Les mains devant les yeux, Romo devina la lueur du ciel se faufiler entre ses doigts gantés. Durant de longues secondes, il demeura aveugle. Incapable d'agir. Une bouffée d'air frais s'infiltra dans ses poumons, trop heureux de recevoir de l'oxygène exempt de poussière et de cendre. Finalement, Cœur d'Acier put rouvrir les yeux. Face à lui, Gröm était là, stupéfait de découvrir leur commando encore en vie. Combien de temps avaient-ils passé sous terre en territoire ennemi ? Était-il trop tard ? Visiblement, tout semblait encore possible et l'espoir d'une victoire ne s'était pas encore envolé.
Romo se tourna vers le reste de sa petite compagnie. Tous étaient exténués et touchés par cette mission périlleuse. Le nain n'en dit pas mot au capitaine mais ils avaient échappé de peu à la mort. Et s'ils étaient bel et bien sept à ressortir des entrailles de la montagne, le corps de Jenslav demeurerait dans les profondeurs pour bien longtemps encore.
- Nous avons trouvé le chemin grâce au seigneur Hadhod...mais des gobelins patrouillent les tunnels, il ne faut pas qu’ils nous tombent dessus et découvrent que le passage a été ouvert, sinon tout sera en vain. Daramir, Gurdann, Elendüril, Romo, il faut trouver une solution pour dissimuler le fait que la porte a été ouverte, à la fois de l’intérieur comme de l’extérieur, mais sans la refermer. Je crains que si on la referme, nous ne pourrons plus la rouvrir de l’extérieur !Jutta n'avait pas perdu de temps et remuait déjà ciel et terre pour que leur escapade ne reste pas vaine. Romo lui tapota l'épaule avant de lui faire un signe en direction des ténèbres. Plus aucun piaillement gobelin ne semblait monter jusqu'à leurs oreilles. Deux réponses s'offraient à eux. Ou bien les peaux-vertes avaient finalement perdu leur piste dans le dédale obscur. Ou bien, ils avaient compris qu'une brèche avait été forcée.
Et ils s'en étaient retournés chercher du renfort.
L'une des deux options avait clairement la préférence de Romo.
Il était désormais temps pour le commando des Sept de recouvrer le peu de force qu'il leur restait. Car en ce jour de guerre, nul repos ne saurait être trouvé avant le dénouement. Une brise venant du nord caressa les cheveux poussiéreux du Cœur d'Acier, lui donnant un peu plus de courage. Son regard se porta vers l'elfe et l'homme, eux aussi venus leur prêter main forte dans cette guerre qui n'était pas la leur. Thorik serait bientôt averti du succès de leur descente aux enfers. Romo vérifia l'état de ses couperets, puis de sa hache. Il se tourna vers Hadhod, son vieil ami, si durement atteint par des mois d'enfermement. Allait-il avoir la foi que pour remettre sa vie en jeu, tout juste libéré de ses chaines ? Romo lui fit signe en montrant sa double hache. Si le seigneur de la Moria prenait le sentier de la guerre, il aurait besoin d'une arme digne de lui.
Le Cœur d'Acier repensa à tout ce qu'ils avaient déjà accompli. Une grande inspiration. Il était prêt. Prêt pour en finir.
***
- Vous voulez dire que le capitaine Cœur d'Acier et son escouade ont réussi ?Le roi avait presque fini par perdre espoir.
Il eut une seconde de stupeur, puis une autre de montée d'adrénaline. C'était le moment. Le moment d'agir. Le moment de prendre ces maudites abominations de Melkor à revers et de les renvoyer vers leur défunt maître en pièces détachées. Thorik bondit de son siège de campagne et se saisit de sa hache. Déjà prêt au combat et équipé de son armure royale, l'héritier de Durin se tourna vers ses aides de camp.
- Les deux dernières légions sont encore là ?
- Oui, Majesté. Elles n'attendent que vous pour partir à l'assaut.
- Parfait, lança Thorik.
Le roi se lança vers l'extérieur, se retrouvant face à ses troupes au garde-à-vous. Les nains étaient fins prêt à partir pour l'assaut final. Thorik toisa ses hommes avec fierté. Nombre d'entre eux tomberaient aujourd'hui. Pour l'honneur des Nains. Le destin des Nains. Au loin, les chants des Id-Ursu résonnaient dans la vallée alors qu'ils approchaient des portes, escortant les béliers.
