Nombre de messages : 1081 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Les paysages escarpés des Hauts du Sud avaient laissé leur place à un panorama bien plus paisible, principalement composé de petites collines vertes. Cela faisait déjà un moment qu’ils avaient bifurqué du Chemin Vert, extrêmement fréquenté en cette période de l’année, pour s’aventurer sur des routes moins empruntées et plus aventureuses qui serpentaient à travers le Nord du Cardolan. Parfois, des pans entiers de la voie étaient encombrés de gravier qui faisaient sauter le fiacre et ses occupants de manière bien désagréable.
Plus d’une fois le noble qui avait entrepris ce long voyage depuis la capitale se demanda si cette invitation inattendue signé par la main du Seigneur de Valnahar valait vraiment tout ce périple. La famille qui régissait le domaine ne faisait historiquement pas partie du cercle fermé de la haute noblesse du royaume - des petits seigneurs provinciaux tout au plus. Pourtant tout avait changé pour eux ces dernières années ; leur fief s’était considérablement enrichi dans des circonstances assez surprenantes et le plus illustre de leur représentant avait été nommé Gouverneur du Cardolan par le Roi en personne, en faisant l’un des personnages les plus puissants du pays.
Le Sénateur Halbagost ne pouvait décemment pas décliner l’invitation d’un Gouverneur.
Le domaine du Valnahar se trouvait au nord de Tharbad, non loin de la confluence des fleuves Bruinen et Mitheitel ; la Sonoronne et la Fontgrise comme ils était plus communément nommé au sein du peuple. Une terre hautement fertile, relativement épargnée par les conditions climatiques parfois difficiles qui régnait dans certaines autres régions, et surtout suffisamment éloignée de toutes les menaces venues des Monts Brumeux. Cependant, le domaine restait relativement reculé par rapport aux grands axes du Royaume ce qui avait longtemps rendu son développement compliqué.
Mais depuis le retour du Roi Aldarion, les Valnahar ne cachaient plus leurs ambitions.
Quelques heures plus tard, son cocher arrêta le convoi et toqua à la porte ; indiquant qu’ils étaient arrivés à destination. Halbagost réajusta sa longue cape verte et, à l’aide du marchepied, descendit promptement de la voiture. Le soleil avait déjà bien entamé son déclin et projetait ses derniers rayons orangés sur la vallée, un vent d’Est agréable venait rafraîchir son visage fatigué après ce long voyage.
Face à lui, un long sentier avait été aménagé. Il était bordé de chaque côté par des buissons parfaitement taillés et des arbustes soigneusement entretenus. On avait disposé du sable blanc par-dessus le sol dallé donnant une teinte presque exotique à ce curieux chemin. Celui-ci conduisait jusqu’à son lieu de destination : le Palais des Valnahar.
La grande bâtisse ne ressemblait à rien aux grands châteaux fortifiés que les grandes familles arnoriennes s’étaient fait construire au fil des siècles. Ici, il n’y avait nulle tour ou murailles. Le lieu n’avait pas été conçue comme une forteresse devant résister à de potentiels assaillants mais bien comme un luxueux manoir dont les différentes ailes avaient été progressivement construites au fil de l’ascension de son propriétaire au sein du monde politique de l’Arnor. La pierre de jaumont utilisée pour la construction donnait à la luxueuse demeure une teinte dorée qui ne faisait que renforcer son prestige ; ou son mauvais goût pour les plus conservateurs. Les façades étaient ornées de nombreuses moulures et autres ornements, rien ne semblait avoir été laissé au hasard par les Valnahar.
Le sénateur Halbagost fit signe à son conducteur ainsi qu’à l’un de ses gardes de rester près du fiacre et se mit à avancer d’un pas sûr en direction du grand portail en argent qui encadrait les jardins. Trois serviteurs lui ouvrirent le passage en le saluant avec beaucoup de courtoisie, puis l’invitèrent à monter les marches qui menaient aux grandes portes en bois de noyer. Dans l’encadrement de celles-ci se tenait un homme qui avait visiblement été prévenu de l’arrivée de son invité. Il était assez jeune, dans la trentaine sinon encore plus jeune. Il avait la prestance des Dunedains mais ses cheveux d’un brun clair semblaient indiquer des origines mixtes. Son long manteau d’hermine qu’il portrait avec élégance lui conférait une certaine allure. Soigneusement coiffé et rasé de près, l’inconnu semblait porter une attention toute particulière à son apparence.
