agrippa et la remit sur ses pieds. Elle tituba, du liquide coulant le long de son visage, de son corps. Etaient-ce des larmes ? Ou bien le sang du sauvage égorgé ? Probablement les deux…Elle chancela et s’écroula un instant sur Eopren, le temps de retrouver ses repères. Elle voulut parler. Sa gorge l’en empêcha. Elle déglutit avec difficultés, un râle sifflant s’échappa de ses lèvres ensanglantées.
Les mots de son compagnon résonnèrent dans son crâne sans qu’elle en comprenne le sens. Elle ne put comprendre que la proposition de fuite, seule voie de sortie pour eux. Elle hocha de la tête, dodelinant, tenta d’essuyer son visage d’un revers de bras. Elle récupéra fébrilement sa dague sur le sol et faillit en perdre l’équilibre en se penchant. Ses jambes tremblèrent sous son poids mais elle se releva, ses sens revenant peu à peu à elle. Ses mains, par réflexes, s’agrippèrent à Eopren, et ils s’élancèrent, éperdus, esquivant les corps et les survivants – pour l’instant du moins – cherchant à se frayer un chemin jusqu’au bâtiment abritant leurs montures. Un sauvage recouvert de peaux de bêtes se mit cependant sur leur route et se précipita sur le chevalier. L’assassine s’effondra dans la boue à genoux, ayant perdu son support. Elle écarta les lèvres, cherchant à respirer, à se redresser. La douleur était atroce et lui arracha une plainte rauque. Elle se releva en tremblant et chercha un instant un moyen de s’insérer dans le combat. Ne le trouva pas. Son regard bifurqua par réflexe vers sa monture, à quelques mètres de là…
Un pas. Deux. Dans la direction de l’écurie.
- Allez p’tite Pousse! Aide-moi! Mais il était à terre, une lance profondément fichée dans sa cuisse, et la jeune femme était trop mal au point pour le soulever. Chaque seconde perdue amenuisait ses chances de survie. Elle le regarda, la main tendue vers elle et son regard s’assombrit. Elle se détourna de lui, lui tournant le dos.
D’un pas qu’elle voulait le plus rapide possible, elle se dirigea vers les étables. Elle n’avait pas le temps de sceller les montures. Il lui fallait également abandonner cela, et monter à cru. De gestes sûrs, sa vision claire désormais, elle détacha les deux juments qu’elle calma de son mieux de son talent bien enfoui de Rohirrim. Elle claqua sa langue contre ses dents, et chuchota aussi de paroles réconfortantes de sa voix brisée et quasiment inaudible de par son étranglement. Elle réussit à les convaincre de la suivre, d’affronter les combats au dehors. Ils seraient bientôt partis. Elle chancela à nouveau, ses pieds glissant dans la boue devenant de plus en plus liquide par la pluie et le sang versé. Au moins l’eau arrivera peut-être à éteindre les nombreux incendies…La jeune femme tira sur les brides, devant utiliser toute sa concentration et sa patience pour les inciter à avancer, à lui faire confiance. Ce n’était pas mince affaire dans un environnement pareil…bon nombre de montures avaient fui, s’était échappé de leurs enclos, ajoutant à la panique générale. Mais Dana était d’une loyauté exceptionnelle envers sa maitresse, et Kryss avait vu juste pour la jeune jument grise pommelée. Elle les attira donc derrière elle…jusqu’à arriver aux pieds d’Eopren.
D’un mouvement brusque, sans aucun ménagement, elle lui tendit le bras et tira de toutes ses forces, lui arrachant un cri de douleurs, les larmes aux yeux. Elle ne pouvait entièrement le soulever, cependant. Elle espérait donc que le chevalier arrive à monter à cru sur sa monture. L’attirant contre elle brutalement, elle le laissa brièvement se reposer contre elle pour reprendre pieds. Elle passa son bras cassé dans le dos du cavalier, tandis que sa main droite descendit le long de son corps, à la recherche de…voilà. A l’aveugle, elle raffermit sa prise, et arracha d’un geste sec la lance avant de la jeter dans la boue. Elle le poussa ensuite contre le flan de l’animal, à bout de souffle, avant de tituber, glisser vers la sienne qu’elle enfourna avec le peu de forces qu’il lui restait. Ses mains recouvertes de sang et de boue accrochèrent le crin de sa jument et elle s’affala contre son amie de toujours, lui faisant entièrement confiance pour la suite. Elle comprit l’ordre et se mit à galoper le plus rapidement possible pour s’enfuir. Kryss s’agrippa comme elle put et serra les dents pour supporter la douleur provoquée par cette courses folle. Elle était en pyjama, pieds nues, et n’avait plus que sa dague et sa jument. Et sa vie. C’était largement suffisant.
Son cœur battait à tout rompre. Elle ne se retourna pas, mais sentait la présence de la deuxième jument près d’elle. De longues minutes passèrent ainsi, la terreur incitant leurs montures à encore plus de vitesse à travers les bois. Peu à peu, les bruits du combat s’éloignèrent mais ils continuèrent à ce rythme soutenu jusqu’à ce que l’endurance de Dana soit à bout et qu’elle ne ralentisse d’elle-même. La jeune femme n’avait aucune idée de la direction qu’elle avait pris. Elle ne pouvait qu’être reconnaissante d’être désormais loin du danger…relativement. Sa respiration était rapide, douloureuse, et la plaie à son flan s’était aggravée par la chevauchée sauvage. Kryss déglutit avec difficultés, et dit simplement en un souffle, sa voix un simple filet de son décharné :
- Elle s’appelle Cendre.
Un regard vers la brave jument qui l’avait suivi dans le chaos et surmonté bien plus d’épreuves que bon nombre de bêtes dans toute leurs vies. Elle ne sentait plus ses doigts et perdait peu à peu les sensations dans le reste de son corps. Seul son front semblait pulser de fièvre et ses yeux se firent lourds…très lourds. L’ancienne apprentie des Ombres ferma les yeux…et glissa de sa monture pour tomber lourdement à terre.
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Une douleur atroce, la prise ferme de Kryss, une cavalcade effrénée, quelques jurons prononcés.
Voilà, peu ou prou, tout ce dont se souvenait Eopren de leur fuite du village incendié. Tout s’était déroulé si rapidement: l’embuscade, la lance se fichant dans sa jambe. La colère qu’il avait ressentie quand il avait vu Kryss s’éloigner, lui tournant le dos. Puis du soulagement quand elle était finalement revenue avec les deux montures. Elle ne l’avait pas ménagée, lui retirant d’un coup sec l’arme fichée dans sa cuisse et le poussant violemment contre l’encolure de sa jument. Plus par réflexe que par véritable mouvement rationnel, il s’était laborieusement hissé sur la selle avant de quitter les lieux du crime au triple galop.
Derrière eux, les cris de désespoir des villageois que l’on passait au fil de l’épée les poursuivirent pendant longtemps.
Après une interminable cavalcade, alors que les fermes brûlaient encore au loin, Kryss chuta.
La jeune femme se réveilla, en position allongée sur le dos, la tête posée sur un bissac en cuir. À l’est les premiers rayons de soleil commençaient lentement à révéler les verts pâturages du Riddermark.
Les deux chevaux broutaient paisiblement à quelques mètres de loin, agitant leurs queues d’un air satisfait. Eopren se trouvait également non loin, adossé contre une pierre. Celui-ci les avait menés vers une sorte d’amas rocheux qui pouvait faire office de cachette de fortune. Ainsi, ils ne seraient pas instantanément repérés par des voyageurs parcourant les plaines de l’Ouestfolde. “Ah, le réveil de la guerrière!” Fit Eopren d’un ton qui se voulait jovial mais qui sonnait bien désabusé. “J’savais pas qu’t’étais aussi doué pour crever des sauvages; malheureusement on va en garder des traces.”
Son regard se porta sur sa jambe blessée. Il y avait serré un bandage de fortune, déjà taché de sang. En passant sa main sur son abdomen, Kryss put remarquer qu’il en avait fait de même avec la blessure qu’elle avait subie au flanc. “J’avais pas de quoi t’recoudre, tu m’excuseras. Après la coupure était large mais pas si profonde. Et pis j’ai fini tout mon eau-de-vie pour la nettoyer…”
Il agita son outre vide au-dessus du sol, un air dépité sur le visage. “Avec un peu de chance on mourra pas forcément d’ces blessure vu que quelque chose nous tuera sûrement avant.”
Le guerrier chercha à se redresser et se lever mais, incapable de s’appuyer sur sa jambe meurtrie il abandonna.
“J’peux à peine marcher. Plus rien à boire, pas d’bouffe. Et surtout, pas la foutre idée d’où on est.”
Eopren se passa une main dans ses cheveux, quand il la retira, ses doigts étaient couverts de cendres. L’odeur du bois calciné était restée sur leurs vêtements.
“On peut tenter de galoper à toute allure vers le Nord, gagner les Gués de l’Isen et se diriger vers Isengard. Je pense que c’est notre meilleure chance. Mais si les Dunlendings se sont vraiment enfoncés si loin dans les terres…eh bien on pourrait bien les recroiser. Et puis j’ai aucune idée de la distance à couvrir, on s’ra sûrement mort de soif ou d’épuisement avant ça.”
Son regard se porta à l’est, le soleil avait désormais bien entamé son ascension, illuminant les terres dans ce qui s’annonçait être une belle journée de printemps. “On peut aussi tenter de rebrousser chemin, chercher refuge à Fort-le-Cor. Mais c’est loin.”
Le vétéran se laissa finalement retomber, posant lourdement sa tête contre le rocher qui le soutenait. Un sourire triste sur le visage. “Ou alors on reste ici, pour mourir en paix…”
Et, au vu de son état, cette dernière option n’était pas celle qui lui déplaisait le plus. Après tout, il n'avait jamais été un grand survivant.
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La douleur…intense, qui parcourait son corps entier. Seule preuve qu’elle était encore en vie, l’apprentie des Ombres… Elle déglutit avec difficultés et rouvrit les yeux, les plissa un moment pour s’ajuster à la luminosité du jour naissant. Son front était brulant et elle tremblait violemment. De froid ? De faiblesse ? Les deux…sûrement les deux. Elle tenta tant bien que mal de se relever sur ses coudes, chancelante, et distingua une forme floue non loin d’elle. Sa voix…elle la reconnut sans peine néanmoins…les épreuves ne semblaient pas l’avoir rendu moins bavard, au contraire. Elle respirait avec difficultés et un râle s’échappa de ses lèvres éclatées. Elle tenta de répondre, ouvrit sa bouche, mais aucun son n’en sortit. Un filet de souffle, tout au plus, sifflant. Kryss n’était déjà de base pas très friande de mots, mais la dernière tentative de meurtre du sauvageon lui avait achevée sa gorge. Elle déglutit à nouveau, passa sa langue sur ses lèvres desséchées et ensanglantées. Eopren devra faire la conversation seul, non que cela semblait le gêner car il continuait, presque gaiement, tandis que le crâne de la jeune femme vibrait sombrement et qu’elle peinait à voir les contours de sa silhouette, adossé à un rocher.
A force d’inspiration et d’expiration profonde, elle arriva difficilement à s’asseoir, tremblante, sa main gauche allant par réflexe à son flan, en toucha le bandage sommaire. Soupir. Son avant-bras était violacé et gonflé. Elle le reposa sur ses genoux. Ne voulut imaginer la couleurs des autres hématomes sur le reste de son corps. Elles étaient solides, les portes des petites fermes. Ils étaient biens violents, ces hommes sortis de nulle part. Passa sa main droite dans ses cheveux, essayant de les décoller de la sueur de son front, et du sang séché ayant coulé le long de sa nuque. Elle n’avait jamais été dans un état aussi critique auparavant. Sans le cavalier, pour sûr, elle en serait morte. Morte dans cette boue immonde, sous les hanches d’un barbare, comme une fille de rien. Personne ne l’aurait pleuré, personne ne se serait souvenue d’elle, ni de son vaillant effort de sauver la vie de deux jeunes enfants, probablement morts désormais, de toute façon…
Quelle équipe, Eopren et Kryss…tel un aveugle et un sourd-muet…et encore, eux auraient eu la chance d’avoir leurs membres en bon état. Elle grelota, claqua ses dents les unes contre les autres. Crever des sauvages ? Elle se remémora les premiers mots à son réveil et fronça les sourcils. Avait-elle tué, la nuit dernière ? Elle ne s’en rappelait pas…des souvenirs flous, de noir et de rouge et d’oranges…et l’odeur du cramé dans ses narines. Peut-être bien. Cela se pourrait, elle n’aurait su le dire. Du regard elle chercha par réflexe sa dague ornée d’une pierre de lune. La trouva auprès d’elle et elle poussa un soupir de soulagement. Le premier depuis la nuit dernière. Les mots du vieillard l’atteignirent avec peine, elle eut du mal à en comprendre le sens. Les grandes lignes, seulement, mais cela suffirait. Qu’il parle, si cela l’aidait à se remettre de ce désastre. Kryss souleva les épaules à la mention de directions à prendre. Mais une chose était sûre, elle refusait de crever ici. Elle bouscula un instant sa tête en arrière, tenta de puiser une maigre chaleur de cet astre si jeune dans le ciel, n’en trouva point, mais au moins la nuit était finie. Elle avait survécu. Une fois de plus.
Elle réunit ses forces et grimaça en se relevant, s’accrocha du peu de ses forces à ce qu’elle put trouver, des rochers, des cailloux, un tronc mort. Qu’importe. Sa vision s’éclairait doucement et la douce brise la soulagea quelque peu, éclaircit son esprit. Ses pieds nus se heurtèrent sur le sol rocailleux, elle chancela, se ressaisit avec sa main droite, son bras gauche ballant à ses côtés. Par petits pas incertains, lentement, elle se dirigea vers l’homme assis. L’observa un instant. Tendit la main vers la gourde. Elle était vide, oui oui elle avait entendu. Secoua sa main avec insistance jusqu’à ce qu’il lui donne, puis elle s’éloigna prudemment, ses pieds gelés sur les cailloux, son pantalon de toile et son haut de pyjama bons à foutre au feu.
Une chose à la fois.
Elle marcha un instant, ses pas s’affermirent à mesure de son effort même si sa respiration demeurait difficile. Elle chercha des crevasses dans les roches, afin de récupérer un peu d’eau de pluie. En trouva, vacilla dans cette direction et fit de son mieux pour remplir la gourde. Le trou n’était pas assez profond mais cela suffirait, pour l’instant. Elle but à même ses mains, en récupéra chaque goutte pour passer l’eau sur son visage, ses épaules, sa nuque…et cela était tout, pour le moment. Déjà ça de pris.
Une chose à la fois.
Sur le chemin du retour elle trouva quelques branchages morts. Elle sélectionna celles qui lui semblaient les plus droites, les plus solides. Il n’y avait pas beaucoup de choix mais ils trouveraient mieux plus tard… Elle les cala comme elle put sous son bras gauche, et revint sur ses pas…
Sans dire un mot, en étant incapable de toute façon, elle redonna l’outre à Eopren, sa main droite remontant vers sa bouche pour lui signer de boire, puis déposa ses trouvailles au sol. Elle s’écroula plus qu’elle ne s’assit, l’effort effectué prenant son prix sur son corps affaibli. Elle choisit cependant les plus grandes branches de sa main droite, et les positionna vers la jambe du cavalier, avant d’en sélectionner de plus petite pour son avant-bras. Comprenait-il ce qu’elle essayait de faire ? Elle respirait difficilement et son regard avait ce voile de la fièvre contre laquelle elle luttait malgré tout. Elle ne crèverait pas ici. Hors de question. Ses dents claquèrent de froid à nouveau et des frissons la parcoururent. Par gestes lents, elle plaqua les branches contre son avant-bras et regarda Eopren, faisant un signe circulaire de sa main droite. Avait-il de quoi les nouer ? Il fallait partir d’ici…Qu’importe la direction…ces rochers n’abriteraient probablement aucune source de nourriture, et s’ils tardaient, Kryss mourrait certainement d’hypothermie avant de soif ou de faim. Enfin bon…la mort était peut être plus douce et rapide, dans ce cas…
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Eopren suivit Kryss du regard, l’observant s’éloigner lentement sous la lueur faible des premières heures du jour. Adossé sur une large pierre, il chercha à se positionner de façon plus confortable, ce qui ne fit qu’aggraver la douleur dans sa jambe. Désabusé, il se contenta de serrer les dents, les yeux clos, jusqu’au retour de sa camarade qui n’était pas revenue les mains vide.
