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Sujet: L’eau qui ne court pas fait un marais
Sirka Zanjîr

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Rechercher dans: Tharbad   Tag sirka sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L’eau qui ne court pas fait un marais    Tag sirka sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 10 Avr 2021 - 22:49
L'office du prêteur était une antichambre austère perchée au-dessus des douves, à l'étage d'une bâtisse ancienne aux épais murs de pierre. La seule ouverture de la pièce consistait en une large fenêtre bardée de fer qui, si elle n'avait pas été si haute à crever le plafond, aurait pu offrir le loisir d'une vue imprenable sur le pont puis sur la rive sud. A la condition que le propriétaire des lieux fût le moins du monde préoccupé par ce genre d'attrait. Bodrun n'avait pas ces considérations. Il n'avait d'yeux que pour l'or. Et pour ses livres de comptes. Pour tout ce que ses livres de comptes pouvaient promettre d'or. Sirka jurait qu'il passait ses nuits à en parcourir les pages, qu'il entendait celles-ci tinter. Deux heures déjà qu'elle patientait, négociait, s'impatientait. L'unique planche de bois vermoulu qui constituait le bureau du prêteur lui imprimant sur les bras l'âge du pauvre hêtre. Et il n'avait pas eu la courtoisie d'ouvrir une bouteille. Ce vieux rat possédait sous son plancher des caves bourrées jusqu'à la gueule de ce qui devait au bas mot constituer la moitié de toute la richesse de la ville. Une galerie d'objets rares et de métaux précieux, des étagères dégoulinant de soies et de fourrures hors de prix, et combien de tonneaux de vins de tout le continent roulés entre les sacs d'épices et de sels. Que de merveilles cachées au fond de ces oubliettes, qui ne faisaient le faste d'aucun palais, le charme d'aucune toilette, la joie d'aucun banquet. L'or seul ne s'altérerait avec le temps, mais de temps il manquait pour négocier les marchandises stockées auprès des marchands de la ville. Aveugle à cette réalité, Bodrun faisait son office et remplissait inlassablement ses papiers. Il couvait ses caves comme un dragon l'eu fait. Probablement avec moins d'ardeur que ne s'y consacrait ce petit homme rabougri et fatigué. Coincé dans des frasques rapiécées qu'il ne prendrait jamais plus la peine de renouveler - le temps c'est de l'argent, et l'argent c'est de l'argent - et qui ne concouraient définitivement pas à lui donner meilleure mine, Bodrun laissait passer le temps et n'attribuait le sien à aucune autre passion que celle de se remplir les fouilles. Il mourrait seul et malade. Et bientôt.

Sirka en était là de ses réflexions sur cet insipide - et malheureusement incontournable - partenaire financier lorsque les rumeurs du pont leur semblèrent gagner en intensité. La nuit tombait et les convois de marchandises qui avaient bravé avec succès les terres sauvages sans routes, les routes à peine entretenues - tout juste bonnes à appâter les voleurs - et tout ce que leurs longs voyages pouvaient comporter de parfaitement désagréable se voyaient en bout de course stoppées net par ce qui semblait être le jour de zèle de l'administration urbaine. Pour une raison encore inconnue, le passage par la porte sud semblait être aujourd'hui le théâtre d'inspections draconiennes. Les premiers chariots arrivés tôt ce matin s'étaient déjà confrontés à des contrôles plus longs qu'à l'accoutumée qui, un jour de marché, n'avaient pas eu le meilleur écho en coeur de ville. Mais ce qui n'était encore ce matin qu'un passable désagrément bon à alimenter les discussions des badauds pour le reste de la journée avait pris au fil des heures une tournure problématique pour tous les marchands, les négociants, leurs clients... et pour tout le reste de l'économie de la ville. D'autant que depuis l'aube, aucun procédé de sélection des entrées n'avait été mis en place, si bien que les carottes et les navets du quotidien n'avaient pas plus de chances d'accéder aux étals du marché que n'en avaient les objets les plus superficiels venus du bout du monde. Premier arrivé, premier à attendre. Et ça, attendre, il le fallait. Les gardes passaient en moyenne une charrette toutes les dix à quinze minutes, contre quelques minutes habituellement. Et si, de coutume, priorité avait toujours été accordée aux denrées périssables, puis aux visages connus, sans oublier les visages connus et riches qui contribuaient à mettre un peu de beurre dans les épinards en échange d'un passage dérobé par la petite porte - un système bien rôdé qui avait de tous temps fait ses preuves - cette fois, quelque chose se tramait au péage du pont. Les gardes devaient chercher quelque chose ou quelqu'un, sans doute.