“Seigneur Halbagost ! Quel bonheur de vous voir ici dans notre domaine. Je ne pourrai assez-vous remercier d’avoir fait le déplacement.”
Halbagost, visiblement peu enclin à s’éterniser sur le parvis, acquiesça de la tête d’un air impatient. “Bien, bien oui. L’honneur est mien. Le Seigneur de Valnahar est-il là ?”
Le jeune homme sourit, légèrement amusé par la remarque de l’étranger.
“Il se tient devant vous.”
Halbagost fronça les sourcils. Ce jeune premier se moquait-il de lui ? Il avait vérifié avant son départ d’Annúminas, le domaine était sous la houlette d’Elend de Valnahar.
“Je…je crois qu’il y a erreur. Je parle du Gouverneur du Cardolan qui m’a invité ici pour discuter affaires.”
Le sourire de son interlocuteur s’élargit un peu plus.
“Oh mon oncle est bien trop occupé à Tharbad pour venir ici plus d’une fois tous les trois mois. Mais cela importe peu, cela fait près d’un an que la seigneurie est revenue entre mes mains. Moi, Eneron de Valnahar, fils aîné et héritier légitime de feu Seigneur Janerion.”
Halbagost sentit la colère monter en lui. Comment avait-il pu se laisser berner ainsi ? L’espace d’un instant, fou de rage, il pensa à tourner les talons et repartir aussitôt. Visiblement, Eneron avait également noté l’hésitation de son invité.
“Voyons ne faisons pas de choix trop hâtifs. Vous venez d’achever un voyage long de près d’une semaine. Votre chambre est prête et nos cuisiniers s’affairent à vous concocter un dîner d’exception. Nous pourrons y évoquer la raison de mon invitation…je vous assure que vous ne serez pas déçu.”
Le maître des lieux invita le sénateur à entrer à l’intérieur du manoir mais celui-ci paraissait encore réticent. “Seigneur Halbagost, acceptez mon invitation et je vous assure qu’ensemble nous pourrons accomplir de grandes choses. Mais si vous me tournez le dos aujourd’hui, soyez certains que ces portes ne s’ouvriront plus jamais pour vous.”
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Posté en face du majestueux miroir qui trônait sur l’un des murs de sa chambre, Halbagost réajusta le col de son veston et lissa sa barbe d’un geste qu’il avait répété d’innombrables fois. Le sénateur arnorien prit une profonde inspiration et décida à quitter ses quartiers pour descendre à la salle à manger. Après de longues minutes d’hésitation, il avait fini par accepter l’invitation du maître des lieux. D’abord outré d’avoir ainsi s’être fait duper, il avait songé à regagner immédiatement son fiacre pour repartir aussitôt vers la capitale. Mais la perspective peu réjouissante de refaire le voyage en sens inverse sans avoir pu profiter d’un repas chaud et d’un lit moelleux avait eu raison de son indignation. Et puis, malgré son arrogance, le jeune Seigneur du Valnahar l’intriguait quelque peu. Son inexpérience ne semblait pas limiter ses ambitions et l’assurance dont il faisait preuve trahissait peut-être un réel sens politique, ou alors une stupidité crasse. Halbagost comptait bien en apprendre plus sur cet étrange personnage. De surcroît, tisser des relations avec le neveu du gouverneur du Cardolan pouvait toujours se révéler utile si le jeune noble pouvait être un moyen d’avoir l’oreille de l’un des hommes les plus importants du royaume.
Halbagost descendit lentement l’escalier de granit qui donnait sur le rez-de-chaussée, laissant glisser sa main sur la rampe de platine plaqué d’or. Son regard parcourait les murs ornés de nombreux tableaux de maîtres, d’ornements en tous genres et de manifestations de la nouvelle richesse des occupants du château. Les Seigneurs du Valnahar avaient des moyens et comptaient bien le montrer à tous leurs invités. Un manque de sobriété qui caractérisait certainement un complexe d’infériorité par rapport aux plus puissantes familles. Un manque certain de bon goût également. On avait dressé une large table avec trois couverts disposés à son extrémité, là encore au vu du nombre de convives on aurait bien pu éviter de dîner dans l’immense salle à manger.
