Les bras d’Enaël, si doux qu’ils enveloppaient toute la tristesse que contenait le cœur de Swan, se refermèrent autour des épaules de la jeune fille sanglotant, l’aidant à contenir la marée de souffrance qui submergeait son âme. Il y avait bien longtemps que quelqu’un l’avait tenue ainsi. Beaucoup trop longtemps. Les souvenirs de quelques visages émergèrent au milieu des flots tourmentés, et retournèrent vers les abysses, happés par les vagues qui se succédaient et venaient frapper sur la digue de ses émotions. Peine. Culpabilité. Peur. Désespoir. Rage. Mélancolie… Tout se succédait dans son esprit. Tout se confondait. Elle se sentait aussi vulnérable qu’un oiseau en pleine tempête, haletant, en quête d’un abri qui ne viendrait jamais.
Elle était lasse.
Fatiguée de lutter, de battre de ses ailes atrophiées pour essayer de conserver la tête hors de l’eau, alors que tout son être lui commandait d’abandonner, de se soumettre aux caprices du destin, et d’embrasser le futur que d’autres avaient écrit pour elle. Au hasard d’une mauvaise rencontre, elle retrouverait peut-être l’homme qui lui avait laissé cette cicatrice dans le dos… Peut-être finirait-il son travail cette fois. Peut-être rejoindrait-elle enfin son frère et…
Nouveaux visages.
Des sourires.
La mélodie lointaine d’une berceuse qu’une voix chaleureuse lui fredonnait alors qu’elle n’était pas encore consciente de faire partie du monde.
Les larmes se firent plus fortes. Seuls les bras d’Enaël l’empêchèrent de se désagréger totalement. La jeune Rohirrim était le ciment qui maintenait en place le fragile édifice que constituait Swan en cet instant. Les bris de son existence, que d’autres avaient piétinés sauvagement et sans merci, menaçaient de voler en éclats innombrables, que nul ne pourrait jamais retrouver. Les vestiges de sa personnalité, dispersés aux quatre vents, pour ne laisser de la jeune fille aux cheveux bruns qu’une coquille vide, exsangue.
La mort avait cet effet-là, sur les âmes jeunes et pures.
Il fallut une intervention inopinée pour mettre un terme à leur conversation, et à ce nouvel élan du cœur dont Enaël s’était fendue. Swan ferma les yeux, regrettant ces lèvres absentes qui s’éloignaient déjà, la laissant incapable de s’abreuver de leur tendresse pour irriguer les plaies asséchées de son passé d’un torrent d’affection dont elle ne savait que faire, mais dont elle savait avoir besoin. Son cœur s’était remis à battre. Plus vite. Plus fort. Le rouge lui était monté aux joues. Elle ignorait pourquoi elle ressentait cela, elle ignorait ce que ces sentiments nouveaux impliquaient pour elle, pour Enaël, et pour tous ceux qu’elles laissaient l’ignorance de leur secret. Les réprimanderait-on ? Les moquerait-on ? Après tout, une femme devait prendre époux, et lui donner de beaux enfants. Voilà ce à quoi elles étaient toutes les deux destinées, même si les circonstances de leur naissance avaient déjà déterminé en partie les affres du voyage qui les attendait encore.
Hélas, l’avenir ne leur appartenait pas entièrement.
Ainsi allait la vie, dans les plaines du Riddermark.
Maître Ovadiah… Archibald, comme il se faisait appeler plus simplement ici, regardait vers le lointain. Ses pensées confuses le projetaient vers le futur incertain, tandis que ses yeux se plissaient comme s’ils espéraient voir, à l’horizon, la silhouette solitaire de sa petite ferme, préservée de tout danger. Les questions se bousculaient dans sa tête, et il espérait que le temps lui permettrait d’y mettre de l’ordre. Le temps, et l’action, car il n’était pas homme à aimer rester inoccupé. Ce fut la raison pour laquelle il proposa à Eolkar de lui prêter assistance : même s’il était moins familier des bêtes que des plantes et des livres, Ovadiah savait se débrouiller de ses deux mains. Il était de ces hommes qui avaient acquis leur savoir au moins autant par de longues passées à l’étude que par des longues journées passées sur les routes, à vivre dans le dénuement le plus complet, à dormir à la belle étoile. Il avait parcouru le monde, rencontré ses habitants, et traversé certains des moments les plus difficiles que le Rohan avait connus.
Pourtant, il n’avait jamais ressenti une telle inquiétude.
Le frémissement palpable d’une panique à venir, alors que les rumeurs de l’invasion se faisaient plus pressantes. Les puissants commençaient à penser à leurs biens et à leurs demeures, tandis que les plus pauvres s’agglutinaient dans la capitale en espérant obtenir la protection d’un roi qui avait jugé bon de donner un grand bal pour calmer la situation, et rasséréner son peuple. Mais tout le monde savait que des centaines de cavaliers sillonnaient le Riddermark, en essayant de contenir péniblement la poussée de ces étranges envahisseurs au sujet desquels on racontait tout et n’importe quoi.
Il y avait des âges qu’on n’avait pas vu de démons sillonner ces régions du monde.
Mais cela signifiait-il que c’était strictement impossible ?
Les pensées de l’érudit furent interrompues par le bol de lait qui arriva sous son nez. En s’excusant de s’être montré aussi distrait, Ovadiah l’accepta avec un grand sourire, et en but allègrement. Le liquide était chaud et parfumé, et sa robe épaisse donnait le sentiment qu’une seule rasade pouvait nourrir un adulte. Il fit claquer sa langue, appréciateur, comme s’il était agi d’un vin fin du Dorwinion, et souffla :
- Si les rois étaient assez sages pour se contenter d’un bol de lait, d’un sourire et d’une belle journée de printemps…
Il laissa sa phrase en suspens. Les opinions politiques du précepteur n’avaient jamais été très claires, il s’était toujours placé au service de la connaissance, tout en montrant une loyauté indéfectible au Rohan et à son peuple. Toutefois, depuis quelques années, la situation exceptionnelle du pays le préoccupait. La tyrannie d’Hogorwen avait ouvert de profondes cicatrices au sein de la Marche, et malgré sa bonne volonté et sa riche éducation, la reconstruction du royaume semblait être une tâche bien ardue pour le jeune roi Fendor, dont le manque d’expérience se faisait cruellement sentir. Les Rohirrim n’étaient pas comme les gens du Gondor ou ceux de l’Arnor. Ils n’avaient pas besoin de lois complexes, ou de cités magnifiques, pour reconnaître la valeur de leur souverain. Ils le souhaitaient bon et juste, fier et indomptable, brave et soucieux du bien-être de ses gens. Ils ne cherchaient pas un jeune administrateur préoccupé par d’éternelles réformes, mais prompt à se terrer derrière les murs d’Isengard. Non.
Ils voulaient un roi à cheval, chargeant l’épée à la main les Dwimmen venus de l’Est.
Ils avaient besoin d’un héros.
Ovadiah lui-même n’avait jamais été un grand belliciste, mais il devait reconnaître qu’il admirait le Vice-Roi Mortensen. Pour tous ses défauts, le champion du Rohan incarnait encore cela. L’esprit chevaleresque des rois d’antan, le courage intrépide face au danger, et la résolution ferme de ne jamais reculer devant l’ennemi. C’était de cela dont le royaume avait besoin pour l’heure.
Il tourna la tête vers Eolkar.
- Merci pour tes mots, mon ami… Mais qu’est-ce qu’une ferme, face aux gens que l’on apprécie ? Rien qu’un peu de brique, un peu de paille, et un peu de bois. Les bras que tu voudras bien me prêter, si cela s’avère nécessaire, seront plus que bienvenus… Et lorsque toute cette histoire sera derrière nous, lorsque la paix sera enfin restaurée pour de bon… je vous inviterai tous pour un grand dîner chez moi. Nous festoierons des raretés et des merveilles du monde entier. Je me rends compte maintenant que vivre reclus n’arrête ni le passage du temps, ni le fracas des armes. J’ai peut-être trop souvent privilégié le confort de la solitude au plaisir de l’amitié, et je le regrette aujourd’hui. Céoda… J’aurais aimé la revoir avant…
Il ne finit pas sa phrase.
Il n’en eut pas besoin.
La question de son vieil ami le prit au dépourvu. Il connaissait Eolkar depuis des années… Il avait appris à apprécier cet homme, avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses. Mais jamais il ne l’avait vu étreint par ce sentiment si terrible et si absolu de peur et d’impuissance. Jamais il ne l’avait vu aussi meurtri, aussi grièvement blessé par une nouvelle dont il savait que rien, ni ses prières, ni le temps, ni les joies du quotidien, ne le guériraient totalement. Céoda était partie, et elle ne reviendrait pas.
- La peine… Commença Ovadiah.
Les mots eurent du mal à sortir. Il compatissait à la souffrance d’Eolkar, peut-être parce qu’il la comprenait particulièrement bien.
- La peine ne disparaît jamais totalement… Mais Céoda ne t’a pas laissé seul, mon vieil ami. Elle t’a donné de beaux enfants, qui eux-mêmes t’ont donné de merveilleux petits-enfants. Elle vit encore, à travers chacun d’entre eux… C’est la raison pour laquelle tu dois chérir chaque instant avec tes enfants. Préserver ce lien… à tout prix. Car nous savons tous les deux à quel point il est fragile. C’est dans la nature humaine de perdre les êtres qui nous sont chers. Notre vie est brève. Intense. Et l’absence… insupportable. Mais il n’est pas plus simple d’épouser une Elfe, crois-moi.
Il avait lâché cette dernière phrase sur le même ton, tout en se fendant d’un soupir dont il n’était pas facile de savoir s’il s’agissait d’une profonde résignation, ou d’un de ces regrets qu’on nourrissait pour un rêve inatteignable. Son regard glissa vers celui d’Eolkar, dans lequel brillait une lueur de… surprise ? Le précepteur eut un sourire légèrement amusé.
- Nous en parlerons un autre jour, mon ami. Je te le promets. Mais pour l’heure, nous devrions rentrer. Les enfants ne vont pas tarder à partir, et je suis sûr qu’ils seront ravis d’avoir un peu de ce lait royal avant de partir à Edoras.
C’était la première fois que Swan mettait les pieds à Edoras.
Elle n’oublierait jamais cette journée.
La cité fourmillait d’une rare activité, alors que des milliers de sujets du roi se pressaient dans les rues et les champs alentours pour profiter de l’animation offerte par le Bal. Tous ne participeraient pas aux festivités royales, bien entendu, mais un tel événement attirait immanquablement son lot de curieux et de badauds, des amis et des proches des grands seigneurs invités à la table royale, qui chercheraient à s’amuser en ville. Pour l’occasion, la capitale du Rohan s’était parée de ses plus beaux atours, les drapeaux aux armes du pays des Seigneurs des Chevaux flottaient fièrement dans le vent, tandis que des guirlandes de fleurs et des rubans avaient été accrochés sur les devantures des maisons. Des marchands de tous les horizons avaient fait le déplacement dans la région, attirés par la promesse de journées fort profitables, où les bourses se desserraient quelque peu, et où le commerce éclipsait pour un temps les troubles du quotidien.
Une agitation fébrile flottait dans les rues.
On criait ici ou là, pour attirer le chaland, et on entendait de toutes parts des musiciens zélés qui s’essayaient à quelque morceau endiablé. Les applaudissements nourris des uns répondaient aux « encore » des autres, tandis que des éclats de rire et des vivats encourageaient les plus audacieux à rejoindre les danseurs qui se risquaient à montrer leurs talents devant une foule joyeuse. Toutes ces émotions formaient un mélange déroutant, qui déstabilisa Swan sitôt qu’ils mirent le pied dans la ville.
Elle avait l’impression d’être une souris piégée dans une boîte qu’on agitait en tous sens, et se sentait profondément désorientée. Les ruelles, toutes identiques à ses yeux, ne lui permettaient jamais de voir l’horizon, tandis que les adultes de toutes parts l’écrasaient de leur taille, indifférents à ses atermoiements. Sa seule boussole était le sourire angélique d’Eolena, qui se retournait de temps à autre pour vérifier que les deux filles la suivaient toujours… ou qu’elles ne prenaient pas trop d’avance. Il fallait dire qu’Enaël était vive comme l’éclair, et d’une curiosité sans commune mesure.
Elle courait de droite à gauche, esquivant avec agilité les passants qui la regardaient faire en souriant, et s’arrêtait devant tout ce qui l’intriguait. Ici un artisan penché sur son ouvrage. Là une collection de bijoux aux formes spectaculaires. Ici encore un boucher qui vendait de la viande séchée qui dégageait une odeur entêtante. Et de l’autre côté, un portraitiste qui moyennant une somme modique dessinait de quelques coups de fusain un souvenir mémorable de cette journée.
- Alors ma petite dame ! Fit-il en regardant Swan. Vous voulez que je vous dessine, vous et votre amie ? Vous m’avez l’air gentilles comme tout, alors je vous le fais à moitié prix. Une affaire en or, pour le travail d’un artiste d’Esgaroth !
Swan jeta un regard intimidé à Enaël, qui semblait n’attendre qu’un oui de sa part.
- Euh… Oui ? Murmura-t-elle.
- C’est parfait ! Installez-vous !
Elles prirent la pose pendant quelques minutes, d’abord assez sérieuses et impressionnées, puis de plus en plus détendues, et à la fin franchement souriantes et joviales, alors qu’elles se racontaient des blagues et plaisantaient avec cet étranger dont elles ne mesuraient pas encore pleinement le talent. Eolena devait sans doute bénir ce bref moment de répit dans leur cavalcade effrénée, et mesurer à quel point les deux jeunes filles étaient proches. Quelques traits d’une exceptionnelle précision plus tard et le dessinateur en avait fini. Fier de lui, il leur présenta son œuvre, qui laissa Swan véritablement stupéfaite. C’était la première fois qu’elle se voyait à travers les yeux d’un autre… de quelqu’un qui avait su capter autre chose que la tristesse dont elle avait fait son masque habituel. Le portrait représentait les deux jeunes filles, installées l’une à côté de l’autre, partageant un rire franc, comme si le reste du monde n’existait pas.
Rire.
Voilà encore une chose qu’elle n’avait pas faite depuis longtemps.