Quoi qu'il en soit, après deux mois de stationnement dans cette foutue ville, dont les trois dernières semaines à guetter l'arrivée du convoi du Dorwinion qui avait quitté Vieille-Tombe quatre mois plus tôt... perdre trois jours aux abords mal entretenus de la ville, puis une journée entière sur le pas de la porte... C'en était trop. L'orientale n'était pas payée à faire du tourisme. D'ailleurs elle n'était pas payée du tout. Ce qui participait indubitablement à son humeur massacrante. Pour tout dire, Bodrun n'en menait pas large non plus. Le prêteur, qui avait accordé au patron de l'orientale des largesses financières qu'il s'était reprochées sitôt qu'il les lui avait accordées, comptait non plus les jours mais cette fois les semaines dans l'espoir de revoir un jour la couleur de son emprunt accordé. Il pensait avoir fait un investissement juteux en accordant sans intérêts à Narseth Davriel une somme fixe contre l'acquisition des dix meilleurs fûts en provenance directe de ses vignobles. Les précédentes années avaient eu leur lot de conflits et le rude hiver avait asséné un coup fatal aux dernières grandes exploitations viticoles de la région. Les filières locales offraient une piquette imbuvable à laquelle les paysans préféraient la bière - et même l'eau, dans le dernier recours - tandis que les millésimes étrangers s'arrachaient à prix d'or. Les sbires de la Compagnie étaient à l'affût des flacons exotiques pour leurs clients fortunés. Le prêteur avait déjà ses contacts. Et ils n'étaient pas réputés pour leur patience en affaires. Alors lorsque s'achevait une journée comme aujourd'hui, qui plus est avec la compagnie d'une orientale qui ne lui inspirait pas la plus petite confiance, Bodrun se faisait des cheveux. Si ses clients avaient trouvé preneur ailleurs, alors son investissement ne vaudrait plus l'ombre de la somme dont il s'était délesté. Une énième rumeur en contrebas le fit bondir sur ses pieds.

- Que signifie toute cette agitation! lança-t-il à la volée, s'approchant du mur qui donnait sur le pont en contrebas comme pour mieux entendre se qui se tramait au-delà de la triple épaisseur de pierre derrière laquelle il se cloîtrait. De toute évidence il n'attendait aucune réponse particulière de la part de l'orientale, qui se faisait elle aussi un devoir de ne pas se lancer dans une conversation fatigante. Elle se contenta d'un long soupir. Il y avait là en bas une coquette somme en liquide sur des chariots qui peut-être ne passeraient pas les portes de la ville cette nuit. Peut-être pas du tout. L'incompétence du prêteur dans cette affaire, mêlée à son absence totale d'informations, auraient certainement raison de sa patience toute relative. Peut-être lui viendrait-il l'idée de revenir sur les termes de leur entente. Certainement pas en la faveur des orientaux.

- Je vais essayer d'en savoir plus. Ne bougez pas d'ici.

S'esquivant avec plaisir de cette pièce affreusement austère où elle aurait fini de toute façon par étouffer, la milicienne dévala les marches de l'horrible masure, ignora les assistants et domestiques de Bodrun qui couraient déjà à leur maître, et trouva deux des hommes de Narseth en faction devant la porte. Passablement préoccupés par le raffut ambiant. Ils la saluèrent brièvement. Le plus âgé répondit à sa demande silencieuse :

- Un bestiau a rendu l'âme sous la porte, et tout le chargement avec. Tout le monde commence à s'énerver sur le pont.
- Où en sont les nôtres?
- Assez loin, j'en ai peur. Après le chariot à terre, il y a deux énormes convois de tanneurs, un apothicaire ambulant, des charrettes de foin, un convoi de pierres, deux...
- Combien de temps?
- Ils ne passeront pas les portes aujourd'hui, Sirka. A moins de passer par la petite porte, mais le bougre qui s'occupe des contrôles aujourd'hui c'est le genre fraîchement muté qui veut se faire mousser. Il sera pas choucard. C'est à cause de lui qu'on en est là, voyez le merdier.