Eneron se trouvait là, assis dans un fauteuil en velours près du feu qui crépitait dans la cheminée, un verre de vin rouge à la main qu’il sirotait tranquillement. De façon plus ou moins volontaire, il prit quelques secondes pour remarquer la présence de son invité qu’il salua en levant son verre, mais en restant assis. “Ah Seigneur Halbagost ! Le repas devrait être prêt d’ici quelques minutes et ma sœur doit encore nous rejoindre. Asseyez-vous, je vous en prie. Un peu de vin ?”
D’un signe de la main, il ordonna à l’un de ses serviteurs de verser une coupe supplémentaire du liquide vermeil. “Un rouge de Dorwinion, l’un des meilleurs.” Ajouta-t-il d’un ton suave.
Son hôte ne mentait pas, en plongeant ses lèvres dans son verre, Halbagost ressentit les arômes fruités et floraux du précieux breuvage. Même au Sénat, les boissons n’étaient pas toujours aussi raffinées. Cherchait-il à l’impressionner ? Ou alors établir un quelconque rapport de supériorité ? Au cours de sa longue carrière politique, le Sénateur avait croisé nombre de ces jeunes loups aux dents longues. Bien souvent ceux-ci finissaient par s’étouffer dans leur vanité et se perdre dans leurs ambitions. Le succès se construisait au fil des années, voire des décennies ; tisser des relations, gagner progressivement en influence. Les raccourcis vers le pouvoir s’accompagnaient de lourdes conséquences bien moins enviables. “Merci bien. À présent, êtes-vous disposé à me révéler la raison de ma présence ici ?”
Eneron ne répondit pas immédiatement, le regard tourné vers les flammes, il prit le temps de prendre deux autres gorgées de vin avant de parler à nouveau.
“Comment est la situation à Annúminas? -Cela ne répond pas vraiment à ma question.”
Le jeune noble ne semblait pas s’en émouvoir. “J’ai entendu dire que depuis le retour du Roi, les Sénateurs disposent d’un champ d’action plus que réduit.”
Halbagost remua sur son fauteuil, visiblement mal à l’aise de la tournure de la conversation. “Eh bien…cela dépend de la façon de voir des choses. Notre rôle reste important aux yeux de la Couronne. -Hmm…oui sans nul doute. Cela a pourtant dû révolter plus d’un que Sa Majesté puise parmi ses chiens de garde pour assumer la fonction d’Intendant ? Quand tant de nobles si importants attendaient leur tour…”
Le sénateur, de plus en plus inconfortable, se leva comme un ressort ; le visage rougi par la colère.
“Qu’est-ce que cela veut dire ?! Je ne suis pas venu ici pour questionner les choix de mon Roi ! Je savais que c’était une erreur de rester ici !”
Le maître des lieux ne broncha pas, un léger sourire satisfait apparut même aux coins de ses lèvres. “Nul ne remet en question les choix de notre souverain. Les vôtres en revanche…”
La colère céda rapidement place à la crainte. Le couperet ne tarda pas à tomber.
“Certains du côté de la Rose Noire trouveraient très intéressants les partenaires commerciaux qui ont été les vôtres pendant un temps.”
Du rouge, le visage du sénateur passa au blanc. Pâle comme un cierge, il relâcha son verre qui vint s’écraser au sol, répandant le liquide rouge sur le parquet. Comment savait-il ? Il avait pourtant pris toutes les précautions pour faire disparaître toute trace de ses relations compromettantes. “J’ignore de quoi vous parlez.” Tenta-t-il de rétorquer mais son expression en disait bien assez.
Le sourire d’Eneron s’élargit, conscient que son piège s’était parfaitement refermé sur son invité. “Voyons..Seigneur Halbagost…vous connaissez pourtant si bien le passif de ma famille avec l’Ordre de la Couronne de Fer.”
Il connaissait bien cette histoire oui. Du refus du Seigneur Janerion de Valnahar de collaborer avec les sbires de l’Ordre suite à l’exil d’Aldarion. Sa loyauté envers son roi lui avait coûté la vie mais avait permis aux siens d’être justement récompensés par celui-ci quelques temps plus tard. Une loyauté qui avait été plus chancelante pour Halbagost quand les représentants du maudit Caleb avaient toqué à la porte de son domaine. Le sénateur avait alors fait le choix de ne pas poser trop de questions pour préserver ses titres et ses privilèges dans un royaume gangréné par l’Ordre de la Couronne de Fer. Il n’avait jamais adhéré à leur idéologie, ni même activement participé à asseoir leur domination ; mais sa docilité avait aisément été obtenue. Un motif qui avait suffi à en faire tomber plus d’un parmi les rangs du Sénat.