Rire, et se voir rire. Rire et se sentir pour une fois légère, en sécurité. Cette image d’elle et Enaël, qui immortalisait cet instant de pur bonheur, lui procura une émotion si profonde qu’elle ne trouva pas les mots pour la qualifier. Mais son regard ému en disait long sur ce qu’elle ressentait. Elles remercièrent sincèrement ce membre des Ménestrels d’Esgaroth qui avait illuminé leur journée, et promirent de revenir le voir avant de repartir pour récupérer le dessin – qu’il allait finaliser de quelques menus détails, puis envelopper précautionneusement et garder à leur intention. Les trois femmes repartirent en exploration, un peu plus légères.
- J’ai hâte qu’on puisse le montrer à Dernion, souffla Swan. Je crois que ce serait bien qu’il en fasse un aussi !
Une part de son enthousiasme enfantin venait de ressurgir, comme un écho d’une époque lointaine… et d’un futur à construire.
Elles prirent la direction du Château d’Or, dont Swan avait entendu parler dans les livres, mais qu’elle trouva tout simplement magnifique en l’observant de ses propres yeux. La structure, sise au sommet de la colline où s’élevait Edoras, était bâtie tout en longueur comme un de ces grands halls des temps anciens. Immense par rapport aux standards du Rohan, elle avait la particularité d’abriter un toit et de grandes portes dorées qui reflétaient la lueur de l’astre solaire. Ce joyau du Rohan, où avaient siégé tant et tant de rois prestigieux, était source d’émerveillement pour tous ceux qui venaient à Edoras pour la première fois, et source de fierté pour ceux qui connaissaient déjà bien la capitale, et qui pouvait s’enorgueillir des prouesses de leurs ancêtres. Les grands escaliers de pierre qui menaient jusqu’à l’édifice étaient surveillés par des soldats en armures rutilantes, encadrés par quelques uns qui semblaient encore plus prestigieux, et dont les épaules étaient drapées d’une superbe cape d’un vert profond.
- Ce sont eux, les Gardes Royaux ? Demanda naïvement Swan, dont la curiosité débordait presque malgré elle.
Elle les trouvait à la fois effrayants et rassurants. Leurs visages recouverts par un casque ouvragé cachait leurs visages, mais leurs intentions étaient claires. Ils observaient la foule avec un air sombre, mais n’étaient pas menaçants, et au contraire avaient un rôle apaisant. Nul ici ne pouvait se sentir en danger alors que la fine fleur du royaume du Rohan se dressait là pour les protéger. Swan se montra toutefois un peu plus hésitante en voyant les larges épées qu’ils portaient au côté. Des lames qui, pour l’heure, demeuraient au fourreau, mais dont elle connaissait la dangerosité et le sinistre potentiel. Lorsqu’un des hommes en livrée verte tourna la tête vers elle, elle détourna le regard et chercha prestement celui d’Eolena.
- On… On peut y aller ? Demanda-t-elle.
Sa question fut avalée par les salutations amicales que leur adressa un homme de toute évidence important, qui traversa la foule pour se porter à leur rencontre. La jeune fille mit un bref moment à le reconnaître, mais elle se souvint de l’avoir lors des funérailles, et elle devina qu’il s’agissait d’un ami proche de la famille. Toutefois, il fallut l’intervention discrète d’Enaël pour qu’elle parvînt à le situer totalement.
- Oh je ne savais pas qu’elle était… Mais son mari…
Elle n’osa pas terminer sa question. Elle avait vu tant et tant de monde ces derniers jours qu’elle ne se souvenait plus qui était qui. Pourtant, il ne lui semblait pas avoir croisé l’époux d’Eolena. Était-il absent de la cité ? Affairé en voyage ? Ou bien avait-il été frappé par un sort bien triste ? Les terres du Rohan avaient été meurtries ces dernières années, par la guerre et le Rude Hiver. Nombre de Rohirrim avaient péri. Son époux faisait-il partie de ces infortunés ?
Le dénommé Mangold arriva bientôt vers eux, et les deux jeunes filles mirent un terme à leurs conversations privées, pour saluer le nouvel arrivant avec le respect qui lui était dû.
- Bonjour, sire, fit Swan en lui faisant une légère révérence comme on n’en voyait guère dans le Riddermark.
Elle se plaça légèrement en retrait, ne souhaitant pas interrompre cette réunion, mais de ce qu’elle entendit, Sire Mangold était un homme tout à fait sympathique. Ses paroles pleines de tendresse et de bienveillance vis-à-vis d’Enaël le distinguaient, dans un royaume où nombre d’hommes se seraient moqués de ce rêve fou d’intégrer la Garde Royale, ou même tout simplement l’armée du Rohan. Pourtant, l’exemple qu’il leur avait donné ne pouvait que susciter l’espoir, et réconforter une jeune âme cherchant comment servir son royaume en conciliant son sens du devoir et ses désirs les plus profonds. Swan eut un pincement au cœur à cette pensée. Enaël, maniant l’épée… Prenant des risques…
L’image de son corps, percé d’une lame, s’imposa brièvement dans son esprit, et elle eut un hoquet de surprise, qui ramena involontairement la conversation vers elle.
La vision disparut soudainement, et elle retrouva sa contenance et sa rigidité habituelles.
- Nous nous sommes brièvement croisés hier, sire. Je suis ravie de vous être présentée officiellement.
La politesse de Swan témoignait de la belle éducation transmise par Ovadiah… et de mœurs d’un autre temps qui la rendaient toujours un peu étonnante par rapport aux gens du Rohan. Ici, la politesse ne passait pas par des courbettes ou des paroles alambiquées, mais par une franche honnêteté, et une poignée de mains énergique. Mangold ne sembla pas se formaliser cependant, connaissant sans doute la réputation d’excellence du précepteur qui ne cachait pas qu’il avait été grandement influencé par ses voyages à l’étranger, et les rencontres qu’il avait pu y faire. La perspicacité du bourgeois, alliée à sa grande curiosité, le poussa toutefois à presser la jeune fille de questions.
Ses rêves ?
- Euh…
Elle hésita.
A dire vrai, elle n’avait jamais songé à cela. Ou plutôt, elle y avait longuement pensé, jusqu’à ce qu’elle grandît suffisamment pour comprendre que sa vie ne lui permettrait pas de réaliser ses rêves, et qu’elle devait se contenter du peu qu’elle avait. L’espoir était une chose dangereuse et fragile, qu’il était si facile de briser… Alors un rêve ? Un rêve…
- Je voudrais…
Elle regarda Eolena, qui semblait ne pas approuver la curiosité de Mangold, mais qui tendait une oreille attentive aux paroles de cette jeune fille qu’elle ne connaissait finalement guère. Elle tourna ensuite la tête vers Enaël, qui savait à quel point cette question avait du sens pour celle qui avait tant perdu. Swan aurait pu ne pas répondre. Elle aurait pu se contenter d’un sourire poli, d’une excuse toute trouvée, et de la protection accordée par la famille d’Eolkar. Elle aurait pu, mais cette journée avait totalement bouleversé ses repères.
Elle avait ri.
Elle s’était émue.
Elle avait entrevu un futur auquel elle n’aurait jamais pu rêver, et qui lui tendait aujourd’hui les bras. Quelque chose en elle lui donnait envie de crier, de se rebeller contre le destin qui avait choisi de l’enfermer dans une prison de ténèbres. Crier, comme pour inscrire dans le cœur de tous ceux qui l’écouteraient la vérité de l’instant. Elle pensa au dessin du Ménestrel. A ce moment capturé. Préservé. Protégé.
- Je voudrais…
« Être heureuse ». « Être moi ». « Ne plus ressentir ce déchirement permanent ». Les mots s’accumulaient dans son esprit, comme un torrent. Son flot tumultueux charriait avec lui de sombres émotions. « Tuer ceux qui ont tué mon frère ». « Me venger ». « Mourir ».
« Mourir ».
« Mourir ».
« Mourir ».
Aspirée dans le tourbillon de ses terreurs diurnes, elle se sentit partir, et ne dut son salut qu’au regard d’Enaël, qui la ramena sur terre. Elle inspira. Expira. Inspira. Tout allait bien. Tout allait bien.
- Je voudrais revoir ma famille…
Elle sentit d’abord un petit picotement. Puis une impression troublante de ne plus rien contrôler. Ses lèvres s’étirèrent en un tendre sourire, qui se fissura l’instant d’après alors que de grosses larmes se mettaient à couler le long de ses joues.
Et, sans rien ajouter de plus, elle fondit en sanglots.
~ ~ ~ ~
Reymir souffla sur la feuille, puis la tendit à bout de bras pour l’observer un instant. Il était fier de son travail, et de son fameux coup de crayon qui lui avait valu les compliments de nombreux clients. L’Académie des Ménestrels d’Esgaroth, qui soutenait tous les arts, accordait une place particulière aux portraitistes, dont beaucoup étaient employés par les rois et les princes pour réaliser de superbes tableaux qui s’affichaient ensuite dans les maisons nobles d’Arnor et du Gondor – où la pratique se répandait de plus en plus. Le style réaliste, en vogue à l’heure actuelle, plaisait également au petit peuple, et de telles occasions étaient parfaites pour un artiste peu fortuné souhaitant gagner un pécule.
Alors qu’il était en train d’ajouter quelques détails, notamment au niveau des cheveux, et des yeux – pour les rendre plus expressifs – il sentit une présence derrière lui.
- C’est drôlement beau ce que vous faites.
Il se retourna. Un homme de haute taille, qui portait les cheveux longs et une barbe à l’avenant, se tenait derrière lui, l’œil acéré. Il semblait fatigué, comme s’il avait chevauché longtemps avant de parvenir jusqu’à Edoras. Le Ménestrel, qui n’était guère de nature méfiante, lui adressa un franc sourire et répondit :
- Oh, merci bien ! C’est… euh… eh bien c’est mon métier.
- Hm… Très réaliste. Très bien fait. Ce sont des amies à vous, ces deux jeunes filles ?
L’artiste fit un geste évasif de la main :
- Non… Non, non. Seulement des clientes de passage ici, à Edoras. Je leur conserve ça au chaud, jusqu’à ce qu’elles viennent le récupérer. Vous voulez que je vous en fasse un ?
L’homme eut un sourire énigmatique. Il haussa ses larges épaules, et répondit :
- Ce n’est pas mon genre. Je ne pense pas que mon visage mérite d’être figé ainsi.
Sans rien ajouter, il reprit sa marche en avant. Reymir le regarda faire. Il avait une démarche curieuse, comme s’il était gêné par une blessure dont la nature n’était pas claire. Il lui restait quelques feuilles, et son fusain le démangeait. Alors, de mémoire, il croqua les traits de ce visiteur inopiné, en s’efforçant d’en capturer l’essence profonde…
Et en faisant attention aux yeux.
Ces yeux qui trahissaient une étonnante résolution.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Dernière édition par Ryad Assad le Sam 28 Sep 2024 - 8:59, édité 1 fois
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1075 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
D’un coup, sans crier gare, les digues cédèrent. Les murailles s’écroulèrent et des torrents de larmes se mirent à couler sur le visage d’ordinaire si fermé de la jeune adolescente. Celle-ci s’était ouverte en privé à Enaël, lui avait même confié une partie des malheurs qui revenaient parfois la hanter ; mais jamais la jeune rohirrim ne s’était imaginé que Swan puisse craquer ainsi en public. Elle qui avait parfaitement joué le rôle de l’enfant austère et rigide durant ces longues semaines passées à la ferme de Maître Ovadiah. C’était là une tout autre facette qu’elle révélait, bien malgré elle, face à ces quasi-inconnus.
Si son amie n’avait pas été dans cet état, Enaël se serait sans doute amusé de la mine déconfite d’un Mangold navré qui bafouilla quelques excuses inaudibles après qu’Eolena lui eût adressé un regard noir. Cependant, face au désarroi de son amie, elle s’approcha instinctivement pour la consoler, posant sa main sur son bras tremblant. Un simple geste, dérisoire en apparence, mais qui signifiait qu’elle se trouvait à ses côtés. Sa tante sortit un élégant mouchoir en tissu d’un pan de sa robe et se pencha légèrement pour se mettre à la hauteur de l’étrangère.
“Là…là…tout va bien mon enfant. Laisse couler tes larmes. Ne les retiens pas. Tout va bien.”
Elle plaça le morceau de tissu blanc dans le petit poing de Swan, lui laissant le loisir de l’utiliser quand elle le jugerait utile. Patiemment, la jeune femme et la fille du Rohan entourèrent Swan, la protégeant de leurs bras des regards indiscrets des notables en route pour la réception royale.
La crise de sanglots mit quelques minutes à s’estomper. Avec douceur, Eolena caressa les cheveux de l’enfant, à la fois pour la rassurer et redonner à sa coiffure un semblant de grâce. Elle plongea son regard, de la même couleur noisette que celui d’Enaël, dans ces yeux d’un bleu fascinant. La veuve lui adressa un sourire à la fois pour la rassurer mais également pour lui dire qu’elle comprenait sa peine. La perte subite d’un être aimé, balayé par les aléas d’une vie injuste. Les doux et douloureux souvenirs de ce qui avait été. Les regrets de ce qui aurait pu être. Les pleurs n’étaient que la plus pure des expressions de ces sentiments. Voir ainsi les larmes d’un enfant, refoulées depuis si longtemps, avait quelque chose de tristement magnifique.
Eolena patienta quelques secondes avant de prendre la parole. Devait-elle évoquer la famille de l’enfant ? En était-elle seulement séparée ou ceux-ci avaient-ils tous péri ? Mieux valait-il ne pas trop insister sur ce terrain-là, sans de plus amples informations. “Tout va bien, Swan.” Répéta-t-elle. “Je suis certaine qu’ils seraient si fiers de toi. En attendant, nous sommes là pour tout ce dont tu as besoin…”
La jeune femme se mordilla la lèvre inférieure d’un air hésitant, se demandant si elle pouvait révéler la confidence que lui avait fait son frère aîné après le souper de la veille. Face au désarroi de l’enfant, elle se décida à lui en faire part.
“Tu sais…avant votre départ de la ferme de Maître Ovadiah ; mon frère, le père d’Enaël, a juré que notre famille t’accueillera et te protégera comme l’une des nôtres.”
