Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Au travers de la vitre humide du fiacre, les paysages du Lebennin défilaient lentement sous un ciel gris et menaçant. Les territoires vallonnés du Nord de cette région étaient encore visibles au loin, à l’horizon, mais ils avaient cédé leur place à des centaines d’hectares de plaines fertiles traversées par plusieurs cours d’eau qui venaient irriguer la terre et nourrir tout ce qu’on y produisait. Le regard du Comte était empli de nostalgie. Oui, il ne s’en était pas immédiatement rendu compte mais son pays natal lui avait bel et bien manqué.
Le voyage depuis Minas Tirith avait été plus long que prévu. En temps normal, quelques jours était suffisant pour descendre l’Anduin depuis la capitale jusqu’à Pelargir puis la grande route commerciale permettait de rallier Linhir en moins d’une semaine. Cependant, les rives du Grand Fleuve n'étaient plus sûres et la grande cité portuaire devait faire face à un blocus pirate qui handicapait le royaume entier. Ainsi, pour d’évidentes raisons de sécurité, un détour avait été nécessaire, rallongeant le voyage de près d’une semaine supplémentaire, passées sur les routes du Royaume. Quand ils pouvaient s’arrêter à une auberge de voyage, Alcide et sa suite se faisaient le plus discret possible, craignant sûrement que l’on ne reconnaisse l’ancien Intendant du Gondor, l’une des figures les plus importantes du royaume. S’il n’avait pas toujours voulu se mettre en avant au cours de son mandat, restant presque une figure à la discrétion trop marquée pour certaines mauvaises langues, son nom était bien connu en ces terres. L’homme appréhendait quelque peu les réactions qui accompagneraient son retour. Du dédain pour un noble ambitieux cédant aux sirènes du pouvoir avant de revenir bredouille, sa carrière s’étant fracassée sur la realpolitik de la capitale ? Du soulagement de voir revenir un seigneur qui fut apprécié de tous? Peut-être pire, de l’indifférence à l’égard d’un personnage qui avait disparu de leur quotidien depuis un long moment.
Sa démission à la suite des sinistres évènements ayant secoué la Cité Blanche avait été plus significative qu’il ne l’avait pensé, et, avec le recul, une véritable erreur. Après la mort du Général Cartogan, de nombreuses critiques s’étaient élevées à l’encontre de l’Intendance qui n’aurait pas rempli son rôle de réconciliateur garantissant la paix sociale. La Reine avait temporairement repris les choses en main et Alcide avait été convaincu par sa Cour de remettre sa démission. “Une simple formalité pour satisfaire les critiques” lui avait-on répété.
“Vous serez sans nul doute conforté à ce poste lors du Conseil du Sceptre” l’avait-on rassuré.
Pourtant, il avait été berné. Le clan des Fidèles de la Reine avait manigancé en coulisses pour que les grands Seigneurs de ce Royaume choisissent Dalia de Ronce comme nouvelle intendante. Ce n’était pas un mince exploit, tant une certaine misogynie régnait encore dans certains cercles du pouvoir Gondorien. Alcide, de son côté, avait senti le vent tourner quelques jours avant la tenue du Conseil et s’était tourné vers les plus conservatifs des représentants, et en particulier l’influent Général Aerith. Au final, cette alliance de circonstances avait volé en éclats face à la dextérité des fidèles de la couronnes, qui à coup de promesses et d’autres concessions étonnantes, étaient parvenu à rallier les seigneurs des fiefs à leur cause.
De Ronce avait été nommée et Alcide avait perdu son pari. Pour un politicien chevronné comme lui, la défaite avait été amère. Il avait d’abord cherché des responsables et sa rancœur s’était tour à tour tournée sur la Reine, ses Fidèles et même la Compagnie du Sud dont il soupçonnait une implication loin d’être innocente derrière ce vote. Après tout, l’ancienne Grande Guérisseuse faisait bien partie de l’entourage nébuleux de ce satané Saemon Havarian. Puis, il avait fini par réaliser qu’il était le principal responsable de cette déchéance. Cet échec était avant tout le sien. Une acceptation qui lui fut salvatrice. Ainsi, il avait sereinement vidé les quartiers de l’Intendance avant de souhaiter élégamment beaucoup de réussite à son successeur. Il n’y avait pas officiellement de passation de pouvoir, l’Intendance ayant été laissée vacante suite à sa démission, mais il avait tout de même tenu à accueillir Dalia et lui prodiguer quelques conseils sur les prérogatives de son nouveau poste. Les intérêts du royaume passaient avant tout et, en mettant de côté toute rancœur personnelle, le choix du Conseil n’était pas forcément le plus mauvais. Malgré son expérience, elle avait été éduquée à la politique et à la diplomatie et jouissait d’une image populaire et positive auprès des habitants de Minas Tirith, loin de l’aristocratie du Lebennin qu’incarnait Alcide. Tout ce dont la Couronne avait besoin.
Alcide avait été utile au pouvoir pendant un temps. Il en avait désormais été écarté. Bien qu’il dispose toujours d’un hôtel particulier au sein de la capitale, il avait vite réalisé que sa place n’était plus à Minas Tirith.
Son regard se détourna du panorama pour se poser sur la banquette vide en face de lui. Il eut un sourire triste. Malgré tous ses arguments, Vedraï, sa nièce, avait refusé de rentrer avec lui. Il en avait été déçu, lui qui voyait déjà toute leur famille réunie sous un seul toit. Cela faisait tant d’années qui avaient déjà été gâchées. Mais la jeune femme était farouche et animée d’une volonté d’indépendance solidement affirmée. Elle avait désiré rester dans la grande ville un peu plus longtemps, assurant tout de même à son oncle qu’elle viendrait bientôt le visiter. Un autre échec pour le Comte d’Illicis.
Le convoi franchit finalement les murs de Linhir alors que la pluie se mettait à battre. Les rues dallées et remarquablement bien entretenues étaient peu fréquentées mais quelques regards suffisaient à comprendre que la cité n’avait point souffert du départ du Comte. Bien au contraire. Le blocus de Pelargir faisait de Linhir le nouveau principal point d’entrée maritime vers l’intérieur des terres de l’Ouest du Gondor. Le trafic n’y était pas aussi important que dans la grande cité fluviale, Le Gilrain et le Serni étaient des fleuves bien plus modestes que l’Anduin et ne ralliaient pas Minas Tirith, mais de plus en plus de marchands décidaient de s’arrêter à Linhir, encore épargné par les affres de la guerre.
La carriole s’arrêta devant un château de taille relativement modeste mais à l’architecture raffinée.
“Nous sommes arrivées messire.” Lui indiqua le cocher.
Alcide prit une longue inspiration et réajusta sa cape de voyage alors qu’on lui ouvrait la porte. Il descendit prudemment du véhicule en s’appuyant sur le marchepied glissant. Une belle femme d’une trentaine d’années se tenait devant l’entrée, un large sourire illuminant son visage au teint légèrement hâlé.
“Mon oncle! Quel plaisir de vous voir ici! -Plaisir partagé ma chère Amelaï.”
Lors de son départ pour Minas Tirith, Alcide avait confié la gestion de la ville à son autre nièce. Certains avaient vu cela d’un mauvais œil mais le Comte de Linhir n’avait pas eu l’ombre de doute quant à la réussite de la sœur aînée de Vedraï. Suite à la mort de son frère, Alcide s’était chargé d’éduquer ses trois nièces sous son toit. L’aînée, Valeraï, fruit d’un mariage illégitime, avait été confiée à l’Arbre Blanc à un jeune âge. Elle en était désormais l’un des agents les plus émérites. La cadette, Vedraï, refusant un mariage arrangé, avait fui, disparaissant au Sud pendant de longues années avant de réapparaître subitement, prisonnière des pirates. Au final, seule la radieuse Amelaï était réellement restée au côté de son oncle. Ce dernier lui avait dispensé une éducation de haute qualité, la formant aux arts, à la politique et à l’économie. Tout ce dont elle avait besoin pour devenir une dirigeante accomplie. “Thelyes est absent ?” S’interrogea Alcide. “Oui, il est au chevet de son père”
L’ancien Intendant acquiesça silencieusement. Le mari d’Amelaï était issu d’une autre grande famille de Linhir, leur union renforçant l’influence des Illicis mais aussi assurant une vraie union entre les nobles de la cité portuaire. Alcide savait que ce mariage n’était pas le fruit de l’amour mais Amelaï, consciente de ses responsabilités, ne s’en était jamais plaint, acceptant son destin pour le bien commun. Un respect mutuel régnait entre les deux époux, dénué de la passion qui animait deux amants. Sa nièce en souffrait-elle? Si tel était le cas, elle n’en montrait rien.
