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Sujet: Un os dans le Palais [Flashback]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Un os dans le Palais [Flashback]    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 9 Aoû 2014 - 1:54
Marcher au milieu de Dur'Zork avait quelque chose d'irréel. J'avais déambulé ici même, alors que c'était jour de marché, j'avais eu l'occasion de voir la vie normale, fourmillant d'activité. J'avais vu les gardes en armure rutilante patrouiller avec l'air sévère. J'avais vu l'ordre et la discipline relative ici, et j'avais du mal à croire qu'il s'agissait bel et bien de la même cité. Sous mes yeux se déroulait un spectacle qui aurait été effrayant si je n'avais pas fait partie des vainqueurs, si je n'avais pas été un acteur relativement décisif de cette victoire. Par un concours de circonstances tout à fait extraordinaire, et que j'avais encore bien du mal à me figurer, je m'étais retrouvé à contribuer à la prise du Palais de Radamanthe, alors que j'étais parti de très loin. Rétrospectivement, ce que j'avais accompli en quelques mois était incroyable, même pour un espion, et je me demandai si je n'en avais pas trop fait, si je n'avais pas laissé mes émotions personnelles entrer en ligne de compte. J'étais certain que non, mais j'avais tout de même dû tirer l'épée et massacrer pas mal d'ennemis avant qu'on pût planter sur le sommet du Palais l'étendard rouge du Harad. Et désormais, c'était un peu grâce - ou à cause, question de point de vue - de moi que la cité était livrée au pillage.

Les civils avaient été ménagés, contrairement à ce qu'il se produisait habituellement. Ils n'avaient pas été réduits en esclavage, et on dénombrait peu de meurtres de sang froid. Les femmes n'avaient pas eu la même chance, et beaucoup d'entre elles accoucheraient des fruits d'une union qui n'avait rien de consentie d'ici neuf mois. Mais cela ne m'émouvait pas beaucoup, et si les pratiques n'étaient pas coutumières en Rhûn, elles n'en demeuraient pas moins dans ma conception de la guerre. Ils se battaient comme des barbares, certes, mais ils avaient remporté la victoire. Au vainqueur le droit de déterminer ce qui était bien ou non. J'évitai souplement un groupe de pirates complètement ivres qui dansaient au milieu de la rue, et m'éloignai en boitant vers le campement où étaient rapatriés les blessés, accompagnant le cortège de ceux qui n'avaient pas eu la chance de réchapper aux combats. Nous défilions en une longue procession qui traversait la ville, rejoints par toujours plus d'hommes, Haradrim ou Harondorim qui allaient quémander des soins.

Beaucoup de ceux qui ne pouvaient plus marcher, et qui étaient portés par d'autres pirates, avaient été blessés par une flèche, qu'il serait particulièrement difficile d'extraire. Les chirurgiens allaient avoir beaucoup de travail, et je m'estimais heureux de ne pas avoir à souffrir de complications aussi douloureuses. Pour ma part, les blessures se résumaient à une arcade ouverte qui saignait abondamment, et qui nécessiterait d'être pansée, plusieurs coupures qui n'étaient pas mortelles, mais qui vomissait encore du sang et qu'il faudrait recoudre pour certaines, et un méchant hématome au-dessus du genou, là où la hampe d'un adversaire m'avait percutée... d'où ma légère claudication. J'allais toutefois mieux que j'en avais l'air, car après avoir erré dans une eau immonde, j'avais plongé littéralement dans le sang et les viscères, au point que mes vêtements étaient méconnaissables, et que j'avais l'air d'avoir été éventré sur place. Impressionnant, mais pas de quoi émouvoir Taorin, qui m'avait demandé de lui faire mon rapport immédiatement.

Je n'avais pas eu grand chose à lui dire, sinon louer le courage de Lobé et de ses hommes, et lui raconter brièvement comment nous avions procédé pour nous emparer des machines contrôlant la porte. Il avait hoché la tête pesamment, puis m'avait demandé de rejoindre le convoi des blessés, afin d'aller me faire soigner. Lui aussi devait avoir beaucoup de choses à gérer, maintenant qu'il avait pris le contrôle de la ville. A commencer par les mercenaires qui essayaient de s'emparer des trésors du Palais, qui appartenaient de droit aux Neufs, et que nul ne devait toucher à part eux. Ils devaient se partager le butin, rémunérer leurs troupes, puis décider ensuite de ce qu'ils allaient faire. Si chacun partait avec une coupe en or massif, il n'y aurait plus rien à distribuer, et ce serait le début du chaos.

Bien loin de ces considérations, je portai mon regard sur les rues pleines de déchets et de cadavres, où bouteilles d'alcool et lambeaux de vêtements trônaient côte à côte, quand un pirate un peu chaud avait décidé de courir nu dans les rues pour célébrer la victoire. Il regretterait son geste quand il se rendrait compte qu'il avait oublié l'endroit où il s'était dévêtu, mais en l'occurrence ce n'était pas un gros problème. L'heure était à la fête. De toutes parts, on entendait des gens chanter, danser, et même un peu de musique. Certains avaient pris des instruments traditionnels, à corde ou bien à percussion, et commençaient à jouer tranquillement. Le son des tambours, qui pour une fois ne jouaient pas des hymnes guerriers, était réconfortant, comme s'ils exprimaient la part d'humanité qui existait derrière les masques sanguinaires de certains hommes. Curieux comme ils pouvaient passer de l'un à l'autre, de tueur à musicien, là où dans la culture occidentale il semblait impossible de faire les deux, et où dans la culture orientale les nobles étaient nécessairement les deux. Peut-être était-ce pour cela que Suderons et Orientaux étaient assez proches : parce que la guerre faisait partie de leur culture, et n'était pas qu'une simple nécessité.

Laissant là ces considérations un peu complexes pour le moment, je décidai de me concentrer sur ma route, pour oublier la souffrance de mon corps qui n'avait pas dormi depuis bien longtemps, et qui réclamait à grands cris du repos. La colonne à laquelle j'appartenais arriva bientôt dans une zone de la ville où des infrastructures étaient en train d'être érigées pour pouvoir allonger autant de patients que possible. Une belle initiative, mais au vu du nombre de tentes, beaucoup allaient devoir dormir dehors... Des dizaines de combattants étaient déjà étendus là, quémandant des soins, tandis que des docteurs de fortune, souvent Harondorim d'ailleurs, étaient affectés à leur soin. Les femmes qu'on avait jugées compétentes s'occupaient des malheureux, et devaient leur apporter assistance. Certaines d'entre elles avaient été violées sauvagement, et il était curieux de les voir s'occuper de leurs bourreaux. Beaucoup, toutefois, semblaient prendre en pitié les blessés. Elles savaient sans doute combien n'allaient pas survivre, et y trouvaient une consolation. Et puis elles voyaient tellement de visages déformés par la douleur qu'elles ne pouvaient tous les haïr. Quand elles tombaient sur un jeune marin d'à peine seize ans qui avait reçu une lance en plein ventre, une blessure qui allait l'emporter dans les heures à venir, et qui dans son délire les appelait "mère", elles ne pouvaient pas le détester. Pas plus qu'elles ne pouvaient haïr les esclaves forcés de combattre, qui avaient acquis leur liberté au prix d'un bras ou d'une jambe. De bons pères de famille forcés de s'enrôler pour retrouver leur vie d'antan... ou peu s'en faut.

Devant l'afflux de blessés, le découragement des médecins augmenta d'un cran, mais ils s'empressèrent de trouver des places libres, et d'organiser l'arrivée des nouveaux venus. Beaucoup devaient attendre, debout, qu'on leur trouvât une place, car il était nécessaire de ne pas faire s'agglutiner les hommes, sans quoi le risque de répandre des maladies était grand. Je n'avais pas besoin de beaucoup de traitements, mais je décidai de patienter comme les autres, plus parce que je n'avais nulle part où aller que parce que j'avais véritablement besoin de rester ici. La ville semblait prise d'une forme de frénésie incontrôlable, et on avait allumé des feux de joie aux carrefours, où on jetait les bouteilles d'alcool en s'extasiant devant les lueurs colorées qu'elles jetaient quand elles éclataient. Pour ma part, ces jeux d'ivrognes ne m'intéressaient guère, et je préférais de loin trouver le repos pour m'attaquer à la journée du lendemain, qui ne serait sans doute pas facile, quand serait passé le temps des célébrations.

- Salem !

Je tournai légèrement la tête, à la recherche de la voix qui venait de m'appeler. Mais il y avait tellement de bruits, tellement de gémissements qu'il était difficile de localiser quelqu'un. Je me tournai de l'autre côté, et finis par voir quelqu'un fendre la foule en s'excusant sans vraiment faire attention. Agathe. Elle avait l'air paniquée, et elle traversait les files de blessés comme une nageuse essaie de lutter contre le courant. Elle trébuchait sur des hommes installés par terre, se cognait contre un médecin qui marchait à toute allure, mais elle finit par arriver jusqu'à moi :

- Agathe, que se passe-t-il ? Vous semblez...

Elle ne me laissa pas finir ma phrase, et se jeta à mon cou, manquant me faire tomber. De toute évidence, elle voulut dire quelque chose, mais les mots lui manquèrent, et elle se contenta de me tenir contre elle, enfouissant la tête dans le creux de mon épaule, les épaules secouées de sanglots silencieux. Un peu désemparé, je lui rendis maladroitement son étreinte, et lui soufflai :

- Agathe, tout va bien... Dites-moi ce qui vous amène... On a besoin de moi ?

Elle me lâcha subitement, comme si je l'avais repoussée, et me dévisagea incrédule. De toute évidence, ma question lui paraissait stupide, et devant mon air surpris, elle fronça les sourcils, presque en colère :

- Mais c'est vous qui m'amenez ! Regardez-vous, vous êtes couvert de sang !

- Oh... Lâchai-je en comprenant son trouble. Ce n'est rrien... Ce n'est pas le mien. Vous n'avez pas à vous inquiéter.

Si elle n'avait pas vu que mon arcade était ouverte, et que le sang sur mon visage, en l'occurrence, était bel et bien à moi, elle m'aurait sans doute décoché une gifle à cet instant précis. Elle paraissait extrêmement préoccupée, mais elle n'arrivait pas à l'exprimer autrement que par la colère, ce que je concevais tout à fait. Dans ce genre de situations, les gens pouvaient réagir de manière extrêmement diverse, et il fallait un grand entraînement pour garder son calme et rester professionnel.

- Je n'ai pas à m'inquiéter ? Alors tout va bien ! Je peux vous laisser partir vous faire tuer dans une mission suicide, puisque c'est tout ce qui vous intéresse ! Et en prime, je n'ai pas le droit de poser des questions.

- Bien sûrr que vous pouvez poser des questions.

Elle me décocha un regard venimeux, comme si je la faisais sciemment tourner en bourrique... ce qui n'était pas tout à fait faux. Elle m'attrapa le bras avec force, et me tira en avant sans que j'eusse eu le temps de me préparer, me faisant trébucher sans le vouloir. Elle dut alors se rendre compte que j'étais peut-être légèrement blessé tout de même, et une lueur de honte passa dans son regard. Sa prise devint un soutien, et elle me laissa me reposer un peu sur elle pour me conduire à l'écart. De toute évidence, elle ne pouvait pas poser ses questions en public, et j'étais heureux de savoir qu'elle ne tenait pas - plus ? - à me compromettre devant tout le monde. Cela ne signifiait pas, naturellement, que j'allais lui dire la vérité. Mais le tout était de lui en donner l'impression, comme si en retirant un seul masque elle allait tous les arracher et découvrir la réalité. Elle me conduisit vers le centre de la ville, non sans s'arrêter pour récupérer de quoi panser et recoudre mes plaies - une façon, peut-être, de me torturer ? Nous nous arrêtâmes non loin des fêtards, trop ivres pour prêter attention à nous, et elle me fit asseoir, avant de commencer à m'examiner :

- Je veux savoir la vérité, lâcha-t-elle ex abrupto. Un simple intendant ? Mon œil ! Expliquez-moi tout : pourquoi est-ce que vous m'avez achetée, moi ? Pourquoi est-ce que je suis dans ce merdier avec vous ? Et quel est mon rôle dans tout ça !?

Je soupirai. Ces questions, elle aurait pu me les poser dès le début, mais elle savait que j'allais lui mentir. Aujourd'hui, à ces questions, je pouvais lui répondre par la vérité. Tout ce qui toucherait à Ryad, toutefois, demeurerait dans le secret le plus absolu :

- Je vous l'ai dit, Agathe. Dans votrre langue, je pense qu'on peut appeler cela le Destin. Peut-êtrre que vous prréférrerrez dirre "les Valarr", ou bien "les dieux". Dans notrre langue, il existe un mot pourr désigner l'ensemble des choses que l'on ne comprrend pas, mais qui nous influencent. Je ne saurrais comment vous le trraduirre. Si je ne vous ai pas tout dit depuis le début, ce n'est pas pourr vous piéger, ou me serrvirr de vous... C'est simplement que les choses sont également difficiles pourr moi...