La jeune femme était parvenue à trouver de l’eau et lui tendit une gourde à moitié remplie, l’invitant à se désaltérer. Il la remercia d’un geste de la tête et plongea le goulot dans son gosier. Le liquide avait un goût terreux et désagréable, sûrement de l’eau de pluie récoltée dans des crevasses. Cela était cependant suffisant pour atténuer les effluves de cendres qui le prenait à la gorge depuis le début des incendies. Kryss s’était également bricolé une sorte d’attelle à l’aide de deux bouts de bois afin de stabiliser son bras meurtri.
“Tu lâches rien P’tite Pousse, ça j’te l’accorde.”
Face à la perspective d’une mort probable, la jeune femme faisait preuve d’une détermination bluffante, allant puiser dans ses dernières ressources pour trouver de quoi boire et se soigner. Continuer à lutter même quand le combat semblait fini. Une qualité qui lui rappelait vaguement une vieille connaissance. Un sourire triste apparut sur le visage du vétéran. Une telle hardiesse qui n’était parfois qu’un moyen de se voiler les faces. “Et ensuite, c’est quoi l’programme? Si tu comptes sur moi pour t’le donner, tu t’fourres le doigt dans l’œil…”
Au loin, des clameurs se firent entendre, non loin du hameau de fermiers dorénavant complètement consumé. Une épaisse fumée noire s’en échappait sous la forme de grandes volutes qui s’élevaient doucement vers le ciel encore sombre.
“Tu veux tenter ta chance et galoper à travers champs? Combien de temps tu penses tenir avant de finir avec une flèche dans la tête? Ou simplement cramée?”
Il baissa lentement les yeux. “Parfois…l’histoire n’a pas de fin heureuse. Les soldats, les guerriers, les glorieux assassins s’imaginent tous qu’il y a forcément une solution. Après tout, ils sont héros de leur propre histoire, et celle-ci ne saurait s’arrêter avant qu’ils n’accomplissent leur destin…”
Eopren fut alors secoué d’une violente quinte de toux. Le guerrier se pencha sur le côté pour cracher les glaires qui étaient remontées jusqu’à ses lèvres.
Il reprit un ton plus haut, presque en colère. “Mais peut-être! PEUT-ÊTRE …il est plus sage d’accepter que nous ne sommes que des personnages secondaires. Destinés à être sacrifié à la première péripétie…”
L’homme reporta son regard sur Kryss, une tristesse immense et ancienne dans ses yeux noirs. “Inutile d’être un génie pour comprendre que nous ne sommes pas les héros de cette histoire, Kryss.”
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Il n’avait pas l’air de comprendre ses signes circulaires, ou alors était-il tout bonnement pas disposé à l’aider. La jeune femme poussa un soupir et s’arracha un pan de tissu du bas de son haut de pyjama. Elle mourrait déjà de froid après tout, cela ne changerait pas grand-chose…et s’évertua à attacher les morceaux de bois autour de son avant-bras gauche, se penchant en avant pour s’emparer du tissu de ses dents pour resserrer au mieux. Si elle devait tout faire soit même, soit.
Le regard qu’elle posa sur cet homme était dur, froid. Un homme vaincu et déjà mort. Elle lui répondit en un grognement sourd, incapable de prononcer le moindre mot à cause de sa gorge meurtrie. Retrouverait-elle un jour sa voix ? Qui sait…peut-être auront-ils même pas le temps de s’en soucier ou de s’en inquiéter. Bah…qu’aurait-elle bien dit, de toute façon ?
Elle observa un instant le résultat de son travail, la tête dodelinant légèrement à cause de la fièvre et des frissons qui la parcouraient. Elle cligna des yeux à quelques reprises. Ne pas se rendormir. Ne pas se rendormir. Si elle comptait sur lui ? Haha. Si elle avait encore une gorge elle en aurait ri. Non. Cet homme était terminé et ne pouvait lui servir à rien en l’état. La seule question qu’elle se posait était la suivante : devait-elle tenter à nouveau de sauver cette vieille carcasse, et pour combien de temps ? Car elle était de moins en moins sûre que cet investissement allait lui revenir positivement dans le futur, si elle en avait un.
Son programme ? Survivre. Cela avait été le cas pendant pas mal d’années désormais, depuis son départ du Riddermark il y a de cela…cinq, six ans, peut-être ? Difficile à dire… Il n’y avait pas de meilleur plan qu’un plan simple pouvant se résumer en un seul mot. Plus qu’une prière ou un souhait, mais une intonation intransigeante qui faisait battre son cœur dont les pulsions se propageaient dans le reste de son corps. Un mental, inébranlable, surpassant les limites du physique. Cette même croyance sourde, qui l’avait poussée à se jeter du haut des toits de Minas Tirith quand son mentor lui avait ordonné « saute, vole ». Sans aucune hésitation. Quitte à se briser les jambes et à en crever sur le coup.
Quelles étaient les probabilités pour que ces sauvageons aient quitté le hameau de fermiers, et dans quelle direction ? Kryss prêta oreille…mais ne sut obtenir cette information. Elle maintint le regard d’Eopren, ses yeux argent froid comme l’acier de sa dague. Elle serra les dents. Elle, une fin heureuse ? Il la connaissait bien mal. Elle avait parfaitement conscience que cela n’était pas une option pour elle, et n’aurait pas pu définir ce que cela aurait représenté pour elle. Une vie de famille accomplie, un époux qui la retrouvait au foyer, un métier que l’on pouvait juger d’honorable ? Eh. Cela allait bien pour des contes pour enfants…Kryss était bien trop brisée pour une telle aspiration… Non, elle ne souhaitait pas spécialement une fin heureuse. Mais une fin qu’elle aurait choisie, sur ses propres termes. Elle n’avait pas de destin à accomplir. Mais si elle devait mourir, alors ce serait sur le dos de Dana, ou alors la dague en main.
Alors qu’Eopren continuait son monologue dépressif d’homme vaincu et déjà enterré, la colère en Kryss montait, montait, et bientôt ce n’était plus la fièvre qui la faisait trembler mais cette rage. Cette rage de vivre à l’état brut. Elle s’accroupit alors devant le cavalier qui faisait honte au Riddermark, leva la main… Et le gifla de toute ses forces. Le bruit résonna entre les rochers et enfin le silence s’installa entre les deux. Elle maintint son regard sur lui, imperturbable, et sa résolution clairement inscrite sur son visage. S’il avait déjà abandonné la bataille, alors qu’il crève ici. Elle ne perdrait pas des heures de plus à l’entendre gémir et se plaindre. Il la connaissait bien mal… Kryss n’était jamais vouée à être une héroïne. Elle était une survivante. Qu’importe le prix à payer.
Elle ressentait ce coup jusqu’à l’intérieur de son coude et l’observait silencieusement, prête à esquiver ou parer s’il rétorquait. Qu’il la déteste s’il le souhaitait. Qu’il la haïsse même, elle n’en avait cure. Mais qu’une lumière se ravive à nouveau dans ces yeux de camarade de guerre. Elle se releva avec lenteur, légèrement titubante et tremblante encore de son état. Mais elle était ferme, et ses sourcils se froncèrent du courage qu’elle réunissait en elle. Le battement de ce cœur dans sa poitrine, bien présent. Survis. Survis. Elle tendit son avant-bras droit brutalement vers le cavalier encore assis à ses pieds et probablement sonné de cette baffe monumentale. S’il s’attendait à ce qu’elle compatisse et se laisse crever là, il l’avait mal jaugé. Il la connaissait bien mal. Même si ce n’était que pour quelques mètres de plus, elle pourrait mourir en savant qu’elle aurait lutté jusqu’au bout. Peut-être alors la neige se décidera à la recouvrir entièrement…
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La gifle avait été sèche et violente. Un brutal rappel à l’ordre. Surpris, Eopren s’arrêta net dans sa litanie, ouvrant grand les yeux. Ses pupilles, d’un vert émeraude tranchait avec le teint sale et la barbe sombre du vétéran. Dernière trace d’une peinture colorée sur le flanc d’une vieille épave. Un long moment de silence s’installa entre les deux compagnons de route. Il la fixait intensément, dans un mélange de colère et d’incompréhension. Le Rohirrim ne s’était jamais montré violent à l’égard de la jeune femme depuis le début de leur périple; mais on devinait aisément qu’il était un homme instable et parfois brutal. Allait-il répliquer? Lever la main? Ou se contenter de l’insulter?
Le temps resta suspendu pendant quelques secondes. Les deux partenaires s’observant sans un mot. Puis une petite lueur apparut au fond du regard du plus âgé. Lentement, ses traits émaciés s’étirèrent pour former un sourire.
Eopren éclata de rire.
Un rire sincère et à la fois étrange. La claque qu’il avait reçue avait été si improbable, si inattendue qu’il ne voyait pas d’autre façon de réagir. “Ok…ok. J’imagine que je l’ai bien méritée celle-là…”
L’homme se massa vigoureusement sa joue rougie par l’impact. La vagabonde n’avait pas fait semblant et c’était toute la mâchoire inférieure du soldat qui le faisait souffrir.
Décidément, Kryss avait du cran; et, malgré ses tendances dépressives à peine voilées depuis leur rencontre, elle n’avait pas encore lâché prise. S’accrochant ainsi à la vie, refusant de mourir ici, dans le froid au milieu de nulle part, sans avoir lutter.
Il fut un temps, jadis, Eopren aurait agi de même.
Le vieux guerrier se redressa légèrement avec une grimace de douleur, mais toujours le même sourire en coin.
“Alors P’tite Pousse, dis-moi. C’est quoi le plan?”
Cette fois-ci, Kryss menait la danse.
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La tension entre ces deux êtres échoués ensemble par le destin, condamnés semble-t-il à une fin tragique, semblait suspendue. Le temps qui passa, pas plus que quelques secondes, semblaient pourtant interminables. Kryss s’était relevée et le toisait de toute sa hauteur, l’incitant à la colère, à la révolte, à raviver cette flamme de vie dans cet être décharné et lâche. Car ce soldat avait déjà une fois au moins abandonné la bataille. N’était-il pas là désormais, perdu au plein milieu des plaines du Riddermark, à la place de chevaucher avec les siens pour défendre les terres à l’Est? N’avait-il pas fui ? Etait-il en train également de baisser les bras actuellement? La jeune femme continuait donc de l’observer en silence, son coeur pulsant dans sa poitrine en ce rythme brutal, primitif, de survie la plus basique. Elle était prête à encaisser le coup, prête à se défendre s’il décidait de la frapper en échange…
Mais passé le choc, passé la stupéfaction, l’éclat qu’elle cherchait tant à raviver réapparut dans ce regard vert forêt. Elle haussa le menton et sa propre surprise put se lire un instant sur ses traits. Avait-il définitivement perdu la tête? Eh. C’était probablement mieux ainsi après tout, les fous vivaient généralement vieux… Une fois la menace passée, la jeune femme s’accroupit à nouveau à ses côtés et disposa en silence les branches de bois les plus solides qu’elle avait réuni autour de sa jambe, arracha un nouveau pan de tissu de son haut et l’arnacha de manière la plus solide qu’elle put, serrant les dents sous l’effort. La tête lui tournait encore et la sueur collait à ses tempes. Combien de temps lui restait-il? Son corps arriverait-il à surmonter cette épreuve? Seul le temps le leur dira…Si le temps elle en avait. Il se laissa faire et son rire encore résonnait entre les rochers qui les couvrait des regards ennemis.
Une fois l’attelle très sommaire mis en place, elle s'empara de la cape du cavalier sans un mot. Cela était probablement une offense, un blasphème…mais si il souhaitait son aide pour survivre, alors il serait probablement préférable qu’elle ne meurt pas elle même de froid. Elle s’en revêtit donc, affronta un instant le jugement dans le regard d’Eopren. Elle le jaugeait du regard un instant, sur la défensive. Si elle avait voulu se rhabiller et avoir de meilleures chances de survie, elle aurait pu simplement l’achever au lieu de le gifler. Elle serait alors actuellement revêtue d’une tenue complète et aurait en sa possession deux montures. S’en rendait-il compte? Kryss pensait avoir perdu de sa rationalité également ces derniers jours. Après tout, elle n’aurait probablement pas subi d’aussi lourdes blessures si elle n’était pas restée en arrière pour tenter de secourir les enfants, n’est ce pas? Apprends ta leçon Kryss…et pourtant la jeune femme se releva et tendit à nouveau son nouveau bras à cet homme blessé. Peut-être que ce peu d’humanité était tout ce qu’il lui restait désormais…
Ils se dirigèrent vers les montures un peu plus loin, Kryss le soutenant de son mieux bien qu’elle titubait également sous l’effort. Elle savait qu’il l’interrogeait sur la suite, mais lorsqu’elle ouvrit la bouche, seul un râle léger, pas beaucoup plus qu’un souffle brisé s’en échappa et lui tira une grimace de douleur. De sa main libre, elle massa sa gorge et déglutit avec difficultés. Elle tenta de s’exprimer à coups de gestes mais c’était si…difficile avec un bras occupé à soutenir l’homme et son équilibre précaire. Si elle avait une certitude, c’était que les hommes sauvages avaient fini de piller le village, et ne risquaient pas de revenir sur leurs pas. Qui sait si elle retrouverait son sac bandouillère qu’elle avait jeté par la fenêtre…elle ignorait après tout si ces hommes étaient si méticuleux dans leur recherche de biens…En tout cas peu de chance de retrouver leurs scelles. Puis à défaut de se ravitailler dans un village massacré et pillé…au moins comptait-elle observer les marques alentour pour déterminer la direction qu’ils avaient prise…alors ils pourraient aviser de la suite de leur parcours…
Elle l’abandonna au flanc de Cendre avant d’émettre un faible claquement de langue pour appeler Dana à la rejoindre. Avec une plainte sourde elle se hissa sur son dos et réunit autour d’elle la lourde cape épaisse du vétéran. Elle claqua ses talons nus contre sa jument qui partit en un rythme doux, à la marche, pour épargner sa maîtresse. Brave bête. Elle passa sa main silencieusement dans le crin, se rassura de ce toucher familier. Car son plan était bien de revenir au village…mais elle n’était pas certaine d’être prête à affronter la scène qui les attendrait. De la destruction, un massacre à l’état brut… les villageois survivants seront-ils hostiles vis à vis d’eux? Il faudrait les approcher avec précaution… Kryss baissa la tête et un instant sa résolution faiblit. Sa vie semblait être faite de morts et de destins funestes… mais cela était différent, maintenant. Ces villageois ne méritaient pas cela, ils vivaient une vie de labeur honnête et étaient solidaires les uns des autres. Du moins c’était ce qu’avait affirmé leur hôte. De voir ainsi s’abattre sur eux tel ravage… Kryss se demandait s’il existait encore en ce monde une once de bienveillance. Etait-il seulement possible de connaître une vie simple et heureuse?
