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 La rose des vents

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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
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Nathanael

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La rose des vents EmptyMar 30 Juin 2020 - 8:39
Fiché sur sa haridelle grise, Ormal souriait, découvrant ses dents blanches au milieu des étendues jaunâtres de guèdes. Le Gondor allait mal. Les nouvelles lui étaient parvenues le matin même. Et quand le Gondor allait mal, Ormal exultait. Du haut d’une éminence rocheuse battue par le vent, il gardait un œil sur le nouvel officier d’Ella Desbo. L’homme pâle allait et venait beaucoup, surveillait, comptait, organisait, commandait. Zaoud le recruteur lui avait dit bien des choses à son sujet. Il aimait bien parler contre quelques verres offerts, et après les avoir bus, il parlait encore plus. L’homme pâle avait des hommes du Gondor à son service et des hommes du Harondor aussi. Il ne parlait pas la langue du sud et ne connaissait pas beaucoup leur culture. Mais Zaoud lui avait dit qu’il était un marchand dans l’âme et qu’il était fort pour les négociations. L’homme pâle avait réussi à apprivoiser la famille de Haravi. Ils iraient travailler dans les champs pour quelques draps propres et des perles de couleur. Ormal rit. Il avait vu les perles. Elles étaient de qualité moyenne et beaucoup finiraient par casser dans les mois à venir. Mais les draps étaient de bonne qualité, simples, mais bien tissés, à la manière du sud. L’homme pâle ne s’était pas tout à fait moqué d’eux, il était bon commerçant. Une bonne chose. Car Ormal avait des choses à vendre et d’autres, qu’il voulait acheter.

Il talonna sa mule et la poussa dans la descente en pente douce jusqu’aux premières feuilles jaunies par le soleil. Il avait enroulé un long turban autour de sa tête pour ne pas se brûler le visage et une longue tunique souple lui descendait jusqu’aux genoux, dévoilant une paire de jambes robuste couleur d’ambre. Il montait à la manière de certaines tribus marchandes du Harad, non à califourchon, mais les deux jambes du même côté, sans selle et menant son animal avec une simple corde autour du cou. Il avait le sourire franc et jovial, mais le regard acéré de celui qui cherche toujours à avoir une longueur d’avance.

Ormal se rapprocha des premiers ouvriers occupés à ramasser les feuilles de guède. Ils portaient sur leur dos des sacs tissés avec les grandes palmes des oasis. Ils levèrent les yeux quand Ormal passa et échangèrent entre eux des propos moqueurs à propos de son animal. Ormal les ignora. Il savait lui, ce qu’était une bonne mule. Trop grasse, elles devenaient fainéantes, trop sombres, elles avaient trop chaud. La sienne était parfaite. Elle avait les jarrets solides, les reins manquaient un peu de force, mais l’épaule plus développée compensait ce petit défaut de conformation. Et surtout, elle aimait le travail. Pas comme toutes ces grandes bêtes croisées avec des juments du nord, qui rechignaient à tirer les chariots quand le soleil mordait trop fort ou que quelques taons venaient leur piquer la croupe. Pour Ormal les animaux n’avaient pas besoin d’être beaux, ils devaient surtout être utiles. Et Zaoud lui avait dit que l’homme pâle cherchait des animaux utiles.

Parvenu non loin du Gondorien, un homme héla Ormal.

— Qu’est-ce que tu veux sale fennec ?
— Accueil plus chaleureux que le désert,
répondit Ormal avec son grand sourire. Je viens pour travailler. Zaoud m’a dit que vous cherchiez une mule pour tirer des chariots d’herbe du Harad. J’amène la mule.
— On n’en veut pas de ta carne.
— Vous en voudrez quand le Coup de Sabre se lèvera. Le Gondorien sera content d’apprendre que vous ne l’aviez pas prévenu que la tempête arrive.
— Parce que la tempête n’arrivera pas,
répondit l’autre.

Sans se départir de son sourire, Ormal haussa les épaules comme pour lui signifier qu’il n’en saurait jamais rien et que tout pouvait arriver. Il n’avait pas tout à fait arrêté sa mule et petits pas après petits pas, il s’était rapproché de l’homme pâle qui discutait avec un des métayers de la maîtresse Desbo.

— Gondorien !
dit Ormal comme s’il était un grand marchand du sud et qu’il s’adressait à un vulgaire étranger sur sa route. Est-ce que les frères Emri t’ont dit ce qui allait arriver ?

Quoiqu’ayant un fort accent, il parlait un westron très clair et compréhensible. Il s’exprimait lentement, comme s’il voulait laisser chaque mot pénétrer ses interlocuteurs et qu’ils se posent mille questions avant la fin de chacune de ses phrases. Ormal regarda l’homme pâle dans les yeux sans rien dire, laissant le silence s’installer entre eux un bref instant. Autour de lui les hommes du nord qui l’accompagnaient paraissaient indignés que l’on puisse s’adresser ainsi à un homme important. Mais Ormal se contrefichait des titres, des fonctions et des appellations pompeuses. Il avait connu la faim et la soif dans la profondeur des ergs méridionaux où la mort abolit l’orgueil et toute forme de hiérarchie sociale. Il avait connu la honte, l’humiliation et l’oubli dans les terres orientales.

— Au sud les caravaniers s’inquiètent. Ils ont vu des ombres au milieu des dunes et des grandes étendues de pierres. À l’ouest, les vagues ont disparu depuis de longs jours et la mer est calme comme avant une terrible tempête. Et les Fân ont vu dans le sable que les esprits du désert étaient en colère. Dans quelques jours un terrible Coup de Sable s’abattra sur tout le Harondor et votre récolte sera perdue, les hommes et les bêtes mourront.

Ormal parlait comme s’il connaissait tout cela de source sûre et qu’il avait pu lire l’avenir. Son indéfectible sourire lui éclairait toujours le visage alors même qu’il continuait d’annoncer de terribles événements. Il avait réussi à attirer l’attention du Gondorien et celle du frère de Zaoud aussi, qui intervint rapidement.

— Ne l’écoutez pas messire Praven, dit-il. Il avait saisi le traducteur par le bras pour se faire comprendre rapidement. Ormal vient du sud, c’est un Haradrim qui veut embrumer l’esprit et tordre vos idées. C’est un agitateur qui veut vous faire peur. Le Coup de Sabre s’annonce quelques jours avant par un vent très très brûlant qui brûle les yeux et assèche la gorge. On ne peut pas travailler avec ce vent très chaud. Les ouvriers le connaissent. Croyez-vous vraiment qu’ils continueraient à se courber dans les champs s’ils craignaient pour leur vie ?

Était-ce un pur de jeu de l’esprit ou faisait-il vraiment plus chaud d’un coup ? Il était impossible de le dire vraiment. Derrière Ormal, un homme qui ramassait la guède se leva pour porter son sac au bout d’une rangée de plantes et parvenu auprès du chariot, tomba soudainement, pris de vertiges. Ormal ne dit rien, sourit, et planta ses grands yeux verts dans ceux d’Evart Praven.

#Ormal #Evart #Praven
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Evart Praven
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La rose des vents EmptyVen 31 Juil 2020 - 22:41
Depuis quelques jours, Evart avait élu domicile à l'auberge du domaine de Dame Desbo depuis que la récolte de la guède avait commencé. Ces dernières semaines n’avaient pas été une partie de plaisir mais le jeune homme avait l'impression d'avoir joué assez finement. Depuis qu'il était arrivé, il avait pu obtenir les informations de première main sur les besoins des villages environnements. Ici, on souhaitait des draps solides et colorés, là on souhaitait être approvisionné en semences de millet suite à l'incendie de leur grenier. Dans un autre village, on était en conflit avec un marchand de la Compagnie du Sud et l'un des juges locaux traînait des pieds pour dénouer l'affaire, Evart avait dû intervenir auprès de Dame Desbo pour qu'elle même intervienne auprès de ce juge. Ainsi, les villages des environs avaient presque tous proposé leurs bras pour venir à la récolte du pastel, à des prix très corrects en plus. De l’autre côté, le jeune homme avait réussi à trouver une méthode de travail avec les Emri. On avait aplani les difficultés et chacun avait mis un peu d’eau dans son vin. Désormais, tout le monde était à l’œuvre pour servir au mieux la Grande Marchande du Sud.