J'aimais une femme, Agathe. Une femme merrveilleuse, douce et pleine de vie. Elle s'appelait Samia, elle trravaillait dans une auberrge, et elle était adorrée par tous ceux qui la rrencontrraient. Son rrirre, sa façon de passer sa main dans ses cheveux quand elle rréfléchissait... j'aimais tout en elle. Elle m'a donné un fils, un beau garrçon dont j'aurrais pu êtrre fierr plus tarrd. Un enfant qui rreprrésentait tout pourr nous. Et puis un beau jourr...


Je levai les yeux vers Agathe, me rendant soudainement compte que j'avais le regard dans le vide depuis un moment. Elle était captivée par mes paroles, et elle avait cessé de m'examiner, totalement concentrée sur ce que je lui disais. Je lus dans son regard une appréhension terrible, et elle lut dans le mien la suite des événements. Elle comprit ce qu'il s'était passé, et ses sourcils se froncèrent bien involontairement, sa bouche adoptant une moue coupable, coupable de m'avoir forcé à exhumer de tels souvenirs. J'inspirai profondément :

- Une épidémie... Elle et mon fils... Il n'aurra pas fallu plus de quelques jourrs... Alorrs si je vous ai libérrée, c'est parrce que quand je vous ai vue, j'ai vu en vous les trraits de mon épouse, et que je n'ai pas pu supporrter de vous voirr derrièrre ces barreaux. Maintenant, je vous connais mieux, et je vous apprrécie énorrmément. Mais vous n'avez aucun autrre rrôle que celui que vous déciderrez de jouer. Vous n'êtes pas un fantôme, vous êtes une perrsonne bien rréelle, et vous n'avez qu'une seule vie. Elle vous apparrtient, et c'est à vous de choisirr comment vous allez la vivrre.

Elle me dévisagea un instant, gênée au point de ne plus savoir où se mettre. Si elle ne m'avait pas emmené à l'écart, et qu'elle n'avait pas décidé de nettoyer mes blessures, elle aurait très certainement pris la fuite. Mais elle s'était engagée, et elle ne pouvait pas revenir en arrière. Se concentrant sur son travail, elle demeura silencieuse, et passa un linge sur mes plaies pour en chasser le sang et pouvoir voir où elle devrait recoudre. Je la sentais tendue, et j'ajoutai :

- Je sais ce que vous allez vous dirre... Que mon histoirre est bien jolie, mais qu'elle ne rrépond pas à vos autrres questions.

- Je n'ai jamais... Commença-t-elle.

- Je vous comprrends, coupai-je. Vous vous demandez comment il est possible que je sache me battrre, et vous pensez que je vous ai menti. Il se trrouve qu'au Rrhûn d'où je suis orriginairre, je ne connais pas un enfant qui ne soit pas forrmé au maniement des arrmes dès son plus jeune âge. Nous apprrenons à nous défendrre, et nous savons tous manier l'épée... au cas où nous devrrions défendrre notrre rroyaume. Ce sont des choses qui ne s'oublient pas avec les années.

Elle ne savait plus où se mettre, et j'avais parfaitement atteint mon objectif. La faire culpabiliser suffisamment pour détourner son attention, avant de lui lancer une estocade fatale. Bien entendu, j'avais dit la vérité au sujet de ma famille, ce qui n'avait pas été aisé, mais au moins n'avais-je pas eu à simuler l'émotion qui s'était emparée de moi. Pour le reste, je n'avais eu qu'à exploiter la faille, afin de parfaire mon déguisement. Je n'avais dit que la vérité, j'avais simplement tronqué et choisi mes passages, tout en m'arrangeant pour la faire passer pour une personne à la curiosité malsaine doutant même de ma propre douleur. En se sentant coupable, elle en oubliait de chercher le mensonge, et elle ne reviendrait pas à la charge avant longtemps. Un coup de maître.

- Je suis désolée, Salem. Je suis désolée pour votre femme. Je...

- N'en parrlons plus, voulez-vous ?

- Bien sûr.

Elle se mordit la lèvre, sortit une aiguille et du fil pour commencer à recoudre les plaies qui nécessitaient un soin urgent, et s'attaqua à son travail. D'ordinaire, elle ne faisait pas particulièrement attention à ceux qui l'entouraient, et elle était bien le genre de femme à ne pas prendre de pincettes avec son patient, pour mieux le railler lorsqu'il montrerait des signes de souffrance. Mais avec moi, en cette étrange matinée où la vie semblait s'être arrêtée à Dur'Zork, alors qu'on célébrait ce qui n'aurait pas dû être fêté, elle mit une attention toute particulière à ne pas me faire de mal inutilement, tandis que ses pensées - je le voyais à ses yeux - étaient agitées, confuses. Elle avait l'impression - et c'était le but de la manœuvre - d'avoir eu faux sur toute la ligne, et elle cherchait maintenant à effacer du filtre de ses pensées toutes les considérations négatives qu'elle pouvait avoir à mon égard.

Si j'avais été quelqu'un de bien, je m'en serais peut-être voulu de ce que je lui faisais subir, et je me serais laissé attendrir par son joli minois plein de remords. Mais j'étais un fidèle serviteur du Trône de Rhûn. Rien n'était plus important.

#Agathe
Sujet: Letters From Harondor
Ryad Assad

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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Letters From Harondor    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 10 Juin 2014 - 11:37
Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! Agathe10

Il régnait une chaleur absolument étouffante dans le bureau, tranquille et paisible, où se tenait une silhouette solitaire penchée sur un bureau rempli de documents qui menaçaient de s'écrouler. Toutes les fenêtres étaient ouvertes, et il y avait un courant d'air perpétuel qui charriait malheureusement l'air chaud et lourd de l'extérieur, chargé de grains de sable et de poussière. Il était difficile d'imaginer, en regardant au dehors le désert gagner du terrain, que quelques mois avant des segments entiers de l'Harnen avaient été aperçus gelés, tant les températures étaient tombées. La hausse brutale des températures avait d'abord fait des ravis, mais elle coïncidait avec le retour des moustiques et des maladies qu'ils véhiculaient, ainsi que d'autres problèmes qu'il fallait gérer, comme la conservation de la nourriture, l'approvisionnement en eau, et la gestion des travailleurs incapables de reconstruire les maisons en temps et en heure par ce temps infernal.

La jeune femme qui se tenait au milieu des documents était en nage, et elle tirait régulièrement sur le col de sa robe pour se donner un peu d'air à l'aide de la feuille de papier qu'elle agitait machinalement à s'en briser le poignet. C'était la seule chose qui bougeait dans la pièce, à l'exception d'un pendule, et des feuilles empilées qui oscillaient doucement quand elles étaient caressées par un courant d'air paresseux. Silencieuse, la femme était concentrée sur la lecture de documents, et elle prenait des notes consciencieusement à côté, sur un document vierge qu'elle remplissait au fur et à mesure. En vérité, elle était en train de lire des comptes-rendus, contrairement à ce que tout le monde croyait. Car les piles de documents qui l'encadraient étaient en réalité des copies de rapports sans importance, livrés régulièrement pour entretenir l'illusion que ce bureau servait à gérer les menus problèmes de la capitale de l'ancien émirat du Harondor, désormais cité du Seigneur Pirate Taorin.

Et Agathe, qui était plongée dans ses notes, n'était pas la simple secrétaire du secrétaire-conseiller Salem, lui-même chargé de veiller au bon déroulement de la reconstruction de la cité. Il était chargé de centraliser les informations provenant des différents espions de Taorin, et elle était son assistante, fidèle au poste tandis qu'il était parti avec le Chien Borgne à Minas Tirith pour y participer à une fête donnée en l'honneur d'un mariage royal. Elle n'avait pas pu s'empêcher d'en rire quand elle l'avait entendu pour la première fois, et de toute évidence elle n'était pas la seule à trouver la situation cocasse. Les armées des pirates venaient de prendre la principale cité d'un allié du Gondor, et plutôt que de chercher à la reprendre, les hommes du Nord avaient décidé d'envoyer une invitation pour un mariage. On pouvait voir cela comme une volonté de ramener la paix dans la région, mais ici au Sud, on considérait plutôt qu'il s'agissait d'une marque de faiblesse, et la reconnaissance officielle de la victoire des pirates sur l'émirat.

Mais pendant que la politique et le faste du mariage attendaient Taorin, Salem et la délégation haradrim, il fallait bien quelqu'un pour gérer les affaires de l'Etat pirate, et Agathe avait été désignée par Salem pour lui succéder. Elle avait selon lui toutes les compétences requises pour accomplir cette mission, et il ne s'était pas caché pour dire combien elle avait été précieuse lors de la prise de la cité. En vérité, dans son souvenir, elle n'avait pas fait grand-chose. Elle avait tué un gardien en bas d'un pigeonnier, et contribué au même titre que plusieurs des Chiens à neutraliser les quelques gardes qui tenaient une porte éloignée des combats. Rien de bien extraordinaire, rien qui méritât des louanges. Mais Salem avait tenu à l'associer au succès de la mission, et à lui trouver une place à elle parmi l'administration pirate.

Elle ne le comprenait toujours pas, et à chaque instant, elle avait l'impression que le voile mystérieux qu'il tissait autour de lui s'épaississait, à mesure qu'elle tentait de le déchirer. Au début, elle ne l'avait vu que comme un vulgaire pirate, qui avait décidé de se payer une esclave pour s'offrir du bon temps. Mais il lui avait rendu sa liberté presque immédiatement, et même quand elle avait décidé de rester avec lui, il n'avait jamais essayé de la toucher, ce qui était à la fois heureux et perturbant. Elle n'avait jamais rencontré d'homme qui ne fût pas attiré par elle, et elle ne considérait pas être vaniteuse en disant cela. Seulement, elle était une esclave au tempérament un peu rebelle, et elle avait un beau visage. Tous les hommes, quel que fût leur raison, mouraient d'envie de la mettre dans leur lit, et en général seul l'argent les en empêchait. Mais lui, il l'avait à sa merci, et il n'en profitait pas. Etrange.

Plus elle le connaissait, plus elle le considérait comme un érudit éduqué, civilisé, qui n'avait de toute évidence rien à faire dans un groupe de pirates. Mais il paraissait également avoir une face obscure et mystérieuse, en plus d'une faculté d'adaptation hors du commun. Elle se surprenait toujours à penser qu'elle était la seule à remarquer son ascension fulgurante, et la facilité avec laquelle il était passé de simple servant à secrétaire-conseiller d'un des personnages les plus puissant du Harad. Elle n'osait en parler, de peur d'éveiller les soupçons sur celui qui, au final, demeurait tout de même son protecteur, mais il lui arrivait de perdre le fil de ses pensées, préoccupée par ce qu'elle ne comprenait pas parfaitement, à savoir les mobiles de Salem. Comme en cet instant, par exemple.

Maudissant ses pensées volages qui la ramenaient toujours vers cet homme énigmatique et mystérieux, qu'elle craignait pour une part, qu'elle admirait pour une autre, et qu'elle appréciait pour une troisième - bien qu'elle n'aurait jamais reconnu devant lui qu'il ne la dégoûtait pas -, elle revint à la lettre qu'elle était sur le point d'écrire, attrapa une feuille parfaitement blanche, et écrivit :

Citation :
Seigneur Ezhel,

J'espère que cette missive vous trouve en bonne santé, et que vous êtes parvenu à donner un nouveau souffle aux Chiens du Désert, comme vous projetiez de le faire dans votre dernier courrier.

Je vous écris afin de vous alerter des développements récents de la sécurité du territoire récemment conquis par nos troupes, rapportés par les espions déployés à nos frontières.

D'après nos informateurs, les troupes de l'émirat sont toujours stationnées à Djafa, qui fait désormais office de nouvelle capitale. Les cités du Nord du pays ont été reprises, et la voie vers le Gondor est de nouveau ouverte. Nous étions en mesure de prévoir cette reconquête, mais il apparaît désormais que des renforts venus du Nord peuvent rejoindre les forces de Radamanthe sans trouver d'opposition sur leur route. Les négociations entre les différentes parties actuellement rassemblées au mariage seront de fait décisives pour les mois à venir. Il faut espérer que le Seigneur Taorin parvienne à dissuader le Roi Méphisto de dépêcher un contingent pour soutenir l'émirat.