C'était bien ce qu'elle craignait. Il n'y a pas plus dangereux que les jeunes fonctionnaires qui entrent en poste. N'espérez pas trouver plus parfaits empêcheurs de tourner en rond. Pour les honnêtes commerçants ouverts à la discussion, il n'y a pas pire fléau.

- Cela dit, tout le monde a un prix, amorce le plus jeune.
- Pas nous. Les caisses sont vides et quand bien même je pourrais catapulter ces charrettes par dessus la porte pour cette fois, n'espérons pas toucher nos gages avant le mois prochain. Ce travail là nous épargnera seulement la corde.

Tout en avertissant ses hommes, l'orientale réfléchissait à une meilleure alternative en s'éloignant progressivement du linéaire construit. Pour se rapprocher du petit mur d'enceinte qui donnait sur les douves et n'avait d'autre fonction que d'éviter que quelque ivrogne ne se jette fortuitement du haut des premières fortifications. La lune miroitait sur les eaux canalisées du fleuve.

Certainement pas par-dessus.
Mais par-dessous...

- Où est Shael?

Un nom qu'elle n'aurait pas prononcé si la difficulté de la situation ne l'avait pas exigé. Elle méprisait le batelier qui n'était pour qu'elle qu'un contrebandier de campagne pas plus malin ni plus habile qu'un autre et qui extorquait ses clients sans vergogne sous prétexte que son rafiot d'eau douce et lui connaissaient les canaux de la ville comme personne. La dernière fois qu'elle avait eu affaire à lui, évidemment, ça s'était mal terminé. La première fois aussi d'ailleurs. Et toutes les occasions survenues entre la première et la dernière. En vérité, si elle arrivait à mettre la main sur ce sombre phasme ce soir, elle avait toutes les chances de le regretter sitôt qu'elle apercevrait son sourire narquois. Ce sourire qui dit "Je ne sais pas encore comment, mais cela va vous coûter cher.".

#Sirka
Sujet: La première auberge après les terres sauvages
Aldarion

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Rechercher dans: L'Arnor   Tag sirka sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: La première auberge après les terres sauvages    Tag sirka sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 23 Oct 2013 - 0:56
Personne ne l'avait perçu. Ca n'avait duré qu'un tout petit instant. Ballas avait vécu un nombre incalculables d'aventures. Il avait patrouillé dans la Vieille Garde pendant des années. Il avait passé son enfance au nord parmi les vétérans. Il avait été de toutes les batailles que l'Arnor avait mené. Il avait combattu aux côté de Mephisto quand les Royaumes Réunifiés étaient partis à la guerre de concert.

Il était le compagnon d'entrainement préféré d'Aldarion : vif, puissant et imprévisible. Le roi d'Arnor l'avait obligé à suivre une éducation sur le tard, pour que la bête de guerre devienne également un homme fin et subtil. Malgré tout, malgré le sang glacé qui lui coulait dans les veines, il avait été à deux doigts d'en coller une à cette chienne étrangère. Il détestait l'arrogance, surtout quand elle était l'oeuvre d'une personne qui ne pouvait s'en offrir le luxe. Ballas ne sous estimait jamais ses adversaires. Il partait toujours du principe qu'il pouvait trouver plus fort que lui. Cependant, à trente contre deux, trois si la femme déjà sur place se joignait à elles, le combat risquait vite de tourner court. Surtout si les trente soldats avaient tous étés choisis et triés sur le volet parmi tous les régiments d'Arnor pour composer la garde personnelle du roi Aldarion. Dans ces circonstances, se permettre de jouer la carte de l'intimidation paraissait pour le moins suicidaire.

Le regard de Ballas avait changé pendant quelques secondes. Il était réellement prêt à mourir pour son roi. Nombreux sont les hommes qui jurent fidélités à un prince ou à un seigneur et qui, le moment venu, tournent les talons afin de sauver leur peau. Ballas avait la certitude depuis qu'il avait rejoint Aldarion qu'il mourrait pour lui. Il ne cherchait pas la mort, il n'était pas tête brulé... il était juste prêt. Se montrer ostensiblement agressif dans la même pièce que son souverain était dès lors une très mauvaise idée. Heureusement pour Anselme, le Roi d'Arnor avait capté l'intention de son garde du corps et, d'une main posée sur son bras, il l'avait dissuadé d'entrer dans le jeu des deux femmes. Il voulait autant que possible éviter de perdre inutilement des forces dans une bagarre de taverne. C'était le poids de la responsabilité royale. Il leva les mains en signe d'apaisement.

