Dans les profondeurs de la montagne, le petit groupe progressait lentement à la lumière de la torche que
Narvi brandissait fièrement, ouvrant la voie à ses compagnons. Elendüril se tenait à l’arrière garde, là où les ténèbres les chassaient et semblaient décidé à les happer entièrement à mesure que le bois du flambeau se consumait. Pourtant, les ingénieurs nains étaient de grands inventeurs et il semblait que la durée de vie de leur source de lumière excédait grandement celle que l’on pouvait trouver dans les royaumes humains. Les Naugrims étaient pleins de surprises qu’ils gardaient secrètes aux yeux de tous.
Les passages creusés par les gobelins étaient étroits et le plafond, parfaitement adaptés à la taille des peaux-vertes. Les Naugrims se plaignirent quelques fois de la nature exigüe des lieux mais n’avaient pas à se méfier de ce qui se trouvait au-dessus de leur tête. Au contrait d’Elendüril qui se cogna plusieurs fois le crâne contre les parois rocheuses. Il devait à présent avancer courbé, et au fil des minutes, voire de heures qui défilaient, son dos se faisait de plus en plus douloureux. L’Arnorien ne savait pas vraiment depuis combien de temps ils s’étaient engagés dans ces tunnels. Au moins plusieurs heures, des jours peut-être. Les pauses que Gröm leur accordait pour se sustenter et se reposer étaient courtes et étaient plus choisi selon l’humeur du doyen du groupe que d’une logique diurne et nocturne. Cela ne semblait pas dérangé les Nains, habitués à vivre loin de la lumière des astres et qui avaient développé d’autres mesures pour rythmer leur quotidien. Cependant pour un rôdeur d’Arnor, habitué à parcourir les vastes étendues vierges de son royaume, tout ceci était inhabituel et bien déroutant.
“Arrêtons-nous ici !” ordonna Gröm en désignant une sorte de cavité, à l’intersection de deux tunnels, et qui était assez grande pour pouvoir les accueillir.
“Eh ben ce n’était pas trop tôt !” marmonna Dromli en se laissant tomber au sol.
“ Je crois bien que j’ai deux ou trois ampoules qui se sont éclatées en route.” La petite troupe se regroupa autour du petit feu que l’on avait allumé à l’aide de la torche et sur lequel
Narvi faisait mijoter une préparation à base de gruau et de viande séchée alors que ses camarades faisaient circuler une outre de spiritueux.
“Bois Nisean ! Cela te réchauffera assez pour pouvoir affronter le blizzard, une fois qu’on sera sorti ! “ fit Dromli en lui montrant la carte que l’Arnorien était bien incapable de déchiffrer.
“Encore quelques heures de marches et, à condition que nous ne trompions pas de route, nous devrions bientôt nous retrouver de l’autre côté de la montagne. Il faudra se montrer vigilant. Gundabad n’est pas si loin d’ici et il n’est pas impossible que des éclaireurs gobelins hantent encore ces galeries. La prudence est toujours de mise. Une fois à l’air libre on avisera de la marche à suivre selon nos positions.” Le repas fut bientôt prêt et on distribua le précieux potage au sein d'écuelles rectangulaires en acier. L’esthétique de l’artisanat des Nains se retrouvait jusque dans les plus insignifiants des objets du quotidien.
“Dîtes moi Nisean. Que faisait donc votre compagnie si près de Gundabad ? L’Arnor n’est-elle pas au courant qu’une guerre sévit dans ces régions ? Que cherchez-vous exactement dans le Rhûdaur, si loin de votre capitale ?”
Gröm écouta attentivement les informations du rôdeur et le relança immédiatement après cela. Le Nain était avide de renseignements.
“Hmmm. Et donc vous vous êtes aventurés si près des lignes ennemies pour ces raisons. Pas malin... Mais après tout que savez-vous de la reconquête ? ”
A l’écoute de ce mot, Dromli se redressa légèrement, une lueur dans son regard.
“La reconquête oui…L’Arnor s’est montré discrète à ce sujet, pourtant c’est l’Histoire qui est en marche aux pieds des Monts Brumeux. Pour la première fois depuis des siècles, tous les fils d’Aulë se sont regroupés sous une même bannière afin de reprendre ce qui appartient à notre peuple. Mais la guerre est longue et les pertes déjà grandes.
-Ces maudites peaux-vertes sont coriaces! Le roi Thorik avait prédit une campagne intense et brève mais voilà qu’on s’enterre dans une guerre de position interminable.
-Silence Narvi! Tu connais les ordres et tu savais à quoi t’attendre en quittant Erebor! ”
Le Nain qui avait émis un début de protestation se renfrogna et n’ajouta plus un mot.
Gröm déposa son écuelle vide et frappa le sol sombre avec le manche de sa hache.
“Bientôt nous marcherons sur Gundabad.”
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La petite compagnie avait entamé sa dernière étape au sein des souterrains qu’ils avaient empruntés quelques jours plus tôt. Les Nains qui accompagnaient Elendüril n’étaient pas forcément des plus bavards mais le rôdeur eut tout de même l’occasion d’échanger un peu plus avec Dromli qui marchait à l’arrière à ses côtés. Ces Nains venaient d’Erebor: des Eclaireurs, parmi les meilleurs du royaume. Pendant plusieurs décennies ils avaient œuvré à la protection de leur terre natale en arpentant les terres du Rhovanion et prévenir tout danger. Mais depuis le début de la reconquête ils avaient suivi la Grande Armée et partait régulièrement en mission de reconnaissance pour préparer les batailles et anticiper les mouvements de l’ennemi. Kalil Abad n’avait pas été qu’une défaite pour la coalition mais aussi un échec personnel pour ces guerriers-là qui avaient échoué à renseigner efficacement les troupes de Thorik et de Hadhod. La débâcle avait été totale et pris dans l’étau, le petit groupe n’avait pas pu rallier la grande armée dans sa retraite.