Tout se passait bien pour l’essentiel de la journée. Les ouvriers allaient et venaient à travers les allées de pastel. Ils cueillaient les feuilles avec une grande délicatesse pour les déposer au fond de paniers en osier. Le jeune homme était assez impressionné par la hardiesse que chacun mettait à la tâche, surtout sous une telle chaleur. En fin de matinée, un homme étrange apparut sur son cheval et la situation se tendit très rapidement. Le jeune noble fut interpellé par l’intrus :

- Gondorien ! Est-ce que les frères Emri t’ont dit ce qui allait arriver ?

- J’imagine que vous allez me le dire.


La réponse du garçon était pleine d’une certaine ironie mais elle dissimulait avec peine son envie d’avoir une réponse. Même s’il avait des relations correctes avec les hommes d’Ella Desbo, cette confiance restait raisonnablement limitée. Dans un premier temps, Evart fut plein de perplexité. L’intrus prenait des airs de prophète de malheur brandissant les signes avant-coureurs d’un immense danger… Cela avait un coté assez ridicule mais quelque chose clochait. Le frère Emri eut une réaction étrange, quelque peu disproportionnée, sur la présence de cet Ormal qu’il l’accusa d’être un excitateur cupide. Puis il tacha de le rassurer. Il est vrai que si même les locaux ne craignaient pour leur vie et leur travail, c’était plutôt rassurant. Tout à coup, l’un des ouvriers fit un malaise, comme si la prophétie se réalisait. Devant la situation, Evart ordonna :

- Amenez le à l’ombre et donnez-lui de l’eau. S’adressant à l’intrus, il continua. Veuillez suivre Naldihir jusqu'au domaine, je vous rejoins sitôt. Se tournant vers le garde, il poursuivit. N'oubliez pas de lui proposer de l'eau et faites-en ramener en quantité ici, qu'aucun de ceux qui travaillent n'en manque.

Ainsi, le jeune homme avait réussi à se débarrasser temporairement d'un gêneur. En effet, il lui fallait gagner un peu de temps pour éclaircir certaines choses avant d'écouter le haradrim. Le jeune frère Emri avait réagi avec beaucoup de vigueur aux propos du suderon, voire même à sa seule présence.

- Messire Emri, je ne souhaite pas vous voir craindre quoique ce soit. Vous avez toute ma confiance dans la gestion du domaine. Cet homme semble annoncer un danger qui semble très grand et tout à fait imminent. Je souhaite seulement évaluer le risque pour nous assurer des bonnes affaires de Dame Desbo. N’y voyez absolument rien de personnel. J’aurais néanmoins quelques questions à vous poser. Pouvez-vous m'en dire plus sur cet Ormal ? Vous semblez bien le connaitre, je me trompe ?

Le jeune homme écouta attentivement son commis qui assurait la traduction entre lui et Emri. Evart se fit la conviction qu'il devait au plus vite apprendre la langue du Sud s'il devait y rester longtemps. Beaucoup de locaux parlaient peu voire pas du tout la langue commune. Continuant à glaner des informations sur ce qu'avait dit Emri, le gondorien demanda :

- Qu'est-ce que vous pensez de ce qu'a affirmé sur le Coup de Sable ? Est-ce que vous pouvez m'en dire plus ? Vous avez évoqué une intense vague de chaleur comme un des signes précurseurs qui n'est pas apparu mais est ce qu'il y a d'autres ? Est-ce que tout ce qu'il a indiqué pourrait correspondre ? Il a notamment parlé de Fân, de mer trop calme et d’ombres errantes, qu’en est-il ?

Écoutant attentivement tous les signes précurseurs au fameux Coup de Sable, Evart fut plongé dans une certaine perplexité. La situation semblait complexe et les indices étaient minces pour être certain de l'arrivée de ce fameux vent destructeur. Au-delà de savoir si cela arrivait, Evart avait d'autres questions, peut-être plus graves encore :

- Si maintenant on imagine qu'un Coup de Sable arrive bel et bien ? Quelles en seraient les conséquences ? Y-a-t-il quelque chose qu'on peut faire lorsqu'elle sera là ? Comment peut-on faire pour s'y préparer au mieux ? Notamment vis-à-vis de la récolte ? Faut-il l'accélérer ?

Le temps de laisser répondre Emri, le petit groupe d'hommes arrivèrent devant les murs du domaine. Son ombre protectrice se rapprochait jusqu'à passer son portail. Tout le monde s'afférait aux tâches de la récolte. Au loin, Ormal et le garde se tenaient sous la tonnelle. Avant de les rejoindre, Evart demanda à Emri de faire seller un cheval et préparer un message pour partir d'urgence à Djafa. Tandis qu'il s'éloignait, le gondorien se retourna vers son traducteur :

- Karil, puis je vous demander ce que vous pensez de la situation ?

La situation inquiétait Evart. Comme tout marchand avisé, il cherchait à avoir le plus d'informations possibles pour faire le bon choix. Après tout, le coût de cet aléa pouvait mettre à mal les finances de Dame Desbo, qui ne méritait pas ça aux vues des récents événements. Tandis qu'Emri revenait de l'écurie, le jeune homme s'éclipsa :

- Je vais dicter une lettre urgente.

Quittant l'espace d'un instant la chaleur étouffante de la cour pour rejoindre son secrétaire dans les bureaux de l'intendant, il dut se résoudre à y revenir et à rejoindre ses interlocuteurs sous la tonnelle. D'une voix calme, il s'adressa au haradrim :

- Sachez que je n'ai pas pour habitude de mégoter mes récompenses à ceux qui m'apportent une grande aide. Cependant, si vous me mentez, je ferai en sorte que plus jamais vous ne mentiez à personne. Je suis un homme de parole, comment estimez-vous la vôtre ?
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Ryad Assad
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La rose des vents EmptyLun 5 Oct 2020 - 15:26
Coup de Sable.

Le terme en lui-même faisait frissonner, et paraissait chargé d’une aura menaçante comme seules les terres du Sud savaient les inventer. Ces vastes étendues désolées où la vie livrait bataille avec acharnement face à l’omniprésence de la mort abritaient sans doute autant de merveilles que d’horreurs, qu’elles fussent humaines ou naturelles… ou autre. Alors que le jeune marchand de la Compagnie du Sud avait fait des débuts prometteurs depuis son arrivée sur les lieux, il commençait à comprendre que le Harondor ne l’épargnerait pas plus qu’un autre. Penser que ces terres étaient considérées par les gens du Harad comme idylliques dépeignait en négatif un tableau assez réaliste du désert de Haradwaith, peut-être un des endroits les plus hostiles de la Terre du Milieu.

C’était précisément l’hostilité du désert qui venait à eux, leur rappeler à travers la voix d’un prophète chevauchant un animal malingre que le monde n’était pas encore plié à la volonté des Hommes, et que de grandes forces s’agitaient sous leurs pieds, dans les eaux et les airs, face auxquelles ils n’étaient rien. De minces passagers de ce grand monde tourbillonnant, qui abandonneraient un jour le navire pour le laisser à d’autres, leurs descendants s’ils étaient chanceux, ou leurs ennemis s’ils étaient infortunés. Le cycle de la vie, éternel recommencement, qui imposait l’humilité à chacun.

Ainsi Ormal voyait-il la vie, mais de toute évidence le Gondoriens semblait penser différemment.

Encore un nobliau descendu des lointaines cités du vaste Gondor, pétri de certitudes. Il y en avait eu beaucoup au Harondor, quelques années auparavant. On en voyait moins, depuis Assabia, et surtout depuis Dur’Zork. La puissance du grand royaume s’étiolait peu à peu, et c’était tout naturellement aux marges du pouvoir royal que la pression se faisait la plus forte. Ormal sourit. Oui, Evart était au meilleur endroit pour sentir le monde changer. Le vibrant Harad, sa culture rayonnante, et son orgueil… ah, son orgueil démesuré ! Il avait le pied sur le pouls de la Terre, et pour le cavalier, c’était un privilège de fouler ce sol béni.

La moue du Gondorien lui donna à penser qu’il était le seul à partager cette conviction.

