Des traces de pas dans la neige semblaient s’approcher d’un hameau isolé. Ici, le monde semblait entièrement peint en dégradés de noir et de blanc. Seul le bruit du vent et le crissement de la neige sous les bottes perturbaient le calme environnant. La silhouette encapuchonnée avançait, inlassablement, d’un rythme qui ne semblait nullement affecté par les bourrasques glacées. C’était là la démarche d’une personne déterminée. Elle ne s’arrêterait pas. Elle n’avait que trop attendu et cherché. Plus d’un an de recherches infructueuses. Elle avait vu passé chaque saison, constaté la dégradation du cuir de ses bottes, usagées par tant de marche. Elle avait même laissé derrière sa jument, trop reconnaissable. Sa cible l’aurait vu venir et s’il y avait bien une chose qu’elle refusait de sacrifier, c’était sa revanche. Cela faisait des années qu’elle n’avait plus mis les pieds dans son pays natal et ces paysages lui causaient désormais des sentiments aigres doux. Un pincement dans le cœur inexplicable. S’agissait-il de nostalgie, de regret ? Elle avait quitté Minas Tirith à l’automne de l’an 300 du Quatrième Age après avoir complété son entraînement avec Zak, même si elle n’avait jamais su vraiment s’il s’agissait là de son véritable nom. A son départ, son maître lui offrit une dague ornée d’une pierre de lune, qu’il déclara être de la même couleur que les yeux de la jeune femme. Pour la première fois depuis des années, elle s’était inclinée de gratitude envers un homme.
Son souffle rendu brusque par la marche soutenue, expiait des nuages de buée et lui brûlait la gorge. Elle y était presque, elle y était enfin. Bientôt, oui bientôt, le dernier lien qui la retenait à son ancienne vie sera brisé. Elle pourrait se reconstruire, s’il restait quoi que ce soit d’elle à sauver… Elle aperçut bientôt une lumière vacillante à travers les volets d’une ferme modeste mais bien entretenue et entendit le ruminement de bêtes ensommeillées dans l’étable non loin. Cela faisait des jours qu’elle observait les va et viens des habitants de cette demeure. Elle n’aurait qu’un essai. Beaucoup l’auraient trouvé trop précautionneuse. Après tout, que pouvaient bien faire un couple de jeunes fermiers face à elle ? Personne ne l’attendait, tout le monde l’avaient oublié, elle n’était qu’un fantôme dont on craignait de prononcer le nom devant l’âtre. Une page d’un livre que l’on a arraché. La silhouette calma sa respiration et glissa dans les ombres derrière le bâtiment pour se diriger vers le puit. Bientôt, les habitants de cette demeure, en particulier une, viendra accomplir sa dernière tâche journalière pour abreuver leur bétail. Le partenaire ira chercher du bois vers l’avant de la maison. Les nuits étaient bien fraîches après tout, le feu devrait être entretenu…
Elle se recula quelque peu et trouva la position idéale pour attendre et surprendre sa cible. Bientôt, comme une horloge mécanique, elle entendit le claquement d’une lourde porte en bois et le bruissement de jupes de laines lourdes et empressé. La silhouette d’une jeune femme ne tarda pas à apparaître et se diriger prestement vers le puit pour expédier sa dernière besogne. La silhouette se releva dans un silence absolu, craignant que même le bruit de sa respiration puisse trahir sa présence. Elle s’approcha doucement, son cœur frappant durement dans sa poitrine. Elle cligna une fois des yeux, effaça toute distraction de son esprit. Ses mains se refermèrent sur sa cible tel un oiseau de proie, son gant de cuir pressé fermement contre la bouche de la victime pour éviter tout cri. La femme sursauta, lâcha son seau, un gémissement faible s’échappant de ses lèvres. Le fantôme attelé à son propre labeur traina en arrière sa cible vers l’arrière du bâtiment. D’un geste précis avec assurance, elle passa un bâillon à la jeune femme et se servit d’un anneau de métal pour bétail pour l’y attacher les mains après l’avoir jeté sans ménagement sur le sol. Elle n’avait rencontré quasiment aucune résistance et en ressentait même de la déception. Elles étaient de carrures égales, elle aurait pu au moins essayer de se débattre, n’étaient-elles pas semblables après tout ?...
Elle s’accroupit enfin devant sa victime, prit un instant pour l’observer, et leva sa main avec lenteur vers sa capuche pour l’abaisser. Les yeux s’écarquillèrent d’étonnement et un hoquet se bloqua dans sa gorge. La femme tenta de se relever, tira sur ses entraves et la traqueuse eut un rictus en voyant la panique enfin envahir la femme devant elle. Sa sœur jumelle. Enfin. Elle écarta sa cape sur le côté et sa main se referma doucement, avec délectation, sur la lame ornée d’une pierre de lune qu’elle fit sortir avec une lenteur toute contenue, appréciant le bruit envoutant de la lame d’acier glissant contre le fourreau, sa poitrine se gonflant par toutes les perspectives qu’une si petite lame lui offrait… Elle la leva avec cérémonie et la présenta à sa sœur en silence. La terreur envahissait désormais le regard de Lehaly. L’experte s’approcha avec douceur de sa double et utilisa sa lame pour dénouer la cape de sa victime. Elle se débattit et reçut en guise d’avertissement une pression infime de l’arme contre sa jugulaire, sans même percer sa peau de porcelaine. Elle plongea son regard dans le sien et malgré leurs similarités, elle eut l’impression d’avoir en face d’elle une parfaite étrangère.
Ses yeux d’un gris clair avaient chez sa sœur une teinte chaleureuse là où le sien était d’une froideur exceptionnelle. Ses longs cheveux noirs étaient tressés et le rosé d’une femme aimée venaient réchauffer ses pommettes hautes. Elle était plus belle que jamais, devenue une femme aux formes voluptueuses et assumées. Elle descendit son regard et soudainement une rage sourde l’envahit. Sa main voleta brusquement et encercla avec poigne la gorge vulnérable de sa cible, sa victime, cette inconnue. Comment osait-elle ? Elle sentit sous ses doigts la pulsation précipitée de son cœur, la chaleur de sa peau. Elle se débattit désormais avec force, l’anneau de métal claquant contre le mur de la bâtisse. La traqueuse quant à elle était devenue sourde à ces plaintes et se concentra tout entièrement sur le médaillon que la fermière avait l’audace de porter sur sa poitrine. Il s’agissait là d’un collier en or terni où étaient gravés les initiales « K & L », jumeau de celui qu’elle portait elle-même. La traitresse osait-elle seulement se considérer sa sœur, après l’avoir trahie et volé sa vie, s’être enfuit avec son promis ? Sa lame, devenue légèrement tremblante, trancha d’un coup sec la cordelette et elle récupéra le médaillon qu’elle glissa dans la poche intérieure de sa cape. Sa prise se referma autour de la gorge de sa sœur. Le battement semblait s’apaiser doucement et son regard devint vitreux, à la limite de l’inconscience.
La femme se recroquevilla sur elle-même et sa cape s’ouvrit. L’assassine tressaillit en apercevant son ventre. Elle était enceinte. La nausée l’envahit, mêlé d’une colère indéfinissable. Elle aurait du porter ce bébé, c’était le sien. Cela aurait dû être sa vie. Lehaly s’évanouit et son corps se relâcha sous les doigts de Kryss, livide. Ses pensées s’embrouillèrent dans son esprit et les émotions s’y bousculèrent. Après une hésitation, elle releva sa main pour vérifier le pouls de sa sœur. En vie. Elle inspira alors profondément et l’observa encore un instant à ses genoux. Inconsciente, frêle, impuissante. Faible. Voulait-elle seulement lui ressembler, désormais ? Elle se releva lentement et une nouvelle résolution s’inscrivit dans son être. Sa main remonta sa capuche sur sa tête et plongea son visage dans l’ombre.
**
La taverne était bruyante et la fumée abondante faisait pleurer les yeux de plus d’un homme. Il était encore tôt dans la soirée mais les rires étaient déjà nombreux et le niveau d’humour dénotait bien le niveau de consommation excessive des clients réguliers de l’enseigne. Dans un coin un peu reculé était assise une jeune femme tout de noir vêtue, les deux pieds nonchalamment perchés sur le dossier d’une deuxième chaise, sous le regard désapprobateur du propriétaire. Elle n’en avait que faire. Devant ses yeux balançaient deux médaillons jumeaux d’un or poli consciencieusement.
Dernière édition par Kryss Ganaël le Ven 1 Mar 2024 - 22:30, édité 3 fois
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1079 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Malgré sa position quelque peu reculée dans les terres du Rohan, la salle à manger de l’auberge du vieux Alworn n’était que rarement vide. Au fil des ans, l’établissement était devenu un point de passage obligatoire pour voyageurs et soldats éprouvés par de longs jours de voyage dans les plaines de Riddermark et qui désiraient manger un repas chaud et dormir dans des draps relativement propres. Certains en profitaient même pour se laver bien que la salle d’eau fût souvent bien plus vide que le réfectoire. Campé derrière son comptoir, le propriétaire des lieux observait avec satisfaction l’agitation qui régnait alors que l’on commençait à servir le souper. Des rires gras, des blagues grivoises, des chansons locales et de la joyeuse compagnie; un quotidien assez simple qui l’emplissait d’une joie sincère à chaque fois qu’il allumait les fourneaux et commençait à distribuer des chopines bien remplies. Le Rohan n’avait pas été épargné par les malheurs ces dernières années et beaucoup étaient prêts à payer bien plus que le prix d’une nuit à l’auberge pour quelques heures de relâchement dans une atmosphère joviale. Pourtant, parmi tous ces clients, deux d’entre eux semblaient moins enclin à participer à la fête. Il ne s’en inquiétait pas particulièrement; après tout, il n’était pas rare de voir des voyageurs plus taciturnes voire carrément muets, venus prendre un repas avant de reprendre leur route sans échanger le moindre mot avec quiconque. Ce soir-là, les deux bougons de service étaient assis aux deux extrémités de la salle. Il y avait une jeune femme qui avait passé sa commande sans lui adresse le moindre sourire et n’avait pas daigné répondre aux question d’Alworn qui s’était enquis de ses origines ou de sa destination. Elle l’avait simplement remercié quand elle avait reçu son plat et ne lui avait plus adressé un regard. Elle semblait plutôt séduisante mais affichait un teint étrangement pâle et un air aussi triste que glacial qui avait mis mal à l’aise l’enjoué tavernier. De l’autre côté se trouvait un énergumène bien plus bruyant dont le visage rougeaud disparaissait progressivement derrière la montagne de chopine vides qu’il avait englouti. Ses cheveux graisseux dispersés en bataille masquaient partiellement des traits marqués par les années et les épreuves. Un genre de profil que l’on retrouvait également régulièrement dans les établissements de voyage et qu’il fallait savoir maîtriser pour éviter tout débordement. Ce qui fut le cas lors des premières heures de la soirée, l’homme se soula rapidement mais l’ambiance restait agréable alors qu’il se mettait à conter ses exploits fantasmés dans l’armée du Rohan aussi fort qu’il le pouvait pour couvrir le brouhaha ambiant. Le vagabond n’avait ni la prestance ni l’allure d’un fier cavalier de la Marche; cependant les épaulières et les brassards qu’il portrait ressemblait aux restes d’une armure complète de soldat et la longue cape verte et doré qu’il avait au dos, sale et poussiéreuse, était caractéristique des guerriers d’élite. S’agissait-il d’un vétéran venu noyer ses traumatismes passés? Alworn ne s’en souciait pas vraiment. La guerre civile avait laissé de nombreuses traces sur tous les habitants du Rohan, chez certains elles étaient plus extériorisées que chez d’autres, mais tous partageaient ce fardeau.
Toutefois, l’ambiance tourna rapidement au vinaigre quand le vagabond commença à s’emporter contre un groupe de jeunes clients qui avaient osé douter de la véracité de ses histoires. “Ah jeunes pédants! Que savez-vous de la guerre vous? Rien!”
Il reprit une longue gorgée de cervoise et répéta avec un grand geste des deux bras.
“Rien du tout!”
La colère de l’ivrogne provoqua l’hilarité du groupe d’amis qui lui répondirent avec une flopée de commentaires désobligeants. C’en était trop pour l’homme à la cape qui, sans crier gare, se leva brusquement, lança sa choppe qui rebondit sur le crâne luisant de son voisin de table et empoigna son interlocuteur le plus proche. Un de ses amis tenta de lui venir en aide mais l’agresseur alcoolisé l’en empêcha en envoyant valser sa victime dans sa direction.
Alworn en avait trop vu. L’aubergiste échangea un regard avec l’un de ses clients habitués, un immense colosse de près de deux mètres. Il était temps de mettre fin au combat et d’évacuer le danger. Le géant asséna un prodigieux coup de poing au fauteur de trouble, plus pour le neutraliser que pour relancer la bagarre. Celui-ci tituba mais resta debout, l’aubergiste et son complice cependant eurent tôt de faire de le saisir par les épaules. ‘Pas de ça chez moi! Je t’avais prévenu! Allez dehors!”
Fou de rage, l’homme se débattait vainement et se mit à crier. “Vous n’y connaissez rien! La guerre! Les morts! Qu’en savez-vous? Avez-vous déjà oublié la guerre civile? Alors vous n’êtes pas prêt pour celle qui arrive?”
Surpris par cette dernière déclaration, le colosse s’arrêta un instant, les sourcils froncés. “Celle qui arrive?”
Une expression étrange illumina alors la face du soûlard, à mi-chemin entre la satisfaction d’enfin avoir une oreille pour l’écouter et l’effroi de ce qui allait leur arriver. “Oh oui. Reprit-il. Les Dwimmen sont là. Ils sont déjà là, mettent l’Estfolde à feu et à sang. Et vous restez là à vous remplir la panse tranquillement.”
Un voile de peur couvrit alors le regard idiot du géant. “Les Dwimmen? Des …des spectres?”
D’un mouvement rageur de la tête, l’autre acquiesça sous les yeux exaspérés du tavernier qui décida de mettre court au dialogue naissant. “Allez Polssuf, tu vois bien qu’il est soûl comme une barrique! Aide-moi à le mettre dehors.”
Alors sous le regard observateur de Kryss, l’oiseau de mauvais augure fut rejeté sans ménagement. Elle qui avait réussi à s’éloigner du danger qui menaçait la Confrérie des Ombres au Gondor. Venait-elle de se diriger vers un danger encore plus grand? Le Rohan n’était plus le pays qu’elle avait connu dans son enfance; nation déchirée par des années de combats fratricide. Une situation encore fragile pour un peuple meurtri. Se pouvait-il qu’un nouvel ennemi cherchât à profiter de la faiblesse des Rohirrim? Quand bien même cela serait vrai, se pouvait-il vraiment que des spectres menacent le Riddermark?
Il pouvait bien s’agir de simples histoires rocambolesques sorties de l’esprit dérangé d’un ivrogne mais le doute subsistait. Pour en avoir le cœur net, il fallait le retrouver avant qu’il ne disparaisse dans la nuit.
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La jeune femme se releva légèrement sur sa chaise lorsque le tavernier lui apporta le plat chaud et le verre de vin rouge qu’elle avait commandé. Elle lui glissa quatre pièces dans les mains et esquiva toutes les questions qu’il lui adressait, souhaitant visiblement faire la conversation et en savoir un peu plus sur son histoire et ses affaires. Ses affaires ne regardaient qu’elle. Elle le fixa de ses yeux d’argent, sans daigner entrouvrir ses lèvres pour répondre à la moindre demande. Après quelques tentatives infructueuses, le malaise commença à gagner le pauvre homme qui finit par repartir sans plus d’informations que quand il était venu à sa table. Sa main se leva doucement pour prendre le verre de vin qu’elle fit remonter jusqu’à ses narines pour en sentir l’arôme. Il s’agissait là d’un breuvage passable à la hauteur du niveau attendu dans un tel établissement mais Kryss put déterminer qu’il n’allait au moins pas lui retourner l’estomac, elle y trempa donc ses lèvres. Le fumet qui ressortait de son plat était appétissant néanmoins. Après tant de jours et de semaines passées dans le froid et sur les routes, le moindre repas chaud lui apportait un réconfort indescriptible. Elle l’avait bien mérité. Elle fit glisser par-dessus sa tête les cordelettes sur lesquelles pendaient les médaillons jumeaux, et les fit passer sous son haut, à même la peau. Elle s’attaqua ensuite férocement à ces victuailles qu’elle engloutit sans effort de convenance.
