Leur entretien durait maintenant depuis plus d’une heure. Les questions de
Rezlak étaient sans fin mais elle s’y attendait. Ses espions lui avaient dévoilé des informations cruciales et son associé devait connaître les moindres détails avant de prendre sa décision. Néanmoins, ils avaient passé en revue quasiment tout ce qu’elle avait appris de sa visite au Gondor. Il y avait pourtant un dernier sujet qu’elle souhaitait aborder.
- J’aimerais rediscuter de la mission au Rhovanion. Il me semble qu’il serait plus judicieux de la confier à quelqu’un d’autre. Il n’est pas en état de mener cette mission, ou n’importe quelle mission, à son terme pour le moment.
- Tu exagères la situation. Il fera ce qu’on lui demande comme il l’a toujours fait. Ou, tout du moins, comme il a toujours tenté de le faire.Néhélac aurait voulu en être certaine mais le comportement erratique de Mardil l’inquiétait au plus haut point. Il se débattait intérieurement avec ses actes, quels qu’ils aient été, et il ne réussissait qu’à perdre un peu plus pied chaque jour. Il oscillait entre deux personnalités, cherchant désespérément à fuir ce qu’il était. Ou ce qu’il avait fait. Il parlait à des gens qui n’étaient pas là. Il se faisait délibérément du mal. S’ils ne réagissaient pas très vite, ils risquaient de le perdre définitivement. Elle devait s’avouer que le cas du jeune homme la dépassait. Et elle détestait se sentir impuissante.
- Il est en train de sombrer, Akko.Peut être était-ce le ton de sa voix. Peut être était-ce le fait qu’elle l’ait appelé par son prénom (chose qu’elle ne se permettait que très rarement) mais
Rezlak parût soudain la prendre au sérieux.
- Qu’est ce qui t’inquiète à ce point ?
- Je ne sais toujours pas ce qu’il lui est arrivé à Osgilliath. Il est trop perturbé pour être cohérent. Je sais seulement qu’il a simulé sa propre mort mais il est évident qu’il y a plus. Il ne se torturerait pas de cette manière dans le cas contraire.
- Irrécupérable ?
- Pas si nous agissons maintenant. Seulement je ne sais pas quoi faire. Je ne peux que l’empêcher d’agir physiquement mais il se détruit mentalement à petit feu. Il est dangereux pour les autres et pour lui-même.Néhélac hésitait à tout révéler à
Rezlak mais c’était devenu nécessaire. Elle avait trouvé le jeune homme en sang, roulé en boule et sans réaction. Si certaines des coupures qui parsemaient son corps étaient accidentelles, elle avait bien repéré celles qui étaient volontaires. Il avait alors brusquement changé d’attitude et l’avait attaquée. Si quelqu’un d’autre qu’elle, une personne qui n’aurait pas été dotée de ses reflexes ahurissants, s’était trouvé à sa place, c’en aurait été fini très rapidement. Mais le plus inquiétant était ce qu’il lui avait dit en l’attaquant. Il l’avait appelée, elle, Mardil. Il pensait sincèrement qu’il s’attaquait lui-même.
Rezlak semblait soucieux à l’écoute de ce qu’elle venait de lui apprendre. Néhélac savait qu’il envisageait deux options : aider le jeune espion ou détruire la menace qu’il était devenu. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que cela aurait été un immense gâchis. Ils savaient tous les deux le potentiel qu’avait Mardil. Il pouvait réaliser de grandes choses mais pour cela il devait d’abord affronter ses démons.
- Amènes le moi ! Je verrai ce que je peux faire.Néhélac hocha la tête, manifestement soulagée. Elle allait sortir lorsque
Rezlak prît à nouveau la parole.
- Une dernière chose avant que tu t’en ailles. Tu ne m’as toujours pas expliqué la raison de ta présence dans la trouée du Rohan.L’espionne orientale se figea. Elle avait signalé la mort de leur espion mais elle avait espéré pouvoir éviter le sujet.
- C’est simplement qu’il fallait que je rencontre mes subordonnés. Je suis arrivée trop tard voilà tout.
- Cela devient une habitude. Que peux-tu me dire sur la mort d’Han-Ahesch ?
- Une mauvaise rencontre. Il n’a pas été découvert.
- Ainsi cela ne serait qu’une simple coïncidence ?La question était légitime. Néhélac se l’était elle-même posée. Elle avait d’abord cru que
Rezlak avait fait tuer leur homme afin qu’il ne soit plus en mesure de répondre à ses questions mais elle comprenait maintenant que seule la malchance était responsable de sa déconvenue. Néanmoins si
Rezlak posait la question c’est qu’il avait des soupçons sur les véritables motifs qui l’avaient poussée à vouloir un entretien avec l’espion oriental.