“J’ignorais leur allégeance, je vous le jure…C’est ce que j’ai déjà expliqué. -Désirez-vous l’expliquer à nouveau à notre nouvel Intendant ?”
Le regard du sénateur se porta sur le vin qui coulait au sol. Cette fois-ci il ne parvenait plus à cacher sa peur. “Vous m’avez fait venir ici pour me tuer ? Pour trouver votre revanche ?”
Cette fois-ci la remarque de Halbagost surprit réellement son hôte qui éclata d’un rire sincère. Il s’était attendu à moins de naïveté de la part d’un politicien si expérimenté.
“Vous tuer ? Je serais bien idiot de gâcher ainsi une telle opportunité…Non non, mon Seigneur, vous êtes bien plus important en restant en vie.”
Eneron se leva à son tour et s’approcha de son invité avant de poser une main sur son épaule. “Nous avons tous un passé mon ami. Parfois il faut savoir passer au-dessus pour aller de l’avant.”
Halbagost se détendit légèrement.
“Que voulez-vous ? -La visite prochaine du Roi Gudmund dans notre capitale est un évènement diplomatique de la plus haute importance. J’ai entendu dire qu’il s’exprimerait devant le Sénat en présence du gratin du royaume. Je compte bien faire le déplacement afin de représenter ma famille et, assurément, j’ai besoin d’un homme comme vous pour m’aider à trouver mon chemin parmi les intrigues de la capitale.”
Imitant son invité, l’homme laissa également choir son verre en cristal qui vint se briser sur le sol.
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De ses doigts filiformes, Elend de Valnahar lissa le côté de sa moustache, enroulant son extrémité autour de son index pour la réhausser légèrement, lui donnant cette forme si caractéristique. Un geste anodin qui n’avait pourtant certainement pas échappé à l’oeil acéré de son interlocuteur qui le connaissait si bien. Un simple mouvement, seul signe de la nervosité qui pouvait parfois prendre le cœur du Gouverneur du Cardolan.
C’était une belle journée printanière et le domaine s’était ainsi vêtu de ses plus beaux atours. Dans les jardins du Palais, les arbres avaient fleuri, certains avaient même commencé à présenter leurs fruits charnus et colorés. Accompagnant le chant des rossignols, les abeilles bourdonnaient autour d’eux, virevoltant dans un ballet chaotique au gré des mouvements du pollen qui s’envolaient sous l’effet de la brise. Au loin, si l’on tendait l’oreille, on pouvait entendre le léger clapotement du cours de la Sonoronne qui coulait non loin.
Elend respira à pleins poumons cet air aux multiples parfums qui lui manquait tant depuis sa sombre résidence de Tharbad. Il était arrivé la veille, tard dans la nuit, pour l’une de ses visites habituelles au domaine qu’il avait administré pendant de longues années à la suite de la mort de son frère. Il se plaisait à revenir en ce lieu qu’il avait fait prospérer, retrouver ces fragrances florales, le confort de cette bâtisse, se replonger dans la quiétude qui y régnait. Il en profitait également pour prodiguer de précieux conseils à son neveu à qui il avait passé le flambeau lors de sa nomination comme Gouverneur du Cardolan. Des recommandations que le principal intéressé semblait de moins en moins enclin à appliquer.
Le Gouverneur s’arrêta devant un arbre aux fleurs blanches qui présentait des fruits charnus, prêts à être cueillis. Le poirier, figure historique du domaine du Valnahar. La légende disait qu’il s’agissait même du premier arbre fruitier dont les racines avaient élu domicile dans ce terreau fertile. Elend saisit l’un des fruits qui semblaient mûr et l’arracha de la branche d’un coup sec. Il examina ensuite la poire dont la couleur rouge sang semblait l’interpeller.
Il fronça légèrement les sourcils et commenta :
“Ce n’est pas la variété historique.”
La remarque de l’aîné fit sourire Eneron, qui à son tour préleva un fruit avant de croquer dedans avec appétit.
“En effet, j’ai demandé au maître jardinier de trier quelques nouvelles variétés. Plus charnues, plus colorées, plus juteuses. Une amélioration bienvenue. -Mais ce n’est pas la variété historique.” Répéta Elend.