Il était d’ailleurs très clair que le marchand ne souhaitait pas accorder un crédit particulier à ce prophète de malheur surgi de nulle part. Il préférait s’appuyer sur Emri, le bon Emri, dont la mine trahissait le malaise profond qui l’habitait. Il fallut toutes les paroles d’apaisement du Gondorien pour le rassurer sur son statut et sur la confiance qui était placée en lui, pour le voir se relâcher et recommencer à respirer normalement. Non sans jeter un regard vers le domaine où le pauvre ouvrier était en train d’être conduit, il répondit nerveusement, en parlant vite sans vraiment prendre de pauses, à tel point que Karil avait du mal à traduire :

- Ormal est un Haradrim, qui s’est installé ici à la chute du Sultanat d’Haradwaith. C’est un… hm… comment vous traduire ? Un « magouilleur » ? Pardonnez l’expression… Un homme qui n’a pas de métier honorable, qui négocie certaines choses.

Le premier mot qui était venu à la bouche de Karil était « marchand », mais il s’était retenu d’insulter son maître. Ce genre d’erreurs pouvait coûter cher ici, et les Gondoriens n’étaient pas réputés pour leur patience ou leur miséricorde.

- Plusieurs rumeurs courent à son sujet, reprit-il, mais il est difficile de savoir lesquelles sont vraies et lesquelles sont inventées. Certains disent qu’il serait un ennemi de l’Émir, un ancien prisonnier, voire un assassin. D’autres qu’il aurait commis plusieurs vols dans le Sud, et qu’il serait venu ici pour enterrer son butin… On dit qu’il a des amis très puissants, des rois ou des princes, ou encore des gens de la famille de l’Émir…

Le récit était décousu, contradictoire et sans doute exagéré, ce qui en disait long sur l’aura de ce personnage assez singulier. Un bonimenteur faisant triste mine, mais qui avait effectivement la langue acérée et une certaine audace qui ne laissaient pas indifférent. Un homme avec de la ressource, à n’en pas douter. Emri aurait voulu en dire plus à Evart, mais il se contenta de hausser les épaules, impuissant. Il était courant dans les terres du Sud de ne pas poser trop de questions à son voisin, et si Ormal venait effectivement du Harad, sans doute les locaux ne connaissaient-ils pas bien son histoire. Démêler le vrai du faux prendrait du temps, et nécessiterait sans doute beaucoup de patience. De toute évidence, Ormal n’était pas de ces hommes que l’on pouvait cerner d’un seul coup d’œil.

Les préoccupations du jeune marchand, cependant, ne s’arrêtaient pas à un individu, fût-il prophète de malheur. La perspective du Coup de Sable, menace que les locaux semblaient prendre au sérieux, était sans doute bien plus terrible que tout ce que Ormal pourrait bien accomplir. La perspective de voir « hommes et bêtes » mourir exigeait une réponse rapide et décisive, si on ne voulait pas voir les champs d’espoir se transformer en un gouffre financier. Les questions d’Evart étaient, comme d’habitude, précises et méthodiques. La bonne éducation gondorienne, les cours de logique et de rhétorique, la discipline inculquée dès le plus jeune âge aux enfants de l’aristocratie avaient porté leurs fruits. Emri, cependant, était un peu décontenancé par toutes ces questions, lui qui était davantage un habile négociateur et un bon exploitant plutôt qu’un homme habitué à de longues tirades. Il fut évident, d’après ses expressions, qu’il avait du mal à comprendre les questions de Karil. La traduction ne semblait pas faciliter les choses, et il fallut plusieurs échanges entre le traducteur et Emri pour qu’il fût enfin en mesure de formuler une réponse.

- Le Coup de Sable… commença Karil, c’est une mauvaise chose pour les hommes et les récoltes. Ça n’arrive pas souvent, mais ces dernières années le climat a été bouleversé par les dieux mécontents… Les Valar ?

Karil n’était pas très au fait de ces choses, mais il avait déjà entendu ce nom prononcé dans la bouche de plusieurs Gondoriens, et il avait compris qu’il s’agissait de dieux, ou à tout le moins de puissances supérieures que les gens du Nord respectaient à défaut de les révérer. Peut-être étaient-ils similaires aux divinités que les petites gens du Harad et du Harondor continuaient à vénérer plus ou moins secrètement. L’idée était de permettre à Evart de comprendre le tableau général du monde dans lequel il évoluait, et ce seul mot pouvait peut-être l’y aider. Pour un cours de théologie, il devrait s’adresser à plus compétent qu’Emri.

