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Sujet: L'heure des renoncements
Learamn

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Rechercher dans: Le Temple Sharaman   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'heure des renoncements    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 8 Avr 2024 - 22:48


Quatre jours.

Un temps bien trop court pour assembler toutes les pièces de ce mystérieux puzzle qui s’offrait au Rohirrim. Comment approcher la loge du Grand Prêtre durant la cérémonie ? Que s’était-il réellement passé durant sa première captivité au Temple ? L’enfant que portrait Kryv était-il vraiment le sien ? Si tel était le cas, sa conception avait-t-elle été faite à l’insu de leur tortionnaire ; ou alors avec son aval ? Qu’était-il advenu de Khalmeh ? D’Ava ? Huru avait-il bien reçu son message ? Quelle serrure pouvait bien ouvrir cette clé étrange que la devineresse lui avait confiée ?

Les minutes lui filaient entre les doigts et chaque heure qui passait sans apporter de réponses à ces questions le rapprochait d’un échec inéluctable.


Quatre jours.


Un temps infiniment long qui le séparait de la date fatidique du Jour du Dieu Sombre. Au détour de chaque couloir, la menace d’un garde trop zélé ou de mauvais sang. Sous chaque arcade du Temple, l’ombre menaçante de l’Ogdâr écrasant la volonté des âmes asservies. Si proche du but, de simples données aléatoires pouvait mettre un terme à son entreprise.

L’attente en devenait insoutenable.

Nomi lui avait révélé des informations importantes sur son passé. Ainsi n’avait-il pas été un esclave, mais un prisonnier et pas des moindres : le prisonnier personnel du Grand Prêtre. Rien que ça. En d’autres circonstances, cela aurait pu lui paraître flatteur. Jawaharlal désirait lui soutirer des informations. Avait-il révélé quoi que ce soit sous le coup de la torture ? Les méthodes des Melkorites étaient bien parvenues à lui faire oublier trois semaines de sa vie…De quels autres sortilèges disposaient le serviteur de Melkor pour briser ses opposants. L’ancien capitaine avait immédiatement supposé que l’interrogatoire avait porté sur la cargaison qu’il avait découvert à Lâm-Su. Mais cela tenait-il la route ? Seuls Kryv et lui avaient vu ce qui se cachait dans cette cale, et ils avaient été l’un comme l’autre emmenés au Temple. Nul n’aurait pu faire son rapport à Lyra. De toute façon, Jawaharlal avait révélé sa nouvelle armée au grand jour quelques semaines plus tard seulement. Quelle différence cela aurait fait que la Reine soit mise au courant quelques jours seulement avant cette démonstration de force du nouveau maître d’Albyor? L’évasion spectaculaire de Learamn l’avait-elle forcé à revoir son calendrier ? Ou alors cherchait-il à lui soutirer autre chose ? Quelque chose en lien avec les visions de l’enchanteresse ?  

L’esclave avait beau se creuser la tête, toute hypothèse cohérente semblait lui échapper et, poussé dans un état d’épuisement avancé, chaque réflexion trop poussée finissait par lui donner une terrible migraine. Finalement, pour survivre le plus longtemps, valait-il mieux ne pas perdre trop d’énergie avec ce genre de considérations et se contenter de se laisser vivre comme certains de ses camarades ? Ne devenir plus qu’un outil fonctionnel et aussi efficace que possible afin de préserver une certaine valeur ?

La veille de la cérémonie fut particulièrement pénible à vivre. La tâche de travail avait doublé, leurs contremaîtres devant s’assurer que tous les préparatifs soient parfaitement achevés avant l’arrivée des premiers invités. Le sol dallé fut lustré plus de trois fois, le métal de l’estrade poli jusqu’à en éliminer la moindre imperfection; la moindre excuse était utilisée pour épuiser inutilement les serviteurs. En frottant avec son torchon le rebord d’un escalier, Learamn ne put s’empêcher d’afficher un petit sourire ironique. Quel Dieu tout-puissant pouvait ainsi craindre la vue d’un brin de poussière dans son sanctuaire ?

Depuis son escapade nocturne, le jeune homme avait fait le choix de faire plutôt profil bas. Déjà, plusieurs gardes avaient été “impliqués” dans sa discussion avec Kryv ce soir-là et il ne tenait pas à ce que se propage la rumeur d’un esclave se baladant dans les couloirs à la nuit tombée, qui plus est dans des ailes du palais lui étant normalement interdites. Se fondre dans le groupe, ne pas montrer qu’il ne parlait pas parfaitement la langue, raser les murs au passage des soldats. Agir précisément comme on pouvait l’attendre d’un esclave comme lui. Malgré sa discrétion, il avait tout de même tenté de percer quelques mystères, notamment la question de la clé. Sans succès. Nomi lui avait été précieuse mais ne disposait pas de plus amples informations et Learamn avait tenté une fois de s’aventurer à travers le Temple à une heure tardive mais avait fini par renoncer au vu de la présence de trop nombreux hommes armés.

Le dernier soir avant la cérémonie, il s’était forcé à finir sa gamelle de soupe. Cette fois-ci le potage avait une teinte grise peu ragoûtante et dégageait une odeur de brûlé qui couvrait certainement quelque chose de plus repoussant encore. Le goût, cependant, n’était pas totalement répugnant ; ou alors l’estomac du rohirrim était tellement vide que le plus immonde des dîners devenait relativement agréable. Il laissa cependant de côté les quelques morceaux de viandes au fond de son bol. Ce n’était pas leur sinistre origine qui l’empêchait d’en manger mais l’indigestion que cette chair lui avait provoquée quelques jours plus tôt, quand il s’était enfin décidé à avaler quelque chose d’un peu plus nourrissant que le liquide de la soupe.

Learamn prit ensuite la direction de sa couchette. Il la partageait avec deux autres esclaves dont la maigreur lui assurait un peu de place pour pouvoir se rouler en boule sur le côté. Une étrange sérénité se saisit de lui quand il s’allongea sur la planche de bois. Les dés étaient jetés. Son plan était bancal et ses chances de réussites infimes. Cependant, pour la première fois depuis de longues semaines, il avait enfin une certitude : quel qu’en soit l’issue, cette folie prendrait bientôt fin pour lui.



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Le ciel de ce début de printemps était d’un bleu éclatant, illuminé par un soleil flamboyant dont les rayons venaient langoureusement caresser les épis de blés qui se dressaient à travers champs. Une très légère brise venait les agiter un peu, créant un envoûtant mouvement d’ondulation à travers les prairies. Les parfums d’avoine et de crocus venaient agréablement titiller les narines parfois importunées par quelques grains de pollens virevoltant au gré des vents. Les cris d’une nuée de tourterelles s’évanouissaient au loin. La rosée encore fraîche du matin venait humecter ses bottes qui s’enfonçaient légèrement dans le sol encore meuble.

Quand les beaux jours arrivaient, le Riddermark n’avait pas son pareil.

Il s’arrêta et prit quelques secondes pour admirer le panorama qui s’offrait à lui. Cherchant à y trouver la confirmation que le choix qu’il avait fait était le bon. Que renoncer à cette vie pour mieux protéger ceux qui s’en réclamait était la voie qu’il devait suivre. Pour toute réponse, il eut droit aux éclats de rire d’une enfant à quelques dizaines de mètres de là. Un sourire illumina le visage encore juvénile de la recrue et il accéléra le pas en direction de la ferme. Ils lui avaient tous tant manqué.