Bientôt son attention fut attirée par du brouhaha particulièrement soutenu à l’autre bout de la taverne. Un homme semble-t-il avait le gosier bien arrosé et les cordes vocales bien fonctionnelles. Kryss soupira, elle n’aimait pas les gens bruyants. Elle tâcha de faire abstraction de cette nuisance, mais bientôt les tons s’échauffèrent et des raclements de chaises sur le sol laissaient présager une bataille imminente. Si on pouvait même appeler cela une ‘bataille’. Plutôt une échauffourée, une escarmouche entre ivrognes. La femme repoussa son assiette vide sur la table, reprit son verre qu’elle dégusta lentement, penchée légèrement en arrière de sa chaise, les pieds à nouveau en hauteur sur le dossier d’une deuxième que personne n’avait daigné lui enlever pendant son repas. Un rictus se dessina sur ses lèvres. Il n’y avait pas à dire, elle ne refusait jamais un peu d’animation. Son attention se porta sur l’homme qui déclamait de grands propos sur la guerre et avait empoigné un jeunot un peu trop joyeux pour se montrer raisonnable. Son regard se posa sur son uniforme décrépit, sur le symbole du Rohan qui avait toujours le mérite de lui faire ressentir un petit quelque chose…ainsi que sur la collection impressionnante de chopines vides sur sa table. Le teint de l’homme, rougi par l’alcool et sa voix tonitruante firent grimacer la jeune femme. Elle n’appréciait décidément pas ces personnes qui pensaient que le respect leur été dû et qui se noyait dans leur passé fantasmé et des rêves encore plus farfelus, pour lesquels ils n’oseront jamais lever le moindre petit doigt. Lorsque les premiers coups arrivèrent, elle nota mentalement l’emplacement de la bourse pendue à sa ceinture. Déformation professionnelle…
Le coup de poing que l’ancien soldat asséna à son pourfendeur eut le mérite de tirer un sourire à la jeune femme en produisant un claquement tout à fait convaincant. Il savait viser le bougre, malgré la bibine…Le tavernier ne manqua pas de réagir face à ce débordement en demandant vaillamment à un plus grand gaillard d’intervenir. Que savaient ils en effet des horreurs de la guerre ? Et que savaient-ils de la deuxième qui se passait alors en simultané, derrière les coulisses ? Les deux étaient cauchemardesques et il fallait un esprit solide pour s’endormir le soir en tenant éloigné ces visages et corps froids, ainsi que les hurlements de terreur et de douleur au loin… Kryss n’avait pas encore eu l’occasion de participer à ces grands conflits mais elle avait vu bon nombre de cadavres au cours de sa formation et sa liste de proies était déjà honorable pour son secteur d’activité. Elle commençait à avoir une petite réputation dans la Cité avant qu’elle ne décide de prendre la route pour enfin faire face à ses démons intérieurs. Maintenant que cela été fait, ses mains la démangeaient déjà à la perspective de renouer avec ses talents sombres. Elle haussa un sourcil à la mention de Dwimmen. C’était pour elle des contes d’enfants que les garçons du village aimaient lui raconter enfant pour essayer de lui faire peur. Cela avait marché, à l’époque. Elle sourit à l’idée qu’un adulte puisse encore prêter attention à de telles fables. Elle profita néanmoins de l’agitation générale pour finir son verre et empoigner sa cape pour sortir discrètement à la suite de l’homme. Elle remonta la capuche sur sa tête, et partit à la chasse…
La nuit était totalement tombée désormais et une brume avait envahie les ruelles de la bourgade. Kryss se délecta de ces sensations et se fondit dans les ombres, gardant une distance tout d’abord avec sa cible. En vue de la consommation excessive de cette dernière, elle devrait être une cible facile avec un petit pécule qui viendrait confortablement alourdir sa propre bourse. Elle observa un moment l’homme tituber et continuer dans ses divagations à voix haute, sa cape empoussiérée trainant légèrement sur les pavés inégaux. Elle ne prêta que peu d’attention à ces déclamations qui devenaient de plus en plus décousues. Elle s’émerveilla cependant devant sa capacité à se divertir seul dans la rue comme s’il avait devant lui un auditoire des plus attentifs. S’entrainait-il, pour quand l’occasion se présenterait ? Elle attendit de prendre une ruelle plus étroite sans fenêtres d’habitations pour raccourcir la distance qui les séparaient et alla à son ‘secours’ lorsque ce dernier trébucha à nouveau. Un bras le rattrapa avec force, tandis que sa deuxième main fila avec assurance pour décrocher la bourse du malheureux et la glisser dans sa poche en un mouvement. L’action en elle-même avait été fugitive et rapide, cependant la femme put déterminer avec déception que cette bourse ne pesait pas bien lourd. Quelques piécettes tout au plus…Cela ne suffirait pas, loin de là, à subvenir à ses besoins.
Si l’homme n’avait pas été éjecté de la taverne, il n’aurait pas tardé à partir de lui-même après avoir dépensé le reste de sa maigre fortune. La jeune femme n’arrivait même pas à en ressentir de la pitié pour cet ivrogne qu’elle tâchait désormais de soutenir avec un air conciliant.
- Monsieur, souhaitez vous de l’aide, pour vous raccompagner à votre logis ?
Peut être que cet ancien soldat avait un peu plus de ressources chez lui. Il était toujours intéressant d’obtenir ce genre d’informations pour une visite ultérieure, quand ses ronflements sonores viendraient perturber la quiétude nocturne.
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Le monde autour d’Eopren était devenu bien flou. Il titubait ainsi sur le sentier boueux, contraint de s’appuyer sur les murs à plusieurs reprises lors de sa pénible progression. L’obscurité de la nuit se mêlait à la lueur blafarde des quelques lanternes encore allumées à travers du hameau, créant une lente danse de lumière qu’il apercevait derrière le rideau gras que formait sa chevelure. Bientôt il sentit le goût de son propre sang envahir son palais. Cela venait-il de son nez? Ou de sa lèvre tuméfiée? Il n’aurait su le dire, tant l’entièreté de son visage le faisait souffrir. “La guerre est là…la guerre… pauvres fous!” répétait-il inlassablement d’une voix monotone et de plus en plus faible. Déclamant ses quelques mots dans un rythme régulier comme le refrain d’une triste mélodie.
Au coin d’une intersection, le pied de l’ivrogne buta sur un caillou pourtant pas bien grand et il manqua de chuter pour s’étaler entièrement sur la terre humide. Si un bras étranger ne l’avait pas miraculeusement retenu, il y avait fort à parier qu’il aurait passé le reste de la nuit dans cette position, bien incapable de se relever pour reprendre son périple. Quelque peu surpris, il tourna la tête en direction de cette bonne âme avec un grognement. Cela faisait si longtemps que quelqu’un avait manifesté un geste d’affection à son égard. Il entrouvrit la bouche, comme s’il s’apprêtait à la remercier mais la referma aussitôt. Il se contenta de dévisager longuement la jeune femme: de longs cheveux sombre, un teint pâle, des yeux d’un gris étrange et une silhouette menue. Il prit quelques secondes pour essayer de se souvenir s’il s’agissait d’une connaissance ou d’une proche, une réflexion particulièrement laborieuse mais il en arriva à la conclusion qu’il s’agissait bien d’une inconnue; et c’était tant mieux. Celle-ci fut la première à parler, lui offrant généreusement son aide pour regagner son logis. Une remarque qui arracha un rire gras au principal intéressé.
“Ma piaule? Ah! Elle est bien loin d’ici! Le Château d’Or est bien loin d’ici P’tite Pousse... Et je compte bien ne jamais y remettre les pieds!”
Instinctivement, il se libéra de l’étreinte de l’étrangère et s’écarta de quelques mètres. “Par contre vous feriez bien de retourner rapidement chez vous et de prévenir vos parents, votre mari ou qui sais je du danger qui nous menace. Ensuite vous feriez bien de m’imiter.”
Il renifla bruyamment avant de s’essuyer le visage à l’aide du revers poisseux de sa manche. C’était bien du nez qu’il saignait. “Foutre le camp le plus loin possible.”
Voir ainsi un guerrier portant la cape des Gardes Royaux du Rohan, unité la plus prestigieuse de l’armée, dans un tel état et cherchant à fuir sa patrie ainsi était quelque peu déroutant, voire inquiétant.
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La jeune femme brava le long regard de l’ivrogne sur elle et son visage, tâchant de le soutenir de son mieux. Le fou n’avait pas dû connaitre de pain de savon ou un baquet d’eau claire depuis bien des jours et la consommation généreuse d’alcool n’avait rien fait pour améliorer son état physique. Elle soutint son regard vitreux sans un mot et observa les marques de fatigue et d’inquiétude tirer sur ses traits. Un homme hanté, soit par des esprits comme il le déclame, ou bien par propre passé.
Elle eut un léger rictus à l’évocation du nom P’tite pousse. Cela faisait bien quelques années déjà depuis la dernière fois qu’on l’a traité comme une enfant vulnérable. Elle ne s’en offusqua guère, le bonhomme était tellement soul qu’il aurait confondu une vache avec un cheval. Il se dégagea et Kryss maintint un instant son bras relevé en cas de chute. Il vacilla un instant avant de se stabiliser. Elle ne put cependant retenir un éclat de rire :
- Parents ? Mari ? Je n’ai ni l’un ni l’autre !
Elle faillit ajouter « et c’est tant mieux ! » mais se tut. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas repensé à ses parents, pourtant encore en vie selon ses dernières informations. Elle se souvenait avec tendresse de son enfance, de ce foyer chaleureux où résonnaient les rires des jumelles chouchoutées par des parents aimants. La pensée pourtant s’éloigna rapidement de son esprit, comme les réminiscences d’une vie antérieure et lointaine. Un voile se posa sur ses souvenirs et elle remarqua qu’elle n’avait plus autant mal dans sa poitrine. Peu à peu la douleur s’estompa. Le temps finissait bien par guérir toutes les blessures.
Quant au mari…elle avait eu un mari en effet, une affaire d’une poignée de jours avant que le mariage ne soit annulé. Elle s’étonnait même d’avoir laissé le bougre en vie mais elle était si faible et fragile à l’époque... Une brute d’homme méritait il seulement qu’elle y dévoue plus de son temps et de son énergie à le traquer ? Elle ne ressentit même pas le besoin de revenir en arrière pour clôturer ce chapitre de sa vie. Les années avaient filé et même les cicatrices laissées avaient finies par disparaître totalement. Elle s’en était remise, et elle connut d’autres hommes depuis, d’autres femmes également…
Elle réalisa qu’elle se sentait enfin apaisée. Une paix intérieure l’avait gagné et elle profita de ce moment si durement gagné après tant d’années de souffrance et d’obstacles sur son chemin. Elle releva la tête et offrit son visage au clair de lune, un sourire aux lèvres. Elle ne s’était pas sentie légère depuis longtemps et elle aurait pu s’élancer sur les toits et virevolter sur les tuiles comme un chat espiègle. Elle était enfin sa propre personne et le dernier lien avec son passé avait été coupé. Elle se mettait doucement à chérir ce statut de fantôme. Le futur lui appartenait désormais et il pourrait être aussi sombre qu’aussi lumineux qu’elle le désirait. Cela été probablement dû à ce soulagement, ou bien aux longs mois passés sur la route mais Kryss se retourna vers le guerrier et engagea la conversation :
- Il y aura toujours une guerre, vieil homme. Nul ne sert de fuir.
Si les affaires ne se portaient pas mieux par les conflits en eux même, ils étaient toujours florissants en bordure et les opportunités ne manquaient guère. Il y aura toujours un conflit pour sûr, c’était là la nature même de l’homme et de leurs nombreux vices. Il n’y avait donc pas d’autres choix que de l’embrasser.
- Je suis fatiguée de fuir.
Elle ponctua cette phrase avec un sourire qui aurait pu passer pour chaleureux. Confiant en tout cas, pour sûr. Sa main, cachée sous sa cape, caressa doucement le pommeau de sa dague. A la prochaine visite dans une ville, elle devrait faire quelques achats pour remplacer son équipement perdu ou laissé derrière. Les affaires allaient reprendre pour le mieux. L’homme allait probablement la trouver folle ou au contraire simple d’esprit. Qu’à cela ne tienne, il ne se souviendrait très probablement pas d’elle au lendemain. Elle était même prête à parier ses quelques pièces qu’il se réveillerait avec un terrible mal de tête et il devrait déjà se considérer chanceux de voir un autre lever de soleil. Kryss, cette nuit-là, était d’humeur légère et sociable.
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Eopren lâcha un rire gras suite aux remarques de la jeune femme qui ne se laissait pas impressionner par l’agressivité et la carrure du soldat. “”Vieil homme”! Ah! Bien assez tôt, et sûrement bien plus vite que tu ne le penses, les rides marqueront ce joli minois et tu contempleras tes jeunes années, le cœur empli de regrets.”
L’arrogance de la jeunesse. Celle qui croyait savoir mieux que les sages. Celle qui croyait penser mieux que les érudits. Celle qui croyait mieux gouverner que les ministres. Eopren avait à peine dépassé la cinquantaine, pourtant, ces dernières années, tous ne le voyaient que comme un vestige, un brin honteux, d’un passé glorifié dans les histoires que l’on contait au coin du feu mais dont tous ces fringants cavaliers avaient honte quand il était personnifié. L’ivrogne avait été le témoin de tant de choses, et peut-être que sous cet océan de vin et de rudesse se cachait encore un puits de savoir, une expérience qui ne demandait qu’à être partagée et transmise mais qui ne trouvait nul réceptacle.
Soudainement pris de violentes nausées, Eopren se retourna vers le côté de la route et rendit bruyamment le contenu du maigre repas qu’il avait pu avaler à l’auberge avant d’en être expulsé. Il se dirigea ensuite vers un abreuvoir qui se trouvait à quelques mètres, près de ce qui ressemblait à une grande étable. Il y plongea entièrement sa tête et n’émergea des eaux troubles que de longues secondes plus tard en poussant un long soupir de satisfaction. Désormais rafraîchi, bien qu’encore bien loin d’un état de sobriété, il se rapprocha à nouveau du sentier et s’accroupit contre un mur, gagné par la fatigue. “Fuir est bien mal vu par ici. Pourtant, parfois c’est bien le choix le plus raisonnable.’’
Un discours bien curieux pour un officier de la Garde Royale ayant prêté serment pour donner jusque sa vie afin de protéger le Vice-Roi. “Une jeune fille comme toi. Seule sur les routes du Riddermark en plein nuit. Pas de parents, pas de mari. Un historique de fuites à priori bien rempli.”
Le soldat se redressa finalement; sur son visage hirsute, un air méfiant avait désormais remplacé l’hébétude liée à l’ivresse. Il n’avait cependant pas encore placé sa main sur le pommeau de son épée rouillée par les années. L’homme ne le voyait pas encore comme une menace, mais bien comme un objet de curiosité qui sortait des standards auquel il était habitué. “J’vois que deux solutions. Soit tu es une catin, soit tu es une voleuse. Ne le prend pas mal, mais vu ton accoutrement et malgré ton minois je pense pas que tu sois une puta*n.”
Il posa alors sa main sur sa hanche là, où d’ordinaire il plaçait sa bourse bien maigre. Sans surprise, elle ne s’y trouvait plus. “Voyons P’tite Pousse… Tu trouves cela élégant de filouter des pauvres vagabonds comme moi? Je suis un officier de la Garde Royale, ce n’est pas ma bourse qui t’aidera mais mon rang.”
Il mit en évidence la cape verte, autrefois bien élégante mais désormais pleine de poussière, qui était attachée autour de son cou. “J’peux te faire entrer là où tu le désires au Rohan. Dans la cour du Château d’Or ou auprès de la famille royale qui réside en Isengard… Mon cheval est mort ce matin après de longues années de loyaux services et comme tu as pu le constater mes économies sont bien réduites. Trouve assez d’argent pour m’acheter une nouvelle monture et j’te mènerai là où tu l’désires pour que tu puisses y construire une nouvelle vie auprès des puissants. Enfin pas trop à l’Est du pays non plus, j’tiens pas à finir en sacrifice. Si t’es réellement fatiguée de fuir, alors songes-y, à la chance de reconstruire une nouvelle vie.”
Eopren affichait désormais un sourire engagent. Les négoces, les accords alambiqués, les petites affaires de ce genre; il en était le maître reconnu au sein de sa troupe.
“Alors, accord conclu?”
The Young Cop
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Kryss ne se laissa pas démonter par la rebuffade du soldat ivre et hasardeux, son regard captivé par le ciel nocturne et l’astre d’argent, voilé brièvement pas les nuages paresseux. Son souffle, au milieu de cette nuit d’hiver, se transformait en brume silencieuse. La jeune femme appréciait le froid sur sa peau de marbre qui maintenait son esprit vif et clair. Elle se délectait de ce monde de noir, de blanc, de gris, tout en contraste et en opposition. Elle ignorait ce qui la poussait à rester ici dans cette ruelle alors que la nuit l’appelait. Qu’avait-elle à gagner de ce gredin en haillons ? Était-elle à ce point à la recherche de compagnie, d’une direction à prendre ? L’homme bourru s’éloigna de quelques pas et se vida bruyamment sur le bas-côté. L’odeur, ignoble, monta aux narines de la jeune femme et la bile monta dans sa gorge, ayant toujours eu un odorat sensible. Elle força sa respiration par ses lèvres entrouvertes et se détourna légèrement de l’homme, sans pour autant s’éloigner de plus de quelques pas. Elle ne pouvait mettre le doigt sur le sentiment qui la gagnait à voir cet homme au bord du précipice. De la pitié ? Non. De la compassion ? Encore moins. De la curiosité peut être, à ce qui pouvait bien mettre un soldat de la Garde Royale à genoux, misérable, hanté.
Il plongea sa tête dans un abreuvoir qui devait être glacial. Une chance que la glace ait fondue il y a de cela quelques jours, sa tentative aurait été pour le moins douloureuse. La silhouette encapuchonnée, à moitié perdue dans les ombres, patienta et l’écouta un instant en silence, prenant seulement la peine d’avancer d’un pas dans la ruelle étroite, toujours à l’affut du moindre bruit pouvant venir les perturber. Sa cape noire flotta lestement sur les pavés inégaux, sa capuche désormais descendue dans son dos pour lui dévoiler son visage.
- Comme vous le dites, vieil homme – elle insista légèrement sur ces deux derniers mots, un coin de sa lèvre remonté légèrement en une moue –parfois la fuite est la seule option. Son regard d’argent se voila un instant, son esprit errant momentanément dans le passé et ce qu’elle serait devenue si elle était restée. Si elle avait continué de subir les affronts de son mari, si elle l’avait convaincue de ne pas annuler le mariage pour épargner la honte à sa propre famille et protéger sa sœur ayant fui. Cette femme, cette éventualité, était une inconnue. Il y a de cela quelques années elle avait décidé de fuir, avait pris en mains son destin et avait fait un choix. L’avait-elle ne serait-ce qu’un jour regretté ? Non. Si elle n’avait pas fui, elle serait morte. Sous les mains de son mari ou par les siennes. Parfois dans la vie d’un individu, un choix se propose, s’impose. A gauche, à droite. Il est impossible de faire marche arrière une fois la direction choisie. Une fois le chemin arpenté, l’inconnue de la deuxième voie devient une étrangère, un être tout à fait à part. Une brisure dans le temps, une affirmation de son propre pouvoir sur sa destinée. Une fois de plus, Kryss était à la croisée des chemins.