Une lueur de malice s’illumina dans le regard du jeune Seigneur du Valnahar.
“Précisément.”
Les deux hommes reprirent leur marche lente à travers les sentiers de gravier blanc qui parcouraient les jardins. Leur discussion se porta longuement sur les affaires internes du domaine dont les derniers rapports faisaient état d’un développement toujours aussi satisfaisant. Malgré leur désaccord sur certaines méthodes et les méthodes parfois téméraire de son neveu, le Gouverneur devait bien admettre qu’Eneron faisait globalement du très bon travail. Toutefois, le jeune homme avait les dents longues et il ne semblait pas vouloir limiter ses ambitions aux frontières du Valnahar.
Des projets dont il finit par faire part à son oncle : “Je prépare mon départ pour la capitale. On dit que le Roi de Dale sera bientôt en visite diplomatique auprès de son gendre ; je compte bien occuper le siège réservé à notre famille au Sénat.”
La confidence n’étonna guère Elend ; malgré tous les délices de cette région, un simple domaine provincial ne pouvait satisfaire l’appétit d’un Seigneur ambitieux. Tôt ou tard, l’appel plein de promesses, mais aussi de dangers, d’Annúminas se ferait bien trop pressant pour un tel esprit.
Dans un monde idéal, le gouverneur du Cardolan aurait tenté de dissuader son neveu, de lui expliquer que l’entreprise était vaine et que les intrigues de la grande ville n’apporteraient rien de bon à leur famille. Les Valnahar s’étaient forgé une solide réputation auprès de la Couronne pour leur loyauté mais aussi pour avoir été resté à l’écart de toutes les machinations qui se jouaient dans les travées du Sénat.
Pourtant, faire changer d’avis son neveu était une tâche bien irréalisable ; de cela il en avait bien conscience. Au mieux, pouvait-il le mettre en garde. “La capitale et le Sénat offrent de nombreuses opportunités, il est vrai ; mais recèlent de pièges tout aussi nombreux. Agis de manière trop imprudente et on aura tôt fait de te traîner dans la boue, toi et notre nom.”
Il appuya sa mise en garde d’un regard qui se voulait grave. Eneron avait beau avoir repris les rênes du domaine qui lui revenait de droit, son oncle restait un Gouverneur d’Arnor et, donc, l’un des hommes les plus puissants du Royaume malgré son rôle périphérique. Sous son air affable de technocrate inoffensif, sa parole avait du poids et le jeune seigneur ne pourrait certainement jouer comme bon lui semblait avec la réputation de sa famille.
“J’en suis bien conscient, mon oncle. C’est pour cela que j’ai besoin de votre aide. J’ai besoin d’alliés, de personnes de confiance sur place… -Comme le Sénateur Halbagost ?”
Pour la première fois depuis le début de leur conversation, le plus jeune sembla sincèrement surpris. Visiblement, malgré la distance, son oncle était encore bien informé sur les allées et venues du domaine. Il ne se laissa pas démonter pour autant et rétorqua en assumant :
“En effet, j’ai jugé qu’il pourrait nous être utile. -Peut-être mais je te conseille de te montrer prudent avec ce genre de personnages…Il y a bien d’autres membres plus respectables au Sénat. -Mon oncle, pour avoir un poids véritable il me faudrait autre chose que de simples seigneurs de seconde zone. Vos relations pourraient me permettre de viser plus haut…’
A nouveau, Elend frisa sa moustache avec les doigts. Il avait la confiance du Roi Aldarion mais était loin d’en être un proche confident ; il doutait fortement que ce dernier lui accorde une entrevue pour faire plaisir à son neveu. Il avait longtemps entretenu d’excellentes relations avec l’Intendant précédent mais ne connaissait que de réputation son successeur. L’ancien chien de garde du Roi, ancien chef de la Rose Noire ayant violemment amputé le royaume du poison de l’Ordre de la Couronne de Fer. “Aleth Enon est un ami mais il est souffrant et à la retraite, quant à l’Intendant Ibn-Lahad j’ai moins de contacts avec lui. Peut-être en passant par un de ses collaborateurs ayant connu les deux Intendances… -J’ai entendu parler de cette femme à l’influence importante au sein de l’Intendance.”