Bientôt il reconnut une petite tête blonde qui dépassait à peine des hautes herbes, cherchant à se faufiler entre les broussailles pour échapper à la silhouette bien plus imposante de l’homme qui la pourchassait en riant de bon cœur. Il fut bientôt sur elle mais feignit de trébucher et s’étala sur le ventre, laissant la gamine sauter sur son dos et lui donner des petits coups pour le soumettre.

“Fais-attention Enaël, tu risquerais de blesser ton vieux père en frappant aussi fort !”


L’enfant leva les yeux en direction du nouvel arrivant et ses beaux yeux s’illuminèrent d’une joie pure. Elle se mit à courir vers lui, les bras écartés, et s’écria :

“Oncle Learamn !”


Ce dernier la souleva du sol pour l’étreindre et put remarquer qu’une telle manœuvre n’était plus aussi simple à réaliser. La petite avait bien grandie depuis sa dernière visite. Son père s’était aussi relevé et s’approcha d’eux, un air ravi sur son visage.

“Ah revoilà le glorieux cavalier ! Je ne pouvais pas te reconnaître si rapidement, ton armure si propre m’a trop ébloui.”
Se moqua l’aîné.

“Et toi tu ne devrais pas t’occuper de tes champs au lieu de les saccager en jouant avec ta fille ?”
Lui rétorqua le cadet.

Les deux hommes s'observèrent silencieusement un moment d'un air sévère, puis éclatèrent de rire avant de se donner une franche accolade.

“C’est bon de te revoir petit frère. Viens à l’intérieur pour que tu me racontes tous tes exploits.
-Oh tu sais…la région est bien calme ces derniers temps. Le Roi a rétabli une vraie paix ici…
-On en dit du bien de ce nouveau Roi, t’as pu le rencontrer ?”


Learamn eut un petit rire amusé.

“Heldamn…Je m’entraîne pour intégrer une éored ; je ne suis pas Capitaine de la Garde Royale.”


Le Rohan portait encore le deuil de ses centaines d’enfants qui avaient péri dans le Nord Lointain mais cela faisait de longues années que le Riddermark n’avait pas connu une telle période de calme. Les orcs avaient quitté la région depuis bien longtemps, les Dunlendings n’osaient plus s’aventurer à l’intérieur des terres et les rares brigands étaient désormais pourchassés par les fiers éoreds de la Marche. De plus l’hiver avait été doux et l’été s’annonçait radieux pour les récoltes.
Le règne du nouveau roi Thénéor démarrait sous les meilleurs auspices.

Heldamn poussa la porte de la maison et invita son frère à y entrer, l’intérieur était relativement modeste mais parfaitement fonctionnel. Deana était installée dans un fauteuil près de la fenêtre, berçant un enfant en bas âge entre ses bras. Learamn la salua et déposa un baiser sur le front du nourrisson.

Heldamn s’installa près de sa femme et commenta :

“ll a grandi, bientôt il faudra lui aménager un véritable lit. On pense à changer d’endroit…
-Ah bon ? “
S’enquit Learamn. “Je pensais que vous adoriez ces champs et les gens du village…
-J’ai aussi passé toute mon enfance ici Lea’, et j’y suis tout autant attaché. Mais parfois il faut savoir se détacher de notre passé pour avancer…comme tu l’as fait.”


Le jeune homme voulut répliquer mais il s’arrêta dans son élan en lisant la détermination qui habitait le regard de son frère. En quittant le foyer familial pour rejoindre les rangs de l’armée à Edoras, il s’était imaginé que la maison resterait tel quelle. Que son père et sa mère ne vieilliraient pas et continueraient à entretenir la ferme. Que Heldamn et sa famille restent installés tout près avec leur enfant encore jeune. Mais rien ne pouvait rester figé à jamais. Eolena avait quitté le village pour y épouser le fils d’un capitaine qui résidait à l’Ouest. Leurs parents avaient dû progressivement revendre une partie de leurs terres à mesure que les années avançaient.

“Tu te souviens du Seigneur Elkfbrand ? Cet ami de Maître Ovadiah ? Il recherche quelqu’un de qualifié pour s’occuper de ses cheptels, c’est une opportunité intéressante pour nous. Il est même prêt à nous offrir une ferme et des terres dans l’Estenmet.
-Dans l’Estenmet…”
Répéta Learamn qui tentait de digérait l’information.

Pour le rassurer, Heldamn posa sa main sur l’épaule de son benjamin.

“Ce n’est qu’à deux ou trois jours de voyage d’ici. Avec ton nouvel étalon tu pourras être chez nous en un rien de temps.”


Learamn acquiesça d’un signe de la tête.

“Cela sera sans doute mieux pour vous. Comment le prend Papa ?”


L’aîné soupira légèrement, puis eut un sourire mélancolique.

“Pas forcément très bien au début, tu le connais. Mais je pense qu’il a fini par comprendre et il veut notre bien donc bon…C’est juste que ça fait beaucoup pour eux : d’abord toi, puis Eoleda et ensuite nous qui partons si loin…Essaie d’être un peu indulgent avec lui pour le dîner ce soir, ce serait dommage que ta visite tourne mal…”

Cette fois ce fut au tour de Learamn de soupirer.

“Je vais faire de mon mieux.”


#Heldamn #Enaël #Deana #Dernion


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Le dîner s’était jusque-là révélé moins pénible que ce que Learamn avait craint. Vers la fin de l’après-midi, il avait suivi la famille de son frère pour une marche d’une vingtaine de minutes jusqu’à leur maison d’enfance. Eolkar, leur père, les avaient accueillis avec un grand sourire qui ne s’était pas effacé en voyant son benjamin en armure. Ce dernier crut même percevoir une once de fierté dans le regard de son paternel. Leur mère, Céoda, les avaient, un à un, embrassé avec amour et ils avaient tous pu prendre place autour de la grande table de bois qui trônait au centre de la principale pièce de vie.

Bercé par la douce voix de sa mère et les rires de sa nièce, Learamn laissa son regard errer à travers la maison. Chaque détail, le moindre ustensile, renvoyait à une multitude de souvenirs, si bien, qu’il pouvait aisément repérer les quelques éléments qui en avaient remplacés d’autres, car ceux-ci ne lui évoquaient rien. Il pensa qu’après dîner, il devrait faire un tour dans son ancienne chambre, y respirer une autre bouffée bienvenue de nostalgie.

Céoda avait préparé un dessert, un luxe bien rare pour des gens de leur rang, mais elle avait voulu mettre les petits plats dans les grands pour accueillir sa famille. Un grand gâteau circulaire parfumé au miel et aux épices accompagné d’une marmelade de prunes ; la friandise que le jeune cavalier affectionnait particulièrement durant son enfance. Learamn sourit à sa mère et lui formula un “merci” silencieux. Elle cligna subrepticement des yeux, comme pour lui dire que cela était naturel.

Tout en tranchant une large part de pain d’épice, Eolkar détaillait les dernières du hameau et de ses habitants.

“Wildhulm a du mal à gérer ses bêtes. Il a longtemps compté sur ses fils pour l’aider dans son travail mais depuis que deux d’entre eux ne sont pas revenus de cette maudite bataille au Nord, c’est la galère.
-Ils sont mort en héros pour tous nous protéger.”


Un silence de plomb s’installa alors suvitement autour de toute la tablée, tous les regards tournés vers un Learamn qui regretta presque instantanément d’avoir ouvert la bouche. Cela avait été plus fort que lui, les mots étaient sortis sans qu’il ne puisse les retenir. Les traits de son père se durcirent. La mâchoire crispée, il se contenait pour ne pas s’emporter.

“Ne parle pas de ce que tu ne peux comprendre Learamn.
-Je pense que je comprends très bien.”
Rétorqua le jeune soldat qui sentait également la colère monter en lui.