Des domestiques débarrassèrent Alcide de sa cape et se chargèrent de porter à l’intérieur ses bagages. Amelaï le guida jusqu’au au petit salon et lui servit un verre de vin tout en lui exposant les récentes actualités qui agitaient Linhir. “Les coffres se portent bien et le commerce se fait de plus en plus florissant. Certaines guildes ont commencé à gronder, arguant que l’on prélevait trop de taxes mais nous avons rapidement conclu un accord.”
Alcide sourit, décidément le fruit n’était pas tombé loin de l’arbre. “Tu as fait du bon travail, ma nièce. Les retours que j’ai eu à Minas Tirith était tous excellents.”
La jeune femme s’installa à son tour en face d’Alcide, verre à la main. “Vous me flattez. Mais il y a encore bien des choses à régler. Le Quartier des Tanneurs souffre encore d’inondations régulières et les travaux d'agrandissement du port traînent. Et puis il y a ce diable de Barbesco Lopa qui arrive toujours à nous filer entre les doigts tout en poursuivant ses affaires…Bref, je vous laisse la ville avec de sacrée problèmes. -Non.”
Amelaï, surprise par la réponse expéditive de son oncle, cligna des yeux. “Comment ?”
Alcide se redressa lentement et se dirigea vers la grande fenêtre circulaire qui illuminait toute la pièce. Il contempla la cité fortifiée et le port qui la jouxtait, un air triste sur le visage. “Non.” Répéta-t-il. “Je ne suis pas venu pour prendre ta place; Amelaï. Comme je te l’ai dis tu as fais un excellent travail, le peuple t’aime et tu as une grande carrière devant toi. Quant à moi…”
Il ferma les yeux et, pour la première fois depuis si longtemps, fut envahi d’un agréable sentiment de sérénité. “Quant à moi, je vais enfin pouvoir prendre un peu de repos.”
- Pitié, pitié, pitié… Je vous en prie, je vous en supplie…
- La ferme !
Une pain puissante vint s’abattre sur le crâne du malheureux, qui se recroquevilla en couinant. De grosses larmes coulaient sur ses joues bouffies et rougeaudes, tandis que son nez laissait échapper un filet de morve qu’il essayait péniblement de renifler. Son pourpoint, trop étroit pour contenir toute la suffisance et toute l’arrogance que contenait sa triste personne, était maculé de fluides répugnants et pathétiques, qui ne seyaient pas à un marchand de son rang. Il tremblait des pieds à la tête, et il fallut presque le traîner pour qu’il acceptât de franchir les hautes portes en bois de chêne qui se dressaient devant lui comme le seuil de la mort elle-même.
Les deux hommes en armes qui le retenaient portaient l’uniforme impeccable de l’armée du Gondor. Armure rutilante, casque lustré, ils incarnaient parfaitement la puissance du grand royaume des Hommes… à ceci près qu’en cet instant, ils ne travaillaient pas pour le Haut-Roy Mephisto, mais pour une autre autorité, bien moins complaisante et bien moins aveugle que le prétendu suzerain de ces terres. Ils menèrent le malheureux vers une salle de réception qu’une servante voilée leur indiqua sans prononcer la moindre parole, puis s’éclipsèrent non sans avoir reçu la juste contrepartie à leur sacrifice pour la cause. Une bourse aux pièces sonnantes et trébuchantes… bien davantage que ce qu’ils gagnaient chaque semaine au service des comtes de Linhir.
La porte se referma derrière eux, et le silence se fit.
Le marchand regarda autour de lui, sans oser se lever. Sans oser faire le moindre bruit. Par les immenses fenêtres fermées par des barreaux de métal, il voyait le soir tomber. Un froid intense le parcourut, comme si un mauvais présage s’était fait ombre et frisson pour se glisser tout contre lui et lui susurrer de viles paroles à l’oreille.
- Bonsoir, Durand.
Il glapit de terreur, alors que la surgie de nulle part se matérialisait, transformant son pire cauchemar en réalité. Il sécha maladroitement son visage humide, pour se donner une contenance, mais sa lèvre inférieure tremblait toujours de manière incontrôlable. La créature sculpturale qui venait de faire son apparition dans son champ de vision prit place dans un épais fauteuil en face de lui, en plongeant un regard énigmatique vers le sien.
- Ne souille pas ton siège.
Ses yeux s’écarquillèrent devant cette femme dont le regard sombre le clouait sur place.
- V-Vous… Vous êtes… ?
- Pressée. Et passablement agacée. Je n’ai pas pour habitude de recevoir des êtres aussi gras et gluants que toi, mais il fallait bien que je fasse une exception, pour récompenser une tromperie aussi… exceptionnelle. Alors comme ça tu as accepté de passer un contrat avec Lopa ?
Il déglutit.
- L-Lopa ? Fit-il sur un ton innocent.
Barbesco Lopa.
Un nom qui ne laissait personne indifférent dans la petite cité portuaire. Arrivé récemment, cet audacieux contrebandier, voleur de son état, avait littéralement pris d’assaut le réseau de commerce illégal de Linhir, en espérant capitaliser sur les troubles que connaissait actuellement Pelargir pour en faire la nouvelle plaque tournante du commerce illicite vers et depuis le Harad. Les autorités le traquaient depuis lors, espérant faire tomber cet homme qui narguait les autorités, et montait des coups tous plus retors les uns que les autres. Nombre de marchands avaient fini par céder à ses avances, à la perspective d’un gain facile. Il fallait traire la vache tant qu’elle avait du lait, et Durand avait voulu se gaver autant que ses copains bateliers qui profitaient des voies fluviales innombrables pour engranger une sacrée part du butin.
Le problème était que la vache en question appartenait déjà à quelqu’un.
A quelques uns, pour être précis. Quelques barons du crime, qui n’appréciaient guère cette ingérence. Quelques barons, et une baronne. Tous voyaient d’un très mauvais œil l’arrivée d’un concurrent aussi redoutable… et aussi peu soucieux de préserver les apparences. Depuis qu’il avait commencé à attirer l’attention des comtes de Linhir, neuf hangars avaient été perquisitionnés, et les pertes avaient été terribles pour ceux qui, depuis des années – voire des siècles – se livraient à des affaires sordides et illégales en respectant un certain statu quo. Ce que certains appelaient pudiquement le « Compromis des Barons » était aujourd’hui remis en cause par un seul homme.
- Barbesco. Lopa. Articula la jeune femme avec emphase. Barbesco. Bientôt-mort. Lopa. Barbesco. Tous ceux qui l’auront aidé finiront au fond du fleuve. Lopa. Cela te parle ?
Il blêmit perceptiblement, et manqua de s’évanouir. Il l’aurait probablement fait, d’ailleurs, s’il n’avait pas su qu’un tel geste signerait son arrêt de mort. Alors, il hocha la tête, comprenant que mentir ne le mènerait à rien. Il valait mieux ne pas faire perdre de temps à quiconque dans cette affaire.
- Vous êtes… ?
- Toujours pressée, Durand. Et toujours agacée. Tu sais que tes petites infidélités me brisent le cœur ? Toi, un homme aussi intègre et aussi soucieux de préserver ta famille de tout danger, tu t’abaisserais à négocier avec un étranger pour quoi… pour un peu d’or ? Quand j’ai entendu ça… je n’y ai pas cru. C’est pour ça qu’il était important qu’on se parle… entre femmes.
Elle ne se lassait jamais d’utiliser cette formule. Le marchand fronça les sourcils un bref instant. La seconde d’après, un bras puissant s’était refermé sur sa gorge, tandis qu’une corde était passée autour de son ventre pour l’attacher à la chaise.
- Non ! Non je vous en prie ! Non ! Je ferai tout ce que vous voulez !
- C’est dommage, reprit la femme en se levant doucement, sans paraître entendre ses suppliques. J’aimais bien ce fauteuil… Messieurs, tranchez-lui ce qui lui pend entre les jambes, et nourrissez les chiens avec.
Durand se mit à hurler comme un porc qu’on menaçait d’égorger, se débattant de toutes ses maigres forces. Il se mit à parler très vite, et à lâcher des paroles qui frisaient l’incohérence. La femme leva une main de manière théâtrale, interrompant le geste de son sbire. Elle la porta à son oreille, comme si elle percevait un son étouffé, au loin.