Du pouce, elle essuya une dernière larme solitaire qui coulait sur la joue de Swan. “Comme l’une des nôtres. Aussi longtemps que tu le voudras…”
L’après-midi avait défilé bien rapidement à son goût. Après leur passage chez le forgeron, ils étaient revenus dans l’artère principale de la capitale mais dans une partie légèrement moins fréquentée où des anciens s’étaient installées sur des bancs et des tabourets. Des plateaux de jeux avaient été disposés çà et là. Les joueurs lançaient allègrement dés et jetons, chope de cervoise à la main et riant allègrement avec leurs adversaires. Dernion reconnut certains des jeux pratiqués, en particulier une version plus élaborée du jeu de galets auquel il s’adonnait souvent avec sa sœur. Notant son intérêt, l’un des joueurs l’invita à le remplacer le temps d’une partie. Une offre que le garçon s’empressa d’accepter après avoir obtenu l’approbation silencieuse de son père. Une expérience qui se solda par une défaite cuisante qui n’affecta pas l’enthousiasme du jeune garçon qui serra fièrement la main tendue du vainqueur. “Bien joué p’tit ! Ce sera pour la prochaine fois.”
Heldamn s’était approché d’un feu sur lequel on faisait cuire des pigeons à la broche. La viande, enduite de graisse, dégageaient une délicieuse odeur fumée. Un peu plus d’une dizaine de ces oiseaux pouvaient certainement faire l’affaire pour le dîner qu’ils partageraient en famille après leur retour à la ferme. Installé non loin de cette cuisine improvisée, un vieux conteur à la barbe blanche fascinait une audience qui ne faisait que croître. Un petit groupe de passants s’étaient arrêtés autour de lui, certains avaient même pris place à même le sol pour écouter son récit. Bien entendu, Dernion voulut satisfaire sa curiosité et se faufiler discrètement jusqu’au premier rang.
Il avait raté le début de l’histoire mais comprit rapidement que celle-ci faisait référence à des évènements bien anciens. L’homme parlait d’une voix grave, rythmant son récit de façon précise et l’agrémentant d’une gestuelle savamment pensée. De toute évidence, il s’agissait là d’un professionnel qui maîtrisait son art à la perfection. “Oooh ce fut une fête remarquable. Encore plus fastueuse et festive que celle qui se tient ici aujourd’hui. La capitale brillait de mille feux, on avait fait venir bardes et troubadours en nombres. Tous pouvaient profiter des mets préparés par les cuisiniers du Roi, du plus haut des Seigneurs jusqu’au plus pauvre des paysans. Des monarques et des notables étaient venu des quatre coins du monde connu pour célébrer ce grand jour. Et puis…et puis il y avait Meduseld…Le Château d’Or. Joyau incandescent brillant de mille feux au sommet de la colline. La fierté de tout un peuple si souvent déconsidéré comme une horde de nomades incapable de grandeur. En se lançant dans la création de cette merveille, le Roi Brego faisait rentrer, à coups de sabots, le Rohan dans la cour des grands.”
Le vieil homme prit une bouffée de sa longue pipe. Il toussota légèrement alors que des volutes de fumée se mirent à encadrer son visage. “Un jour de gloire pour les Seigneurs des Chevaux. On servit des plats à n’en plus compter. On organisa des tournois, des joutes et des concerts. On dansa jusqu’au crépuscule, et plus tard encore. Ces messieurs faisaient comme ça.”
Il mima un geste de danse sur sa droite. “Et ces mesdames firent comme cela.”
Nouvelle illustration visuelle, imitant une danseuse qui faisait élégamment tournoyer sa robe autour d’elle. Le geste aurait pu paraître ridicule venant d’un homme comme lui, mais, étrangement, l’audience demeurait captivée.
“Toute la ville était en fête. Une effervescence comme jamais le royaume n’en avait vu, et comme jamais il n’en reverra. Et dans le Hall de Meduseld, tout était décuplé. Le vin coulait par gallons, les mets les plus fins se succédaient à n’en plus finir et on dit que l’orchestre qui s’y produisait était composé de tous les instruments du monde connu. Vers la fin des festivités, le Roi prit la parole, levant son verre pour ses sujets et ses invités. Un discours glorieux et porteur d’espoir, Meduseld n’étant que la première pierre du royaume que ce monarque bâtisseur et visionnaire comptait établir. Eorl resterait dans l’histoire comme le Roi ayant mené son peuple vers le Riddermark, son fils entendait bien faire de ces terres l’une des grandes puissances de ce continent. Un roi fier et ambitieux, intransigeant et brave ; à l’image de son père, et de son peuple. Il était entouré de ses trois fils. Grands et beaux, eux aussi appelés à un grand destin, que ce soit sur le trône ou à la tête des éoreds de l’ost royal. Son aîné, Baldor était le plus charismatique. Un guerrier intrépide, un cavalier virtuose, un prince juste et bon. La succession de Brego était assurée et l’avenir du Rohan s’annonçait radieux. Son armure princière avait été spécialement conçue pour l’occasion, faite du même or qui recouvrait le toit de Meduseld ; comme si lui aussi faisait partie intégrante du nouveau récit que les Rohirrim construisaient dorénavant avec fierté.”
Le narrateur tira une nouvelle fois sur son herbe à pipe. “La fierté.
Voilà bien notre grand pêché. Sous l’emprise de l’alcool et de l’euphorie, Baldor demanda à parler à la suite de son père. En levant sa coupe avec orgueil, il déclara : “Gloire au Rohan ! Gloire au Roi Eorl ! Gloire au Roi Brego ! Ainsi éclairés par la lumière de notre nouveau soleil, de nouveaux horizons s’ouvrent à nous, au-delà des vertes plaines du Riddermark, de l’autre côté des rives de l’Entalluve, par-delà collines du Firienfeld. Que les casques et les lances des Eothéods brillent là où seules les ténèbres règnent !”.
L’assemblée se mit à applaudir avec enthousiasme les mots du Prince héritier, soufflés par sa prestance et sa vision. Toutefois certains témoins affirment avoir vue un masque d’inquiétude apparaître sur le visage du Roi Brego, comme si celui-ci savait déjà ce que son fils s’apprêtait à dire. Celui-ci reprit : “Moi, Baldor fils de Brego, Prince héritier du Royaume du Rohan compte bien montrer la voie. Dès demain je ferais route vers Dunharrow et de là je traverserai, de part en part le Chemin de Mort. J’en fais le serment, au nom d’Eorl le Jeune. Nulle sortilège ou malédiction ne pourra se dresser face au courage des Rohirrim.”
Il y eut un moment de silence, de longues secondes que chaque convive dû prendre pour bien mesurer le poids de ces paroles. Puis l’un deux cria : “Vive le Prince Baldor ! Vive le Roi Brego !”.
Un cri bientôt repris à l’unisson. Cependant, dans le regard du Roi, les observateurs les plus assidus pouvaient percevoir une larme solitaire.
On raconte que cette nuit-là, le souverain ne dormit pas la moindre minute, cherchant à convaincre son fils de renoncer à cette folle entreprise. Par honneur, ou par orgueil Baldor s’y refusa et partit à l’aube sur le dos son Méaras, sous les vivats du peuple du Rohan. De ce voyage, il ne revint jamais. Une disparition qui plongea le Roi dans une tristesse telle qu’il finit par se laisser mourir, de son chagrin, en l’espace de quelques mois. Son deuxième fils, Aldor le Vieux monta sur le trône pour ce qui fit un règne long et prospère. Mais quelque chose s’était définitivement brisé au Rohan. Quant au sort de Baldor, certains disent qu’il a trouvé la mort dans les profondeurs des Montagnes Blanches. D’autres, cependant…”
Nouvelle bouffée de Vieux Tobie, nouvelle quinte de toux ; cette fois plus violente. Quand le conteur reprit la parole, sa voix avait encore descendue d’une octave, lui donnant un air presque effrayant. “D’autres, cependant font mention d’une terrible malédiction qui frappa Baldor le Fier. Une magie sombre et mal connue hante ce lieu et la mort n’y serait que le remède de maux bien plus terribles encore. Certains, affirment, que le Prince aurait erré pendant des siècles, dans les profondeurs des Montagnes, se transformant progressivement en un spectre sombre attendant son heure pour revenir réclamer son dû : le trône du Rohan.”
Le conteur se redressa, dominant son public de sa stature. Un frisson parcourut l’échine de Dernion. “Un spectre sombre, qui aurait levé une grande armée et qui s’apprêterait à faire son grand retour dans le Riddermark.”
Un murmure inquiet parcourut les spectateurs, sur les lèvres de tous, un mot revenait inlassablement bien que le conteur ne l’eût pas explicitement utilisé. “Dwimmen”
L’image d’une armée composée de milliers de spectres ténébreux déferlant sur les plaines du Rohan figea le jeune garçon. L’image de sa ferme en flamme, prise d’assaut par un ennemi invincible. Il ressentit son cœur se mettre à battre plus rapidement et sa respiration se faire de plus en plus difficile. Les premiers signes d’une crise telle qu’il en avait connu chez Maître Ovadiah. Pourtant il avait bien pris sa dose de remède avant de prendre la route ce matin-là. “Allez, assez de balivernes pour aujourd’hui !”
La main de son père le saisit par l’épaule pour l’extirper du public assaillant désormais de questions le conteur, qui prenait un malin plaisir à leur offrir des réponses cryptiques dont le seul effet fut d’amener encore plus d’interrogations. Heldamn, qui contenait la colère qu’il avait senti monter en lui en entendant la fin de l’histoire, éloigna son fils du groupe. Ce dernier, dans un environnement plus calme, effectua quelques exercices de respiration comme Maître Rihils le lui avait recommandé s’il ressentait les prémices d’un épisode.
Au bout de quelques expirations lentes, son cœur reprit un rythme normal et ses bouffées de chaleurs disparurent.
Il leva les yeux vers son père : “Tu ne penses pas qu’il y a du vrai là-dedans ? La magie ne fait-elle pas partie de notre monde? Tout cela semble impossible mais Maître Ovadiah nous a appris que croire quelque chose impossible n’est qu’une manifestation de la limite de nos connaissances.”
Suite à la remarque de son cadet, le berger se passa une main sur le visage. Décidément l’esprit de ce gamin allait parfois bien trop vite pour lui. Lui aussi avait reçu une éducation similaire, mais jamais ne s’était-il interrogé sur ces choses-là. Son esprit avait toujours été occupé par des préoccupations bien plus terre-à-terre comme les différentes techniques pour déterminer le degré de fertilité d’une terre, ou l’organisation optimale d’un cheptel de moutons.
Alors qu’il cherchait les bons mots pour lui répondre que ces histoire de sorcellerie n’étaient que des fantaisies inventées par un vieux conteur itinérant en quête de public et de pièces d’or; il fut interrompu par le bruit d’une cavalcade effrénée. Déboulant à toute vitesse sur l’artère principale de la cité, le groupe de cavaliers passa tout près de Dernion et de son père.
Des retardataires pour le Bal du Roi Fendor? Cela semblait peu probable. Les festivités avaient débuté depuis de longues heures et les nouveaux arrivants ne semblaient pas d’humeur particulièrement festive. Une poignée de cavaliers rohirrim qui galopaient comme s’ils cherchaient à fuir Melkor en personne. Filant à toute vitesse pour porter une nouvelle qui ne pouvait attendre. Parmi eux, trois silhouettes étranges aux longs cheveux soyeux. Ceux-ci n’étaient pas des rohirrim. Ils n’étaient pas même humains.
Dernion tira sur la manche de son père. “Papa ! Papa ! T’as vu ça ? Ce sont des …. -Oui. Ce sont des elfes.”
Eolena avait passé une journée des plus agréables aux côtés des deux jeunes filles. Les larmes de Swan avaient jeté un certain malaise pendant quelques minutes mais Enaël et sa tante, après avoir fait de leur mieux pour la consoler, ne revinrent pas sur cet épisode et poussèrent l’étrangère à se concentrer sur tous les autres loisirs que leur offrait Edoras en cette journée de fête.
Une troupe de musiciens s’était établi non loin du palais, jouant des airs populaires que les habitants qui s’amassaient autour de l’orchestre reprirent en chœur. On improvisa une piste de danse à même le sol et ce fut un véritable bal dansant qui prit forme à l’extérieur du Meduseld, en parallèle de la réception organisée pour les plus puissants. Enaël, avec un grand sourire, avait pris son amie par la main et les deux enfants s’étaient fondus dans la masse de couples dansants, se mouvant aux rythmes de flûtes et des percussions.
Installée sur un banc non loin de là, Eolena suivit du regard la crinière blonde d’Enaël et la silhouette chétive de Swan. Tout autour d’eux il y avait des rires, des exclamations de joie et des déclarations enflammées. Un sourire triste se dessina sur le visage harmonieux de la jeune femme. Que n’aurait-elle pas donnée pour partager ce genre de moments avec Eldor ? Que n’aurait-elle pas sacrifiée pour une dernière danse ?
Depuis le décès brutal de son mari, Eolena s’était évertué à ne pas sombrer dans un désespoir qui lui tendait les bras. Passer du temps avec ses amies de la ville, rendre régulièrement visite à sa famille dans les plaines, se concentrer sur son travail auprès des grands commerçant de la capitale. Garder ainsi son esprit aussi occupé lui avait permis de surmonter le deuil. Parfois, elle le regrettait cependant, coupable de ne pas songer plus souvent à cet homme qu’elle aimait. Lui qui n’avait jamais cessé de répéter qu’elle était son monde et qu’il ne pourrait vivre sans elle. Le contraire s’était produit. Eolena devait vivre sans lui ; elle ne l’avais pas choisi et aurait souhaité, de tout son être, que les choses soient différentes. Pourtant, elle avait continué à avancer et progressivement laissée derrière elle cette partie de sa vie dont elle gardait un si doux souvenir. Une approche qui avait été sûrement salvatrice mais qui lui laissait parfois un goût amer, comme si en vivant assez elle trahissait la fidélité promise jusqu’au restant de ses jours.