Son père se crispa de plus en plus. On aurait dit que de la fumée était sur le point de s’échapper de ses narines.

“Je les ai vus. Tous ces jeunes enfants, fièrement fagotés dans leurs armures rutilantes, galopant bannière au vent comme si rien ne pouvait les arrêter. Je les ai vus ! Tu sais combien sont revenus de cet enfer ? Tu sais combien ? Moins de la moitié, et la plupart des survivants avaient un morceau en moins. Tout ça pour des histoires de souverains lointains et d’alliances ridicules.
-Ils sont morts pour sauver le monde !
-NON ! C’est ce qu’ils vous disent là-bas pour satisfaire votre orgueil ! Pour vous rendre docile ! MENSONGES !
-Et toi c’est ce que tu te dis pour excuser ta lâcheté! ”


Cette fois-ci, le maître de maison explosa et asséna une gifle monumentale à son fils assis en face de lui. La douleur intense fit monter les larmes aux yeux de Learamn, mais celui-ci ne courba pas l’échine et soutint le regard de son père d’un air défiant.  Ce dernier s’était rassis, plus calme, une profonde déception visible dans ses yeux.


“Sors de chez moi…”


Sans un mot supplémentaire, et malgré les protestations de sa mère, Learamn se leva de table et se dirigea vers la sortie, tournant une nouvelle fois dos à sa famille.


#Eolkar #Céoda



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Pour la deuxième fois en l’espace de quelques jours, la nuit de Learamn fut écourtée par un visiteur venu le réveiller. Cette-fois il reconnut le visage de l’esclave penchée sur lui, les fins traits de Nomi. Le rohirrim souffla légèrement, soulagé de voir un visage familier. Mais la jeune femme ne semblait pas sereine du tout, et pour cause, elle était porteuse de bien mauvaises nouvelles. En panique, elle lui rapporta que les gardes du Temple étaient désormais à sa recherche et passait dans chaque alcôve pour lui mettre la main dessus. L’ancien capitaine s’accorda une fraction de seconde pour pousser un juron. Le dénommé Vago avait-il fini par le reconnaître ? Son escapade nocturne lui avait-elle coûté son anonymité ? Kryv l’avait-elle trahi ?

Inutile de s’importuner avec toutes ces questions pour le moment, pour le moment il devait s’assurer de pouvoir vivre assez longtemps pour pouvoir y réfléchir à nouveau un jour. Le sort des serviteurs ainsi saisis juste avant une cérémonie religieuse ne lui était pas inconnu.

Il écouta attentivement les options que lui proposaient Nomi qui se démenait tant bien que mal pour communiquer avec lui dans un Westron simple et imparfait. Le jeune homme pouvait ressentir à quel point cela demandait des efforts pour son alliée et lui posa une main qui se voulait rassurant sur son épaule frêle et tremblante, l’incitant ainsi à poursuivre. La contremaîtresse risquait gros en aidant un fugitif à s’enfuir. Qu’avait-elle à y gagner ? Learamn ne lui avait rien promis et elle ignorait même que l’homme qu’elle tentait de sauver était en réalité un soldat accompli et un "agent" infiltré de la Reine. Pour elle, il n’était qu’un misérable venu du Nord lointain avant d’être vendu en esclave. Son geste relevait-il de la pure bonté ? Cela y ressemblait fortement.

Une fois qu’elle eut fini de parler et poussé vers la sortie, Learamn lui adressa un dernier regard et lui souffla :

“Merci Nomi…Merci pour tout. Vous êtes une belle personne et votre âme est pure. Cela ils n’ont pas pu vous l’enlever…”

Il aurait voulu lui promettre qu’il reviendrait pour lui rendre cette liberté qu’elle méritait tant, comme il avait pu le faire avec la devineresse. Mais il ne put se résoudre à donner cet espoir là à la jeune femme. Combien de promesses impossibles pouvaient-il se permettre de faire avant qu’on ne le rende responsable de ses échecs ?

La porte se ferma et à nouveau il se retrouva seul, dans le couloir sombre de l’aile des esclaves. Au loin il entendit des bruits de bottes et des cris. Il devait faire son choix rapidement.

Le rohirrim avait d’abord songé à s’intégrer au groupe d’esclaves qui accompagneraient le Grand Prêtre. L’occasion pour l’atteindre en était presque trop belle. Mais il se ravisa. Les informations que lui avaient donné Nomi sur les conditions de sa première captivité avaient changé certaines choses. Pour une raison qui lui échappait, il avait été le prisonnier personnel de Jawaharlal. Son apparence avait drastiquement changé, certes, mais le Grand Prêtre avait certainement plus de jugeote que Vago et risquait de le reconnaitre parmi la poignée de serviteurs autorisés à le suivre dans sa loge. Le gouverneur Hagan serait également présent et lui aussi connaissait son visage.

Se fondre parmi les dignitaires d’Albyor présentait des avantages certains, mais si certains opposants isolés se trouvaient parmi cette foule, alors les gardes risquaient d’intervenir. Auquel cas, la sécurité des esclaves se trouvant sur leur chemin serait le cadet de leur souci.

Non, son choix était fait.

Sa dernière cérémonie en l'honneur du Dieu Sombre méritait bien qu’il la vive tel un véritable zélote.

Alors qu’il se mêlait au groupe des fanatiques, il murmura dans la langue locale :

+++Loué Soit-il. +++
Sujet: L'éducation du Riddermark
Learamn

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 3 Avr 2024 - 9:16
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#Enaël         #Dernion




Enaël refoulait ses larmes du mieux qu’elle le pouvait. La scène pouvait paraître risible, trois enfants se recueillant ainsi en silence devant un petit cercueil de bois, long de seulement quelques centimètres. Pourtant, le chagrin qui emplissait son cœur était bien réel. Brise avait subitement fait irruption dans leur quotidien quelques semaines plutôt, alors qu’une colonie d’oiseaux migrateurs avait laissé un des leurs, blessé, près du jardin de la ferme. Dernion avait été le premier à remarquer l’animal meurtri et s’était empressé de prendre la tourterelle entre ses petites mains avant d’accourir auprès de Maître Ovadiah. Ce dernier, au grand bonheur de son élève, avait accepté de recueillir l’oiseau pour le soigner ; à la condition qu’il soit relâché dans la nature une fois guéri. De guérison complète toutefois, il n’y eut jamais. Brise avait repris des forces au sein du foyer mais pas assez pour reprendre son envol et reprendre sa route vers le Nord. L’arrivée soudaine de ce nouveau résident avait été l’occasion pour le vieux tuteur de former ces jeunes étudiants à divers sujets touchant de près ou de loin à leur compagnon. L’anatomie des oiseaux, leur comportement mais aussi le phénomène bien curieux des migrations. Jamais Enaël n’avait imaginé qu’autant d’ouvrages aient pu être écrit sur ce seul sujet ; selon les dires de Maître Ovadiah, dans certaines universités du Gondor, des scientifiques consacraient leur vie entière à l’étude de ces espèces. Le monde des érudits pouvait parfois paraître bien incongru.

Après avoir fui la froideur de l’hiver nordique, les nuées de colombe remontaient vers le Rhovanion afin d’y passer un été plus doux, propice à la reproduction. Quand Enaël avait demandé comment ces animaux pouvait se repérer sans carte ni boussole, leur professeur leur avait répondu par un simple mot : “l’instinct”. Une forme presque métaphysique du savoir permettant à ces animaux de connaître précisément le chemin à emprunter sans avoir à y réfléchir. L’adolescente avait eu bien du mal à saisir ce concept. Étaient-ils eux aussi détenteurs de ce pouvoir de l’instinct ? Elle en doutait, elle qui était incapable de savoir quelle route prendre pour se diriger vers la grande cité blanche du Gondor qu’elle rêvait de visiter.