Son regard observa la fumée s’élever non loin et sa gorge se noua. Elle prit de profondes inspirations pour se préparer… mais elle n’avait pas d’autre idée valable. N’était il pas judicieux de reculer d’un pas pour en avancer de deux? C’est ce qu’elle avait toujours appris… Peut-être que de nouveaux démons s’ajouteraient à elle… mais elle en connaitrait les visages. Du coin de l’oeil elle observa le cavalier du Rohan qui avançait à quelques pas d’elle en retrait. A elle de guider…alors elle raffermit sa volonté et tenta de son mieux de reconstruire les murailles qui encerclaient son esprit tandis que les contours du village détruit se dessinaient devant eux…
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Eopren, affalé sur le dos de Cendre, suivait lentement Kryss. Sa jambe le tançait encore brutalement et sa tête semblait sur le point d’exploser. La douleur lancinante lui donnait le vertige et pus d’une fois, il manqua de peu de tomber de selle, se rattrapant in extremis à l’encolure de sa monture. Devant lui, la jeune femme semblait avoir les idées un peu plus claires quant à la marche à suivre. Il se surprit à sourire en l’observant. Sans elle, il se serait sans aucun doute laissé mourir dans cette clairière. Peut-être que leurs chemins ne s’étaient pas croisés de manière si aléatoires…Peut-être que la destinée les avait placés l’un face à l’autre au moment où ils en avaient le plus besoin ; deux âmes que tout opposait mais que tant rapprochait. Sa regrettée mère lui avait si souvent répété ses théories sur l’univers et ses plans que nul ne pouvait prédire. Il avait toujours refusé de la croire, se réfugiant dans son cynisme et son nihilisme. Mais la proximité de la mort pouvait ramollir les convictions des hommes les plus butés. Et si… Et si sa vieille n’avait pas eu raison pendant tout ce temps.
Le vétéran finit par se rendre compte qu’ils prenaient la direction du village incendié qu’ils avaient fui la veille. Osé mais pas foncièrement idiot. Le calme semblait revenu après le massacre de la veille. En revenant ainsi sur leurs pas, ils pourraient potentiellement retrouver leur chemin et se réapprovisionner avec ce que les sauvages avaient laissés derrière eux.
À mesure qu’ils approchaient, le cauchemar de la nuit passée revint les frapper à pleine figure. L’odeur d’abord lui provoqua un haut-le-coeur. Le bois calciné, les champs carbonisés, la chair consumée. Le feu s’étaient éteint mais une épaisse fumée noire s’échappait encore en de larges volutes sombres de certaines maisonnées. Un goût de cendres amer leur emplit la gorge et leurs yeux se mirent à piquer. Là n’était que le début du spectacle massacre.
Au sein du village, pas âme qui vive.
Tout ce qui restait, hormis les ruines, avait été égorgés, éventré, étripé. Les corps humains et animaux gisaient çà et là, flottant dans la boue et le sang fraîchement séché. Ils progressèrent ainsi quelques minutes dans les ruelles de ce qui fut un village plein de vie; sans un mot. Eopren était passé par de nombreux champs de bataille, avait vu des centaines de corps sans vie. Jamais encore, cependant, n’avait-il été témoin d’un tel massacre.
Avec un grognement, il mit pied à terre ; et tâchant de ne pas jeter un regard en direction du cadavre de la paysanne qui reposait à ses pieds, il pénétra à l’intérieur d’une ferme que les flammes avaient épargné. Eopren en ressortit quelques minutes plus tard, une miche de pain sous le bras ; une outre de vin dans l’autre. L’homme haussa les épaules face au regard de la jeune femme. “T’façon ça n’va pas leur servir à grand-chose. Autant le bouffer.”
Il croqua allègrement dans le pain de campagne avant d’en proposer un morceau à Kryss.
“T’en veux ?”
Conscient de leur situation précaire, les deux voyageurs se mirent ensuite en quête d’autres victuailles pour la suite de leur voyage. Ils cherchèrent à regagner la bâtisse dans laquelle ils avaient cru pouvoir passer une nuit confortable ; leurs effets personnels s’y trouvaient encore peut-être. Ayant laissé leurs chevaux un peu plus loin, ils progressaient lentement ; Eopren s’appuyait sur un grand bâton qu’il avait trouvé au sol pour avancer péniblement. “Y’a un truc qui me chiffonne.”
Ils avaient enfin repéré la ferme en question et s’y dirigeaient en contournant un autre amas de cadavres qui se trouvait sur leur route. Eopren semblait perplexe.
“Tous ces corps…y’en a pas assez…Ils ont pas tué tout le monde, pourtant pas la moindre trace de survivants…Où sont-ils tous passés ?”
Le bruit du bois craquant sous le pied se fit entendre. Le rohirrim se tourna en direction de Kryss. “C’était toi ça ?”
Les deux vagabonds s’immobilisèrent, tous leur sens en alerte.
Un autre craquement. “Merde…On n’est pas seuls! Cours ! Vite !”
Le sifflement d’une lance fendit l’air. La pointe de l’arme vint frôler l’oreille de la jeune femme. Des hurlements de loups tout autour d’eux. Bientôt la meute entière fondait sur eux. Invisibles jusque-là, elles avait surgi des décombres d’un coup.
Les Dunlendings leur avaient tendu un piège et leurs options étaient désormais plus que limitées.
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Elle en avait vu des cadavres et des meurtres de sang-froid. Trop, pour son jeune âge…mais rien n’aurait pu la préparer au paysage de désolation qui s’étalait devant elle. Sa gorge se noua à cette vue et ses doigts s’enfoncèrent dans le crin réconfortant de sa monture. Ne rien lâcher. Elle resta donc droite sur sa jument et affronta ces visions d’horreur qui certainement resteront gravés à jamais dans sa mémoire. Elle avait pour de bon oublié toute notion de bienveillance en l’âme humaine depuis de nombreuses années déjà mais à la vue de ces sacrifices cruels elle ne pouvait rester indifférente. Comme elle aurait aimé ne plus avoir de cœur car même si elle le cachait profondément ancrer en elle, la jeune femme en avait bien un et il souffrait. Comme une plainte lancinante elle pouvait entendre dans son esprit les sanglots étouffés et les cris déchirant des morts qui avaient résonné parmi les fermes en terre battue il y a quelques heures à peine. Les visages déformés par la douleur et la terreur la plus extrême, gravé sur les visages…quand ils étaient reconnaissables. Elle ne détourna pas le regard. Elle contempla cette horreur avec une distance toute particulière, comme si telle violence ne pouvait avoir lieu en ces terres et qu’elle était en réalité bien loin d’un tel carnage. Son esprit embrouillé ne pouvait enregistrer, comprendre le tel étalage de barbarie. Ils avançaient au pas dans un silence seulement troublé par le vent qui s’engouffrait entre les bâtisses et on aurait cru, par moment, que déjà les esprits habitaient ces lieux.
Tandis qu’Eopren s’éloigna dans une ferme quelque peu épargnée par les feux, la jeune femme aperçut non loin de là sa besace qui était presque méconnaissable tant elle était recouverte de boue et de sang. Elle avait dû être trainée sur plusieurs mètres et la sangle était coincée dans le poing fermé d’un homme en fuite, l’arrière du crâne éclaté et sa cervelle étalée au sol. Mais c’était bien elle, quel miracle envoyé du ciel, si on pouvait appeler cette trouvaille ainsi, au milieu d’un cimetière à ciel ouvert. Sans même prendre des mesures elle s’accroupit et récupéra sa tenue de cuir sombre si familière. Elle se changea donc, bien que la tâche fût plus ardue de par son bras brisé et le bandage sommaire sur son flan. Elle enfila ses bottes après avoir essuyé comme elle put ses pieds nus sur son pyjama en morceaux. Qu’importe si le cavalier l’avait vu, et elle ne pensait choquer les morts. Ils avaient bien mieux à faire, dans l’au-delà, pensa-t-elle. L’étable cependant qui avait recueilli leurs montures était effondrée. Adieu sa superbe selle et ses équipements équestres. Mais elle se jugeait déjà bien chanceuse d’être en vie en vu du spectacle de désolation qui les entourait.
Elle avait rejoint désormais Eopren, lui rendit sa cape épaisse et pris sans un mot le quignon de pain qu’il lui proposait avant de le mâchonner de son mieux. Elle eut du mal à déglutir mais elle ne pouvait se permettre de rester l’estomac vide. Elle regarda leurs montures s’éloigner quelque peu d’eux, probablement en quête d’eau potable pour étancher leur soif. Aux questions du cavalier elle répondit par un haussement d’épaules. Qu’en savait-elle ? Peut-être que certains avaient été brûlés, peut-être encore que d’autres avaient été pris en esclavage… Elle semblait vivre et réagir comme à travers un voile et seul la douleur lancinante qui la parcourait lui rappelait que trop bien la réalité dans laquelle elle se trouvait. Elle le suivit en silence tout en finissant son morceau de pain qu’elle grignotait comme un enfant, faisant de son mieux pour l’amollir de sa salive avant de l’avaler. Mais soudainement le bruit les alerta et elle se mit immédiatement sur le qui vive. Des survivants ? Ou bien des sauvages restés en arrière pour s’assurer d’avoir fait le ménage ? Une lance siffla à ses oreilles et elle l’esquiva de justesse, se jetant sur le côté et repoussant Eopren d’un même mouvement. Bien vite la situation se fit sans appel. Ils n’avaient aucune chance de s’en tirer.
Elle aurait pu en pleurer à cet instant. Qu’importe le chemin qu’elle prenait le destin semblait s’acharner sur elle, comme si une entité supérieure cruelle s’évertuait à la tuer à chaque pas qu’elle prenait. Ils auraient du être partis depuis des heures déjà, cela ne faisait aucun sens qu’ils soient restés. Mais comment pouvait-elle-même tenter de comprendre la logique de ces barbares qui avait mis à feu et un sang un village de fermiers sans ressources particulières ? Le cavalier l’incita à courir mais elle voyait bien que cela ne mènerait à rien. Elle prit tout de même position et tira sa dague de son fourreau. Elle espérait que Dana et Cendre aient réussi à fuir. Elle accueillit un premier sauvageon d’un trait sanglant sur la carotide qui le fit s’écrouler à ses pieds. Mais déjà trois autres de ses compagnons étaient sur elle et elle ne put rien faire. L’un d’eux lui agrippa les cheveux et la força à terre sur les genoux avec violence tandis qu’un autre la désarma sans mal. Un râle s’échappa de ses lèvres et elle sentit à nouveau la plaie sur son crâne se rouvrir et du liquide chaud couler le long de sa nuque et sur son front. La bête la força à baisser la tête et elle résista de son mieux, ne voulant perdre sa vision. Les loups les encerclèrent telle une meute affamée et non pas rassasiée des victuailles de la nuit dernière. Kryss ne voyait plus Eopren mais pouvait l’entendre, non loin d’elle. Elle n’arrivait pas à compter le nombre d’ennemis mais peu importait désormais… Son cœur battait dans ses tempes et elle montra ses dents en un grognement animal. La main gigantesque sur sa tête tira sur ses cheveux sombres et la releva tout contre lui, exposant sa gorge contre laquelle il eut l’audace d’apposer sa propre lame à la pierre de lune.
Elle réalisa alors qu’autre que sa vie elle avait bien encore une chose à perdre. Sa liberté.
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Les sauvages avaient fondu sur eux en l’espace de quelques secondes. Eopren songea qu’ils auraient très bien pu les achever plus aisément de quelques traits tant lui et Kryss représentaient des cibles faciles au vu de leur état. Il peut d’ailleurs remarquer que les Dunlendings qui lui faisaient face ne semblaient pas vouloir frapper pour le tuer mais simplement pour le neutraliser. Une attitude bien inhabituelle de la part de ce peuple qui, d’ordinaire ne laissaient que mort et désolation derrière eux lors de leurs opérations de pillage. L’une des silhouettes qui était restée en retrait avait aboyé des ordres dans leur langage juste avant qu’ils ne chargent.
Son premier adversaire avait probablement sous-estimé le vieux soldat blessé qui l’accueillit d’un formidable coup d’estoc que l’assaillant évita de justesse en bondissant en direction d’Eopren. Le coup de tête, cependant, fit mouche et l’homme tituba en arrière, légèrement sonné. La manœuvre arracha un cri de douleur au rohirrim qui tenait à peine sur ses jambes. Cela, un deuxième Dunlending l’avait bien compris et se contenta de le balayer avec sa lance. Le cavalier chuta lourdement au sol et la pointe d’une épée vint se poser sur son torse, empêchant toute tentative de se relever. De toute façon, il n’en avait plus la force.
Il cracha au sol et provoqua son adversaire. “Allez salopard achève-moi !”
Toutefois, à la grande surprise d’Eopren, les Dunlendings ne semblaient plus animer par la rage meurtrière qu’ils avaient démontrés la nuit passée. Son adversaire direct déposa la pointe de son arme sur la gorge du rohirrim et prit le temps d’examiner ce dernier de la tête aux pieds, un air curieux sur le visage. La longue cape, autrefois verte émeraude mais désormais teintée de boue et de sang, avait capté son attention. L’assaillant se retourna vers celui qui semblait commander leur groupe et prit la parole dans la langue aux sonorités gutturales parlée par les tribus peuplant le Pays de Dun. Le vieux cavalier se maudit intérieurement de ne pas avoir mieux appris ce langage que sa regrettée mère maîtrisait parfaitement. En pleine possession de ses moyens, il aurait sûrement été capable de capter quelques mots et d’en déduire la teneur de la conversation ; mais, au bord de l’inconscience, cela lui était devenu impossible.
Le chef de la bande s’avança vers eux. Malgré sa taille relativement modeste en comparaison à ses congénères, une puissance brute se dégageait de cet homme. Trapu et imposant, la fourrure qu’il portait avait été découpé de manière à ce que les muscles saillants de ses bras soient mis en évidence. Son crâne rasé était bardé d’étranges cicatrices et son oreille gauche était percée par de multiples petits anneaux dorés qui avaient été soigneusement disposés tout autour du lobe. Il s’approcha et examina les vêtements du garde royale, une fraction de secondes plus tard, il fit un signe à ses hommes qui s’empressèrent de relever Eopren par les épaules pour le traîner à l’écart.
L’attention du Dunlending se porta ensuite sur Kryss. La jeune femme avait également été immobilisée par ses guerriers, une lame placée sur sa gorge frêle l’empêchait d’esquisser le moindre mouvement sous peine de se trancher la carotide. Il s’approcha de l’ancienne Ombre et s’accroupit devant elle. Il passa une main rugueuse sur la joue de la jeune femme et s’exprima, cette fois-ci dans un Commun rehaussé d’un fort accent. “Eh bien alors ma belle…on s’est perdu ?”
Il fit signe à son subordonné de relever sa lame, libérant Kryss de la menace directe qui pesait sur elle. Leurs visages n’étaient séparés que de quelques centimètres ; elle pouvait distinguer tous les détails de ses curieux yeux jaunes. “T’as perdu ta langue ? Faut pas avoir peur tu sais…Je ne vais pas te tuer…”
Un sourire carnassier révéla ses dents rongées par le scorbut. “Mais bientôt, quand tu seras entre les mains de mes hommes, tu regretteras certainement que je ne l’ai pas fait.”
Le Dunlending se redressa et aboya de nouveaux ordres dans son idiome ; les autres semblèrent s’exécuter immédiatement et relevèrent de force leurs deux prisonniers avant de se mettre en mouvement. Visiblement, ils ne désiraient pas traîner ici. La fumée des incendies avait potentiellement attiré l’attention d’une éored qui patrouillait dans la région. Leur petit groupe était resté au sein du village après l’assaut de la veille mais le gros des assaillants avait déjà quitté les lieux avec leur précieux butin depuis un long moment.
