#Floria #Morbise #Judia ***
De tout le domaine familial, le potager de grand maman était leur lieu de réconfort. L’on pouvait y sentir un mélange d’odeurs de fleurs, il y avait aussi un mélange des saveurs : le potager de leur grand maman était rempli de beaux légumes et d’arbres fruitiers.
La grand-mère Morbise avait habitué ses cinq petits enfants à gérer un potager dans toutes ses étapes. Issue d’une famille très modeste, elle avait appris à ses enfants, puis à ses petits enfants à ne pas oublier leurs origines.
Ses petits enfants appréciaient par-dessus tout la récolte : Judia adoré « récolter » les framboises (qui diminuaient de moitié), les garçons préféraient manger les fraises, Floria quant à elle adorait les groseilles et les mûres.
Et ce fut dans ce même potager que le prénom de Floria fut trouvé. Trois générations de femmes se retrouvèrent entourer des nombreuses variétés de fleurs, échangeant sur cette grossesse surprise mais si attendue.
Floria est un nom issu de l’amour d’une grand mère pour les fleurs [Flore] et de celui d’une sœur, qui lui donna une partie de son prénom [ia].
Ce fut au milieu de ses fleurs que Judia avait retrouvé Floria, d’humeur boudeuse. La petite fille était en colère contre sa sœur, qui ne fut pas présente pour ses dix ans, prise par ses affaires.
Judia avait à l’époque vingt ans et avait réussi à monter sa première affaire, qu’elle tentait de développer et qui lui prenait tout son temps. Elle était à peine arrivée chez ses parents qu’elle s’était immédiatement rendue dans le potager de leur grand maman, sachant pertinemment qu’elle trouverait sa petite sœur.
Le regard que Floria lui lança parlait de lui-même mais cela ne déstabilisa en rien Judia :
« Tu risques de prendre racines si tu restes assise là… » dit-elle en s’avançant vers le fond du jardin.
De son air malicieux, Judia avait regardé sa petite sœur qui était totalement fermée à l’échange.
L’aînée des Morbise s’était alors assise à côté de Floria :
« Hm. Et en plus, il y a une pluie qui ne va pas tarder à venir…tu feras une très belle plant… » poursuivit-elle, avec un petit rictus.
« Si tu es venue me parler de plantes, autant que tu repartes.» lui avait-elle répondu sèchement.
Il était là, ce petit tempérament de feu. Sa réaction ne fut pas une surprise pour Judia. Elle comprenait l’immense déception vécue par sa petite sœur, elle-même fut peinée de ne pouvoir venir et elle espérait pouvoir rattraper cette absence. De toute évidence, sa petite sœur devra s’y faire car elle sera de plus en plus loin…
« Très bien. » elle se releva, en prenant le temps d’essuyer ses vêtements
« Je n’ai plus qu’à vous dire au revoir, Mademoiselle la plante geignarde. » elle s’inclina respectueusement et lui tourna les talons.
En se dirigeant vers la sortie du potager, un caillou vint lui fouetter son mollet droit. Judia se retourna immédiatement vers sa sœur, qui s’était elle-même redressée fronde à la main.
La petite fille était rouge comme une tomate et lui hurla :
« Je préfère être une plante geignarde qu’une grande sœur menteuse et méchante ! » Judia rebroussa chemin d’un pas décidé « ô je suis assez grande pour ne pas avoir peur de toi ! Moi quand je dis quelque chose je le fais alors si tu veux rentrer chez toi et bien RENTRES Y TIENS ! TU NE ME MANQUERAS PAS !!! » de rage, elle avait lancé sa fronde au sol.
Des larmes coulèrent sur le visage de Floria. Ces derniers mots, elle ne les pensait pas du tout…et Judia l’avait bien compris.
