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 Un homme à la mer

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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
Espion de l'Arbre Blanc
Nathanael

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Un homme à la mer EmptyDim 3 Sep 2017 - 8:02
Le bruit de la mer. Le souffle des vagues, régulier. La nuit, la lune faisait miroiter son reflet sur la surface noire agitée de clapotis. Et quand le vent se levait, la mer se levait avec lui et il lui semblait alors qu’elle cherchait à conquérir les côtes. Ce n’était plus que rugissement d’écumes, rage salée et gifles d’embruns qui vous piquaient le visage. Mais même quand la mer était en colère, il l’aimait. Il était né sur les hauteurs d’une crique rocheuse surplombant les eaux tantôt bleues, tantôt noires de Belegaer. Des eaux infinies. «Personne, disait son oncle, n’en a jamais vu le bout». C’était peut-être ce qui lui plaisait le plus. L’infini. Même s’il lui avait pris son père. L’infini. Il pouvait passer des heures à le contempler, les jambes ballant dans le vide au-dessus du fracas des vagues. Peuplé de voiles, d’hommes et de rêves. L’infini. «Il m’a déjà pris mon mari, disait sa mère. Pas question qu’il me prenne mon fils». Elle s’était battue, elle avait hurlé, elle avait pleuré. Mais la décision ne lui revenait pas. «Les femmes n’ont rien à dire», répétait son oncle. «Elles ne comprennent pas». Anarion avait serré les dents face aux larmes de sa mère, fermé son coeur. Car au-dehors rugissait sa mer. Sa mer à lui, la seule qu’il eut jamais aimée.

- C’est à Lond-Daer qu’accostent les navires. Pas pour vendre, ça non, pas dans le coin. Personne pour acheter par ici ! Rien que des petits pêcheurs et de la misère ici. Pas de pièces pour acheter quoi que ce soit. Pis les hommes des bateaux, z’en ont rien à fiche de nos poissons. Yz’aiment l’or ceux-là. Pas les écailles et le puant des tripes salées. Y z’accostent, pour s’reposer les gars. Boire de l’eau fraîche, qui coule depuis les Flots-Gris, pis prendre un peu de gibiers que les gars arrivent à chasser dans le coin. Pour changer du poisson justement. Z’en ont marre du poisson, quand y z’arrivent par là les gars. Y viennent du sud, du nord, Gondor, Arnor. Y en a même qui reviennent du nord, plus au nord que tout ce que tu peux imaginer. Là où les glaces restent éternelles ou pas loin.

Anarion savait tout cela. Mais il aimait l’entendre dire, encore et encore. Son oncle avait des histoires plein la bouche et il aimait les raconter, une bière à la main. Il n’était jamais allé très loin, petit pêcheur qui cabotait le long des côtes de l’Enedwaith. Mais il en connaissait des marins, tout un tas, qui avait parcouru le monde et qui avait vu tant de choses. Il connaissait même des histoires d’elfes et de premiers hommes, de ceux qui avaient été là avant eux, puis encore avant leurs ancêtres, puis même peut-être encore avant ceux qu’on disait venus de l’Ouest, il y avait des milliers d’années de ça. Son oncle savait qu’il y avait eu une forêt là où il n’y avait aujourd’hui plus que plaines et herbes folles, tout juste bonnes pour des brebis et encore. «Du bois pour les bateaux des rois, et tant et tant, qu’ils ont fini par tout couper». Les rois d’au-delà les montagnes, d’au-delà les fleuves. Des rois qu’Anarion n’avait jamais vu, mais qu’il s’imaginait portant leur couronne d’or, des bijoux autour du cou, plein les doigts, buvant et mangeant dans des gobelets d’argent.  L’argent, il se l’imaginait Anarion, plus clair que le fer et plus brillant. En vrai, il ne savait pas à quoi cela ressemblait vraiment. Mais ces rois devaient forcément être puissants, puisqu’ils avaient fait disparaître toute une forêt. Et les bateaux qui accostaient à Lond Daer venaient de ces royaumes. Et son oncle l’emmenait à Lond Daer.

La poussière de la route avait sali son manteau et ses pieds nus. Il faisait chaud et il avait soif. Mais rien n’aurait pu entamer son enthousiasme. Il allait devenir marin. Son oncle le lui avait promis. «Je connais quelqu’un qui connaît un marin qui sait qu’un capitaine cherche du monde sur le pont». Il en savait des choses, son oncle. Et lui aussi, maintenant. Il connaissait presque autant d’histoires que le barbu qui marchait devant lui, sa besace de cuir délavé par les ans. «Et bientôt j’en connaîtrai d’autres encore, et j’irai voir moi même la terre glacée au nord, et les femmes du sud, et le fleuve qui remonte jusqu’à la cité blanche des hommes de l’ouest, et ...». Il n’arrivait pas à imaginer tout ce qu’il découvrirait les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois. Il allait devenir marin.

Et le troisième jour, ils virent Lond Daer. Le port était niché à l’embouchure des Flots-Gris et quelques bateaux battaient les flancs des quais. L’un d’eux était flanqué d’un mât si haut qu’Anarion dut se tordre le cou pour en voir le sommet. Le Brise-Lame. Rien que le nom du bateau lui fit courir des frissons sur l’échine. Des marins s’activaient sur le pont. «Sales gueules, se dit Anarion». Barbus, les yeux caves, ils avaient tous les épaules voûtées par la tâche à accomplir.

