Breac était quelque peu essoufflé lorsqu'il revint au campement. Il avait chassé trois jours durant, et avait réussi à abattre un joli chevreuil qu'il avait chargé sur son dos, et ramené jusqu'aux siens. Ils auraient ainsi à manger pour les jours à venir, et il ne doutait pas que les femmes sauraient agrémenter cette maigre pitance. En effet, nourrir une cinquantaine de bouches avec un seul animal n'était guère aisé, mais l'hiver semblait être passé, et chacun espérait prudemment que les premières pousses allaient donner de belles graines. On avait dû vendre du matériel pour se procurer les vivres qui avaient manqué, et le chef du village avait décidé d'acheter deux poules supplémentaires, pour l'élevage. C'était peu, mais c'était tout ce que leur pécule leur avait permis de se procurer. Vivre dans les montagnes présentait quelques inconvénients, comme le fait de ne pas pouvoir trouver tout ce qu'il était possible d'obtenir à la capitale, mais il y avait aussi des avantages. L'air pur, la nature environnante qui paraissait inviolée. Pour rien au monde le jeune chasseur n'aurait troqué ce trésor contre de vulgaires pièces d'un métal brillant. Pourtant, il devait reconnaître que c'était à Minas Tirith que l'on trouvait les meilleurs guérisseurs, et lorsque la vieille Eda était tombée malade, il avait fallu que deux hommes vaillants la portassent jusqu'en bas des montagnes en espérant qu'elle ne mourût pas en chemin. Fort heureusement, elle était forte comme un ours, plus forte que ses quatre fils réunis, et elle était revenue sur ses deux jambes, marchant dignement au milieu de ceux qui l'avaient conduite à la capitale.
Toutefois, quand le jeune homme approcha du campement, il nota immédiatement que quelque chose n'était pas comme d'habitude. Là où d'ordinaire les siens devaient dormir pour reprendre des forces et attaquer la journée du lendemain, ils paraissaient donner une grande fête. Il y avait de la musique, des chants, des rires, et un grand feu de joie brûlait au centre de leurs modestes habitations, projetant les ombres des convives le long des parois rocheuses. Interloqué, Breac s'avança avec circonspection, déposant le gibier qu'il avait tué dans la grande cuisine, dans un immense tas de sel qui préserverait l'animal de la décomposition. Puis, sans avoir pris la peine de se changer, il se dirigea vers les siens qui paraissaient en proie à une liesse incroyable. A demi-dissimulé dans l'ombre, il ouvrit grand les yeux en voyant hommes et femmes danser comme des possédés au milieu du camp. Une musique entraînante, jouée par un petit violon, leur réchauffait le cœur et les poussait à la démesure.
Le regard du jeune garçon se porta sur le musicien, qu'il ne connaissait pas. Il était debout, un grand sourire aux lèvres, et il gigotait d'un pied sur l'autre au rythme de sa propre musique. Son archet était si rapide qu'il fallait une grande concentration pour en suivre tous les mouvements. Les notes qui jaillissaient de son instrument étaient fluides, pures comme le cristal, et donnaient envie de taper du pied. Cet homme n'était pas riche, à en juger par sa tenue rapiécée et usée par les voyages, mais c'était un véritable virtuose. Les cordes qu'il faisait vibrer le mieux se trouvaient dans le cœur de son auditoire, et chacun était subjugué par son talent et la bonne humeur qui émanait de son sourire ensoleillé. Breac cligna des yeux. Il était si absorbé par la mélodie qu'il ne s'était même pas demandé d'où venait ce drôle de personnage qui paraissait avoir captivé tout le village par sa musique. Les étrangers étaient rares dans les Montagnes Blanches, et en général ils étaient l'objet d'une certaine forme de méfiance. Depuis combien de temps se trouvaient-ils ici pour avoir réussi à si bien s'intégrer dans la petite communauté ?
