Fein se tenait droit, immobile dans l'obscurité. La journée avait été fatigante. Comme la veille, ils avaient méthodiquement abattu et aligné les pins qui poussaient sur la partie inférieure de la vallée. L'objectif était double : limiter au maximum les couverts de la racaille gobelins et préparer un magnifique feu de joie.
Fein pensa avec un sourire aux vieilles histoires sur leurs ancêtres numénoréens et sur leur appétence pour le bois. Près de cinq milles soldats avaient bûcheroné deux jours durant et cela se voyait.La vallée avait été complètement recouverte sur près de deux kilomètres par des troncs enduits de poix. Ils avaient bien fait les choses et le paysage semblait avoir été dessiné par une tempête et non façonné par la main de l’homme.
Les soldats de l’Arnor étaient désormais alignés, munis d'une multitude de flèches incendiaires ou non. C’était un déluge qui se préparait à s’abattre sur les gobelins. Ils avaient creusé un sillon qui serpentait devant les positions des hommes. Celui-ci était rempli de poix. Une étincelle suffirait à l’allumer et à permettre à chacun d’allumer ses flèches. En attendant, ils restaient dans le noir.
Fein avait craint d’être trop fatigué pour combattre. Néanmoins, l’adrénaline et l’excitation du combat lui donnait l'impression d'avoir retrouvé ses vingt ans. Pourtant, l'attente commençait à se faire longue… et l'inquiétude s'installait peu à peu dans son cœur.
***
Grak était nerveux. Les trolls avançaient lentement, ils paraissaient mal à l'aise loin de leur cavernes. La longue file des gobelins s'étirait tandis qu'il incitait ses chefs de bande à houspiller les retardataires.
Traverser le Chemin des Ânes leur avait permis d'éviter les troupes de l'Arnor mais également rallongé considérablement le temps à l'extérieur du réseau de voies souterraines. Il ne pouvait pas prendre le risque de perdre trop de temps s'il ne voulait pas voir ses trolls se faire pétrifier.
Après plusieurs heures à avancer au pas pour tenter péniblement de maintenir un semblant de cohésion, L'Épouvanteur avait donné ordre de hâter l'allure provoquant une désorganisation générale. Il n'aimait pas ça mais il serait temps de remettre tout ce beau monde en ordre de marche plus tard.
Une tempête avait fait rage dans la vallée et des troncs bloquaient les abords du chemins.
Grak sourit, cela allait forcer ses soldats à se rassembler en une file plus ou moins réduite.
***
Estef humait l'air environnant les yeux mi-clos. Un sourire se dessina peu à peu sur son visage. Il en était désormais persuadé, leur plan allait marcher.
“Préparez-vous ! Nous allons au chemin des Ânes !”, cria-t'il à ses hommes.
Sans attendre les quelques centaines d'hommes qui se tenaient assis autour des feux de camp se relevèrent. Estef vérifia les lanières de ses bottes. La marche allait être longue mais les gardes des Landes en avaient l'habitude.
Un hululement sinistre s'éleva quelques pas en contrebas du camp. C'était le signal du guetteur, quelqu'un venait.
Estef se glissa comme une ombre jusqu'à la position de la sentinelle. Là,en contrebas du col du sorcier, un important groupe d'hommes s'approchait. Un homme avançait à leur tête. Estef sourit largement,il aurait reconnu cette tignasse parmi mille autres.
***
Un serpent de feu était soudain apparu au sommet de chacun des versants de la vallée. Des silhouettes se tenaient juste derrière. Il avait fallu un moment pour que
Grak comprenne. Le ciel s'était enflammé quand des milliers de flèches s'étaient élevées dans le ciel avant de s'abattre sur les gobelins.
Grak avait tout juste eu le temps de dégager son bouclier.
Comme par magie, un mur de feu s'était élevé de part et d'autre de la longue colonne des gobelins.
Grak avait compris… c'était un foutu piège. Les arbres n'étaient pas tombés par hasard, ils avaient disposés là par un ennemi qui les attendait.
Ses soldats hurlaient dans tous les sens, gagnés par la panique et l'effet de surprise. Il devait réagir s'il ne voulait pas que son armée termine en charpie. Il paraissait impossible de remonter les versants de la vallée tant l'amas d'arbres en feu paraissait inextricable.
“ En avant !”, hurla-t'il,
“Sortez de cette vallée !”Ils devaient sortir du défilé, retrouver un terrain dégagé et se frayer un chemin jusqu'à l'entrée des cavernes.
Certains des gobelins s'acharnaient à tenter de passer au travers des pins en feu pour atteindre les tireurs. Ceux qui parvenaient à passer cette barrière finissaient pour la plupart criblés de flèches et les rares qui atteignaient l'ennemi se faisaient cueillir à un contre dix.
Gark poussait les groupes qu'il croisait vers l'avant, ce défilé infernal devait avoir une fin. De temps en temps, un troll, parvenait à forcer le passage, des gobelins s'engouffraient alors à sa suite parvenant à mener de petites escarmouches au cœur des lignes ennemies. Malheureusement, les hommes d'Arnor étaient trop nombreux, mieux équipés et souvent plus habiles au combat. Certains tombaient sous les coups des gobelins et surtout du troll mais ils finissaient pas avoir le dessus.
Il aurait pu paraître intéressant de faire se rassembler assez de trolls et de gobelin au bout d'une de ces ouvertures pour mener une charge coordonnée. Malheureusement, ils étaient trop désorganisés et fonçaient sur l'ennemi pour éviter ses flèches.
Gark se démenait pour rallier ses troupes et tenter de les faire progresser vers le bout du Chemin des Ânes. Les corps s'amoncellaient autour de lui et ses espoirs s’amenuisaient. Il lutta plusieurs dizaine de minutes, progressant à petit pas. Déjà il devinait les premières lueurs de l’aube et avec elles la fin de ses espoirs.
Il retira son masque, celui qui lui avait fait obtenir le surnom d’Épouvanteur et se résolu à sauver ce qui pouvait l’être : sa peau. Il dévala à toute vitesse le chemin qu’il avait mis si longtemps à grimper, il slalomait pour éviter les flèches qui pleuvaient toujours à un rythme soutenu.
Alors qu’il parvenait au bout de la file de gobelins, il s’arrêta net. Face à lui, une troupe d'un petit millier d’hommes arrivait, sans doute décidée à exterminer les fuyards.
Parmi ceux qui menaient cette charge, un homme retint son attention. Sa chevelure blanche, son épée au pommeau d’aigle avaient sans nul doute de quoi attirer l’œil… mais c'était surtout la détermination dans son regard qui avait attiré
Grak.
La morsure d’une flèche le ramena à la réalité. Il n’aurait pas dû rester immobile. Une seconde flèche l’atteignit. Son regard fût attiré par une lueur à l’est. Le soleil se levait. Un macabre sourire s’afficha sur son visage quand il vit ses trolls se figer. Le chemin des Ânes allait devenir le chemin des trolls, Gundabad n’aurait pas ses renforts et Fimbulfambi allait pouvoir se trouver un nouvel héritier.