“Brise…”

Elle hésita encore un moment. Trouver les mots justes dans ce genre de circonstances n’était pas chose aisée, surtout quand c’était la première fois qu’elle se retrouvait directement confrontée au deuil. Swan s’approcha d’elle et lui prit la main ; Enaël lui sourit. Le lien entre les deux jeunes filles s’était renforcé au cours des dernières semaines. Sur certains aspects, l’étrangère gardait une part de mystère ce qui était source de curiosité mais aussi d’appréhension pour la rohirrim. Toutefois, sa carapace s’était progressivement entrouverte au gré de leurs discussions nocturnes. Des bribes d’informations qu’elle laissait fuiter çà et là, permettait à sa partenaire de chambrée de disposer de quelques rares pièces d’un grand puzzle concernant le passé de Swan. Toutefois, malgré leurs différences, elle lui faisait désormais confiance depuis la dernière crise dont Dernion avait été victime. Sans elle, le pauvre garçon n’aurait peut-être pas survécu.

Enaël reprit d’une petite voix.

“Brise…
Tu as été un compagnon fidèle et un ami de confiance. Je suis désolé de ne pas avoir pu te permettre de retrouver ta famille.
Ton dernier voyage t’a mené jusqu’à nous. Nous avons donc le devoir de ne pas t’oublier.”


Elle entendit Dernion sangloter. Les larmes lui montèrent instantanément aux yeux mais elle ne les laissa pas couler et enroula un bras protecteur autour du torse de son petit frère. Peut-être avait-elle échoué à sauver Brise, mais rien dans ce monde ne l’empêcherait de protéger Dernion. Le petit cercueil fut placé au centre de la fosse creusée à cet effet. Enaël s’accroupit et prit une poignée de terre entre ses doigts, qu’elle relâcha au-dessus de Brise.

La jeune fille murmura la phrase traditionnelle en rohanais que répétait les anciens du village à chaque cérémonie funéraire.

“O'n duslach thàinig thu, 'S gu duslach pillidh tu."
1

D’un revers de la manche, elle essuya ses yeux embués et se saisit de la pelle. Quelques coups simplement furent suffisants pour former la tombe. Une fois sa tâche achevée, elle s’assit près de la sépulture et, cette fois-ci, ne retint pas ses larmes. L’aspirante cavalière, ambitieuse et parfois effrontée avait cédé sa place à une jeune enfant, sûrement éloignée de sa famille depuis bien trop longtemps, pleurant à chaudes larmes la disparition d’un être cher, aussi petit soit-il.

Au bout de quelques longues minutes, elle prit une longue inspiration. Pleurer lui avait fait du bien. Son regard se porta sur l’horizon. La silhouette d’un cavalier se détachait au loin, l’homme était trop éloigné pour qu’on puisse le distinguer mais la robe tachetée de sa monture était reconnaissable entre mille.

Aussitôt le chagrin d’Enaël se mua en une grande excitation. Elle bondit sur ses jambes et se mit à courir en direction de l’inconnu :

“Papa !”


1: "De la poussière tu es venu, à la poussière tu retourneras."



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Heldamn avait voyagé pendant de longues semaines depuis les conforts des Monts Brumeux, au Nord de la cité Naine de Khâzâd-Dûm. Les Nains l’avait accueilli comme un grand seigneur tout au long de la Grande Estive. Une surprise des plus agréables, en quittant son pays avec ses troupeaux, il ne s’était pas forcément attendu à ce que des étrangers, représentants d’une race souvent décriée pour son appât du gain, le reçoivent avec tant de générosité. S’il avait préféré passer la plupart de son temps en surface des montagnes, à dormir à la belle étoile près de ses moutons ; les Nains lui avaient offert un lit confortable dans leur glorieuse cité. Il s’y était rendu plus d’une fois pour y partager de grands banquets en compagnie de leurs hôtes et d’autres bergers rohirrim ayant quitté le Riddermark ravagé par la sécheresse.

Avant son départ, on l’avait mis en garde contre les dangers des Montagnes. Des gobelins qui menaçaient disait-on. Des conditions météorologiques déplorables. Heldamn n’avait vécu rien de cela. Seul un sentiment de quiétude l’avait gagné et ses bêtes semblaient du même avis, ayant pris goût à l’herbe qui poussait sur les versants. Durant ces longs mois, il n’avait manqué de rien, sauf d’une chose. Jamais encore n’avait-il été séparé de sa famille pendant si longtemps. Le berger plaçait une confiance aveugle en son épouse et son père pour s’occuper des enfants ; mais ne pas les embrasser chaque soir avant le coucher devenait de plus en plus compliqué chaque jour qui passait.

Alors dès qu’il avait eu vent que les prairies du Rohan reverdissaient, il n’avait pas hésité une seconde et avait fait ses bagages pour retourner à la maison. Avec une poignée de compagnons de voyage, ils étaient redescendus vers l’Ouestfolde où il avait regagné son village natal où résidait encore ses parents. Comme cela avait été convenu, les enfants avaient été envoyés auprès de Maître Ovadiah pour y parfaire leur éducation. Le plan initial avait consisté à les retrouver pour retourner dans la ferme familiale, plus à l’Est, le temps de quelques semaines en famille avant qu’ils ne retournent finir leur formation.

Mais, à l’Est, les nouvelles n’étaient pas bonnes. Et les plans avaient donc quelque peu changés.


Il aperçut d’abord les boucles blondes d’Enaël qui courait vers lui. Heldamn mit pied à terre, un large sourire sur son visage mal rasé. Bientôt, le père et sa fille se retrouvèrent dans une longue étreinte. Rien ne pouvait rattraper le temps perdu mais en la serrant ainsi, l’homme se demanda comment il avait pu survivre aussi loin d’eux pendant de si longs mois. De choix, il n’en avait pas vraiment eu à l’époque de la sécheresse. Une question de survie.

“Papa tu m’as tellement manqué.”


Il prit sa tête entre ses deux mains et l’embrassa sur le front.

“Et à moi donc mon ange ? Et à moi donc ?”

Dernion ne tarda pas à les rejoindre. Le garçon avait d’abord vu sa sœur partir d’un coup sans trop en comprendre la raison. Puis, lui aussi, avait vu les tâches grises et noires de Pinceau, le grand cheval de son père.

Quelques embrassades plus tard, ils marchèrent en direction de la demeure d’Archibald. Dernion s’était empressé de raconter à son père tout ce qu’il avait déjà appris auprès de leur maître tandis qu’Enaël l’assaillait de questions sur ses aventures auprès des Nains de la Moria.

Un sentiment de complétude monta en lui. Il était bien de retour chez lui.


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Heldamn s’installa sur le fauteuil réservé aux invités en poussant un soupir de soulagement. Ses articulations avaient souffert après ces longues semaines passées sur les routes sinueuses et le confort familier de la maison d’Archibald était des plus agréables. Son ancien maître ressemblait toujours à la figure de l’érudit qui résidait dans ses souvenirs. Quelques cheveux en moins et quelques rides en plus, mais toujours cette vivacité d’esprit et cette lueur d’intelligence dans le regard derrière ces curieux deux verres de correction. Son regard se porta sur l’impressionante bibliothèque qui se trouvait dans le bureau. La collection s’était bien agrandie en vingt ans ; quand le jeune Heldamn était venu passer une année de formation entre ces murs, seul le pan d’un mur était occupé de quelques dizaines d’ouvrages. Jadis, Maître Ovadiah avait accepté de repousser la date d’un long voyage prévu de longue date pour finir son éducation ; il était ensuite parti explorer le monde dans cette avide et infinie quête de connaissances.