- Les dieux ont d’abord amené le froid, la pluie et la pluie dure. Puis maintenant la chaleur et la sécheresse, comme on n’en a jamais connu de mémoire d’homme. Un Coup de Sable serait un nouveau signe néfaste, mais personne n’a senti le vent chaud du Sud. C’est toujours par ce vent très chaud que s’annonce le Coup de Sable, toutes les histoires le disent. Pourquoi en serait-il autrement cette fois ?

Emri était bien en peine d’en dire davantage. Il y avait bien longtemps qu’un Coup de Sable ne s’était pas manifesté ici. Les Haradrim le connaissaient mieux, car ils y faisaient face assez fréquemment, et ils avaient appris à le dompter, à jouer avec, et même à y survivre. Les Harondorim, qui résidaient loin au Nord, étaient souvent démunis quand ce phénomène méridional remontait jusqu’à leurs terres. Les vieilles légendes et les histoires aidaient à mieux appréhender ce phénomène, et contribuaient toujours à des élans de ferveur à destination des anciennes coutumes et des divinités oubliées que l’on invoquait soudainement pour obtenir protection et salut dans ces moments critiques. Emri ne semblait pas y accorder beaucoup plus de crédit, préférant croire dans ce qu’il voyait : un été particulièrement chaud, mais c’était bien tout.

- Les signes dont parle Ormal, je ne crois pas que quiconque les connaisse ici. Ce sont des choses du Harad, des choses qu’ils colportent ici mais que personne ne peut vérifier. Seuls les Fân sauraient leur donner du sens, mais ce sont des charlatans, des menteurs qui annoncent de mauvaises choses contre quelques pièces. On n’en voit jamais si loin au Nord, ils ont été chassés par les Gondoriens, et ils ne s’aventurent pas au Harondor de peur d’être arrêtés. On en trouve peut-être à Dur’Zork, mais il y a plus de chances d’en croiser au Sud de l’Harnen de nos jours.

Rumeurs, mystères et superstition. Voilà de quoi était fait le discours d’Ormal, si l’on en croyait Emri qui semblait avoir un avis particulièrement tranché sur la question. Il n’était pas homme à se complaire dans les histoires sans queue ni tête. C’était un marchand assez honnête et travailleur, qui ne se serait pas laissé influencer par la première sornette venue. Le Coup de Sable faisait peur, naturellement, mais aucun signe n’était venu annoncer son arrivée, et il ne souhaitait pas répandre l’inquiétude parmi les ouvriers.

Evart n’était pas encore satisfait, cependant, et il pressa le marchand de nouvelles questions, lequel s’efforça d’y répondre :

- Les conséquences d’un Coup de Sable sont généralement terribles. La mort frappe, les récoltes sont souvent détruites, et on assiste à des choses… étranges. On peut s’y préparer, mais…

L’hésitation d’Emri se traduisit chez Karil, et pendant quelques secondes, ils se regardèrent tous les trois, comme si non-dit gênant les contraignait au silence, ou à une prudence extrême. Le flot de paroles reprit finalement, mesuré, trahissant un malaise certain :

- On dit en général que ceux qui essaient d’échapper au Coup de Sable peuvent s’attirer la colère des dieux, et qu’il faut au préalable essayer de les apaiser, de s’attirer leurs bonnes grâces. Mais ce ne sont que des racontars, évidemment. Personne ne croit vraiment à ce genre de choses.

Emri paraissait bien peu sûr de lui, mais il se refusa à en dire plus, préférant enchaîner sur la question des préparatifs. Il y avait en effet un certain nombre de choses qu’ils pouvaient prévoir. La récolte devait se faire en plusieurs fois, et s’ils accéléraient la cadence de travail des ouvriers, ils pourraient peut-être limiter les pertes éventuelles, au risque de créer du mécontentement chez des hommes qui ne comprendraient pas très bien pourquoi on les forcerait à s’échiner plus durement qu’ils ne le faisaient déjà. La perspective du Coup de Sable était effrayante pour eux, et s’ils sentaient qu’on voulait les exploiter sans leur dire la vérité, ils risquaient de protester avec la véhémence qui caractérisait les habitants de ces régions méridionales. Emri se montra très clair à ce sujet :

- Je ne pense pas que le Coup de Sable arrivera, mais si la rumeur venait à se répandre, cela pourrait créer des difficultés sur l’exploitation. Beaucoup sont des journaliers, et ils ne reviendront pas demain si nous leur promettons la mort. Quant à ceux qui attendent leur salaire à la fin de la semaine, ils risquent de nous poser encore plus de problèmes. Espérons seulement qu’Ormal est le seul Haradrim à colporter de telles rumeurs, sinon nous aurons à nous en faire.