" Calmons nous."

Sa voix était posée et puissante. Elle se voulait cependant apaisante, une nouvelle facette qu'Aldarion tendait à développer depuis quelques mois, en parfaite adéquation avec les aspects plus fermes et autoritaires de sa personnalité.

"Je suis Aldarion, fils d'Irimon, Roi d'Arnor."  

Aldarion laissa sa phrase flotter dans l'air quelques instants. Tous les regards se concentraient désormais sur lui.

" Ma présence dans cette auberge est pour le moins... fortuite. Sachez simplement que certains individus semblent en vouloir à ma vie et à mon royaume. C'est pour cette raison que nous nous devons d'être très prudents. Notre position est secrète, et nous ne tenons pas à ce que vous la transmettiez volontairement ou non. De là vient notre ordre de demeurer ici et de ne pas vous éloigner. "

Le roi d'Arnor était persuadé que la diplomatie était adaptée à la situation. La raison d'état suffisait à justifier beaucoup de choses.

" Si vous restez calmes, il n'y aura pas de problèmes. Vous pourrez même discuter tranquillement comme si nous n'étions pas là. Par contre, si vous estimez que des personnes doivent mourir ici et maintenant, soyez assurées que vous en ferez partie."

Le ton était toujours identique, mais la dernière phrase ne manquait pas d'une certaine fermeté. Il attendait désormais la réponse de ses interlocutrice. Cependant, il fut interrompu par une nouvelle apparition dans l'auberge. Deux vétérans venaient de l'ouvrir, faisant pénétrer un vent glacé dans l'établissement d'Anselme. Ils encadraient un homme, vêtu comme un rôdeur.

"On l'a trouvé sur la route, il se dirigeait vers l'auberge."

Décidément, Anselme allait vraiment manquer de nourriture.

#Aldarion #Sirka
Sujet: Tombèrent des fleurs de camélia [Passé]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Blankânimad   Tag sirka sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tombèrent des fleurs de camélia [Passé]    Tag sirka sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 25 Juin 2013 - 17:28

Comme l'avait prévu Pazrhdan, la jeune femme n'était pas du genre à se laisser marcher sur les meringues par le premier venu, et elle s'était retournée avec une expression sévère sur le visage, menace à peine voilée qu'elle adressait à celui qu'elle semblait identifier comme une gêne, à défaut d'y voir une menace. Ses yeux d'un gris étrange, peu courant pour ne pas dire unique sur les terres orientales, le parcoururent de pied en cap, avec la méticulosité qui sied à tout bon guerrier, attentifs au moindre détail. Elle ne manqua pas de remarquer l'épée réglementaire qui pendait à son côté, dans un fourreau sans ornements. Avec un peu d'attention, elle pouvait même détecter les quelques marques d'usure sur la poignée et les rayures sur le pommeau et la garde, preuve que la lame avait eu l'occasion de voir de nombreux entraînements...ou de nombreuses batailles. Elle ne put non plus manquer la canne qu'il tenait en main, et sur laquelle il s'appuyait perceptiblement. Elle était de bonne facture, ornée avec goût mais sans luxe. Une pierre de jade en constituait le pommeau, niché au creux de sa main usée par l'exercice, par le temps passé à ramper dans le sable, à manier le sabre jusqu'à en saigner.

Tandis qu'elle l'observait, il ne se priva pour en faire de même, au mépris de toute convenance. La jeune femme était clairement là pour s'entraîner, comme le laissait penser sa tenue légère, qui n'aurait jamais pu passer pour une robe de cérémonie, même dans les pays les plus chauds d'Arda. Pratique, conçue pour gêner au minimum les mouvements, c'était la tunique d'une combattante expérimentée, qui avait décidé que tout le superflu devait être mis de côté, pour laisser la place à une efficacité brutale, létale. Et nul doute, à voir son regard d'acier, qu'elle appliquait la même philosophie dans son quotidien, notamment envers les gens qu'elle rencontrait. En dépit de sa taille qui dépassait la moyenne pour une femme, et de son corps sculpté par la rigueur de l'entraînement, elle n'en demeurait pas moins féminine, et Pazrhdan se dit qu'il l'aurait volontiers invitée à boire un verre quelque part, pour avoir l'occasion de discuter de techniques de combat, d'armes et de bottes secrètes. Avec un peu de chance, elle aimait aussi les animaux, et cela leur aurait fait un second point commun.

Visiblement indécise quant à l'attitude à adopter présentement, elle jeta un œil de côté, comme si elle vérifiait que personne ne les suivait, ou ne les observait à la dérobée. Elle ne le jeta pas trop loin, car il revint rapidement se poser, accompagné de son jumeau, sur l'homme qui lui faisait face, sans avoir gagné en aménité pendant le voyage. Son sourcil se haussa avec lenteur, trahissant volontairement la confusion de sentiments qui bouillonnaient de toute évidence sous la surface paisible de son visage marmoréen. C'était tout à la fois le signe de sa contrariété, nuancée d'une pointe de curiosité, additionnée d'un soupçon de menace dans lequel on devinait un zeste de mépris, deux pincées d'une débordante confiance en soi, une cuillère à soupe d'impatience, mettez au four deux heures, servez chaud, dégustez.

Pazrhdan aurait d'ailleurs pu déguster, sans l'intervention totalement fortuite de sa délicate mère, qui fournit un intermède salvateur, permettant d'apaiser un peu la tension qui commençait à monter. La pression retomba comme un soufflé, et la température sembla descendre de quelques degrés. Du coin de l'œil, le jeune homme nota que l'inconnue semblait porter une attention toute particulière aux paroles de sa mère, qu'elle écoutait très respectueusement. Elle ne semblait pas du genre à faire de scandales inutilement, même s'il était évident, à observer sa posture rigide, son dos droit, et son regard franc, qu'elle pouvait faire goûter au gâteau de ses émotions à chaque fois qu'elle l'estimerait, elle, utile et nécessaire. Eijlin, la mère de son fils, s'en alla en trottinant, retournant à ses affaires avec un empressement que ce dernier attribuait pour une bonne moitié à la présence de la jeune femme. Comme toutes les mères, elle rêvait de voir son fils trouver une belle épouse, si possible de bonne famille, et lorsqu'il reviendrait à la maison, elle ne manquerait pas de le harceler à propos de l'inconnue du maître d'armes. Il étouffa un soupir, essayant de ne pas penser à l'interrogatoire en bonne et due forme qu'il devrait subir à son retour, et revint à son interlocutrice qui, fait suffisamment étonnant pour être remarqué, n'avait toujours pas bougé. Ainsi donc, elle n'avait pas profité de cet interlude pour aller son chemin, et était demeurée là, sans doute plus par politesse envers la mère que par intérêt envers le fils.

Dans l'esprit de Pazrhdan, une sorte de lien s'était établi, et il décida de tenter sa chance, tendant une main en direction de la jeune femme, avec l'espoir qu'une poignée échangée permettrait de les rapprocher, au moins mentalement. Il n'était pas homme à apprécier les conflits, et il préférait s'entourer d'amis, de proches. Sa naïveté avait quelque chose d'étrange dans ce monde, et il était difficile aux gens autour de lui de percevoir la sincérité de ses actions, tant on était habitué à voir le mal partout. La jeune femme considéra un long moment cette main tendue, comme s'il s'agissait d'une boîte hérissée d'épines qui aurait contenu un fabuleux trésor...ou l'inverse. Son hésitation se trahit sur son visage un bref instant, sans qu'il fût possible d'en déterminer la cause. Avait-elle peur ? Peur de lui, certainement pas, mais peur de ce qu'impliquait une poignée de main ? Peur de ce que pouvait signifier l'amitié ? C'était étrange, mais Pazrhdan avait vu trop de choses étranges pour encore s'étonner de si peu. Philosophe, il préférait accepter les autres tels qu'ils étaient, plutôt que de tenter vainement de les changer. Si elle avait peur - ce qui restait encore à démontrer, puisqu'elle le cachait bien -, c'était son droit le plus légitime.

Pendant une brève seconde, l'homme crut qu'elle allait refuser sa proposition, et simplement continuer sa route sans lui accorder plus d'importance qu'à un vulgaire caillou. Elle semblait pencher de ce côté, naturellement, érigeant la prudence et la distance comme un bouclier impénétrable entre elle et le monde qui l'entourait. Saisir cette main, n'était-ce pas accepter d'abaisser pour un temps sa défense, de s'ouvrir à l'inconnu, et donc potentiellement au danger ? De nouveau, elle regarda sur sa gauche, comme à la recherche d'un soutien, cette fois. Mais il n'y avait personne. Et de personne, elle ne reçut rien, ce qui avait au moins le bon sens de préserver la logique, mais qui n'aidait pas véritablement à démêler le nœud complexe de la personnalité de la jeune femme. Puis, sans qu'il comprît ce qui avait pu motiver ce basculement, elle lui serra la main, avec la chaleur d'un bloc de glace. Mais ce qui importait, plus que son attitude envers lui, c'était son attitude tout court : elle avait accepté de faire un pas en avant. De prendre un risque. Une petite victoire qu'il faudrait préserver, comme on préserve la première étincelle d'un feu qui ne souhaite pas prendre, avec l'espoir de le voir s'embraser et rayonner tel l'astre solaire.

Elle se présenta comme étant Sirka, d'une voix neutre de laquelle ne transparaissait aucune agressivité. Cependant, elle ne semblait pas non plus enchantée de faire sa connaissance, et elle lui lâcha la main avec peut-être un peu plus de précipitation qu'il n'était nécessaire. Pazrhdan ne s'en formalisa pas le moins du monde, et la laissa se replier avec un petit sourire. Il avait l'habitude de ce genre d'attitudes, lui qui passait plus de temps auprès de ses amis à quatre pattes qu'auprès des fameux bipèdes. Non pas qu'il identifiât la jeune femme à un animal, loin de là, mais ses réactions avaient ce petit quelque chose de sauvage, d'indompté, qui lui plaisait tant à lui, l'homme capable de tout apprivoiser. Il avait l'impression d'avoir un puissant félin en face de lui, qui n'acceptait de sortir de sa tanière furtivement, mais qui y retournait précipitamment en sortant les crocs. Aucune menace, simplement un moyen de se rassurer. Ses crocs à elle étaient d'un blanc étincelant, mais s'ils n'étaient pas aussi acérés que ceux de la panthère, ses paroles compensaient tout à fait ce désavantage, et ce fut avec une pointe de sarcasme qu'elle lança l'estocade, visant directement son évident point faible.

Pour la première fois, Pazrhdan perdit un peu de sa superbe, et son apparence détachée se craquela comme de l'argile séchée trop vite. Sa blessure était récente, et il était encore obligé de s'appuyer sur sa canne après avoir fait un effort - comme en cet instant - ce qui le diminuait plus qu'il ne lui plaisait de le reconnaître. Qu'une personne autre que lui-même lui rappelât cet état de fait était douloureux, voire même blessant. Mais il jouait le jeu, aussi bien que lorsqu'il tombait face à un animal rebelle. Il acceptait les morsures, pour montrer qu'il savait encaisser, et faire comprendre à l'autre qu'il méritait le respect. Il ne niait pas la douleur, mais il la faisait passer au second plan, derrière l'intérêt qu'il portait à l'esprit libre qui se tenait en face de lui. Il lâcha un soupir qui pouvait être interprété comme la manifestation d'une certaine peine, ou bien d'une certaine nostalgie, et répondit d'une voix chaude et calme :

- Certes, je ne puis que vous donner raison sur ce point. Pour survivre à son entraînement, il faut être plein de fougue, et pouvoir compter sur ses deux jambes (il tapa sa jambe droite du plat de la main). Mais peut-être que vous, Sirka, aurez l'indulgence nécessaire pour me ménager. Et en échange, je vous promets de vous enseigner deux ou trois petites choses que seul l'arrière-saison peureuse et tripode venue de l'Est lointain peut connaître. Qu'en dites-vous ?

Il avait accompagné son invitation d'un sourire amical, mais dans ses yeux demeurés sérieux brillait une lueur qu'il était facile d'identifier. Il la mettait gentiment au défi, et même s'il n'était pas beaucoup plus âgé qu'elle, il espérait lui montrer que blessé ou pas, âgé ou pas, il pouvait encore mériter son respect. A la pensée qu'il pût perdre et finir humilié à l'issue d'un duel avec cette jeune femme, même amical, son sourire s'élargit encore. Impossible...

#Sirka
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