Les danses et chants se prolongèrent pendant un long moment et bientôt le soleil commençait à décliner lentement à l’horizon, annonçant ainsi les dernières heures de célébrations. Enaël et Swan finirent par émerger de la foule pour revenir vers leur tante. L’aspirante cavalière s’était débrouillée pour trouver une outre d’eau et deux gobelets. Certaines de ses boucles d’or s’étaient collées à ses joues rougies par l’effort mais son sourire n’avait rien perdu de son éclat. Chaque moment passé ici, en telle compagnie, lui était si précieux que ni la soif ni la fatigue ne pouvait se dresser face au bonheur qu’elles étaient en train de dessiner. “Le dessin de Maître Reymir devrait être prêt non ? On peut aller le chercher ?”
Eolena sourit à sa nièce. Avec tous ces évènements, elle en avait presque oublié que l’artiste venu d’Esgaroth avait sûrement dû finir son travail représentant les deux adolescentes. “Bien entendu. Mais hâtez vous, je vous attends ici et nous retrouverons ensuite ton père. On ne va pas tarder à rentrer.”
Enaël et Swan s’éloignèrent en trottinant légèrement, partagées entre l’impatience de voir l’œuvre du portraitiste et la volonté de repousser au maximum l’heure du départ. Eolena poussa un léger soupir qui trahissait les premiers signes de fatigue après une journée passée à courir à droite et à gauche.
Assise non loin du parvis du Château d’Or, elle remarqua que la musique qui s’échappait depuis le Hall avait cessé. Visiblement le bal touchait à sa fin et il était temps de payer les musiciens. Les dernières minutes d’une fête étaient toujours si particulières. Un curieux mélange de satisfaction, de fatigue et de nostalgie déjà naissante. Pendant de longues semaines on attendait l’évènement, préparait ses pas de danses, choisissait la robe à porter et spéculait pendant de longues heures sur la personne que l’on pourrait potentiellement rencontrer à une telle occasion. Puis tout prenait fin si rapidement, les tables étaient débarrassées et les troubadours retournaient à leur caravane.
Enaël et Swan étaient parties depuis de longues minutes désormais ; les deux chipies prenaient sûrement tout leur temps pour ne pas avoir à quitter la ville. Décidée à se rendre elle aussi auprès du ménestrel de Lacville pour les y retrouver, Eolena se releva et dépoussiéra sa robe d’un geste grâcieux.
C’est à ce moment-là qu’elle manqua d’être renversé par un cavalier qui déboulait à toute vitesse depuis l’arrière du Château d’Or. “Faîtes place au Roi ! Faîtes place !”
Une troupe forte de plus d’une trentaine d’hommes suivit. La bannière du Roi n’était pas agitée fièrement mais les draperies et emblèmes présents sur les armures et le convoi ne laissaient aucune place au doute. Le jeune souverain se trouvait au centre de cette escorte. Si le Bal venait de s’achever, un départ aussi précipité de la part du monarque paraissait des plus surprenant. La Maison du Roi quittait le Château d’Or sans demander son reste, mettant les voiles à toute allure vers la sortie de la ville.
La scène qui suivit, cependant, fut encore bien plus étonnante. Avec fracas, les grandes portes dorées du bâtiment s’ouvrirent et un flot de convives sortit au pas de course du palais dans une immense cohue. La haute société du Rohan criait, s’invectivait et jouait des coudes pour se frayer un chemin.
Mais que diable s’était-il donc passé ?
Au milieu du désordre ambiant, Eolena remarqua la présence de son beau-père. Elle se faufiler jusqu’à lui et posa une main sur bras pour signaler sa présence. Mangold sursauta et fit brusquement volte-face. “Ah Eolena…c’est toi…”
Son visage, d’ordinaire si débonnaire et jovial, était livide. Son large front était trempé de sueur. “Allez, il ne faut pas rester là ! -Mais que se passe-t-il ?”
Le riche marchand prit une profonde inspiration. Il était dans un état de panique totale. De mémoire, Eolena ne l’avait pas vu dans cet état depuis l’annonce de la mort de son fils aîné. “Eolena…Il y a eu une bataille non loin d’ici. Les Dwimmen ont gagné. -Quoi ? -Oui, le Vice-Roi Mortensen est mort. L’ennemi est à moins de deux jours d’ici.”
La nouvelle fit l’effet d’un violent coup de poing dans ses tripes. Ses pensées devinrent confuses et, très rapidement, Eolena se mêla à la panique ambiante. Instinctivement, elle regarda autour d’elle, à la recherche des deux adolescentes dont elle avait la charge. Mais au milieu de ce chaos qui gagnait désormais la ville entière, elle ne pouvait les trouver. “Oh non…”
The Young Cop
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Depuis combien de temps n’avait-elle pas été serrée par des bras maternels ? Depuis combien de temps n’avait-elle pas été enveloppée par un amour qui lui rappelait le douloureux sentiment d’avoir une famille ? Elle s’était efforcée d’enterrer cette émotion au plus profond de son âme pour ne plus jamais revivre le déchirement de devoir en être privée, mais la vie était tenace, et elle trouvait le moyen de surgir quand on ne l’attendait plus.
Ces larmes qui coulaient le long de ses joues lui firent du bien, tout en la laissant épuisée. Elle pleurait pour ses parents dont elle peinait parfois à se souvenir du visage. Elle pleurait pour ce frère dont le sort aussi ignoble qu’injuste ne faisait que souligner la cruauté de ce monde. Elle pleurait pour tout ce qu’elle n’aurait jamais, pour tous les jours de son existence où elle devrait contempler sa propre solitude.
Les paroles d’Eolena se frayèrent un chemin derrière le rideau humide de ses larmes, et la touchèrent sincèrement. Une partie d’elle-même désirait ardemment accepter cette proposition, et se laisser pleinement adopter par cette famille dont elle mesurait chaque jour la bonté, la douceur et la bienveillance. Il y avait Enaël, évidemment, dont la simple présence lui donnait le sentiment de renaître en ayant oublié le sens du malheur et les affres de l’existence. Il y avait Dernion, bien entendu, dont elle brûlait de se rapprocher, tant il lui rappelait ce frère qu’elle n’avait jamais vu grandir, et qu’elle aimait autant que l’on pouvait aimer un souvenir. Et ces hommes et ces femmes de cœur, à la noblesse discrète, au courage quotidien, à l’honneur simple. Ils lui inspiraient une admiration qu’elle ne savait contenir, qui égalait sans doute celle qu’elle portait aux connaissances de Maître Ovadiah. L’érudit était un précepteur de grand talent, un homme de lettres dans un pays qui ne les considérait guère à leur juste valeur. Mais combien fallait-il de patience et de tendresse pour bâtir un foyer pour les siens, pour réunir autour de soi tant d’amis et de proches, de parents et d’inconnus, et les unir sous le même toit à l’heure où soi-même on n’était plus ?
La mort de Céoda avait fait réfléchir la jeune Enaël, sur le sens de l’existence.
La vie valait-elle d’être vécue pour finir oublié, seul et désolé ? N’était-il pas préférable à ce stade de mettre un terme à tant de souffrances, plutôt que de continuer à avancer sans but, sans direction, sans objectif ? Elle ignorait quels étaient les siens… La vie ne lui avait pas laissé le choix en la matière, lui assignant tout simplement une succession de rôles qu’elle avait été chargée de remplir du mieux possible.
N’était-il pas temps de tomber les masques ? D’enfin être quelqu’un, de s’incarner dans une famille, de s’accomplir dans l’amour et l’amitié, de parer son âme de couleurs plus chatoyantes ? Elle ne pouvait que rêver d’un tel futur, et lorsque la belle Eolena au sourire enchanteur posa un regard affectueux sur elle, essuyant des dernières larmes qui subsistait, Swan sentit ses paroles bienveillantes ricocher contre son cœur qui s’était refermé.
- Merci… Répondit-elle poliment.
Au fond, elle savait ne pouvoir accepter. C’était précisément à cause de l’amour qu’elle leur portait qu’elle ne pouvait pas saisir cette main qui lui était tendue. Son existence les mettait en danger, sa présence ici leur faisait courir un risque, et elle ne pourrait jamais s’en remettre si quelque chose leur arrivait par sa faute. Cette simple pensée lui coupa le souffle, et il fallut encore du temps et beaucoup de douceur pour calmer les larmes qui étaient revenues à la charge, prouvant à Swan comme à tant d’autres que son cœur n’était pas aussi sec qu’elle voulait bien le laisser paraître.
~ ~ ~ ~
En dépit de la tristesse de Swan, la journée ne fut pas gâchée par ses sanglots. Eolena et Enaël, qui faisaient preuve d’un tact remarquable, l’accompagnèrent progressivement vers des choses plus heureuses, et lui permirent de s’ouvrir aux merveilles qu’Edoras avait à offrir en ce jour exceptionnel. L’effervescence populaire était grisante, et avait de quoi étourdir même l’esprit le plus endurci. Bientôt, comme tous les enfants de son âge, Swan se retrouva à ouvrir grand la bouche devant un artiste qui pratiquait d’étranges tours de magie. Elle s’arrêta longuement devant un saltimbanque qui ne semblait pas beaucoup plus vieux qu’elle, mais qui semblait déjà avoir une longue expérience. Il présentait des animaux comme on n’en voyait pas au Rohan d’ordinaire, notamment un petit singe qui le taquinait en voulant lui retirer le bonnet qu’il avait sur la tête, mais que le garçon se battait pour conserver à tout prix.
Les deux filles s’amusèrent de ces chamailleries simiesques, mais n’avaient guère d’argent à donner pour récompenser les artistes qui ne leur en voulurent pas le moins du monde. Ils gagneraient bien assez avec les autres passants pour réussir leur journée, de toute façon. Des musiciens s’étaient installés non loin, jouant des airs légers à la flûte et au violon, qui semblaient attirer de nombreux badauds, rendus curieux par la virtuosité des artistes qui se produisaient.
Ils jouaient avec une aisance étonnante des ballades pourtant complexes, dont certaines évoquaient des moments importants de l’histoire du Rohan, des épisodes à la fois beaux et douloureux, dont on percevait chez les plus anciens qu’ils suscitaient une mélancolie joyeuse. Les plus jeunes, hélas, avaient surtout connu les troubles et la guerre civile, le déchirement, la violence… Ces notes jaillies de la mémoire populaire portaient en elles le souvenir d’une époque meilleure, de laquelle ils pouvaient peut-être tirer suffisamment d’espoir et d’énergie pour construire un futur semblable. Tous les Rohirrim l’espéraient. Les musiciens conclurent leur morceau sur une note sèche qui sembla résonner dans l’air pendant un instant, et furent accueillis par un tonnerre d’applaudissements. Qu’il faisait bon d’entendre le pays des Seigneurs des Chevaux uni autour d’une chose aussi belle et aussi simple que la musique ! On ne se préoccupait plus de qui était qui, des origines et des allégeances. Pour un temps du moins, le passé n’existait pas, et il n’y avait que le plaisir partagé d’être ensemble.
Les deux amies, dévorées par la curiosité, se faufilèrent à travers les badauds rassemblés là, jouant de leur petite taille et de leurs sourires angéliques pour échapper aux réprimandes et accéder aux premiers rangs. Elles entendirent les deux musiciens prendre la parole pour s’adresser à leur auditoire captivé :
- Merci, merci ! C’était la Ballade du roi Firion. Un grand classique de notre royaume, alors que nous célébrons aujourd’hui le bal royal donné en l’honneur de son héritier, Fendor le Jeune !
Il y eut quelques applaudissements, mais plus discrets cette fois.
- Mais pendant que les grands du royaume dînent et festoient à une belle tablée, le peuple d’Edoras s’encanaille sur des airs qu’on n’oserait pas jouer à Meduseld : est-ce que vous êtes prêts à danser ?
- OUI ! Répondirent les passants avec une énergie surprenante.
La foule se mit à crier de joie, et à dégager un espace pour laisser de la place à ceux qui oseraient se lancer dans une danse. Sans attendre, les deux musiciens reprirent des forces en tirant nonchalamment une gorgée de leur immense chope de bière, avant de se concerter pour savoir quel morceau offrir au public.
Ils n’eurent guère besoin de réfléchir longtemps, et un grand sourire étira bientôt leurs visages.
Certaines musiques faisaient recette partout, et ils connaissaient leur répertoire sur le bout des doigts. Conscients que la nuit s’annonçait longue, et qu’il ne fallait pas décevoir s’ils souhaitaient obtenir quelques piécettes, ils se lancèrent sans prévenir dans un morceau bien plus enlevé qui donnait immédiatement envie de taper du pied, de frapper dans ses mains, et de se laisser aller à une gigue endiablée. Les deux jeunes filles émergèrent au milieu du cercle des danseurs qui virevoltaient ensemble, tourbillonnant en tous sens. Swan sentit des mains étrangères serrer les siennes, et la projeter au milieu du torrent d’énergie et de mouvement. Elle ne put que se mettre à sourire en voyant tous ces visages adorables qu’elle croisait tandis qu’elle changeait de partenaire. Ici une jeune femme en âge de se marier, qui cherchait à retrouver son cavalier, là un vieil homme qui semblait rajeunir à chaque fois que l’archet faisait jaillir une nouvelle note. Tous semblaient rayonner, comme si la joie qui les habitait était capable de les transformer en la version la plus accomplie d’eux-mêmes.
La jeune fille prit rapidement la mesure de ce qui était attendu d’elle, dansant en ligne avec les femmes en faisant onduler sa longue robe tout en se déhanchant, croisant la ligne des hommes qui tiraient leur beau chapeau ou tendaient des mains qu’elles leur refusaient avec un regard moqueur. Puis, quand les musiciens accéléraient le rythme, chacun trouvait un partenaire et se lançait dans une valse étourdissante. Les cheveux piqués de fleurs des jolies damoiselles du Rohan accompagnaient le tournoiement de leurs corps graciles qui semblaient aussi légers que du papier, et on aurait dit que des dizaines de tornades blondes avaient été lâchées dans les rues de la capitale. Swan ne pouvait que sourire, parfois gênée de sa propre maladresse, mais toujours guidée et rattrapée par les hommes qui semblaient maîtriser les pas à la perfection. Les spectateurs frappaient des mains en rythme, accompagnant la lente décrue de la musique quand hommes et femmes se séparaient et se mélangeaient en un joyeux chahut où chacun saisissait la main qui lui était tendue, tournait un instant, avant de changer de partenaire, et de recommencer à l’infini.