- Envoyez ces deux régiments vers la Porte de Durin ! Au pas de course ! Qu'ils ne s'arrêtent pas avant d'avoir atteint Gundabad ! Que rien ne freine leur course et qu'Aulë les porte vers le firmament à la gloire de notre peuple ! Baruk Khazâd ! Khazâd ai-mênu !Un bruit de métal s'éleva du campement. La marée de haches et de boucliers se mit bientôt en marche au rythme des tambours et des ordres des généraux. Thorik tendit sa couronne ornée à son aide. Ce dernier s'inclina religieusement avant de tendre à son roi son heaume de guerre en retour. Thorik enfila le masque royal. Cette seconde peau d'or et d'acier conçue pour le protéger de toute progéniture du Mal.
- Dame elfe, Longue-Jambes, vous avez peut-être porté une nouvelle à mes oreilles qui va changer le destin de cette guerre.La voix de Thorik avait soudainement pris un timbre plus grave et métallique derrière son heaume. Le roi sous la Montagne s'était mué en un démon dont le feu inextinguible ne saurait trouver de repos avant la fin.
- Vos talents et votre courage sont encore les bienvenus parmi les nôtres. Guidez les légions vers la Porte de Durin et soyez fiers de vous battre à nos côtés !- Préparez les Snagas !La voix suintante de
Balfimbul n'attendait aucun écho à ses ordres. Les vermines lui servant de lieutenants s'exécutèrent sans broncher. La ruche s'était réveillée tambour battant. Les troupes s'agitaient en tout sens, vociférant ordres, jurons, cris, railleries et autres éléments de dialectes inaudibles pour le commun des mortels. Parmi les peaux-vertes, seul
Balfimbul semblait rester de marbre. Vêtu d'un plastron en fer rudimentaire, rouillé et couvert par endroits de mousse noire, le Maître de la Porte scrutait leurs ennemis se rapprochant en contrebas. Le point de vue de
Balfimbul était parfait. Idéalement situé pour avoir un oeil sur tout ce qui pouvait entrer dans la vallée, trop haut que pour recevoir une flèche un peu trop aventureuse, mais malgré tout bien placée pour pouvoir hurler ses ordres à d'éventuelles troupes en contrebas.
De là,
Balfimbul put contempler les deux immenses béliers. Les sculptures qui les ornaient pourraient effrayer quelques snagas encore jeunes, mais pas le vétéran qu'il était. Ce n'était pas la première fois qu'il affrontait ces horribles naugrim. L'un d'eux lui avait même laissé un souvenir dans le crâne il y a de ça quelques années.
Balfimbul grogna. Sans même tourner la tête, il leva son bras. Aussitôt des paires d'yeux noirs surgirent de partout dans la montagne entourant l'immense porte d'entrée vers Gundabad. Des arcs furent bandés. Les piaillements de sa ruche insufflaient à
Balfimbul un sentiment d'invincibilité indescriptible. Là, du haut de son perchoir, entourés par ses snagas présents par centaines, il était le maître du monde. Le maître de la Porte de Gundabanâd !
Le bras se baissa. Les flèches noires tombèrent du ciel comme une pluie glaciale frappant la peau en pleine tempête. Les premières victimes s'effondrèrent, bien que trop rares au goût de
Balfimbul. Le solide équipement nain était plus épais que la roche. Et la corne leur servait de peau n'avait rien à envier à celle de leurs trolls.
Balfimbul lâcha jurons et insultes dans le vent avant de cracher aux pieds de l'un de ses lieutenants.
- Envoyez les Tortilleurs !Un cri strident résonna dans les montagnes, plongeant jusqu'aux oreilles casquées des Id Ursu et du reste de l'armée des nains et de leurs alliés. Le cri s'éteignit dans les crevasses entourant la grande porte. C'est alors qu'une nuée de gobelins plus agiles les uns que les autres fut vomie par ces mêmes crevasses, s'échappant de toute part, des moindres trous dans la montagne pour fondre vers les Id Ursu. Ces Torpilleurs étaient de parfaits acrobates, s'agrippant aux parois rocheuses de leurs griffes acérées et descendant à une vitesse prodigieuse en direction de leurs ennemis. Bientôt, ils seraient sur les premières lignes nains ainsi que sur leurs flancs.
La bataille pour la cité de Gundabanâd débutait maintenant.