Le jeune homme n’avait finalement pas grandi pour devenir un grand personnage du royaume ou un haut érudit ; se contentant d’une vie simple de berger au plus près des valeurs transmises par son père. Toutefois ses connaissances en mathématiques et sa capacité à lire en avait fait un négociant agricole des plus efficace et, ainsi, il avait pu assurer un avenir confortable pour sa famille et une retraite méritée pour ses parents vieillissants. Le pouvoir de déchiffrer quelques signes étranges sur un bout de parchemin était des plus fascinant.

Il prit une gorgée de la tisane que Swan leur avait fait porter jusqu’à l’étude de son maître avant de refermer soigneusement la porte derrière elle, laissant les adultes discuter entre eux. Après le dîner, les enfants étaient restés près du feu, plongés dans une partie de galets. Heldamn avait demandé à s’entretenir en privé avec leur précepteur.

“Vos talents de pédagogues m’impressionnent toujours autant Maître Ovadiah.”
Lui dit-il. “Les enfants ont l’air ravi et Dernion sait déjà lire aussi bien que moi !”

Il regarda le vieil homme d’un air reconnaissant.

“Merci Maître Ovadiah. Pour tout ce que vous avez fait pour notre famille. Merci.”

Le berger reposa sa tasse, et se pinça les lèvres. Malheureusement, il n’avait pas que de bonnes nouvelles à porter.

“Quand je suis revenu à la ferme de mon père, après la Grande Estive, ma première envie, après avoir embrassé Deana fut de galoper sans cesser jusqu’ici pour y retrouver les petits. Mais…mon père avait besoin de moi pour quelques jours encore…”

Son ton jovial avait changé, un sanglot pointait dans sa voix grave.

“Ma mère…ma mère nous a quittée il y a cinq jours.”


Le destin était parfois cruel, mais dans son malheur, Heldamn s’estimait heureux d’avoir pu se trouver auprès d’elle auprès de ses dernières heures. Le combat contre la maladie avait été long et éprouvant, pour elle et toute sa famille, et le dernier souvenir qu’il garderait de ce visage maternel resterait celui qu’il avait toujours été depuis sa tendre enfance : un sourire aimant.

“Je..je ne l’ai pas encore annoncé aux enfants. Je ne sais pas encore vraiment comment le faire…Mais mon père tient à ce que tout le monde soit là pour la cérémonie au village…Ls enfants…Vous aussi… Vous le connaissez, il tient à ce genre de choses.”

Eolkar avait toujours été un homme attaché aux traditions, son fils avait d’abord plaidé pour des funérailles discrètes, en famille, mais lui voulait honorer sa défunte épouse selon les coutumes ancestrales. Céoda était une femme appréciée au sein de la communauté et nul doute que tous viendraient pour lui rendre un dernier hommage. Heldamn n’avait pas eu le cœur d’argumenter avec son père.

“Il y a autre chose…Après l’enterrement, nous aimerions que vous restiez avec nous…”

Le regard du jeune homme se porta vers la fenêtre, d’où il pouvait voir le jardin patiemment cultivé par le vieil homme. Des décennies de travail minutieux, ode à la persévérance et la science. Ce qu’il lui demandait n’était pas chose aisée.

“Vous avez dû entendre parler des Charbonneux. Ces Dwimmen ? Ces spectres qui menacent nos frontières. On pensait la menace contenue à l’Est au début de l’hiver mais ce n’était qu’un leurre. Les rumeurs disent qu’ils ont traversé l’Entalluve dès le retour de beaux jours. Pour assurer la sécurité des miens, j’ai pris la décision de ne pas retourner vers mon domaine à l’Est pour rester avec mon père, non loin d’Edoras. En chemin, j’ai moi-même vu les éoreds de la Marche Est se mobiliser à travers les plaines. La région n’est plus sûre Maître Ovadiah ; je sais tout ce que cet endroit représente pour voir mais le Rohan a besoin de votre esprit, plus que de ces murs.”


Il était conscient de qu’il offrait. Une sécurité relative en l’échange de l’abandon de toute une vie de travail mais il faisait confiance au jugement de son ancien maître pour faire le bon choix.
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 24 Fév 2024 - 14:08
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Enaël avait écouté les inquiétudes de sa partenaire de chambrée, à la fois fascinée et saisie d’effroi par ce qui lui était décrit. Celle-ci lui avait entrouvert une porte qui menait sur son intérieur si mystérieux. Depuis leur arrivée, Swan s’était montrée particulièrement hermétique aux tentatives de rapprochements des autres enfants. Elle n’avait pas été particulièrement désagréable, restant toujours poli à leur égard, mais jamais Enaël n’avait pas vu entrevoir en elle une amie potentielle plutôt que l’assistante efficace, mais austère, de leur précepteur.

Ainsi elle lui parla de la mer, de la plage, d’une créature terrifiante sortant des flots houleux. Un frisson lui parcourut l’échine. Enaël essayait de conceptualiser la scène mais avait bien du mal à le faire. Elle n’avait jamais vu la mer; elle avait entendu nombre de récits à ce sujet. Des histoires de grands aventuriers en quête de terres inconnues ou encore d’inquiétantes légendes portant sur les dangers qui sommeillaient sous la surface. Cette grande étendue d’eau était, dans son esprit, plus un concept effrayant qu’une réalité tangible. Jamais n’avait-elle senti la douceur du sable sous ses oreilles, ni entendue le clapotis des vagues se mêlant aux cris des mouettes. Rares étaient ceux dans son entourage à en avoir été témoins. Son père, son grand-père; tous avaient passé toute leur vie dans les vertes prairies du Riddermark; cultivant leurs champs et s’occupant de leur bétail, loin des perspectives que le rivage pouvait incarner. Les rêves d’Enaël s’étaient toujours tournés vers un glorieux destin de cavalière, chevauchant à travers les plaines, épée à la main au service de son pays. Elle n’avait jamais vraiment songé à ce qui pouvait se cacher plus loin, au-delà du monde qu’elle connaissait. Se trouver dans la même chambre qu’une autre fille qui en parlait aussi librement la mettait mal à l’aise. Quelque peu honteuse de ne pas pouvoir précisément comprendre ce que Swan lui décrivait.



« Est-ce que tu as déjà eu l’impression que quelqu’un te voulait du mal, Enaël ? Je veux dire… vraiment du mal ? »


La question de Swan tomba comme un couperet. Enaël entrouvrir la bouche, prête à lui répondre instinctivement de manière positive. Lui montrer, que malgré leurs différences, elle aussi avait surmonté des obstacles tout aussi menaçants. Qu’elle aussi ne manquait ni de bravoure, ni d’abnégation. Pourtant, elle ne put se résoudre à mentir. Depuis sa naissance, elle avait été entourée par l’amour de ses proches, protégée par la communauté dont elle faisait partie. Le destin avait été clément avec sa famille, ses parents étaient en bonne santé et ne lui avait jamais montré que de la tendresse, les soucis de son frère avaient été traités par l’un des meilleurs guérisseurs du royaume. Seule la maladie de sa grand-mère ajoutait une ombre à ce tableau mais là encore, ce triste évènement n’avait fait que souligner tout l’amour qui entourait la jeune fille.  Un amour qui leur avait permis de surmonter de grandes épreuves. Le Rude Hiver avait laissé quelques traces, la sécheresse qui suivit avait forcé leur père à quitter le foyer pendant un temps. Mais elle n’avait nul souvenir d’un jour où ses parents eussent laissé la rudesse des évènements se mettre en travers de leur amour.