Une longue crinière rousse entourant un visage harmonieux et séduisant apparut dans l’esprit du Gouverneur qui fit la grimace. Il n’était pas certain que chercher à passer par Nivraya de Gardelame soit l’idée la plus prudente que son neveu ait pu produire.
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L’homme faisait cavaler sa monture à toute vitesse sur les routes sinueuses des Hauts du Sud. La poussière qui s’élevait sous les sabots du cheval faisait tousser le cavalier à intervalles réguliers mais celui-ci ne ralentissait pas la cadence pour autant. Dans ses yeux rougis par l’irritation et le manque de sommeil se lisait un unique sentiment : la terreur.
La terreur.
Pourtant, il y a peu, c’était lui qui prenait goût à la répandre à travers ces terres. Lui, le commandant des Suppôts de la Mort, unité d’élite de l’Ordre de la Couronne de Fer. Sous leur bannière noire et blanche ils avaient mené de nombreuses campagnes, se forgeant une réputation de tueurs impitoyables qui faisait trembler les plus braves des opposants à l’Ordre. Puis, en l’espace de quelques mois, tout s’était écroulé. La tête de l’organisation était tombée dans l’Est lointain, Fondcombe et Pelargir avaient été perdues et Aldarion avait repris le contrôle de son royaume. Le Roi d’Arnor avait ensuite lâché ses chiens de garde pour poursuivre les derniers membres survivants de l’Ordre. S’en était suivi une purge impitoyable menée par la Rose Noire et leur intraitable leader.
La peur avait alors changé de camp.
Traqués, capturés, exécutés. Le sort des anciennes pies étaient bien peu enviables sur ces terres autrefois si prometteuses. Certains étaient parvenus à fuir dans les contrées inhospitalières du Nord, d’autres étaient partis vers le Gondor et le Rohan, jugeant que les autorités, bien qu’elle aussi hostiles, n’étaient pas aussi dangereux que les spectres dirigés par le Fantôme. Des Suppôts de la Mort, il ne restait quasiment rien. L’ancien capitaine avait fait le choix de dissoudre le groupe après un premier affrontement avec les hommes du Roi, afin de pouvoir se fondre dans la population et disparaître sans se faire remarquer. C’était sans compter l’entêtement de Sirion Ibn-Lahad. Les autres étaient probablement tous morts et Brand avaient dû passer les derniers mois à fuir, passant de village en village, dormant bien souvent au milieu des champs, se rendant dans les cités qu’en cas d’extrême nécessité. Il avait bien tenté de traverser les Montagnes à l’Est pour gagner le Rhovanion mais il avait dû renoncer. Aldarion y menait une campagne contre les gobelins, et il n’avait pu trouver un passage sûr qui n’implique pas l’un ou l’autre des belligérants.
Quelques semaines plus tôt, il avait enfin trouvé un semblant de stabilité du côté de Bree pendant quelques semaines. Sous une fausse identité, il avait même réussi à se faire engager pour un travail d’ouvrier bien peu valorisant mais qui lui avait permis de se nourrir correctement. Malheureusement, cette tranquillité fut bien éphémère et bientôt les agents de la Rose Noire retrouvèrent sa trace. Et alors, à nouveau, il avait dû fuir.
Ses options étaient réduites. Son visage connu dans de nombreuses cités et les hommes du Fantôme semblaient avoir des yeux partout. Brand n’avait eu d’autre choix que de prendre la direction du Valnahar, un trajet qu’il s’était juré de ne faire qu’en dernier recours.
Près d’une dizaine de mètres avant l’entrée du domaine, la voix d’un garde en poste l’interpella :
“Halte ! Qui va là ?”
L’ancien agent de l’Ordre de la Couronne de Fer fit ralentir sa monture et prit quelques secondes pour reprendre son souffle. Il semblait aussi essoufflé que son cheval. Le garde s’impatienta cependant et porta sa main sur son arme.
“Qui va là ?” Répéta-t-il.
D’une voix rauque il répondit enfin. “Je dois à tout prix parler au Seigneur Eneron.”
Le garde échangea un regard amusé avec son camarade. “Il est bien tard pour les doléances mon ami. Le seigneur ne reçoit plus personne à cette heure-ci. -Je vous en prie. Je…je dois lui parler…. -Allez mon vieux, pars te dessaouler ailleurs.”
Brand ne bougea pas. Cette fois les gardes s’avancèrent, menaçants.