- Quoi ? J’entends que Monsieur Durand serait prêt à confesser ses crimes ? A confesser qu’il a passé un contrat avec monsieur Barbesco Lopa pour transporter illégalement trois caisses de farine d’Umbar jusqu’à Imloth Melui dans le Lossarnach, en échange d’un paiement substantiel ? A la bonne heure ! Mais je n’entends pas qu’il regrette sa trahison, hélas…
- Je regrette ! Je regrette !
- Je n’entends pas non plus qu’il s’engage à ne plus jamais faire affaire avec ce Barbesco Lopa, et à rester fidèle à la cité qui est la sienne, ainsi qu’à l’héritage de sa famille, les Durand de la Serni, qui ont toujours été d’excellents collaborateurs.
- Je ferai tout ce que vous voulez… Je vous en prie, je ferai tout ! Ne me tuez pas… Ne me tuez pas, je vous en supplie…
Elle posa un regard révulsé sur l’homme en question. Elle adorait au moins autant torturer son prochain qu’elle avait en horreur l’obséquieuse servilité de ceux qui imploraient pour leur vie. Elle eut envie de lui arracher les paupières, l’une après l’autre, avec une lame effilée. Elle l’aurait sans doute fait, d’ailleurs, si les cloches de la ville n’avaient pas sonné en cet instant pour marquer le passage d’une nouvelle heure. Elle fit une moue indéchiffrable.
- J’ai votre parole, Durand. J’ai aussi votre adresse. J’ai également votre fils, dans la ligne de mire de mes tueurs au moment où nous parlons. J’ai beaucoup de choses, comme vous le voyez. Mais ce que je n’ai pas, c’est de la patience. Je n’en ai aucune pour les gens de votre espèce, et la prochaine fois qu’il vous prendra l’envie de vous sentir pousser des ailes, pensez à vos couilles dans la gamelle de mes molosses. C’est clair ?
Elle lui adressa un sourire inquiétant, mais il comprit en cet instant qu’il aurait la vie sauve ce soir. Le soulagement le plus total se peignit sur ses traits, tandis qu’elle se retournait dans une envolée magnifique de cheveux d’un noir aussi profond que le plumage d’un Corbeau. Depuis quelques temps, elle avait une affection particulière pour ce drôle d’animal. Alors qu’elle était sur le point de franchir la pièce, le cerveau du pauvre marchand se remit à fonctionner, et il souffla :
- Vous êtes la Reine de la Nuit, c’est ça ?
La femme s’immobilisa, avant de se retourner à demi pour lui adresser un regard complice :
- Bonne nuit, Durand.
~ ~ ~ ~
Le carrosse s’immobilisa devant le porche de la demeure des comtes de Linhir, que surmontait un manoir impressionnant aux épais murs de pierre. La demeure, qui servait aussi bien de lieu de villégiature que de point de ralliement en cas d’attaque des Pirates, ressemblait à s’y méprendre à une place-forte, à ceci près que d’élégantes moulures y avaient été adjointes pour casser un peu l’austérité des lieux. De manière générale, la demeure s’était beaucoup embellie avec les années, en particulier depuis que le comte d’Illicis avait été fait Intendant du Gondor. Un poste prestigieux qui avait conduit nombre d’artisans à proposer leurs services à la famille comtale pour un prix modique.
Tout était bon pour espérer se faire remarquer, et s’élever en société.
La jeune femme aimait les pierres. Leur froideur. Leur douceur, aussi. Elles étaient lisses, mais robustes. Stables et fiables, capables de résister au passage du temps, à la furie des éléments, et à la cruauté des hommes mieux que n’importe quel autre matériau. Le temps lui-même semblait ne pas avoir d’emprise sur la pierre, immortelle, immuable.
Éternelle.
La porte s’ouvrit, et elle descendit avec grâce, tenant la main à un valet qui se trouvait là. On la salua poliment, lui retira la longue veste qu’elle portait pour se protéger de la fraîcheur nocturne, avant de la conduire vers le bal qui se tenait à l’intérieur. Elle fut cueillie par la musique, par les rires et le brouhaha des conversations que l’on tenait sur un ton léger. Tous étaient rassemblés ici pour célébrer le retour du comte de Linhir, l’ancien Intendant du Gondor, Alcide d’Illicis. Tout ce que la cité portuaire comptait de sang noble et de grandes fortunes s’était rassemblé pour adresser des hommages appuyés au maître des lieux, de retour de la capitale. Les hommes avaient enfilé leur costume le plus seyant. Les femmes, leur robe la plus ravissante. Tous souhaitaient se faire remarquer, et s’attirer les bonnes grâces du nouvel homme fort de la cité, dont chacun attendait le premier discours avec une grande impatience.
Tous ceux qui avaient eu maille à partir avec sa nièce Amelaï, notamment, espéraient se repositionner sur l’échiquier politique de la ville.
Toutes ces affaires étaient d’un ennui mortel, mais il fallait bien souscrire aux obligations formelles pour rester dans la course, et ne pas se mettre à dos ces aveugles qui se prenaient pour des êtres éclairés et supérieurs. La femme aux cheveux noirs inclina légèrement la tête devant le héraut en grand costume, qui la reconnut sans mal. Il l’annonça d’une voix forte :
Immédiatement, quelques unes de ses connaissances vinrent la saluer chaleureusement :
- Ellie… Quel plaisir que tu sois venue ! Lui lança Silia, une aristocrate au bel esprit raffiné, en l’embrassant sur les deux joues. Elmer est toujours en déplacement ?
- Oui toujours. Aux dernières nouvelles, il avait rejoint Djafa après avoir passé quelques temps à Arzawa. La situation politique n’est pas des plus évidentes là-bas, et les Harondorim ont besoin de sentir que le Gondor ne les a pas abandonnés.
Elle avait suivi comme tout le monde avec une grande préoccupation la progression des armées de Taorin, qui avaient fini par enlever Dur’Zork à l’émir Radamanthe. Son inquiétude n’était pas nourrie par les mêmes craintes que ses voisins toutefois, et elle avait rapidement su y voir une opportunité à exploiter… opportunité que les marchands de la Compagnie du Sud avaient également repérée, et on avait très rapidement commencé à voir apparaître certains de leurs envoyés, fraîchement débarqués de Minas Tirith pour essayer de nouer de nouvelles relations diplomatiques avec les contrées méridionales.
En la matière, toutefois, rien ne remplaçait l’expérience et la compréhension de ces peuples avec qui la communication était parfois… délicate.
Elmer était la personne idéale pour cela, lui qui avait longtemps séjourné et combattu au Harad lorsque le Gondor s’était allié à Meakil Duzingi en espérant placer un vassal soumis et fidèle à la tête de ce territoire chaotique. Il avait appris à respecter les Haradrim et leur culture, et faisait partie des rares membres de l’élite du Gondor à parler couramment le dialecte suderon que l’on employait couramment au Sud de l’Harnen.
- J’espère qu’il reviendra vite, lâcha Silia en lui serrant le bras comme signe de soutien. Si tu as besoin de quelque chose…
- C’est gentil… Pour le moment, je vis ma vie. Elmer me manque, mais l’absence des hommes est parfois d’un confort !
Elles partirent d’un rire léger, avant qu’Ellie, comme elle se faisait volontiers appeler par ceux qu’elle appréciait, ne repérât la silhouette du comte qui concentrait toutes les attentions. Elle prit congé de Silia et se dirigea d’un pas énergique vers l’ancien Intendant, devant lequel elle adressa une révérence impeccable et soignée.
- Monsieur le comte, c’est un plaisir de vous revoir chez vous. Votre présence aura manqué à votre cité, même si votre nièce a su gérer les affaires courantes de manière admirable. Les femmes du Gondor savent se montrer à la hauteur, lorsqu’une sincère confiance est placée en elles.
La vicomtesse de Sangris ne cachait pas ses opinions politiques quant à la places des femmes dans la société gondorienne, même si cela lui avait valu quelques réflexions désobligeantes en une ou deux occasions. Elle ne comptait pas les cacher au comte, même s’il était évidence que sa disgrâce et son remplacement par une femme ne pouvaient être interprétés que comme un immense camouflet par le reste de la population.