Il faut toutefois saluer les festivités organisées, et placées sous le signe de la paix, car elles permettent pour l'heure de garantir la paix, et de consolider notre présence sur le territoire. Les informations rapportent que nos troupes stationnent sans difficulté le long de la frontière, et ont acquis à leur cause le soutien d'une partie de la population locale. Les levées de soldats ont été limitées, et conformément aux ordres du Seigneur Taorin, des milices urbaines ont été constituées pour défendre les villes contre d'éventuelles tentatives harondorim de se réimplanter sur le territoire.

Le gros des troupes est encore basé à Dur'Zork, qui se reconstruit merveilleusement bien, et qui sera probablement le joyau du Sud une fois que les travaux auront été achevés. Malheureusement, la chaleur étouffante a considérablement ralentit les opérations, mais nous espérons pouvoir accélérer la cadence en mobilisant davantage d'esclaves. Les fortifications de la ville, pratiquement intactes à l'arrivée des troupes, ont été renforcées récemment afin de protéger l'accès au fleuve, et de garantir un approvisionnement constant en eau. Ces défenses demandent à être renforcées, naturellement, mais c'est un premier pas franchi.

En revanche, il demeure un point quelque peu inquiétant, concernant les incursions des hommes du Khand sur le territoire. Ce mois-ci, nous avons atteint le record de vingt-trois raids sur des villages proches de la frontière, et nous comptons près d'une soixantaine de victimes au total. Des émissaires ont été dépêchés pour ouvrir des négociations destinées à aboutir à un traité de paix, mais nous attendons toujours de leurs nouvelles, et en attendant les attaques continuent. Pour l'heure, nous avons préféré regrouper nos troupes plutôt que les disperser dans les villages frontaliers, afin de limiter nos pertes militaires, mais les Khandéens semblent toujours savoir où frapper pour éviter nos forces.

Plusieurs de nos espions ont tenté de s'infiltrer sur leur territoire pour obtenir des renseignements, comprendre la stratégie de nos ennemis, et surtout obtenir des informations susceptibles de faciliter d'éventuelles négociations. Sur les quatre hommes qui ont été dépêchés, trois n'ont plus donné signe de vie après deux semaines, et le dernier a été retrouvé criblé de flèches au milieu du désert par une de nos patrouilles qui l'a formellement identifié.

En l'état actuel de nos forces, nous sommes incapables de protéger efficacement notre frontière, et en l'absence du Seigneur Taorin, je vous invite à négocier auprès du Conseil des Pirates pour qu'il dépêche de nouvelles troupes pour nous aider à maintenir l'ordre dans la région, avant que ces incursions ne deviennent ingérables.

J'ai conscience que vous faites votre possible pour nous aider, et je vous remercie par avance de la considération que vous porterez à cette lettre.


La jeune femme laissa sa plume un instant en l'air, relisant ce qu'elle venait d'écrire avec des mots simples, car ce courrier était à classer dans la catégorie "personnelle" plutôt que dans la catégorie "officielle". Elle ne cherchait pas à flatter quelque Seigneur Pirate à cheval sur les titres, elle essayait plutôt de faire un rapport aussi précis que possible à un proche de Taorin qui devait bien comprendre la nécessité de défendre le territoire récemment conquis des ennemis qui le menaçaient de toutes parts. De plus, elle avait déjà eu l'occasion de s'entretenir avec Ezhel, et bien qu'elle n'appréciât pas sa brutalité et son air de tueur, elle devait reconnaître qu'il était efficace et qu'on pouvait lui faire confiance. En l'occurrence, c'était ce qu'elle cherchait, et elle n'avait aucun autre allié fiable à contacter.

Satisfaite de sa lettre, elle y adjoignit les formules d'usage, signa de ses initiales "AE", avant de plier la missive et de la sceller officiellement. C'était un courrier de première importance qui partirait à l'heure de midi attaché à la patte d'un pigeon voyageur, qui rallierait Umbar dans la nuit, au regard de la qualité des oiseaux sélectionnés. La jeune femme espérait obtenir une réponse le lendemain dans la journée, car les attaques des hommes du Khand étaient presque quotidiennes, et la réactivité était une donnée importante pour répondre à leurs agressions.

#Agathe
Sujet: Devenir Emir à la place de l'Emir
Ryad Assad

Réponses: 14
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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Devenir Emir à la place de l'Emir    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 20 Nov 2013 - 1:03
Ah... Dur'Zork...

Au fond, ce n'était pas une ville désagréable. Surtout quand on avait fréquenté les pirates d'Umbar, et leurs manières de débauchés. A côté d'eux, les pires rustres de Rhûn ressemblaient à des princes, des modèles d'éducation et de savoir-vivre. Et dire que c'étaient eux qui menaçaient actuellement la capitale du Harondor... c'était à n'y rien comprendre. La cité était bien fortifiée, d'après ce que j'avais pu observer en déambulant ici ou là. Les murs, épais et hauts, semblaient être capables de supporter les assauts de la marée humaine qui allait bientôt s'abattre sur eux, et il semblait presque déraisonnable, de là où je me trouvais, de continuer à soutenir Taorin envers et contre tout. Mais malheureusement, il semblait qu'il n'y avait pas de bon choix à faire en ces jours troublés. Soutenir un vulgaire pirate, borgne qui plus est, c'était une pure folie. Il osait attaquer la ville avec un assortiment chaotique de pirates ivres, d'esclaves malingres, de tribus du désert incontrôlables, et d'autres créatures ramassées au fond des caniveaux. Très honnêtement, je n'aurais jamais parié le moindre sou sur eux. Alors parier ma vie... je devais être totalement fou. Mais de l'autre côté, il y avait ces Occidentaux prétentieux, suffisants, imbus d'eux-mêmes. Ces êtres qui prétendaient pouvoir donner des leçons à tous ceux qui les entouraient, et qui entendaient régir la vie de leurs voisins contre leur volonté. Non pas que j'éprouvasse la moindre inimitié contre eux, non. C'était simplement que depuis tant de siècles, ils nous méprisaient et cherchaient à nous envahir que les miens en avions conçu une haine farouche, qui persistait malgré tout. Il fallait dire que les Gondorien, les Rohirrim et autres peuplades sauvages ne faisaient rien pour casser cette image détestable. Lorsqu'ils avaient attaqué le Khand - où je me trouvais en mission à l'époque -, j'avais eu l'occasion d'entendre parler de leurs faits d'armes. Ils avaient assiégé Assabia, guère plus qu'un village, à peine un point sur une carte, et ils avaient trouvé le moyen d'échouer dans leur entreprise. C'était la première fois que j'avais éprouvé une certaine admiration - très mesurée et très éphémère - pour les gens du Khand.

Maintenant que je les voyais de près, ils m'apparaissaient encore plus pathétiques que je le croyais. Après un temps interminable, l'état d'alerte avait finalement été déclaré dans la cité. Pas officiellement, tout du moins, mais les contrôles aux portes étaient beaucoup plus stricts, les patrouilles avaient été doublées dans les rues, et il semblait qu'une sorte de frénésie paranoïaque s'était emparée des officiers de la garde - ils n'étaient déjà pas très sereins en temps normal, alors inutile de préciser que les choses ne s'arrangeaient pas. On aurait dit que la cité était en ébullition, comme si la menace était bien réelle... Si Radamanthe avait eu des espions dignes de ce nom, il se serait contenté de rassembler une armée, et de marcher droit sur l'armée coalisée. Avec une bonne attaque surprise, une charge de cavalerie sur les arrières de cette formation hétéroclite, il aurait probablement réussi à causer une panique suffisante pour les forcer à battre en retraite. Une frappe d'une précision chirurgicale, avec un minimum de pertes. Mais les Occidentaux étaient couards, et se réfugiaient trop facilement derrière la solidité - supposée - de leurs remparts. Ils croyaient dans la supériorité de leur architecture, plutôt que dans la supériorité de leurs bras. En même temps, il fallait dire qu'ils n'avaient pas de quoi se rengorger de ce côté-là. Quand je voyais leurs hommes patrouiller, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'ils avaient la préciosité d'une bande de courtisanes, mais avec un physique hypertrophié, un visage déformé par l'imbécilité, et une conversation que seul un mouton pouvait soutenir sans s'endormir.

Ces quelques considérations objectives mises à part, il fallait dire que les choses s'organisaient toutefois de manière relativement - relativement ! - intelligente. Radamanthe avait dû distribuer des ordres, et de toute évidence, ils étaient appliqués à la lettre. Les armes étaient emmenées aux forges pour y être affûtées, les commandes de flèches avaient augmenté... en flèche - hum hum -, et tous les corps de métier étaient sollicités pour participer à l'effort de guerre. On faisait rentrer autant de marchandises que possible, et le rationnement commençait à se mettre en place. Plus question de jeter la moindre denrée qui pouvait encore servir. A Melkor les chiens errants et les enfants des rues : les restes étaient donnés aux soldats, aux bataillons qui s'entraînaient quotidiennement, et tiraient inlassablement sur des cibles de paille, comme si cela allait leur sauver la vie le moment venu. Pathétique. Les patrouilles étaient de plus en plus vigilantes, et les guetteurs semblaient ne pas quitter l'horizon des yeux, comme s'ils s'attendaient à tout moment à voir apparaître des voiles noires sur le fleuve, ou bien les silhouettes de milliers d'hommes piétinant le sable autour de la cité.

Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! Agathe10

- A quoi pensez-vous ? Me demanda Agathe. Vous avez l'air distrait.

- Distrrait vous dites ? J'étais simplement en trrain de rréfléchirr...

Elle fronça les sourcils :

- Et à quoi donc, si ce n'est pas trop vous demander ?

Je me permis un sourire discret, et me levai du banc sur lequel nous étions assis. Nous avions décidé de nous installer non loin de la muraille et de la porte principale, pour pouvoir l'observer sans attirer l'attention. Elle m'imita sans attendre, mais sa gestuelle trahissait l'impatience qu'elle éprouvait à recevoir la réponse :

- A l'avenirr, Agathe... A l'avenirr...

Elle ne répondit pas. Quelle réponse pouvait-on apporter, de toute façon ? Cela faisait plusieurs jours que je n'avais plus de nouvelles de Taorin, qui devait être très concentré sur la préparation, et la mise en marche de son armée. A Dur'Zork, même si on essayait de rassurer la population, des rumeurs circulaient de manière insistante. On racontait que des navires pirates avaient été aperçus au large des côtes du Harondor, remontant vers le Nord. C'était précisément le genre d'informations qui m'incitaient à penser que le moment d'agir était proche. Très bientôt, sans nul doute, la cité de Radamanthe fermerait ses portes, et se préparerait à résister au siège imposé par les forces d'Umbar. J'avais vu certains des Chiens de Taorin infiltrés dans la ville, et tous m'avaient demandé quand et comment ils devraient agir. Si j'avais su répondre à la seconde question avec grande précision, je m'étais montré  bien plus énigmatique quant à la première. Je leur avais simplement répondu qu'ils sauraient pertinemment quand le moment serait venu.

Je ne voulais pas leur communiquer un moment particulier, car c'était un risque bien trop important à prendre. Il n'y avait rien de plus dangereux que des unités autonomes, capables d'agir à n'importe quel moment. J'avais beau mépriser les espions du Harondor, il valait mieux rester prudent - la malchance pouvait frapper n'importe qui -, et puisque les Chiens n'étaient pas familiers des opérations de sabotage et d'espionnage, je préférais ne pas risquer de ruiner leur couverture. En outre, nous n'étions pas assez nombreux pour faire beaucoup de dégâts aux troupes de Radamanthe. Tout au plus pouvions-nous espérer assassiner un capitaine, un commandant si nous étions très chanceux. Nous pouvions éventuellement empoisonner une dizaine d'hommes, mais ce ne serait guère suffisant. Non. Notre principale tâche serait de semer la zizanie dans les rangs, par des actions d'éclat. Nul besoin, donc, d'agir simultanément. Au contraire ! Le premier qui se lancerait à l'action attirerait immanquablement l'attention sur lui. Les autres réagiraient forcément en conséquence. Des actions de sabotage menées à des moments différents avaient l'avantage de faire monter la pression, de créer un vent de panique. Si chaque individu de la cité devenait une menace potentielle, si l'ennemi ne se bornait plus à ceux qui se trouvaient face aux remparts de la cité, alors il serait plus aisé pour Taorin de prendre le contrôle de la cité.

- L'avenir... Je l'imagine sombre...