- J’vois que deux solutions. Sois-tu es une catin, soit tu es une voleuse. […]
Sa moue s’accentua, se transforma en sourire qui fit apparaître un brin de malice dans son regard. Elle ne commenta pas, se contentant de hausser légèrement ses épaules. Déformation professionnelle, ennui ? Probablement les deux. Elle ne fit pas mine de rendre la bourse à son propriétaire. Elle haussa un sourcil à la mention du rang du vagabond. Kryss n’avait jamais prêté attention à cela, n’avait jamais été ne serait qu’intéressée. Sa vie avait été ces dernières années guidée par l’instinct primal de la survie et de l’esprit de vengeance, elle n’avait pas eu à s’embarrasser des détails. Une cible restait une cible et rien ne l’aurait fait dévier de sa mission, ce qui l’avait rendue absolument redoutable à la Cité Blanche. Maintenant qu’elle était ici sans but précis, peut être que cela valait-il la peine d’y songer ? Elle se rapprocha du garde et s’agenouilla devant lui afin d’être à même hauteur de regard. L’abreuvoir avait aidé, mais décidément une toilette plus consciencieuse ne serait pas de refus pour chasser les probables semaines de fuites et de débauche. Sa main passa dans les poches profondes de sa sacoche et elle sortie une des deux pommes en sa possession qu’elle lui offrit. Cela n’était pas grand-chose, mais pouvait aider. Ce geste la surprit elle-même. Offrir sans rien en retour. Pire même, s’il reprenait ses esprits encore plus, cela rendrait les négociations encore plus délicates. Elle garda la deuxième pomme au fond de son sac, c’était là une promesse pour le seul être qui lui était cher actuellement. Elle pesa un instant la proposition du garde, avant de déclarer d’une voix mesurée
- Et en quoi cette…nouvelle vie, consisterait ?
Avait-elle seulement envie d’une nouvelle vie, de renier tout ce qu’elle avait appris jusque là et l’avait mené ici, en ce jour d’hiver ? Ses activités étaient peut-être sombres et considérées illégales pour le commun des mortels mais elles lui avaient permis de survivre et s’était découverte des talents innés dans le domaine. Elle était la balance nécessaire, l’ombre à la lumière, le froid mordant qui invitait les gens à se réunir auprès d’un âtre crépitant. Elle ne ressentait aucune honte envers elle-même ni ce qu’elle représentait. Elle pencha la tête sur le côté un instant, pensive. Peut-être pouvait-elle remettre à demain la décision et avancer un pas après l’autre, comme elle l’avait fait jusque-là, depuis son départ du foyer aimant, son déracinement.
- Ma jument m’attend dans une étable non loin. Pour votre monture, il me faudrait quelques jours, si vous n’êtes pas trop regardant sur les méthodes d’acquisition…
Son regard devient espiègle, une pointe de défi dans le regard, ses lèvres relevées en sourire félin. Elle ne volerait pas une monture, pour sûr. Elles étaient trop précieuses et serait recherchée. Mais pour en acheter une en ‘bonne et due forme’, il lui faudrait la somme requise. Pour éviter les suspicions il serait plus raisonnable d’espacer les larcins aussi bien en temps qu’en lieu. Un peu de patience, ‘vieil homme’… Pour le moment, il faut bouger. Elle soutint son regard et dégagea sa main blanche de sa cape épaisse, qu’elle lui présenta.
Nombre de messages : 1079 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
La jeune femme qui faisait face au vieux briscard était pour le moins intrigante. A la fois mystérieuse, maline et ne se laissant pas aisément impressionner. Une rencontre bien inespérée qui ouvrait certaines opportunités pour lui, mais aussi lui attirer de potentiels ennuis. Elle considéra d’ailleurs la proposition d’Eopren avec sérieux malgré l’état d’ébriété du soldat, signe indiquant qu’elle ne s’arrêtait pas seulement aux apparences et était prêtes à creuser chaque piste si elle pouvait y trouver un réel intérêt. Et, ce soir-là, il semblait bien que leurs intérêts respectifs convergeassent.
“Eh bien je n’en sais rien à quoi cette vie consisterait… T’es libre de choisir. Tu veux te ranger avec un officier d’Edoras et élever des marmots ? Soit. Tu désires partir à l’aventure à travers le Riddermark? Tu peux… Tu désires seulement continuer à vivre tranquillement en poursuivant tes p’tits larcins? Les options sont infinies P’tite Pousse, et je m’en tamponne bien de laquelle tu choisis.”
Après quelques secondes d’hésitations, elle finit par accepter l’offre et lui tendit sa main blanche et délicate. Avec un sourire, Eopren répété un geste qu’il avait maintes fois répété au cours de sa longue carrière, et lui serra fermement la main pour conclure le marché. “Il va falloir se magner. Bientôt ces villages et routes ne s’ront plus sûrs. Je te laisse deux jours. Tu me retrouveras près de l’étable. Si je n’y suis pas, tu pourras demander où est l’cadavre d’Eopren…”
Passé ces présentations sommaires, le vétéran se désintéressa de la voleuse et lui tourna les talons. D’une démarche chancelante, il disparut lentement dans la nuit.
La salle de l’auberge s’était bien remplie depuis l’altercation entre Eopren et les jeunes gens qui l’avaient moqué. Alworn s’activait derrière son comptoir, servant plats chauds et cervoises bien fraîches aux nombreux voyageurs qui fréquentaient cette route populaire qui traversait le royaume du Nord au Sud, faisant le lien entre l’Est de l’Arnor et le Gondor. Un trajet périlleux, passant entre les conforts des Monts Brumeux encore infestés par les gobelins et les terres hostiles de l’Enedwaith. Des patrouilles régulières et des milices se chargeaient de sécuriser les points de passages principaux mais le voyage n’en restait pas moins des plus risqués. Il n’était ainsi par rare de voir de riches négociants et dignitaires se déplacer avec une suite de mercenaires engagés pour protéger leurs vies ainsi que leurs précieuses cargaison. Ce soir-là la clientèle était bien hétéroclite: des marchands venus du Sud et qui remontaient jusque Tharbad, des mercenaires venus en groupe dans l’espoir de trouver un employeur et même une petite compagnie de Nains transportant une cargaison bien mystérieuse. Discrètement assise dans un coin, Kryss scrutait attentivement les différentes tablées; en quête des bourses les mieux remplies. Les Nains devaient certainement cacher de nombreux trésors sous leurs tuniques et à l’intérieur de leurs coffres, mais ceux-qui se trouvaient là se montraient particulièrement méfiants. Lourdement armés, ils ne laissaient personne s’approcher de trop près.
Une voix venant d’une table voisine s’éleva alors:
“Eh toi là!”
Kryss put rapidement apercevoir l’homme qui s’était ainsi adressé à elle. L’homme, à l’embonpoint naissant, était confortablement installé devant plusieurs plats encore bien fumants. Au contraire de nombreux autres clients, ils ne portaient pas de miteux vêtement de voyage mais un élégant cardigan de couleur au-dessus d’une chemise de lin. De toute évidence, il ne s’agissait pas d’un petit négociant de foires mais bien d’un riche bourgeois qui se déplaçait pour affaires. Il était entouré de trois colosses, bien plus simplement vêtus, aux muscles saillants et au regard menaçant. “Oui toi ma jolie! Il n’est jamais bon de rester seule à table. Viens partager mon repas, nous avons tellement de nourriture.”
Au même moment, l’aubergiste arriva avec de nouvelles choppes bien remplies. Le riche marchand fit alors signe à l’un de ses gardes du corps qui lui tendit alors une petite bourse en velours dont il retira plusieurs pièces d’or qu’il remit à Alworn avec un sourire. Une fois la transaction effectué, l’homme s’empressa de rendre le petit sac à son chien de garde qui le plaça dans un coffre qu’il verrouilla et plaça sous son bras.
L’homme réitéra ensuite son invitation: “Allez ma belle! Viens t’asseoir avec moi! Je dois t’assurer que nul homme ici ne peut ce soir t’offrir ne serait-ce que la moitié de ce que Vencesla Hamel peut dépenser pour satisfaire une demoiselle.”
Le dénommé Vencesla représentait sans nul doute une cible idéale au vu de sa richesse. Cependant, en l’état, son argent était encore hors d’atteint ainsi placé à l’intérieur de ce coffre soigneusement gardé par ces mercenaires. Pour avoir une chance de mettre la main dessus, l’ancienne membre des Ombres allait devoir gagner sa confiance et faire en sorte qu’il abaisse sa garde.
Deux jours. Le délai était court, mais elle préférait également ne pas trainer dans le coin. Ses affaires étaient conclues, il était temps qu’elle reprenne la route. Deux jours…si elle s’y prenait bien, c’était largement suffisant. La nuit était encore jeune, elle pouvait s’y attaquer dès ce soir. Quelques préparatifs s’imposaient seulement… rien d’insurmontable. Elle observa un instant l’homme s’éloigner de sa démarche chancelante. Eopren… A dans deux jours, ‘vieil homme’. Elle recula enfin dans les ombres sans lui avoir dévoilé sa propre identité, et partit à la chasse.
***
Quelques temps plus tard, Kryss était attablée à nouveau à l’Auberge, en plein milieu de la salle ce coup-ci pour avoir une vue d’ensemble. Elle était méconnaissable et pour cause… Elle tira légèrement sur les bords de sa robe simple qu’elle avait volé il y a de cela quelques jours car ‘on se sait jamais…’ et avait attaché ses cheveux en queue basse avec un ruban. Ce n’était pas avec sa tenue de prédilection de cuir noir qu’elle allait réussir à tromper la confiance des hommes. Une robe de paysanne cependant…Elle était beige et bleu ciel, un peu vieillie par les années et l’utilisation mais propre, agrémentée d’un tablier brun plus épais. Kryss détestait les robes et la sensation de ses jambes nues. Elle se sentait vulnérable mais cela était exactement la sensation qu’elle voulait transmettre également à la clientèle de l’auberge. Elle avait commandé une soupe légère qu’elle buvait en silence tout en observant discrètement les potentielles cibles. Même le propriétaire n’avait pas reconnu la femme qu’il avait pourtant rencontré il y a seulement quelques heures. Des cibles, elle en nota quatre. Les nains semblaient avoir une cargaison des plus intéressantes mais leur vigilance était trop élevée, elle les relégua donc au plus bas de sa liste pour le moment. Il y avait également le groupe des hommes du Sud qui chantaient fort dans une langue qui lui était inconnue. Ils étaient cependant assez nombreux et la barrière de la langue pouvait être un obstacle, ou au contraire une parfaite excuse… Son regard croisa brièvement celui de l’homme accompagné de ses trois colosses. Elle baissa son regard, feignant la timidité. Quant à la quatrième option…l’auberge était pleine ce soir, la caisse de l’Auberge devrait être bien remplie à la fin du service. Si elle pouvait l’obtenir avant la fermeture et son transfert vers des coffres plus sécurisés…cela devrait largement suffire à l’achat d’une monture solide. - Eh toi là! Oui toi ma jolie! Il n’est jamais bon de rester seule à table. […] Je dois t’assurer que nul homme ici ne peut ce soir t’offrir ne serait-ce que la moitié de ce que Vencesla Hamel peut dépenser pour satisfaire une demoiselle.
Kryss se retint de grincer les dents en entendant de tels sous-entendus et se concentra uniquement sur le rôle qu’elle devait interpréter ce soir. Elle baissa les yeux sur son bol désormais vide et fit mine de considérer l’offre avec retenue et timidité. Elle releva les yeux et croisa le regard du bourgeois qui lui adressa un clin d’œil qui lui donna la nausée. Elle répondit cependant avec un petit sourire et se releva de la table en passant ses mains sur son tablier avant de se rapprocher de lui. Elle observa rapidement quelle place disponible lui donnerait une meilleure vue sur le reste de ses cibles potentielles, et obtempéra sur la chaise sur le côté gauche, en diagonale de Vencesla. Cette proximité eut l’air de plaire à l’homme qui la gratifia d’un rire franc avant de lui pousser une chopine de bière devant elle. Elle le remercia à voix basse et prit avec ses deux mains la boisson. Elle aimait la bière. La jeune femme qu’elle jouait ce soir cependant n’en avait pas l’habitude. Elle releva donc la bière et prit une gorgée. Elle toussa, et essuya sa bouche sur sa manche en prenant un air désolé.
- Merci, monsieur Hamel. Elle leva son regard pour observer les trois colosses. Ils avaient une discipline de fer et ne seraient pas faciles à berner. Les nains étaient bien raisonnables sur la boisson. Les mercenaires entouraient les hommes du Sud comme des rapaces cherchant du travail. Kryss se rassura cependant, les cibles ne manquaient pas et la nuit était encore jeune. Elle se remémora les enseignements de Zak sur comment interpréter un personnage. Kryss ne pouvait pas passer pour une ingénue. Mais il y avait bien des nuances entre les deux extrêmes… - Comment t’appelles-tu, ma jolie, et que fais-tu là seule ?
La jeune femme reprit vaillamment la bière pour en boire une gorgée qu’elle fit mine d’avaler avec difficultés et s’attaqua avec appétit aux victuailles si généreusement offertes par l’homme après avoir bien entendu vérifié qu’il consommait également du même plat. On n’était jamais trop prudent… - Helen, monsieur. La nouvelle femme de mon père a eu un fils. Je cherche donc du travail.
Une logique implacable et une histoire qui n’avait rien d’exceptionnel parmi les gens du commun. Kryss souhaitait interpréter le rôle d’une jeune femme avec la tête sur les épaules et rationnelle. Bonne travailleuse mais encore bien ignorante du vaste monde. Elle préféra cependant ne pas s’étaler sur les détails pour garder son mensonge le plus crédible possible. Les marques sur ses mains pouvaient attester d’un travail manuel et quoi de plus naturel que de chercher un travail dans une Auberge, lieu de convergence de tant de voyageurs ?
- Que faites-vous, monsieur ?
Les marques de politesse lui brulèrent la langue mais elle n’en fit rien paraître. Il fallait oublier ce soir Kryss Ganaël l’assassine et la voleuse. Elle était Helen et le sera jusqu’à une ouverture dans l’attention de ses cibles. La jeune femme du Rohan avait déjà repéré un marchand de chevaux itinérant en bordure de la ville. Si elle gérait bien ses activités cette nuit et demain, on ne soupçonnerait même pas cette jeune femme en robe beige et bleue, avec un ruban dans ses cheveux corbeau…
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A l’écoute de l’histoire de la jeune femme, Vencesla siffla bruyamment.
“Du travail? En voilà une bien curieuse idée! Qu’est-ce qu’une ravissante jeune fille comme toi pourrait faire?”
L’homme s’installa un peu plus confortablement sur son siège, se rapprochant dangereusement proche de Kryss, à quelques centimètres d’elle. “Ton père aura donc tant échoué dans la vie qu’il ne peut payer à sa fille une vie décente sans qu’elle n’ait à se tuer à la tâche pour quelques maigres pièces de bronze?”
Il parlait avec une assurance presque irréelle, pourtant le contenu de sa coupe de vin n’était qu’à peine entamé. Mais la richesse que cet homme avait amassée, son statut social qu’il considérait supérieur procuraient une ivresse bien supérieure à celle de la boisson. Le genre de personnes qui ne se refusait, à qui l’on ne refusait rien… “Je peux te promettre que celle qui m’accompagne n’aura jamais à se salir les mains ou à courber le dos pour pouvoir survivre. Je me ferais un point d’honneur à que toutes ses envies lui soient servies sur un plateau d’argent.”
D’un mouvement lent, et sans aucune gêne, il passa sa main lisse dans les cheveux sombres de la prétendue Helen. Il avait séduit nombre de femmes à travers ses voyages, souvent bien plus apprêtées et , en apparence, séduisante que celle qui lui faisait face. Mais cette dernière dégageait quelque chose qui l’intriguait sans qu’il puisse dire pourquoi. Peut-être les longues semaines passées sur les routes sans douce compagnie. “Ce que je fais est assez compliqué ma belle, je ne voudrais pas t’importuner avec trop de détails. Je dirais simplement que je suis un commerçant ayant eu beaucoup de succès et qui collabore même avec la Compagnie du Sud, m’occupant de fortunes que les habitants de ce pays de sauvages ne peuvent même pas commencer à appréhender. “
Il posa, cette fois, sa main sur sa cuisse et insista en murmurant à son oreille.
“Alors Helen, quelles sont tes envies?”
Du coin de l’œil, et malgré l’odeur puissante du parfum de Vencesla, Kryss put voir que la table des Nains n’était plus aussi fermement gardée que quelques minutes plus tôt. En effet, les Naugrim, visiblement bien soûls, s’étaient emportés dans le cadre d’un débat enragé et ils se trouvaient désormais sur la table de bois, prêts à échanger des coups; laissant leur précieuse cargaison presque sans surveillance.
Vencesla, lui, poursuivait ses avances mais sa bourse bien remplie demeurait pour le moment hors d’atteinte. Poursuivre le jeu de séduction avec le riche marchand dans l’espoir que sa fortune serait bientôt à sa portée? Ou alors s’échapper de son emprise pour extorquer les Nains?
Kryss devait agir vite.