Dans toute son existence, Swan n’avait jamais connu pareil sentiment d’osmose et d’abandon, et elle se sentit tout à coup aérienne, arrachée à sa propre enveloppe corporelle pour ne faire qu’un avec la communauté qui l’entourait et avec la musique qui s’était emparée de son âme. La présence d’Enaël à ses côtés, dont elle percevait parfois la silhouette ou le rire, sans parvenir à le capturer dans son regard, lui procurait un profond sentiment de bien-être. Tout était absolument parfait.
Elle aurait souhaité que ce moment ne connût pas de fin.
Mais le temps, maître de toutes choses, les rappelait à la réalité. Les musiciens achevèrent leur morceau triomphalement, et Swan se fit mal aux mains à force d’applaudir, criant des « bravo » à l’unisson de la foule transcendée qui ronronnait de bonheur. Elle retrouva Enaël et la serra dans ses bras sans la moindre gêne cette fois, enfouissant la tête dans ses cheveux au parfum envoûtant.
- Merci Enaël… Merci !
~ ~ ~ ~
Encore portées par l’euphorie de leur danse, Enaël et Swan se laissèrent aspirer par les passants qui déambulaient vers l’avenue commerçante, sans se soucier de perdre de vue Eolena qui leur avait gentiment donné la permission d’aller retirer leur commande. La jeune fille aux cheveux bruns ne put s’empêcher de prendre la main de son amie dans la sienne, lui lançant un regard à la fois ému et aimant, qui disait tout ce que les mots ne pouvaient traduire.
- C’était une journée incroyable Enaël ! Incroyable ! Je… Je n’avais jamais connu ça, c’était tout simplement magique !
Parler de cette journée au passé était douloureux mais elle ne pouvait faire autrement que de faire le bilan de tout ce qu’elles avaient vu et accompli. Tant et tant de choses qui tranchaient avec le quotidien protecteur mais austère de la maison de Maître Ovadiah. Elle n’en voudrait jamais au précepteur d’avoir choisi ce mode de vie, et d’avoir privilégié la réclusion à l’agitation de la vie citadine… Mais c’était un choix qu’il avait longuement mûri après avoir voyagé, après avoir connu et profité de tout cela. Elle savait pourquoi il était important qu’elle demeurât en sécurité, mais une partie d’elle-même ne pouvait s’empêcher d’être attirée par le bruit et les couleurs, par l’étincelle de vie qu’elle percevait à chaque coin de rue. Sa propre existence, terne et monotone, était bien triste en comparaison.
Elles échangèrent sur des sujets variés, notamment sur un des garçons qui semblait avoir eu le béguin pour Enaël, et qui n’avait cessé de lui sourire de manière appuyée.
- S’il essaie de t’approcher, je m’occupe de lui ! Disait Swan avec l’air aussi sérieux et menaçant que ces chevaliers de pacotille que l’on croisait parfois. Tu n’imagines pas les potions que Maître Ovadiah m’a appris à fabriquer : j’ai de quoi envoyer n’importe quel prétendant au tapis… ou au latrines, c’est selon.
Un rire délicat s’échappa de ses lèvres, ce qui contribuait à la rajeunir. Cette parenthèse enchantée, riche en émotions, faisait beaucoup pour ressusciter l’enfant qui se terrait en elle, et qui avait appris à se cacher pour ne pas faire de l’ombre à la part adulte qui veillait quotidiennement à la maintenir en sécurité. Au fond d’elle-même, cependant, elle n’était pas très sûre de vouloir penser à ce qui se passerait lorsqu’Enaël et elle-même seraient en âge de se marier. Son cas était peut-être plus vite réglé : elle était une orpheline sans fortune, et son seul protecteur ne laissait personne s’approcher d’elle… Elle finirait probablement vieille fille, héritière d’un domaine qu’elle avait appris à gérer et à aimer, loin de tout. Enaël, cependant, incarnait les espoirs de toute une famille. Dernion aurait peut-être le choix de ce qu’il voudrait faire, de devenir un érudit comme ses dispositions naturelles semblaient le commander. Cependant, sa sœur en tant que femme serait vivement encouragée à prendre un époux, et à fonder une famille qui garantirait une descendance à son mari.
Le destin qui leur était promis ne laissait que peu de place à ce que le cœur de la jeune fille désirait en cet instant. Une bête folie de jeunesse ? Ou bien l’expression profonde d’un manque que rien ne viendrait combler ? Son sourire se fissura quelque peu, mais elle fit de son mieux pour ne pas gâcher la fin de cette journée.
Elle voulait que tout fût parfait.
Hélas, les forces en mouvement dans le monde des grands ne s’arrêtaient jamais, et encore une fois le malheur s’abattit sur le Riddermark. Il parut d’abord sous la forme de deux cavaliers qui passèrent en trombe devant les jeunes filles qui s’écartèrent de justesse de leur passage. Des soldats en armes couraient derrière eux, non pas pour les rattraper, mais pour les escorter jusqu’au Château d’Or où se tenait le bal. Les rumeurs, cependant, couraient encore plus vite.
- Nous sommes attaqués ! Cria quelqu’un.
- L’ennemi est là !
« Attaqués » ? Mais par qui ? « L’ennemi » ? Lequel ? Le bruit était cependant colporté, brûlant tel un feu qui n’avait besoin d’aucun autre combustible que la peur humaine, et qui se répandait de foyer en foyer, de cœur en cœur. Il ne fallut pas plus de quelques heures pour que l’entièreté de la cité d’Edoras fût informé que quelque chose se produisait, mais au sein de l’illustre cité d’Eorl, mille versions contradictoires circulaient simultanément. On parlait ici de démons ailés tombant du ciel pour en arracher le soleil. Là, on évoquait des créatures immenses, que certains appelaient Mûmakil, et qui venaient briser l’âme du Rohan. D’autres hardis expliquaient à qui voulait l’entendre que les Charbonneux avaient été aperçus à quelques lieues de la capitale, et que la mobilisation de tous les Rohirrim allait être déclarée incessamment. Certains avançaient même des théories farfelues selon lesquelles le royaume du Gondor était tombé, et que la guerre arrivait désormais aux portes du Riddermark. Ils criaient des inepties comme « l’âge des Hommes est terminé ! ».
- Il faut retrouver ta tante ! Cria Swan par-dessus de la vacarme de la foule qui s’agitait pour soit se rapprocher de Meduseld en quête de protection, soit quitter la capitale en toute hâte.
- Mesdemoiselles ! Mesdemoiselles !
- Monsieur Reymir ?
En se retournant, Swan avait difficilement repéré le portraitiste qui se trouvait de l’autre côté de la rue, en contrebas. Il agitait les bras pour capter son attention, essayant de se faufiler à travers la marée humaine. Il parvint péniblement à les rejoindre, et lorsqu’il arriva vers Enaël et Swan, il soupira et lâcha :
- Mesdemoiselles, comme je suis content de vous trouver ! J’ai attendu autant que j’ai pu, mais hélas avec tout ce remue-ménage… Je ne pensais pas vous trouver.
- Nous venions vous chercher, quand nous avons entendu de terribles rumeurs, répondit Swan. Nous étions en route pour Meduseld.
Il hocha la tête :
- Fort bien, fort bien. Vous y retrouverez votre ami alors. Il allait dans cette direction également. Voici votre portrait, j’ai enveloppé dans un écrin. Quant à moi, mes quartiers sont plus proches des portes, je vais…
- Mon « ami » ?
Les deux jeunes filles échangèrent un regard. Celui de Swan venait de vieillir brutalement de plusieurs décennies. A la manière d’un vétéran rappelé au combat par la nécessité, toute notion de de joie et de légèreté venait de disparaître de son esprit. Elle se morigéna intérieurement d’avoir baissé la garde, et contra sèchement la question du dessinateur :
- Ce n’est rien, monsieur Reymir, merci de nous avoir apporté le dessin. Nous devons partir.
Et sans rien ajouter, elle saisit Enaël par la main, et se mit à courir… non pas en direction de Meduseld, comme prévu, mais vers les quartiers du Sud de la ville. Une course effrénée, terrifiée, qui ne répondait qu’à un seul impératif. Un seul instinct.
Survivre.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Dernière édition par Ryad Assad le Ven 27 Sep 2024 - 17:07, édité 1 fois
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1075 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
En l’espace de seulement quelques minutes leur journée idyllique au sein d’une capitale en fête se mua en un cauchemar au sein d’une cité prise par la panique. Les passants et badauds qui se trémoussaient encore quelques minutes auparavant sur les airs joués par les musiciens de rue s’étaient mis à courir de tous côtés, cherchant à rallier la rassurante protection d’une chaumière ou les portes d’une cité que certains pensaient déjà perdues.
La confusion était totale. Et le soudain changement de comportement de Swan après leur échange avec Reymir ne fit rien pour clarifier le tableau.
À la simple mention d’un mystérieux ami à leur recherche, le regard de la jeune étrangère changea du tout au tout. La jeune fille remercia poliment le ménestrel mais la rohirrim la connaissait assez bien pour remarquer le léger tremblement au fond de sa gorge alors qu’elle parlait. Puis, prenant son amie par le bras, elle se mit à fuir. Loin du Château d’Or, loin de l’entrée de la ville. Cherchant à mettre le plus de distance possible entre elles et ce nouveau danger qui l’effrayait tant. En serrant ses doigts glacés, Enaël pouvait ressentir toute la terreur qui s’était saisie de la fille qui faisait battre son cœur.
Elle serra sa main dans la sienne encore un peu plus vigoureusement, à la fois pour lui transmettre du courage et pour l’assurer que peu importe ce qui la faisait tant trembler, l’aspirante cavalière comptait bien se dresser sur son chemin pour défendre son amie.
Ainsi, les deux adolescentes s’engouffrèrent dans les ruelles annexes des Quartiers Sud de la cité, là où les allées boueuses n’étaient pas dallées et les habitations de plus en plus modestes. Plusieurs fois, elles furent forcés de se plaquer contre les murs au passage d’un cheval en furie ou d’un convoi filant à toute vitesse vers la sortie de la ville. Le chaos était désormais total à Edoras. Certains cherchaient à quitter la ville au plus vite. D’autres se massaient pour se réfugier derrière ses remparts. Quelques soldats isolés tentaient vainement de faire régner un semblant d’ordre, mais en les croissant, Enaël put lire dans leurs regards qu’ils étaient aussi démunis que les civils qu’ils étaient chargés de rassurer.
Finalement après plus d’une dizaine de minute de course effrénée, Enaël, dont le visage rougi par l’effort, se mit à tirer sur le veston de sa camarade pour l’inciter à ralentir.
“Swan ! Swan ! Arrête-toi ! STOP !”
Celle-ci finit par se retourner, l’air légèrement contrarié par ce contretemps mais Enaël soutint son regard. Elle ne comptait pas être rude avec son amie et son effroi soudain l’inquiétait pour autant, elle n’était pas du genre à fuir ainsi devant un hypothétique danger inconnu. Son père et sa tante se faisait probablement un sang d’encre à l’idée de les avoir perdu au milieu de cette débâcle. Il lui fallait des explications.
Enaël posa une main sur la joue de Swan, essuyant quelques perles de sueurs de l’extrémité de son pouce. Elle lui parla avec douceur mais également une certaine fermeté. “Swan ça suffit ! Maintenant, dis-moi ce qui se passe. Qui est cet homme qui t’effraie tant ?”
Un pressentiment étrange avait commencé à envahir Heldamn dès l’apparition des trois cavaliers elfes dans les rues de la capitale. Un spectacle bien singulier qui, en d’autres circonstances, aurait pu l’émerveiller mais il avait rapidement senti que quelque chose ne tournait pas rond.
Les faits ne tardèrent pas à lui donner raison quand, quelques instants plus tard, les grandes portes de Meduseld s’ouvrirent avec fracas, déversant la nuée de riches convives du Bal en proie à la panique. Une panique qui ne tarda pas à gagner l’intégralité des habitants d’Edoras, du plus prestigieux marchand jusqu’au plus jeune des garçons d’écuries.
Prenant Dernion par la main, le berger se dirigea à toute vitesse vers le parvis du château là où il pensait retrouver le reste de sa famille. Il dut jouer à plusieurs reprises des coudes et des épaules pour se dégager un passage parmi la colonne humaine qui avançait dans le sens inverse sur l’artère principale.
Arrivé à une vingtaine de mètres de son objectif, il repéra finalement la silhouette de sa sœur qui, perdue, au milieu de la foule se tournait de tous les côtés en quête d’un visage familier. “Eolena ! Ici ! Ici !”
Par miracle, au milieu de la cohue, l’appel du frère aîné fut entendu et la jeune veuve arriva rapidement à leur hauteur. Mais là encore, au vu de son expression, Heldamn comprit que quelque chose n’allait pas.
Au bord des larmes, Eolena avoua:
“Enaël et Swan… je les ai perdu… je…je…elle devait récupérer un dessin, une affaire de minutes et puis tout s’est déclenché et je….je…Je suis désolé.”
Heldamn étouffa un juron. Voilà un autre problème qui se rajoutait, pourtant face au désarroi de sa sœur, il tâche de préserver une certaine contenance et la rassura en la prenant dans ses bras.
“Ce n’est rien, ce n’est rien. Prenez Chausson avec Dernion et retournez à la ferme au plus vite. Si je ne suis pas revenu demain à l’aube avec les filles, partez.”
Eolena écarquilla les yeux, peinant à prendre la pleine mesure de la nouvelle réalité d’urgence dans laquelle ils étaient subitement tous plongés. Si vraiment l’ennemi était aux portes d’Edoras, alors il n’y avait en effet, aucune seconde à perdre. “Heldamn on ne peut pas vous laisser… -Partez ! Dunharrow ou le Gouffre, mettez-vous en sécurité. Toi, Dernion, Deana, Père, Maître Ovadiah et tous les autres du villages qui le peuvent. Je vous retrouverai avec les filles…Je te le promets. -Tu connais Papa, il ne voudra pas… -De cela, tu es responsable de le convaincre.”
Sans un mot supplémentaire, Heldamn fit volte-face et s’engouffra dans la foule qui continuait à affluer de toutes parts. Sans s’en rendre compte, il avait instinctivement posé sa main sur le pommeau de son épée fraîchement acquise. Lui qui n’avait jamais été soldat prenait soudainement conscience que, cette fois-ci, emprunter la voie du guerrier lui serait peut-être inévitable pour survivre et sauver ceux qui lui étaient chers.
