Le chemin vers les montagnes

Gamil pressa le pas.

Il était pressé, et les plaines unies et douces, à l'herbe grise ondulant sous le vent de cette nuit, sous la lune, permettaient une grande célérité sans grosse prise de risque.

Enfin! Il avait pu sortir en catimini de cette taverne et passer comme une ombre entre les gardes en faction à la porte d'Edoras, puis s'évanouir dans les étendues du Riddermark. Le vieil homme avait obtenu ce qu'il était venu chercher. Pas un objet ou un bien de valeur, mais une information, qui pourrait être d'une grande importance pour certaines oreilles. Mais la venue de ce visiteur, de cet Alaberd, n'avait rien arrangé à l'affaire, et aurait même pu tout anéantir. Mais par pure chance, Gamil-Aznân avait pu mener à bien sa tâche, ou une partie de celle-ci, car un long voyage l'attendait.

L'individu encapuchonné se retourna une dernière fois afin de s'assurer qu'aucun intru n'avait suivi ses pas. Enfin... "s'assurer" était un bien grand mot, surtout de nuit, même avec la lueur du vaisseau lunaire. En tout cas, Gamil ne vit que l'ombre des collines derrière lui, et à bonne distance, quelques point dorés: feux de bois dans les foyers de la capitale de Rohan dont la lumière passait à travers les fenêtres.

Le vieil homme se retourna, mais hésita un instant...

La trouée du Rohan ou l'Estemnet?

L'Ouest ou l'Est?

Il y avait assez longtemps que Gamil ne s'était pas rendu dans le Royaume où il voulait retourner finalement. En vérité, sa misson s'était avérée plus ardue et plus longue à accomplir qu'il ne l'avait imaginé, et qui sait comment allaient les choses sous terre à présent...

Ce serait l'Ouest...

Gamil-Aznân avait pris sa décision, et il espérait ne pas se tromper. Mais l'espérence ne suffit pas dans certains cas, et il aurait préféré avoir davantage de nouvelles de l'endroit où il se rendait à présent. Car il allait en Moria.

La Moria! La Moria... merveille du monde septentrional, mais qui demeurait sous domination Gobeline depuis longtemps, à présent, et cela, Gamil le savait. Mais ce qu'il ignorait, c'était tout simplement la façon dont étaient agencées les choses dans le Puit Noir. Qui sait? Peut-être les Nains de Khror avaient-ils tous été supprimé? Mais peut-être que non, encore que le seigneur gise empoisonné dans une profonde salle, loin de toute lumière.

En tout cas, il fallait bien tenter le coup, et le vieil homme encapuchonné choisit l'Ouest, car d'après les signes dont ils se souvenaient vaguement, il avait bon espoir de trouver dans cette parties des Longues-Barbes plutôt que des Gobelins.

Il obliqua donc sa marche vers l'Ouest, en direction des Gués de l'Isen, alors que le Gouffre de Helm et son antique forteresse de Fort-le-Cor se trouvaient à sa gauche, encore lointains. Le voyage était morne et déprimant dans ces régions plates et dénuées d'ornements, sinon dans l'herbe vertes sous ses pieds.

Monotone ou pas, pénible ou agréable, le voyage était tourné vers un seul but, et Gamil se devait de ne pas lézarder en route.

"Une grande bataille s'est déroulée au gouffre de Helm." avait-il entendu dire à la taverne des Cavaliers en écoutant les conversations d'autruis.

"Le Roi Firion en est sorti victorieux..."

Mais désormais, le silence était tombé sur le lieu, et quelques piétinement épars se dirigeant vers la Combe demeuraient la seule trace du combat.

Gamil-Aznân avait traversé l'isen à hauteur des gués et avait prit la direction du Nord, bien décidé à atteindre son but avant que tout n'ai été joué.

Il avait appris, de sources qu'il gardait secrètes, que le Roi Krohr arrivait, non point à la fin de son règne, mais au terme de son pouvoir politique et militaire sur la Moria, le Royaume de Khazad-dûm, ce qui finalement revenait au même. L'absurdité de ce système était aberrante. Enfin, c'était comme cela... La monarchie était la monarchie... l'hérédité était l'hérédité, et il fallait bien se conformer aux règles, quitte à voir un gâteux encore Roi de tous les Nains.

Mais de cela, Gamil ne parlerait guère, voire pas du tout, une fois parvenu à Cavenain... S'il y arrivait, bien sûr, car qui sait entre quelles mains étaient passé le côté Ouest, tout comme le côté Est des Trois Montagnes...

Telles étaient les pensées que le vieil homme drappé de noir ressassait tout en marchant d'un pas incroyablement rapide pour son âgé avancé. Chaque foulée le rappochait plus de l'ancien repaire du terrible Guetteur de l'Eau. Y était-il toujours? Le lac était-il redevenu calme? On le saurait bien vite.

Gamil traversa le pays de Dun et arriva à la frontière de l'ancien pays d'Eregion, que les Hommes nomment à présent Houssaye. Un lieu étrange, à n'en point douter, mais qui éveillait une certaine mélancholie chez le vieux sage.

Les Portes de la Moria restaient invisibles, dans le lointain au Nord-Ouest, perdues dans la brume épaisse qui avait donné son nom à la chaîne de montagnes, épine dorsale de la Terre du Milieu.

Soudain, le vieil homme entendit des bruits apportés par le fort vent du Nord. Des voix, semblait-il, quoique tout fut empreint de doute à cause du sifflement des rafales. Oui, ce semblait bien être des voix qui s'entretenaient, mais elles étaient lointaines et sourdes. Gamil poursuivit néanmoins son chemin.

Il ne pouvait voir au loin, se trouvant, en fait, dans une sorte de cuvette pierreuse emplie de brume, ce qui rendait l'athmosphère sinitre. Un ancienne route semblait serpenter sur la pente, montant vers le haut d'une petite corniche... de part et d'autre, de hauts rochers portaient de bien curieuses marques, comme si des inscriptions avaient été gravées en un temps très lointains. Et des pierres même semblait émaner une faible rumeur...


Gamil-aznân doutait à présent de la véracité des voix qu'il avait entendu... n'était-ce pas sa pensée qui lui jouait des tours, tout sage qu'il était? Il continua de suivre la route aux dalles brisées et arriva en haut de l'escarpement. De la, il put discerner de petits points noir dans le lointain au Nord-Est: des petits et des plus gros, comme des humains avec des bêtes de trait... ou des charettes... Il ne put les déterminer, mais était-ce de bon augure? Qu'est-ce que cela présageait?

La guerre avait-elle finalement éclaté sous la Montagne? Hadhod avait-il gagner la place qu'il convoitait? Sans doute... Et dans ce cas, son aide ne serait guère utile: de nombreux sages se trouvaient en Moria, de vieux Nains emplis de connaissance, et Hadhod saurait utiliser cette connaisance à ses fins.

Il n'était sans doute guère utile de se rendre à Khazad-dûm, mais plutôt fallait-il se rendre dans les Monts de l'Ouest, où tant de choses pouvaient se décider, des choses qui ne tenaient qu'à un fil, où plutôt à un individu particulièrement rusé et talentueux. Tout pouvait basculer d'un côté ou de l'autre, là-bas, dans l'Ouest, et toute contribution aurait son importance. Le signe laissé à la taverne des Cavalier ne pouvait mentir: le mécanisme était enclenché, il se mettrait en marche très bientôt.

C'était là-bas que l'aide de Gamil était la plus pressante, sans doute, et le vieux sage encapuchonné de noir le savait, il venait de se rendre compte de son erreur de jugement, la première depuis bien longtemps.

* Puissent les Valar faire que les jours passés à ce voyage vain ne soient pas cruciaux en fin de compte, mais il se pourrait bien que si... il se pourrait bien que si... *

Et tout en répétant inlassablement ses derniers mots, il fit un quart de tour vers la gauche... en direction du pays des Dieux.

Continuant ainsi vers l'Ouest, Gamil passa les Gués de Tharbad et obliqua sa course vers le Nord, afin de marcher des jours durant et d'atteindre le gué de Sarn. Son but n'était plus la Moria, mais il suivait toujours un chemin vers les montagnes, vers d'autres montagnes, les Montagnes Bleues.

Mais, tout en s'éloignant de gué, il se rappela soudain les paroles que Hadhod lui avait destinées, quelques mois plus tôt, bien qu'il semblât que des années se fussent écoulées:

"Passe en pays d'Eregion lorsque meure mars et que naît avril, et une troupe de mes gens te trouvera et te suivra jusqu'au but que nous connaissons..."

Ces mots lui étaient sortis de la tête pour revenir précisément en cet instant.

Pourtant il n'y avait nulle armée, nul arméeau, nulle compagnie, section, ou petit groupe de Nains. Lorsque Gamil avait traversé la route des pierres de Houssaye, rien ne s'était manifesté à part ces lointaines charettes, mais ce ne pouvaient être cela... les Nains de la Moria avait si longtemps siégé sous terre qu'ils avaient oublié l'usage de tels engins. Qu'était-ce alors?

Gamil était inquiet, il craignait qu'il ne soit arrivé malheur aux gens de Durin et que, de ce fait, il ne voyait pas arriver l'armée que lui avait promis Hadhod.

Il décida d'attendre dans les ruines d'une ancienne tour de garde du gué de Tharbad... si les Nains venaient à passer la porte Ouest et à se mettre en route pour l'Ered Luin, ils seraient contraints de passer par là. Dans le cas contraire, la situation deviendrait sérieusement mauvaise.

Toute une nuit il attendit dans la froidure de ce pays, avec pour tout abri une tour en ruines et pour tout réconfort un maigre feu et quelques victuailles sèches. Mais le confort importait peu; ce pourquoi il était là lui paraissait beaucoup plus préoccupant.

La nuit passa lentement, puis l'aube vint et le soleil monta dans le ciel. Personne n'était venu. Gamil savait qu'il ne pouvait guère attendre ici, sans rien faire d'autre que de méditer à ses affaires urgentes et de regarder le ciel de manière impassible. Mais le seul espoir, dans toute cette histoire, était d'attendre cette compagnie de Nains et de les emmener avec lui. Il s'accorda donc un jour de plus ici, et il repartirait à l'aube du lendemain.

Le soleil était maintenant à son zénith; les cendres du feu n'abritaient plus aucune braise, il n'y en avait plus besoin. Gamil Aznân regarda au loin, en direction du Nord-Est, de ses yeux perçants.

Rien. Personne.

Puis l'astre déclina durant l'après-midi jusqu'à disparaître en un ultime flamboiement rouge. La nuit tomba.

Personne. Personne. Toujours personne.

Aussi déprimante que put paraître cette période, le vieil homme ne perdait pas espoir. Il ralluma le feu pour signaler sa présence et attendit encore. Il ne dormit pas cette nuit, se contentant de contempler la lune et de jeter des coups d'oeil soucieux à l'horizon.

Vers la minuit, enfin, des torches apparurent dans la plaine, s'approchant des gués dans un bruit sourd. Puis des voix retentirent, parlant dans un étrange dialecte. Tout autour de l'antique édifice se tenaient à présent une compagnie de Nains.

Gamil s'était levé ombre dans la nuit, et avait passé sa tête par la fenêtre à la lueuyr de la lune. Il souriait. Les guerriers de Hadhod l'avaient enfin retrouvé.