L’aînée se mit à hauteur de sa petite sœur et la prit dans ses bras. Floria s’était alors blottie contre elle et pleura toutes les larmes de son corps :
« Je suis désolée…je ne voulais pas…je…le..pardon Judia… »
« Là…c’est tout…Chhhuuttt. »
De par son statut d’aînée, Judia avait toujours eu un rôle important pour sa fratrie. C’était celle qui calmait parfois les discussions avec leurs parentes, qui prenait leur défense pour les petites bêtises. Judia aimait sa famille, elle aurait été prête à tout pour eux.
La relation avec Floria était différente, car cette petite sœur qu’elle avait tant attendue était enfin venue au monde. Il était évident que Judia aimait sa petite sœur par-dessus-tout, elle s’était occupée d’elle dès son plus jeune âge.
La savoir ainsi mal, pleurant à chaudes larmes contre elle, lui brisa le cœur.
Floria fut surprise de sentir des larmes couler sur son crâne. C’était la première fois que Judia pleurait devant elle.
La petite fille était loin de se douter de tout ce que vivait Judia, la place d’une femme dans les affaires n’était pas toujours chose aisé et elle devait régulièrement se battre pour se faire sa place :
« Jud…je ne voulais pas te faire pleurer grande sœur. Je t’aime tu sais. » elle lui essuya ses larmes avec ses petites mains.
« On fait parfois des choses étranges sous le coup de la colère ma chérie…ça n’est rien. »
Elle lui sourit « Je t’aime tant si tu savais. » elle lui embrassa les mains.
Elles sentirent soudain quelques gouttes d’eau. La pluie allait arroser le potager et cacher leurs larmes. Sans plus attendre, Floria monta sur le dos de sa grande sœur :
« En avant ! A Dada ! » dirent-elles à l’unisson.
Et c’est ainsi que la paix et l’amour prirent le dessus. Judia était restée trois jours auprès de sa famille.
Elle repartit ensuite chargée de provisions, d’or et aussi des dessins de Floria qui commençaient déjà à être prometteur.
Lors d’un repas, Floria avait griffonné deux fourchettes…l’idée avait plu à Judia qui l’avait gardé précieusement.
C’est ainsi que l’idée des deux fourchettes avait germé dans sa tête…
***
C’était l’un des plus beaux souvenirs qu’elle avait de sa sœur. Depuis l’annonce de sa mort, ils lui revinrent en mémoire, et ils étaient à la fois doux et douloureux.
Floria était tiraillée entre sa volonté de comprendre la mort de sa sœur mais aussi par celle de fuir son avenir imposé.
Floria savait qu’elle serait inconsolable. Ce souvenir lui fit prendre confiance ô combien elle fut dure envers sa sœur à l’époque. Elle joua avec la bague offerte par Judia tout en regardant leur portrait. Elle s’en voulait d’avoir osé employer ces mots…aujourd’hui, Judia lui manquait terriblement.
Tout en écoutant ses « compagnons », elle grignota quelques morceaux de fromages, remercia lorsqu’on lui servit du vin et mangea un peu de pain. Elle mangeait en douceur et avec précaution, son estomac était comme noué.
Floria était entourée de deux femmes au demeurant sympathiques. Orline, une noble dame et Jenifaël, une guérisseuse consciencieuse, inquiètes pour le dénommé Syp.
La jeune Morbise avait écouté avec attention les deux femmes. Ce « couple » devait partir, et Jenifaël ne voulait pas que les blessures de Syp ne l’emportent. Cependant, si ce « couple » s’était caché ici, c’est qu’il devait être probablement recherché…par les mêmes personnes responsables de la mort de Judia.
La caravane semblait la cachette idéale, le laisser passer de Judia pourrait l’aider à partir ensuite. Mais que faire ensuite ? Rester à Minas Tirith était trop risqué pour elle, si son père venait à sa recherche, ou même « lui »…il lui serait compliqué de se délier de cette union à venir.
Elle pouvait très bien aller jusqu’au domaine Morbise pour montrer qu’elle était capable de remplacer sa sœur dans ses affaires…mais avec quel risque à la clé.