Animé par un sentiment étrange d’anxiété qui lui serrait les tripes mais également par une détermination à toute épreuve, propre à leur famille, il se mit en quête des deux jeunes filles.
Pour honorer le serment qu’il avait prêté à Maître Ovadiah.
Pour porter secours à ce qu’il avait de plus au cher au monde.
Pris dans un sprint à travers les rues de la capitale, le rohirrim percuta violemment un passant. Les deux manquèrent de chuter au sol et Heldamn s’excusa d’un air distrait. L’homme portait la barbe et de longs cheveux et à en juger par son allure et son accent, il ne venait pas du coin. Sûrement l’un de ses étrangers ayant fait le déplacement pour les festivités royales.
D’un ton insistant, le souffle légèrement coupé. Heldamn, de plus en plus en proie à une certaine panique, l’assaillit de question.
“Eh toi ! Tu n’as pas vu ma fille et son amie. Une petite tête blonde à l’air farouche et une autre aux cheveux sombre et aux yeux bleus?”
Le verdict avait été prononcé par Eolkar sur un ton sec mais calme. Eolena, arrivée à la ferme avec son neveu quelques minutes plus tôt, lui avait longuement exposée la situation au milieu d’un souper que nul n’avait pu toucher. Tous étaient bien trop inquiets du sort de leurs proches disparus et de leur royaume menacé pour se tailler une part de pâté en croûte. La cadette de la fratrie avait repris en assurance et avait expliquée le plan de son frère, auquel elle adhérait pour le bien des leurs.
Pourtant, comme elle s’y attendait, elle se heurtait désormais à l’entêtement légendaire de son père. Dernion, silencieux comme rarement, s’était réfugié dans un coin de la pièce, les jambes pliés contre son frêle torse, une couverture autour des épaules qui masquaient à peine les tremblements dont il souffrait. Le jeune garçon avait pourtant pris son médicament mais ce genre de situation stressante pouvait parfois provoquer des crises inattendues. Deana s’était installée à ses côtés, l’étreignant de toute ses forces et lui soufflant des mots doux à l’oreille pour chercher à le réconforter.
Eolena se mit à implorer le chef de maison. “Papa, je t’en prie. On ne peut pas tout risquer pour une maison ainsi. Tu as toujours été respecté par les autres villageois, ils te suivront si tu décides de partir. Tu pourrais tous les sauver… -Une maison ? Tu penses que je refuses de partir à cause de cette fichue bicoque?”
La jeune femme s’arrêta net dans sa demande et un silence de plomb s’installa dans la pièce de vie. Seul le crépitement du feu qui brûlait de la cheminée ponctuait l’attente des prochains mots du vieux paysan. “Trente ans…Pendant trente ans elle m’a soutenu dans mes entreprises les plus folles, toléré mes crises, aimé malgré toute mes tares. Trente ans… Et tu me demandes maintenant de la quitter deux jours après l’avoir enterré ?”
Ses yeux s’étaient humidifiés. Dans une piètre tentative de refouler ses larmes, il frappa violemment du poing sur la table. “C’est non! Je mourrais en défendant sa dépouille s'il le faut. Aye ! Voilà une fin qui me sied !”
Il se tourna légèrement pour faire face à sa fille, cette fois ci son visage entier, creusé de rides, était complètement humide. Pour la première fois, la jeune veuve voyait son père, cette figure forte et inébranlable dans son esprit, pour ce qu’il était aussi, un homme vieillissant que la vie n’avait jamais épargné.
“Tu es aussi forte que moi ou que tes frère Eolena. Le même sang coule dans nos veine. Va! Prends-les avec toi et guide-les. Ils te suivront.”
Il prit une longue gorgée d’ale. “Moi, je reste.”
Eolena, à court de solutions, lança un regard implorant à Ovadiah ; s’en remettant au vieil ami d’Eolkar pour lui faire entendre raison.
The Young Cop
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Le souffle court, Swan continuait d’allonger la foulée, traversant rues et ruelles sans prêter attention à la direction dans laquelle elle allait, cherchant simplement à mettre le plus de distance possible entre elle et le danger qu’elle percevait. Il y avait bien longtemps qu’une telle terreur ne s’était pas emparée d’elle, oblitérant totalement ses capacités de réflexion, et la laissant seulement gouvernée par des émotions à la puissance incommensurable. Elle était à la merci du moindre bruit suspect, de la moindre ombre jetée contre un mur par la flamme d’une torche. Et à chaque fois, elle bifurquait, et continuait de courir.
Sa main ne lâchait pas celle d’Enaël, cependant.
Au fond d’elle-même, dans l’œil du cyclone de son effroi, elle se souvenait encore de la présence de la jeune fille à ses côtés, et c’était bien pour elle qu’elle fuyait. Pour elle, pour la sauver du malheur, pour la tenir éloignée de la mort qui la pourchassait depuis tant d’années, sans lui laisser le moindre répit. Égoïstement, elle se refusait à la laisser partir, car l’idée de se retrouver seule dans la capitale du Rohan lui donnait la nausée… Alors elle devait entraîner Enaël dans sa fuite, sans réfléchir au reste, sans penser aux conséquences…
Vivre.
Courir.
Vivre.
Son monde se résumait à des images simples et brûlantes, qui s’imprimaient dans sa tête avec une telle violence qu’elles menaçaient chaque fois de la déstabiliser. Derrière elle, la mort en marche, répugnante, engloutissant tout sur son passage. Devant elle, l’inconnu et le danger, mais au moins la perspective de gagner du temps, d’échapper encore un peu au destin qui lui était promis… Elle avait pensé qu’après toutes ces années, ceux qui avaient voulu la tuer auraient abandonné leurs vils projets… Mais il fallait croire que son existence avait encore une valeur dont elle ignorait tout, et qu’on voulait lui arracher. Dans un autre monde, elle se serait peut-être livrée aux bras qui cherchaient à ôter son dernier souffle, lasse de fuir encore et encore à travers le vaste monde. Aujourd’hui, cependant, elle avait trouvé une raison de continuer à se battre, et elle n’entendait pas abandonner si facilement.
Elle fut cependant contrainte de s’arrêter sous la pression d’Enaël.
Swan voulait continuer, mais son amie lui opposa une résistance inattendue, qui ne fit qu’irriter la jeune fille aux cheveux bruns :
- Enaël ! Enaël tu ne comprends pas, il faut continuer à courir ! Il le faut ! Mais pourquoi tu t’arrêtes !?
La colère et la frustration qu’elle ressentait fondirent cependant au contact de ces yeux qui s’étaient posés sur elle, et qui l’adoucirent instantanément, comme par enchantement. Les paroles de la jeune Rohirrim, finalement, trouvèrent à se frayer un chemin dans l’oreille redevenue attentive de Swan, qui prit sa tête entre ses mains, essayant de contenir les vagues d’angoisse qui tentaient de la submerger maintenant que ses réflexes primaires avaient cédé la place à des considérations plus complexes et plus humaines.
- Je ne sais pas ! Je ne sais pas ! Répondit-elle sur un ton plus fébrile qu’elle l’aurait voulu.
Les questions d’Enaël étaient légitimes, mais pouvait-elle réellement lui déposer ce qu’elle ressentait ? Était-il juste de faire peser un tel fardeau sur les épaules d’une personne qu’elle aimait tant, et qu’elle voulait préserver de tout mal ? Le regard de son amie réussit à la convaincre que, peut-être, cela valait la peine d’essayer. Elle s’assit lourdement sur le muret d’une maison et, plongée dans la nuit qui semblait n’héberger que leurs deux souffles haletants, ferma les portes de ses terreurs pour ouvrir celles d’une honnêteté qu’elle n’avait plus pratiquée depuis fort, fort longtemps.
- Je ne sais pas qui il est, Enaël… Je sais simplement qu’il me hante…
Elle inspira profondément. L’air entrait difficilement dans ses poumons, et les phrases quittaient ses lèvres en un murmure que seul le silence oppressant autour d’elles rendait audible.
- C’est l’homme qui a… l’homme qui a…
Ses yeux se fermèrent. Les souvenirs affluaient, remplissant le vide qu’elle avait laissé toutes ces années dans son cœur. Du sang. Tellement de sang. Ces yeux bleus qui la fixaient, dépourvus de toute étincelle. Des yeux bleus figés dans le corps de son frère, à peine reconnaissable. Elle se mit à trembler. Elle était incapable de le dire à haute voix.
- J… Je… C’est… Il veut… moi… Me… Tuer… Il veut… me tuer…
Si seulement elle avait su la raison… Peut-être cela aurait-il donné un sens à son existence. Toutefois, elle ignorait tout simplement pourquoi la mort continuait à la pourchasser à travers tous les royaumes de la Terre du Milieu. A cette cruelle injustice, elle n’avait aucune explication. Peut-être les Valar s’étaient-ils détournés d’elle ; peut-être avait-elle commis quelque crime dans une vie antérieure, qui justifiait cette punition permanente. Elle ignorait tout des motifs de cet assassin, mais savait simplement qu’il ne cesserait jamais de la traquer.
Son regard écarquillé glissa vers Enaël, et elle se mit cette fois à pleurer à chaudes larmes :
- J’ai peur qu’il t’arrive quelque chose, Enaël… J’ai peur que quelqu’un te fasse du mal à cause de moi… J’ai peur Enaël. J’ai peur. J’ai peur. J’ai peur… J’ai… J’ai…
La panique montait, de manière incontrôlable, l’empêchant presque de parler. Les souvenirs, toujours les souvenirs, frappaient à la porte de ses pensées. Vils. Douloureux. Elle revoyait les visages. Tous ces visages. Et lui. Glacial.
- Le Spectre, finit-elle par lâcher après de longues minutes prostrée et pétrifiée. Dans mes cauchemars, je l’appelle le Spectre.
Ce nom était celui que l’on donnait à ce genre de créatures dans sa famille. Elle n’était pas certaine qu’on les appelât ainsi au Rohan, mais toutes les cultures de la Terre du Milieu connaissaient ce genre de monstruosités. Certains les appelaient des esprits vengeurs, d’autres des fantômes, et d’autres encore des démons. Les mots renvoyaient tous à la même réalité : des choses inhumaines, venues d’un autre monde pour infliger des tourments aux gens d’ici-bas.
- Je ne sais pas pourquoi, mais il me pourchasse. Il y a longtemps qu’il n’est pas revenu me hanter, et je croyais que… qu’il s’était lassé… Mais j’ai toujours peur qu’il revienne, tu comprends ? J’ai vu trop de mes proches mourir en essayant de l’empêcher d’arriver jusqu’à moi…
Ses mains s’agitaient de manière involontaire. Elle les serra l’une contre l’autre, en espérant mieux contrôler les tremblements.
- Quand mes parents sont… Quand le Spectre a… Enfin… Ce jour-là, j’ai été confiée à deux hommes… Deux frères. Ranó et Antarion… Je me souviens de leurs visages… Parfois, le soir, quand je m’endors, j’entends leurs voix. Leurs rires. Ils m’ont protégée pendant huit mois. Jour et nuit. Ils se sont privé de nourriture pour que je mange à ma faim. Ils ont dormi sous la pluie pour que je puisse être à l’abri. Ils ont soigné mes blessures… Supporté mes larmes… Mon silence… Mon maudit silence… J’aurais tellement aimé leur dire à quel point ils comptaient pour moi… J’aurais tellement aimé les remercier…
Elle observa Enaël un instant. Son regard avait cette profondeur indéfinissable, de ceux qui en ont déjà trop vu, et qui ne connaîtraient plus jamais l’innocence et la joie véritable. Ceux qui marchaient toujours dans l’ombre de la mort.
- Le Spectre a pris Ranó en premier. Il s’est sacrifié pour nous donner une chance de fuir, Antarion et moi… Et nous l’avons abandonné. Tu comprends, Enaël ? Il a choisi de laisser mourir son propre frère, pour me sauver… Mais peu de temps après, le Spectre nous a retrouvés. Et cette fois, Antarion est mort. Sous mes yeux. Massacré… Il y avait tellement, tellement de sang. Enaël… Tellement de sang…
Swan ne trouva pas la force d’évoquer la suite de son odieux périple à travers la Terre du Milieu. Elle avait parcouru des lieues et des lieues, escortée par des hommes tous plus valeureux les uns que les autres, qui avaient tous en commun d’avoir fait passer son existence avant la leur. De véritables héros dont les noms seraient oubliés par l’histoire, mais qui avaient fait preuve d’une bravoure extraordinaire face au danger. Elle se rappelait de chacun d’entre eux. Elle ignorait pourquoi tant d’hommes avaient accepté de la prendre sous leur aile… L’argent, bien entendu, avait joué un rôle, mais cela ne pouvait expliquer pourquoi tant de nobles âmes avaient eu à cœur de se dresser entre elle et le Spectre.
- Tous ceux qui m’entourent sont en danger… Et je ne supporte plus de voir des gens se sacrifier pour moi… Je ne pourrais pas me le pardonner s’il t’arrivait quelque chose… ou bien à ta famille, ou à Maître Ovadiah. Vous avez tous été tellement accueillants envers moi : qu’ai-je bien pu faire pour mériter tout ça ? Qu’ai-je apporté au monde pour rembourser la dette que j’ai désormais envers tous ces gens ? J’ai l’impression que je ne serai jamais à la hauteur…
Les épaules de la jeune fille s’affaissèrent. Il y avait fort longtemps qu’elle ne s’était pas confiée ainsi, et elle se sentait fatiguée émotionnellement, comme si de telles confessions nocturnes lui avaient dérobé toute son énergie. Pendant un bref instant, elle sembla oublier le reste du monde. La mort du Vice-Roi, la panique d’Edoras, l’homme qui la recherchait…
Tout cela s’évanouit dans les yeux d’Enaël, dont elle ne pouvait pas se détacher.