Je levai la tête vers les nuages qui s'amoncelaient dans le ciel. Dans l'absolu, il faisait encore relativement bon, mais en comparaison des températures caniculaires que supportaient habituellement les gens du coin, on pouvait dire que le temps avait nettement fraîchi. La faute à cet hiver interminable, que j'aurais préféré voir s'étendre au loin. Sûrement qu'ailleurs, il se manifestait par des chutes de neige, ou des pluies torrentielles. Mais ici, c'étaient simplement de gros nuages d'un noir inquiétant, qui paraissaient raccourcir les journées, et happer jusqu'au dernier rayon de soleil dans leur immense carcasse cotonneuse. De tels béhémoths - c'est une sorte de monstre, dans un livre très ancien que j'ai lu il y a longtemps - étaient de très mauvaise augure, et il n'était pas besoin d'être chaman ou devin pour comprendre que les temps étaient en train de changer. L'hiver s'étendait au-delà du raisonnable, les mers et les vents semblaient déchaînés par la colère de Melkor, et les germes de la guerre bourgeonnaient - à défaut de pouvoir dire éclore - aux quatre coins de la Terre du Milieu. Avec tous ces changements, il était donc envisageable de penser que la horde de pirates de Taorin avait une chance, après tout. Et cela, tenez-vous le pour dit, n'est pas un signe encourageant...

- Sombrre, c'est le mot... Rrentrrons nous mettrre au chaud, voulez-vous ? Le temps est à l'orrage...

#Ryad #Agathe
Sujet: L'essentiel en enfer est de survivre
Ryad Assad

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Rechercher dans: Dur'Zork   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'essentiel en enfer est de survivre    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 20 Jan 2013 - 16:00
Suite de L'âme sûre ruse mal
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J'avais toujours eu une certaine réticence à me déguiser pour tromper l'ennemi, mais il fallait reconnaître que cela marchait plutôt bien, car celui-ci n'était pas habitué à affronter des gens insaisissables. La plupart des espions de l'Ouest se promenaient vêtus de tenues sombres, la mine patibulaire, avec un air coupable qui les trahissait à des lieues à la ronde. Ils ne se comportaient pas si différemment des assassins qu'on pouvait envoyer pour tuer un vulgaire paysan dans une auberge, même si certains étaient assez doués pour jouer la comédie et ne pas se faire prendre. Mais ces espions de bas étage étaient une véritable insulte à la profession, et je n'avais guère de pitié pour des gens si peu qualifiés. Depuis le début de notre périple, à Agathe et à moi, j'avais déjà eu l'occasion d'en réduire deux au silence. Le premier sur la route, le second à Al'Tyr. J'étais persuadé que les Ombres qui contrôlaient la ville étoufferaient l'affaire, et quand bien même, cela ne me dérangeait pas. C'était là le privilège de ceux qui agissaient déguisés. Tuer en toute impunité et repartir comme si de rien n'était, vers un autre endroit où ils allaient accomplir la même tâche.

Agathe avait déposé la lettre que je lui avais confiée sans aucun problème, et elle m'avait même expliqué en détail comment elle avait surveillé les alentours de manière discrète, pour s'assurer que personne ne la suivait, et que personne ne risquait d'intercepter le Chien une fois le mot remis. Cela m'avait quelque peu impressionné. Pour une novice, elle avait de bonnes intuitions, et de la suite dans les idées. Le seul problème était qu'elle avait tendance à prendre cela comme un jeu. Nous étions pour l'heure à Al'Tyr, une ville qui était acquise à la cause de Taorin, ce qui pouvait expliquer que tout fût facile. Jouer à l'espion, regarder de droite et de gauche d'une manière furtive avait de quoi exciter, mais le danger n'était pas omniprésent. A Dur'Zork, les choses seraient différentes, et il faudrait composer avec la garde qui risquait d'être attentive, les espions chargés par Radamanthe de traquer ceux qui essayaient de s'infiltrer dans sa ville, ainsi que tous les citoyens paniqués prompts à lancer des accusations sur les étrangers. De quoi se retrouver pendu avant d'avoir eu le temps de poser ses bagages. Assez désagréable.

Après la soirée passée dans la taverne, Agathe et moi avions retrouvé notre petite auberge, dans laquelle nous avions passé une nuit des plus reposantes, pour attaquer la dure journée du lendemain qui consisterait principalement à reprendre la route. Aux premières heures du matin, nous avions gagné la porte de la ville qui ouvrait sur la route du Nord, et avions attendu une caravane ou un convoi qui nous permettrait de nous fondre dans la masse. J'avais entre temps troqué mon costume de marchand contre une vieille cape de voyage, et passé une perruque et une barbe qui me faisaient ressembler à un vieillard. J'avais même le bâton qui allait avec. La touche finale qui faisait toute la différence. Je prenais un grand soin à marcher lentement et d'un pas mal assuré, ce qui avait le don d'exaspérer Agathe, désormais habituée à mon rythme habituel.

- Ne pouvez-vous pas avancer plus vite ? M'avait-elle lancé sur un ton un peu acerbe.

Jouant le jeu à fond, je répondis d'une voix vieillie et fatiguée :

- Hmm...

Elle soupira, et passa son bras sous le mien pour me soutenir et me tirer. Celle-là devait avoir une notion très particulière de l'aide aux anciens, non mais ! Cependant, je ne me démontai pas, et continuai à incarner mon vieillard irascible et fatigué. Nous arrivâmes enfin aux portes, ou des caravanes attendaient de pouvoir partir. Agathe me demanda de rester sans bouger, et fila demander à quelques personnes si elles ne pouvaient pas nous accompagner. Pour faire bonne mesure, je me forçai à prendre une respiration sifflante, et à sembler épuisé. Je ne doutai pas qu'avec son talent de persuasion et mon air pathétique, quelqu'un finît par accepter notre présence. Et encore une fois, je pus me targuer d'avoir eu raison sur toute la ligne. Quelques minutes plus tard, j'étais installé sur un chariot, bien calé sur des sacs d'or qui voyageaient en direction de Dur'Zork pour y acheter du grain. En plus de ça, nous étions escortés par une trentaine de soldats Gondoriens qui me semblaient être des types loyaux et prêts à se battre jusqu'au bout. Il me fallut un effort de volonté pour ne pas éclater de rire. Voyager jusqu'à la capitale sur le chariot des impôts qui arrivaient à Radamanthe. Quel culot, cette fille !

Le voyage avait été assez rapide, et surtout très confortable. Nous avions voyagé selon une trajectoire assez particulière, sans passer par Djafa où nous aurions très probablement attiré l'attention. L'or devait gagner la capitale rapidement, et nous fûmes rejoints en route par d'autres soldats qui vinrent renforcer le contingent déjà conséquent qui nous escortait. De mon côté, je jouais parfaitement mon rôle. Le vieillard sénile dans la peau duquel je m'étais glissé était dur d'oreille, ce qui me permettait de me tenir non loin dans gardes sans qu'ils s'inquiétassent de savoir si oui ou non j'allais comprendre quelque chose. Agathe avait en outre laissé entendre que je ne parlais pas bien le westron, ce qui m'arrangeait. Elle avait trouvé à expliquer sa présence en déclarant qu'elle était la fiancée de mon fils, soldat à Dur'Zork, et qu'elle avait souhaité faire le voyage pour me ramener jusque là-bas pour célébrer leurs noces. Pas mal trouvé.

J'avais rarement effectué un tel trajet aussi rapidement et sans jamais avoir à m'inquiéter de ce qui pouvait survenir. Très honnêtement, il aurait fallu être fou pour attaquer un tel convoi, et même soixante ou soixante-dix bandits auraient été en peine de gagner contre tous ces soldats. Ce fut ainsi que nous gagnâmes Dur'Zork en toute tranquillité, franchissant ses murailles sans avoir à subir le contrôle drastique des autorités locales. J'avais bien conscience que le joli minois d'Agathe n'était pas étranger à cette affaire, mais si elle pouvait me servir de passe-partout, je ne pouvais qu'en être ravi. Le chef de cette expédition nous abandonna aux portes, et nous conseilla une auberge non loin, dans laquelle, dit-il, "nous serions traités comme des rois". Ma compagne lui assura cependant qu'elle devait rejoindre son fiancé pour achever les préparatifs, et qu'elle avait beaucoup à faire. Je pus lire une pointe de regret dans les yeux du soldat, qui me tira un sourire amusé. Il devait se dire qu'il n'avait pas de chance...S'il savait à quel point !

Dans tous les cas, nous étions dans la place, introduits dans les lieux dans la plus grande discrétion, ce qui n'était pas pour me déplaire. Nous nous mîmes en quête d'un lieu où passer la nuit, de préférence dans un endroit calme et à l'écart de la foule et des lieux de pouvoir. Un endroit où nous pourrions passer inaperçu. Tandis que nous marchions - très lentement, grâce à mes efforts - à travers les rues, je tendis l'oreille et ouvrit l'œil pour être sûr que nous n'étions pas filés. Fort heureusement, je ne remarquai personne. Cela pouvait signifier qu'il n'y avait personne derrière nous, ou bien que celui qui me suivait était du genre très bon. Mais cette dernière éventualité était la plus improbable. Tous les bons espions devaient être occupés à surveiller les frontières, à recueillir des informations sur les mouvements d'Umbar, et à essayer de dresser un portrait fidèle de la situation. L'Emir devait faire confiance à son armée pour assurer la sécurité des lieux. A quoi aurait-il servi de garder ses meilleurs hommes à l'intérieur de ses murs, surtout qu'en face, ce n'étaient que de vulgaires pirates. S'il les sous-estimait comme je les méprisais, alors il avait probablement envoyé tout ce qu'il avait pour les surveiller, laissant sa ville à la merci de gens comme moi.

Nous trouvâmes finalement une auberge où nous décidâmes de passer la nuit, mais nous passâmes devant sans nous arrêter. J'avais tiré le bras d'Agathe pour l'inciter à continuer. Maintenant que nous étions dans la place, j'avais besoin de ma liberté de mouvement, et surtout de retrouver mon apparence habituelle. Marcher voûté avait de quoi user prématurément, et je préférais de loin me promener avec une épée au côté qu'avec un simple bâton...même si je pouvais être redoutable avec cette seule défense. A l'abri d'une petite ruelle qui se trouvait un peu plus loin, j'exécutai mon numéro de transformiste tandis qu'Agathe surveillait les alentours. En deux minutes à peine, j'avais retrouvé l'apparence de Salem, rangé mes affaires dans mon sac, prêt à retourner à l'auberge.

L'endroit était modeste et peu peuplé, mais il semblait propre. Je laissai Agathe nous réserver une chambre, tandis que je mémorisais intérieurement la configuration des lieux. Il était important de bien connaître cet endroit, car il constituerait notre point de chute, et si d'aventure nous étions démasqués, il y avait de fortes chances pour que nous soyons obligés de fuir d'ici avec la garde aux trousses. Connaître les issues était primordial si l'on voulait se donner de bonnes chances de survivre. Agathe revint à mes côtés rapidement, avec une petite clé dorée, et une moue désolée sur le visage. Lorsque je l'interrogeai du regard à ce sujet elle répondit :

- La chambre avec deux lits coûtait trop cher, donc j'ai été obligée de prendre un lit double.

Je haussai un sourcil :

- Et ?

Elle me regarda, visiblement chiffonnée :

- Vous êtes vraiment un crétin !

Et elle s'élança dans l'escalier d'un pas décidé, la mine boudeuse. Je la suivis, perplexe, cherchant à comprendre ce que j'avais bien pu dire pour l'énerver à ce point. Me résignant à la laisser piquer sa petite crise tant que ça lui plairait, je décidai d'éluder le problème. Nous avions des affaires plus urgentes à régler. Comme par exemple nous repérer dans la ville, prendre contact avec les Chiens que j'avais envoyés avant nous, et essayer de déterminer un plan pour recueillir des informations à Radamanthe. Il fallait également que je trouve comment communiquer discrètement et sûrement avec Taorin, sans éveiller les soupçons. Faire confiance à quelqu'un pour acheminer les informations ? Cela augmentait le risque d'interception, et présenterait un inconvénient majeur quand la guerre serait déclarée, et que les allées et venues seraient surveillées de manière très stricte. Non, il nous fallait autre chose. Les pigeons ? Banal mais efficace. Cela aurait en outre le mérite d'être rapide. Mais pas question de les envoyer directement à Umbar, non. Autant peindre directement "Espion" sur mon front et aller danser l'estampie au milieu de la caserne. Non. Par contre, Al'Tyr pouvait constituer un relais intéressant pour l'instant. Et lorsque les armées de Taorin y parviendraient, ce serait encore mieux. Oui.  C'était pour l'heure la meilleure solution.