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Kryss écoutait d'une oreille attentive seulement les propos du riche marchand du nom de Vencesla. Après l'avoir observé en silence un instant, elle pensait avoir bien cerné le personnage. Ses désirs étaient transparents et il ne cherchait même pas à les cacher. Il devait avoir l'habitude d'obtenir toujours ce qu'il voulait...Elle devait calmer son tempérament de feu, apparaître innocente, légèrement naïve mais pas dupe pour autant. Une femme savant respecter les hommes comme étant ses supérieurs. Tout ce qu'elle n'était pas. Son regard cependant, ainsi que sa deuxième oreille restaient alertes aux autres cibles dans la taverne. Il était encore trop tôt pour définir le choix de sa proie. Oh les cibles il y en avait, et des butins des plus alléchants également. Elle observa rapidement le coffre nain, tellement mystérieux et attrayant mais trop visible. Sa disparition ne passerait pas aperçu. Malgré les perspectives et la tentation extrême Kryss était là ce soir pour avant tout sécuriser la somme pour une monture et partir idéalement sans être repérée. Elle savait jouer de la précaution et ne pouvait risquer d'être prise en flagrant délit. Deux jours étaient courts et longs à la fois. Pas le coffre du coup...mais les bourses pleines ne manquaient pas ce soir là et la boisson commençait à faire son effet sur pas mal d'hommes qui s'échauffaient et parlaient de plus en plus fort avec soutien de gestes éloquents...
Son attention retourna vers Vencesla lorsque celui ci passa nonchalament sa main dans ses cheveux de jais. Respire Kryss, prends une grande inspiration... expire. Encore une fois. Elle ferma un bref instant les yeux et se remémora d'autres mains passant dans ses mèches rebelles, la sensation d'un souffle chaud et épicé contre l'arrière de son oreille, le long de sa nuque...Elle repoussa les souvenirs et rouvrit les yeux pour les fixer dans ceux perfides du bourgeois un peu trop confiant. Sa main désormais était venu se poser sur sa cuisse. Elle y apposa la sienne par dessus, ferme, empêchant celle du marchant de remonter davantage vers l'intérieur de sa cuisse. Se croyait-il charmeur, séduisant, ou avait-il l'habitude que son argent et son pouvoir fassent le nécessaire pour lui ? Voilà qu'il se penchait désormais vers elle pour lui murmurer à l'oreille :
- Alors Helen, quelles sont tes envies ?
Le sous-entendu était sans équivoque. Kryss sentait la main moite sur sa cuisse, trop haut à son goût mais elle ne relâcha pas la sienne pour autant. Elle imaginait, pouvait entendre même, le bruit du craquement que ferait chacun de ces doigts sous sa main fraîche, le relâchement de la peau causé par le délogement des os, lui causant un léger frissonnement d'anticipation. Elle n'en fit rien cependant, l'heure n'était pas aux plaisirs...Oh elle pourrait le faire gémir, hurler de milles façons...mais probablement pas de celle qu'il espérait d'elle. Elle lui adressa un sourire en répondant d'une voix mesurée :
- Je n'en demande pas autant, M. Hamel. Je sais lire, écrire et même compter. J'apprends vite si on m'enseigne...j'ai toujours été diligente, dans tous les domaines...
Elle laissa sa phrase en suspens, ouverte, vague, incitant aux suggestions et aux interprétations diverses et oh Vencesla courrait...Kryss le voyait dans la manière qu'il la dévorait du regard. Elle s'y déroba cependant. Il était l'heure de passer à la prochaine partie de son plan. Elle relâcha sa main et sortit sa petite bourse de cuir brun qu'elle prit soin de montrer et en sortit quelques pièces qu'elle plaça sur la table.
- Je ne peux accepter autant de générosité, M. Hamel... J'ai bien conscience que cela n'est pas assez...mais c'est là tout ce que j'ai en ma possession... Veuillez m'excuser, je dois aller me rafraîchir.
Elle se releva ensuite et attacha sa bourse sous son tablier brun. Elle fit une légère révérence mais laissa sa cape de voyage sur la chaise, lui montrant ainsi qu'elle reviendrait. Elle lui tourna le dos et se dirigea vers l'arrière de la taverne en passant devant la table des nains. Sa main droite glissa sur le rebord de sa manche de robe, et aggripa l'ourlet dans lequel elle avait coud une légère lame. Elle était bien trop fine et petite pour agir en tant qu'arme ou même blesser une personne mais quand il s'agissait de couper des cordelettes...elle ne se lassait pas de cette petite astuce. Elle attrapa fermement le rebord et passa au plus proche des nains qui étaient en train de se disputer violemment entre eux. Son regard passa à nouveau sur le coffre si tentant mais s'en détourna avant de laisser filer sa main experte vers la ceinture d'un nain trop occupé pour s'en rendre compte. A l'aide de sa lame la bourse fut extraite sans difficultés. Elle passa un autre naugrim et sectionna une deuxième cordelette sur le chemin dont le propriétaire avait le col attrapé par un camarade. Son larcin était passé totalement inaperçu mais Kryss ne pouvait pas encore se reposer. Il fallait sécuriser sa prise et s'assurer de sortir de l'Auberge aussi innocente d'apparence que la dénommée Helen.
Kryss passa à l'arrière de la taverne où était la salle d'eau et s'engouffra dans les latrines pour femme qu'elle referma derrière elle. D'un geste sûr, elle grimpa sur le rebord et repoussa la petite ouverture servant d'aération et donnant sur une ruelle calme à l'arrière de la batisse. Elle avait pris soin de repérer l'endroit et de prendre les dispositions nécessaires. Avant de procéder elle se retourna une dernière fois pour vérifier que personne était là, aussi bien dans la salle d'eau que dans la ruelle annexe. Elle se releva sur la pointe des pieds, en équilibre précaire et chercha avec sa main la pierre qu'elle avait délogé soigneusement un peu plus tôt ce soir là. Elle finit par la trouver, la retira doucement et y plaça les deux bourses naines bien remplies qui promettaient déjà l'achat sans mal d'une monture digne d'Eopren, ainsi que sa propre bourse après avoir retiré deux pièces de bronze qu'elle mit dans une poche intérieure de son tablier « au cas où ». Elle remit en place la pierre et s'assura qu'aucune marque ne pouvait indiquer sa cachette. Des caisses en bois étaient entreposées de par et d'autre de la batisse, empêchant de potentiels badauds de voir les petites manigances sournoises de la voleuse.
Kryss descendit de son perchoir et passa les mains sur son tablier pour les essuyer, le cœur battant la chamade d'excitation. Que cela lui avait manqué, l'adrénaline ! Elle avait pris toutes les précautions nécessaires, avait chapardé bien assez pour une monture mais sans excès non plus pour éviter trop de suspicion...Elle avait l'habitude...et pourtant aucun de ces larcins était sans danger elle le savait bien. C'est bien la raison pour laquelle elle aimait tant ce travail. Chaque situation la poussait à s'améliorer, à réfléchir mieux, à agir mieux. Avoir des réflexes vifs, dépasser constament ses propres limites. La définition de la liberté pour la jeune femme indépendante. Elle passa de l'eau sur son visage et sa nuque, la massant légèrement au passage. Elle y était presque mais il ne fallait pas relâcher son attention. Elle inspira un grand coup pour se donner du courage et revint dans la salle principale de la taverne qui était à deux doigts une fois de plus d' exploser. Les insultes fusaient et le tavernier avait bien du mal à tenir en place ses clients ivres, avides de combats de poings. La brute qui avait délogé Eopren un peu plus tôt était nul part en vue. Kryss sentit sur elle le regard insistant de Vencesla. Elle se dirigea vers la table et s'assit à nouveau avant de voir sa chopine de bière être remplie à nouveau devant elle. Essayait-il de la rendre ivre ? Du courage à lui...
Elle ne devait pas se montrer trop impatiente. Ainsi supporta-t-elle à nouveau ses avances qu'elle tenait à distance respectueuse tout en essayant de le faire parler. Les gardes du corps semblaient de plus en plus préoccupés par le chahut. La nuit était désormais bien avancé et le bourgeois profitait du brouahaha ambiant pour se pencher davantage vers Kryss. Son sang bouillonnait intérieurement mais elle réussit à garder la façade d'Helen, timide mais curieuse d'apprendre davantage sur les affaires de cet homme et ses différents voyages. Une heure avait du se passer à nouveau et Kryss jugea qu'il était temps de passer à la prochaine étape de son plan. Elle remercia une fois de plus Vencesla et fit mine de passer sa main sous son tablier à la recherche de sa maigre bourse avant de prendre un air effrayé, le regard figé dans celui du bourgeois.
- Ma...ma bourse ! On me l'a prise !
Sa déclaration fut accueilli par un élan de révolte dans le voisinage immédiat à leur tablée, chaque client vérifiant la présence de leurs propres biens. Les nains réalisèrent également le méfait et bientôt les dénonciations et insultes fusèrent. Les premiers coups de poing volèrent et Kryss se recroquevilla en prenant un air apeuré. Un homme fut propulsé par un coup et s'écroula aux pieds de la jeune femme. Elle prit l'occasion pour se relever d'un bond et récupéra sa cape de voyage juste avant que l'homme à terre ne s'empare de sa chaise pour l'éclater contre les jambes de son opposant. Kryss ressera sa cape contre elle et recula petit à petit vers le mur en évitant les projectiles.
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Le chaos était total. En l’espace de quelques secondes, la salle de l’auberge s’était transformée en une véritable scène de pugilat. Les coups pleuvaient, les cris et insultes fusaient, des chaises et autres pièces de mobilier se mirent même à voler à travers la pièce. Les trois Nains, délestés de leurs précieuses bourses, accusaient de vol toute personne qui avait le malheur de se trouver trop près de leur champ de vision. Les hommes de main de Vencesla, visiblement heureux d’avoir un peu d’action après de longues semaines d’un voyage bien monotone, se joignirent à la mêlée sans réelle motivation. Les clients les plus envirés faisaient de grands moulinets avec les bras, cherchant à écarter tout voleur qui oserait s’approcher trop près d’eux. Derrière son comptoir, l’aubergiste s’arrachait les rares cheveux qui lui restait et tentait de rappeler tout le monde en calme, en vain. Le contenu des chopes et des assiettes avaient été renversés au sol et le parquet était devenu aussi glissant que luisant, rendant la tâche des bagarreurs ivres encore un peu plus ardue. Les plus prudents s’étaient empressés de monter à l’étage dans leurs chambres ou de quitter la salle s’ils se trouvaient près de la sortie. Une sortie que Kryss cherchait désespérément à atteindre. Son plan avait parfaitement fonctionné, peut-être même un petit peu trop. Certes, elle parvenait à passer relativement inaperçue, frêle silhouette emmitouflée dans sa cape de voyage cherchant à se faufiler vers la sortie; mais la violence de la rixe qu’elle avait déclenchée était telle qu’elle devait être extrêmement vigilante à ne pas se trouver sur la trajectoire d’un projectile filant à pleine vitesse ou de se prendre un coup qui ne lui serait même pas destiné.
Un homme, assommé par la puissance prodigieuse de l’un de voyageurs nains, chuta lourdement à quelques centimètres de l’ancienne apprentie des Ombres, s’étalant sur le dos sans aucune réaction. Voilà qu’elle devait l’enjamber pour parvenir à son but. Faisant parler toute sa dextérité, elle parvint à gagner les portes oscillo-battantes de la taverne qu’elle poussa légèrement pour se faufiler vers l’extérieur. La fraîcheur de la nuit de printemps au Rohan était des plus bienvenus après des heures passées dans l’atmosphère renfermée aux relents d’alcool qui régnait dans la salle à manger. Prenant quelque secondes pour se remettre de ses émotions et décider de la marche à suivre, elle ne vit que trop tard les bras qui s’entourèrent fermement autour de sa taille avant de la projeter violemment contre la façade extérieure de l’auberge. Le choc fut aussi inattendu que violent et elle ne pouvait déterminer si le craquement qui avait retenti provenait de son dos ou de la charpente sur laquelle elle avait rebondi. “Alors ma jolie! Tu nous quitte déjà?” Fit la voix de Vensescla d’un ton menaçant.
Après seulement quelques minutes de mêlée, le riche négociant présentait déjà beaucoup moins bien. Sa tunique de travers, ses cheveux en bataille, un oeil au beurre noir. Mais le plus inquiétant était la lueur sauvage, presque animale, qui régnait au fond de ces yeux noisette. Il la tenait fermement contre la paroi, son avant-bras appuyant sur la gorge de la jeune femme qui pouvait sentir son haleine avinée. Sans crier gare, il sortit de sa ceinture un couteau à la lame scintillante qu’il agita sous le regard de la belle. “Je t’ai pourtant dit que Vencesla Hamel obtenait tout ce qu’il désirait. D’une manière…ou d’une autre.”
Au fond, ses intentions concernant “Helen” avaient toujours été évidentes.
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Kryss n’avait pas réalisé de suite que sa déclaration surprise puisse causer un tel chahut. Une fois de plus elle avait sous-estimé les effets désastreux de l’alcool. Elle prit note dans son esprit et s’accroupit un court instant pour esquiver un tabouret qui passa au-dessus de sa tête. Elle se redressa en un mouvement et son regard accrocha la porte de sortie. Elle y était presque. Elle balaya la salle du regard mais ne put trouver Vencesla. Ses molosses étaient fort occupés à envoyer avec ferveur des coups de poing, le coffre soigneusement sous un bras. Dommage. Dans le tumulte elle récupéra deux bourses supplémentaires en chemin qu’elle camoufla sous sa cape. On ne pouvait passer à côté d’une occasion pareille…Elle ignora le coffre des Nains à nouveau car il était trop gros et reconnaissable. Elle préférait de loin l’agilité et la discrétion… Un homme s’écrasa violemment à ses côtés et lui accrocha la cheville. Sans même une réflexion elle donna un gros coup de talon sur la main de l’homme qui la lâcha en hurlant et en se recroquevillant sur le sol. Elle soupira d’un tel retardement, l’enjamba sans même un regard et parvint enfin à sortir de l’Auberge où elle prit une grande inspiration. Déjà le ciel semblait s’éclaircir, elle avait dû utiliser l’entièreté de la nuit pour mener à bien son plan mais elle ne s’en désolait pas de par les résultats inespérés de son petit crime. Elle pourrait se faire un petit plaisir en plus de la monture pour Eopren.
Elle prit quelques secondes pour inspirer profondément l’air frais qui semblait lui dégager les esprits après des heures de concentration extrême. Peu à peu elle se dévêtit de la peau d’Helen et retrouva son calme de Kryss, l’apprentie des Ombres, la femme sans attaches. Elle avait réussi son coup et personne ne semblait soupçonner la jeune femme frêle de ce larcin. Un sourire se dessina sur ses lèvres et elle se mit en chemin pour la ruelle où attendait son butin. Un choc. Inattendu, soudain, violent. Son souffle fut brutalement arraché de ses poumons et elle se retrouva plaquée contre le mur par des bras solides, un craquement sinistre lui fit monter les larmes aux yeux. Sa vue se voila brièvement et elle eut du mal à retrouver sa respiration et ses esprits. Elle n’eut même pas le temps de se maudire de son manque d’attention, de son relâchement trop rapide suite à la ‘fin’ de sa mission. Elle avait en face d’elle Vencesla et la bagarre dans l’Auberge semblait lui avoir enlevé tout semblant de bourgeoisie, de courtoisie et de manières. Elle reconnut dans ses yeux les instincts primitifs d’un homme qui refusait de voir s’enfuir une proie délectable. Il ne reculerait pas, ne pouvait être raisonné. Elle ne le savait que trop bien pour connaître cette même soif en elle.
Des sentiments contradictoires l’envahissaient désormais. Son instinct de survivante se mettait en place, analysant sa situation et les échappatoires possibles tandis que son propre passé revenait au galop et interposait sur cette situation ses souvenirs d’un autre homme qui s’est imposé à elle. Elle déglutit avec difficultés, les doigts s’enfoncèrent plus profondément dans sa gorge, causant des flashs noirs dans sa vision. Elle avait des visions d’une maison en chaux et d’un âtre brûlant se juxtaposer à celle de la ruelle encore sombre et humide. La sensation d’une peau de loup sur sa peau nue contrastait avec le mur de pierres blessant son dos meurtri. Les mains, cependant…les mains étaient les mêmes. Solides, fortes, collantes de sueur, impétueuses, non demandeuses mais commandantes. Le regard de ses assaillants passé et présent se mêlèrent… Non. Pas cette fois. L’haleine avec le relent d’alcool souffla sur son visage et Kryss fut un bref instant reconnaissante que son odorat soit entravé momentanément par son propre étranglement. Elle ignora la lame que l’homme lui remuait devant les yeux et planta son regard dans celui de l’assaillant, lui lançant un air de défi assumé. Il n’en fut pas plus pour qu’il veuille assouvir sa position de ‘mâle dominant’ et l’embrassa. La jeune femme dut repousser tous ses instincts, ses souvenirs d’antan, et ouvrit sa bouche pour l’accueillir en elle.
Le soupir de contentement du bourgeois fut cependant de courte durée. Kryss ferma les yeux et utilisa tout sa force restante pour mordre avec férocité la langue du marchand. Il tressaillit et gémit de douleurs, tentant de se dégager mais la jeune femme avait un tout autre plan en tête. Ses mains dégagées, elle agrippa la nuque de Vencesla, enfonçant ses ongles dans son cuir chevelu et sauta dans ses bras, encerclant l’homme de ses jambes dans une étreinte fatale. Avec une brusquerie toute animale elle raffermit sa prise et mordit plus profondément. Un goût métallique inonda sa bouche et le sang chaud coula le long de ses lèvres, de son menton. Elle insista cependant jusqu’à sentir un relâchement dans la chair de l’homme qu’elle délaissa enfin. Vencesla tituba et ses mains allèrent instinctivement à sa bouche recouverte de sang. Kryss atterrit adroitement sur ses propres pieds et détourna le visage un instant pour recracher l’appendice sur les pavés de la ruelle avant de planter à nouveau son regard dans celui de sa victime, un sourire carnassier se dessina sur le visage de la jeune femme, dévoilant des dents ensanglantées. - Ne pas avoir d’armes ne signifie pas être sans défenses.