Breac continuait d'observer la situation, comme le chasseur qu'il était, en restant à une distance prudente. Ses yeux furent attirés par une silhouette qu'il ne connaissait guère, et qui dansait au milieu des siens. C'était une jeune femme magnifique, et le jeune homme se sentit instantanément attiré par elle. Il ne la connaissait pas, il ne la voyait que depuis quelques secondes à peine, mais il la désirait déjà ardemment, de tout son être. Elle incarnait tout ce qu'il avait toujours rêvé d'avoir. Physiquement, sans être objectivement la femme la plus belle de Terre du Milieu, elle était ravissante. Des lèvres généreuses, des hanches galbées, de longues et belles jambes qui s'agitaient au rythme de la musique. Ses cheveux ondulaient derrière elle, passant tantôt devant son visage lui donnant un air sauvage que le jeune homme trouva irrésistible. Mais surtout, c'était son attitude qui était parfaitement désirable. Elle avait un sourire immense, des yeux pétillants de joie et de bonne humeur. Les bras écartés comme pour accueillir les énergies de ses voisins, elle semblait incroyablement dynamique, à un niveau surhumain. Si la musique faisait danser les gens, on aurait dit qu'elle sublimait les notes, et transformait chaque son en une explosion de saveurs et de couleurs. Quand on la regardait, tout semblait châtoyer, le monde entier semblait rayonner d'une lumière incroyable dont elle était l'unique source.
Breac resta bouche bée en la voyant. Littéralement. Il ne pouvait pas détacher ses yeux de la silhouette qui ondulait sous son regard, et c'était bien impudiquement qu'il l'observait, contenant à grand peine les battements violents de son cœur qui paraissait s'être calé sur le rythme de la mélodie. Elle tourna sur elle-même, et soudainement leva les yeux vers lui, plongeant dans son regard ébahi. C'était comme si elle avait su exactement où le trouver, et il ne pouvait même pas se cacher ou faire semblant qu'il regardait ailleurs : elle l'avait pris sur le fait. Mais, contrairement à ce qu'il craignait, ce ne fut pas de la colère qu'il vit dans le regard de la jeune femme. Au contraire, elle lui rendit une œillade brûlante, qui ne fit qu'attiser le désir qu'il sentait déjà le consumer. Elle se retourna, et tout en continuant à danser, s'éloigna du groupe principal, avant de filer à pas légers dans la montagne environnante. Breac, subjugué, comme soumis à un sortilège, la suivit. Il passa à côté des membres de sa famille qui ne parurent pas non plus remarquer sa présence, et s'enfonça dans les ombres à la recherche de la silhouette qu'il avait vu s'y éclipser.
Le vent se leva quelque peu, et il arriva chargé des échos d'un rire cristallin qui l'appelait. Ses pas le conduisirent plus haut dans les montagnes, et il commença de grimper, s'aidant parfois des mains pour franchir les obstacles les plus complexes. Quand il levait la tête, un sourire jusqu'aux oreilles accroché au visage, il lui arrivait de voir un mouvement dans la nuit, et il s'empressait de le suivre. Breac était un jeune garçon athlétique, et il connaissait bien les lieux, si bien qu'il finit par rattraper la jeune femme qu'il poursuivait. Il l'appela de la voix, et elle se retourna. Un sourire espiègle était accroché à son visage, mais elle ne s'arrêta pas et continua à grimper. Il faisait de plus en plus froid, mais le chasseur portait toujours sa lourde pelisse qui le protégeait, ce qui n'était pas le cas de la jeune femme qui pourtant ne semblait pas frissonner le moins du monde. Elle atteignit rapidement un petit plateau, et se mit à courir droit devant elle, sans paraître s'inquiéter des risques de chute. Breac se hissa à son niveau, et sans trop savoir pourquoi, se lança à sa poursuite. Il était sur le point de lui saisir le bras quand elle l'esquiva d'un pas sur le côté, riant aux éclats. Il rit également, et continua d'essayer de se saisir d'elle. Elle se tenait hors de portée, faisait un pas en arrière chaque fois qu'il en faisait un en avant, et jamais ils ne cessaient de glousser. Finalement, il réussit à la coincer, et alors qu'elle essayait de passer en force, il la saisit entre ses bras, et l'attira contre lui.