Absorbé par ces pensées qui requéraient tout de même une bonne dose de concentration, je lâchai un "hmm ?" interrogateur en me tournant vers Agathe qui m'avait adressé la parole. Je n'avais tout bonnement pas écouté, et je ne voyais pas ce que cela avait d'insultant, mais ses sourcils se froncèrent instantanément comme si je lui avais demandé d'aller se faire voir ailleurs. Forcément, elle répondit avec passion :

- Arrêtez de faire "hmm" comme ça ! J'en ai déjà assez soupé de vos manières de vieillard pendant le trajet, alors faites-moi au moins grâce de cela quand nous sommes seuls.

Ce fut à mon tour de froncer les sourcils. Il y avait quelque chose qu'elle ne comprenait pas encore, et qu'il était de mon devoir de lui expliquer, sans quoi aucun de nous ne risquait de survivre à nos premiers jours ici :

- Mais qui vous dit que nous sommes seuls ? Je vous rrappelle que nous ne jouons pas à quelque comédie, Agathe. Rressaisissez-vous si vous ne voulez pas que nous finissions dans les ennuis jusqu'au cou. Et surrveillez votrre langue. Je sais que cela peut sembler alarrmiste, mais n'oubliez pas qu'ici, perrsonne ne nous ferra de cadeaux. Et maintenant, si vous aviez quelque chose à me dirre, dites-le sans détourr, point final.

Elle accusa le coup de mes paroles, et avait visiblement envie de répondre quelque chose, mais elle savait que j'avais visé juste, et qu'elle ne trouverait pas d'arguments pour me contrer sans aller dans une surenchère puérile et inutile. Cependant, même si elle s'avouait pour l'instant vaincue, son visage n'affichait rien d'autre qu'une colère bouillonnante qui menaçait de déborder les limites de sa politesse et de son contrôle. Elle serra les poings et la mâchoire, avant de lâcher :

- Je vous disais simplement que l'aubergiste nous avait préparé un bain. C'est tout.

Ce fut à moi de me retrouver bête. Nous en étions arrivés là pour une simple histoire de bain ? Décidément, nous frisions le ridicule. Si nous étions en ce moment-même en train d'être espionnés par un des hommes de Radamanthe, celui-ci aurait soit quitté son poste pour aller informer son maître que ceux qu'il suivaient n'étaient en réalité pas une menace, puisqu'ils se chamaillaient pour des broutilles, à moins qu'il ne fût tombé du promontoire par lequel il nous observait à force d'avoir trop ri. Dans l'une comme dans l'autre des hypothèses, je me sentais humilié. Pourquoi fallait-il toujours que nous en arrivions là avec cette femme ? Elle tourna les talons, et s'apprêta à sortir. Ce fut alors que je remarquai qu'elle tenait une serviette et des vêtements propres entre ses mains. Peut-être que si j'avais prêté un peu plus attention à elle, j'aurais pu les voir, et comprendre où elle voulait en venir. Mais ce qui était fait était fait. Alors qu'elle avait la main sur la poignée, je lançai distraitement :

- Voulez-vous aller manger en ville, ce soirr ?

Elle se figea un instant.

- Crétin.

Et elle sortit. Au moins, j'avais essayé.

#Ryad #Agathe
Sujet: L'âme sûre ruse mal
Ryad Assad

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Rechercher dans: Al'Tyr   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'âme sûre ruse mal    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 11 Jan 2013 - 2:24
Ah...Al'Tyr...Enfin nous y étions.

Il nous avait fallu traverser quelques turbulences, mais globalement nous avions réussi à éviter le plus gros du danger. Enfin...Il avait fallu faire usage d'un peu de persuasion auprès des émissaires de Radamanthe, qui s'étaient montrés peut-être un peu trop zélés. De pathétiques techniques d'assassinat fonctionnaient certes bien contre des mercenaires - et encore... - mais contre un espion entraîné, ils passaient carrément pour des amateurs. Enfin... Je m'étais réveillé avant Agathe, ce qui m'avait permis de nettoyer un peu la saleté. Lorsqu'elle avait émergé, elle n'avait proprement rien remarqué, sinon l'absence de notre ami...et la présence de son cheval. Je lui avais sorti une excuse pathétique en lui disant que Tolvir était parti à pied, et qu'il nous avait gracieusement laissé sa monture. Elle m'avait regardé comme si je lui sortais une mauvaise histoire, mais que pouvait-elle prouver ? Le corps dudit gars devait flotter dans la rivière dans laquelle je m'étais abreuvée, et vu la vitesse à laquelle il était parti, il devait être loin maintenant. Et nous, nous avions un cheval. Quelle aubaine ! Elle m'avait harcelé de questions, mais je lui avais resservi la même soupe encore et encore, à tel point qu'elle avait fini par se taire. Guère convaincue, mais dans l'impossibilité de se faire une idée.

Nous avions ensuite fait halte à Djahar'Mok, où nous avions vendu le cheval et acheté des provisions avec l'argent gagné. J'avais fait en sorte qu'Agathe portât en permanence un tissu cachant ses cheveux et son visage, et une fois en ville, je l'avais consignée à sa chambre d'auberge, de sorte à pouvoir traiter sans risque mes propres affaires. Officiellement, c'était pour des raisons de sécurité, car je ne voulais pas que nous empruntions la même identité pour traverser jusqu'à Al'Tyr. J'avais fait semblant d'aller acheter des vêtements pour nous déguiser, tandis qu'en réalité, je déposais un message à l'attention de mon contact :

Citation :
Flamme marche et déteste la tête. On veut éteindre le feu mais pas d'eau et la bourse est vide. Pas de grand soleil. Le vent souffle doucement en tête. Le voyageur sera le prochain brûlé.


J'avais très attentivement surveillé nos arrières, pour voir si je n'étais pas suivis, mais il ne semblait y avoir personne à mes trousses, fort heureusement. J'avais déposé mon courrier là où je savais que mon contact allait le retrouver, et entreprit de me changer à l'abri d'une ruelle, dans le renfoncement d'une porte. C'était un exercice toujours très périlleux, car il fallait que le costume fût crédible tout en n'attirant pas trop l'attention. J'avais acheté des vêtements de qualité, même si cela avait encore entamé mon budget, pour incarner un homme d'un certain rang. Non pas un marchand opulent, mais plutôt une sorte de noble en manque d'argent. Cela expliquerait mon air hautain, et justifierait ma piètre richesse. Fort bien. Je m'ajoutai des cheveux, ainsi qu'une barbe postiche, et une fois satisfait du rendu que le miroir miniature que j'emportais partout me donna, je me lançai dans les rues en quête d'Agathe.

Elle avait - pour une fois - écouté mes conseils, et était restée sagement assise à ne rien faire, ou plutôt à pester après moi, très probablement. Je ne vins pas frapper à sa porte, pour ne pas attirer l'attention de l'aubergiste qui m'aurait peut-être reconnu. Au lieu de quoi, j'allai délicatement frapper à sa fenêtre, à l'aide d'une pierre de belle taille. Elle rebondit sur la vitre sans la briser, fort heureusement, et quelques secondes plus tard, sa silhouette apparut. Elle ouvrit et se pencha sur le balcon. Sans savoir d'où me venaient ces mots, je lançai :

- Quelle lumièrre jaillit par cette fenêtrre ?

Elle haussa un sourcil interloqué :

- Pardon ?

- C'est du théâtrre...Enfin, je crrois...Descendez vite !

Cette fois, ce furent ses deux sourcils qui se haussèrent simultanément, comme sous le coup de la surprise et de la compréhension subite d'une chose qui jusqu'alors lui était demeurée cachée :

- Salem ?

- Descendez vous dis-je !

Elle referma le battant, et s'empressa de ramasser nos maigres possessions. Deux minutes plus tard, elle se tenait en bas à mes côtés, les bras écartés et la mine à la fois surprise et ravie. Un grand sourire étirait ses lèvres, mi-moqueur mi-admiratif. Je ne savais quelle moitié m'effrayait ou me dérangeait le plus.

- Salem ! Cela vous va si bien ! Pourquoi ne pas vous habiller comme ça plus souvent ?

Je l'invitai au silence d'un geste du doigt, et l'entraînai avec moi en direction des quais. Nous devions prendre la mer rapidement, pour gagner Al'Tyr tout aussi rapidement. Le delta de l'Harnen ne poserait pas de problèmes, mais je préférais éviter de traîner dans une ville où pouvaient traîner des hommes de Radamanthe. Se battre dans cette tenue serait inconvenant. Décidément, je collais bien à mon personnage. Je marchai d'un bon pas pour simuler un empressement qui n'était pas aussi feint que je voulais bien le croire, car j'avais un mauvais pressentiment quant à cette ville. S'attarder par trop longtemps ne nous apporterait rien de bon. Nous filâmes prestement, et arrivâmes bientôt à proximité de l'eau. Peu de navires, contrairement à Umbar, mais beaucoup de petites barges qui effectuaient la traversée en quelques heures à peine. Formidable, il n'était pas encore midi. Déjeuner à bord, débarquement en début d'après-midi, puis nous aurions tout le temps de poser nos valises et d'organiser la suite du périple, après avoir profité d'un repos bien mérité. J'expliquai rapidement ce plan à Agathe, qui sembla ravie de la tournure que prenaient les évènements. Surtout la petite escapade sur l'eau, qui semblait l'enchanter. Avait-elle guéri son mal de mer, depuis la dernière fois ? J'allais bientôt le savoir.

Nous arrivâmes devant les docks, et j'étais sur le point d'expliquer à Agathe que j'allais devoir simuler un mutisme pour ne pas me trahir à cause de mon accent, quand un homme trop joyeux et trop dynamique pour être honnête nous accosta, avec un enthousiasme exubérant qui avait le don de m'irriter. Mais je n'avais pas eu le temps de mettre au point un code avec Agathe, aussi espérai-je qu'elle allait débloquer la situation à ma place :

- Mademoiselle pleine de charme, et monseigneur plein d'élégance, laissez-moi me présenter je suis Mosi, batelier de son état, et je suis prêt à vous emmener jusqu'à Al'Tyr si vous le souhaitez pour la modique somme de cinquante pièces, rien que cela. Je vous garantis confort et intimité sur ma barge, certes petite, mais adaptée pour ceux qui ne désirent pas être dérangés. Mes seigneurs, si la traversée vous intéresse, acceptez sans hésiter, vous ne trouverez pas une meilleure opportunité dans tout Djahar'Mok, je vous le garantis !

Il parlait beaucoup, il parlait fort, et il avait un sourire absolument insupportable sur le visage. Enfin, je ne pouvais pas dire grand-chose, car j'avais affiché le même sur mon visage, en relevant même les sourcils, feignant un air intéressé. J'étais tellement sceptique par rapport à son manège que j'étais surpris qu'il ne vît pas que je n'en pouvais plus. Cependant, cantonné que j'étais à mon rôle de muet, je me tournai vers Agathe avec un regard qui signifiait "passons notre chemin, ce type me paraît louche". Mais le batelier devait l'interpréter comme : "qu'en penses-tu, il me semble bien ce garçon ?". J'eus la désagréable surprise de constater qu'Agathe semblait comprendre "prenons-le, il a l'air parfait !". Elle afficha une moue interloquée en voyant que je ne répondais pas, mais parut croire que je lui laissais pour cette fois l'occasion de décider. Avec un sourire de gamine satisfaite, elle déclara :

- Mosi, nous acceptons votre offre ! Nous souhaiterions partir au plus tôt.

J'ignore comment ils firent pour ne pas voir mon exaspération. J'avais l'impression de vivre dans un cauchemar où personne ne peut vous voir, où vous êtes seul. Quelle plaie !

- Nous pouvons partir dans la seconde, gente dame. Puis-je prendre vos bagages ?

Je lui tendis sans grande conviction nos sacs, et adressai un regard contrarié mais résigné à Agathe. Elle me regarda avec une pointe interrogation, comme si elle voulait dire "quoi ? J'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?". Bien entendu qu'elle avait fait quelque chose qui n'allait pas ! Outre le fait de dépenser allègrement mon argent, alors que nous aurions pu voyager sur une barge deux fois moins chère, elle avait confié notre sort au plus loquace et au plus insupportable des commerçants. Comment faisais-je pour ne pas exploser ?

Nous embarquâmes rapidement, sur un rafiot qui à défaut d'être grand semblait propre et en bon état. C'était au moins ça. Le capitaine - et le simple fait de l'appeler ainsi après avoir côtoyé les Seigneurs Pirates d'Umbar était une preuve des efforts que je devais fournir pour être sympathique - nous fit faire le tour du propriétaire, ce qui ne nous prit guère de temps. Nous avions à notre disposition une cabine confortable, dans laquelle nous avions le droit de nous reposer à notre guise, à moins que nous préférions circuler sur le pont pour profiter de l'air frais. J'avais levé le nez et regardé les nuages noirs qui s'amoncelaient dans le ciel avec un scepticisme à peine dissimulé. Agathe m'avait pris par le bras, et m'avait enjoint à ne pas faire d'histoires. Elle avait un don pour voir les choses du bon côté, elle. Toujours sans un mot, je pénétrai dans la petite cabine, alors qu'une fine pluie commençait à tomber. Le batelier nous salua de la main en nous souhaitant de profiter du voyage. J'étais heureux qu'il ne traînât pas dans nos pattes, et qu'il fût trop occupé à piloter son engin pour venir nous déranger.