“Dîtes-lui que le cavalier borgne doit lui parler. Il vous fera pendre si il apprend que vous m’avez refusé l’entrée ainsi…”
Les deux hommes échangèrent un nouveau regard, cette fois un peu plus inquiet. Mais qui donc était cet inconnu.
On avait placé Brand dans une petite pièce dans une aile de la luxueuse résidence. Une chambre, à l’origine, que l’on avait transformé en entrepôt. Les hommes de main du maître des lieux avaient désarmé le visiteur et l’avait enfermé ici, lui ordonnant de ne pas bouger sans se soucier de son état de santé ou lui proposer de l’eau ou du pain. Épuisé, l’homme s’était laissé tomber sur le sol, adossé au mur, les mains liés dans le dos “par précaution”.
Au bout d’interminables minutes d’attente, des bruits de pas se firent finalement entendre et la porte s’ouvrit à la volée.
Eneron de Valnahar, flanqué de deux gardes, fit son entrée. Il portait une longue robe de chambre qu’il avait enfilé à la va-vite, sans prendre le temps de la nouer correctement. Visiblement, il avait été tiré du lit et avait immédiatement décidé de venir. Cependant, le fait d’avoir été ainsi réveillé au milieu de la nuit ne semblait pas être la raison de son humeur exécrable.
Quand ses yeux se posèrent sur l’inconnu qui se trouvait sur son sol, une expression de surprise passa sur son visage. Malgré l’annonce de ces hommes, il n’avait peut-être pas voulu croire qu’un démon du passé pouvait ressurgir en cet instant. “Bonsoir Monseigneur.”
Ce dernier se tourna vers ses hommes. “Laissez-nous.”
Sans le moindre mot, les soldats quittèrent la pièce sur le champ et fermèrent la porte derrière eux. Eneron attendit que ceux-ci s’éloignent et se mit à faire les cents pas devant son invité. “Mort ou vivant. Je n’en avais pas la moindre idée. Cela n’avait pas grand intérêt à mes yeux. Par contre…”
Il secoua sa main dans un geste qui trahissait sa frustration. Le jeune seigneur faisait de son mieux pour contenir la colère qui montait en lui. Il reprit : “Par contre, je ne te pensais pas aussi stupide pour venir jusqu’ici.”
Un frisson parcourut l’échine de l’ancienne pie. Quelques années plus tôt, en pleine possession de ses moyens il aurait pu éventrer ce jeune parvenu à mains nues. Mais dans la situation présente, Eneron avait bien l’avantage.
“Je vous en prie…mon ami. Ils m’ont traqué pendant des mois, des mois. Sur mes talons. Je n’ai pas passé une seule journée en me demandant si je verrais la nuit suivante pendant tout ce temps. Après ce que nous avons traversé, tu dois m’ai… -Assez ! Tu pensais donc, qu’ainsi traqué comme un chien, la meilleure idée était de les conduire jusqu’ici ? JUSQUE CHEZ MOI ?””
Cette fois-ci le seigneur perdit son sang-froid. Il se saisit d’un vase qui traînait et le propulsa violemment vers le mur où se trouvait Brand. L’objet explosa à quelques dizaines de centimètres de lui et les débris s’envolèrent tout autour. Un silence de plomb s’installa. Le cavalier sentait à nouveau la peur monter en lui alors que son interlocuteur dégainait lentement son épée ouvragée sertie d’émeraudes. “Non, non mon Seigneur. Je vous en prie. -Tu ne me laisses guère le choix Brand…”
La lame au clair, l’homme avança lentement vers son ancien allié. Le regard froid, dénué de haine mais également de compassion dans une sombre entreprise que cette jeune âme semblait avoir déjà réalisé. “Attendez ! Attendez ! Il a aussi survécu. Il est aussi vivant. Je peux vous aider à le retrouver !”
Eneron s’arrêta et baissa légèrement le bras, hésitant. Sentant que de là viendrait peut-être son salut, Brand poursuivit. “Il est plus omniscient que jamais. Il sait tout. Il voit tout. Ses informations pourraient faire de vous un homme immensément puissant.”
Eneron fronça les sourcils, visiblement intrigué par les paroles de l’homme qu’il venait pourtant de condamner à une mort certaine. “Il est vivant? ... Où est-il ?”
Brand sourit. Il vivrait. “Je peux vous mener à lui.”
Au loin, le croassement d’un Corbeau déchira la nuit arnorienne.