Elle se débattit pour la forme, mais ils étaient tous deux épuisés, à la fois à cause de leur course mais aussi à cause de l'altitude et de la raréfaction de l'oxygène. Leurs poitrines se soulevaient à un rythme effréné, mais jamais leurs rires ne semblaient vouloir s'interrompre. Il la serrait toujours contre son torse, elle dos à lui, et sans même savoir pourquoi il lui déposa un baisser dans le cou. Elle se laissa faire, inclinant même la tête pour lui permettre d'accéder plus facilement à sa peau veloutée. A chaque fois qu'il se penchait pour l'embrasser, il sentait le parfum entêtant de ses cheveux soignés, et il lui semblait qu'il était ivre soudainement. La solitude sur ce petit plateau abrité leur offrait un cadre idéal pour se livrer aux jeux de l'amour, et les baisers ne tardèrent pas à glisser vers les lèvres pulpeuses de la jeune femme. Elle y répondit avec ferveur, et ne se débattit pas davantage lorsque des mains inexpérimentées vinrent courir sur son corps, tantôt timides tantôt audacieuses. Quand leurs vêtements se retrouvèrent éparpillés, ils s'allongèrent nus, l'un contre l'autre, et ce fut la première fois que Breac goûta au plaisir de la chair. Ils s'ébattirent longuement, alors que le jeune chasseur jouissait d'une liberté et d'une indépendance qu'il n'avait jamais connue. Uni à cette femme qu'il venait à peine de rencontrer, il avait l'impression de dépasser des limites dont il n'avait même jamais pris conscience. Elle lui faisait voir un horizon nouveau, et bien qu'il ignorât encore la signification de tout ceci, il se sentait prêt à partir à l'aventure à ses côtés. Il s'endormit alors contre son sein, plein d'extase et l'esprit plus apaisé que jamais.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, la jeune femme à ses côtés dormait, recroquevillée contre lui. Immobile, il sentait la douceur de sa cuisse posée contre la sienne. Il percevait son souffle régulier et doux. Elle avait dû se lever pour aller chercher son manteau, qu'elle avait déposé sur eux pour les préserver du froid. Il se sentait incroyablement bien, et pour rien au monde il n'aurait voulu que cette nuit prît fin. Pas pour retourner à sa petite vie monotone, pas pour retrouver les règles de sa famille, de son peuple, pas pour retrouver le carcan de cette montagne infernale qui lui offrait chaque jour en spectacle la vue sur un monde qu'il ne pourrait jamais explorer lui-même. Il sentit des larmes couler le long de ses joues, et il ne fit rien pour les chasser.
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Tu pleures ? Demanda une voix qu'il entendait certainement pour la première fois.
C'était la jeune femme. Elle n'avait pas même ouvert les yeux, mais elle avait capté son trouble, et il ne trouva pas la force de lui mentir. Certes, il était un homme et il devait faire honneur à son statut, mais il était sincèrement affligé. Il ne pouvait pas trouver de belle phrase à lui répondre pour l'apaiser, et pour s'apaiser lui-même :
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Je sais que vous allez partir. Je le sens.Il s'attendait presque à ce qu'elle répondît « non », à ce qu'elle le rassurât, lui disant qu'elle allait rester à jamais à ses côtés, accepter de l'épouser et lui donner de beaux enfants. Elle n'exauça pas son vœu, toutefois :
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Oui, je dois partir. C'est dans l'ordre des choses…-
L'ordre des choses ? Pourquoi doit-il en être ainsi ? Pourquoi est-ce que l'ordre des choses doit toujours l'emporter sur ce que je veux, moi ?Elle se redressa quelque peu, et l'embrassa tendrement. Sa colère contre le monde entier retomba, et il se tourna vers elle, afin de lui rendre son baiser, comme si chaque seconde devait être vécue pleinement. Elle interrompit leur étreinte, et répondit :