Agathe était comme une princesse ravie, s'attardant sur les moindre détails, savourant même le confort que procurait l'unique lit qui se trouvait dans la cabine. L'unique lit ? Je soupirai perceptiblement, et l'ancienne esclave se tourna vers moi, comme peinée par mon manque d'enthousiasme.

- Qu'y a-t-il Salem ? Vous semblez irrité depuis tout à l'heure. Et même cette barbe et cette perruque ne cachent pas votre air de cochon grognon.

- Je prréférrais encorre quand vous m'appeliez maîtrre.

Elle haussa les épaules, éludant de ce simple geste tout ce que j'avais pu mettre comme méchanceté dans ma remarque, faisant par là même retomber ma colère. Elle avait le don de me rendre ridicule quand elle le voulait, et de désarmer chacune de mes estocades, pour peu qu'elles fussent peu sérieuses. Revenant à des considérations moins conflictuelles, elle désigna le lit du menton :

- Il n'y a qu'un seul lit, vous aviez remarqué ? Quel côté voulez-vous prendre ?

Ce fut à mon tour de hausser les épaules, ce que je fis sans me faire prier. Et ce n'était pas pour lui signifier que j'étais indifférent à sa question, mais bien pour lui démontrer qu'elle n'avait pas lieu d'être :

- Le voyage n'est pas long. Je dorrmirrai parr terre.

- Allons, Salem, ne soyez pas aussi grincheux. Il y a assez de place pour deux, et je ne mords pas.

Je fronçai les sourcils. Pourquoi insistait-elle autant ?

- Je serrai très bien surr le sol, Agathe.

Elle éclata d'un rire bref, et revint à notre conversation :

- Allons bon, on dirait que je vous dégoûte au point que vous ne puissiez supporter une telle proximité. Ne me trouvez-vous pas attirante ?

Je faillis répondre, mais je ne sus quelle posture adopter. Lui dire qu'elle n'était pas attirante était un mensonge éhonté, qui aurait eu le don de la blesser et de la fâcher contre moi. Son comportement aurait pu en être bouleversé, et pour le bien de ma mission, il fallait que nous restassions en bons termes. Mais d'un autre côté, lui dire qu'elle était attirante, ou plutôt que je la trouvais attirante pouvait avoir des conséquences encore plus dramatiques sur la suite des évènements. Je choisis de ne rien dire, ce qui était peut-être pire pour elle sur le moment, car son imagination allait tourner à plein régime, mais au moins elle resterait dans le flou. C'était l'essentiel. Devant mon absence de réponse, elles 'empourpra. Je discernai dans ses yeux une confusion plus grande encore que je l'avais escompté, ce qui eut pour effet de me perturber.

- Pardonnez-moi, Salem. Je n'aurais pas dû vous demander ça. C'était déplacé.

Je levai la main pour l'apaiser, et répondit :

- Ne vous en voulez pas. Et puisqu'il faut que je prrenne un morrceau de ce lit pourr vous prrouver que vous ne me dégoûtez pas, je choisis la drroite.

Elle me lança un petit sourire presque d'excuse, mais n'ajouta mot. C'était probablement mieux ainsi. Je fis une sieste qui me parut fort agréable, car le lit était somme toute assez confortable. Cela changeait de la route que nous avions arpentée des jours durant, et les choses risquaient de se compliquer encore par la suite. Le capitaine vint toquer à notre porte, nous réveillant en douceur, pour nous annoncer à travers l'huis que nous étions à proximité des côtes, et qu'il fallait nous préparer pour le débarquement. Je me levai rapidement, et vérifiai mon maquillage dans un miroir proche. Après quelques menus ajustements plus esthétiques qu'autre chose, je m'estimai prêt à sortir. Agathe avait remis de l'ordre dans sa chevelure, et s'était étirée longuement, avant de hisser le sac sur ses épaules, et de grimper sur le pont. Je la suivais de prêt, désireux d'analyser notre arrivée à Al'Tyr. La ville grossissait à vue d'œil, et le fourmillement des navires offrait un spectacle assez intriguant. Il faisait étrangement sombre, probablement à cause des nuages, et cela rendait l'agitation encore plus mystérieuse.

Ah...Al'Tyr...La ville des Ombres, et c'étaient précisément les Ombres qui nous accueillaient. Je fis un effort pour y voir là un signe encourageant.

#Ryad #Agathe
Sujet: Les chiens, la vipère et la renarde
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Les chiens, la vipère et la renarde    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 29 Déc 2012 - 22:48
La nuit tombait sur le Sud de la Terre du Milieu, apportant avec lui un froid qui promettait d'être désagréable. Bah... J'avais connu des voyages pires que celui qui s'annonçait, très probablement. Il en fallait plus pour me déranger, et je savais pertinemment que cela ne serait que le prélude à une situation plus confortable. Il fallait savoir souffrir un peu pour obtenir des résultats. Pour l'heure, je ne risquais pas ma vie. Il fallait déjà voir cela comme un point positif. La suite promettait d'être plus mouvementée, et rien ne garantissait que nous allions nous en sortir. Enfin, je ne me faisais pas trop de soucis pour moi. J'avais reçu un entraînement intensif qui avait exercé mon endurance et ma capacité à gérer les situations de stress. Mais pour Agathe, j'avais quelques doutes. Non pas qu'elle fut incapable, bien au contraire, mais je m'interrogeais quant à sa capacité à faire face en cas de danger mortel. Elle avait passé pas mal de temps à ne faire que survivre, et je me demandais si elle allait être capable de réfréner l'instinct qui poussait à fuir, pour accomplir sa mission. Difficile à dire.

Elle était justement là, en train de boucler son paquetage. Enfin...son sac de voyage, car après tout, nous étions supposés voyager comme deux simples civils. J'avais même insisté pour que nous n'emportions pas de monture, ni d'ailleurs de vêtements particuliers pour combattre le froid. Elle avait fait la tête pendant toute la journée, jusqu'à ce que je revinsse avec une tunique de voyage rembourrée. Elle avait souri comme pour montrer qu'elle avait gagné, mais comme j'avais menacé de lui reprendre la dague si elle n'arrêtait pas, elle avait fini par se calmer. Nous étions tous les deux prêts au départ, moi dans ma tenue de voyage habituelle, avec mon sac bouclé sur les épaules, et elle dans sa tunique chaude, prête à parcourir plusieurs miles dans le froid et la peine, pour remplir une mission qui, au final ne la concernait en rien.

A la nuit tombée, nous quittâmes le navire du Capitaine Vardrin. Je lui avais laissé un message pour le remercier de son hospitalité, et lui assurer en quelques mots bien choisis de mon soutien si jamais il venait à avoir besoin de moi. Du blabla pas si inutile que ça, car il était toujours bon de parfaire une couverture, dans les moindres détails. J'adressai un salut au marin de garde, qui étrangement me répondit de la même manière. Avais-je fait en sorte qu'il obtînt une ration de rhum plus importante pour qu'il me saluât ainsi, ou bien avais-je réellement marqué des points en sauvant la vie de son supérieur ? Je l'ignorais, et à vrai dire, je n'avais pas vraiment le temps de m'en préoccuper. De toutes façons, la psychologie des pirates était tellement simple que la première réponse était très certainement la bonne.

Agathe et moi-même, silencieux mais pas particulièrement discrets, nous traversâmes la Cité du Destin sans échanger un mot. Moi, parce que je n'avais rien à dire de très intéressant, et elle - d'après mes observations - parce qu'elle ne savait pas par quoi commencer. Pour une fois qu'elle se taisait, je n'allais pas m'en plaindre. Nous dépassâmes les quartiers des docks, souvent mal famés à ces heures, mais qui aujourd'hui semblaient calmes. La vague de recrutement avait un peu vidé les rues des types louches qui erraient en quête d'alcool ou de bagarre, et c'était un premier pas vers la civilisation. Ici, pas de patrouilles pour assurer la sécurité des passants, et il semblait que seule la guerre contre un voisin pouvait assurer un minimum d'ordre - si ce mot avait jamais été prononcé sincèrement ici - entre ces murs crasseux. Nous évitâmes soigneusement les ruelles sombres qui serpentaient au travers de la ville, et passâmes comme deux individus normaux par les artères les plus fréquentées. Des ivrognes rentraient ou sortaient des bars, contents d'avoir eu une avance sur leur paie. Certains avaient même négocié pour être payés la moitié tout de suite, et l'autre moitié après. Des gars qui n'imaginaient pas revenir vivants de l'expédition, et qui décidaient de profiter de la vie avant de la quitter. Pathétique. Nous n'eûmes cependant pas à jouer des coudes, et j'en fus ravi, car j'aurais été contrarié de devoir corriger un malandrin le jour de notre départ. C'était souvent mauvais signe.

Nous arrivâmes finalement aux imposantes portes de la cité. Bel ouvrage, qui avait résisté aux affres du temps. Effectivement, il ne datait pas de l'époque des pirates, mais de bien avant. C'était Numénoréen, à n'en pas douter, car aucun pirate n'aurait eu l'idée de créer un tel monument, agrémenté de sculptures discrètes, qui commençaient à disparaître à cause du temps et des éléments. Dommage. Nous nous présentâmes aux factionnaires, munis de lettres officielles que nous avait données Taorin. Une chacun, pour que nous puissions quitter la ville après la tombée de la nuit. Le garde la parcourut du regard un moment, s'arrêtant davantage sur le sceau du Seigneur Pirate que sur les lettres tracées, avant de nous faire signe que c'était bon. J'attrapai la lettre d'Agathe, m'approchai d'un soldat qui tenait une torche, et entreprit de brûler soigneusement ces documents qui pouvaient nous compromettre si quelqu'un nous découvrait avec. Consciencieux, j'attendis qu'ils fussent totalement détruits avant de franchir la poterne qui avait été ouverte pour nous. Comme d'habitude, nulle fanfare, nulle foule en délire pour un espion comme moi. Seulement les petites portes, les endroits sombres et surtout l'anonymat. J'aimais ce métier. Agathe s'arrêta à la porte, et se retourna pour contempler les murs et les toits de la Cité du Destin.

- Agathe ?

Elle se retourna rapidement, comme si elle avait été prise en faute :

- Désolée...C'est juste que...

- Prrenez votrre temps, la coupai-je.

Je savais qu'il était difficile de quitter son chez-soi. On pouvait l'aimer profondément, comme moi, ou le haïr de toute son âme, comme Agathe, mais cela demeurait un endroit familier où on avait ses repères. Partir à l'aventure dans l'inconnu demandait une certaine dose de courage. Je pensai un instant à demander à Agathe si elle désirait suivre sa propre route, et m'abandonner ici, au pied de cette porte. Très franchement, je pense qu'elle aurait pu répondre par l'affirmative, et me tourner le dos définitivement. Mais je n'en fis rien, et elle acheva finalement de dire adieu mentalement à sa cité. Elle se porta à ma hauteur, et ferma les yeux lorsque le claquement de la porte se fit entendre dans notre dos. Nous étions partis.

Nous marchâmes pendant un peu moins d'une heure, direction plein Nord, en suivant la Grand'Route qui menait jusqu'à Al'Tyr. Nous avions rendez-vous avec les Chiens de Taorin, que je devais rencontrer au moins une fois avant le début de notre mission. J'avais déjà parlé à Agathe, et j'avais décidé de la mettre dans la confidence quant à ce que nous allions devoir faire. Etrangement, elle n'avait pas paru très choquée d'apprendre que notre action risquait de conduire à la mort d'innocents. Lorsque je lui en avait fait la réflexion, elle s'était contentée de me dire : "si vous aviez vu les regards des gens qui venaient chez Omar, vous sauriez que pas grand-monde n'est innocent". Réponse tout à fait correcte. Cependant, je ne savais ce qui la motivait. Désirait-elle se venger de quelqu'un, ou bien simplement s'amuser ? Certains combattaient et tuaient par pur plaisir, d'autres par obligation...Les deux étaient à craindre. Il fallait savoir tuer quand c'était nécessaire, épargner quand il le fallait, et surtout se débrouiller pour garder autant que possible les mains propres. J'avais dû ôter la vie plusieurs fois, lorsque je servais dans les rangs de l'armée régulière, mais j'avais appris qu'il était toujours préférable de faire commettre les petits meurtres par un tiers. C'était une meilleure protection, et souvent c'était beaucoup plus efficace.

Je fus heureux de constater qu'Agathe marchait d'un bon pas. J'avais moi-même l'habitude d'aller assez vite à pied, et j'étais souvent contrarié de voir que les gens ne suivaient pas le rythme. Bien qu'elle ait été emprisonnée de longues années durant, Omar avait dû bien la traiter, en lui donnant le droit de faire de l'exercice régulièrement, sans quoi jamais elle n'aurait pu être aussi en forme. Sous nos pieds, le terrain était irrégulier, composé d'une succession de petites collines où la végétation était rare, mais cela ne nous ralentît guère, et nous arrivâmes en vue des cavaliers à l'heure prévue. Je les saluai de la main, comme convenu, car notre mot de passe consistait à ne pas dire un mot. Ils me répondirent de la même manière, et mirent pied à terre pour m'accueillir.

#Ryad #Agathe
Sujet: C'est un fameux trois mâts
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Terres Sauvages   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: C'est un fameux trois mâts    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 23 Sep 2012 - 23:37
Enfin le départ ! On ne peut pas dire que je l'avais attendu, ni même que j'étais heureux à l'idée de partir, mais les pirates étaient tellement excités avant que nous mettions les voiles que j'étais presque soulagé que l'attente soit enfin terminée. Le Pourfendeur des Vents avait glissé dans un silence étonnant, au regard de sa taille, sur les flots, quittant en douceur le port d'Umbar. A cette heure de la matinée, le calme s'était emparé de la Cité du Destin, et notre départ passerait inaperçu pendant encore de nombreuses heures. Je n'avais jamais pris la mer et, curieux, je m'étais levé aux aurores pour suivre les manœuvres. Les mains nonchalamment croisées dans le dos, je regardais les hommes s'affairer à l'appareillage, joyeux comme des enfants. Ridicule. A mes côtés se trouvait Agathe, qui observait avec attention les réactions du navire aux directives du barreur. Bientôt, nous quittâmes le port non sans adresser un salut amical aux sentinelles qui gardaient l'entrée de la baie. Le vent était favorable, et il gonfla les voiles avec humeur, comme s'il nous enjoignait à nous éloigner le plus vite possible de cette maudite cité. Il faisait un peu froid, suffisamment pour que j'aie jugé utile de me vêtir d'une petite cape qui me mettait bien à l'abri. Agathe elle-même en portait une, dont le capuchon était rabattu sur ses oreilles frileuses. Personnellement, je restais tête nue à observer le paysage qui défilait devant nous.

Peu à peu, le navire gagna de la vitesse, au fur et à mesure que nous nous éloignions des côtes, comme si une force invisible avait relâché son étreinte à contrecœur, laissant le Pourfendeur libre de voguer à son rythme. Il y avait quelque chose que je n'avais pas prévu, et qui me secoua étrangement, ce fut le roulis du navire. Il n'allait pas encore très vite, mais je sentais nettement sous mes pieds le sol se dérober par à-coups, comme un cheval effectuant ruades sur ruades. Je m'agrippai au bastingage, imité bientôt par Agathe qui était aussi inexpérimentée que moi en la matière. Derrière nous, j'entendis le rire narquois des marins qui avançaient sans la moindre difficulté. J'avais bien noté leur démarche chaloupée à terre, mais maintenant que nous étions partis, ils semblaient se mouvoir avec une grâce surnaturelle. Tels de petits rongeurs, ils filaient sur le pont du navire, grimpaient le long des cordages, le tout avec une agilité surprenante pour des êtres aussi rustres. Leur ballet avec quelque chose d'émouvant, et il était particulièrement ironique qu'ils soient les premiers à ne pas en avoir conscience. Les secousses du navire se firent plus forte, à mesure que celui-ci gagnait en vitesse, et je pus identifier un rythme assez régulier. Il montait pour affronter une vague, et retombait avec un "Pof" triomphal, avant de se présenter face à la suivante. Malgré moi, mes genoux firent la mise au point, et si je n'étais pas totalement assuré sur mes jambes, j'étais déjà moins enclin à chuter. Une main se posa brutalement sur mon épaule, et je fis un pas de côté.

- Vous allez bien ? Demandai-je.

En fait, je connaissais déjà la réponse, mais j'avais eu besoin de poser la question, comme pour meubler une conversation imaginaire. Agathe, à mes côtés, était livide. Elle semblait sur le point de rendre son petit déjeuner, et ses jambes tremblotantes semblaient ne plus être en mesure de la porter. Je glissai un bras sous son épaule pour la soutenir, tandis qu'elle se penchait par-dessus bord pour nourrir les poissons. Il lui fallut quelques instants d'intimité toute relative pour achever de vider son estomac, instants que les marins mirent à profit pour nous lancer piques et moqueries dont elle ne perçut proprement rien, trop préoccupée par ses propres soucis. Moi par contre...

Je ne tins cependant pas compte des paroles cruelles des marins - il allait falloir que je m'y habitue, de toutes façons -, et raccompagnai Agathe, clopin-clopant, à notre cabine. Elle ne se sentait pas très bien, mais elle n'avait plus rien à rendre à la mer, aussi devait-elle désormais se reposer. Je la forçai à s'allonger sur sa couchette, et à boire un peu d'eau pour se désaltérer. Je crus lire dans ses yeux de la gratitude, mais je préférai ne pas m'avancer. Avec délicatesse, je la recouvris d'une couverture pour qu'elle ne prenne pas froid, et lui enjoignis de fermer les yeux.

- Vous êtes papa ? M'interrogea-t-elle.

Je marquai un temps d'arrêt. La réponse à cette question était trop douloureuse. Je croyais avoir enfoui ces souvenirs au plus profond de moi, mais sa question totalement innocente était comme la lame qui trouve le défaut d'une armure. Précise et particulièrement dangereuse.

- Rreposez-vous, lâchai-je, laconique.

Et je sortis. Décidément, elle avait le don pour me pousser dans mes retranchements, et mes réactions ne me plaisaient guère. Il allait falloir que j'exerce un plus grand contrôle sur moi-même, si je voulais éviter que quelqu'un ne me démasque. Il serait dommage d'avoir à faire disparaître un marin dès notre premier jour en mer. Retrouvant l'air frais - trop, d'ailleurs - du dehors, je me dirigeai d'un pas de plus en plus sûr - non sans resserrer autour de moi ma cape de voyage - vers le Capitaine Vardrin qui se tenait debout sur le pont, savourant pleinement l'odeur iodée et le bruit apaisant des vagues. Je ne cherchai pas à dissimuler ma présence, et quelques secondes avant que je ne m'annonce, le Capitaine se tourna vers moi, la mine visiblement réjouie. Il était tout aussi heureux que ses hommes de prendre la mer, de toute évidence.

- Le prremier d'une longue sérrie, je l'ignorre, mon Capitaine. Mais je dois reconnaîtrre que la Merr a quelque chose d'agrréable...d'apaisant...sauf pourr Agathe.

Je me permis de partir d'un rire léger, parfaitement calculé. Histoire de détendre l'atmosphère, dirons nous. Puis j'écoutai Vardrin m'expliquer un peu plus en détail en quoi allait consister notre mission. Etrangement, il se confiait à moi, alors qu'il ne devait pas parler énormément de ce genre de choses à ses hommes. Etait-ce parce qu'il voyait en moi un érudit capable de relever le niveau de la conversation, ou simplement parce qu'il m'appréciait en tant qu'individu ? Je décidai de tenter le tout pour le tout, lorsqu'il aborda la question des chutes de neige anormales :

- De la neige là où il n'y en a pas d'orrdinairre, dites-vous ? Je peine à imaginer mon village natal rrecouverrt de neige, je dois l'avouer. Mais il me semble avoirr lu quelque chose sur un phénomène similairre. C'était lorrsque je me trrouvais à la bibliothèque de Minas Tirrith, si je me souviens bien. Ils parrlaient du Rrohan, envahi à la faveurr d'un hiverr parrticulièrrement long et frroid. Je suppose que c'est de bonne augurre pourr ce qui concerrne le Harrondorr.

Je haussai les épaules, comme pour chasser le souvenir de ces temps immémoriaux, et fixai mon regard sur l'horizon qui s'étendait à perte de vue devant nous. Là, je savais que se trouvait le Harondor et le Gondor. A grande distance, certes mais si près à l'échelle des Terres du Milieu. Il ne nous faudrait que quelques jours pour y parvenir, et derrière nous suivrait l'ensemble de la flotte des Seigneurs Pirates, des esclaves par milliers, ainsi que des mercenaires avides d'or. Le simple fait de penser que tout ceci pouvait constituer une "armée" me tirait un sourire intérieur. Et dire qu'ils avaient une chance de réussir était encore plus ridicule ! Pauvres Harondorim, qui en étaient rendus à craindre l'assaut de péquenauds dépenaillés, d'esclaves décharnés, et de mercenaires désabusés. Sans détourner le regard de la frontière entre la mer et le ciel, je lançai l'air de rien :

- Espérrons simplement que les Harrondorrim n'aient pas eu vent de ce qui se trrame à Umbarr...Il serrait dommage que nous ayons l'honneurr d'êtrre les prremièrres victimes de cette guerre, n'est-ce pas ?

Et en disant cela, je n'étais pas aussi détendu que j'en avais l'air.

#Reznor #Ryad #Agathe
Sujet: Les bons crus font les bonnes cuites.
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Docks   Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Les bons crus font les bonnes cuites.    Tag agathe sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 30 Juil 2012 - 17:26
Le Pourfendeur des Vents. Ainsi nous étions montés à bord du navire du capitaine Vardrin. Je ne m'y connaissais guère en matière de vaisseaux, mais celui sur lequel nous nous trouvions avait tout d'un "prédateur". Ses courbes audacieuses, son profil élancé le destinaient à la vitesse. C'était un rapide, à n'en pas douter, capable d'arraisonner les marchands imprudents qui sillonnaient les eaux sous contrôle des pirates. A bord, tout était on ne peut plus fonctionnel. La trentaine de matelots à bord dormait sous le pont, à l'abri des intempéries, dans des espaces bien trop étroits pour être confortables. La place était essentiellement réservée aux marchandises embarquées - comprenez "volées" - ainsi qu'aux vivres - comprenez "l'alcool". Il y avait un peu de matériel de réparation, de quoi rafistoler sommairement une voile déchirée, retaper un mât endommagé, ou remettre en état un gouvernail défectueux. Les hommes s'affairaient sur le pont, au rythme des injonctions du second. Vardrin était parti pour affaire, probablement occupé à recruter pour compléter son équipage, à moins qu'il ne soit en train de discuter stratégie avec les Seigneurs Pirates. Ou peut-être qu'il supervisait l'entraînement des recrues qui partiraient bientôt à la guerre. Impossible de le savoir. Toujours est-il qu'il m'avait laissé aux bons soins de son second, avec pour ordre de "me familiariser avec l'équipage, le navire, et les tâches qui m'attendaient".

Les tâches qui m'attendaient n'avaient absolument rien de compliqué - pour quelqu'un de cultivé et d'intelligent comme moi. La plupart des pirates sur ce navire - qui représentaient un échantillon représentatif de la population de la Cité du Destin - ne savaient pas lire, ou écrire, et le peu qu'ils savaient compter était l'or qu'on leur devait à chaque escale. Le hic, c'est que pour se préparer à la guerre, il fallait amasser des vivres en quantité, refaire le stock d'armes individuelles, et changer quelque peu l'armement du navire lui-même, afin qu'il soit en mesure de se montrer dangereux pour autre chose que des navires marchands. Estimer les besoins en considérant une marge de sûreté, prospecter pour trouver les meilleurs tarifs, négocier avec les vendeurs des quais, pour finalement inventorier et répertorier soigneusement la moindre marchandise était long et se serait révélé fastidieux pour mon Capitaine, qui avait d'autres choses plus importantes à traiter. En l'absence de personne qualifiée pour ce travail, c'était à moi qu'il incombait de superviser tout ça. Le second, dénommé Kaerran - et qui, soit dit en passant, était originaire du Harondor que nous projetions d'attaquer - m'avait présenté deux matelots qui allaient m'assister dans ma tâche. J'envoyais régulièrement le premier sur les quais, avec pour mission de se renseigner sur les prix de tel ou tel article. Le second, quant à lui, s'occupait de l'embarquement des marchandises. Avec un zèle appréciable, il me montrait chaque objet destiné à intégrer le navire, de sorte que rien ne pouvait m'échapper.