Elle se sentait entière à nouveau, forte et indépendante. Sans même laisser le temps au marchand de reprendre ses esprits, la jeune femme se précipita sur lui pour l’assommer d’un tranchant de sa main sur la nuque d’un geste expert, répété des centaines de fois. Il s’écroula dans un gargouillement sur le sol. Kryss s’accroupit avec lenteur auprès de l’homme et l’observa un instant en silence avec délectation. Elle avait gagné une bataille contre ses démons et en savourait les résultats. Sa main d’albâtre attrapa le poignard de Vencesla. Il était beau, certes. Bonne facture, solide…mais avant tout un accessoire de ‘riches’. Elle jongla avec, le faisant sauter d’une main à une autre et trouva l’équilibre mauvais, défaillant. Un gâchis de bon matériel. Elle l’utilisa pour trancher la cordelette du médaillon du marchand, n’ayant pas de bourse sur lui et défit sa chevalière également qui était suffisamment lourde pour attester d’un métal de valeur. Elle délaissa cependant la lame qu’elle jugea inutile et encombrante. Elle se redressa et partit récupérer les bourses qu’elle avait pris soin de camoufler précédemment derrière une pierre. Une fois son précieux butin réuni et bien plus généreux qu’elle ne l’aurait espéré, la jeune femme s’évanouit dans les ombres…
°°°
Kryss enfilait avec plaisir non-feint sa tenue de prédilection en cuir sombre. Elle prit le soin de se débarrasser de la robe de la prétendue Helen ainsi que les bourses vidées de leurs contenues pour laisser le moins de traces possibles de son passage. Elle plongea à nouveau les mains dans une bassine d’eau et se débarbouilla le visage. Le goût de sang ne l’avait pas totalement quitté mais elle ne s’en formalisa point. Une question d’habitude. Elle fit claquer sa langue contre ses dents et observa un moment les marques légèrement bleutées visibles sur sa gorge claire. Ces marques là mettront quelques jours pour disparaître… Elle sourit cependant à la pensée que celle qu’elle avait laissée, elle, ne guérira jamais. Elle prenait son temps lors des préparatifs, préférant laisser la possibilité aux esprits de s’apaiser. Elle avait de la marge comme elle devait seulement rencontrer son futur compagnon de voyage à l’aube du lendemain. La jeune femme alla donc l’après-midi au marchand de chevaux itinérant qu’elle avait préalablement repéré aux abords de la ville. Sa sélection était encore bonne et Kryss passa une bonne heure à observer les montures avant de se décider à aborder le vendeur afin de lui demander de lui présenter une monture pour de longs trajets. Celui-ci, non content de faire affaires, lui avança un cheval alezan d’apparence solide. L’homme demanda de suite paiement mais elle refusa sans avoir au préalable tester la marchandise. Après quelques hésitations, il consentit à sa demande. Kryss attrapa donc la longe de la monture et la fit trotter autour de l’enclos conçu à cet effet. Elle observa attentivement le pas, la tenue, les réactions du cheval alezan. Pour tout novice en la matière ce cheval aurait parfaitement convenu, mais pas pour elle. Oh elle n’avait jamais pu accomplir son rêve d’enfant de devenir cavalière des Rohirrim, mais elle avait appris beaucoup de son père, dresseur de chevaux pour la cavalerie. Ses instincts étaient rouillés par manque de pratique, mais certains gestes ne trahissaient pas. Elle rappela donc l’alezan qu’elle ramena vers le marchand avant de déclamer sur un ton froid : - Osez encore une fois me présenter un cheval malade et je vous le ferai payer.
Le ton changea brusquement entre les deux négociants qui s’affrontèrent dans un duel de regards pendant de longues minutes. Elle n’en portait pas les signes distinctifs, mais Kryss était du Rohan. Ses chemins l’avaient pendant de longues années déviées mais son cœur restait fidèle à ses origines. Le marchand hocha finalement de la tête et appela auprès de lui une monture gris pommelée, une jument encore jeune dont le regard vif brillait d’une intelligence toute particulière. La jeune femme n’eut pas à la tester longtemps pour approuver ce choix. Cela serait une monture idéale, calme et également intuitive, idéale pour un soldat. Elle tapota affectueusement le museau et lui offrit une pomme dans sa main à plat, avant de payer le marchand sans même négocier le prix. Elle était lasse des conversations et n’avait qu’une envie : quitter cet endroit et retrouver les plaines sauvages. Elle apporta sa nouvelle acquisition dans l’écurie où logeait sa propre monture qui l’accueillit par des bronchements mécontents. Kryss rit à cet étalage d’affront et passa sa soirée à se réconcilier avec sa partenaire de toujours, sa jument Halfinger Dana, dernier souvenir de sa vie d’avant. Toute sa réserve de pommes juteuses y passa et elle dut l’apaiser longuement avec des propos chuchotés à son oreille frémissante et maintes caresses tendres pour qu’enfin elle lui adresse un coup de tête affectueux. La jeune femme était méconnaissable en présence des chevaux. Elle était tendre, attentionnée et son sourire chaleureux et sincère.
°°°
Avant même que l’aube n’apparaisse à l’horizon, l’apprentie des Ombres se tenait prête à l’entrée de la ville avec les deux montures préparées pour un long voyage. La jeune femme avait utilisé le surplus de son butin pour acheter les vivres nécessaires et parfaire ses propres sacs de provision et équipement de campement. La brume était encore bien installée sur les plaines mais elle pouvait noter un changement dans l’air. L’hiver touchait à sa fin et bientôt les premiers signes du printemps apparaîtront. Une silhouette se dessina aux portes de la ville et avança nonchalamment vers elle. Kryss hocha la tête et lui proposa les rênes de la jument gris pommelé.
- La voici, à vous de la nommer je présume.
Sans même attendre une réponse de sa part, la jeune femme s’empara de sa propre monture Dana et l’enfourcha avec aisance, bien soulagée à l’idée de mettre les évènements de ces dernières semaines derrière elle.
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Eopren pouvait être satisfait; alors qu’il progressait d’un pas lent en direction de l’entrée du village, il aperçut une frêle silhouette encapuchonnée qui tenait deux belles montures par la bride. À ses pieds se trouvaient des paquetages bien remplis indiquant que la jeune femme avait eu la présence d’esprit de faire le plein de vivres avant le départ malgré le fait qu’elle n’avait pas encore partagé ses projets. Sûrement projetait-elle de faire un voyage relativement long. Le vieux guerrier salua sa nouvelle collaboratrice d’un mouvement de tête et se saisit des rênes de la jument grise qu’elle lui tendait; d’un oeil expert il examina rapidement sa nouvelle acquisition. La monture était encore jeune mais déjà assez développée et vigoureuse pour entreprendre un périple et supporter son poids. Le doute principal résidait sur la réaction qu’elle pouvait avoir face au danger, les chevaux de l’armée avaient été dressés afin de ne pas fuir face à l’ennemi, un entraînement rigoureux et indispensable pour que les cavaliers en préservent le contrôle en toutes circonstances. Il espérait qu’aucun danger ne se dresserait sur leur chemin mais au fond de lui, son instinct de vétéran, lui faisait craindre la menace qui planait au-dessus de son royaume.
Sans plus attendre il monta en selle avec une agilité déconcertante pour toute personne qui avait pu observer sa démarche titubante et lourde sous l’emprise de l’alcool. “J’peux te dire que des canassons j’en ai eu un paquet et cela fait bien longtemps quand j’ai arrêté de leur donner des noms. Ça ne rend leur mort que plus douloureuse, et la vie est déjà bien assez triste comme cela…”
Il attendit que la jeune femme enfourche également son beau cheval et ils partirent, tout deux, au pas sur le sentier pierreux qui serpentait à travers les plaines jaunies du Riddermark. Les températures commençaient à se rafraîchir et la pluie revenait lentement dans cette partie du monde, mais la sécheresse qui avait suivi le Rude Hiver avait laissé de profondes séquelles sur les paysages et d’immenses pans de verdure s’étaient lentement changés en longues étendues arides. Après une poignée de minutes, Eopren engagea la conversation plus par ennui que par réelle envie même s’il devait bien admettre que la jeune femme était bien mystérieuse. “T’es bien bizarre. Un p’tit bout de femme vagabondant, seule, dans un coin paumé du Rohan. Qui sait se battre; se débrouiller pour trouver de l’argent…Ça court pas les rues des profils comme ça…J’vais pas t’forcer à me révéler ton vrai nom ou ton passé, surtout si ça peut être source de soucis mais va bien me falloir un nom, même s’il est faux.”
Il renifla bruyamment, visiblement importuné par les graines de pollen qui flottaient autour d’eux. Comment savait-il que Kryss savait se battre? Ou voler? Était-il au courant de la rixe qu’elle avait provoquée dans l’auberge et de la raclée qu’elle avait infligée à ce goujat de marchand? Visiblement, la jeune femme n’était pas la seule à garder une part de mystère, à la différence près que le vétéran semblait s’amuser de ce petit jeu de secrets. “Bon…va aussi falloir me dire où tu veux aller. En c’qui me concerne je vais me diriger vers l’Arnor, il paraît que y’a pas mal d'opportunités là-bas et que leur Roi a remis de l’ordre dans ces terres. Tu peux m’accompagner ou alors décider d’aller ailleurs au Rohan et je t’aiderai à y entrer comme promis mais je refuse d’aller trop à l’Ouest, trop risqué. Si tu veux mon avis les terres royales en Isengard peuvent être une solution pour toi, on dit que le Roi Fendor, ou plutôt ses pauvres tuteurs, recherchent constamment des gens qualifiés. Et pis c’est sur ma route.”
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La jeune femme avait déjà pris la route en pierres de la sortie du village au pas, mais elle ne put retenir un coup d’œil à son nouveau compagnon de route qui enfourchait sa propre monture. Pour la première fois, il avait la prestance d’un homme de son rang, du Rohan. Il y a des habitudes qui ne s’oublient pas et que les muscles se souviennent malgré les épreuves. Au moins il s’avérait être le cavalier émérite dont il vantait les mérites passés il y a de cela quelques nuits. Ils prirent la route ensemble et les montures ajustèrent le rythme l’une à l’autre sans même une commande de leurs maîtres. Kryss ne répondit de suite à l’homme mais sa réflexion au sujet des noms la plongea un instant dans de profondes réflexions. Cela valait-il la peine de donner un nom à un outil, une fonction ? On donnait bien des noms à des armes de valeur dont les prouesses d’antan sont louées dans des chants, alors ma foi pourquoi pas ?
La cavalière abaissa son capuchon dans son dos pour mieux profiter de la brise matinale et regarda longuement les premiers signes de la fin de l’hiver. Dana était contente de retourner sur les routes après des semaines de séparation et ne cacha pas son entrain à force de soupirs enjoués et de secousses de crinière qui arrachèrent des sourires à Kryss qui la tapota avec affection sur l’encolure pour l’encourager. Eopren ne semblait pas autant amateur de grands silences cependant et ne tarda pas à demander son nom. Son nom…Cela semblait être un thème récurrent de leurs échanges du jour. La jeune femme cependant pris le temps d’examiner l’homme ouvertement. Elle avait donc vu juste et il lui avait proposé un test pour mieux jauger de ses compétences. Test qu’elle avait réussi semblerait…Elle ne s’en formalisa pas cependant, qui était-elle pour juger de la méfiance des hommes ? Cependant Kryss se demandait désormais jusqu’à quel point avait-elle était observée. Elle choisit avec soin ses mots et les déclara sur un ton pensif :
- Un cavalier du Rohan qui ne nomme pas sa monture…par soucis de commodité je présume. Contradictoire de demander le mien, n’est-ce pas ?
La jeune femme prit un instant avant de continuer
- Dans ce cas n’importe lequel conviendrait. Pourquoi pas…Helen ?
Elle passa sa langue sur ses dents où elle pouvait encore sentir le goût métallique du sang. Avait-il été présent à l’auberge ? Elle ne l’avait pas vu, mais une fois de plus…l’établissement était rempli elle aurait pu le manquer, n’est-ce pas ? Elle en doutait fort mais cela n’avait que peu d’importance dans leurs échanges. S’il avait été le seul témoin de son jeu, cela lui convenait parfaitement. Elle ignorait si sa route reviendrait dans ces terres mais dans le doute, mieux valait apparaître innocente que poursuivie. Son compagnon de voyage resta imperturbable à ses remarques, rendant la jeune femme d’autant plus pensive. Il y avait bien des années déjà qu’elle ne s’était plus présentée sous le nom de famille Ganaël… Un nom de famille dénotait une appartenance, des liens de parenté, des souvenirs et des attachements. Elle n’en avait plus. Depuis son apprentissage parmi les Ombres elle avait plus d’une fois changé de noms au fil des rôles qu’elle interprétait. Un nom pouvait dire long sur les origines d’une personne et son histoire. Etait-elle une femme de noblesse, de bourgeoisie aux prénoms élégants et allongés ou bien une gamine des rues au prénom court et androgène ? Kryss parfois avait du mal à se retrouver dans ses propres yeux gris reflétés dans un miroir. Elle était émotions, réflexes, survie. Elle était arme et ombre. Son prénom, donné avec amour par ses parents, la représentait-elle ? Qui était-elle, au fond ? Toutes ses pensées de bousculèrent dans son esprit et elle resta un long moment silencieuse, le regard perdu sur le chemin devant elle, bercée par le cataclop des juments et les reniflements inconfortables d’Eopren.
- Kryss. Seul cette syllabe, semblable à une onomatopée, s’envola dans l’air frais et la brume qui se dissipait peu à peu. Elle n’y apporta pas plus d’explications ni d’informations. Elle-même ignorait encore à quelle femme ce prénom appartenait, ou du moins appartiendrait au futur. A elle de définir le reste, elle présume. Le cavalier à ses côtés resta un instant songeur et ils furent un long moment contemplatifs. Le calme ne dérangeait pas la jeune femme, et le silence qui s’était installé entre eux semblait naturel, confortable. Kryss ignorait à quand remontait la dernière fois qu’elle avait voyagé ainsi, accompagnée. Probablement avec Zak et encore…généralement elle avait un rôle actif et permanent lors de leurs périples et la jeune femme ne pouvait alors se permettre de relâcher son attention.
Une fois de plus c’est l’homme du Rohan qui brisa cette sérénité. La jeune femme laissa passer quelques instants avant de répondre. Elle ne se souvenait pas non plus de la dernière fois qu’elle avait échangé autant d’informations personnelles avec quelqu’un. Elle ne put s’empêcher.
- Vous en posez bien des questions, vieil homme.
Elle l’entendit renifler à nouveau et sourit avant de reprendre
- J’ignore ma destination. Généralement elle s’impose à moi.
Missions, quête personnelle ou bien une source d’informations à rechercher…la dernière fois qu’elle était partie sans destination en tête était le jour où elle avait fui ses terres ancestrales à dos de Dana et avec pour seules affaires un maigre baluchon de toile.
- Je ne pense pas que mes…’qualifications’…intéresseraient les tuteurs du Roi. Pour l’heure, nos chemins convergent. Le temps décidera du reste…
La jeune femme avait encore bien des décisions à prendre pour la suite de ses aventures. Quelle pierre choisir, pour débuter la construction d’un nouvel édifice ? Les fondations, probablement. La cavalière donna un léger coup de talons et sa fidèle amie s’élança au galop qui lui arracha un rire clair et franc. Le vent gifla son visage et les larmes de froid roulèrent le long de ses joues.
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Eopren eut un rire franc suite à la remarque cinglante de sa nouvelle alliée. Il ne la connaissait que très peu et il ne lui faisait absolument pas confiance, surtout au vu de ce qu’elle s’était montré capable de faire. Pourtant il appréciait déjà sa compagnie. Elle avait du répondant face au vétéran bourru et ne s’était montrée nullement intimidée ou inquiétée par sa carrure ou son allure un peu avantageuse. Malgré son jeune âge, elle avait sûrement dû voir bien pire qu’un vieux soldat aviné.
“Si tu veux t’comparer à un canasson c’est ton choix hein! Pas moi qui l’dis…”
Après cette première pique ironique, elle se décida finalement à partager son nom. Helen. Un nom harmonieux mais plutôt commun en ces terres. Parfait pour se fondre dans la foule. Puis, étrangement, elle se rétracta, et lui donna un autre nom. Une seule syllabe, à peine audible, dite dans un souffle.
“Kryss…” répéta le cavalier qui tentait vainement de se souvenir s’il n’avait jamais entendu ce nom auparavant. Un nom aussi simple que mystérieux, point de nom à rallonge, de titre familial ou autre fantaisie. Rien qu’une seule syllabe, d’une simplicité si brute qu’elle en était teintée de mystère. A l’image de la femme avec qui il faisait route.
“Kryss…ça vient d’chez nous ça ?” Fit-il quelque peu surpris. ”C’est un joli nom en tout cas” ajouta-t-il simplement.
Il n’y avait dans ce compliment aucune tentative maladroite de séduction ou de quelque flatteriepour se faire bien voir. Il l’avait à peine regardé en prononçant ces mots, simplement la réflexion franche d’un homme qui avait perdu tout filtre depuis des années.
Leur conversation se poursuivit et Kryss l’informa qu’elle n’avait pas encore arrêté son choix sur une destination particulière et se contenterait pour le moment de le suivre dans son périple. Une déclaration plutôt surprenante pour le soldat qui avait passé les dernières heures à se demander comment allait-il pouvoir honorer sa part de l’accord qu’ils avaient passé deux jours auparavant. Il ne commenta pourtant pas, se contentant d’acquiescer silencieusement.
Eopren l’observa partir au galop devant lui, déboulant à toute vitesse sur les sentiers poussiéreux qui parcouraient les interminables plaines du Riddermark. Il accéléra lui aussi la cadence pour ne pas la perdre de vue mais ne se décida pas à aller aussi vite, son dos le faisait encore trop souffrir pour cela. Il la suivait donc à distance, au trot, surveillant d’un oeil les boucles brunes qui virevoltant au loin et contemplant de l’autre les majestueux paysages de son pays natal, qu’il s'apprêtait à laisser derrière lui. Pour toujours.