- J’espère que vous saurez excuser l’absence de mon époux, poursuivit-elle. Il est actuellement au Sud, à prêter assistance à la population de Djafa. Je crains qu’avec les troubles qu’on nous rapporte de Pelargir, il ne puisse pas rentrer de sitôt. Sachez cependant que ma famille défendra fidèlement Linhir si les Pirates devaient venir sillonner nos côtes.
Des paroles d’usage, qu’il était de bon ton de prononcer en ces heures sombres que connaissait le Gondor. Cependant, elle ne mentait pas quant à sa fidélité à Linhir. Elle aimait cette ville, et le havre de tranquillité qu’elle représentait entre ses deux immenses voisins qu’étaient Dol Amroth et Pelargir. Il faisait bon vivre ici, et l’autorité du Roi y était moins forte qu’ailleurs.
- Je gage que votre retour apaisera également les craintes qui se sont élevées dans la cité, ces derniers temps…
Son regard scrutait celui du comte avec une attention presque dérangeante. En voyant qu’il ne semblait pas comprendre exactement à quoi elle faisait référence, sa posture changea, et elle se fit soudainement plus tendre.
- Les inondations, Sire. Voilà bien une tragédie qui nous émeut tous, à Linhir. Un problème bien insignifiant à côté des tragédies quotidiennes que doit gérer un Intendant du Gondor, mais il est certain que vous apporterez de l’espoir à ces gens. Tout le monde ne mesure pas la profondeur du fleuve, et certains audacieux ne prennent pas conscience qu’ils risquent de s’y noyer.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
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“Messire. Il est l’heure. Nombre d’invités sont déjà là. -Oui…j’arrive. Un petit moment. Merci Citrio.”
Le jeune page inclina respectueusement la tête et s’éloigna discrètement des appartements du Comte de Linhir. Celui-ci se tenait devant son miroir ouvragé depuis de longues minutes, un baquet d’eau froide était déposé sur la table basse. L’homme plongea ses mains fines à l’intérieur et vint asperger son visage avant de relever les yeux en direction de la glace.
Cela faisait plusieurs jours qu’il avait fait son retour en sa ville natale et avait pu profiter de quelques jours de repos. Bien trop peu à son goût, cependant. Ses cernes étaient, certes, moins creusés et sa mine apparaissait un peu plus vigoureuse mais les stigmates de sa courte, mais pénible, expérience au sein de l’Intendance étaient encore bien visibles, aussi bien sur ses traits que dans son attitude. Sa longue, et exceptionnelle carrière diplomatique au service du Gondor, passée à défendre les intérêts de son pays aux quatre coins du monde connu, avait laissée des traces. Pourtant, dès son arrivée, on avait annoncé une réception en l’honneur du retour du Comte. Une mondanité dont il se serait bien passé mais son clan avait insisté, arguant “qu’il fallait marquer le coup” et contrer au plus vite le narratif de son éviction en se montrant à son avantage.
Alcide soupira d’un air las. Son père et son frère étaient tombés au combat pour défendre leur patrie. La politique et sa force d’épuisement aurait-elle raison de lui ? Il se sécha à l’aide d’une serviette en tissu qu’il redéposa délicatement près de la bassine et se décida enfin à quitter sa chambre. Déjà pouvait-il entendre les violonistes qui jouaient leur partition au rez-de-chaussée.
Elina l’attendait devant l’escalier, une main posée sur la rampe d’airain qui descendait jusqu’au grand hall où s’étaient massé tous les convives. Elle était vêtue d’une élégante robe cerise et d’un élégant corsé qui mettait en valeur sa silhouette encore flatteuse malgré les années. Sa longue chevelure blond vénitien avait été travaillée avec soin par ses servantes et ondulait en cascade derrière son dos gracile. Elle était belle ; comme toujours. Si seulement son sourire pouvait parfois illuminer ce si beau visage.
Alcide s’approcha et lui baisa la main.
“Tu es ravissante.”
Elle répliqua en faisant une moue étrange. “Les occasions pour s’apprêter se sont faites bien rares ces dernières années au Palais d’Illicis.”
L’ancien Intendant se pinça légèrement les lèvres. Il avait espéré que l’un des seuls aspects positifs d’une telle soirée aurait pu être une potentielle trêve entre les deux époux. Raté. La perspective de danses et d’un festin n’avait point atténué la rancœur qui l’animait. Il lui prit tout de même la main, du bout des doigts et l’invita à descendre à ses côtés pour faire leur entrée face aux invités. Il fallait soigner les apparences et, en cela, Elina n’avait jamais failli à son devoir.
La Comtesse et le Comte de Linhir progressèrent marche après marche tandis que Citrio annonçait pompeusement leur arrivée. Derrière eux, sur le mur intérieur qui surplombait l’escalier, on avait déployé un grand étendard frappé des armoiries de la Maison d’Illicis. Trois roseaux partageant une même racine sur un fond bleu qui rappelait les eaux du port. La devise de la maison y était fièrement inscrite : « Jamais ne se brise le roseau d’Illicis ». Un symbole ancestral qui avait ironiquement été reprise par de nombreux détracteurs qui avaient qualifié la gouvernance d’Alcide comme “la politique du roseau” ; une capacité à « plier » comme ce curieux végétal et ainsi se compromettre face aux éléments pour préserver sa place.
Pourtant, depuis le Conseil de Sceptre, il y avait bien quelque chose de rompu chez Alcide d’Illicis.
Celui-ci balaya du regard la foule face à lui, cherchant une silhouette familière qu’il ne trouva pas.
“Sigfride n’est pas présent?” Souffla-t-il à son épouse. “Non, il n’avait certainement aucune envie d’être ici.” Répondit-elle laconiquement.
Le maître des lieux fronça les sourcils. L’attitude de son fils unique lui déplaisait fortement depuis quelques temps. Il avait désormais seize ans et à son âge, le Comte parcourait déjà le royaume pour apprendre l’art de la diplomatie. Son héritier, quant à lui, semblait passer ses journées à flâner sur le port en mauvaise compagnie. Toutes les tentatives de l’envoyer parfaire son éducation ailleurs s’était soldée par d’immenses disputes avec le jeune adolescent, ou avec sa mère qui s’opposait à le voir s’exiler.
D’un ton légèrement agacé, Alcide reprit.
“Si notre fils reprend un jour ma place, il va devoir comprendre que ses désirs ne peuvent se mettre sur le chemin de son devoir.”
Ils échangèrent un regard lourd de sens. Le devoir. Voilà bien un mot qui avait construit leurs vies. C’était le devoir qui avait poussé le Comte à prendre un titre pour lequel il n’était pas destiné. C’était le devoir qui éloigné l’ancien Intendant de sa famille pendant de longues années. C’était encore le devoir qui était à l’origine de leur union.
“Si ?” S’interrogea simplement Elina. “Pas maintenant je t’en prie. Nous en reparlerons.”
Ils finirent enfin par franchir la dernière marche et Alcide se força à sourire pour saluer les premières personnes qui s’étaient précipités à leur rencontre. Il serra de nombreuses mains et distribua les compliments d’un air poli mais loin de l’extravagance de certains notables. La sobriété avait toujours été sa marque de fabrique. Ce qui n’était pas le cas de tous les Barons de Linhir.
L’une des représentantes les plus emblématiques de cette caste ne tarda pas à l’approcher.
“Madame la Vicomtesse. C’est un plaisir de vous accueillir.”
Il parlait d’un ton neutre et presque désintéressé. L’ancien Intendant connaissait un peu Lady de Sangris, une femme diablement intelligente au sens politique particulièrement aiguisé. Toutefois, Alcide n’avait aucune envie de rentrer dans son jeu. “Je ne doute pas que le Gondor saura se montrer reconnaissant à l'égard de votre mari.”
Il porta lentement la coupe de vin qu’on lui avait porté. Les dernières allusions de son interlocutrice ne tombèrent pourtant pas dans l’oreille d’un sourd, et le diplomate avait très bien saisi la teneur des propos de la Vicomtesse d’Amrúnhir.
Le Compromis des Barons.
Les De Sangris avait toujours été au centre de cet accord officieux qui garantissait la stabilité de la cité et de son commerce entre les familles les plus influentes. Historiquement, le pouvoir incarné par la maison d’Illicis, avait longtemps fermé les yeux sur de nombreuses activités illégales qui remplissaient les coffres de nombreux notables présents ce soir même au palais.