On avait également mis la main sur Dana et Cendre, visiblement les deux montures feraient également partie du voyage.
Sa jambe blessée étant encore bien trop instable pour soutenir son poids, Eopren rechuta au sol après avoir effectué quelques pas sous les moqueries de ses ravisseurs. Le vétéran ne se laissa pas démonter pour autant et réclama à grands cris son bâton de marche qu’il avait ramassé un peu plus tôt. Le Chauve aux yeux jaunes fit signe à l’un des pillards de ramener le précieux objet. Puis, il fit tourner le bout de bois entre ses doigts en s’approchant du cavalier et le lui tendit.
Eopren leva le bras pour récupérer sa béquille de fortune mais, au dernier moment, l’homme la retira et l’utilisa pour le frapper violemment sur le visage puis au dos. Le vétéran cria de douleur et s’affala à nouveau au milieu de la boue, encore une fois sous les rires et les acclamations du groupe.
Le Chauve cracha sur sa victime et cria : “Sale Forgoil ! Tu ne peux rien demander ! Rien ! Maintenant, marche !”
Kryss, elle, était parvenue à avancer jusqu’au niveau de son compagnon d’infortune. Celui-ci pour la deuxième fois l’implora du regard. Elle était encore considérablement affaiblie. Pouvait-elle trouver la ressource pour aider Eopren à avancer ?
Celui-ci lui souffla :
“Kryss…Dis quelque chose bordel…”
Au fond, à quoi bon continuer à lutter pour avancer quand la destination était si peu enviable ?
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Ce toucher froid, familier, contre sa gorge. Elle pouvait en sentir la morsure légère sur sa peau, le léger picotement de la pointe menaçant à tout moment de trancher sa peau. Elle déglutit difficilement, grimaça contre cette main énorme qui s’enfonçait sans ménagement dans son cuir chevelu ensanglanté. Il tira davantage, le bougre, forçant sa nuque à se torde davantage vers l’arrière, rendant la respiration difficile. Un autre homme, tenant ses poignets dans son dos, appuyant sur son avant-bras brisé. Chaque douleur, un rappel vif qu’elle était encore en vie. Pour le moment. Sa concentration par contre, n’était pas des plus optimales, mais elle n’aurait de toute façon pas plus déchiffrer la moindre parole de ces barbares venues de terres lointaines. Elle ferma un instant les yeux pour ne pas laisser ses larmes couler sur ses joues. Qu’ils ne voient pas, qu’elle était à bout de ses capacités physiques. Non. Elle ne se briserait pas. Un léger souffle entre ses lèvres, la jeune femme se concentrait sur l’instant présent, réduisit son univers à une poignée de mètres autour d’elle. Cinq peut-être…pas beaucoup plus. Elle ne pouvait voir Eopren mais l’entendit, comme à travers un voile au loin.
Un toucher, chaud ce coup-ci, rustre…comme elle en avait connu d’autres…La jeune femme rouvrit les yeux avec lenteur, observa son interlocuteur avec une maîtrise parfaite, un calme apparent malgré son état déplorable. Regard d’acier contre celui d’un fauve recouvert de peaux de bête. Elle contempla ces cicatrices traversant son crâne et une partie de son visage, les clous percés dans son oreille… elle n’avait que faire de cet homme. Il pouvait bien la tuer, ou pire semblait-il penser. Mais les hommes étaient tous semblables…ils ne voulaient qu’une chose à la tombée de la nuit. Oh non, ce n’était pas son corps. Mais son esprit. Cette vie même faiblissante, ce faible éclat d’indépendance comme un rêve qui s’échappait au lever du jour. Les hommes rêvaient toujours de pouvoir. De contrôle. Ils cherchaient cette ascendance sur autrui, pour mieux cacher leurs propres faiblesses qu’ils n’osaient s’avouer. Car il était toujours plus facile de descendre les autres plutôt que de s’élever. “T’as perdu ta langue ? Faut pas avoir peur tu sais…Je ne vais pas te tuer…”
A ses propos elle ne put répondre verbalement, mais elle sentit sa dague s’éloigner de sa gorge. Elle la lui présenta donc, avec lenteur, sa langue. Oh elle en avait bien une…qu’elle rentra dans sa bouche avant de cracher au visage du sauvage.
Elle ne put éviter le coup qui ne tarda pas et lui fracassa la pommette gauche. Kryss s’écroula et perdit brièvement conscience, seulement retenue par les avant-bras. Quand ses sens revinrent à elle, elle était debout bien que titubante et fortement retenue par un guerrier qui lui laissait à peine poser ses semelles sur le sol, tordant ses bras dans son dos en une poigne de lutteur hors pair. Eh, elle n’avait rien contre quelques cordages et mal maniements mais généralement pas dans ce genre de situation. La remarque, totalement saugrenue dans une telle situation, lui arracha un rire franc qui fit soulever les sourcils de son tortionnaire se demandant probablement quoi faire d’une forcenée. Peut-être que le chef l’avait tapé un peu trop fort… Il desserra sa prise comme pour vouloir prendre ses distances d’une folle, et Kryss put sentir plus fermement la terre sous ses pieds. Elle tira un peu sur les cordes pour soulager ses poignets. Elle plissa les yeux, eut du mal à discerner les contours du côté de son visage qui avait été cogné. Elle l’avait mérité, et n’avait par ailleurs aucun regret. Elle espérait simplement retrouver la vue avec le temps, comme pour sa gorge…
La jeune femme chancela vers Eopren qui ne tenait pas bien sur ses jambes non plus sans son bâton. Elle n’estimait pas déjà grandement ces sauvageons, mais de trouver là matière à rire, ils n’étaient pas bien plus civilisés qu’une bande de gamins prépubères. Elle avait cependant les mains liées dans son dos et son geôlier ne semblait pour l’instant pas disposé à s’approcher d’elle. Tant mieux. Un de moins à décourager. Il ne fallait parfois pas grand-chose. Une suggestion, tout au plus… La jeune femme tourna donc son dos au cavalier et remua ses doigts pour l’inviter à s’accrocher à elle s’il le souhaitait. Elle n’avait elle-même pas grande force mais fit de son mieux en s’abaissant légèrement pour prendre meilleur appui sur ses jambes. Lorsqu’il fut suffisamment proche, la femme tenta de souffler de sa voix cassée et faible :
- Patience.
Comprendrait-il ce seul mot, quasiment inintelligible dans sa gorge ? S’ensuivit une quinte de toux d’avoir ainsi tenté d’utiliser sa voix. Il lui faudrait un peu plus de temps. Et de l’eau, chaude, ce qu’elle doutait fort de recevoir vu l’hospitalité de ces brutes. Un regard jeté à leurs juments. Elle était vexée qu’elles ne se soient pas échappées, mais peut-être représenteraient-elles une voie d’issue. Elle tenta cependant d’ajouter alors que le cavalier était encore sur elle.
- Fibule.
Elle secoua ses poignets, tentant de lui faire comprendre…elle ne pourrait retirer ses liens seule, à mains nues…Elle ouvrit sa paume, fléchit ses doigts. Ses mouvements étaient furtifs, cachés par la cape du Rohirrim mais cela ne durerait pas. Ils n’auraient que peu d’ouvertures…
« - L’ours et l’homme se disputent un territoire. Qui a raison ? - Le chat qui les observe. » Pierre Bottero - Ellana
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Des heures qu’elle n’avait pas prononcé le moindre mot et tout ce qu’elle parvenait à lui dire désormais c’était d’attendre alors que leur temps leur manquait cruellement ? Elle l’avait dit avec un flegme déroutant, alors que toute la situation devrait la pousser à céder à la panique, voilà qu’elle lui soufflait calmement que tout irait bien à condition qu’il attende patiemment. Avait-elle un plan déjà élaboré ? Difficile de l’imaginer au vu des circonstances. Eopren se redressa en s’appuyant sur elle et ils se remirent à avancer côte à côtes, avec l’élégance de la démarche de deux pingouins cherchant à se protéger des vents glacials de la Baie de Forochel.
Avec un deuxième mot, prononcé dans un râle étrange et à peine audible, la jeune femme tenta d’expliquer ce qu’elle avait en tête à son compagnon d’infortune. Cela prit quelques secondes au rohirrim pour comprendre qu’elle faisait référence à la broche utilisée pour attacher ses vêtements. Le guerrier n’en avait pas sur lui, seule Kryss en portait une petite près de son torse. D’un geste de la main celle-ci cherchait à lui faire comprendre qu’elle comptait sur son aide pour se libérer de ses liens en usant du petit objet. Une manœuvre pour le moins audacieuse sous la surveillance étroite de leurs ravisseurs. Eopren haussa des épaules et grogna : “Aah…Kryss…Décidément tu lâcheras jamais…”
Le cavalier se décida pourtant à la soutenir dans son entreprise. Il passa un regard au-dessus de son épaule, pour s’assurer que leurs ennemis ne les observent pas de trop près, puis arracha furtivement le petit objet circulaire qu’il déposa dans la paume ouverte de l’ancienne apprentie assassin. Il lui adressa un clin d’oeil au passage et souffla :
“Si t’arrives à t’sortir de là alors chapeau. T’occupes pas d’moi, j’irais pas bien loin avec ma ja… -J’ai dit : LA FERME !”
Le Dunlending chauve agrémenta sa remontrance par un nouveau coup sur le crâne d’un Eopren qui encaissa avant de se mordre la lèvre, non pas de douleur mais pour se retenir de répliquer de manière cinglante à son tortionnaire.
Ils continuèrent à avancer ainsi pendant plusieurs dizaines de minutes, les Dunlendings les forçant à accélérer la cadence malgré leurs blessures. Visiblement, ils étaient pressés de quitter les lieux. Kryss de son côté n’avait pas la tâche facile, les liens étaient épais et les pillards l’observaient de près. Bientôt le groupe arriva au sommet d’une petite colline et les hommes se mirent à pousser des cris de joie et diverses exclamations. Eopren et Kryss ne tardèrent pas à arriver à leur niveau et purent enfin voir le triste spectacle qui se jouait en contrebas, source de la joie de leurs ennemis. “Par la Barbe du vieux Polias…Qu’est-ce que…”
Pour l’une des seules fois de sa vie, Eopren était à court de mot pour décrire ce qu’il voyait.
A une centaine de mètres de là, une longue colonne humaine défilait lentement, prenant la direction de l’Ouest et de la Trouée du Rohan. Encadrés par une centaine de Dunlendings armés et montés dans certains cas, se trouvaient des dizaines de pauvres gens forcés de marcher sous la menace des lances et des bâtons. Vieillards, femmes, enfants ; tous les habitants du village qui avaient survécu à l’attaque et mystérieusement disparu se trouvaient là, otages de la horde qui avait fondu sur eux au milieu de la nuit. Un masque de tristesse et de résignation sur tous leurs visages, les traces d’abus et de violences sur leurs corps éprouvés.
Que s’était-il passé ? Les Dunlendings étaient connus pour piller, tuer, violer. Les rohirrim les avaient toujours considérés comme des sauvages en quête de richesses faciles et d’affrontements violents. Massacrer tous les habitants aurait mieux correspondu à leurs pratiques. Les capturer vivant et les déplacer, voilà une pratique bien plus inhabituelle qui témoignait d’un objectif différent.
Le cavalier jaugea le reste des sauvageons, si échapper à la vingtaine d’hommes qui les avaient initialement capturés était une tâche ambitieuse ; devoir fuir près d’une centaine de guerriers de la sorte relevait de l’impossible. “P’tite Pousse…Si tu veux tenter quelque chose, c’est maintenant ou jamais…”
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Qu’il était étrange, ces terres autrefois familières ressemblaient désormais à un territoire totalement hostile et dépourvu de vie. Une brutalité sans nom, des visages et coutumes étranges…et cette langue qu’elle ne comprenait pas. La jeune femme fit de son mieux pour observer autour d’elle, mais sa vision avait été quelque peu raccourcie par le dernier coup reçu du semblait-il chef de la bande. Peut-être n’aurait-elle pas du se permettre ce dernier élan de bravoure. Car malgré le mal de gorge des quelques mots échangés, elle n’en tirait pas grand-chose. La sensation de sa fibule dans ses doigts, qu’Eopren avait déposé quelque peu maladroitement après s’être assuré qu’ils n’étaient pas vus. Elle semblait encore bien solide Kryss, malgré ses blessures accumulées, mais son cerveau marchait à vide. Son partenaire d’infortune cependant avait l’air d’avoir un mental plus fragile, la raison pour laquelle elle lui adressa un léger sourire encourageant. Elle n’en menait pas large à l’intérieur cependant, cette ancienne apprentie des Ombres.
Se concentrer sur le toucher. Sortir entre ses doigts la pointe aiguisée de l’ornement, l’enfoncer entre ses paumes. Et trancher. Des gestes concis, précis, entrainés. Mais les cordes étaient bien épaisses et la fibule bien petite. Elle devrait s’en contenter. Elle sentait auprès d’elle le cavalier tituber et serra les dents tout en observant les hommes sauvages et leurs alentours. Ils posaient sur elle des regards soutenus et Kryss ne voulait deviner le fond de leurs pensées. Elle baissa la tête et n’eut pas grand mal à prendre une attitude vaincue. Il ne lui fallait pas beaucoup plus pour la convaincre qu’elle n’avait plus d’échappatoire. Juste une petite parcelle, une étincelle au fond d’elle qui palpitait. Survis, Kryss. Survis. Tranche tranche petite fibule. Tranche. Le rythme s’accéléra et elle se sentait par moment faiblir, le souffle court. Elle avait faim. Elle avait soif. Le soleil désormais bien haut dans le ciel était une torture permanente et elle plissa les yeux, déglutit avec difficultés. Depuis combien de temps marchaient-ils ? Quelle était leur destination ? Ah…cela importait peu. Elle se pivota vers Eopren quelque peu lorsque cela paraissait naturel, pour entailler brièvement avec plus d’audace les cordes. Elle sentait qu’ils commençaient à se desserrer…Cela suffirait-il ? Elle l’espérait… Son bras gauche la faisait énormément souffrir et elle commençait à sentir sa main gauche s’engourdir également, les sensations disparaître dans ses doigts.
Il était inconcevable d’utiliser la force dans leur état et en vue du nombre d’adversaires. La jeune femme tenta donc de réunir ses pensées et de réfléchir à des alternatives. Bientôt, son regard balaya les plaines du Riddermark et les crevasses de pierres. La botanique…cela n’avait jamais été particulièrement son fort mais il ne lui restait plus d’autres options. Elle fit de son mieux donc pour se rappeler des cours qu’elle avait reçu, des livres qu’elle avait consulté avec quelques difficultés, lisant avec lenteur mais persévérance. Si ces satanés salades pouvaient la sauver, elle se promit de prêter plus d’attention à leurs vertus… Là, son œil valide accrocha un éclat de jaune et de vert sombre. De l’adonis ? Elle ne pouvait en être sûre mais les options étant si limitées, elle ne pouvait passer à côté. Elle dévia quelque peu sur le côté et se prit le pied consciemment dans un rocher, chutant lourdement au sol. Elle roula ensuite et sentit malheureusement la fibule s’enfoncer dans sa peau. Un grognement s’échappa de ses lèvres mais elle n’avait pas le temps de s’y pencher davantage. A l’aveugle elle arracha quelques tiges qu’elle camoufla dans ses mains. Elle eut à peine le temps de s’assurer que la plante peut être salvatrice était sécurisée avant qu’un balourd ne vienne la soulever avec force comme si son poids n’était que brindille et la remettre lourdement sur pieds. Elle trébucha et le rire tonitruant des sauvages lui éclata les tympans.