Tant de questions…sans réponse. Syp la fit sortir de ses pensées :
« Madame Floria, je n’ai pas d’argent pour vous...Mais si votre cœur est prêt à l’entendre, j’ai des réponses...je n’ai pas d’autres façons de vous remercier...Vous...Vous savez...elle était très fière de vous...Judia était fière de vous...Sur tout les points... »
Leur rencontre avait été assez étrange, tout comme l’apparence de cet homme…mais il avait finalement l’air gentil, ce Syp. Floria l’avait sans doute mal considéré…mais qui pourrait lui en vouloir ?
Ces mots lui firent du bien. Elle ne doutait pas de l’avis de sa sœur, mais elle l’avait dit à d’autres personnes…cela la toucha. D’ailleurs, Floria regarda Syp pour la première fois avec bienveillance :
« Appelez-moi Floria. » dit-elle calmement « Je vous remercie pour ces mots, j’étais aussi très fière d’elle vous savez. » des larmes lui montèrent aux yeux, elle sourit « Nous aurons, je l’espère, l’occasion d’en parler plus tard…comprenez que ma peine est immense et qu’il me faut du temps pour tout entendre. Merci Monsieur Syp, de tout mon cœur merci. »
Sa condition bourgeoise lui interdisait de s’étendre en émotions face à des inconnus. Elle croisa le regard d’Orline, qui sembla le comprendre.
Refoulant ses larmes, Floria s’adressa à ses nouveaux compagnons :
« J’ai écouté avec attention vos avis respectifs. Je dois moi-même partir…une affaire importante que je dois régler pour ma sœur…» à sa mine, on pouvait sentir un mensonge à demi assumé « Je vais prendre la roulotte ambulante, ainsi que mon cheval. Il m’est impensable de laisser ma jument seule. »Elle regarda Jenifaël « Si Monsieur Syp reste au repos dans la roulotte, il n’y aurait pas de risque pour lui et Dame Orline pourrait surveiller ses blessures en suivant vos instructions. » son assurance pouvait faire penser à celle de Judia « Nous pourrions nous suivre, comme deux commerçantes de Minas Tirith. Vous seriez notre guide avec vos connaissances de la ville et si vous savez vous battre, cela me rassurera…je n’ai pas l’âme d’une guerrière. »
Elle prit une gorgée de vin pour humidifier sa gorge et reprit :
« Qu’en pensez-vous ? Nous pouvons encore nous laisser quelques minutes en préparatifs et commencer à partir. »
***
Floria avait inspecté la chambre de sa sœur, les choses de valeurs étaient cachées soigneusement il n’y avait donc rien à craindre. Il ne manquait rien dans sa sacoche, dont la lettre écrite par Judia qu’elle n’avait pas encore lu. Elle aurait sans doute des réponses dedans mais pour l’heure, il fallait partir.
Manœuvrer la roulotte ne posa pas vraiment de problème, Floria fut aidée pour le faire. L’on mit dans la roulotte des vivres, à la fois pour que le commerce ambulant paraisse opérationnel mais aussi pour Floria et son « équipe ». Ils mirent également la malle de soins pour Syp.
Cadichon et Aliéna furent sortis de leur étable. L’âne fut préparer pour le grand départ et Aliéna attachée solidement à l’arrière de la roulotte. Floria se montra douce envers les deux animaux, les câlinant et leur chuchotant une petite chanson.
Lorsque tout le monde fut prêt à partir. Floria raccompagna la guérisseuse à l’entrée principale de la maison et referma à clé derrière elle.
Elle ouvrit la grande porte de la cour seule, puis aidée par Jenifaël qui avait fait l’avait rejoint avec sa propre monture.
Floria lança un dernier regard sur le modeste logement de sa soeur. En quittant la demeure familiale, elle était loin de se douter de tout ce qui allait se arriver…Elle referma alors cette entrée à clé, scellant une partie des souvenirs de Judia et échangea un sourire timide à Jenifaël.
Elle se dirigea ensuite vers la roulotte, rênes en main, elle ordonna à Cadichon d’avancer et suivit Jenifaël…
- Aux deux fourchettes: