La Fin de la "retraite"

Le temps était à la pluie. Voilà presque deux jours que le soleil était caché par de sombres nuages. L'orage se rapprochait, et les éclairs zébraient le ciel sans arrêt. Furgas était dans sa chambre, assis à son bureau, il occupait son temps libre par du modélisme. Il était en train d'assembler la coque d'un navire trois mâts appartenant au fief de Dol Amroth.

Se saisissant d'un large pinceau, le vieil homme se mit à recouvrir la coque d'une peinture brune tout en chantant un air de chanson épique arnoréenne. Ces plaisirs simples de la vie, Furgas les adorait, aucun tracas, aucun évènement inattendu ne se produisait et dans son métier, ces moments étaient rares. De plus en plus.

Où va le monde ? ne cessait-il de se répéter depuis des années.

D'un coup, son pinceau stoppa net sa course. Les yeux du modéliste laissèrent la place au regard aiguisé de l'Agent expérimenté. Pourtant il continua à chantonner à mi-voix, ses yeux étaient fixés sur la porte de sa chambre, une silhouette apparut alors derrière celle-ci. La poignée tourna et la porte s'ouvrit doucement laissant entrer un homme d'âge mûr et au physique respectable.

"Ta discrétion n'est vraiment pas ta meilleure qualité, mon cher Alruc. Un troupeau de boeufs serait plus discret que toi, parbleu !"

Alruc pénétra plus en avant dans la chambre, esquissant un sourire en coin.

"N'exagérez rien, maître Furgas. Toujours sur vos maquettes à ce que je vois."

Daignant relever les yeux vers Alruc, le vieux briscard posa son pinceau sur sa tablette, reposa délicatement la coque et retira ses lunettes.

"Oui, ces petites choses me relaxent. Ca me calme les nerfs et avec ce temps, j'en ai grand besoin. Mais pourquoi être venu voir un pauvre vieillard ? Tu as sans doute une bonne raison, Alruc ? Assieds-toi donc, tu me fais mal au cou."

L'Espion Roux s'éxécuta et sortit d'une de ses poches, un parchemin en mauvais état.

"Voici, ce message est arrivé cette nuit. Il vient du Rohan."

Et donc du Fantôme, en déduit aisément Furgas. Le Magister se saisit du parchemin, le déroula et le lut avec attention. Arrivé à la hauteur de deux mots en particulier, Furgas fut surpris au plus haut point mais n'en montra rien.

Redonnant le papier à Alruc, il garda le silence quelques instants.

"Alors, maître Furgas. Acceptez-vous ?"

"Ce parchemin nous demande de faire une chose qui peut nous prendre une vie entière."

"A trois, nous pouvons le retrouver en quelques semaines tout au plus. Il n'est quand même pas si imprenable que ça, non ?"

Furgas plissa les yeux. Capturer Saemon, rien que ça. Voilà la mission que Sirion leur avait confié à lui, Alruc et ce balourd de Megrez.

"Je prie pour qu'un jour tu aies raison, mon garçon. Je prie. Mais soit, il nous faut accomplir cette mission. As-tu prévenu Megrez ?(Alruc acquieça) Bon, prépare tes affaires. Retrouvons-nous ici, ce soir. Il nous faut agir vite si nous voulons rattrapper l'avance qu'il a sur nous."

Dommage cette fausse retraite commençait à me plaire tout compte fait...

Alruc l'avait prévenu tôt le matin-même. Il devait préparer ses bagages pour leur prochaine mission puis se rendre aux appartements de Furgas pour les derniers préparatifs.

Furgas. Pourtant, n'était-il pas sensé être à la retraite ce vieux bougre ? Ou était-ce encore une mauvaise farce de cet ancien Agent qui servait déjà sous le règne d'Irimon ? Megrez ne pouvait être sûr de rien. Il se rendait donc au point de rendez-vous afin d'en savoir plus sur cette sombre mission.

La nuit était tombée depuis quelques minutes lorsque le colosse de muscles frappa à la porte de la chambre de Furgas. Bientôt, celle-ci s'ouvrit faisant apparaître l'Agent roux devant le Géant, Alruc lui sourit et lui fit signe d'entrer. Furgas les attendait, assis dans le salon sur un fauteuil semblant très confortable. Un feu avait été allumé dans le foyer de la cheminée et rendait l'atmosphère chaleureuse contrastant avec l'orage au-dehors. Le doyen leur montra du doigt deux autres sièges -moins confortables mais assez pour s'y endormir- puis reposant ses coudes sur les bras de son fauteuil, Furgas entama la discussion.

"Bien. Voici donc la mission qui nous réunit tous les trois dans cette pièce : le Fantôme nous demande de retrouver la trace de Saemon, de le capturer et de le ramener à notre quartier général de gré ou de force."

Megrez n'en crut pas ses oreilles.

"Saemon ?! Saemon Havarian ? C'est de lui dont vous parlez ?!"

"Exact."

Le colosse vociféra des mots inaudibles entre ses dents et fronça les sourcils.

"Tu as peur de lui, Megrez ?" insinua Alruc.

"Moi ? Peur de ce maigrichon à la moustache bien taillée ?! Bouah ! Je pourrais l'écraser sous la semelle de ma botte !"

"Au contraire, tu devrais te méfier de lui Megrez, lui répondit sèchement Furgas. Aurais-tu oublier la réputation qui le suit depuis des années ? Cet homme fait partie des meilleurs combattants de notre époque. Il est rusé tel un renard et aussi fort qu'un lion lorsqu'il sort ses griffes. Alors oui, tu devrais mesurer tes paroles ou tu pourrais finir égorger avant d'avoir seulement compris qui tu devais affronter !"

Megrez se tût. En effet, le Géant avait trop souvent tendance à se croire invincible et même si sa force brute suffisait le plus souvent à se débarasser de la plupart des ennemis qu'il avait face à lui, il devait admettre que Furgas avait raison.

"Très bien l'ancien. Quel est ton plan pour mettre la main sur ce moustachu ?"

Cette fois-ci, ce fut Alruc qui prit la parole à son tour, il énonça alors les grandes lignes du plan à la place de Furgas qui réfléchissait en silence.