C’étaient des paroles de bon sens, mais qui pouvaient se révéler dangereuses. Mentir à des hommes qui risquaient peut-être leur vie pouvait avoir des conséquences désastreuses. Evart devrait prendre une décision avisée en la matière, mais hélas il ne pouvait pas prédire l’évolution du climat, et il semblait en effet faire un peu plus chaud que la veille… Comme si ses sens lui jouaient des tours pour lui faire craindre le pire. Emri s’en alla bientôt, mandé par Evart, lequel demeura avec son seul traducteur, le dévoué Karil qui lui était d’un grand secours depuis le début de son aventure au Sud. Il avait de la ressource, de la jugeote, et son avis était rarement infondé, au point que le Gondorien prit soin de le consulter, comme il l’aurait fait d’un assistant. La surprise du jeune homme devant cette sollicitation ne l’empêcha pas de répondre prudemment :

- Je… Je ne sais pas bien, monsieur. Le Coup de Sable n’est pas une légende, il en vient parfois, et alors les malheurs sont aussi grands qu’on le dit. Ils sont si violents que même les guerres s’arrêtent quand on les annonce. Ce sont des signes véritablement néfastes.

Quand on connaissait l’importance de la guerre dans les territoires méridionaux, cette seule affirmation en disait long sur le danger de ce vent violent. Mais Karil également se montra assez évasif sur les moyens de répondre à cette menace présumée divine, comme si quelque chose l’empêchait de dire toute la vérité à Evart. Ces mystères ne furent dévoilés que lorsque le jeune marchand se résolut à retourner auprès du prophète lui-même, qui semblait toujours aussi assuré. Ce dernier avait arrêté Emri, et échangeait quelques paroles tendues avec le Harondorim, qui tenait sa bête par la bride. L’intervention d’Evart les tira de leur échange.

- Votre parole ? J’ai déjà traité avec des Khandéens, vous savez… Je ne crois pas que vous leur arriviez à la cheville en termes de parole. Mais je vous fais confiance pour me mettre vos bonshommes aux trousses si je vous déçois, et c’est pour ça que c’est plutôt pour vous que vous devriez vous en faire, ne croyez-vous pas ?

Ce qui aurait pu s’apparenter à une menace n’en était pas une, et la réaction d’Evart l’amusa beaucoup :

- Alors comme ça ils ne vous ont pas dit ? Ils le savent parfaitement, pourtant. Pour apaiser les dieux, il suffit de consentir à quelques sacrifices… des choses qui sont pas bien vues par chez-vous, n’est-ce pas Gondorien ? Alors vos propres hommes ont peur de vous dire qu’on peut se protéger du Coup de Sable en sacrifiant un homme ou une femme du Gondor, le consacrer aux dieux pour éteindre leur colère, et répandre ses cendres à la frontière du domaine. Voilà pourquoi ils regardent le sol comme des lâches.

- C’est faux ! Rétorqua Emri par la voix de Karil. Le Coup de Sable ne viendra pas, et les rituels archaïques des Haradrim ne sont que superstition.

Ormal éclata de rire, et revint à Evart :

- Vous voyez comme il tremble quand il dit ça ? Il sait ce que veulent les dieux. Les dieux veulent la vie d’un Gondorien pour être apaisés… Je pense que vous devriez songer à en trouver un très vite.

Cette dernière phrase s’adressait aussi bien à Emri et Karil qu’à Evart. Les deux Harondorim voulurent répondre quelque chose, mais ils n’y parvinrent pas. S’il était presque certain qu’Emri n’était pas homme à céder à la superstition, et que Karil n’avait absolument pas les moyens de faire le moindre mal à Evart contre sa volonté, il valait mieux éviter de trop ébruiter l’affaire. Les ouvriers n’auraient jamais osé sacrifier leur seigneur gondorien pour de simples croyances venues du Sud, n’est-ce pas ?


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