Les heures passèrent et le soleil atteignit son zénith et ils longeaient désormais un tout petit ruisseau dont le clapotement venait les bercer. Accablé par la chaleur; Eopren fit signe à Kryss, qui avait fini par le rejoindre après sa cavalcade. Il était temps de s’arrêter pour laisser les montures s’abreuver et manger un frugal déjeuner. Il descendit de selle et déposa son paquetage contre un rocher qui ferait guise de fauteuil de fortune. Avec un soupir de satisfaction il se laissa glisser au sol et étira ses muscles ankylosés, puis, il sortit de ses provisions quelques pommes et des morceaux de viandes séchées qu’il se mit à mâcher bruyamment.
“T’en veux?” Fit-il à Kryss en lui tendant une partie de son repas.
Ils mangèrent ainsi en silence, nourrirent leurs monture avec ce qu’ils avaient pu transporter avec eux. Alors qu’ils remplissaient leurs outres d’eau, accroupis près du ruisseau, Eopren remarqua une longue cicatrice qui courait sur la paume de la jeune femme qui avait retiré ses gants pour se rincer les mains. Si jeune et déjà meurtrie dans sa chair.
“Tu sais Kryss, quand j’avais ton âge j’étais encore un p’tit con. Mais un p’tit con plein d’espoir, de rêves et d’aspirations. Je rêvais de devenir un officier prestigieux du Rohan, de défendre ma patrie héroïquement face à ses ennemis et de devenir la fierté de toute une famille. Avec les années j’ai perdu tout ça en route et je ne suis plus qu’un vieux con sans espoir. Le cynisme et les p’tites combines pour un gars d’mon âge c’est banal, mais pour une belle jeune fille comme toi qui a encore toute sa vie devant elle, c’est pas banal…Le monde part vraiment en crottin…”
Il se redressa en poussant un grognement, décidément ses genoux grinçants ne lui laissaient aucun répit. Eopren avait toujours été d’un naturel curieux mais il avait en réalité une autre idée en tête avec toutes ces remarques personnelles. Kryss était encore un mystère à ses yeux et la tombée de la nuit approchait à grands pas. Le vétéran avait besoin de sommeil mais il devait avant tout chercher à mieux la connaître avant de baisser sa garde. Il ne comptait pas encore finir avec la gorge tranchée au bord du chemin, son assassin fuyant avec sa maigre bourse. “As-tu connu la guerre Kryss?”
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La jeune femme profitait de l’air qui se réchauffait subtilement au fil des heures passées à chevaucher en silence, bercée par le bruit des sabots et du vent dans les branches nues des arbres éparpillés des plaines. Elle avait donné son nom, son véritable nom. Elle entendit le cavalier à sa droite le répéter quelques fois, pensif. Entendre son nom dans la bouche d’un inconnu était une sensation indescriptible. Un frisson traversa son échine et elle ne sut déterminer si cela était positif ou non. Elle ne put retenir cependant une remarque cinglante, avant de partir au galop : - J’ai pas souvenir d’avoir dit d’où je venais.
Le vent giclant contre ses oreilles tut la moindre tentative de réponse. Elle se sentait à nouveau vulnérable et n’aimait absolument pas ce sentiment. Elle talonna sa jument de plus belle pour mettre de la distance entre elle et le cavalier du Rohan. Il était trop curieux et parlait trop à son goût. La jeune femme tâcha de rester bien en avant pour échapper à toute tentative de conversation. Elle n’avait que peu de patiences pour les interactions sociales et n’avait plus l’habitude d’avoir de la compagnie. Assise sur Dana, son regard balaya ses terres natales. Elle ralentit le rythme et laissa sa monture choisir son propre rythme, lâchant même les rênes pour se laisser guider le long des chemins qui n’étaient qu’herbe aplatie sur les flans de légères collines qu’ils grimpèrent ensemble.
L’homme la suivait de loin, gardant une distance raisonnable. Avait-il compris les habitudes quelques peu introverties de sa nouvelle compagne de route ? Probablement pas. Elle médita un instant sur cet homme étrange. Il n’avait pas l’air d’humeur solitaire comme elle, que pouvait-il bien faire seul sur les routes ? Il lui avait déclaré fuir mais la jeune femme était sceptique. Si cela était vraiment le cas, sa vision fantasmée des puissants cavaliers du Rohan, ordre à laquelle avait appartenu son père, avait bien diminuée. Elle haussa les épaules. Ils n’étaient que des hommes après tout, à quoi s’attendait-elle ? Elle fit pivoter Dana pour vérifier qu’il la suivait toujours, de loin. Pourquoi elle ne partait tout simplement pas de son côté ? Elle avait les vivres pour et savait subvenir à ses besoins. A cette question la jeune femme ne sut répondre. En voyant cependant le soleil haut dans le ciel et Eopren lui faire signe de s’arrêter, Kryss galopa à nouveau et retraça son chemin pour le rejoindre.
Elle déchaussa des deux étriers d’un seul geste et grimaça légèrement en sautant sur le sol, ayant quelques peu perdu l’habitude des longues chevauchées ces derniers mois. Elle espérait que cela lui reviendrait vite car cela lui avait beaucoup manqué. Elle gâta Dana d’une pomme prise dans sa sacoche et caressa longuement son encolure avant de la guider par la bride au ruisseau pour qu’elle puisse s’y désaltérer.
- T’en veux ?
La jeune femme s’approcha du cavalier sans un mot et lui prit de la viande séchée qu’elle se mit à mastiquer, hochant la tête en signe de gratitude. Elle ne s’assit pas cependant, préférant marcher pour délier ses jambes, sur les gardes. Elle observa leurs alentours et se rassura de ne voir aucune trace récente de passage. Elle déglutit avec peine les morceaux de viandes ainsi que les dernières gouttes d’eau de sa gourde de voyage. Le bougre de Vencesla avait une force d’ours et ne l’avait pas loupé. Elle toussa quelques fois et desserra son col avant de palper légèrement à l’aveugle les traces d’étranglement. Elle aurait peut-être du le frapper quelques fois supplémentaires, pour faire bonne mesure… Une fois le déjeuner avalé, Kryss et Eopren allèrent remplir leurs outres à la rivière. Elle retira ses gants de cuir qu’elle mit dans ses poches et accueillit le froid mordant de l’eau contre sa peau nue. Elle s’en aspergea le visage et passa également ses mains sur sa gorge pour essayer de soulager les douleurs et apaiser les marques.
- As-tu connu la guerre Kryss ?
Encore son nom, prononcé dans la bouche d’un étranger. La jeune femme releva la tête pour plonger ses yeux d’argent dans ceux du vieux soldat. S’agissait-il encore d’un test ?
- Est-ce un interrogatoire ?
Elle reboucha sa gourde remplie qu’elle empocha dans sa sacoche et s’éloigna pour l’accrocher sur le côté de la selle dont elle vérifia les liens une fois de plus en ignorant le bronchement de sa monture, prête à repartir. Ses mains s’arrêtèrent sur le cuir et Kryss prit la parole sur un ton égal, mesuré.
- Si par guerre, t’entends deux groupes de soldats de métier, une grosse mêlée pour une noble cause alors non, je n’ai pas connu la guerre. Elle se retourna pour faire face à Eopren et le transperça de son regard avant de continuer.
- J’ai connu la faim. Le froid. J’ai connu la douleur et la solitude. J’ai connu la trahison.
Elle déglutit et se râcla la gorge.
- J’ai tué. Je connais le goût du sang. Mais cela tu le savais déjà.
Elle se retourna et remonta en selle d’un geste souple avant de s’emparer des rênes d’un geste sûr et de faire pivoter sa jument, impatiente de reprendre la route.
- Je ne m’excuserai jamais pour mes actes. Je fais ce qu’il faut pour survivre.
Kryss avança sa monture jusqu’au cavalier et le toisa froidement.
- Chaque lumière a son ombre.
La jeune femme pencha la tête sur le côté, analysant les réactions de son partenaire de route, un geste s’approchant d’un prédateur. Autant vider son sac maintenant si leurs routes venaient à continuer un moment ensemble. Kryss n’avait pas peur de voyager seule. Il avait toutes les raisons de se méfier d’elle mais malgré son apparence de soldat déchu et ravagé par le passé, la jeune femme n’était pas prête à abaisser sa garde non plus.
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Eopren renifla bruyamment en remontant en selle. Sa partenaire de rotule n’était pas des plus bavardes et elle révélait au compte-gouttes des bribes d’informations la concernant. Pourquoi tant de mystère? Pourquoi tant de précautions? Percevait-elle le vétéran comme une menace dont elle devait se méfier? Ou alors était-ce simplement l’attitude qu’elle avait choisie d’adopter envers tout le monde. Une vie faite de méfiance et de secret. Elle lui révéla cependant avoir traversé des épreuves, le froid, la faim, la douleur, la solitude, la trahison… Autant de mots qui venaient percuter le vieux soldat comme de violentes gifles. Tant d’afflictions pour une si jeune vie. Le pire, et il se retint de le préciser, était que cela n’était probablement qu’un début. Le monde avait cette fâcheuse habitude de s'acharner sur ceux qui avaient déjà eu leur lot de souffrances.
“ Il vaut mieux être vivant que désolé.” Commenta-t-il simplement à la suite de la remarque de la jeune femme concernant de potentielles excuses qu’elle ne voulait pas formuler.
A la suite de ces mystérieuses indications, Kryss relança la conversation ce qui eut le don de le surprendre quelque peu. Il avait accepté l’idée qu’il allait devoir faire, pour ne pas dire forcer, la discussion avec sa partenaire tout au long du trajet. Celle-ci était d’un naturel taiseux et les conversations avaient, jusque-là, exclusivement été initiées par le cavalier. Des échanges que la jeune femme n’hésitait pas à conclure aussi rapidement que possible. Le fait qu’elle lui posait désormais une question sur son passé était pour le moins inattendu et étrangement cela le mettait mal à l’aise. Pourtant, il en avait vu d’autre mais un voile sombre passa sur son visage alors qu’il détournait son regard. Plusieurs secondes furent nécessaire pour qu’il puisse trouver les mots: “Mon histoire est celle de tant de rohirrim. A la différence près que la mienne a le malheur de durer plus longtemps… C’est l’histoire d’un jeune cavalier plein de grandes idées et d’héroïsme. Jusqu’au jour où il réalise que cela n’en vaut pas la peine. Que cela n’en a jamais valu la peine.”
Sur ces mots aussi fatalistes que énigmatique, il se mura dans un silence total. Ils chevauchèrent ainsi, sans un mot, pendant de longues minutes alors que le soleil commençait à décliner au loin. Pour accompagner cette descente, le vétéran se mit à fredonner une chanson sur un air de sombre ballade:
"Servant l’Enfant, le Prince ou le Félon Tous ces fiers fils du Rohan Ainsi forcés par ces démons D’en venir aux combats sanglants
Entends-tu, ô Rohan? Les pleurs de tes enfants Riddermark, es- tu là? Face au malheur de tes soldats
De la Nuit des Lances Noires Jusqu’aux plaines rougies Ces frères, sans le vouloir; Durent s’occire avec furie
Entends-tu, ô Rohan? Les pleurs de tes enfants Riddermark, es- tu là? Face au malheur de tes soldats
Le vétéran, qui par malheur Survécut au charnier Ne peut regarder ailleurs; Lourd du fardeau du rescapé
Entends-tu, ô Rohan? Les pleurs de tes enfants Riddermark, es- tu là? Face au malheur de tes soldats”
Au dernier couplet, une fine larme coula rapidement le long de sa joue émaciée pour venir mourir dans sa barbe. Deux âmes en peine errant dans les plaines du Riddermark; l’une fuyant son passé, l’autre son trauma.
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La jeune femme avait pris les devants une fois remontée en selle mais ne s’éloigna guère cette fois-ci et put parfaitement entendre la réponse du cavalier qui la plongea dans de profondes réflexions. Ils voyagèrent donc ainsi longuement en silence, bercés par le pas régulier et serein de leurs montures qui ne partageaient nuls de leurs blessures. Kryss ignorait les détails et Eopren n’en donna pas plus. Elle ne posa pas de questions et pouvait parfaitement comprendre qu’on ne veuille partager ses fantômes et démons les plus profondément ancrés en nous. Elle méditait à ce rêve d’enfant qui avait été de devenir cavalière, elle aussi, la cape verte claquant avec fierté dans le vent et les crins de chevaux flottant en haut de son casque gravé de motifs équins. Si les propos du vieux soldat étaient vrais, alors qu’importe le chemin qui s’est présenté au pieds de la jeune femme, elle aurait été condamnée à une vie de tristesse. Elle se demanda s’il valait mieux embrasser les Ombres comme elle actuellement, ou être pourchassée par elles comme Eopren. Le monde avait décidément bien plus d’obscurité que de lumière…
Kryss somnola légèrement sur la selle de sa monture, l’esprit encore vigilant mais au repos…et crut discerner un chant au loin sans en reconnaître la voix ni le contenu… Le chant était mélancolique et beau à la fois…comme une relation lointaine et disparue dont on se souvenait pourtant avec une certaine tendresse… un souvenir lointain et à demi effacé… Le changement de rythme de Dana l’arracha de ses songes et elle se redressa sur sa monture en ronchonnant de douleurs accumulées par une longue chevauchée après de longs mois à pied. Il n’y a pas à dire, qu’importe le moyen de transportation on avait mal quelque part. Kryss frotta ses yeux et observa qu’ils s’arrêteraient sous peu pour la nuit. Au moins, elle pourrait prendre le premier tour de garde avec l’énergie à demie retrouvée. Le cavalier n’était pas loin et les guidait vers un sous-bois proche d’un lac. La vue était superbe, le soleil couchant recouvrant de teintes orangées les plaines vallonées du Riddermark.
Sans un mot ni consultation, elle attacha Dana non loin de la source d’eau et s’en alla chercher du bois. La fonte avait eu lieu il y a peu et les nuits étaient humides, ils auraient du mal à faire bruler le bois mais tout vient à qui sait se montrer patient et persévérant. Se pencher lui arracha quelques grognements une fois de plus mais elle s’assura d’avoir une bonne réserve amassée pour ne pas avoir à y retourner en plein milieu de la nuit. Les plaines étaient désertes et ils étaient éloignés de toute route commerciale, il serait préférable de faire un feu pour se tenir chaud même si cela voulait dire que les fumées seraient visibles de loin… Une fois de retour au campement de fortune, elle chercha des yeux Eopren et ne le trouva pas. Elle haussa les épaules et fit démarrer le feu avec une patience exemplaire, soufflant à répétition sur les braises naissantes, la fumée lui tirant des larmes aux yeux. Mais enfin, enfin la chaleur l’envahissait doucement et elle passa un moment à se récompenser, réchauffant ses mains recouvertes d’égratignures, puis y installa un pot pour faire chauffer de l’eau.
Lorsque le cavalier revint, la jeune femme avait déballé ses propres affaires et sélectionné les rations ayant besoin d’être consommées en premières. Pour se remonter le moral elle sortit une flasque de vin épicé. - T’en veux ?
Cela devenait un petit rituel entre eux semble-t-il… Le repas n’étant pas encore prêt mais sous bonne surveillance, Kryss s’éloigna à son tour pour trouver un endroit discret où elle pourrait se rafraîchir du long trajet. Elle ignorait encore sa destination mais profitait des plaisirs apportés par une vie sur les routes et le sentiment de libertés sans limites. Grinçant des dents, elle brava le froid et entra dans l’eau jusqu’au ventre, claquant des dents. Après quelques instants à se frotter et réunir son courage, elle prit une profonde inspiration et s’immergea entièrement. Le monde autour d’elle alors disparut dans une claque glaciale, chaque bruit nocturne étouffé par la barrière aqueuse. Avait-elle seulement raison de ‘faire confiance’ à cet inconnu ? Elle était là, sans guère de défense et ses affaires laissées quelques mètres plus loin. Oui. Enfin peut-être. Il était encore trop tôt pour le savoir, mais ma foi pourquoi pas ? Peut être que ce premier pas était le plus crucial, un tournant dans sa vie future. Elle attendait un signe, une direction, un objectif. Était-ce lui qui lui donnerait, ou la mettrait sur la voie ? Les questions tournoyèrent dans sa tête comme le courant calme de l’étang et de ses habitants qu’elle ignorait, les yeux fermés. Elle refit surface et une vague de chaleur l’envahit en raison du choc de températures. Elle se sécha prestement et revint juste à temps pour le repas, le feu aux joues. Elle prit la flasque des mains d’Eopren et en but une gorgée généreuse avec un soupir de contentement. Elle se sentait revivre doucement. Ou bien vivre, tout simplement…
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Eopren se saisit de l’outre de vin que lui tendait Kryss et la remercia d’un signe de la tête. Il porta le goulot à ses lèvres et poussa un long soupir de satisfaction quand il sentit le liquide pourpre couler dans sa gorge et que les tanins vinrent piquer son palais. Le vétéran dût même fournir un effort mental considérable pour ne pas immédiatement en reprendre une gorgée, ou finir d’un trait tout le contenu de la gourde. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait pourtant. Il déposa donc l’outre près du feu, à quelques mètres de lui, comme si établir une certaine distance pouvait l’aider à mieux résister à l’appel de la boisson. Sa partenaire le quitta pendant un petit moment, partie se rafraîchir sur les rives du petit lac. Il y prêta à peine attention, le regard perdu dans les flammes qui dansaient devant lui. Au retour de la jeune femme, il retira du feu le potage d’avoine qu’il avait mis à bouillir quelques dizaines de minutes plus tôt. Les céréales semblaient cuites; il y avait également jeté une carotte et quelques morceaux de viandes séchées pour ajouter un peu de saveur. Un repas simple mais assez consistant pour tenir jusqu’au lendemain. Il versa une portion dans un bol qu’il tendit à Kryss:
“‘Tention c’est chaud. Va pas te brûler avec ça.”