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Tu sais, il est possible de changer tout cela. Cette nuit était bien réelle, et a déjà commencé à fissurer quelque chose en toi, n'est-ce pas ?Il ne trouva rien à répondre. Elle paraissait avoir lu à travers son âme, sans la moindre difficulté, et il était stupéfait de voir à quel point ses mots faisaient écho à ce qu'il ressentait. Il se contenta de hocher la tête, penaud, les yeux fixés sur les étoiles qui brillaient dans le ciel, inaccessibles. Elles étaient comme cette femme à ses côtés : s'il tendait le bras, il pouvait les toucher et les capturer dans son poing, mais un rayon de soleil viendrait les chasser en quelques secondes, et quand il ouvrirait ses doigts, il se rendrait compte avec amertume qu'il s'était encore illusionné. Elle enchaîna :
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C'est pour ça que mes compagnons et moi voyageons.-
Pour coucher avec des hommes ?Elle rit. Il ne comprit pas, car sa question était bien réelle. Pendant un instant, il se demanda s'il n'était pas tombé dans un piège. Il se demanda si elle ne s'était pas jouée de lui. Mais la seconde d'après, il regretta de s'être posé cette question. Même si c'était le cas, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Il avait apprécié cette nuit, et il ne regrettait pas d'avoir agi ainsi. Elle répondit en lui embrassant la joue :
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Non, pas pour ça. C'est seulement un bonus pour les plus méritants.-
Hm… Et pourquoi devons-nous nous séparer ? Ne puis-je moi aussi venir avec vous ? Si vous ne pouvez rester, je peux moi vous suivre.Elle lui posa un doigt sur les lèvres, avant de l'embrasser langoureusement. Cela suffit à nouveau à le calmer, et à dissiper ses idées les plus folles. Cette fois, il se laissa totalement faire, et elle se hissa sur lui, posant la joue contre son torse. Elle appréciait de sentir les battements affolés de son cœur, de percevoir le flux et le reflux de l'air dans ses poumons. Il pouvait se donner une apparence de calme, mais il ne pouvait pas lui mentir à elle. Elle commença :
-
Veux-tu que je lise ton avenir, Breac ?Il ouvrit des yeux ronds. Il ne se souvenait pas lui avoir donné son nom. Machinalement, il fit « oui » de la tête, et elle tendit le bras pour se saisir de ses vêtements étendus non loin. D'une poche fermée de ses robes, elle tira un petit objet sphérique, enroulé dans un tissu épais. Elle révéla l'objet, qui se trouvait être une petite boule en cristal lisse, sans imperfections. Le chasseur l'observa avec attention, et constata que la sphère semblait avoir capturé le reflet des étoiles et la noirceur de la nuit. Son regard glissa vers la jeune femme : si elle n'avait pas prononcé son prénom avec tant de naturel, il aurait sans doute pris son jeu comme une blague, mais maintenant il n'en était plus si certain. Elle s'assit pour se tenir dans une position plus confortable, et tendit une main prudente vers la pierre, comme si elle craignait à demi d'entrer en contact direct avec elle. Breac remarqua que sa main gauche n'en avait d'ailleurs pas touché la surface. Pendant un instant, il se demanda si faire une telle chose était vraiment nécessaire, mais c'était trop tard.
Ses doigts se posèrent délicatement sur le cristal, et ce fut le chaos. Elle poussa un long hurlement déchirant, alors que son corps était secoué de spasmes violents et incontrôlables. Ses jambes et ses bras s'étaient mis à trembler, tandis qu'elle paraissait traversée par la foudre, déchirée de l'intérieur par une force incontrôlable, possédée par un esprit malin. Ses yeux révulsés n'étaient pas fermés, et elle avait les pupilles totalement blanches, rivées sur un point dans le lointain, comme si elle était dans un autre univers, comme si elle voyait des choses qui n'existaient pas. Elle bascula en arrière, et Breac poussa un cri de terreur en se précipitant pour la rattraper. Il s'empressa de lui saisir le poignet pour rompre le contact, et soudainement la jeune femme retrouva son calme, retombant mollement dans ses bras, encore tremblante comme si elle avait été soumise à un violent traumatisme. Elle respirait de manière saccadée, et de temps à autre, elle frémissait encore.