Elle ne pourrait plus aller bien loin. Pas sans se reposer et se ravitailler…Qu’il était tentant, de se laisser aller et finir ainsi son histoire. Elle évitait soigneusement le regard du cavalier, car elle pensait que cette vision la pousserait à choisir cette option. Cette voie d’issue. Cette fin. Un répit, enfin, après tant de blessures et de trahisons. Pourquoi choisir la souffrance, Kryss ? Pourquoi choisir de vivre ? Un hennissement un peu plus loin, comme une claque dans la figure. Dana. Merci ma belle, ancre de mes jours. Sa main droite alors commençait à frictionner la plante, la réduire en bouillie. Elle n’avait pas eu le temps de vérifier s’il s’agissait là bien d’adonis mais n’avait pas d’autre idée en tête. Et peu de plantes lui ressemblait…non ? si ? Peut-être ? Rah satanés bouquins. Elle ne s’était jamais considérée comme particulièrement intelligente mais son ignorance pourrait bien lui coûter la vie. Toute prise dans le tourbillon de ses pensées elle ne vit pas Eopren s’arrêtait et lui rentra dedans. Son regard alors se releva et la vision devant elle…comme un fleuve d’âmes en direction des caves de Mandos. Pas de jugement ici, juste des condamnés à mort à l’enfilade. Et bientôt, Kryss serait une âme de plus vers sa destination finale. Il lui fallut quelques instants pour trouver ses mots, qu’elle glissa dans un souffle rauque, sa voix encore bien affaiblie par les étranglements successifs :
- Si un part…message ?
Elle était bien incapable de phrases plus longues. Elle ignorait donc si Eopren la comprendrait. Pour Kryss, cela était rapide. Elle avait été reniée par ses parents, était un fantôme de vengeance pour sa sœur et l’être qu’elle avait aimé jadis ma foi…cela était dans une autre vie. Lorsqu’elle était libre, jeune et insouciante. Remplie de rêves et d’ambitions, celui de devenir cavalière rohirrim. Personne ne pleurerait sa mort et bon nombre l’oublieraient d’ici quelques années. Elle n’était qu’une ombre passagère sur ces plaines verdoyantes.
La jeune femme se laissa entrainer par le groupe et chaque pas était comme une sentence de mort. La descente fut lente et laborieuse tel celle vers l’autre monde. La jeune femme se mit devant le cavalier pour parer à sa chute si jamais…Depuis quand prenait-elle ces réflexes ? Cela ne faisait que quelques jours qu’ils voyaient ensemble pourtant, elle ne connaissait que très peu cet homme ravagé par les fantômes de son passé. Si cela était pour sauver sa soi-disant âme, c’était bien peine perdue… elle avait bien trop à se faire pardonner. Combien d’hommes avait-elle tué ? De femmes ? Qui était-elle, mercenaire des Ombres, pour juger des sauvageons qui l’amenaient désormais à l’abattoir ? Sa main droite cependant, continuait son labeur sans relâche. Plus instinctivement que consciemment, la jeune femme regardait autour d’elle alors qu’ils s’avançaient pour se mêler au plus grand groupe. Peut-être aurait-elle du agir plus tôt…mais n’avait pas vu d’ouverture. Là, enfin, elle trouva ce qu’elle cherchait. Des marmites appartenant aux hommes en peaux de bête. Elle se fit bousculer, à droite à gauche, et attrapée à nouveau par une brute par les cheveux. Diantre que cela faisait mal. Mais il la regardait à peine et l’attention était momentanément occupé ailleurs. Elle attrapa alors le regard d’Eopren…et jeta les débris de la plante dans le ragoût.
Ce fut sa dernière ouverture avant d’être emportée par le combattant qui n’était pas tout à fait disposé à adapter son allure à celle de sa captive blessée. Kryss trainait les semelles dans la caillasse et fit de son mieux pour ne pas s’étaler une fois de plus par terre. Elle força des inspirations courtes et rapprochées pour mieux gérer la douleur. Sa tête tournait et ce vertige soudain la fit perdre ses sens. Son cœur alors s’accéléra tel une proie prise au piège pour de bon. Car elle n’avait aucune idée si cela marcherait…et l’attente pouvait être bien longue lorsque les heures étaient comptées.
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Les quelques mots que Kryss étaient péniblement parvenu à prononcer laissèrent Eopren pour le moins perplexe. Elle parlait de la possibilité pour un d’eux de partir. Évoquait-elle un projet fou d’évasion ? Pleine de ressources, la jeune femme avait usé de sa fibule pour entamer les liens qui la retenaient. Mais là n’était que la première étape vers la liberté, et sûrement la moins dangereuse d’entre elles. Quand bien même l’un d’eux parvenait à se libérer de ses cordes à leurs poignets, fallait-il encore échapper à la vigilance de leurs nombreux ravisseurs et parvenir à les semer en gagnant le village le plus proche, le tout en puisant dans leurs dernières énergies. Au vu de son état, le cavalier avait conscience que tout ce périple lui était impossible à réaliser.
Malgré ses blessures, Kryss avait l’avantage de la jeunesse. Peut-être avait-elle une infime chance de réussite. Alors pourrait-elle transmettre un dernier message qu’elle lui aurait transmis. Eopren réfléchit quelques secondes. Faisait-elle référence à une information qu’elle pourrait donner à un haut-gradé de l’armée, un officier de la Garde, au sujet des forces des Dunlendings ? Ou alors quelque chose de plus personnel, une dernière parole pour un proche ? Dans les deux cas de figures, rien ne lui vint à l’esprit. Sa vieille mère était sa dernière famille et elle avait quitté ce monde quelques mois plus tôt. Quant à ses relations dans l’armée, il préférait ne pas évoquer le sujet, encore honteux de porter cette cape qu’il avait sur les épaules.
Le rohirrim haussa les épaules. “Chai pas, P’tite Pousse. J’ai rien.”
Les Dunlendings les forcèrent alors à reprendre la route pour dévaler le versant de la colline et rejoindre le sinistre cortège qui défilait sous leurs yeux. Kryss trébucha sur un rocher et fut relevé sans ménagement pas l’un des sauvages qui trouvait la situation particulièrement amusante. Le Chauve, visiblement pressé de retrouver les siens, menait la troupe quasiment au pas de course. Pourtant ils ne s’arrêtèrent pas au cœur de la colonne humaine et poursuivirent leur route jusqu’à l’avant-garde. Forcés de suivre le rythme, Kryss et Eopren purent clairement dévisager tous ces hommes, femmes et enfants dont les destins avaient basculé en l’espace d’une seule nuit. Tous avaient sûrement perdus un proche, ou plusieurs, au cours de raid. Tous avaient également perdus leur liberté. Combien de temps s’écoulerait-il avant que chacun d’eux ne se prenne à regretter de ne pas avoir trouver la mort durant les affrontements au lieu de subir les supplices de la captivité ?
Une fois parvenu en tête du groupe, le Chauve s’arrêta devant une poignée de cavaliers. Ceux-ci tranchaient avec l’allure des autres guerriers Dunlendings. De loin, ainsi juchés sur leurs beaux étalons, on aurait pu penser qu’ils s’agissaient de cavaliers du Rohan. Le port altier, de nobles montures, des armures rutilantes ; le tout formait une escouade bien étrange. Les Dunlendings étaient autant craints que méprisés par les gens du Rohan, des sauvages sanguinaires vêtus de peaux de bêtes. On disait même d’eux qu’ils haïssaient les chevaux et prenaient plaisir à égorger ces bêtes si importantes pour leurs ennemis.
De toute évidence, certains, parmi les peuples du pays de Dun voyaient les choses différemment. Une influence des tradition rohirrim ayant infuser sur certaines tribus frontalières ? Le caprice d’un chef de guerre désireux d’avoir sa propre cavalerie ?
Le Chauve arrêta sa course devant l’un des cavaliers, vêtu d’un heaume de bronze. Celui-ci dévisagea les nouveaux arrivants avant de reporter son attention sur le Chauve, s’adressant à lui dans la langue partagée par tous les clans du Dunland. Eopren en connaissait quelques bribes, vestiges de certaines affaires qu’il avait conclues au marché noir à l’époque où il était stationné près de la Trouée du Rohan. +++Ulfgand, te voilà enfin ! Nous avons bien cru que vous avez été repéré par des cavaliers ennemis. Qu’est-ce que tu nous ramènes là, d’autres prisonniers? +++
Le Dunlending à l’origine de leur capture, ainsi nommé Ulfgand, soutint le regard de l’homme qui s’était adressé à lui avec tant de familiarité. Visiblement les deux hommes, forcés de travailler ensemble, ne s’appréciaient guère. Pourtant le Chauve finit par incliner très légèrement la tête en signe de respect et lui répondit. +++ Tolkfrän, vénérable Héros de la Verte Vallée. Nous avons capturé ce qui ressemble à un officier Forgoil ainsi qu’une autre fille. Elle à l’aire inoffensive mais c’est une sacrée peste…+++
Le Héros de la Verte Vallée ne répondit pas aux remarques de son subordonné et mit pied à terre. Faisant cliqueter son armure, il s’approcha des deux prisonniers, les dévisageant lentement de la tête aux pieds. +++Ils me semblent en bien mauvais état. Ils seront bien inutiles au Roi du Rohan si ils ne peuvent atteindre les Collines Brunes en vie…+++
Le mystérieux cavalier fit signe à l’un de ses hommes d’approcher, celui-ci s’exécuta et analyse sommairement les blessures de Kryss et Eopren. +++ C’est sérieux. Il va falloir soigner cela vite, sinon ça risque d’empirer. J’ai entendu que le mage Forgoil est à l’Assemblée, et qu’il est capable de miracles…+++
À l’évocation de cette figure pour le moins controversée, Ulfgand poussa un juron et cracha au sol. Tolkfrän ne cilla pas et, toisant la cape verte que portait Eopren, reprit la parole; cette fois dans une langue différente. Eopren ne put s’empêcher de pousser une exclamation de surprise en entendant que son interlocuteur maîtrisait parfaitement le rohanais. Seul un accent léger trahissait son origine étrangère. “Un officier de la Garde Royale je vois… Que fait donc un homme comme vous si loin de la capitale ? Ainsi séparé de ses frères d’armes ? Et elle, qui c’est ?”
Pris de court, et au bord de l’épuisement, Eopren bafouilla quelques secondes avant de recycler le mensonge qu’il avait déjà utilisé la veille lors de leur rencontre sur la route avec Erlin et son fils. “Je…c’est ma fille Helen…Nous faisions route vers le Nord, je cherchais à la ramener à sa mère avant que la guerre ne frappe…”
Les yeux perçants du Héros se posèrent sur Kryss, il la fixa longuement, mais dans son regard, il n’y avait aucune trace d’avidité ou de désir comme dans les yeux de ceux qui l’avaient capturé quelques heures plus tôt. Le guerrier cherchait simplement à l’analyser, déterminer si elle pouvait représenter un danger immédiat, ou alors une opportunité. Au bout de plusieurs minutes silencieuses, il s’approcha d’elle et lui demanda : “C’est vrai son histoire, Helen ? Qu’est-ce que tu nous caches ?”
La jeune femme, la gorge toujours douloureuse, fut prises d’une violente quinte de toux. Tolkfrän ordonna qu’on lui amène un peu d’eau, un des hommes d’exécuta et le Héros tendit l’outre à l’ancienne Ombre. Il se tourna ensuite vers Ulfgand : +++Dîtes aux hommes d’arrêter la marche pour quelques heures. Les prisonniers sont faibles, donnez-leur à boire et à manger selon nos rations mais donnez-leur assez !+++
Le Chauve rétorqua avec un rictus mauvais. +++ “ Et quoi d’autre ? Leur faire leur toilette aussi ? -Pardon ? -On va nourrir ces Forgoil à leur faim pendant qu’on refuse à mes hommes les besoins les plus basiques ! C’est à croire que vous roulez pour eux !”+++
Les deux groupes de Dunlendings s’agitèrent soudainement, les cavaliers en armure posèrent leurs mains sur le pommeau de leurs épées tandis que les hommes d’Ulfgand firent rouler leurs muscles.
Contenant sa colère, Tolkfrän siffla à travers son heaume. +++Faîtes très attention à ce qui sort de votre bouche ! +++
L’avertissement ne sembla pas pour autant arrêter les ardeurs révolutionnaires de son adversaire. +++ Les rumeurs seraient-elles vraies ? Ces beaux yeux verts et ces cheveux de paille ? Le sang des Forgoil coulerait-il dans les veines du grand Héros de la Vallée Verte ? +++
Cette fois c’en était trop. Le Héros fit un pas en avant et sortit son épée de son fourreau de quelques centimètres. Il tonna de sa voix grave : +++”Est-ce une provocation en duel, Ulfgand fils de Krul ? +++
Ce dernier sembla hésiter quelques longues secondes. Tremblant de rage, il semblait tout près de sortir son arme et s’engager dans un combat à mort qui déterminerait qui méritait vraiment d’être le chef de cette expédition. Levant les yeux, il tint le regard de Tolkfrän qui lui rendait bien une dizaine de centimètres. Finalement, il renonça, se contentant de cracher à nouveau au sol et de rebrousser chemin avec les siens sans un mot supplémentaire.
Le Dunlending casqué souffla, relâchant la pression, et remonta en selle. Il adressa quelques derniers mots à Kryss et Eopren avant de s’éloigner. “Reposez-vous, mangez et buvez mais restez sur vos gardes, je ne peux maîtriser ce qu’il peut se passer dans le camp une fois la nuit tombée.”
Alors qu’il s’apprêtait à s’éloigner, Eopren ne put s’empêcher de lui demander. “Bordel ça rime à quoi tout ça. Vous enlevez femmes et enfants et derrière vous jouez au chevalier blanc ?”
Un voile sombre passa sur les yeux émeraudes du cavalier Dunlending. Son expression était illisible sous ce casque mais sa voix baissa d’une octave. “Je ne suis pas un chevalier blanc. Je suis votre ennemi. Mais je ne suis pas un monstre, voilà tout.”
Il éperonna sa monture et s’éloigna avec ses hommes en direction de la colline adjacente, à l’écart du reste de la colonne pour y trouver quelques heures de repos.
On leur servit des bols de fortunes remplis d’une mixture étrange et jaunâtre qui avait longuement bouilli dans les marmites en étain que Kryss avait repérée quelques heures plus tôt lors de leur arrivée. L’odeur était pugnace et le goût pas franchement ragoûtant mais les otages rohirrim, affamés par de longues heures de marche forcée, engloutirent ce frugal dîner en quelques minutes.
Sauf Kryss. “T’en veux pas ? Faut bien bouffer un peu, sinon tu vas mourir de faim avant de mourir de te blessures.”
Cependant l’attention de la jeune femme était focalisée ailleurs. Assise à quelques mètres de là, une petite tête blonde les observait de ses grands yeux tristes. Ce même regard apeuré qui avait fixé Kryss la veille quand elle avait voulu toucher sa dague.
La petite fille de la famille les ayant accueillis la veille avait survécu à l’attaque. Autour d’elle, Kryss ne reconnut aucun autre membre du foyer.
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Combien de temps encore s’obstineraient-ils à la tenir par les cheveux ? Ayant les mains encore encordées dans son dos, la jeune femme ne pouvait rien faire de plus que jurer entre ses dents serrées. Elle força une inspiration entre ses lèvres pour palier à la douleur qui pulsait sur son crâne. A chaque pas, son regard rivé sur le sol, la tentation d’écraser les orteils de son tortionnaire se faisait plus forte. Un bon coup de pied, là, au bout de ces chaussures en cuir souple, peut-être que cela lui ferait changer son air ? La colère s’emparait d’elle, la maintenant en vie pour l’instant. A quoi bon la tenait-il avec une force pareille ? Représentait-elle un danger si imminent, si incontrôlable ? Dans un autre contexte elle l’aurait pris pour un compliment et pas des moindre, mais ainsi affaiblie elle aurait pu en verser des larmes, si sa fierté le lui avait permis. Elle grogna donc, sa poitrine se gonflant avec ardeur sous la rage.