Il s’adossa contre un gros rocher et piocha directement dans ce qui restait dans la petite marmite à l’aide de sa cuillière. Ils mangèrent avec appétit, puis Kryss se proposa pour prendre le premier tour de garde. À vrai dire, il n’avait initialement pas songé à de quelconques tours de garde. De toute façon, il avait imaginé mener ce périple seul. Mais à y réfléchir, et au vu de la situation actuelle, cela était peut-être plus sage. Eopren opina du chef et se mit en quête d’un bout de terre un peu plus mou sur lequel déposer son couchage et s'emmitoufla dans sa couverture. Après des mois de chaleur étouffantes du Long Été qui avait suivi le Rude Hiver, le climat semblait reprendre un rythme à peu près normal et les nuits s’étaient considérablement rafraîchies dans le Riddermark. Au-dessus de sa tête, un magnifique parterre d’étoiles s’étendait avec prestance. Comme à son habitude quand il partait en patrouille pour plusieurs jours, il se mit à les compter, les unes après les autres; jusqu’à sombrer dans un sommeil bien agité.
Des cris stridents.
L’odeur âcre du feu.
Des cris déchirants.
Le tintement de l’acier.
Des cris glaçants.
Le goût du sang.
Des cris de souffrance.
La douceur de la peau du gamin sans vie à ses pieds.
Des cris d’amour brisé.
La vision de frères se massacrant.
Et toujours ces mêmes cris.
Eopren se réveilla en sursaut, haletant et en sueur. Il lui fallut quelques secondes pour reprendre ses esprits et faire la part des choses. Les échos des hurlements hantaient encore son esprit, jusqu’à disparaître progressivement pour laisser leur place au calme total de la nuit rohirrim. Du coin de l'œil, il observa Kryss qui lui tournait le dos. L’avait-elle vue dans sa misère? Si tel était le cas, elle n’en montrait rien. Le vétéran se racla la gorge pour signaler qu’il était éveillé.
“Je vais te remplacer P’tite Pousse, va dormir un peu.’’
Il sortit sa longue pipe de son paquetage et la bourra d’herbe à fumer et alluma le tout d’un geste expert. Il s’assit près du feu, observant ce qu’il pouvait distinguer des alentours à travers les volutes de fumée qui s'échappaient de ses narines, cherchant à tout prix à éviter le sommeil. Une lutte vaine pour repousser le moment où il devrait affronter ses démons.
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Au petit matin, il fut tiré de son état de somnolence par un son qu’il ne connaissait que trop bien. Un bruit de cavalcade acharnée, d’abord distant mais qui se faisait de plus en plus sonore. Eopren bondit sur ses pieds, en état d’alerte. Bientôt la terre à ses pieds s'était mise à trembler. Ils étaient proches. Le vétéran courut en direction de Kryss, qui s'était également réveillée à cause du vacarme.
“Au sol! Reste à terre!”
Eopren s’allongea sur le ventre à ses côtés, se faisant le plus petit possible. Cela pouvait leur permettre de rester inaperçus si les nouveaux arrivants ne passaient pas trop près d’eux. Au loin; un imposant nuage de poussières s’élevait et bientôt les silhouettes de centaines de cavaliers apparurent au loin. Tous en armures, portant fièrement la bannière du Rohan au-dessus de leurs têtes. Ce spectacle n’avait rien de celui d’une simple patrouille de chevaliers comme on pouvait souvent en croiser à travers le pays. Il s’agissait d’une éored entière prête à partir au front. Le vétéran siffla avec étonnement: “Ils s’en vont au combat. Mortensen à sûrement ordonné le ralliement des éoreds de la région à Edoras. La guerre est proche…”
Ils restèrent ainsi couchés au sol pendant de longues minutes, patientant que la colonne de soldats ne passe devant eux. Malgré les dizaines de mètres qui les séparaient, Eopren leva légèrement la tête pour observer ces hommes; cherchant un visage familier parmi la foule, se demandant lesquels ne reviendraient jamais dans leurs chaumières pour embrasser leurs femmes et enlacer leurs enfants. Si les circonstances avaient été différentes, cela aurait pu être lui sur un de ces destriers.
Une fois que l’éored se fut éloignée de leur position, en direction de l’Est, le vétéran fit signe à sa camarade qu’ils pouvaient reprendre leur chemin vers le Nord-Ouest. Ils éteignirent les dernières braises qui fumaient et chargèrent leur paquetage sur la croupe de leurs montures et se mirent en route. Le temps ensoleillé de la veille avait cédé sa place à un ciel gris et menaçant, des rafales de vent venaient frapper leurs visages à intervalles réguliers.
Pour tuer le temps, plus que pour toute autre raison, Eopren initia la conversation. Ils échangèrent quelques banalités, puis le déserteur lui proposa un jeu: “T’veux jouer aux devinettes Kryss? Si tu trouves la bonne réponse; je suis en charge du feu ce soir. Ensuite ce sera à toi…”
D’ordinaire, quand ils jouaient avec ses comparses à la caserne, Eopren misait de l’argent et avait acquis une réputation de joueur talentueux pour les uns, de tricheur notoire pour les autres. “T’as été arrêté pour tes larcins; et tu te trouves face à deux gardiens de porte. L’un dit toujours la vérité, l’autre ne sait que mentir. Une des portes mène à la liberté, l’autre à la prison pour toujours. Tu n’as le droit de ne poser qu’une seule question à l’un des deux gardes. Comment t’assurer de faire le bon choix?”
Le vétéran ponctua sa question d’un sourire malicieux; il avait toujours été d’un naturel joueur.
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La jeune femme s’assit en tailleur près du feu réconfortant et pris des deux mains le bol fumant. Son vent gargouilla et elle se jeta dessus, affamée. Elle poussa fort de soupirs, se brulant la gorge et la langue au passage mais elle ne pouvait s’en empêcher. La chaleur l’envahit de l’intérieur et finit de repousser le froid des eaux du lac l’ayant glacé jusqu’aux os. Ils mangèrent ainsi en un silence relatif, écoutant les craquements du bois et les cuillères racler avec avidité pour soutirer le moindre reste de leur repas. Bientôt, ils n’auraient plus à leur disposition de mets frais, ou ils devront s’arrêter en chemin dans des fermes pour se réapprovisionner. Kryss ne voulait pas y penser maintenant. Elle mâcha donc l’avoine et les morceaux de viande séchée dans son potage, reculant par force d’esprit toute pensée envahissante. Eopren accepta sans même une réflexion sa proposition de tour de garde et la jeune femme pris place avec sa flasque de vin épicé auprès du feu, tournant le dos au cavalier mais gardant sa dague juste à côté d’elle, aux aguets. Elle doutait qu’il ne l’attaque par surprise mais sa confiance ne s’étendait pas jusqu’à rester sans armes et entièrement relaxée. De sa sacoche elle sortit quelques feuillets vierges, et tira du tas un morceau de charbon. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas dessiné et n’avait pas spécialement de talent en la matière. Kryss avait cependant toujours apprécié faire des croquis pour vider sa tête. Elle agrippa dans sa main la boule sombre et se mit à griffonner d’un air absent les arbres dans la brise nocturne ainsi que les esquisses de quelques plantes qu’elle avait aperçu non loin de leur campement. La jeune femme entendit le sommeil agité de son compagnon de route mais ne se retourna pas. Elle pouvait d’ici reconnaître les cauchemars qui semblaient le poursuivre à chaque instant de faiblesse. A chacun ses démons, vieil homme…
Lorsqu’il vint prendre son tour de garde quelques heures plus tard, Kryss jeta dans le feu ses croquis qui brulèrent doucement, ajoutant aux crépitements du feu qu’elle avait entretenu tout du long. Elle hocha la tête sans dire un mot et alla rejoindre sa couche, installée près de sa jument et se roula en boule, le dos collé à un arbre, regrettant déjà la chaleur apportée par la proximité de la flamme. Elle sombra dans un sommeil profond dont elle ne garda aucun souvenirs… Son repos cependant fut de courte durée. Elle sentit les tremblements avant même entendre le bruit des sabots et elle se releva en hâte, la main déjà sur le pommeau de sa dague, le cœur battant. Elle ne vit même pas Eopren se jeter sur elle pour la plaquer au sol et en mordit la terre battue en grognant. Le bruit était indescriptible et semblait la parcourir de part en part. Son regard glissa sur le feu, mourant mais encore présent et vérifia que leurs montures n’allaient pas s’échapper de panique. De longues minutes passèrent. Kryss ne put voir ces soldats en route pour la guerre, ayant la vue obstruée par l’arbre contre lequel elle s’était couchée. Elle entendit cependant le commentaire du cavalier, allongé tout près d’elle et ne sut que répondre. La jeune femme aurait voulu voir ces fiers combattants, l’image incarnée de son rêve d’enfant, mais ne put bouger sous le poids d’Eopren et cela aurait été un risque inutile. Le nuage de poussière arriva jusqu’à eux et finit d’éteindre le feu. Elle plaqua sa main contre sa bouche, son nez et protégea ses yeux comme elle put. Puis peu à peu le tremblement de la terre sous eux s’apaisa et se distança. Ils étaient partis, et ils n’avaient pas été repérés…
La jeune femme observa un instant les réactions du cavalier déchu et fuyant mais ne sut interpréter l’expression qui se lisait sur le visage. Avait-il vu, reconnu des personnes dans ce groupe ? Avait-il même une famille, des amis qui l’attendaient ? Elle n’en savait rien…Quelle sensation cela faisait-il même, d’être attendu impatiemment par un être aimé, avoir un foyer, à endroit où ‘rentrer’ ? La connaitra-t-elle un jour ? Elle en doutait et cette pensée intrusive lui arracha un brin de tristesse. Elle s’épousseta comme pour se débarrasser de ce sentiment en même temps que de la poussière générée par la cavalerie et réunit ses affaires en silence. Elle monta dans un geste souple et se félicita de n’avoir que de légères courbatures du jour précédent et ils prirent la route, Eopren guidant le chemin, Kryss à sa gauche non loin de là.
- T’veux jouer aux devinettes Kryss ?
La jeune femme répondit par une grimace. Visiblement elle aurait du mal à s’y faire, d’entendre son nom dans la bouche d’un inconnu. Elle aurait probablement dû se contenter d’en donner un fictif comme à son habitude. Elle se concentra néanmoins sur la devinette plus par ennui que par réel intérêt pour le gain. Elle avait bien compris qu’Eopren était bien plus social qu’elle et avait besoin d’interactions.
- Je menacerai la vie d’un garde pour qu’il pousse le deuxième à travers une porte. Dans les deux cas je présume que l’autre garde voudra se débarrasser de son collègue ? Donc ce serait la porte de la prison. La jeune femme haussa les épaules. Elle prit cependant un instant avant d’ajouter :
- Si j’ai pas le droit d’agir mais juste poser une question, je demanderai à un garde quelle porte le deuxième m’indiquerait pour la liberté, et choisirai l’autre par esprit de contradiction.
Elle offrit un sourire carnassier à son interlocuteur et explosa de rire. Elle ignorait si sa réponse était correcte mais ne s’en formalisa pas outre mesure. Elle avait rarement autant échangé avec un comparse ces dernières années. Une question cependant la taraudait depuis l’autre jour… Elle se renfonça donc un peu plus derrière ses murailles mentales avant de lui adresser une question à son tour… - Qu’est ce qui t’as mis la puce à l’oreille ? Pour…mes origines…
La jeune femme détourna son regard un instant, nostalgique. Elle ignorait si l’appartenance à une nation lui apporterait une quelconque satisfaction ou réconfort dans sa situation actuelle. Appartenir, c’était s’enchaîner. Et visiblement ce n’était pas idéal….
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Le rire de Kryss était aussi surprenant que bienvenu. Depuis le début de leur périple, la jeune femme s’était montrée pour le moins réservée, pour ne pas dire complétement glaciale. Des âmes brisées s’étant réfugiées dans le silence, le vétéran en avait vu plusieurs durant sa longue carrière. Rarement, cependant, n’étaient elles aussi jeunes. Ce mutisme et cette froideur étaient-ils le résultat d’un traumatisme passé ou alors un simple mécanisme de protection. Rester constamment sur ses gardes, se méfier de tout, n’accorder sa confiance en personne ; tel était la vie que certains choisissaient de vivre pour se préserver. Mais était-ce vraiment une vie qui valait la peine d’être vécue. Eopren, avait tenté de percer les nombreux mystères qui se cachaient derrière ce regard gris si étrange, en vain. Au moins était-il parvenu à briser une fraction de cette carapace. Ce simple rire lui faisait du bien, comme s’il obtenait enfin la certitude que celle qui l’accompagnait était bien humaine. Une humaine capable de sourire, donc, mais aussi plutôt maline et débrouillarde. Dans sa réponse à l’énigme, Eopren pouvait lire le type de vie qu’elle avait dû mener jusque-là. Une vie faite de menaces, d’affrontement et d’un manque total de scrupules afin de parvenir à ses fins. Une vision plutôt efficace pour faire face à la brutalité du monde, loin des hypocrisies des âmes pures et de leur code d’honneur qui les menait bien souvent à leur perte. L’approche du soldat était, cependant, légèrement différente.
“ C’est malin comme approche j’dois dire. Moi, au lieu de lui mettre un couteau sous la gorge, je l’aurais soudoyé… Les hommes répondent bien mieux à l’appel de l’or qu’aux menaces.”
Il avait prononcé ces derniers mots sur un ton solennel, à la manière d’un sage énonçant un grand principe philosophique. Kryss relança la finalement la conversation avec une question plutôt singulière, visiblement la remarque du vétéran à propos du nom de la jeune femme la troublait. Elle s’était à nouveau retranchée derrière ce voile de méfiance, s’empressant de reconstruire les murailles mentales la séparant de son compagnon de voyage après en avoir légèrement entrouvert la porte. Le guerrier ne s’en offusqua pas pour autant, conscient qu’une relation de confiance, si peu qu’elle soit possible, ne s’établirait pas en quelques heures. “Eh bien… pour être honnête, pas grand-chose…Le fait qu’une jeune fille se trouvant dans cette auberge vienne du Rohan était simplement le plus probable. Mais t’aurais bien pu être Gondorienne ou Dalite, j’suis pas devin…”
Eopren hésita à poursuivre son raisonnement. Après tout, il ne mentait pas et n’avait jamais eu aucune certitude des origines de Kryss. Mais la manière dont il avait présenté les choses, n’était pas anodine.
“J’me suis juste débrouillé pour que j’ai l’air de savoir…Je me suis interrogé sur le fait que ça vienne d’chez nous. Tu l’as interprété comme ça, que je sache que tu es une locale… Dans le cas contraire, la même phrase pourrait aussi être valable, montrant déjà mes doutes concernant une origine étrangère… L’important n’est pas de connaître la vérité mais de pouvoir le prétendre.”
Le soûlard, rustre et mal éduqué, que Kryss avait croisé quelques jours plus tôt était finalement un homme plus complexe, et surtout plus intelligent que l’on pouvait d’abord le penser. Un esprit forgé par des décennies de combines et de petites manigances afin de pouvoir naviguer en eaux hostiles.
“À ce rythme tu connaîtras toutes mes p’tites astuces avant qu’on arrive à la Trouée du Rohan. Pour que ce soit équitable, faudrait que tu partages aussi un ou deux secrets à toi P’tite Pousse.”
Le reste de leur journée de voyage se déroula sans grandes encombres. Les routes qui traversaient l’Ouestfolde pour remonter vers l’Isengard et la Trouée du Rohan, habituellement très prisées par les marchands et voyageurs, étaient bien calmes, les bruits d’une possible invasion à l’Est du pays ayant dissuadé les plus raisonnables des itinérant de s’aventurer dans le Riddermark. Eopren et Kryss avaient décidé de ne pas s’arrêter pour déjeuner afin de gagner du temps et de profiter du temps plutôt dégagé pour couvrir un maximum de distance. Ils s’étaient donc contentés de grignoter un peu de viande et des fruits secs tout en restant en selle, échangeant quelques phrases pour passer le temps. Le plus souvent, cependant, ils restaient silencieux, le regard tourné vers les étendues vertes et de plus en plus vallonnées de cette partie du royaume. Les grandes plaines qui s’étendaient à perte de vue avaient cédé progressivement leur place à un paysage très légèrement plus accidenté, signe qu’ils approchaient des racines des Monts Brumeux.
Devant eux, à quelques dizaines de mètres, ils aperçurent une petite carriole qui semblait immobilisé sur le bord de la route. Un homme, qui portait des vêtements de paysan, s’affairait à soulever le poids du chariot tandis que son jeune fils, qui ne devait pas avoir plus de quinze ans, tentait de remplacer une roue brisée par une nouvelle. En voyant s’approcher les deux cavaliers, l’adolescent fit signe à son père. Ce dernier se tourna vers eux et les héla en agitant les bras au-dessus de sa tête.
“Hé hé ! Ma Dame ! Messire !”
Eopren ne réagit pas immédiatement, mais finit par comprendre que la remarque lui était adressée. Se faire appeler “Messire” était bien étrange à ses oreilles, mais là était sans doute l’un des effets que faisait la longue cape verte qu’il portait. Une fois arrivé à leur hauteur, l’homme leur expliqua la situation “Notre charrette s’est endommagée alors que nous cherchions à rentrer dans notre village. Nous transportons une grande quantité de grains et de céréales pour nourrir le bétail et nos chevaux. La roue à du céder sous le poids…On aurait bien besoin d’un peu d’aide pour soulever le chariot et réparer tout ce bourbier…”
Eopren, visiblement mécontent de ce contretemps, échangea un regard silencieux avec Kryss, lui laisse ostensiblement la responsabilité de la décision.