Elle se gratta le coude, visiblement gênée.

“Je…Non…je ne crois pas.”
Répondit-elle finalement.

Swan détourna ensuite le sujet sur ces Charbonneux. Un sujet non moins inquiétant mais qui résonnait de manière bien moins personnelle. Cependant, là encore, Enaël eut toutes les peines du monde à visualiser la chose. Sa camarade lui parlait du Gondor, de la grande cité de Minas Tirith; des noms qui lui étaient familiers sans qu’elle ne sache pour autant où tout cela pouvait bien se trouver. Les discussions autour du grand Royaume des Hommes, le Gondor, ne lui étaient pas étrangères; elle savait que quelque part à l’Est et au Sud se trouvait la frontière qui séparait le Rohan de son puissant voisin. Elle avait déjà vu une carte traînait sur la table à manger ; elle revoyait son père, lettré, essayant d’expliquer le trajet qu’il comptait faire avec les cheptels,  à son grand-père qui ne pouvait lire.  Tout cela était bien flou dans son jeune esprit. Enaël devait bien admettre que Swann était bien mieux instruite. Des années de vie sous le toit de Maître Ovadiah n’y étaient sûrement pas étrangères.

Ce qu’elle savait en revanche, c’était que si vraiment ces mystérieux envahisseurs menaçaient réellement leur royaume, alors les glorieuses éoreds du Rohan ne tarderaient pas à intervenir pour protéger les leurs. Comment une bande de sauvages pouvaient se mesurer aux plus braves des guerriers?

“Nous les arrêterons avant qu’ils ne puissent nous faire du mal. J’ai entendu tant de récits sur le Vice-Roi Mortensen, il saura quoi faire pour nous protéger.”


Toutefois, alors qu’elle prononçait ces paroles pleines d’assurance; le doute s’était insidieusement insinué dans son esprit. La question portant sur la position de la ferme familiale eut l’effet d’une claque. Où donc se trouvaient ces barbares? Les fiers guerriers du Rohan pouvaient-ils intervenir à temps? Son père se trouvait près des Montagnes des Nains, mais elle n’avait pas la moindre idée d’où cela pouvait se situer par rapport à l’ennemi. Était-il en sécurité ?

“Je…Notre ferme se trouve un peu plus au Nord, près du Gué de l’Entalluve. Mais cela fait déjà plusieurs mois que nous l’avons quitté pour vivre chez nos grands-parents, dans un village sur les Terres Royales, près d’Edoras.”

Leur discussion se poursuivit encore plusieurs minutes, sans aucun doute le plus long échange que les deux adolescentes eurent depuis leur rencontre. On était encore loin d’une amitié fusionnelle mais au moins Enaël se sentait quelque peu rassurée de ne plus partager sa chambre avec une parfaite étrangère.

La porte s’entrouvrit finalement et la petite silhouette de Dernion apparut dans la pénombre. Enaël se redressa légèrement.

“Dernion? Il doit déjà être si tard!
-Je sais…je sais…Je me suis endormi en bas. Maître Ovadiah vient juste de me réveiller pour que je monte.
-Bon…alors au lit maintenant.”


Le garçon avait déjà enfilé ses vêtements de nuit, et, plié de fatigue, ne protesta pas l’injonction de son aîné et se laissa mollement tomber dans le couchage qu’on avait installé pour lui sur le sol.

L’arrivée du benjamin avait coupé court à la conversation entre les deux filles et Enaël n’eut pas le coeur de la reprendre. Elle se tourna sur un côté, face au mur et se laissa lentement plonger dans un profond sommeil.




---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Enaël fut brusquement tirée de son sommeil par la main ferme de Swan qui secouait vigoureusement son épaule. Elle sursauta d’un coup, craignant d’abord avoir manqué le réveil prévu par Maïtre Ovadiah. Pourtant, un simple regard à travers la fenêtre lui indiqua que ce n’était point le cas. Les premiers rayons de soleil pointaient à peine à l’horizon et les plaines de l’Estenmet étaient encore plongées dans un voile d’obscurité. Le réveil fixé par leur hôte n’aurait pas dû avoir lieu avant au moins une bonne heure.

La raison de l’intervention de Swan était toute autre.

Dernion se trouvait au sol, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, cherchant vainement à trouver un peu d’air. Il avait glissé de son couchage trempé de sueur et son corps secoué par de violentes convulsions qui agitaient ses bras de manière bien chaotique.

Une bouffée de chaleur gagna le visage d’Enaël, à mesure que la panique se saisissait d’elle. Elle bondit de son lit et s’agenouilla auprès de son frère, posant une main sur son bras comme si cela pouvait faire cesser les tremblements.

“Oh non…non…non…Dernion.”


La jeune fille tenta de se remémorer la procédure à suivre. Elle prit une longue inspiration et ferma un moment les yeux, cherchant à se détacher de la vision de son frère souffrant pour pouvoir réfléchir plus clairement. Elle l’avait déjà vu dans cet état, quand il s’était subitement écroulé dans la cour de la ferme sous ses yeux. Impuissante, elle n’avait que pu crier sa mère à l’aide. Celle-ci s’était précipité auprès de son fils, et, malgré l’affolement, était parvenu à le soulager.  Mais ce genre de crises n’était pas censé se reproduire, pas depuis qu’on avait amené son frère à Edoras pour y être soignée.

Désemparée Enaël chercha à reproduire les gestes de sa mère, ce dont elle se souvenait. Elle roula un drap en boule et le déposa sous la tête du garçon et lui prit sa main crispée entre les siennes. L’aider à reprendre à son souffle tout en s’assurant qu’il ne s’étouffe pas en attendant le remède, voilà peu ou prou ce dont elle se souvenait. Cependant elle n’était plus certaine de la marche à suivre et la crise semblait s’intensifier à mesure que les secondes défilaient.

Elle chercha du regard le petit sac de son frère. Aucune trace.

“Swan! Swan! Il a dû laisser sa sacoche dans sa chambre, ou en bas près du feu. Trouve-le! Il y a dedans un flacon avec une potion verte. Trouve-le.”

Elle releva ses yeux noisette et fixa sa jeune camarade qui semblait paralysée face à la situation.

“Vite!” L’implora-t-elle.

Swan finit par quitter la chambre, en quête du précieux médicament. Les spasmes de son frère ne faiblissaient pas et celui-ci avait de plus en plus de mal à respirer.

Enaël poussa un juron alors que la culpabilité se mêlait à sa peur. Les larmes lui montaient aux yeux mais elle les refoula, elle devait voir clair tant que son frère n’était pas hors de danger.

“Oh Dernion. Je suis désolé.”


La veille, elle avait laissé ses rêves et inquiétudes occuper son esprit. Elle en avait oublié de s’assurer que son cadet suive les prescriptions de Maître Rihils. Si cela venait à tourner mal, tout serait de sa faute.

Les yeux de son frère, empli de terreur, se posa sur sa sœur. Il ne pouvait prononcer le moindre mot mais son regard en disait plus que milles mots.

“Allez Dernion, tout ira bien: Swan sera bientôt là avec la potion.”
Supplia-t-elle entre deux sanglots.

Cette fois ci elle n’avait pu retenir ses larmes.
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 25 Jan 2024 - 23:04
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“Aaaaa…Eeeee….Iiiii…Ouuuuu..
-Non, non Enaël, encore une fois, c’est Oooooo.
-Oh lâche moi un peu ; ça doit faire deux heures qu’on est dessus.”