Enfin ils s’arrêtèrent, abruptement, et le bougre lui tira sur les cheveux. Elle aurait pesté et juré si sa gorge avait laissé passer plus qu’un râle. Et cette langue inconnue, gutturale. L’ancienne apprentie des Ombres se tordit pour observer la scène, son regard accrochant les cavaliers non loin, en particulier celui au heaume de bronze. Supérieur en hiérarchie semblerait…comme quoi même des barbares pouvaient faire preuve d’un peu d’organisation. Elle détailla les montures, plus pour tromper son ennui que pour autre chose vraiment, ne comprenant pas leurs échanges… Sa vision était quelque peu diminuée avec son œil gauche gonflé, mais vraisemblablement il s’agissait de chevaux d’ici. C’était indéniable. Les avaient-ils volés lors d’un précédent raid ? Elles avaient l’air en relative forme. Elle n’arrivait pas cependant à les compter. Plus le temps passait plus elle se dit que la malheureuse plante jeté dans les marmites ne suffira pas à s’échapper de ce camp. Ils étaient beaucoup trop nombreux, et elle, beaucoup trop blessée pour s’enfuir, même seule. Arriverait-elle seulement à se faire oublier, se fondre dans les ombres comme elle l’avait fait quelques fois ?
L’un des hommes du cavalier s’approchait désormais d’eux. Elle tressaillit et son regard se fit perçant, tentant de se dérober à lui malgré la poigne ferme la retenant sur place. Sa respiration s’emballa tandis qu’il l’auscultait…son œil d’abord à demi fermé, avant de bouger à l’entaille sur ses côtes, et enfin son avant-bras gonflé, marqué par endroit d’hématomes. Il nota également la marque rouge vif au travers de sa gorge, ainsi que le sang qui avait séché sur son crâne. Il ne vit pas cependant la petite coupure causée par la fibule cachée entre ses mains. Kryss ne sut même plus combien d’hommes cela avait pris, pour infliger pareilles blessures. Ba, cela importait peu…elle se rassurait en pensant qu’elle avait occis plus de vies en échange. En tout cas elle l’espérait. Dans le cas contraire elle avait une dette à payer et compter bien s’en acquitter avant de rendre l’âme.
Enfin les mots firent sens, bien qu’il fallût quelques secondes pour qu’elle s’en aperçoive. Elle se tourna de son mieux vers Eopren. Son histoire, son mensonge, ne lui fit ni chaud ni froid. Au moins il n’avait pas révélé son prénom, et en cela elle était reconnaissante. Elle ne cilla pas, accepta en silence le rôle qu’il lui avait donné, peut-être le dernier qu’elle interprétera dans sa vie. Helen, fille d’Eopren. L’attention du cavalier fut reportée sur elle, un regard scrutateur mais sincère…honnête ? Elle l’affronta du regard, fit de son mieux pour prendre une allure neutre. Il avait les yeux d’un vert intense, avec une bordure grise ? Peut-être qu’elle se trompait. Quelques secondes passèrent avant qu’il ne lui demande de confirmer les propos de son compagnon d’infortune. - Mon ‘p…
Le mot « père » se bloqua dans sa gorge, lui causant une quinte de toux. Il n’avait pas été difficile de la provoquer en vue de l’état pitoyable de ses cordes vocales. Et jusqu’à une certaine mesure elle en était reconnaissante. Elle n’aurait réussi à employer ce terme pour désigner un autre homme que son propre père, son héros. Cet homme parfait, loyal, bon, généreux, cette figure paternelle exemplaire qui lui avait inspiré tous ses rêves d’enfance. Son cœur se serra, car les traits de son visage peu à peu s’effaçaient dans ses souvenirs, les détails se faisaient plus flous, plus approximatifs. Combien d’années encore, avant que son père ne devienne qu’un visage inconnu, un étranger ? Sa détresse était notable, mais probablement mis sur le compte de son enlèvement brutal plutôt que de ses satanées émotions.
On lui apporta une gourde d’eau et elle but sans réfléchir, avidement, à s’en étrangler. Elle était assoiffée. Puis les sauvageons reprirent leur dialecte étrange, et Kryss baissa la tête, toussant par moment encore. Le ton semblait monter entre les sauvageons et elle releva la tête pour les observer, ignorante du contenu de leurs échanges. Tuez-vous, espéra-t-elle au plus profond d’elle-même. Tuez-vous, tous autant que vous êtes. Elle espérait une confrontation, espérait cette ouverture dans l’attention des barbares, pour tenter une fuite. Elle regarda Eopren qui semblait captivé par l’échange. Comprenait-il cette langue étrangère ? Mais malheureusement l’homme recouvert de peaux animales se résigna et obtempéra, qu’importe l’ordre qu’il semblait avoir reçu de l’homme qui reprenait place désormais sur sa monture. Kryss apprécia l’interjection d’Eopren, et ne put s’empêcher un léger rire de s’échapper de sa gorge endolorie. Un chevalier blanc ? Un chevalier ? Foutaises. Des notions d’un autre temps bien longtemps révolu. Chaque homme était un monstre quand poussé dans ses retranchements, elle comprise. Ils n’étaient pas beaucoup mieux que des bêtes. Reste à déterminer si proie ou prédateur…
On les guida à travers le campement et elle nota le nombre de rohirrims prisonniers, toujours en infériorité par rapport aux sauvageons. Elle observa en silence tandis qu’on les menait vers un espace dégagé, lieu de rassemblement semble t il d’un groupe de villageois plutôt imposant, parmi lesquels elle reconnut quelques visages. Le village de la nuit dernière… Elle reconnut les marmites au centre et son visage devint livide. Ils seraient nourris ? Ici ? Pourquoi ? Pourquoi ! Elle fit de son mieux pour cacher la panique qui s’emparait d’elle. On lui retira les cordes de ses mains, et on lui attacha la cheville à la place avec une corde suffisamment longue pour lui permettre quelques mouvements. Elle aurait volontiers donné un coup de pied pour éclater le nez du sauvageon, mais son esprit était tout occupé à la réalisation qu’il s’agissait bien des mêmes marmites que celles dans lesquelles elle avait jeté l’adonis.
Elle ne pouvait être sûre qu’il s’agissait d’adonis, ne l’ayant que brièvement vu avant de se s’écrouler dessus dans les collines. Elle ne pouvait être sûre de leurs effets, étant une lectrice lente et fastidieuse…elle avait toujours préféré la lame à l’utilisation de poisons. Mais l’étude de la botanique faisait parmi des sujets à approfondir en tant qu’apprentie, alors elle s’y était attelée avec une motivation quelque peu fluctuante. Mais si cela était bien de l’adonis…si cela concordait avec ses souvenirs…alors ils ne devraient pas y toucher. Son regard chercha à accrocher celui d’Eopren, tandis qu’elle fit mine de se masser les poignets en camouflant sa fibule dans les ourlets de son pantalon…Non. Ne mange pas. N’y touche pas. Mais il prit la gamelle qu’on lui proposa. Il ne l’avait pas vu. Son regard était fixé sur cette substance, la faim le tiraillait. Elle pouvait le comprendre, elle sentait son ventre se tendre à l’odeur même des effluves du repas, même si elles n’étaient pas si alléchantes. Mais elle savait, oh elle savait…
Elle prit une gamelle également, prit une profonde inspiration, et prit place autour du cercle improvisé, assise à même le sol, à côté du cavalier. Il lui posa une question, elle fit non de la tête. Elle tenta de lui faire comprendre…mais déjà elle le vit porter une cuillère à ses lèvres et ne put rien faire d’autres que de le bousculer violemment en se relevant, renversant sa gamelle sur le sol. Il pesta et leva un doigt accusateur vers elle, l’insulte sur le bout de la langue. Enfin il vit son ‘non’ dans son regard. Elle alla quérir de l’eau et en ramena pour lui avant de se réinstaller par terre.
- Pas manger. Bois.
Chuchota-t-elle, tenta qu’elle mima de prendre une gorgée sous l’œil scrutateur des gardes. Dès qu’il détourna son attention cependant, elle redéposa sa cuillère. Se figea.
De l’autre côté du feu un autre visage lui fut familier. Celui d’une enfant…aux cheveux de blé, au regard déroutant, mélange de tristesse et d’inquiétude. La gamine de la ferme…elle n’eut pas besoin de plus de temps…pour se rendre compte qu’elle était seule. Elles se regardèrent longuement, se dévisagèrent. L’ancienne apprentie des Ombres baissa un bref instant le regard. Vit son bol vide. Compris. Compris qu’elle vivait ses dernières heures, même si elle l’ignorait elle-même. Elle ne connaissait pas le remède contre cette plante… et même si cela était le cas…elle n’avait ni les ressources ni l’opportunité de réagir. Cela apporterait des suspicions sur eux deux. Elle était déjà condamnée, elle, fillette si fragile et au bout de ses forces. Pour la plupart des adultes, ils souffriraient de troubles digestifs mais pour les plus fragiles… le système respiratoire lâcherait et ils mourraient.
Cette réalité s’inséra en elle et elle l’accueilli avec résolution. Elle n’aurait pu définir le sentiment qui s’installa en elle en cet instant. La mort avait toujours semblé suivre ses pas où qu’elle aille. C’était devenue une amie, une confidente même au fil des ans. La mort avait un visage, toujours. Celui de ceux qu’elle prenait en son sein, pour les guider à l’Ouest par-delà les brumes. Ce soir, se dit Kryss….ce soir la mort aurait son visage. Elle se leva, robe claire souillée de cendres, et s’avança vers l’apprentie, traversant le cercle de villageois. Elle désigna du doigt son bol qui était rempli. Une légère hésitation dans l’esprit de la jeune femme. Cela changerait-il son sort ? Peut-être qu’une dose plus intense soulagerait ses peines…peut-être qu’elle partira dans son sommeil, indolore. Elle ne pouvait le savoir. Elle prit avec lenteur son bol en bois, et le leva vers la fillette. Leurs doigts se frôlèrent. Les siens, si petits, recouverts de saleté, et froid au toucher. Sa gorge se noua, pas un mot ne fut échangé.
La petite repartit alors de l’autre côté du cercle, et Kryss fut plongé dans un profond silence. Non pas celui imposé par sa gorge, mais par des blessures beaucoup plus profondes, enfouies. Elle n’aurait pu le prédire, mais ce soir elle avait condamné bien des innocents. Ce soir, elle revêtait une fois de plus sur ses épaules une cape de meurtrière. Elle ferma les yeux un instant, sa mâchoire serrée.
Les heures passèrent, deux, trois peut-être ? Elle s’était éloignée quelque peu du cercle, jaugeant de la longueur de la corde attachée à sa cheville. Ils ne voulaient prendre aucun raccourci avec elle semble-t-il. La garde était serrée, leur attention constante. Elle ne vit pas d’ouverture. Les victimes n’auront servi à rien… la jeune femme se roula en boule sur le sol, tournant le dos résolument à Eopren. On aurait pu penser que cela était pour éviter les représailles ou son regard écœuré. Peut-être en partie. Également car elle savait qu’il ne lui ferait rien. Elle ne voyait pas d’autres solutions, refusant d’exposer son dos. Elle avait toujours pour habitude de dormir avec un œil ouvert, aux aguets, mais tout de même… Bientôt les premiers signes firent leurs apparitions. Les problèmes les plus légers, qui eurent pour mérite de distraire quelque peu les gardes. Elle eut beau y réfléchir, l’ancienne apprentie des Ombres n’arriva pas à ressentir de la culpabilité. Elle n’aurait pu prédire un tel enchaînement d’évènements. La pluie était-elle coupable des inondations, l’étincelle des incendies ? Cependant, lorsque des pleurs se firent entendre à la première découverte macabre, la jeune femme ferma les yeux avec force et voulut se boucher les oreilles.
La nuit fut agitée et longue. Pour tout le monde… La jeune femme ne fut pas dérangée cette nuit là malgré les menaces reçus par les hommes qui avaient tendu l’embuscade au village le matin même. Elle n’en était pas reconnaissante pour autant, car bien qu’elle ignorât le nombre de victimes, cela en demeurait trop à son goût. Ils n’avaient rien fait pour mériter tel sort. Elle ne revit pas la fillette au lendemain… Ils reprirent la route, l’air morose et ils ne prirent pas la peine d’attacher à nouveau ses mains. Elle ignorait ce qui avait été décidé pour les corps des défunts. Ils avaient commencé la longue marche aux premières lueurs du jour. Le rythme n’était pas aussi soutenu qu’au premier jour bien qu’il soit tout de même maintenu pendant de longues heures, mettant à mal les plus affaiblis d’entre eux. Leurs pas les menaient vers l’Ouest, pensa-t-elle, son regard observant l’horizon au loin, elle voyait les cavaliers en marche sur les extrémités de leur formation. Combien d’âmes condamnées, pour quel but ? Kryss n’osait regarder Eopren, ni même lui adresser un mot. Elle était à nouveau emmurée dans un mutisme. Avait-elle abandonné tout espoir ?
Nombre de messages : 1082 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Après une nuit plus ou moins agitée, la troupe avait repris sa progression, encadrant leurs otages tout en leur intimant de maintenir la cadence que certains, épuisés par les abus moraux et physiques qu’ils avaient subis, n’arrivaient déjà plus à suivre. Plusieurs, parmi les Dunlendings comme les Rohirrim affichaient un teint bien pâle et grimaçaient à intervalles réguliers visiblement importunés par des troubles digestifs qui rendaient leur avancée bien délicate. Pourtant, ils n’avaient pas le luxe de pouvoir s’arrêter plus longtemps pour reprendre des forces. La Trouée du Rohan était encore à quelques jours de marche et il n’y avait pas de temps à perdre. Chaque heure passée à travers les terres légèrement vallonées de l’Ouestfolde augmentait les risques d’une rencontre inopportune avec une éored en patrouille. Les hommes d’Ulfgand se chargeaient de l’encadrement des prisonniers et veillaient à ce que nul ne ralentisse le groupe, tandis que les cavaliers de Tolkfrän ouvraient la voie dans l’avant-garde.
Eopren soufflait bruyamment et avançait avec de plus en plus de mal malgré son grand bâton sur lequel il s’appuyait pour soulager sa jambe meurtrie. Pourtant le vétéran ne lâchait pas, sans trop savoir comment l’expliquer. Quelques heures plus tôt, il avait été prêt à tout lâcher, à se laisser mourir dans cette sombre clairière avant que Kryss ne le rappelle à l’ordre. Pourtant, à ce moment-là il disposait encore de sa liberté. Un bien dont il était désormais privé. Il n’avançait ni vers la rédemption ni vers la libération mais bien certainement vers un cauchemar encore plus sinistre que celui qu’il vivait en ce moment. Sa partenaire de corvée s’était à nouveau murée dans son mutisme qui la caractérisait si bien. Toutefois, cette fois-ci, le vétéran ne chercha pas à l’en extirper ; il se tourna plutôt vers les autres captifs pour faire la conversation. Tous semblaient provenir du village où ils s’étaient arrêtés la veille. Une communauté entière qui avait ainsi été réduite à néant, tous ses habitants étant désormais morts ou aux mains de l’ennemi.
Une femme vint l’implorer : “Messire ! Je vous en prie Messire ! Aidez-nous je vous en supplie.”
Visiblement mal à l’aise, le soldat détourna le regard sans répondre mais la villageoise insista. Elle s’agrippa à la cape du cavalier, l’agitant sous les yeux de ce dernier comme pour lui rappeler le rang qui était sien, lui remémorer son devoir. “Vous êtes quelqu’un d’important non ? Vous pouvez forcément faire quelque chose pour nous ?”