Ils étaient donc partis vers les Montagnes dont l’espoir d’échapper aux gobelins et de refaire jonction avec leurs alliés. Ainsi avaient-ils erré pendant de longues semaines, dans la glace et le blizzard avant de retrouver un Elendüril bien mal en point dont ils avaient sauvé la vie malgré leurs attitudes bourrues et parfois brusques à l’égard de l’humain.
Un rayon de lumière nocturne apparut alors au loin alors que parois de ces sombres tunnels devenaient de plus en plus distinctes devant eux. Ils étaient enfin arrivés à l’autre bout de la montagne. Ne pouvant maîtriser son excitation, le rôdeur qui n’avait pas humé d’air frais depuis bien trop longtemps accéléra la cadence et prit les devants. Des bruits sourds et puissants se faisaient même entendre à l’extérieur, peut-être les secours étaient déjà là, juste devant eux. Les Nains, visiblement plus méfiants, restèrent en retrait.
Il arriva bientôt à l’embouchure du tunnel et put respirer à plein poumons et admirer les rayons de l’astre lunaire.
L’Arnorien cligna plusieurs fois avant de pouvoir distinguer les environs. La nuit était sombre mais la pleine lune brillait de mille feux.
Cependant, il aurait peut-être préféré ne pas avoir à regarder le spectacle qui se jouait sous ses yeux.
La vallée creusée entre les sommets des Monts Brumeux n’était plus blanche comme neige. Non; elle était noire. Noire et Verte. Devant lui se trouvait une quantité innombrable d’orcs et de gobelins en mouvement, qui marchait au rythme des tambours. Dans les ténèbres, il était impossible de différencier les individus, les peaux vertes ressemblaient plus à une immense masse informe qui se dirigeait vers le Nord. Seuls les gigantesques Olog-Hai étaient parfaitement reconnaissables, progressant de leur démarche pataude entre les lignes ou poussant de grandes machines de guerres aux rouages infernale.
Une armée entière.
Il y avait de quoi être stupéfait et Elendüril mit un long moment à mesurer la portée de ce qui se jouait devant lui. Et il fallut toute la poigne d’un Gröm visiblement mécontent pour le tirer de son état ahuri.
“Baisse-toi abruti ou tu vas nous faire tuer!” Grogna-t-il en saisissant le rôdeur par la nuque et en le forçant brutalement à se coucher au sol. Dans sa chute, Elendüril se cogna durement le visage sur le sol dur et froid. Le Naugrim n’y était pas allé de main morte et désormais la lèvre de l’Arnorien saignait abondamment. Un peu plus loin, Nivra et Dromli se terraient également dans leur coin. S’ils étaient repérés c’était la mort assurée.
“Goblinville a donc fini par envoyer des renforts à Baltog… expliquait Gröm dans un murmure,
ces maudites créatures se dirigent vers Gundabad pour préparer l’affrontement final face aux coalisés…” Ainsi de nuit, il était compliqué d’évaluer un nombre exact mais les étendards sombres étaient bien nombreux, bien trop nombreux. Gröm reviendrait avec de précieux renseignements pour ses supérieurs mais il n’y avait là aucune raison de se réjouir. Les troupes de Thorik montraient déjà des signes de fatigue et le vent d’excitation qui les avaient portés lors des premières semaines d’affrontements s’était évanoui depuis longtemps.
Un feulement, dont la provenance était bien trop proche pour ne pas les alerter, se fit alors entendre au-dessus de leur tête.
“Par l’écu de Thorin! Un éclaireur Warg! S’il nous repère et donne l’alarme on est mort.”
La masse d’ennemis qui risquaient de se ruer sur eux se passait effectivement de commentaires.
Gröm se faufila entre deux escarpements se faisant le plus petit possible, serran sa hache près de loin et pria Elendüril se tapir également dans l’ombre.
La bête était toute proche. Ils pouvaient désormais entendre ses pas et sentir son haleine fétide. Bientôt ce furent deux yeux scintillants qui apparurent à l’entrée du tunnel; l’immense prédateur avança lentement à l’intérieur des galeries étroites. Le fauve avait senti leur présence, ne restait plus qu’à débusquer les pauvres aventuriers.
Il fallait agir et vite avant que l’alarme ne soit donnée. Caché derrière un escarpement rocheux, Elendüril pouvait clairement voir le museau menaçant du Warg tout près de lui, à quelques centimètres. La bête reniflait bruyamment en quête de ses proies. Ses canines étaient aussi longues l’avant-bras de l’humain. Le rôdeur serrait fermement la manche du glaive que Gröm lui avait offert quelques jours plus tôt.
Il fallait agir avant que le grand loup ne les débusque mais il fallait aussi rester assez discret pour ne pas alerter toute l’armée des gobelins. Un seul rugissement et c’en était fini.
Au vu de la position de ses camarades, Elendüril était le seul à pouvoir agir dans l’immédiat.
Il faudrait se montrer rapide, discret et efficace. Mais l’animal était des plus impressionnants.
#Dromli #Narvi #Elendüril