- C’ui là c’tun fameux, lui glissa son oncle. Le capitaine sait mener son monde. Pas tendre, mais vrai marin.

La Folle-Danse était un navire plus petit, amarré au quai voisin. Anarion ne savait pas lire, mais son oncle, oui, un peu. Et il lui donna le nom de chaque bateau. L’Elegante, le Vent-Glacé, la Nuit-Noire

- ‘çui-ci doit servir que’ques fois pour de la contrebande. Fin, rapide, bonnes voiles. Un marin obéit à personne. Un marin appartient à la mer. Point c’est tout. Chaque bateau est un royaume. Grand bien te fasse de t’en souvenir. Obéis toujours à ton capitaine, toujours, à personne d’autre. Même si ça te paraît pas bien … dans la loi.

«Toujours obéir à son capitaine». Anarion se le répéta jusqu’à ce qu’ils arrivent devant la gueule fétide d’une gargote qui exhalait des relents de poissons à l’huile. Des hommes entraient et sortaient, plus ou moins solides sur leurs jambes. L’après-midi battait son plein, mais les hommes venaient déjà s’abreuver des promesses de la nuit. Les promesses étaient plus ou moins jolies, plus ou moins rondes et firent rougir Anarion. Il n’avait jamais vu autant de femmes sous le même toit. Son oncle avisa une table à laquelle ils s’installèrent, chope à la main. Anarion trouva la bière bien trop amère à son goût, mais il n’en dit mot. Sa mère préparait d’ordinaire du vin aux épices que son oncle ramenait parfois du comptoir de Long Daer. Ils le buvaient alors pour les grandes occasions : la nouvelle année, la fête du printemps, pour la nuit la plus courte et pour la nuit la plus longue aussi. La bière, c’était autre chose. Il y avait des bulles qui vous piquaient le nez et le fond de la gorge et un goût qui semblait vouloir s’accrocher bien après la dernière gorgée.

- V’là, dit son oncle. V’là le capitaine qui cherche des hommes.

Un capitaine qui vous foutait la frousse rien qu’en vous regardant. Anarion se fit tout petit sur sa chaise. Il aurait voulu être fier, lever le bras et crier bien haut comme les autres «Moi, moi» quand le capitaine demanda qui voulait embarquer. Mais il ne réussit qu’à se tasser davantage sur son banc, cachant son visage derrière sa chope. Le capitaine, pourtant, ignora les mains levées et les visages rougeauds des hommes qui s’échinaient à beugler. Il échangea quelques mots avec le tenant de l’auberge et se dirigea vers la table d’Anarion. Ses larges épaules carrées révélaient qu’il n’était pas un de ces capitaines qui se contente de rester à la barre et de gueuler des ordres. Non, lui devait souquer ferme aussi, plier et déplier les voiles avec ses hommes.

- Es-tu l’homme aux histoires ? demanda le capitaine à l’oncle.
- Oui capt’aine. Bien moi.
- Sais-tu lire les étoiles sur la mer ?
- Oui capt’aine.
- Tenir ta place sur le navire ?
- Je pouvais, ‘peux plus.


Sortant son bras gauche de sous de la table, le capitaine découvrit que la manche pendait dans le vide au-delà du coude. «Heureusement qu’c’est pas l’main qui tient la bière» disait toujours l’oncle en rigolant. Il ne pouvait malheureusement pas se vanter de l’avoir perdu lors d’un combat contre un monstre marin ou un redoutable pirate. Une vilaine blessure avait installé la gangrène jusque dans le poignet. Anarion se souvenait encore des cris quand le médecin avait amputé le membre. Des cris et du sang dans la pièce, et de son oncle pâle comme la mort qui avait fini par s’en sortir. «Solide comme un roc, se disait Anarion». Et de ce temps-là, son oncle était resté chez eux, petit pêcheur de misère aux grandes histoires.

- Mais l’gosse il peut lui. Sait lire les étoiles aussi, et connaît les histoires aussi.

Le capitaine aux larges épaules tourna son regard ténébreux sur l’enfant. Tout au plus treize ou quatorze ans. Des cheveux hirsutes et noirs comme les ailes d’un crébain.

- As-tu déjà pris la mer ?

Anarion ne répondit pas, terrorisé ou presque.

- À quoi me sert un gosse qui connaît des histoires s’il n’a pas de langue ?
- Le p’tit parle, capt’aine ! Hein que tu parles Anarion. L’a jamais vu l’océan de près. Mais il a ça dans l’sang. V’errez. Serez pas déçu.
- Je ne suis jamais déçu,
répondit le capitaine. Ce soir, à la nuit tombée, tu es à moi.

Anarion secoua la tête pour signifier qu’il avait compris. Mais compris quoi, il ne le savait trop lui-même. Que voulait-il dire, ce grand capitaine, avec toutes ses histoires et ses étoiles ? Un capitaine ne devait-il pas s’occuper de marchandises, de vagues, de mer et de tempêtes ?

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