D’un geste brusque, et sur la défensive, Eopren recula, s’arrachant à la prise de la femme qui manqua de trébucher.
Le vieux soldat s’éloigna du reste du groupe pour, lui aussi, s’enfermer dans le silence. Visiblement, l’envie d’échanger avec les autres lui était subitement passé.
La teneur de l’échange, cependant, n’échappa aux deux guerriers Dunlendings qui se trouvaient non loin.
On vint le chercher quelques minutes seulement après l’annonce d’une courte pause pour le repas de la journée. Le soleil était encore haut dans le ciel et la colonne s’était arrêté près d’un amas rocheux qui surplombait une vaste étendue de plaines verdoyantes. Les restes du souper de la veille furent servis aux prisonniers en quantités rationnées ; un maigre réconfort qu’Eopren ne put entrevoir. Alors qu’il venait de s’installer au côté de Kryss, prêt à lui demander ce qu’elle avait bien pu mettre dans cette foutue marmite pour refuser d’avaler quoique ce soit ; deux cavaliers Dunlendings, fidèles du Héros de la Verte Vallée, s’approchèrent d’eux. “Toi, l’officier ! Viens avec nous !”
Le vétéran lança un regard inquiet à la jeune femme mais ne prononça pas le moindre mot et se contenta de suivre en silence les deux guerriers. Kryss put les observer s’éloigner en direction de l’avant-garde. Puis son attention fut détournée par une petite main qui tirait sur le haut de l’ancienne Ombre.
Une petite tête blonde s’était discrètement approchée d’elle. La gamine avait survécu à sa première nuit de captivité, mais, seule, combien de temps pouvait-elle endurer toutes ces horreurs ? S’approcher d’un visage familier, malgré la tournure étrange de leur première rencontre, était somme toute naturel pour un enfant de son âge. Après tout, n’avait-elle pas vu Kryss tenter de sauver sa famille lors de l’assaut ?
Elle blottit sa petite tête contre l’épaule de Kryss, en quête d’un réconfort que l’assassine n’était peut-être pas en mesure d’offrir. Entre deux sanglots, l’enfant répétait : “J’ai peur…Maman…j’ai peur.”
Visiblement les Dunlendings avaient décidé de ne pas tuer Eopren, du moins pas pour le moment. Le vétéran fit son retour, toujours encadré par les deux colosses et avec une moue bougonne sur son visage. Sensiblement contrarié, ce qui dans un sens, indiquait qu’il allait relativement bien et avait recouvré assez de forces pour avoir envie de râler. Quoiqu’on lui ait fait subir, cela n’incluait ni torture physique ni abus corporels.
L’un des guerriers pointa du doigt Kryss : “Toi ! Avec nous ! La gamine reste là.”
Là encore, il était bien inutile de résister et on la conduisit de force jusqu’à la tête du peloton où le chef de l’expédition s’était établi. Malgré ses blessures, on la fit grimper jusqu’au sommet de l’amas rocheux. Là-haut l’attendait la silhouette élancée de Tolkfrän. Celui-ci scrutait la colonne humaine qu’il menait jusqu’au Pays de Dun. Dans son regard émeraude, Kryss pouvait percevoir ce qui ressemblait à de la mélancolie ; ou alors à de la tristesse ? Vêtu de son heaume de bronze, le bas de son visage était visible laissant entrevoir une barbe blonde qui commençait à manger son menton.
D’un geste il congédia ses deux hommes et invita Kryss à s’asseoir sur une pierre légèrement plus lisse que les autres. Il lui tendit une outre et s’exprima dans un rohanais toujours aussi parfait. “Un peu de vin ? Tu peux boire ça ne craint rien.”
Face à la réticence de sa captive, le Héros porta le goulot à ses lèvres et but deux longues gorgées de boisson avant d’en proposer à nouveau. “Tu vois ? Je ne l’ai pas empoisonné ou quoique ce soit. Si je voulais te tuer, l’acier serait une alternative bien plus crédible.”
Il s’installa en face de la prisonnière, un bol fumant posé à sa droite. Le guerrier dévisageait la jeune rohirrim avec curiosité. L’homme parlait d’une voix calme et posée, qui aurait pu être rassurante en d’autres circonstances. Bien loin de la furie et du désespoir qui avaient animé le quotidien de la jeune femme depuis plus d’une journée.
“Helen ? C’est cela ?”
Il laissa à son interlocutrice le temps de répondre, puis reprit.
“Comment vont vos blessures ? Dès que nous arriverons à destination, nos meilleurs Drughu se chargeront de vous soigner. J’en fais le serment.”
Il lui sourit, là encore comme s’il cherchait à la rassurer.
“J’ai pu parler avec votre père, un sacré personnage. J’ai bien peur que toute cette affaire l’ait profondément affecté, son récit était un peu confus. Que fait donc un officier de la Garde Royale dans un village isolé de l’Ouestfolde quand son pays guerroie à l’Est ? Il parlait de rejoindre votre mère je ne sais où… Ses explications n’étaient pas très convaincantes mais peut-être pouvez-vous m’aider à comprendre…”
Tolkfrän se pencha légèrement en avant, plongeant ses yeux verts dans le regard gris de Kryss. “Où allez-vous vraiment Helen ?”
Avide de réponse, le Héros de la Verte Vallée insista. “Vous devriez tout me dire, Helen. Je suis le seul en mesure de pouvoir vous aider ici.”
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Que le chemin fut long, et pourtant elle avait bien conscience qu’il ne faisait que commencer. La faim lui nouant le ventre, l’esprit marchant à vide, la jeune femme marchait, son front chaud. Sans recevoir de véritables soins il était fort à parier qu’une de ses blessures s’infecterait. Elle penchait sur celle sur ses côtes gauches malgré le bandage que lui avait fait Eopren du mieux de ses capacités. Il avait resserré le tout pour arrêter le saignement mais…depuis les plus récents évènements il était fort à parier que la blessure s’était rouverte. Le pan de tissu contre sa peau était poisseux. Elle ne voulait pas le regarder en détail. La sensation suffisait parfois, à jauger de la gravité d’une blessure. Au point où elle en était, elle se demandait bien ce que cela changerait. Alors elle laissa une faible fièvre l’envahir, anesthésiant pour de bon ses pensées.
Eopren ne tenta pas de lui faire la conversation, commençait à la connaître suffisamment pour savoir qu’il ne lui en tirait rien. Peut-être que d’ici quelques jours, s’ils étaient encore en vie, elle se plairait à lui conter sa propre histoire. Courte, tragique, et parsemée d’ombres et de douleurs. Comme la vie de bien d’autres… Au moins elle eut connu dans sa jeunesse un foyer aimant, des parents exemplaires. Une sœur. Son premier amour. Le reste…au bout du compte le reste comptait peu. Ses rencontres, ses amants, ses entraînements, ses premières fois en tant qu’apprentie des Ombres. Et cette sensation si particulière, debout sur les toitures de la Cité Blanche quand la brume se teintait des milles couleurs de l’aurore. C’était là alors, son endroit de repos.
Lors de la pause pour reprendre quelques forces, ils lui furent servi à nouveau les restes. Ils s‘installèrent donc comme ils pouvaient mais bientôt des cavaliers vinrent chercher Eopren qui souleva des yeux surpris. Elle haussa les épaules. Elle ne lui avait pas demandé confirmation s’il comprenait la langue des sauvageons... Elle ne faisait que le soupçonner. Allaient-ils procéder à une interrogation de leurs prisonniers ? A quoi bon, cependant ? La moindre torture risquait d’achever leurs captifs tant leur santé était déclinante. Ils semblaient suffisamment bien connaître les terres vu la distance à laquelle ils étaient de la Trouée. Une fois de plus, Kryss ne put que deviner leur destination sans en être certaine… n’avait que des connaissances basiques sur le peuple réputé pour vivre par-delà les frontières avec le Rohan.
La jeune femme déclina une fois de plus la portion de repas, reposa son dos contre un rocher, ferma les yeux…laissant les rayons du soleil chauffer son visage… Elle sentit qu’on lui tirait sur sa tunique et elle ouvrit un œil. Fut un instant en état de choc à la découverte de la fillette qui avait survécu contre toutes attentes… Kryss ne savait par quel miracle…ou alors elle s’était trompée dans le poison employé ? Pourtant…pourtant bon nombre d’adultes ressentaient les effets…et les morts…
Elle la détailla un instant du regard, l’ausculta sans la toucher… ne trouva aucune trace de souffrance mis à part la tristesse immense ayant creusé des sillons humides sur ses joues salies par la cendre. Pourquoi ? Pourquoi elle ? L’ancienne Ombre passa en revue les quelques villageois assis autour d’elles. Ne connaissait-elle personne d’autre ? De mieux qu’elle ? Ils étaient censés être des familles aimantes et qui s’entraident dans ce satané village !
Elle voulut reculer mais ne put, acculée contre le rocher lui servant d’appui pour son dos. Elle se raidit cependant à l’approche de la fillette venant pleurer contre son épaule et la jeune femme crut défaillir tant son malaise était grand. Elle arrêta de respirer, toute confuse de la manière à employer, quelle réaction devait-elle avoir ? Elle était tout bonnement incapable de lui apporter le moindre réconfort !
Les paroles qui s’ensuivirent lui firent l’effet d’un bac d’eau glacé. La respiration se fit difficile… Comment…pourquoi…toutes ces questions se mélangèrent dans son cerveau embrouillé tandis que la vision de la mère s’imposait à son esprit. Un corps inerte sur le sol de leur fermette, dans une nappe vermeille croissante…Elle tourna son visage vers elle, blottit contre son épaule, et soupira. Elle fut incapable de lui offrir le moindre mot de réconfort, ou même une caresse affectueuse. Elle n’était pas une mère, ne le sera probablement jamais…
Mais de voir ainsi cette fillette chercher la sécurité de ses bras, Kryss eut une pensée pour sa sœur jumelle qui malgré tout, avait toujours cherché la jeune femme pour trouver une solution à ses problèmes. La dernière fois… cela lui avait couté beaucoup. Beaucoup trop. Kryss ouvrit avec lenteur la paume de sa main gauche, observa la fine trace blanche qui la traversait. La referma. Elle pencha à nouveau sa tête en arrière. Ferma les yeux, laissa à l’enfant l’illusion d’une présence forte auprès d’elle.
La jeune femme fut de nouveau tirée de son demi-sommeil par la voix reconnaissable d’Eopren qui visiblement avait regagné en force vu le langage fleuri employé. Elle l’observa en silence, ne bougeant pas d’un pouce pour ne pas réveiller la fillette qui s’était endormie contre son épaule à force de pleurs. Pas de nouvelle blessure, en tout cas visible. Elle haussa les sourcils à l’injonction de ces mêmes cavaliers. Elle claqua sa langue contre ses dents et se leva avec lenteur, une douleur vive dans ses côtes, attrapa avec douceur la tête de la gamine pour la coucher à même le sol comme elle put. Elle se releva ensuite et suivit les deux hommes en silence, son regard cherchant à calculer une fois de plus… mais cela semblait vain. Ils étaient trop nombreux et eux, trop faibles.
Peut-être que la torture n’était pas nécessaire, finalement, pesta l’ancienne apprentie des Ombres en bravant l’escalade d’un mont rocheux. L’effort physique, couplé à ses blessures, lui soutira les dernières forces qu’elle avait. Elle ne put profiter de la vue qui s’offrait à elle, sa main collée contre ses côtes, le souffle haletant. Elle prit place comme on lui avait indiqué bien que la moindre idée de suivre ainsi un ordre même pour son bien la révulsait. Elle détourna son regard de l’outre, pas disposée à obtempérer. L’accent de l’homme était presque absent et bien que son allure soit plus bienveillante que les barbares du bas, Kryss n’était pas convaincue. Il devait être de l’école que la douceur menait à la docilité de ses prisonniers. Un terme que Kryss avait espéré ne jamais utiliser pour la qualifier.
Une fois qu’il eut bu quelques gorgées, elle prit à son tour l’outre et répondit d’une voix particulièrement rauque et brisée, avec difficultés :
- D’autres ont essayé.
Elle n’avait pas besoin de plus de mots pour décrire son état actuel. Le sang avait séché dans ses cheveux, sur le haut de son front et avait fini par traverser l’épaisseur de sa tunique. Le vin lui fut une source de réconfort, même si cela n’était pas le meilleur qu’elle avait goûté. Non, le meilleur vin se trouvait dans les caves de Zak, son ancien mentor. Elle put presque sourire en repensant qu’il avait bien été le premier à la convaincre d’enfiler une robe depuis sa fuite du Rohan quelques années auparavant. Elle se demandait ce qu’il pourrait bien penser d’elle en la voyant dans pareil état. Son attention fut néanmoins redirigée vers le cavalier qui avait délaissé son heaume de bronze désormais. A sa première question, elle se contenta de hocher la tête en silence, reprenant une gorgée de vin avec lenteur. Ah. Au moins elle crèverait avec un semblant de luxure. Elle répondit à la prochaine question avec désinvolture :
- Si je tiens jusque-là.
Car le vin n’avait cependant pas vraiment aidé la légère fièvre qui semblait la poursuivre depuis la veille. Cela devait probablement se voir, sur ses fossettes légèrement rosies et le voile recouvrant ses pupilles. Mais son esprit, cependant, était encore suffisamment limpide pour jauger que l’échange qu’ils avaient actuellement n’avait rien d’anodin. Et pouvait déterminer si elle resterait encore en vie quelques heures de plus. Elle se retint de froncer les sourcils à la vue du sourire qui se dessinait désormais sur le visage du cavalier dont elle avait oublié le nom, si elle l’avait déjà connu. Kryss peu à peu se remettait dans son rôle, tenta de se souvenir des quelques bribes prononcées la veille par Eopren.
Il se rapprocha d’elle. Dangereusement. Elle soutint son regard, émeraude contre granit. Au premier de faiblir… Elle força une respiration régulière, impassible. Que cherchait-il à savoir, vraiment ? Pourquoi les interroger, eux deux ? Car ils n’étaient pas du village ? Car Eopren tenait trop à sa foutue cape décrépie ? S’ils devaient tenir ainsi un rôle jusqu’à leur destination ou leur dernier souffle…il fallait viser endurance. Ne pas trop dévier de sa personnalité naturelle. Juste un soupçon. Elle passa sa langue sur ses lèvres gercées pour les humidifier, et choisit avec soin ses mots, sans quitter des yeux le cavalier :
- Je n’ai pas son humour.
Fut sa première réponse, comme un croassement que quelques gorgées de breuvage ne sauraient atténuer en vue des dégâts infligés par ces bougres.
- Il me raccompagne auprès de ma mère, au Nord vers la forêt de Fangorn, avant de retourner au front.
Elle prit une pause où elle déglutit avec difficultés, sa main massant sa gorge endolorie.
- Nous étions juste de passage quand ils ont attaqué.
Et elle n’eut pas à feindre son sentiment d’impuissance face à une malchance si certaine. Car si elle n’avait pas pris la décision de revenir sur ses pas…si. Si. Et pourtant… rien n’aurait pu la convaincre qu’elle n’aurait pas fini tôt ou tard dans ces filets. Le Rohan savait-il à quel points les envahisseurs hardis attaquaient leurs terres, à l’Ouest également ? Ils étaient prit en entonnoir et peu de voie semblait sûre. Tout ça car elle avait voulu se venger de sa sœur.
- Que vous importe les détails de la vie d’une simple Rohirrim ?
Elle cracha les derniers mots :
- Alors que vous êtes les envahisseurs ?