Si les deux enfants avaient travaillé en silence pendant toute l’après-midi sous la surveillance affable de Maître Ovadiah, le départ de ce dernier pour accueillir de nouveaux invités leur avait donné l’occasion d’échanger à haute voix et de se tester mutuellement. Ils n’en étaient qu’aux balbutiements, recopiant soigneusement la forme de ces curieuses lettres sur leurs ardoises puis s’interrogeant l’un l’autre sur le son que chaque symbole était censé produire. Enaël s’était d’abord montrée particulièrement motivée mais les heures défilant, et la fatigue la gagnant après cette longue journée éprouvante, elle avait peu à peu perdue en concentration. Face à elle, Dernion faisait preuve d’une assiduité inhabituelle pour un enfant de son âge, et de son rang. Particulièrement enthousiaste, peut-être même trop au goût de sa sœur, il avait déjà quasiment mémorisé l’entièreté de l’alphabet.

De frustration, Enaël balaya les lettres inscrites sur son ardoise du dos de la main en poussant un soupir. Son regard se posa alors sur les rangées de livres disposées devant elle. La bibliothèque de Maître Ovadiah était des plus impressionnantes; en particulier pour une enfant qui n’avait quasiment jamais vu la bordure d’un ouvrage. Son père tenait bien un calepin sur lequel il tenait des comptes relatifs à ses cheptels mais ce dernier ne contenait que des chiffres et autres simples calculs. Le savoir qui se trouvait ici était d’une nature bien différente. Leur précepteur avait attisé leur curiosité et piqué leur imagination avec ces propos sur le contenu de certain de ses recueils. Était-ce là une formule malicieuse d’un professeur visant à capter l’attention de ses élèves ou un véritable avertissement quant au pouvoir immense que pouvaient renfermer ces pages d’encre et de papier? Aurait-elle un jour accès à ce savoir? La jeune adolescente en avait clairement l’ambition mais, à en juger par ses compétences actuelles, la route était encore bien longue.

Les voix des visiteurs se firent de plus en plus bruyante, leurs échos atteignant sans peine le bureau de Maître Ovadiah. La discussion semblait des plus animée, Enaël fronça les sourcils d’un air perplexe.

“Qu’est ce qui il y a?”
lui demanda son cadet
“Je ne sais pas. Tu as bien vu comment était Swan quand elle a annoncé la venue de ces voyageurs.”



La jeune fille ne connaissait sa partenaire de chambre que depuis près de temps, mais de ce qu’elle avait pu en voir elle avait vite compris que Swan n’était pas une grande extravertie et qu’elle ne manifestait que rarement ses émotions. La voir inquiète de la sorte, rien qu’un peu, était étrange. Ne pouvant tenir en place une minute de plus, Enaël céda aux sirènes de la curiosité et, sur la pointe des pieds, franchit la porte de l’office malgré les protestations de son frère.

“Eh Enaël, où tu vas? Tu n’es pas sérieuse…”


Faisant la sourde, elle se faufila à travers les couloirs de la maison jusqu’au salon où s’étaient installés le maître des lieux et les marchands qu’il accueillait. Accroupie derrière, un large buffet en bois, elle pouvait désormais entendre toute leur conversation et les observer discrètement du coin de l’œil.

À en juger par leurs tenues et leurs accents, ces nouveaux arrivants n’étaient pas du Rohan. Des marchands, comprit-elle rapidement. Il en passait parfois au village, certains même traitaient parfois avec ses parents pour conclure de petites affaires. Des hommes habitués aux longs voyages loin de leurs foyers et que peu de choses effrayaient.

Pourtant ceux-ci étaient complètement tétanisés.

Le récit qu’ils firent de leurs mésaventures glaça le sang d’Enaël. Des spectres…Des monstres…Des ennemis sombres comme la nuit… Une description qui semblait toute droit sortie de ses pires cauchemars. Elle ne remarqua la présence de Dernion que quand celui-ci lui tapota doucement l’épaule. Malgré toutes ses réticences, il s’était décidé à suivre son aînée.

“Des Charbonneux? Tu as déjà entendu parler de ça? Et puis c’est qui Fréod?”
Lui demanda-t-il d’un ton inquiet.

Elle haussa les épaules pour signifier qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce que ces marchands pouvaient évoquer.

Dernion poursuivit:

“Tu penses que Papa va bien?”


Enaël se mordit la lèvre. Elle s'en voulut alors de ne pas avoir immédiatement pensé à la sécurité de leur père. Parti il y a de longs mois à l’occasion de la Grande Estive; afin de faire paître ses troupeaux sur des pâturages plus verdoyants. Mais il était parti depuis si longtemps... Ces démons se trouvaient ils également là-bas?

“Oui j’en suis certaine. Il sera bientôt à la maison.”
Chercha-t-elle à le rassurer.

Alors que la conversation touchait à sa fin, les deux enfants s’empressèrent de retourner à leur place d’études avant que leur professeur ne revienne. Ils firent de leur mieux pour ne rien laisser transparaître de leur inquiétude mais tromper l’expérience de Maître Ovadiah n’était pas chose aisée.

“Euh…Oui tout va bien Maître Ovadiah. Pourquoi cette question?”
Mentit maladroitement Enaël.



-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------




L’atmosphère lors du dîner était pour le moins pesante. Malgré tous les efforts du maître des lieux pour égayer la soirée et se comporter comme si de rien n’était, tous pouvaient sentir que quelque chose n’allait pas. Les marchands les avaient rejoints autour de la table. L’un d’eux Sire Hamel leur tint la conversation, leur décrivant son quotidien et ses terres natales; mais l’attention d’Enaël était plutôt tournée vers l’un de ses camarades qui fixait le mur nu qui lui faisait face d’un regard complètement éteint.

Elle ne mangea que peu ce soir-là, reposant sa cuillère seulement après quelque bouchée d’un ragoût pourtant plein de saveurs. La jeune fille chercha à capter le regard de Swan, qui semblait en savoir plus, en vain. Après avoir débarrassé, elle demanda donc l’autorisation de pouvoir monter plus tôt dans sa chambre afin d’y trouver un peu de quiétude.

Enaël monta les marches quatre à quatre, et s’allongea sur son lit. Swan avait déjà disposé un couchage supplémentaire sur le sol pour que Dernion puisse les rejoindre pour cette nuit-là. Swan était restée au rez-de-chaussée pour s’occuper de dernières tâches ménagères et Dernion avait décidé de profiter un peu plus longtemps du feu qui brûlait dans l’âtre tout en écoutant religieusement les anecdotes du marchand Hamel.

Son regard se perdit dans l’obscurité, suivant le cours des curieuses lignes qui s’étaient creusés dans le plafond. Elle ressentit une boule d’angoisse la prendre en tenaille au niveau de ses tripes. Les larmes lui montèrent aux yeux mais elle les refoula. Leur séjour ici ne faisait que commencer, elle ne pouvait se permettre de craquer de la sorte. Quel genre de protectrice serait-elle sur Dernion, si elle pleurnichait à la première rumeur colportée par d’étranges voyageurs?

Pourtant le malaise était bien là. L’éloignement commençait à lui peser. Elle rêvait d’aventures, mais n’avait jamais encore été éloignée de la présence rassurante de sa mère plus de deux jours. Elle rêvait de faits héroïques, mais commençait déjà à regretter l’étreinte rassurante de son grand-père qui balayait toutes ses peurs d’un rire chaleureux.

Le parquet craqua.