Quand elle finit par ouvrir les yeux, au terme de longues secondes, Breac sentit ses épaules se détendre largement, et le soulagement se peignit sur ses traits. Il l'embrassa passionnément, heureux de ne pas l'avoir perdue, heureux de la savoir en vie, tout simplement. Elle lui adressa un sourire fatigué, et le rassura sur sa santé :
-
Je vais bien… Je vais bien… C'est seulement que j'ai vu des choses… troublantes. Je n'avais jamais eu pareille vision…Il buvait ses paroles :
-
Qu'avez-vous vu ? Que dit mon avenir ?Elle parut hésiter un instant :
-
Ton destin est sombre. Tu vas effectivement te lever à nos côtés, mais cela commencera par les tiens. Je t'ai vu les mener à la guerre, je t'ai vu te dresser comme leur chef, et les guider. Tu leur disais… oh tu leur disais des choses merveilleuses. Tu leur disais : « si chacun accepte de déchirer les illusions qui lui font croire qu'il ne peut façonner la Matière, nous nous dresserons en légions pour faire triompher l'ordre véritable ».Elle en avait les larmes aux yeux, et elle l'embrassa encore tendrement, comme si elle se rendait compte qu'elle allait le perdre pour toujours. Il lui rendit son baiser, déstabilisé par les paroles qu'elle venait de prononcer. Il ne put s'empêcher de lui demander :
-
Mais qu'est-ce que la matière ?-
La Matière, c'est tout ce qui t'entoure. Ton destin est de façonner le monde qui t'entoure, Breac…Il hocha la tête, le regard dans le vague, comme s'il assimilait peu à peu les informations qu'elle lui donnait. Il n'était pas facile pour lui de comprendre toutes ces choses, lui qui n'était qu'un jeune chasseur, à peine éduqué. Toutefois, il saisissait la portée de ses mots, il mesurait qu'il était en mesure de changer le monde dans lequel il vivait. Son destin était écrit, et dès lors il ne pouvait échouer. Toutefois, il y avait une seule chose qui obscurcissait son tableau, et sa question franchit ses lèvres avant même qu'il eût le temps de trouver une formulation élaborée :
-
Et vous ? Vais-je vous revoir ?Elle sourit affectueusement :
-
Si le futur est conforme à la vision que j'ai eue, Breac, alors oui. Nous nous reverrons.-
Je ne connais même pas votre nom…Son sourire s'élargit encore, tandis qu'il était absorbé dans ses yeux immenses qui le couvaient totalement. Il ne pensait à rien d'autre qu'à elle, et à ces heures qui filaient trop vite, et qui entendaient les séparer. Elle lui caressa tendrement la joue, et souffla :
-
Je m'appelle Lilith…-
Je vous aime, Lilith…Il n'avait jamais aussi sincère de sa vie, et les mots étaient sortis de sa bouche naturellement. Alors qu'il était sur le point de la perdre, il ne pouvait pas résister aux élans d'honnêteté qui s'emparaient de lui. Elle n'eût pas besoin de lui répondre, car il lut dans son regard qu'elle ressentait la même chose pour lui :
-
La nuit n'est pas encore terminée, Breac. Il nous reste quelques heures avant le point du jour…~ ~ ~ ~
-
Faites bonne route jusqu'à Minas Tirith ! Vous mettrez probablement un peu plus d'une journée à arriver à destination, si vous empruntez ce sentier. Il descend directement vers les plaines, et vous n'aurez plus qu'à vous repérer en levant les yeux. La cité blanche est visible de très loin.Breac n'écoutait qu'à moitié le discours du chef, et il était davantage préoccupé par ce que lui avait dit Lilith la veille au soir. Ils s'étaient séparés aux premières lueurs de l'aube, saisis dans l'étreinte par le lever du soleil qui les avait poussés à regagner le camp rapidement. La jeune femme avait retrouvé ses compagnons qui ne lui avaient fait aucun commentaire, tandis que le jeune chasseur avait senti des regards amusés posés