Elle était à la fois attirée par elle, tout en étant terrifiée du risque immense auquel elle l’exposait en autorisant simplement ses doutes et ses peurs à trouver refuge dans cette âme tellement pure. Swan avait aimé, auparavant, mais jamais ainsi… Elle n’avait jamais ressenti un tel déchirement intérieur, comme si son monde devait s’effondrer si Enaël ne se la serrait pas dans ses bras. Comme si le souffle devait lui manquer pour toujours si la vie devait les séparer sans qu’elle l’eût embrassée de nouveau. Son cœur se mit à battre plus vite, et sans réfléchir elle se pencha et céda à son instinct qui lui commandait de ne rien attendre de l’avenir, et de vivre chaque moment comme s’il était le dernier. Sa main glissa contre la joue de la jeune Rohirrim, à qui elle déposa un baiser aussi tendre que maladroit. Mais tout cela semblait tellement naturel. Tellement… évident.
Non vraiment, elle n’avait jamais aimé ainsi.
Elle s’écarta quelque peu, incertaine quant à la réaction de son amie. Elle ne voulait ni la brusquer ni l’oppresser, car si comme elle le soupçonnait que leurs émotions se répondaient, alors Enaël aurait peut-être besoin de temps pour réfléchir aux implications de ce geste. À tout ce qu’il représentait symboliquement, et à tous les risques qui y seraient éternellement associés. C’était, à n’en pas douter sa dernière opportunité de reculer, de sauver sa vie et son avenir. Swan ne savait pas ce qu’elle espérait, tiraillée entre ses désirs les plus égoïstes et ses craintes les plus altruistes. Mais quel que fût le choix de celle qu’elle aimait, elle l’accepterait pleinement, sans que cela changeât ses plans en aucune manière.
Ce soir, elle devait quitter Edoras.
Définitivement.
Les deux jeunes filles, qui commençaient à avoir froid, reprirent bientôt leur route. Elles devaient impérativement trouver un endroit où se réchauffer, mais Swan était inquiète à l’idée de rentrer dans une auberge, où elle serait plus facilement repérable et identifiable. Elle avait passé tant d’années à éviter un traqueur qu’elle savait comment il réfléchissait. Pourtant, elles n’avaient quasiment rien avalé de la soirée, et le froid risquait de les affaiblir encore davantage si elles ne trouvaient pas un abri. Elles revinrent donc vers des rues plus fréquentées, mieux éclairées aussi, et qui semblaient fourmiller d’une agitation étonnante. Elles n’étaient pas bondées comme elles avaient pu le croire, mais des hommes préparaient des chariots qui devaient partir le lendemain, et l’un d’entre eux les informa que les portes de la cité étaient encore ouvertes, les gardes se montrant pour l’heure incapables d’enfermer les gens d’Edoras dans la cité, au risque de réellement créer un mouvement de panique.
- Je ne sais pas combien de temps elles resteront ouvertes, avait dit Swan à son amie après qu’elles se furent un peu éloignées, tout en soufflant dans ses mains pour les réchauffer. Peut-être qu’il serait plus sage d’essayer de les franchir pendant que cela est encore possible. Je regrette presque d’être venue à Edoras…
Alors qu’elles continuaient de discuter, essayant de trouver une auberge qui n’était pas bondée – un véritable défi en l’occurrence – le regard de la jeune fille accrocha quelque chose sur sa droite. Une silhouette qui s’était redressée un peu trop vivement, et dont elle avait perçu le mouvement davantage que la forme réelle. Ses yeux s’écarquillèrent brusquement, alors qu’elle attrapait la main d’Enaël pour la placer derrière elle. À l’abri. Avaient-elles encore le temps de courir, à ce stade ? D’appeler à l’aide ?
L’homme s’approcha d’elles. Les ombres le rendaient impossible à identifier, mais il était grand et bien bâti. Largement capable de les éliminer toutes les deux, si elles lui opposaient la moindre résistance. Arrivé à quelques mètres, il ne murmura qu’un mot.
La nouvelle de la mort du Vice-Roi avait jeté un froid terrible dans la demeure d’Eolkar, et Ovadiah avait lui-même dû s’asseoir pour en mesurer toute la portée. Gallen Mortensen. Mort ? Il n’aurait jamais imaginé que le décès d’un seul homme pût l’affecter à ce point, et il se figurait sans difficulté les conséquences catastrophiques que cela aurait pour le moral de tous les Rohirrim. La guerre avait quelque chose de brutal et d’injuste, mais certains héros semblaient pourtant immunisés contre ses affres, immortels dans l’âme de chacun. Les troubles engendrés par le règne d’Hogorwen avaient été d’une violence inouïe pour le peuple du Riddermark, et Mortensen avait incarné une figure fiable, un homme droit et noble qui avait tenu bon dans la tempête, en dépit des changements de monarques, des guerres fratricides et des invasions…
Le Rohan voyait en lui l’incarnation de la stabilité.
Sa disparition tragique faisait vaciller de nouveau les fondations du royaume. Alors que la nouvelle se répandait inexorablement, les soldats devaient trembler dans leurs casernes, les paysans devaient commencer à préparer leur départ si d’aventure la guerre devait venir frapper à leurs portes… L’armée des Charbonneux avait réussi à ôter la vie au Champion du Rohan. Quel espoir restait-il au commun des mortels face à une telle furie ?
Eolena, qui leur avait porté la nouvelle, semblait dévastée.
La perte de Swan et d’Enaël n’arrangeait absolument rien à son état, et Ovadiah avait dû lui préparer une décoction de plantes dont il avait le secret pour l’aider à se calmer, pour lui permettre de tout raconter de manière cohérente. Puis, le vieil homme s’était tourné vers Dernion, qui semblait muré dans un silence sidéré, sans doute préoccupé par le sort de sa sœur.
- Tu as mangé quelque chose, Dernion ? Demanda le précepteur d’une voix douce. Tu sais, si nous devons partir à la recherche des filles bientôt, tu auras besoin de toutes tes forces… Tu as pris ton remède ?
Ovadiah s’efforçait de veiller sur lui, mais le jeune garçon était traversé par des émotions si puissantes que la raison ne parviendrait pas, seule, à l’en détourner. Il lui passa une main chaleureuse sur l’épaule, comme pour lui dire que tout irait bien, mais il s’empressa de tourner la tête vers Eolkar. Si son jeune élève avait levé les yeux, il aurait sans doute capté la lueur d’inquiétude qui était passée dans son regard d’adulte, et aurait compris. Deana s’approcha, pour prendre le relai, et Ovadiah lui fit amener une tasse de la décoction :
- Qu’il en boive autant que possible, cela l’aidera à se relaxer, et à mieux dormir.
Il eut un sourire compatissant. Dernion n’était que son élève. Il avait du mal à imaginer à quel point son état devait préoccuper ses proches, qui l’avaient accueilli dans leur amour depuis les premiers jours de sa vie. Lui-même s’efforçait de cacher son angoisse, mais ses pensées étaient entièrement tournées vers Swan, qu’il imaginait prisonnière à l’intérieur de la cité d’Edoras, terrifiée et peut-être en très grand danger. Il avait d’abord voulu partir la retrouver, mais Eolena l’avait retenu en lui expliquant tout d’abord que Heldamn s’était mis à leur recherche, et qu’il avait de meilleures chances de les retrouver ; ensuite, en lui racontant que les gardes de la ville laissaient encore sortir des habitants, mais qu’ils se montraient intransigeants vis-à-vis des entrées. Il lui avait fallu de longues minutes pour accepter que ne rien faire pour le moment était sans aucun doute la meilleure chose à faire. Sans rien ajouter, il était revenu à la conversation rugueuse entre Eolena et Eolkar, non sans s’être servi lui-même une tasse… Ses propres démons revenaient l’assaillir alors même qu’il avait cru en être débarrassé.
La colère qu’il perçut dans le ton de son vieil ami Eolkar ne le surprit guère, car il comprenait parfaitement l’attachement que l’homme avait pu construire autour de cette maison familiale dans laquelle reposait désormais le corps de sa défunte épouse. Cependant, il ne s’attendait pas à déceler des accents de tristesse dans ce discours enflammé, chez celui qui avait toujours montré tant de force et d’assurance envers ses enfants. Le patriarche semblait vieux, ce soir. Vieux et las. Il s’accrochait sans doute à des chimères, à des rêveries et à des symboles. Il prenait sans aucun doute une décision qui ne pouvait pas apparaître comme rationnelle aux yeux de quelqu’un de plus jeune… Toutefois, Ovadiah comprenait ce que ressentait Eolkar, pour l’avoir lui-même ressenti quelques jours plus tôt en quittant sa ferme. Une ferme dans laquelle il avait mis son temps, son énergie, sa passion… mais une ferme qui n’abritait pas la mémoire de ceux qu’il avait pu aimer durant sa longue vie sur cette Terre du Milieu. Si tel avait été le cas, si le corps de sa défunte épouse s’était trouvé là… Peut-être aurait-il refusé lui aussi de céder sur un point qui lui semblait aussi essentiel.
- Eolkar, mon vieil ami… Lâcha-t-il enfin. Tu as toujours été opiniâtre et résolu, et nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, mais ce soir, je te comprends. Et si ton foyer a encore de la place pour un vieillard errant ôté de son propre foyer, permets-moi de rester avec toi.
Il se tourna vers Eolena, qui semblait ne pas s’attendre à cette réponse. Son devoir était de lui expliquer les choses, avec un peu plus de douceur :
- Il y a un âge pour tout, mon enfant. Nos jours sont derrière nous, désormais, et notre avenir n’a de sens que parce que nous pouvons protéger ce que nous avons passé tant d’années à construire. Notre héritage… Le vôtre, en réalité. Ce n’est pas la mort que nous recherchons, en restant ici. Mais si elle devait nous prendre, qu’elle nous prenne là où nous l’avons choisi, et non sur des terres lointaines et inconnues, où nous serions exposés à mille tourments, dont celui de nous inquiéter pour Céoda… Pour tous ces ancêtres qui reposent ici, et dont nul ne sait ce qu’il adviendrait.
Les mains d’Eolena trouvèrent une place entre les siennes, comme s’il procédait à un de ces rituels étranges.
- Ton père a raison. Les enfants ont besoin de toi, et ils ne peuvent rêver d’une meilleure protectrice. Aujourd’hui, le Rohan est en danger, et nul ne sait ce dont l’avenir sera fait hélas. Cependant, je crains qu’aucun refuge de ce royaume ne soit véritablement sûr. Prends ceci, mon enfant, et garde-le précieusement s’il-te-plaît.
En retirant ses mains de celles de la jeune femme, il y avait déposé un anneau. C’était une pièce à la fois simple et magnifique, toute en argent, mais particulièrement légère. Des inscriptions y étaient gravées, dans une langue que bien peu au Rohan maîtrisaient.
- C’est de l’elfique, mais je n’ai pas le cœur à te le traduire aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, cela te permettra de gagner le refuge de la Lothlórien, loin au Nord. Demande après Líriel, fille d’Aegion. La route sera longue, assurément, mais là-bas vous serez en sécurité, parmi les Galadhrim. Le Mal qui peut triompher du courage des Elfes de la Lórien n’est pas encore né.
C’était un présent d’une valeur inestimable, qui attestait de l’attachement qu’Ovadiah avait construit avec cette modeste famille du Rohan. Un cadeau qui permettrait peut-être à la descendance d’Eolkar de survivre à la guerre qui s’annonçait, et qui prendrait assurément de nombreuses vies. Le précepteur jeta un regard à son ami, et ses lèvres s’étirèrent en un mince sourire qu’il voulait rassurant.
- Et maintenant, Eolkar, je m’en remets à toi. Que puis-je faire pour t’aider, toi et ta famille ?
~ ~ ~ ~
Les recherches d’Heldamn avaient temporairement été interrompues par le choc contre un passant, accident totalement prédictible tant les Rohirrim d’Edoras semblaient paniqués et couraient en tous sens à la recherche d’un abri ou d’un ami égaré. On criait parfois après un proche, quelques femmes pleuraient dans les rues. La peur s’était infiltrée dans la cité, et la perspective de la guerre semblait désormais très proche. Les Dwimmen approchaient, et ils avaient mis en déroute le plus valeureux des guerriers du Riddermark. Quel espoir leur restait-il ?
Un espoir de fou.
Un espoir qui fit oublier au paysan du Rohan toutes ses manières, et qui le poussa à questionner l’inconnu qui s’efforçait d’ôter la poussière du chapeau qui venait de quitter sa tête et de se retrouver par terre.
- Doucement, doucement l’ami, fit-il en levant une main gantée. Doucement, je ne comprends rien.
Il parlait un westron marqué par des accents méridionaux qui trahissaient peut-être des origines gondoriennes. C’était aussi ce que laissait penser sa tenue, assez différente de ce que portaient les Rohirrim. Son épaule était couverte par une longue cape grise tenue par une broche argentée, qui dégageait de manière commode son bras d’épée. Elle tombait par-dessus une cuirasse légère de cuir brun, qui semblait d’excellente facture. Tout comme la lame qu’il portait au côté, un peu plus longue et un peu plus fine que celles qu’on voyait ordinairement au pays des Seigneurs des Chevaux.
- Reprenez votre souffle, voilà… Dites-moi qui vous cherchez…
En réalité, il avait très bien entendu la première fois, et c’était sans doute la seule raison pour laquelle il n’avait pas immédiatement rossé ce paysan qui osait le percuter en pleine rue sans faire montrer de la moindre contrition. Un détail particulier avait attiré son attention, mais il préférait obtenir une confirmation.
- Une jeune fille avec des yeux bleus, vous dites ? C’est l’amie de votre fille, c’est ça ?
Il enregistrait toutes ces informations précieusement.
- Et où les avez-vous vues pour la dernière fois ? Je peux peut-être vous aider à les trouver, si vous le souhaitez. En retour, vous pourrez peut-être m’aider, vous aussi.
Il assortit sa proposition d’une poignée de sa main tendue, et d’un sourire qu’il voulait engageant. Sous tous rapports, il ressemblait à un simple voyageur fortuné, ayant fait halte à Edoras pour assister au bal donné par le roi Fendor. Il avait même cet air soucieux de ceux ne sachant pas exactement de quel côté le vent allait tourner, regardant toujours par-dessus leur épaule pour s’assurer qu’aucun danger ne viendrait le trouver.
- Je m’appelle Balkhabâr. Je ne suis que de passage à Edoras, avec plusieurs de mes compagnons. Nous sommes des marchands, venus du Gondor, mais on nous a hélas dérobé la cargaison que nous devions ramener. Si je vous aide à trouver votre fille, peut-être pourrez-vous ensuite m’aider à parcourir cette cité pour y trouver ce que nous recherchons ? Avons-nous un accord ?