L’atmosphère dans la pièce s’était tendue d’un seul coup, les deux interlocuteurs se dévisageant mutuellement. Il leur était impossible de se faire confiance mais aucun des deux n’avait la moindre preuve de déloyauté. Combien de temps cette situation pouvait durer ?
- Certaines fois des coïncidences se produisent. Et d’autres fois non.Ce n’était pas vraiment une réponse mais
Rezlak sembla s’en contenter. Il esquissa même un léger sourire qui mît instantanément l’espionne mal à l’aise.
- Quoi qu’il en soit, le meurtrier me semble très intéressant. J’aimerais en savoir davantage.Néhélac n’appréciait pas vraiment cette requête. Tout laissait à penser que le tueur était totalement incontrôlable. Et d’après les récits des témoins, d’une cruauté sans borne. Elle savait que
Rezlak aimait s’entourer d’hommes de cet acabit mais elle pensait que celui-ci dépassait de loin ceux qu’ils avaient rencontrés et engagés auparavant. Elle n’émit pourtant aucune objection, désireuse qu’elle était de changer de sujet. Elle prît ensuite congés de son employeur. Elle avait beaucoup de travail qui l’attendait.
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Rezlak resta songeur un long moment après le départ de son associée. La situation lui échappait de plus en plus. Les informations venant du Gondor étaient troublantes. Il savait déjà qu’il les transmettrait intégralement à la Reine. Et d’une, car elle se trouvait sur place lors du mariage royal et de deux car ses propres espions lui en auraient déjà tout dit. En fait, il était probable qu’ils soient au courant de choses dont il ignorait tout. Cependant l’inverse était également vrai. Ainsi il prouvait son utilité à la Reine Lyra qui, malgré ses nombreux espions, ne pouvait se passer des informations qu’il lui ramenées.
La force de son réseau, outre le nombre, était qu’il recrutait principalement des locaux. Des gens nés et élevés dans le pays d’intérêt. Des gens au dessus de tout soupçon, certains occupant même des postes importants, d’autres de simples roturiers, mais tous en mesure de collecter des informations auxquelles n’aurait pas eu accès un espion oriental. Il y avait différents moyens de fidéliser ces espions mais ils ne vaudraient jamais ceux qui étaient formés à Vieille-Tombe.
Cela l’amena à penser à la femme qui l’avait quitté quelques minutes auparavant. Il avait étudié attentivement ses réactions face à ses questions sur Han-Ahesch mais il n’avait pas réussi à tirer la moindre conclusion. Pourquoi s’était-elle vraiment rendue dans la trouée du Rohan ? Leur espion était-il mort de ses mains ou n’était-ce réellement, comme elle le prétendait, qu’une simple coïncidence ? Et si elle l’avait tué, qu’avait-elle appris de lui avant ? Il était dangereux de tirer des conclusions hâtives. Il avait déjà envoyé quelqu’un sur place pour vérifier la version de Néhélac mais, en attendant, il n’était pas tranquille.
Il chassa ces pensées de son esprit. Il s’inquiéterait de Néhélac en temps utile. Ses soupçons n’étaient peut être pas fondés. Il n’avait pas eu à se plaindre de quoi que ce soit jusqu’à présent. Hormis de sa gestions concernant Mardil. Si c’était désormais à elle de monter un nouveau réseau, il se souciait davantage des répercussions sur la santé mentale de son protégé que des répercussions financières (qui étaient pourtant loin d’être négligeables).
Il lui fallait désormais reprendre en main le jeune espion. Il avait trop investi sur lui pour le laisser se détruire ainsi. Et il voulait constater de ses yeux l’état dans lequel il se trouvait. Peut être que cela pouvait représenter une opportunité quelconque ?
Il devait également s’avouer qu’il désirait revoir le jeune homme après toutes ces années. Premièrement afin de mesurer sa loyauté. Les rapports d’Urik puis ceux de Néhélac laissaient entendre que le jeune espion était en lutte perpétuelle entre sa loyauté à son égard et ses opinions personnelles. Il lui faudrait s’assurer qu’il lui était toujours fidèle.
L’autre raison le dérangeait un peu plus. Mardil lui avait manqué ces dernières années. Il s’était habitué à sa présence dans son lit et entre ses bras et tous les substituts qu’il avait essayés n’y avaient rien changé. Il s’en étonnait lui-même. Le jeune homme était désormais bien plus âgé que les garçons qui l’intéressaient habituellement. De plus le manque n’était pas seulement physique. Il voulait savoir ce qu’il devenait, il voulait lui parler, lui transmettre des connaissances et des valeurs. Il se disait que c’était là ce qu’aurait ressenti n’importe quel parent pour son enfant.
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