Cependant, depuis son départ pour Minas Tirith, sa nièce Amelaï et son mari, issu de la puissante famille des Mayraniel, avaient activement combattu la corruption et le trafic de farine ; brisant en partie le statu quo qui régissait la cité fluviale depuis de nombreuses années. De plus, l’arrivée récente de nouveaux acteurs étrangers ayant jeté leur dévolu sur le port de Linhir au vu des troubles qui agitaient Pelargir et Dol Amroth, n’arrangeaient pas les affaires des parrains locaux.
“Les inondations oui…Peut-être aurions-pu éviter d’en arriver là si certains n’avaient pas entrepris de détruire les digues qui retenaient le fleuve.”
Une accusation à peine voilée à l’encontre de Lady de Sangris. Alcide reposa sa coupe sur un plateau vide porté par l’un des serveurs.
“Ma nièce Amelaï est pour l’instant toujours en charge de ces questions. Jusqu’à nouvel ordre, sa parole est mienne. Vous pourriez soulever la question avec elle, je suis certain que vous pourriez trouver de merveilleuses solutions à ce regrettable problème.”
Alcide soutint le regard de son interlocutrice. En d’autres circonstance, si la lassitude de ce monde de faux-semblants n’avait pas été aussi forte, il aurait pris plaisir à prolonger la conversation. Se délectant des ruses, sous-entendus et formules diplomatiques qui animaient un jeu de chat et de souris auquel il avait joué depuis son plus jeune âge.
Mais l’envie n’était plus là. “Je vous conseille les petites tartelettes aux pommes. Un vrai délice. Je vous souhaite une bonne soirée, Lady de Sangris.”
Alcide d'Illicis, tombé en disgrâce et revenu la queue entre les jambes dans le fief qu'il avait abandonné sans se retourner pour se consacrer aux affaires du royaume, venait-il de la critiquer de manière à peine voilée ? Son visage se figea subitement, trahissant son effort pour ne rien laisser paraître de la stupéfaction qu’elle ressentait en son for intérieur. Le comte avait toujours été un homme malléable, assez souple et assez complaisant avec les Barons, conscient qu’il ne pouvait ni s’opposer à eux, ni nier le rôle qu’ils jouaient dans la pacification de la cité du beau ruisseau. Son mandat d’Intendant du Gondor l’avait-il changé au point d’oublier l’équilibre que ses ancêtres avaient su maintenir dans le passé ?
La jeune femme se fendit d'un sourire glacial et pourtant très beau. Ses yeux, en revanche, ne montraient qu'une surprise teintée d'outrage… mais également un respect nouveau pour le maître des lieux. De toute évidence, les affaires du royaume lui avaient permis de gagner en autorité et en confiance. Pour la première fois depuis longtemps, elle sentit la différence d’âge et d’expérience qui la séparaient de cet homme.
Elle leva fièrement le menton, déterminée à ne pas se laisser moucher.
- De bien audacieuses accusations, monsieur le comte. Nul n'a entendu de telles rumeurs à Linhir, je puis vous l'assurer. Mais il est vrai que depuis la lointaine Minas Tirith, les affaires de notre modeste cité doivent être perçues très différemment. Qui sait aujourd'hui quelles folles nouvelles parviennent jusqu’en Anórien ?
Elle but élégamment dans le verre qu’elle tenait du bout de ses doigts gantés, sans quitter son interlocuteur des yeux. Alcide était parti depuis longtemps, et elle ne comptait pas le ménager sur ce point. Il avait choisi de répondre à l'appel de son roi, et de s'élever vers de hautes sphères qui l'avaient éloigné de la cité où il avait bâti son influence. Une promotion inespérée pour un homme compétent mais qui manquait cruellement du charisme des plus grands, et une chance exceptionnelle de faire grandir sa famille dans un royaume qui comptait son lot de noms prestigieux. Toutefois, durant son absence, le temps ne s’était pas arrêté à Linhir, et la nature ayant horreur du vide, le monde s'était réorganisé depuis le départ du comte... à son insu.
En se souciant de la prise de Cair Andros, de la menace des Pirates et des troubles dans la Cité Blanche, Alcide avait perdu de vue les problèmes les plus pressants de Linhir... et le privilège de pouvoir prétendre les résoudre.
- S'il s'avère cependant que certains ont saboté les digues, cela ne peut que susciter l’inquiétude de ceux qui tiennent à cette ville. Nous ne devrions pas laisser des étrangers gagner impunément en influence. Nos digues ont des fondations anciennes et solides, bâties par nos aïeux qui comprenaient l’importance de l’équilibre, et de l’harmonie. Il serait dommage que les vagues du changement et les folies étrangères viennent saboter ce qui protège Linhir de la submersion depuis tant de générations.
Son message était clair, mais elle avait tenu à le marteler avec insistance. Il y avait trop longtemps que des commerçants étrangers venaient menacer la paix du Compromis, et il était temps qu’une main ferme remît de l’ordre dans les affaires de la cité. Si les autorités n’agissaient pas, alors il fallait craindre ce que la cité avait connu en quelques occasions seulement : ce que l’on appelait vulgairement le « Réveil des Barons ».
Alcide connaissait son histoire.
Il savait que cela ne profiterait à personne.
Le comte choisit néanmoins de prendre congé d’Ellie, d’une manière qui répondait à peine aux convenances de l’aristocratie gondorienne. Une manière polie de luis confier son ennui et son déplaisir, qu’il espérait sans doute suffisante pour intimer à l’ambitieuse jeune femme d’aller jouer à la politique ailleurs. Cependant, elle l’interrompit en lui saisissant le bras avec une familiarité tout à fait inattendue, et s’approcha de lui brusquement pour lui confier à l’oreille :
- Je souhaitais aussi vous parler d’un autre sujet… Votre fils…
Elle tourna la tête, comme pour vérifier que personne n’était en train de les épier. Hélas, son regard accrocha celui d’un homme qu’elle ne connaissait pas, peut-être un étranger de passage dans la cité, invité à participer à la soirée. Depuis la promotion d’Alcide, beaucoup de marchands et de nobles venus de loin avaient commencé à s’intéresser à la petite cité portuaire, et il n’était plus aussi facile qu’avant de savoir qui était qui sous les masques affables. L’intéressé, un homme grand et bien bâti dont les cheveux bruns étaient coupés courts, ne quittait pas le comte des yeux.
- Pas ici… Souffla Ellie. Venez me rendre visite, lorsque vous le pourrez.
Elle recula d’un pas, et leva la tartelette qu’elle avait attrapée subrepticement dans le dos du comte. Avec une moue qui la rendait particulièrement désirable, elle en croqua un morceau en fixant toujours Alcide, avant de s’incliner à la perfection pour laisser le comte continuer son tour de la pièce. Ellie était sans doute jeune, ambitieuse au point d’être parfois imprudente, avec un caractère flamboyant qui pouvait lui jouer des tours, mais elle était aussi intelligente, séductrice et déterminée. Autant de qualités qui devaient l’amener à jouer, d’après elle, un rôle de premier plan dans cette cité.
~ ~ ~ ~
En s’éloignant ainsi d’Alcide, sans lui laisser la possibilité de répondre, Ellie considérait qu’elle avait marqué un point pour susciter l’attention de cet homme qu’on disait parfois insensible et parfaitement maîtrisé. Elle savait par quel angle attaquer, et elle ne doutait pas que l’hameçon qu’elle venait de déployer était le bon… Sigfride était précédé par son illustre nom, qui lui ouvrait bien des portes dans la cité, encore davantage depuis la promotion de son père… Cependant, il était fréquemment suivi par d’étranges rumeurs, dont certains disaient qu’elles étaient destinées à fragiliser l’autorité des comtes de Linhir, tandis que d’autres les attribuaient bien davantage au comportement peu approprié du jeune homme. A l’heure actuelle, tous les Barons avaient placé Sigfride sous surveillance, épiant ses moindres faits et gestes, curieux de découvrir ce qu’il faisait de son temps libre… et espérant peut-être découvrir un sombre petit secret à exploiter.
Ils avaient tous échoué, cependant, grâce aux gardes du corps particulièrement compétents du jeune garçon, qui empêchaient la plupart du temps les problèmes de prendre une ampleur trop considérable.