Son sourire n’avait pas quitté son visage. Mais ses yeux, quant à eux, racontaient une toute autre histoire.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
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À mesure que Swan s’expliquait, Enaël sentait l’angoisse monter progressivement en elle. Tout au long du récit de son amie, elle ne lui lâcha pas le bras, glissant sa main dans la sienne et serrant aussi fort qu’elle le pouvait. À la fois pour lui assurer son soutien mais aussi pour masquer sa propre nervosité qui commençait à la faire trembler. Un assassin ? Envoyé aux trousses d’une jeune adolescente ? Des protecteurs s’étant sacrifiés pour sauver la vie de l’enfant au mépris de la leur ? Qui était véritablement Swan, elle qui devait désormais vivre avec la culpabilité qui hantaient ceux qui avaient survécus ?
Elle était toujours restée évasive sur ses origines. Au cours de leurs longues conversations, elle avait vaguement évoqué être née dans des terres plus au Sud et la jeune rohirrim en avait conclu, après avoir suivi quelques leçons de géographie barbante auprès de Maître Ovadiah, que sa partenaire de chambrée était une gondorienne. Des origines étrangères et un profil atypique au sein du Rohan, certes, mais rien qui ne pouvait justifier une telle affaire. Assurément, et malgré les apparences, elle devait être quelqu’un de diablement important pour se retrouver ainsi au centre de l’attention de tant d’adultes qui ne faisaient pas directement partie de sa famille. L’aspirante cavalière savait ses propres parents capables de se sacrifier pour le bien-être de leurs enfants, mais jamais ne pouvait-elle imaginer que d’autres puissent le faire. Un tel dévouement, une telle loyauté cachait forcément quelque chose d’autre.
Pourtant l’heure n’était pas aux questions mais à la survie.
Le baiser qu’elles échangèrent donna à Enaël une force nouvelle, comme un sentiment qu’en restant ensemble, rien ni personne ne pouvait se mettre sur leur chemin. Qu’une force de la nature
“Tu n’as aucune dette à rendre à qui que ce soit. Avancer, survivre et se battre s’il le faut, voilà tout ce que nous pouvons faire désormais.”
Elle serra encore plus fort les doigts de sa camarade entre les siens et déposa un nouveau baiser sur ses lèvres minces et froides.
“Ensemble.”
Le soleil avait désormais complètement disparu derrière le manteau vert qui s’étendait à perte de vue autour de la colline sur laquelle Edoras avait été bâtie. Un crépuscule bien sombre prenait désormais le pouvoir sur une capitale en proie au chaos. L’agréable chaleur printanière céda elle aussi sa place pour des bourrasques d’un vent froid qui balayait les ruelles de la cité, portant l’effroi et la confusion de ses habitants de chaumière en chaumière, tel un ange mortifère frappant à la porte de chaque foyer pour y réclamer son dû.
Alors qu’elles se mirent en quête d’une auberge d’où elles pourraient réfléchir à la suite auprès d’un feu et avec un peu d’eau, une silhouette se détacha dans la pénombre. Les rues étaient encore animées malgré l’heure tardive, soldats et civils courant à droite et à gauche pour chercher à aider, ou bien à fuir. Enaël n’y prêta d’abord pas grande attention et ne fut alertée que quand Swan la saisit brusquement par le bras.
Il était déjà trop tard.
L’homme avait fondu sur eux et de toute évidence avait bien reconnue la jeune étrangère. Réagissant au quart de tour, Enaël sortit son minuscule canif qu’elle cachait constamment dans son ceinturon et le pointa en direction de l’inconnu qui devait bien lui rendre près de trois têtes. Toutefois l’adolescente bravache ne se démonta pas et défia l’homme sur un ton menaçant ; un léger tremblement au fond de sa voix trahissant toutefois son appréhension de novice. “Approche scélérat ! Si c’est Swan que tu veux, il faudra goûter à mon couteau avant !”
L’homme s’approcha calmement, un peu trop calmement d’ailleurs. Comme s’il n’était pas véritablement hostile et cherchait à ne pas les effrayer après son entrée en matière inattendue.
Le choc avec l’inconnu arracha une longue grimace de douleur à Heldamn. La douleur au genou qu’il traînait depuis son retour de la Grande Estive, provoquée par de longues semaines passées à explorer les pâturages des pans escarpés des Montagnes des Nains, s’était soudainement rappelée à lui. Il s’était promis de prendre un peu de repos à son retour au pays afin de soigner sa blessure mais les évènements s’étaient enchaînés avec une telle rapidité…
Tout en reprenant son souffle, il dévisagea l’homme qu’il venait de bousculer. Port altier, moustache soignée, arme étrange mais élégante, vêtements sophistiqués et phrasé un poil pédant. Sûrement un autre de ces étrangers venus manger dans la gamelle du Roi à l’occasion du Bal. Toutefois, il semblait étonamment disposé à aider le berger rohirrim dans sa quête. “Les yeux bleus oui… Elles sont parties de la piste de danse pour récupérer leur dessin auprès de l’artiste de Lacville. Après on les a perdu au milieu de la cohue.”
L’homme l’écoutait d’un air particulièrement intéressé, se présentant ensuite comme un marchand gondorien ayant égaré sa cargaison dans la ville. Heldamn ignorait ce qu’elle pouvait comporter et ne jugea pas intéressant de l’interroger à ce sujet. Si vraiment ce drôle de type pouvait l’aider à retrouver sa fille et la protégée d’Ovadiah, alors cela lui suffisait amplement, nul besoin d’autres tergiversations. “Marché conclu.” Déclara Heldamn sans la moindre hésitation en secouant vigoureusement la main du commerçant étranger.
Heldamn réajusta son veston tout en cherchant à calmer sa respiration quelque peu haletante. Il sentait toujours une pointe de panique au fond de lui-même mais savait également que pour avoir la moindre chance de retrouver Enaël et Swan, il devait garder les idées claires.
Et il n’était plus seul. “Elles n’ont pas pu aller bien loin. Les portes de la ville sont encore ouvertes, peut-être vont-elles chercher à sortir, auquel cas il faut poster un de vos hommes là-bas. Sinon elles auront probablement cherché à se réfugier au sein d’un établissement pas trop mal famé, il faut qu’on en fasse le tour…’’
La décision d’Eolkar était irrévocable et ni les supplications de sa fille ni les demandes de sa bru ne purent faire plier le fier rohirrim : il resterait. Et dans sa folie il pouvait compter sur son vieux compère. Deux hommes aux parcours et modes de vie si différents mais qui, cette nuit-là, se comprenaient mieux que personne au monde. L’un comme l’autre pouvait ressentir la peine que l’autre portait, l’un comme l’autre était animé de cette même détermination de préserver leur fragile héritage sur ces terres en proie au cataclysme.
Eolena n’insista plus ; elle connaissait son père et son caractère obstiné, à la fois source d’agacement et d’admiration pour elle. Au fond la réaction de son paternel n’était pas plus surprenante que cela, fidèle à lui-même. En revanche, l’intervention de Maître Ovadiah le fut bien plus. Non seulement n’avait-il pas incarné la voix sage et rationnel pouvant ramener le vieux paysan à la raison mais de plus avait-il soutenu l’idée que désormais la charge de la famille, voire du village, reposait désormais sur les épaules de la jeune femme.
Cette dernière, qui prenait peu à peu conscience de ce que tout cela impliquait pour elle et ses proches, écarquilla les yeux quand son ancien précepteur lui tendit un magnifique bijou ouvragé et couvert d’inscriptions aussi belles que cryptiques. Elle le soupesa légèrement dans sa paume et fut étonné par son étonnante légèreté alors qu’une agréable sensation de chaleur se propagea brusquement dans son corps, diffusant un sentiment d’apaisement malgré les circonstances. Elle resserra l’objet dans sa main gracile et acquiesça d’un signe d’un tête, indiquant ainsi qu’elle acceptait son nouveau rôle. “Dame Líriel de Lothlórien. Entendu, je les mènerai jusque là-bas. Montrez-en moi la route Maître Ovadiah.”
À l’exception d’un Dernion qui s’était assoupi, on ne dormit guère cette-nuit là dans la ferme d’Eolkar. Deana s’était empressée de prévenir les anciens du villages d’un départ imminent dès l’aube tout en attendant fébrilement un retour de son mari et sa fille d’ici là. De leur côté, Eolena s’était installé avec son père et son ancien professeur autour d’une grande carte du continent que l’on avait déroulé sur la grande table de bois de la salle à manger. La jeune veuve buvait les paroles du vieux professeur qui lui partageait tantôt les merveilles qu’elle risquait de croiser sur leur route, tantôt l’avertissait des dangers qui pouvaient les guetter au cours de leur périple. Elle écoutait, parfois avec un grand sourire, avec le sentiment de replonger plus d’une dizaine d’années en arrière, quand elle avait elle aussi fait son éducation au sein du domaine de l’érudit à la suite de ses frères.
L’absence de Heldamn et des filles inquiétait mais ils ne pouvaient repousser leur départ, aux aurores, déjà un groupe d’une dizaine de réfugiés s’étaient regroupés autour de la ferme d’Eolkar. Deana les avait averti de voyager léger et de n’emporter que le strict minimum. Un véritable déchirement pour ces fermiers et éleveurs ayant parfois vécu sur ses terres depuis plusieurs générations. Comment pouvait-on abandonner des siècles d’histoire familiale en l’espace de quelques heures ? Quels souvenirs pouvait-on se permettre de prendre avec son malgré tous les risques que cela pouvait représenter ? On avait également amené quelques bêtes, chevaux et mules bien sûr pour les attelages et le transport mais aussi vaches et brebis pour le lait et, quand le besoin s’en ferait ressentir, leur viande.
Alors que le soleil commençait à poindre à l’horizon, Eolena sortir de la maison de son père, les yeux encore rougis par les adieux qu’elle venait de faire à son père.
Tous les regards, quelque peu surpris de ne pas voir le vieux patriarche se dresser devant, désormais tournés vers elle. “Amis et pairs ! Femmes et hommes du Rohan. La mort guette nos terres et moi, Eolena Eolkardottir, vous demande de vous en remettre à mon jugement pour vous guider. La route sera longue et semée d’embûches mais là où je vous mène, je vous fais le serment, que ni les Dwimmen ni aucun autre Mal de ce monde ne pourra nous atteindre.”
Quelques murmures parcoururent l’assistance, quelque peu étonnée de la nature de leur leader mais aussi de leur destination. Fort-le-Cor ou Dunharrow n’auraient-ils pas représentés des objectifs plus raisonnables. Eolena échangea un regard avec Deana qui portait dans ses bras la petite silhouette de Dernion dont le regard hagard toucha sa tante au plus profond de son âme.
Elle devait le faire pour Dernion. Pour son père et sa mère. Pour Heldamn, Enaël et tous les autres.
Reprenant la parole, d’un air encore plus déterminé, elle déclara : “Un jour nous reviendrons sur ces terres que vos père et les pères de vos pères ont fait fructifier. Un jour nous reprendrons ce qui nous a toujours appartenu. Mais aujourd’hui, je vous demande simplement de sauver vos enfants.”
Sur ces mots, Eolena monta en selle, sur un des lourds chevaux de trait appartenant à son père et probablement pas bâti pour ce genre de trajet. Dans ce groupe de réfugiés, nul ne semblait d’ailleurs véritablement bâti pour ce genre d’entreprises.
Pourtant ils ne pouvaient plus reculer.
L’anneau de Líriel porté autour du cou, Eolena se retourna une dernière fois en direction de la colline sur laquelle Céoda avait été enterrée quelques jours plus tôt. “Je reviendrais Maman. Et alors, tu seras fier de moi.”
Les larmes se mirent à couler alors qu’elle fit volte-face pour se diriger vers le Nord.
Caché à l’intérieur de sa ferme, ne désirant pas que les autres remarquent sa présence et sa décision de rester en ce lieu condamné, Eolkar n’avait pas ratté un mot du discours de sa fille. La lueur de fierté qui brillait dans le regard du vieux paysan ne pouvait échapper à son ami qui se trouvait à ses côtés. “La droiture de son frère aîné, la bravoure de son frère le plus jeune; la douceur de sa mère, la ténacité de son vieux père...Elle est la meilleure d’entre nous, à n’en pas douter.”
Eolkar, fatigué de la longue nuit passée à faire semblant d’y comprendre quelque chose aux leçons de cartographie dispensées par Ovadiah, s’affala sur son siège et prit une longue lampée de lait de chèvre.
Dehors, le vacarme des convois et chariots que l’on mettaient lentement en branle dura de longues minutes avant de s’évanouir progressivement dans le lointain, laissant place à un silence aussi apaisant que terrifiant.
Eolkar poussa un long soupir. Heldamn en quête de sa petite-fille à Edoras, Eolena guidant de pauvres âmes vers un lieu sûr, Learamn parti se sacrifier pour honorer un serment fou. Il n’avait pas toujours été un parent exemplaire. Pourtant, face à ce destin funeste qui se profilait, il se sentait fier de l’héritage qu’il s’apprêtait à laisser derrière lui. Malgré tous ses défauts, et grâce à celle qui l’avait supporté pendant toutes ces longues années; ils avaient donné à ce monde trois âmes qui œuvraient désormais à le rendre meilleur, et ce malgré la vanité de cette tâche.
Seul désormais en compagnie d’Ovadiah, ce vieux spectre qui lui rappelait des souvenirs d’un autre âge. “Oooh pas grand-chose à faire. On pourrait barricader la ferme avec quelques sacs de sable, mais ils auront tôt fait d’y foutre le feu. Deux vieillards face à une horde de Dwimmens. Ah ! Voilà une histoire bien étrange.”
Un sourire à la fois fier et mélancolique apparut sur le visage marqué du fermier. “Ah cela ferait une belle chanson pour l’un de ces bardes, tu ne penses pas mon vieil ami?”
Il tendit le bol de lait tiède à Ovadiah avant de se renfoncer au fond de son fauteuil. D’un ton légèrement chambreur il fit : “Par contre, si tu voulais un jour me parler de cette Líriel de Lothlórien, alors je pense que le moment est opportun.”
The Young Cop
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