sur lui pendant qu'il regardait ailleurs. Certains de ses cousins le moqueraient pendant quelques jours, mais surtout ils le jalouseraient pour avoir réussi à séduire d'un simple regard une si belle femme. En outre, elle lui avait confié à lui seul un terrible secret, le fardeau de son destin. Elle aurait pu choisir n'importe lequel d'entre eux, mais elle l'avait attendu lui, et il se sentait privilégié, élu. S'il suivait le chemin tracé par son destin, il pourrait la retrouver, et ils seraient enfin réunis pour toujours. La jeune femme et ses trois compagnons de route, dont deux étaient déjà couchés quand le chasseur était arrivé la veille au soir, s'en allèrent donc non sans agiter le bras en signe d'adieu. Il y avait une pointe de tristesse dans le camp, après la nuit qu'ils avaient passée à rire et à chanter, mais le plus malheureux de tous était sans doute Breac le chasseur. Quand on vint lui passer un bras autour de l'épaule amicalement, il se dégagea avec une certaine brusquerie, et répondit d'un ton sombre :
-
Vous vivez dans l'illusion… Vous devez les déchirer, ouvrir les yeux…Mais personne ne l'entendait. Pas encore.
~ ~ ~ ~
Lilith marchait tranquillement sur le sentier. Elle n'avait certes pas beaucoup dormi, mais elle avait passé une nuit des plus agréables, et elle savait avoir fait cela pour le bien de tous. Breac était un jeune homme charmant mais encore jeune : elle était curieuse de voir ce qu'il deviendrait dans quelques années. Non, mieux… dans quelques mois. Elle était certaine qu'il serait métamorphosé, transformé en un jeune homme majestueux, fin orateur, capable de transcender les foules. Elle ne doutait pas qu'il aurait bientôt convaincu les siens de la nécessité de changer les choses pour le mieux. C'était avec ce genre d'hommes que l'Ordre de la Couronne de Fer et tous ses sbires seraient vaincus finalement. Perdue dans ses pensées, elle n'entendit pas vraiment la question du violoniste, et se fendit d'un « hm » rêveur, qui tira un sourire au musicien :
-
Je vois que tu as profité de ta soirée, sacrée coquine. Tu veux qu'on te laisse te remettre de tes émotions ?Elle eut un sourire franc :
-
Je fais ce qu'il me plaît… avec qui il me plaît. Ce jeune homme était adorable, et je n'ai fait que nous offrir mutuellement une nuit de détente.Ils partirent tous d'un rire amusé. Ils formaient une compagnie complice, et ils se connaissaient trop bien maintenant pour ne pas être tentés de se jeter quelques piques à l'occasion. Pourtant, ils le faisaient toujours dans le respect les uns des autres, car certains avaient une susceptibilité prononcée, et il ne valait mieux pas les sortir de leur calme habituel. Lilith en faisait partie, en un sens. Un des hommes derrière elle demanda avec sa voix grave :
-
Tu penses que tu as quand même réussi à le convaincre ?-
Je lui ai montré ça…Elle sortit de sa poche la petite sphère de cristal, prenant garde de ne pas la toucher avec ses doigts. Les autres hochèrent la tête pesamment, comme s'ils n'avaient pas besoin d'autre argument. De toute évidence, cet orbe constituait à lui seul une preuve que Breac avait été convaincu du bien fondé de leur cause, et ils ne cherchèrent pas plus loin. Lilith passa une main sur son visage, se rendant à peine compte du sourire d'extase ravi qu'elle affichait depuis qu'ils étaient partis. Elle ajouta presque pour elle-même :
-
Je pense que nous trouverons d'autres gens prêts à affronter l'Ordre de la Couronne de Fer quand nous serons à Minas Tirith…Et c'était plus qu'une pensée, c'était une certitude. La Voyante l'avait lu, et elle ne se trompait jamais quand elle faisait une prédiction...
#Breac #Lilith