Tous, sauf un…
La jeune femme fut tirée de ses pensées par l’arrivée soudaine de son hôtesse. Dame Elina d’Illicis. La comtesse en personne. Sa participation à la soirée n’avait pas été confirmée dans l’invitation qui avait été transmise aux habitants de Linhir, aussi sa présence était elle une surprise pour jeune femme. Pendant un instant, cette dernière demeura interdite, subjuguée, avant de s’incliner respectueusement pour cacher de manière commode ses joues qui s’étaient soudainement empourprées. Lorsqu’elle fut invitée à relever la tête, elle avait retrouvé une partie de sa contenance, mais il était évident qu’elle avait perdu de sa superbe, et que son regard confinait à l’adulation… Il fallait dire qu’il se dégageait de la comtesse des qualités évidentes qui avaient toujours fait forte impression à la Baronne, même alors qu’elle n’était encore qu’une enfant se faisant appeler « Ellie ». Elina d’Illicis comptait d’ailleurs parmi les rares qui pouvaient encore s’adresser à elle par ce sobriquet affectueux. La désormais Lady de Sangris posa les yeux sur la comtesse avec un sourire intimidé qui ne lui ressemblait guère, mais cette émotion juvénile et d’une innocente pureté ne semblait pas lui déplaire le moins du monde. Au contraire, elle semblait avoir totalement oublié le monde autour d’elle, pour ne se consacrer qu’à son hôtesse. La comtesse était une femme remarquable, qui alliait une beauté singulière – encore rehaussée par le soin qu’elle avait mis à sa tenue et à sa coiffure – à un esprit aussi inflexible que l’acier. Elle offrait un merveilleux contraste à son époux, qui semblait quelconque en comparaison.
- Comtesse, murmura la jeune femme, à bout de souffle. Vous êtes magnifique… Je suis si heureuse de vous revoir.
Elina avait dû suivre le comte d’Illicis à Minas Tirith, et avait dû s’absenter longuement de la cité portuaire, privant Ellie de celle qu’elle considérait comme son modèle, et une véritable source d’inspiration. Ce départ avait été un déchirement. La Baronne dut se retenir de serrer dans ses bras cette femme qu’elle avait passé de longues années à observer lors des dîners et des entrevues officielles, et à imiter dans le secret de sa chambre. Cela aurait été par trop inconvenant.
- Toute la cité était si inquiète de votre sort… Les rumeurs de la guerre et de la désolation à Minas Tirith sont parvenues jusqu’à nous, mais nous étions impuissants…
Ressasser le passé ne servait à rien, aussi changea-t-elle de sujet :
- J’ignore encore quels sont vos projets désormais que vous êtes de retour, mais sachez que le vicomté d’Amrúnhir est à votre service, dussiez-vous avoir besoin de nos services…
La légère surprise de son interlocutrice la poussa à clarifier :
- Oui, c’est… c’est moi qui gère le vicomté, désormais que papa est… est…
Ne. Pas. Ressasser.
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Amelaï était arrivée avec plusieurs dizaines de minutes de retard à la réception organisée en l’honneur de son oncle. Prise dans des relectures ennuyeuses de documents administratifs portant sur une levée plus importante des taxes sur les produits d’importation débarquant au Port de Linhir, elle n’avait pas vu l’heure défiler et avait dû compter sur son époux qui avait toqué à sa porte pour lui rappeler la tenu de cet évènement qu’elle ne pouvait point rater.
La véritable maîtresse de la cité portuaire avait voulu se faire la plus discrète possible en entrant dans la grande salle du palais familial au bras de Thelyes. La jeune politicienne avait été élevée dans une pudeur qu’elle s’évertuait de retransmettre depuis son entrée dans la vie publique du royaume. Au contraire de nombreux Barons, elle privilégiait l’efficacité des actes à la vanité des grands discours. Femme d’action et de décisions, il était très rare de la voir lever la voix ou faire de grandes apparitions publiques. Thelyes était infiniment plus à l’aise dans ce genre d’exercice, capable d’enrober sa vision claire pour Lihir dans des atours plus diplomatiques. En cela les deux époux formaient le mariage idéal. Une compatibilité rare sur le plan des idées et une complémentarité inestimable au niveau de leurs compétences.
Seule manquait la passion de l’amour. Mais cela, Amelaï en avait déjà fait le deuil.
Quelques salutations polies et autres présentations avec des visages moins connus et la jeune femme se retrouvait déjà prise d’une certaine lassitude. Elle détestait ce genre de choses. Avec le temps elle avait appris à y figurer de manière plus que correcte, avec un sourire avenant et un art de la flatterie qu’elle avait pratiquée au fil des ans.
Par contre les regards indisposés en sa direction ne la dérangeaient guère. Lancée dans une croisade contre le commerce illégal et la corruption qui gangrènait le port, la nièce du Comte ne s’était pas fait que des amis parmi les Barons de Linhir. Ces derniers voyaient d’ailleurs d’un bon œil le retour d’Alcide, espérant que la personnalité plus disposante et ouverte au compromis de l’ancien Intendant leur permette de reprendre certaines de leurs activités. Ils risquaient de déchanter rapidement.
Alcide d’Illicis n’était plus le même homme qui avait quitté Linhir pour la capitale.
Ele fut distraite par Thelyes qui déposa délicatement sa main sur son épaule. Il avait fait apporter deux belles coupes de champagne.
“Voilà un petit remontant pour t’aider à survivre à cette soirée. -Oh arrête un peu…” Répliqua-t-elle avec un sourire amusé tout en saisissant le précieux breuvage avec un enthousiasme non feint.
Le fils aîné de la famille Mayraniel plongea son regard dans celui de sa femme. Si leur mariage n’avait pas été le fruit d’un amour ; une profonde tendresse s’était installée entre eux ainsi qu’une confiance aveugle. Le jour où ils avaient fait le choix de s’unir, ils avaient mis au second plan toutes leurs autres allégeances au profit de celle qui unissait désormais leurs deux noms. Une question d’honneur. Avec le temps l’affection et un attachement certain étaient inévitablement apparu. Une autre forme d’amour, lentement construit avec le temps. “Tu es parfaite, Amelaï. Crois-moi. Je n’en dirais pas tant de ton oncle…”
D’un geste subtil du menton, Thelyes désigna le maître des lieux qui passait d’une conversation mondaine à une autre avec un ennui qu’il ne cherchait pas même à cacher. Amelaï ne s’était pas inquiétée outre mesure de le voir aussi épuisé le jour de son retour après un voyage éprouvant et un mandat tourmenté dans les bureaux de l’Intendance. Elle avait pourtant cru qu’après quelques jours de repos, elle retrouverait son oncle souriant et rompu aux joutes verbales de la politique locale. Pourtant, seule une profonde lassitude se lisait sur son visage qui semblait avoir vieilli d’une dizaine d’années en l’espace de quelques mois.
Le mal semblait plus profond.
Thelyes, partageait son inquiétude, du moins en ce qui concernait les implications politiques de son état.
“Penses-tu qu’il soit en état de nous soutenir ? -Qu’entends-tu par-là?”
Le notable se mordilla la lèvre, conscient que ce n’était pas un sujet facile à évoquer. Pourtant il se devait de faire part de ses doutes, il avait juré ne jamais rien cacher à son épouse. “Regarde-le Amelaï. Vois-tu en lui un homme prêt à tout pour soutenir notre entreprise? Déterminé à nettoyer Linhir du mal qui le ronge depuis si longtemps ? De protéger sa cité des nouveaux dangers qui la guettent ?”
La jeune femme adressa un regard légèrement contrarié son époux. Elle n’aimait qu’il parle ainsi de l’homme qui l’avait élevé avec tant d’amour. Il n’avait pas été un père de substitution parfait, loin de là, ses sœurs avec qui les relations avaient été bien plus tortueuses pouvaient en attester. Pourtant, il avait toujours cherché à faire de son mieux et avait, jadis, été un mentor de qualité pour l’aspirante politicienne.
Pourtant, elle devait bien avouer que Thelyes n’avait pas tout à fait tort. Alcide lui avait assuré son soutien mais également son envie de lui laisser les rênes de la cité. Mais son retour soulevait certaines questions.
Elle aimait sincèrement son oncle. Mais elle aimait tout autant Linhir. Au fond d’elle, l’espoir que ces deux amours aillent dans le même sens commençait à s’effriter.
Le visage harmonieux d’Elina d’Illicis s’était fendu d’un large sourire à la vue de celle qu’elle surnommait affectueusement “Ellie”. Elle prit la Vicomtesse, de plus de dix ans sa cadette, dans ses bras et l’enlaça longuement.
La Comtesse la remercia des compliments à son égard avant de lui rendre la pareille.
“Oh je suis simplement douée pour cacher l’emprise du temps avec un peu de maquillage. C’est toi qui es resplendissante! Tu ne souffres d’aucune compétition ce soir.”
En relâchant son étreinte, elle adressa un clin d’œil complice à Ellie avant d’ajouter d’un ton taquin. “À son retour, Elmer aura fort à faire à son retour pour écarter les prétendants.”
Toutefois, passés les premiers échanges pleins de légèreté, leur conversation prit une tournure bien plus sérieuse, entre deux âmes se souciant réellement du bien-être de l’autre. “C’est gentil de ta part. La vie dans la capitale a été… mouvementée…Tant de malheurs en si peu de temps. Et les gens là-bas, je préfère ne pas en parler, si imbus d’eux-mêmes. Je suis ravie de revenir ici auprès des nôtres.”
L’évocation du destin tragique du père d’Eleanor eut l’effet d’un coup de poignard. Comment n’en avait-elle pas été informée depuis la résidence de l’Intendance ? Alcide avait forcément reçu une missive. Aurait-il oublié de lui transmettre cette information ? Apprendre ainsi la disparition d’un ami si proche de sa famille n’était pas une chose auquel elle s’attendait pour sa soirée. Elina ne pouvait qu’imaginer la peine d’Ellie, son deuil était encore récent.
Elle la prit à nouveau affectueusement dans ses bras.
“Oh Ellie! Quelle terrible nouvelle, je suis si désolée.”
D’un geste élégant elle sortit un mouchoir en tissu sur lequel les armoiries de la famille d’Illicis avait été brodée. “Sèche tes larmes ma petite Ellie, et relève le menton. Il serait si fier de toi en voyant la nouvelle Vicomtesse d’Amrúnhir.”
Leur conversation intime fut alors coupée court par Citrio, le maître majordome du Palais, qui fit tinter une cuillère sur le bord d’un verre avant d’annoncer la prise de parole de l’hôte de la soirée. Le Comte de Linhir.
Il se tenait tel un pantin de paille, coupe de vin à la main face à une assistance dont il n’aimait pas la plupart des personnes qui s’y trouvait. Tous les regards étaient tournés vers lui, attendant le glorieux discours de celui qu’on avait présenté comme faisant un retour fracassant dans sa ville natale.
Fracassant.
Il avait prononcé d’innombrables discours au cours de sa longue carrière diplomatiques. Dans des langues différentes. Face à des auditoires bien plus prestigieux. Il avait traité avec les personnes les plus puissantes, mais aussi les plus dangereuses, du monde connu. L’ancien Intendant s’en était toujours sorti avec brio. Cela avait toujours représenté l’une de ses forces.
Pourtant ce soir-là, pour une raison qui lui échappait, il était comme tétanisé. Sa bouche était affreusement pâteuse et sa voix curieusement tremblotante. Il ressentait également un picotis étrange au niveau de ses bras et des bouffées de chaleur qui rendait sa respiration difficile.
Parmi le cortège d’invités, il repéra le visage de sa nièce. Celle-ci, d’un sourire, l’encouragea à se lancer. Dans ce sourire il revoyait celui de la petite fille qu avait grandi sous son toit, mais aussi ceux de Vedraï et Valeraï.
Il se racla la gorge par deux fois, bomba légèrement le torse et prit la parole. “Chers amis !
Barons de Linhir ! Seigneurs du Lebennin! Vénérables hôtes venus des quatre coins du Royaume ! Soyez les bienvenus !
Puisse cette soirée marquant mon retour ici, à Linhir, dans…euh…”
Une première hésitation inhabituelle pour le Comte, d’ordinaire si éloquent.
“Mon retour à Linhir, ma cité natale. Oui donc, que cette soirée soit le début d’un renouveau mais s’inscrive dans la continuité de ce qui a pu être fait ici, en mon absence…et… euh…je…”
La main qui tenait le verre s’était mise à trembler, renversant une partie de son contenu sur les manches de sa tunique tandis que le Comte ne parvenait plus à aligner la moindre phrase. Il avait perdu son audience qui s’agitait de plus en plus, se demandant ce qui avait bien pu se produire.
Ne pouvant plus supporter ce spectacle, Amelaï se précipita au côté de son oncle et glissa sa main entre les doigts tremblants de celui-ci. De grosses gouttes de transpiration perlaient sur son front et sa respiration était saccadée.
“Je…je…ne’’ Balbutia-t-il.
Amelaï n’avait plus d’autre choix, elle aurait voulu éviter faire de l’ombre à Alcide mais il fallait bien faire quelque chose. Elle fit signe à Citrio de s’approcher afin d’évacuer le Comte vers un lieu privé juste après la fin de sa prise de parole.
Levant sa coupe à son tour, elle porta un toast : “Que cette soirée nous permette à tous d’œuvrer ensemble, mains dans les mains, pour le bien-être de notre glorieuse cité. Nous savons l’importance de chacun d’entre vous, présents ici ce soir, pour le lustre de notre belle ville. Au nom de toute la famille d’Illicis nous voulions tous vous honorer et vous remercier.
Santé! Puissent les fleuves-jumeaux porter gloire et fertilité aux familles de Linhir ! ”
Les convives, repris d’un certain enthousiasme malgré une certaine confusion, reprirent la formule traditionnelle burent à leur tour, tandis que le majordome et la jeune femme conduisait Alcide vers une pièce adjacente.
La honte ne tarderait pas à saisir l’ancien Intendant mais pour le moment il tâchait simplement de retrouver un souffle normal et d’éviter de perdre connaissance.
Amelaï de son côté était partagée entre un véritable sentiment d’inquiétude et une certaine frustration. Depuis quand son Comte était-il sujet à ce genre de crises de panique? Celle-ci ne pouvait pas plus mal tomber.
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Le sourire angélique de la jeune vicomtesse faisait briller ses yeux d’une lueur de profonde affection. Quelques regards amusés se tournèrent dans sa direction. Il fallait dire qu’ils étaient bien rares, les individus qui avaient déjà vu la Baronne se laisser ainsi aller à de telles émotions en public. Mais les circonstances étaient exceptionnelles, et le retour inattendu de Dame Elina ne lui avait pas laissé l’opportunité de la saluer en privé avant d’être présentée à elle devant cette assistance aussi nombreuse que dangereuse.
La jeune Baronne ne mesurait pas à quel point son attitude en révélait à ses rivaux.
Pour l’heure, elle s’en fichait éperdument, simplement saisie par une joie profonde et sincère comme elle n’en connaissait que bien peu désormais. C’était comme ressentir la caresse du soleil après un hiver morose. Elle avait l’impression de retrouver une chaleur familière, qui se matérialisa sous la forme d’une longue étreinte qu’elle rendit volontiers à Dame Elina.
Les compliments de cette dernière lui firent monter le rouge aux joues, et elle laissa joliment retomber ses longues mèches brunes autour de son visage pour dissimuler à quel point elle était touchée.
- Je m’efforce de marcher dans vos pas, comtesse.
Elle aurait voulu ajouter quelque chose de plus spirituel, de plus audacieux. Dire à son idole que le temps n’avait aucune prise sur elle, et qu’elle aurait volontiers troqué sa jeunesse et ses charmes actuels pour avoir la même élégance que cette femme, dont la modestie rehaussait encore l’impériale beauté. Cela aurait sans doute fait beaucoup, mais ainsi était Ellie. L’absence de figure féminine dans son entourage l’avait poussée à rechercher l’affection maternelle que sa mère, répudiée quand elle n’avait que cinq ans, n’avait jamais eu l’opportunité de lui donner.
Dame Elina était la seule personne qui semblait, pour un temps du moins, capable d’apaiser cette profonde blessure.
Et par chance, elle était de retour à Linhir.
Cependant, alors qu’elles prenaient des nouvelles l’une de l’autre, il fut rapidement évident que la vie n’avait pas été tendre avec les deux femmes. Elina, contrainte de suivre son époux à la capitale et d’y jouer un rôle de premier plan en tant que compagne du deuxième personnage du royaume, avait de toute évidence été plongée dans un tourbillon politique et militaire dont elle se serait bien passée. On avait parlé longuement à Linhir de la chute de Cair Andros, de la menace contre Minas Tirith alors que des troupes de Pelargir avaient été envoyées en toute hâte pour défendre la capitale du royaume. On s’était ému des violences commises par des émeutiers dont les motifs n’étaient pas très clairs : des mécontents, racontait-on publiquement. Mais certains parlaient d’agitateurs, voire d’agents étrangers venus semer le trouble dans les rues de la Cité Blanche. L’épisode malheureux avait coûté tragiquement la vie au général Cartogan…
Ellie frémissait rien que d’imaginer l’ampleur des violences.
Les vivre de près devait être infiniment pire. La jeune femme se retint de presser sa curiosité dévorante, et respecta la pudeur de son interlocutrice, qui ne savait que trop bien qu’il n’était pas utile de ternir cette soirée de retrouvailles avec de sinistres nouvelles d’une province lointaine. L’Anórien et ses troubles ne concernaient que très peu les gens de la cité portuaire, bien davantage préoccupés par la situation au Sud.
Cependant, de sinistres nouvelles il devait y avoir.
Ellie ne put prononcer les mots fatidiques, mais le message était clair, et le visage de la comtesse afficha une surprise non feinte. Apprendre un décès à quelqu’un était toujours terrible, mais celui de son propre père ?
Herbert de Sangris, patriarche inflexible mais qui avait noué une relation indéfectible avec sa fille unique, avait été un ami proche de Dame Elina, dont il connaissait fort bien le père également. Ellie se souvenait des nombreuses fois où ils étaient venus dîner à Brumerive. Combien de fois s’était-elle endormie en écoutant les histoires que racontait son père, avant de se réveiller miraculeusement le lendemain matin dans son lit ?
« Ce sont les Sirènes qui veillent sur toi », lui disait-il quand elle l’interrogeait à ce sujet. « Les Sirènes veillent depuis des générations sur notre famille, car notre ancêtre épousa l’une d’entre elles. C’est pour cela que nous avons le sang gris ».
Elle avait eu maintes occasions de confirmer que son sang était bel et bien carmin, mais avait toujours gardé un attachement à ces histoires, et au folklore dont son père enveloppait chaque pierre, chaque arbre, chaque bras de la rivière…
Ses souvenirs s’évanouirent quand Dame Elina lui tendit un mouchoir, accompagné de quelques paroles réconfortantes. Elle n’avait pas réalisé que des larmes s’étaient mises à couler sur ses joues… La mort de son père était bien récente, et il lui était encore difficile d’en parler.
- Merci, comtesse… Merci pour tout… Votre retour est la meilleure nouvelle qu’il m’ait été donné d’entendre depuis longtemps.
Elle ne mentait pas.
Un son cristallin attira leur attention, alors que Citrio, toujours fidèle au poste, annonçait la prise de parole tant attendue d’Alcide d’Illicis. Dame Elina prit congé poliment, non sans qu’Ellie ne serrât chaleureusement la main de son hôtesse. Il était normal pour la femme du comte de se trouver non loin de lui lors de ce discours, et d’afficher publiquement son soutien à celui que l’on disait diminué depuis qu’il avait été disgracié. La vicomtesse ne l’avait pas perçu ainsi : elle avait eu devant elle un homme désintéressé, las, mais de toute évidence encore vigoureux. Elle ne s’attendait pas au désastre qui allait suivre.
En le voyant ainsi, mal à l’aise dans sa tenue qui semblait presque trop large pour lui, cherchant le courage de s’exprimer devant une foule qui n’avait d’yeux que pour lui, Eleanor mesura à quel point le comte avait été éprouvé par son passage à Minas Tirith. Elle ne lui avait jamais trouvé de remarquables qualités intellectuelles, et lorsqu’il était venu chez eux, il avait toujours été plutôt réservé et assez effacé. Cependant, elle l’avait vu prendre la parole à plusieurs reprises lors d’événements mondains, et ne l’avait jamais vu autant en difficulté. Il s’interrompit, cherchant ses mots, trébuchant sur des phrases anodines qu’il aurait dû pouvoir prononcer sans même y penser.
Ellie ne put détourner le regard, accentuant encore la pression que cent paires d’yeux exerçaient déjà sur ce pauvre homme.
Le second moment de flottement, qui succéda à son second échec de mener sa réflexion jusqu’au bout, provoqua un véritable malaise dans l’assistance. Cette fois, de manière fort humiliante, les regards se détournèrent. Les sourires se craquelèrent. Chacun cherchait à trouver dans son voisin une raison de ne pas rire ou pleurer, de ne pas afficher trop publiquement les sentiments qu’ils ressentaient tous à l’endroit du comte d’Illicis.
La pitié.
Le mépris.
Le doute.
On se mit à bavarder… A se demander si tout allait bien, si le comte n’avait pas besoin d’aide, s’il n’était pas atteint d’une quelconque maladie. Cet épisode, qui n’avait duré qu’une poignée de secondes tout au plus, venait de fragiliser la famille comtale plus efficacement que tout ce que les ennemis d’Amelaï avaient tenté de faire ces derniers mois. Les efforts qu’elle avait consentis pour purger la cité de l’influence des Barons s’étaient heurtés à une résistance exceptionnelle de la part des grandes familles de Linhir, et elle avait sans doute compté sur l’influence d’Alcide pour l’aider dans son entreprise. En quelques bafouillements, et quelques tremblements préoccupants, il venait d’annoncer à toutes et à tous que le roseau vieillissant n’aurait pas la force de s’opposer à la puissance du Compromis.
Ellie ne fut pas la seule à voir l’intervention discrète d’Amelaï, qui invita Citrio à interrompre le calvaire de son oncle, avant de prendre la parole elle-même pour détourner l’attention. Sa conclusion, qu’elle voulait enthousiaste et rassurante, ne dissipa guère l’inquiétude qui s’était emparée des fidèles de la maison Illicis. Elle eut toutefois le mérite de fournir aux nobles de la cité l’opportunité de trinquer ensemble, et de réaffirmer leur engagement vis-à-vis de la cité.
- Gloire et fertilité ! Reprit la vicomtesse à l’unisson.
Elle porta les lèvres au breuvage qu’elle tenait entre ses mains, cherchant des yeux Dame Elina sans la trouver. Était-elle partie avec son époux, pour veiller sur lui ? Avait-elle tout simplement quitté la réception pour ne pas devoir endosser le poids d’une telle humiliation, et répondre aux questions les plus pressantes de ses convives ?
- Eh bien, fit une voix familière dans son dos. Quel retour.
- Cosmo… Je ne vous avais pas encore vu.
La simplicité de ce salut était à la hauteur des relations qui unissaient les Sangris et les Arandor. Cosmo d’Arandor appartenait au Compromis, quoi qu’il fût sans doute moins corrompu et moins brutal que beaucoup. Il entretenait une position médiane parmi les Barons, ce qu’Ellie savait apprécier en cette période troublée, ou quelques uns avaient même évoqué l’idée de renverser la famille comtale pour installer un pantin plus malléable. La Baronne préférait de très loin les avis plus modérés, et elle appréciait sincèrement Cosmo. Elle était également assez proche de son épouse, Silia, qui pour intelligente qu’elle fût, ne mesurait sans doute pas à quel point son époux était impliqué dans les affaires criminelles de la cité.
- Je me faufile ici ou là, vous savez… J’aime trop ce genre de réceptions pour ne pas m’y faire voir. Je vous ai vu parler à Alcide, est-il de notre côté ?
Elle fit « non » de la tête. Cosmo fronça les sourcils.
- Voilà qui ne va pas arranger nos affaires. Mais nous parlerons de cela plus tard, regardez qui voilà.
Ellie se retourna, pour voir Amelaï d’Illicis qui avançait dans leur direction. La régente de la cité n’avait que peu goûté l’opposition des Barons, dont la vicomtesse d’Amrúnhir et le marquis d’Arandor faisaient partie. Cependant, elle semblait bel et bien décidée à ne pas les éviter ce soir, et à leur parler directement. Sans doute que l’épisode malheureux du comte avait un peu précipité les choses…
- Dame Amelaï, fit Cosmo en s’inclinant poliment du buste.
La vicomtesse en fit de même, adressant une révérence impeccable, avant de relever la tête avec un demi-sourire aux lèvres. La déchéance d’Alcide ne faisait les affaires de personne ici, car les modérés parmi les Barons préféraient conserver l’ordre établi plutôt que d’engager une guerre civile. Cependant, il était amusant de voir leur ennemie jurée venir jusqu’à eux. Restait à savoir si elle venait leur proposer une trêve, ou leur offrir une déclaration de guerre.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"