Cela faisait maintenant deux jours que je travaillais, et le navire se remplissait petit à petit. Nous en étions seulement aux produits usuels que Vardrin m'avait conseillé de prendre : du matériel de réparation, des nécessaires de soin, bref, tout ce qui ne se gâtait pas. Pour le reste, avait-il dit, nous verrions après. Les hommes de bord me considéraient d'un regard peu amène, auquel je répondais par l'indifférence caractéristique de l'érudit plongé au milieu de l'ignorance. Je ne les regardais que lorsque c'était absolument nécessaire, et mis-à-part avec mes deux assistants, je ne leur adressais jamais la parole. Je n'aurais su dire d'où venait leur méfiance - pour ne pas dire leur mépris - à mon égard. Sans doute le fait que j'aie une cabine qui m'était réservée - un vrai trou à rat selon moi, mais le grand luxe selon les critères des marins -, mais plus sûrement parce que j'avais ramené une femme à bord. Agathe avait immédiatement attiré l'attention sur elle, lorsque nous étions arrivés. Ses vêtements affriolants avaient immanquablement capté l'attention des marins, qui s'étaient dits, songeurs, que leur Capitaine avait bien de la chance. Mais lorsque ce dernier leur avait annoncé qu'elle était avec moi, et qu'elle ferait partie de l'équipage, tous s'étaient indignés. Il avait bien tenté de leur expliqué qu'elle s'occuperait du prisonnier, mais il n'avait pas réussi à leur faire comprendre pourquoi nous devions partager la même cabine. Bah, ils finiraient bien par accepter cet état de fait, et puis ils n'y prêteraient plus attention.

Comme si le simple fait de penser Agathe avait pu la faire apparaître, j'entendis soudainement le claquement sec de son pas impérial sur le pont du navire. J'étais assis à une table, occupé à compter le stock de fils à coudre qui venait de nous arriver, aussi me retournai-je pour m'assurer que c'était bien elle. Et c'était évidemment elle. Un masque de fureur à peine contenue occupait ses traits, et ses poings serrés n'auguraient rien de bon. Sur son chemin, les hommes se retournèrent, une lueur avide dans le regard. La plupart se permettaient même un commentaire grivois, ou un sifflement appréciateur. Etrangement, cette fois, elle n'y prêta pas attention. Elle se dirigea vers l'autre bout du navire, visiblement désireuse de passer ses nerfs sur quelqu'un. Je demandai rapidement à mon assistant de m'attendre, et je m'empressai de l'intercepter. Les marins nous remarquèrent immanquablement, et beaucoup s'arrêtèrent de travailler. Je n'entendis pas le sifflet du second, ce qui prouvait que même lui était intéressé par la manière dont les choses allaient se terminer. Trop préoccupé par la colère d'Agathe pour m'attarder sur ce que penserait le second, je saisis fermement la femme par le bras, et la tirai vigoureusement jusqu'à notre cabine commune. Elle maugréa et se débattit quelque peu, mais je parvins finalement à refermer la porte derrière nous. Avec effronterie, elle me lança :

- Alors c'est pour maintenant !? On fait ça sur mon lit ou sur le votre ?

Et allez donc ! La voilà qui repartait. La première fois qu'elle m'avait dit ça, c'était après que je lui eut empêché de sortir de la cabine à la nuit tombée, pour aller - disait-elle - prendre l'air. J'avais été tellement surpris que je n'avais pas su quoi dire, et elle avait très bien compris de quelle manière elle pouvait pousser son avantage. Elle s'arrangeait toujours pour que cet échange ait lieu entre elle et moi, comme une menace tacite. Cette fois encore, je la regardai avec attention. Elle avait troqué sa tunique aguicheuse contre un corsage, un gilet en cuir, et des braies. Elle avait presque l'air d'un pirate : ne lui manquait qu'une balafre sur la joue et une arme au côté. Je laissai passer une seconde, et je lui demandai de s'asseoir. Comme la première fois, elle n'en fit rien.

- Je vous en prrie, asseyez-vous...

Elle s'exécuta sans se départir de sa mauvaise humeur massacrante.

- Je vois que vous êtes en colèrre, et je sais que vous pouvez avoirr envie de...

- Ne parlez pas comme si j'étais une enfant, Maître (elle insista cruellement sur ce mot), venez-en au fait.

Je m'interrompis presque malgré moi, et lâchai un soupir.

- Combien de fois vais-je devoirr vous demander de ne pas m'appeler "Maîtrre" ?

Elle ne répondit rien, et me laissa clairement ridicule. Comme si de rien n'était, je revins à mes préoccupations :

- Qu'imporrte ce qui peut vous trroubler, n'oubliez pas où vous êtes. Ne vous offrrez pas ainsi en spectacle à ces pirrates. Ils ne savent pas se contrrôler.

- Et si j'en ai envie ?

Il y avait clairement du défi dans son ton, dans son regard, et dans son attitude. Cependant, je n'en croyais pas un traître mot. Avec une lenteur calculée, je tendis ma main ouverte vers la porte, l'invitant par là à sortir. Elle frémit perceptiblement, et nous n'eûmes pas besoin de mots pour nous comprendre, cette fois.

- Rretourrnez-donc à votrre poste, et faîtes ce pourr quoi vous êtes là. Tout le monde s'en porrterra mieux.

- Comme vous voudrez, Maître.

Et elle sortit.


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Agathe était on ne peut plus contrariée, et elle n'arrivait étrangement pas à savoir exactement pourquoi. Etait-ce parce qu'elle avait à s'occuper d'un prisonnier absolument insupportable, qui la considérait avec mépris alors que des deux, il était de loin le plus méprisable ? Elle avait pourtant déjà rencontré des gens comme lui, qui se comportaient comme de princes, alors qu'ils étaient les derniers des manants. Tout ça parce qu'elle était une femme. Et pourtant, ce type avait attiré l'attention de Salem, qui l'avait confondu avec un nobliau de qui on pouvait éventuellement tirer une rançon. Maintenant qu'elle y pensait, Agathe avait bien remarqué que ses vêtements avaient jadis été de bonne facture, et qu'ils avaient pu appartenir à quelqu'un d'aisé. Et sa manière de s'exprimer était tellement différente de celle des habitants des bas-fonds d'Umbar.

Mais il n'y avait pas que ça. Il y avait aussi l'attitude de Salem, son "maître", comme elle se plaisait à l'appeler. Elle ne savait pas non plus que penser que lui. Il s'était montré relativement gentil avec elle, sans toutefois lui laisser une quelconque marge de manœuvre. Elle n'arrivait pas clairement à le cerner, et elle avait la désagréable impression qu'il trompait son monde, sans toutefois parvenir à mettre le doigt dessus. Elle l'avait observé à la dérobée, tandis qu'il effectuait ses calculs pour Vardrin. Il se comportait avec un certain détachement vis-à-vis des marins, et il n'était de toute évidence pas à sa place sur un navire. Il semblait incapable de ses deux mains. Et pourtant, le souvenir encore net du coup de poing qu'il avait adressé à son agresseur était encore présent dans l'esprit de la jeune femme. Elle s'évertuait à chercher le moindre indice, était à l'affût de la moindre faille dans sa carapace, mais même lorsqu'elle l'avait regardé dormir, elle n'avait rien décelé de surprenant.

Et enfin, il y avait Vardrin. Le capitaine pirate, qui, quand il ne l'ignorait pas purement et simplement, la traitait avec un mépris souverain. En sa présence, elle se sentait extrêmement mal à l'aise, et elle préférait suivre le conseil de Salem, et ne pas se retrouver dans ses pattes inutilement. Les rares fois où elle avait osé l'approcher pour lui demander quelque chose, il l'avait considérée avec hauteur, et lui avait répondu d'un ton sec qu'il n'allait pas lui servir de nourrice, et qu'elle devait s'adresser à son second pour des choses "sans importance". Elle n'avait tenté l'expérience que deux fois, car elle n'avait pas manqué de noter son irritation à peine contenue. Elle savait bien que même son légitime propriétaire serait impuissant à la protéger si le Capitaine décidait de lui couper la langue pour insolence, ou bien carrément de la passer par-dessus bord. Il avait déjà la bonté de lui faire partager la cabine de l'intendant, elle ne voulait pas qu'il la condamne à aller dormir avec ses hommes.

Mais entre ces trois individus étranges, elle était bien incapable de dire lequel l'horripilait le plus, et lequel pouvait faire naître un elle un tel sentiment de colère. D'un pas décidé, elle se dirigea vers la cale, dans le réduit où était enfermé le prisonnier. Le garde devant la porte - un costaud aux muscles noueux et aux longs cheveux bruns - sourit de toutes ses dents en la voyant arriver. Elle s'arrêta à bonne distance, et lui ordonna d'un ton péremptoire de lui ouvrir la porte sans délai. Le marin resta un bref instant immobile, son sourire stupide collé sur son visage rougeaud, avant de lâcher :

- Tu t'occupes du p'tit bout d'mec là derrière. Tu veux pas t'occuper d'moi avant ?

Son sourire s'élargit, tandis qu'il détaillait sans vergogne le physique de l'ancienne esclave. Agathe ne cilla même pas, et répéta son injonction d'un ton encore plus ferme. Le loubard haussa les épaules, et s'écarta d'un pas, en disant :

- T'es la première catin que j'rencont' qu'est la catin qu'd'un seul mec. Mais ton p'tit ami l' jaune s'ra pas toujours dans les bonnes grâces du Cap'taine, mam'zelle. Et pis la vie d'pirate, ça convient pas aux types comm' lui. Y s'pourrait ben qu'i' lui arrive des bricoles, un jour.

Agathe marqua une brève pause, mais le costaud nota qu'il avait visé juste, et son sourire grandit encore, révélant ses dents abîmées. Il la gratifia d'une tape sur le postérieur, et Agathe se retourna aussi rapidement que possible, mais il avait déjà refermé la porte derrière elle. Elle lâcha un grognement de rage, et se donna une poignée de secondes pour se ressaisir, avant de finalement se retourner vers le prisonnier, qu'elle considéra à nouveau. Il était un peu fluet, et il manquait sans doute d'entretien, mais il avait dû être charmant, fut un temps. Toutefois, son caractère était absolument insupportable, et elle ne le supportait d'ailleurs pas. Il nageait encore dans l'eau fraîche qu'elle lui avait lancé dessus. De l'eau de mer, assurément, à l'odeur de sel qui embaumait la pièce.

- Je vais vous retirer vos vêtements et vos bandages, pour voir comment vous vous remettez.

Elle n'attendit pas de savoir s'il était d'accord ou pas, et elle passa habilement derrière lui, de sorte qu'il soit incapable de voir avec précision ce qu'elle faisait, et qu'il ne puisse pas facilement se débattre. Elle jugea cependant plus prudent d'ajouter, à voix basse, tout près de son oreille :

- Si vous essayez quoi que ce soit, le Capitaine Vardrin vous fera exécuter sans attendre, alors soyez sage.

Agathe avait conscience qu'elle lui avait tapé dans l'œil. Elle se savait désirée, et elle escomptait bien en jouer un peu. Il avait sans doute pu sentir son souffle chaud le long de son cou, et peut-être serait-il émoustillé par le contact involontaire de ses cheveux sur son oreille. Depuis combien de temps un être tel que lui n'avait-il pas vu de femme comme elle ? Des lustres, sûrement. Omar lui avait bien appris comment stimuler les sens et endormir l'esprit des gens, et même si elle n'avait jamais rêvé de servir de compagne à un bourgeois quelconque, elle devait reconnaître que cela pouvait présenter quelques avantages. Elle déboutonna tranquillement la veste et la chemise trempées du prisonnier, et les lui retira non sans laisser ses mains s'égarer sur sa peau. Puis elle dénoua les bandages sur son bras, et caressa la peau avec douceur, vérifiant que la blessure était toujours fermée. C'était bien le cas. Elle passa sa main fraîche sur les hématomes qui parcouraient sa poitrine, et fit courir ses doigts lascifs jusqu'à son abdomen qui se soulevait au rythme de sa respiration qu'elle sentait de plus en plus soutenue. C'était là le bon moment. Elle approcha une nouvelle fois sa bouche tout près de son oreille, comme elle l'avait appris, de sorte que les mots venaient la chatouiller, et murmura avec lenteur :

- Je suis...curieuse...à votre sujet. Ce ne serait pas si mal que nous fassions...connaissance, n'est-ce pas ? Qui donc se cache sous ces fripes...? Êtes-vous vraiment le Roi du Gondor ?

Elle n'avait pas pu s'en empêcher. Il avait peut-être lancé cela pour distraire son adversaire, mais elle l'imaginait assez prétentieux pour se sentir flatté par le titre, et pourquoi pas lui apprendre quelque chose qui lui vaudrait une belle récompense.

#Ryad #Agathe #Denam
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