The Young Cop
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Prétendre, laisser sous-entendre…n’étaient-ce pas ces mêmes méthodes que Kryss utilisaient lorsqu’elle souhaitait passer pour une autre ? Et pourtant elle était tombée en plein dedans tête la première et elle se maudit d’avoir ainsi confirmé les soupçons du cavalier. Elle serra les dents et resta un long moment muette, la colère contre elle-même se faisant ressentir dans la manière qu’elle serrait les sangles de cuir pendant mollement sur sa selle, se laissant guider aveuglement par sa monture Dana. Le vieillard semblait avoir plus d’un tour dans son sac, mais la jeune femme se douta qu’elle puisse apprendre de lui. Elle ne recherchait plus de maître et ne souhaitait dépendre de personne. Enfin, après des années d’apprentissage, elle était libre. Elle comptait bien en profiter et même si son chemin semblait se mouvoir près de celui d’Eopren pour l’instant, rien ne pouvait attester qu’il en sera de même dans les semaines à venir. Ces interventions cependant lui donnaient à réfléchir. Kryss avait parfaitement conscience que son art ne pouvait qu’être perfectionné par le temps et la pratique. Tel était après tout la clé de sa propre survie.
La cavalière se demandait seulement si passée cette suggestion qui l’avait mise en déroute et vendue auprès du soldat elle avait encore cet air du Rohan dans ses traits. Ses habits, généralement sombres, ne possédait pas d’attribut pouvant l’affilier à une nation. A part ses médaillons et ses armes, elle voyageait léger et n’avait pas plus d’effets personnels que le strict nécessaire pour lui permettre les longs trajets. Elle se souvenait même avec du mal de sa dernière emplette par ‘envie’ qui n’était pas une arme ou un équipement dû à sa profession. Sa profession…la connaissait-elle seulement ? Elle n’avait pas le rang d’une Ombre, n’appartenait à aucun groupe et elle n’aurait su définir elle-même l’étendue de ses activités. Survivante, était-ce, en soit, une profession ?
Le reste de la journée passa dans un calme relatif et ils mangèrent en selle une collation légère pour ne pas ralentir le rythme. La jeune femme répondit partiellement aux demandes d’interactions de son compagnon de voyage, et se garda bien de révéler quoi que ce soit qu’il puisse utiliser par la suite pour ses petits jeux de vice. En soit, son identité ne valait rien, et personne n’était à sa recherche active…elle ne pouvait cependant s’empêcher de garder chaque bribe d’information sur elle jalousement, comme le seul bien qu’elle possédât. Les chemins étaient désertés et seulement maintenant Kryss en remarqua l’étrangeté. Ces routes commerciales auraient dû présenter un flot continu d’itinérants et cependant, ils étaient seuls. Les récits de l’ivrogne avaient-ils plus de vrai qu’elle ne l’aurait d’abord cru ? Elle se tourna vers lui et s’apprêta à réunir la volonté de l’interroger lorsqu’elle le vit se tendre, sur ses gardes, à l’approche d’une carriole solitaire. Elle ne comprit pas au début qu’ils s’adressaient à elle et Kryss se retourna pour voir de ses propres yeux cette fameuse dame et messire auxquels l’homme mal fortuné faisait référence, n’ayant pas entendu d’autres bruits que celui de leurs sabots depuis des heures. Ses sourcils se relevèrent d’étonnement lorsqu’elle se rendit compte qu’il s’adressait à eux malgré leurs allures de vagabonds, les capes et vêtements recouverts de poussière et de boue.
Elle glissa de sa selle et observa les deux hommes avec méfiance, mettant en évidence le port de son arme en relevant sa cape afin de les dissuader de toute tentative. Son regard ensuite se porta sur la roue brisée pour vérifier que le dommage ait bien été causé par un accident et non pas une technique pour détromper de pauvres voyageurs errants. Elle s’adressa à eux sur un ton froid, ne faisant aucun effort pour se montrer cordiale ou avenante :
- Combien de temps jusqu’à votre village ?
Cela faisait bien des années qu’elle avait traversé ces plaines et s’étant laissée guider par Eopren, elle ne pouvait se situer avec précision les villes et villages environnants. Elle regarda l’ancien soldat avant de contourner le véhicule, une main relevée pour inciter les occupants à rester dedans. Ne voyant aucune menace extérieure ni de traces suspectes autour de la carriole, la jeune femme poussa un soupir ennuyé marqué.
- On pourra rien réparer sans décharger le barda. Et tout travail mérite salaire. Ses yeux gris plongèrent sans ménagement dans ceux du malheureux paysan, si tel était bien son statut ? La jeune femme ne pouvait démentir le besoin de graines pour leurs propres montures pour assurer le reste du trajet même si elle n’avait pas encore connaissance de leur destination finale, mais elle n’était pas généreuse au point de se briser le dos à charrier des sacs et à réparer une roue pour du beurre. Elle interrogea cependant Eopren du regard pour s’assurer qu’un contretemps puisse être envisagé dans leur itinéraire. Vu l’amas de marchandises visibles à l’arrière, ils en auraient pour un petit bout de temps et il était hors de question qu’ils s’y mettent à deux et se rendent vulnérables. La jeune femme jaugea des bras du jeune adolescent d’un œil critique. Oui…c’était probablement son dos qui allait prendre le plus gros avec celui du prétendu père.
Nombre de messages : 1079 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Le paysan hésita quelques secondes, cherchant à répondre du mieux possible à la question de la voyageuse qui réclamait déjà son salaire. Visiblement déçu de constater que l’entraide n’était plus une vertu à la mode sur les routes du Rohan,en particulier quand l’un de ces voyageurs en question représentaient l’autorité de la Couronne. Ainsi, il bafouilla en se tortillant les mains: “Eh bien… c’est que nous n’avons pas grand chose à vous offrir. Ma femme prépare en ce moment même un repas chaud et nous avons bien une chambre de libre, si vous désirez dormir sous un toit ce soir…ce serait avec plaisir.”
Eopren releva immédiatement la tête en entendant cette proposition. Son dos le faisait souffrir depuis de longues heures et son estomac commençait à manifester son mécontentement face au rationnement des provisions auquel il s’était astreint jusque là. La perspective d’un repas chaud et d’un lit de paille était des plus séduisante à ses yeux. “Cela fera l’affaire mon cher! Allons , ne laissons pas le dîner refroidir et au boulot!”
Le vétéran mit pied à terre avec une grâce toute relative et se mit à décharger le contenu du chariot, bientôt imité par le père et son fils, ainsi que par Kryss qui se décida à se joindre au labeur. Le jeune adolescent se saisit alors de leur roue de secours et se positionna près de la partie qui avait été endommagé, prêt à effectuer le remplacement quand ses partenaires seraient prêts. Ces derniers se positionnèrent du côté droit du fourgon, le paysan compta jusqu’à trois et ils soulevèrent la voiture. Ensemble, le poids n’était pas insoutenable et ils purent maintenir cette position pendant plusieurs minutes, assez pour permettre la réparation. Avec un grognement, Eopren lâcha progressivement sa prise, accompagnant l’attelage au sol. Il se redressa, en écartant une mèche pleine de sueur, un air satisfait sur le visage.
“Et v’là le travail! Vite fait, bien fait!”
Le fermier lui serra vigoureusement la main, visiblement reconnaissant de l’aide qu’ils leur avaient apportée. “Merci infiniment Messire. Si vous le voulez bien, notre village se trouve à moins de deux heures de voyage, vous accueillir sous notre toit serait un honneur. Leo, va atteler les mules!”
Le jeune garçon s’exécuta. “Je suis Erlin. -Bien enchanté mon ami, je suis le Capitaine Eopren et voici…”
Le vétéran était sur le point de révéler la véritable identité de sa partenaire mais se ravisa au dernier moment.
“Et voici, ma fille Helen. Nous sommes partis d’Edoras il y a quelques jours; nous cherchons à rallier les terres du Roi en Isengard.”
L’éleveur haussa les sourcils, visiblement surpris. Les routes menant vers Orthanc était bien peu empruntées ces derniers temps, en particulier par des voyages solitaires sans escorte armée. Il ne posa pas plus de questions cependant et se contenta de recharger ses biens et de reprendre place auprès de son fils. Eopren de son côté remonta en selle en lançant un regard amusé à Kryss:
“Allez n’fais pas cette tête-là. Un bon bol de ragoût et de quoi boire un coup, v’là une idée qui devrait mettre un sourire sur tout visage.”
Le trajet jusqu’au petit village ne dura pas bien longtemps et ils aperçurent les dizaines de maisons au toit de chaume avant la tombée de la nuit. Erlin et son fils parquèrent leur convoi dans les étables, libérèrent leurs montures et déchargèrent les sacs de grains. Le paysan indiqua ensuite laquelle de ces fermes était la sienne et les invita à les suivre.
Eopren attacha son cheval près de l’abreuvoir et suivit son hôte qui poussa la porte de sa maison. “Helga! Helga! Nous sommes rentrés ! Et avec de la compagnie !”
Sa femme était assise près du feu, une petite fille qui ne devait pas avoir plus de cinq ans sur ces genoux. Elle accueillit les deux inconnus que son mari avait amené avec lui avec un sourire chaleureux.
“M’sieur l’officier et sa fille nous ont aidé à réparer la voiture qui a eu un p’tit souci…Alors je leur ai proposé de venir passer la nuit ici.”
Helga déposa sa fille au sol et se leva pour saluer ses invités, sans oublier de jeter un regard légèrement agacé en direction de son mari.
“Ooh Erlin, je t’avais pourtant bien dis de ne pas trop charger ce pauvre chariot.”
Elle reporta son attention vers le vétéran et sa partenaire. “Allons, allons. Ne soyez pas gêné, pas d’manières chez moi. Installez-vous. Un peu d’eau ? De la cervoise ? -Ah moi je veux bien de la cervoise !” Répondit Erlin qui cette fois essuya un regard franchement courroucé de sa douce.
Verres en main, ils finirent tous par s’installer autour de la table de bois qui trônait au centre de la salle de vie. Le décorum était simple mais la petite famille ne semblait pas s’en émouvoir outre mesure, les temps avaient été dures ces dernières années entre la guerre civile, le Rude Hiver et la sécheresse ; mais à force d’efforts et de détermination, ils avaient réussi à garder la tête en dehors de l’eau et mener une vie sans prétention mais heureuse.
“La communauté du village a joué un rôle crucial, expliquait Erlin. Nous sommes tous très proches et cela nous a sûrement sauvé dans les temps les plus durs. Un système d’équilibrage et de redistribution de la production entre les familles aura permis à presque tous de s’en sortir.”
Le repas fut bientôt servi, un ragoût, majoritairement composé de bouillon et de navet, avec quelques rares morceaux de viande. Loin d’un repas royal mais qui faisait parfaitement l’affaire pour un Eopren qui s’était rapidement lassé de la viande séchée.
La petite fille, installée à côté de Kryss, s’était complètement désintéressée du contenu de son assiette et observait, de ses grands yeux verts, quelque chose qui pendait à la ceinture de sa voisine. De son petit doigt, elle désigna la dague dont le manche était orné d’une pierre de lune dont la brillance avait attiré son jeune regard.
La jeune femme fut la première étonnée de l’engouement qu’une telle proposition avait sur Eopren. Ne voulait-il pas fuir ces terres au plus vite, effrayé par cette menace fantôme dont il parlait en état d’ébriété ? Etait-il même prêt dans son état à prendre part à ce dur labeur ? Il semblerait…malgré les protestations muettes de Kryss, il ne tarda pas à la rejoindre pour charrier les lourds sacs de graines sur ses épaules pour alléger la cariole et permettre la réparation. Elle resta sur ses gardes néanmoins et observait régulièrement les alentours, n’accordant pas sa confiance de manière aussi aisée. Des tours de passe-passe sur des voyageurs inattentifs, cela était fréquent sur ces routes désolées. Kryss aurait volontiers privilégié un sac de graine et une autre nuit à la pleine lune plutôt que de coucher chez de parfaits inconnus, aussi innocents puissent-ils paraître. Elle grogna donc et imita son prétendu père en faisant de son mieux de ne pas relâcher son attention. Le déchargement, remplacement et chargement à nouveau de la cariole a dut leur prendre une bonne heure à quatre. Kryss en cours de travail s’était allégée de sa cape pour ne pas gêner ses mouvements. En aucun cas elle se libéra de ses armes néanmoins et dissuada d’un regard froid le jeunot de reluquer ses lames. Elle n’avait pas l’allure des jeunes demoiselles de son village pour sûr et il était concevable qu’il soit déstabilisé par cette froideur brutale. Elle n’en avait que faire néanmoins et s’acquitta de sa tâche sans dire un mot, foudroyant seulement une fois ou deux Eopren de les avoir lancés dedans. Elle aurait pu partir une fois de plus, mais demeura. Elle n’attendait rien de lui mais après une telle épreuve de force elle se demandait bien si cela valait la peine.
Une fois les présentations faites, Kryss s’était tendue imperceptiblement mais fut soulagée qu’il ne dévoile pas son nom à la légère. Cela l’aurait gravement blessée et l’aurait rendue une fois de plus dans cet état de vulnérabilité qu’elle détestait. Elle hocha donc la tête en direction du fermier et de son fils pour les saluer de loin. Helen une fois de plus du coup… il ne s’était pas foulé. Mais bon… au moins c’était un prénom qu’elle empruntait régulièrement. Elle espérait que sa langue ne fourche pas au courant de la soirée qui s’annonçait déjà longue… Le fermier semblait aussi social que le cavalier du Rohan. La seule consolation qu’elle put en tirer est qu’elle était épargnée plus ou moins dans les échanges même si la proximité d’autant de personnes la fatiguait profondément. Qu’est ce qu’elle en faisait du bruit, la cariole…chaque caillou sur la route semblait à deux doigts de la mettre en morceaux, toute tremblotante qu’elle était sous le poids de sa cargaison. Elle pria des entités inconnues qu’elle ne se brise à nouveau… mais elle tint bon et les deux heures de trajets lui parurent des journées entières tant le boucan lui vrillait le crâne. Elle s’était mise en retrait sur Dana et avait laissé Eopren au plus proche du convoi malmené par les chemins. Elle ne prit la peine de participer à la conversation et esquiva toutes les questions. Eopren semblait apprendre à la connaître car il détournait habilement la conversation loin d’elle. Elle lui en fut reconnaissante.
La jeune femme tenta cependant de faire bonne mesure, et aida également le fermier et son fils à décharger les sacs. Mieux ça qu’observer ces chaumières lui rappelant que trop celles de son enfance. Elle remua ensuite ses épaules endolories et entra se réchauffer après s’être assurée que leurs montures étaient convenablement installées pour la nuit. Elle salua en silence l’épouse, quelque peu mal à l’aise par l’atmosphère familial et chaleureux du foyer. Son regard accrocha l’enfant et elle s’en éloigna silencieusement, préférant se rapprocher d’Eopren à la place. Cela pourrait passer pour de la timidité, n’est-ce pas ? Kryss l’espérait…elle ne savait pas se comporter avec des gamins en bas âge et ne souhaitait pas apprendre. Elle leva cependant une main hésitante à la notion de cervoise et l’accueillit volontiers dans ses mains et prit place à la longue table en bois trônant au milieu de l’espace de vie, à proximité du feu. Elle s’était dévêtit de sa cape qu’elle laissa sur ses genoux, ne sachant trop où laisser ses affaires avec son sac bandoulière. Elle se glissa en bout de banc. La jeune femme se servit donc du ragoût et le mangea en silence, préférant mille fois être loin d’ici, au dehors à l’étable. Mais les repas chauds comme ceci pouvait être rares sur la route. Essaie d’apprécier Kryss…tu t’étais promis d’essayer de nouvelles choses…cela ne doit pas être si mal que ça…ce sont des gens on ne peut plus normaux… tu n’es pas en danger…
Mais bientôt elle fut interrompue par une silhouette ayant grimpé à côté d’elle sur le banc à sa droite et de grands yeux curieux l’observèrent sans se démonter avec une audace toute particulière à son jeune âge. Kryss ne sachant comment trop se comporter, reposa sa cuillère et lui rendit son regard du mieux qu’elle put. Que pouvait-elle bien vouloir… ?
- C’est quoi ça ?
Sa petite main déjà vola vers sa dague comme si chaque bien en cette demeure, en ce village était collectif et partagé, comme l’avait expliqué Erlin. D’un geste brusque Kryss la saisit avant qu’elle ne se blesse mais déjà la jeune fillette, surprise par un tel réflexe, se mit à brailler, les yeux humides et la goutte au nez. La jeune femme sursauta et le sang lui quitta le visage, horrifiée.
- Gros couteau. Coupe dur. Pas toucher. Elle bafouilla ces mots, perdus et son regard accrocha celui d’Eopren de l’autre côté de la fillette d’un air voulant dire ‘sauve moi vieil homme’. Un léger tremblement la parcourut et elle lâcha la petite main froide de la sienne en murmurant :
- Pardon…je t’ai fais mal ?
Un éclat d’inquiétude sincère passa dans son regard d’argent. Elle n’avait jamais eu la proximité d’une si jeune enfant… comment étions-nous censés nous y prendre ? Aie aie aie… Kryss se releva d’un bond et attrapa sa cape et son sac dans ses mains.
- Mes excuses.
Elle fila vers la porte comme une ombre fuyant la lumière. Dehors seulement elle réussit à prendre une grande inspiration. La première depuis que le chemin avait croisé celui du fermier en mauvaise posture sur le côté de la route. La jeune femme visiblement n’avait aucune qualité sociale… elle ignorait comment les personnes pouvaient se mêler les unes aux autres avec un tel naturel qui la dérouta. Elle se réfugia à l’étable auprès de Dana et se jeta dans le foin avec un soupir épuisé sous le renâclement joyeux de sa monture. S’était-elle menti à elle-même lorsqu’elle se disait vouloir changer de vie ? Elle en était incapable. Kryss trembla de froid et resserra sa cape autour d’elle. Elle maudit Eopren, mais surtout elle. Au moins…la petite ne s’était pas coupée…