S’il pensait avoir en elle un allié improbable, il se trompait. Kryss ne pouvait rien lui apporter. Et qu’importe si elle mourrait avec un prénom qui n’était pas même le sien. Une personne ici, une personne ici au moins le connaissait. Même si Eopren ignorait presque tout d’elle… rien d’autre, vraiment, que son prénom sans même son nom de famille. Et qu’elle venait d’ici. De ces terres. Et si elle pouvait choisir, avoir un choix dans son avenir…elle préférait que son cœur demeure ici. Qu’il nourrisse la faune de ces collines, alimente les plaines vertes du Riddermark. Elle n’était pas la plus loyale ni la plus fervente. Elle n’était plus grand-chose dans sa vie, autre qu’une apprentie déchue, une âme sans destination, une femme sans époux ni enfant. Elle était Kryss Ganaël. Rohirrim.
Nombre de messages : 1082 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
La jeune femme avait du cran. Les gens du Rohan étaient réputés pour leur caractère bravache mais voir ainsi une captive défier le regard et les mots de celui qui pouvait disposer de sa vie était chose rare, y compris dans le Riddermark. Cela, pourtant, ne semblait pas déranger le Héros Dunlending qui paraissait presque ravi d’avoir enfin trouvé un peu de répondant après ces longues semaines passées à ne récolter que la terreur et les supplications de ses victimes.
Helen parlait d’un ton cassant, ne répondant que par des phrases brèves et directes au question de Tolkfrän. Ce dernier la laissa présenter son histoire qui lui arracha un petit sourire. Il n’avait pas eu besoin d’insister bien longtemps pour mettre à jour le mensonge. “Votre mère, au Nord vous dîtes ? Comment se prénomme-t-elle ?”
Avant qu’elle ne puisse lui répondre par un nouveau mensonge, l’homme lui indiqua d’un geste que c’était inutile. N’importe quel nom qu’elle pouvait lui donner ne concorderait certainement pas avec celui qu’un Eopren, mal en point, lui avait craché au visage quelques minutes plus tôt.
“Abrégeons les faux-semblants. Il n’y a aucune mère aimante qui vous attend au foyer. Cet homme n’est probablement pas votre père. Et vous n’êtes certainement pas “une simple rohirrim”.
Il laissa ces derniers mots en suspens pendant de longues secondes, entretenant volontairement un certain flou sur ce qu’il entendait par là. Laissant Kryss ruminer ces paroles, il se saisit du bol de potage fumant posé près de lui et le porta à ses lèvres. Il en avala quelques gorgées d’un air satisfait. Il n’avait quasiment rien avalé depuis la veille et malgré sa composition douteuse, ce déjeuner était plus que bienvenu. Il s’essuya la bouche d’un pan de la fourrure de cervidé qu’il portait par-dessus son armure.
“Des envahisseurs ? Peut-être pour vous et tous ces pauvres gens désormais captifs. Je le concède. Mais dans ce cas-là comment qualifier ceux qui depuis de si longues années dépassent allègrement leurs frontières pour venir terrifier nos femmes et nos enfants ? S’assurant que le peuple voisin ne puisse jamais prospérer et vivre en paix. Si la haine gagne encore le cœur des miens, c’est qu’elle a été nourrie depuis trop longtemps.”
Tolkfrän poussa un soupir de regret alors que son regard se tourna momentanément vers les plaines du Riddermark.
D’un air mélancolique, le guerrier ajouta :
“Je le regrette amèrement.”
Passé ce moment d’égarement, le chef Dunlending reporta immédiatement son attention sur sa prisonnière et poursuivit d’un ton plus cassant et autoritaire.
“Mes hommes m’ont parlé de ce qui s’est passé pendant l’attaque. Ils n’ont pas l’éloge facile, en particulier envers les femmes. Mais la façon dont vous avez combattu, neutralisant plusieurs de nos meilleurs guerriers vêtus d’une simple chemise de nuit…Cela, une simple rohirrim n’en serait pas capable.”
Il se pencha légèrement en avant et retira son heaume qui dissimulait la moitié de son visage. Il semblait plutôt jeune pour un homme avec de telles responsabilités ; une trentaine d’années tout au plus. Quelques rares cicatrices marquaient ses traits harmonieux mais elles étaient bien peu nombreuses ; les ennemis qui avaient été capables de le blesser se comptaient sur les doigts d’une main. Désormais, Kryss pouvait clairement distinguer ses yeux d’un vert éclatant et sa chevelure de la couleur de la paille. Au contraire de ses camarades, le Héros de la Verte Vallée aurait très bien pu passer pour un cavalier du Rohan.
D’une voix adoucie, il ajouta : “Vous me cachez quelque chose…Et je le comprends. Je suis peut-être votre ennemi mais également votre meilleure chance de vous en sortir vivante ici…Qui êtes-vous vraiment?”
The Young Cop
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Le vent soufflait sur le mont rocheux sur lequel ils étaient perchés, arrachant quelques tremblements à la jeune femme blessée qui tentait de trouver une position qui lui fut moins douloureuse. Un peu sur le côté ? Non…non grimaça-t-elle tandis qu’elle ajustait son assise pour soulager sa côte. Elle expira longuement entre ses lèvres gercées et fit de son mieux pour cacher sa faiblesse, un voile sur ses pupilles et les joues rosies. Ainsi au sommet des rocs où ils n’étaient que deux… cela aurait pu dépeindre un tableau poétique. Mais il n’en était rien.
Le barbare avait donc percé ses mensonges. Cela ne l’étonnait guère… sans avoir échangé avec Eopren il était quasiment impossible de concocter une histoire tangible avec suffisamment de détails pour qu’elle soit plausible. Elle aurait pu, aurait du probablement converser avec le cavalier du Rohan pour établir un plan même bancal… mais alors le souper était arrivé et… et Kryss, peu bavarde, n’avait pas été disposée à entamer la moindre conversation après ce désastre. Un rictus se dessina sur les lèvres de l’ancienne apprentie des Ombres mais elle ne se démonta pas, tandis qu’un signe de la main du Dunlending lui indiquait de laisser tomber les subterfuges. Son regard d’argent continuait de le fixer en silence.
Bien. Elle était trop affaiblie pour ces conneries, de toute manière.
Elle encaissa les paroles suivantes qui ne firent que ressortir sa solitude. Pas de mère aimante qui l’attendait, pas de père non plus et personne d’autre, à vrai dire. Pour ce que cela aurait changé… Elle continuait de l’observer tel un chat sauvage sur la défensive, accoudée à un rocher qui ne faisait rien pour apaiser ses blessures. Son bras gauche pendait lamentablement sur ses jambes mais elle fit de son mieux pour apparaître confortable face à ce guerrier qui abattait ses défenses l’une après l’autre. Elle en aurait bien repris, finalement, de ce vin…
Son regard alors fut attiré par le bol fumant qui ne ressemblait en rien au ragout qui lui avait été présenté. Ce repas… ce repas était comestible. Et chaud. La faim la tiraillait affreusement à ce stade et elle eut bien du mal à se concentrer sur les propos de son tortionnaire. Ne pas faiblir. Ne pas faiblir. Elle se mordit la lèvre pour s’empêcher de répondre aux propos de l’homme assis en face d’elle à l’air rêveur. Elle n’en avait que faire de son peuple et ne connaissait rien des enjeux militaires ou politiques entre les deux territoires. Pourquoi se soucier des autres alors qu’elle avait déjà bien du mal à assurer sa propre survie ? Les hommes n’étaient pas loyaux ni fidèles et ne méritaient pas qu’on s’enquiert de leur sort. Le sens moral et l’honneur ne remplissaient pas un ventre vide après tout.
Le ton changea ensuite, dévoilant la véritable intention du guerrier barbare. Cette voix autoritaire arracha un sourire à la jeune femme qui le toisait d’un air de défi. Il ne lui restait bien plus que sa fierté ici, à la merci d’un étranger. Ainsi les sauvageons avaient fait son éloge. Oh elle avait du être une vision vengeresse en nuisette dans cette nuit éclairée seulement par les flammes. Un léger rire s’échappa de sa gorge qui se transforma en toux cependant. Foutue gorge. Avec difficultés elle se releva tandis que le guerrier enlevait son heaume pour lui faire face véritablement. Il était pas mal…pour un blondinet. Kryss s’avança vers lui et… sans le quitter du regard, attrapa de sa main droite le bol de potage encore chaud à ses côtés et le porta à ses lèvres. Elle le finit avec lenteur, se délecta de la chaleur qui se propagea dans sa gorge et son buste, apaisant les tremblements de froid qu’elle ressentait. Elle n’en avait cure que ce repas ne lui était pas destiné. Elle reposa le bol en silence et passa sa manche sur sa bouche. Il avait demeuré assis et Kryss lui lança de haut :
- T’veux que je te montre quelques prises ? J’ai plus ladite chemise de nuit…malheureusement…
Et son air moqueur n’atteint pas tout à fait ses yeux d’argent terni par les blessures et l’épuisement. Son regard alors s’orienta pour la première fois vers la vue splendide qui s’étalait à leurs pieds. Un panoramique des plaines du Riddermark qui s’étendait à perte de vue de part et d’autre du mont rocheux. Des forêts ancestrales, au loin… une rivière serpentant paresseusement entre les collines. Son pays natal était beau et paisible. Vu de haut. Et ces nuances de vert…. Lui manqueront certainement, dans son monde en noir et gris.
La voix douce du guerrier semblait lointaine désormais… elle pouvait sentir pourtant sa proximité à ses côtés, qui l’observait. Que répondre à cette question? Qui était-elle, vraiment ? Une question qui semblait la hanter depuis des jours et des semaines maintenant. Une question à laquelle elle n’avait pas la réponse. Voulait-elle-même sortir vivante de cette épreuve ? Sa main sentait encore l’impact de la joue d’Eopren lorsqu’elle l’avait giflé sans ménagement le jour d’avant. Un rappel à l’ordre. Et elle aurait volontiers proposé la sienne en échange aujourd’hui pour qu’il lui rende la pareille. Une lassitude s’emparait de la jeune femme qui refusait de tourner son dos au guerrier, mais s’éloigna cependant de quelques pas pour s’asseoir au rebord du précipice. Du coin de l’œil elle pouvait encore apercevoir sa silhouette assise. Cela était suffisant.
- Bientôt mon nom n’aura plus aucune importance.
« Il n’en a jamais eu » poursuivit-elle en pensée. Une personne se résumait-elle en un nom ? Si elle le lui livrait, là, en cet instant, la comprendrait-il ? Devinerait-il son passé, ses blessures, ses obstacles ? Connaitrait-il alors ses tourments et ses plus grandes peurs ? Car c’étaient bien là les seules informations qui pourraient intéresser un ennemi. Non pas ses espoirs, ses amours, ses intérêts. Non pas ses goûts, ses préférences, ses rêves. Elle contemplait le paysage qui s’offrait à elle et bien qu’elle le trouvait d’une beauté paisible, elle l’aurait volontiers troqué pour les toits d’une citée fourmillante de vies et d’opportunités. Pour une aube prometteuse. Elle aurait échangé ce vert contre du rouge. Ce bleu contre l’argenté des astres. Elle reprit sur une voix calme qui bientôt fut emporté par le vent qui secouait sans relâche sa chevelure sombre :
- Je n’ai rien à cacher car je ne suis personne.
Et que le zéphyr des plaines emporte avec lui ce triste aveu.
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La jeune femme avait choisi de répondre de façon laconique et bien vague à ses questions. Le Héros Dunlending ne s’en offusqua guère, il s’était plus ou moins attendu à cela. Ses hommes venaient de massacrer un village entier sous ses yeux, de prendre en captifs femmes et enfants, et de lui prendre sa liberté. Il n’y avait aucune raison logique pour qu’elle lui fasse confiance. Il le comprenait. Construire une certaine forme de confiance réclamerait bien plus de temps et de travail.
Tolkfrän n’esquissa pas le moindre geste quand elle se leva pour manger de son propre bol encore fumant. La faim la tiraillait et le guerrier aurait pu commencer par lui proposer de manger un peu avant de l’assaillir de questions. La Rohirrim s’était ensuite légèrement éloignée, tournée vers le panorama qui s’offrait à eux depuis leur promontoire. De son regard argent, elle fixait les plaines du Riddermark d’un air triste.
Ses paroles furent brèves mais lourdes de sens, trahissant le profond mal-être qui semblait habiter la belle captive. Au fond, si elle refusait de dévoiler son identité à son interlocuteur, n’était-ce pas avant tout car elle ignorait elle-même ce qu’elle était réellement ? “Personne ? Qu’on le veuille ou non, nous venons tous de quelque part. Un lieu où certains ont connu la joie, d’autres la souffrance. Pourtant, il est bien inutile de chercher à fuir ce que l’on est. L’accepter pour pouvoir mieux changer, telle est la seule solution. Une leçon que j’aurais mis bien longtemps à apprendre.”
Le guerrier Dunlending se redressa et remit son heaume. D’un pas lent, il s’éloigna de quelques mètres en direction de sa garde rapprochée. Il avait laissé son déjeuner encore chaud derrière lui, à la disposition de sa prisonnière. “Ne tardez pas trop à rejoindre les autres. Nous n’allons pas tarder à reprendre la route, la Trouée n’est plus très loin.”
Le départ fut donné quelques minutes seulement après le retour de Kryss parmi la colonne humaine d’otages rohirrim. Certains avaient pu reprendre quelques forces pendant ces quelques minutes de répit, d’autres pourtant ne semblaient pas en état de repartir. Perclus de maux de ventre, où souffrant d’insolations provoquées par l’intensité des rayons du soleil qui frappaient sur un terrain où les zones d’ombres se faisaient bien rares.
Les hommes d’Ulfgand, toutefois, ne s’embarrassait pas de l’état de santé de leurs otages et usèrent de leurs longs bâtons pour faire avancer tout le monde. Pour Eopren, dont la blessure avait pris une teinte violacée inquiétante, la reprise de la marche fur particulièrement pénible. Serrant son bâton de marche dans sa main droite comme si sa vie en dépendait, il avançait péniblement, lâchant un grognement à chaque foulée. Plus d’une fois, il laissa échapper des jurons particulièrement vulgaires sans se soucier de la petite tête blonde qui marchait près d’eux et ne les quittait plus désormais.
L’enfant suivait Kryss comme son ombre, se réfugiant derrière l’ancienne assassine ou son prétendu père dès qu’un des gardes vêtus de peaux de bêtes s’approchait près d’eux.
Au bout de quelques minutes de marche, le vétéran rohirrim décida enfin de briser le silence glacial qui s’était installé entre eux depuis quelques heures. “Il te voulait quoi le beau sauvage ? J’parie qu’il a pas gobé notre histoire familiale hein ?”
Alors que Kryss reportait son attention sur lui, sa jambe blessée glissa légèrement sur un rocher et le guerrier manqua de trébucher, s’agrippant à son bâton pour éviter de se retrouver face contre terre. “Bordel, j’vais pas faire long feu moi !”
Il se releva péniblement et plongea son regard sombre dans celui de la jeune femme. Pour la première fois, celle-ci pouvait y lire une once de colère à son adresse. “Tu sais j’vais probablement mourir d’une infection de merde ou la gorge tranchée par un de ses sauvages après avoir craqué et tué deux d’entre eux. Quoiqu’il se passe j’me donne pas cinq jours ici, mais nom d’une fiente de Méaras j’aimerais bien que ces cinq derniers jours se déroulent en meilleur compagnie qu’une morte-vivante de la sorte.”
Son ton s’adoucit légèrement :
“Pour être franc, chai pas si je le mérite pour mes derniers jours. Mais elle, elle a besoin de voir autre chose que nos mines de condamnés. ”
D’un geste du menton, il désigna la petite silhouette qui les fixait désormais de ses grands yeux verts.
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