Enaël se redressa brusquement, légèrement effrayée. Swan se tenait dans l’encadrement de la porte. Avec un peu de chance, elle ne pouvait voir les yeux encore humides de la rohirrim.

“Ah c’est toi.”
Fit-elle sur un ton qui se voulait détaché pour ne pas trahir le fait qu’elle avait eu une sacrée frousse.

Elle se laissa retomber mollement sur son oreiller, fixant à nouveau le plafond tandis que Swan se changeait en habits de nuit.

“Tu sais…Moi aussi il m’arrive de faire des cauchemars…Ma mère m’a toujours dit qu’il fallait les raconter. En parler pour réaliser comment ils sont ridicules… On pourrait se raconter nos rêves…?”

La jeune fille tourna légèrement la tête, plongeant son regard émeraude dans les yeux sombres de Swan.

“Ce sont ces Charbonneux… ces démons noirs qui hantent tes nuits?”

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 14 Déc 2023 - 18:50
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Du revers de sa manche; Enaël épongea son front plein de sueur, tout en cherchant à reprendre sa respiration. Légèrement courbée en avant, les mains sur les genoux ; elle observait avec grande frustration la souche d’arbre qui refusait de céder malgré tous leurs efforts. Elles avaient frappé, et encore frappées avec leurs outils, de toutes les forces dont leurs bras de jeunes filles disposaient. Sous l’impulsion de Dernion, le brave Canaille avait tiré et encore tiré. Mais rien n’y faisait. Le tronc ne bougeait pas d’un iota, les racines solidement ancrées dans le sol. L’adolescente jeta un regard en biais en direction de Swan qui semblait tout autant agacée. Depuis les évènements de la nuit passée, celle-ci s’était montrée bien étrange et particulièrement distante. Enaël avait d’abord conclu que sa partenaire de chambrée avait fait un simple mauvais rêve. Des cauchemars, elle en avait fait aussi, de nombreux. Cette peur qui la prenait aux tripes, ce sentiment d’impuissance face au déferlement d’horreur qui assaillait son esprit, l’obscurité ambiante qui n’arrangeait rien, le cauchemar qui se poursuivait parfois après le réveil dès qu’elle refermait les yeux pour retrouver le sommeil. Tout cela elle l’avait déjà vécu. Pourtant, le plus souvent, tout était déjà oublié dès le lendemain après que son père l’autorise à finir la nuit dans le lit parental et que sa mère ne lui confie quelques friandises au petit matin. L’explication rationnelle consistait à se répéter que tous ces démons n’étaient qu’une fabrique de son esprit. Mais ce qui l’avait vraiment rassuré pendant de longues années, jusqu’au plus profond de son être, était de se savoir être sous la protection aimante de ses parents. Ici, éloignée du foyer familial, elle se demandait comment une version plus jeune d'elle-même aurait pu réagir à une telle expérience. Elle observa son frère pendant quelques secondes ; de mémoire celui-ci ne s’était que très rarement plaint de tels cauchemars, mais si une telle chose devait se produire, serait-ce son rôle de le rassurer en l’absence de leur mère?

Enaël avait rapidement décidé d’abandonner toutes questions relatives au passé de Swan, comprenant qu’elle aurait plus de chance en s’adressant à un mur. Cependant les interrogations demeuraient. L’intrigante fille avait-elle jamais eu des bras protecteurs au sein desquels se blottir après une mauvaise nuit ? Elle ne semblait pas être la fille de Maître Ovadiah mais alors où étaient ses parents ? Était-elle également une élève du précepteur, venu ici pour apprendre à lire et calculer ? Elle semblait se trouver ici, depuis si longtemps et lui avait plus ou moins indiqué que cette demeure représentait désormais son foyer. Un voile de mystère enveloppait Swan, et celle-ci ne paraissait vouloir rien faire pour s’en débarrasser.

Profitant de leurs quelques minutes de répit accordées par Swan, l’adolescente rejoignit Dernion qui s’était installé dans un coin florissant du jardin. Le jeune garçon observait avec curiosité une plante curieuse qui se dressait verticalement et sur lequel trônait plusieurs petites curieuses boules rouges et charnues.

“T’as vu ça ? Tu crois que ça se mange ?”
Fit Dernion avec un sourire en tendant le doigt vers le fruit interdit.

Enaël réagit brusquement et adressa une petite tape sur le dos de la main de son cadet.

“Touche pas à ça ! C’est peut-être du poison !
-Du poison ?”


L’idée parut totalement incongru au garçon, qui d’abord surpris, se mit à éclater de rire.

“Mais pourquoi donc Maître Ovadiah ferait pousser du poison haha !”

Comme pour prouver la véracité de ses hypothèses, et également un petit peu pour défier l’autorité de sa grande sœur, il effleura du bout de l’index l’une des feuilles, avant de se rétracter. Comme si au fond de lui, les remarques d’Enaël avaient tout de même éveillée l’ombre d’un doute. Mais il ne se laissa pas démonter.

“Tu vois ? Toujours en vie.”

L’aînée jugea bon de ne pas relever la provocation, s’imaginant les yeux levés au ciel de sa mère qui la suppliait de lâcher prise quand sa fille s’emportait face à toutes les petites remarques désobligeantes de son frère. Elle se contenta de s’adosser contre la clôture du jardin et de l’observer creuser des petits sillons à l’aide d’une brindille qu’il avait trouvé au sol.

“Elle est un peu bizarre Swan, tu trouves pas ?”
Lui demanda alors la jeune fille qui placait plus de valeur en l’opinion de son frère qu’elle voulait bien l’admettre.

Celui-ci se contenta de hausser les épaules d’un air détaché.

“Un peu timide mais rien de trop étrange je trouve. Après ; c’est toi qui dort dans sa chambre…
-Justement, cette nuit elle était inquiétante. Je pense qu’elle a fait un cauchemar mais elle m’a repoussée brusquement quand j’ai voulu voir ce qu’elle avait.
-Bah…une mauvaise nuit ça arrive à tout le monde. Allez n’y penses plus et viens jouer.”


Son frère cadet avait sûrement raison, peut-être projetait-elle inconsciemment des craintes infondées sur cette étrangère. Quelle ironie de voir que la voix de la sagesse prenait si souvent la forme de cette petite tête brune et de ce sourire espiègle. Elle s’installa en tailleur en face de Dernion, avisant les lignes qu’il avait tracées dans la terre meuble. Une grille plus exactement.  Comprenant immédiatement à quel jeu il faisait référence, Enaël sourit. Les “trois petits cailloux” étaient leur jeu favori et elle ne comptait plus les longues heures qu’ils avaient passées près de l’étable, à jouer par terre lors des longues journées d’été. Ou de ces soirées près du feu en hiver, sous l'œil de leur père qui leur dispensait parfois quelques conseils de stratégie.

Les règles étaient simples : chaque joueur disposait d’un petit tas de caillou qu’ils devaient disposer, un à un et tour à tour, sur la grille qui était divisée en seize emplacements. Le premier qui parvenait à aligner trois cailloux de manière successive remportait la partie. Dernion avait apporté avec lui le petit sachet de galets avec lesquels ils jouaient depuis de longues années. Certaines pierres avaient été marquées de peinture noire afin de différencier chaque joueur.

Enaël laissa à son frère, l’honneur de débuter. Alors que celui-ci réfléchissait à son premier coup, elle s’enquit de son état de santé. Un élan à la fois sincère et opportuniste, si cela pouvait un tant soit peu le déconcentrer.

“Tu as pris ta potion ce matin ?
-Oui.”
Répondit-il simplement sans même lever les yeux.

Tentative de diversion infructueuse.

Dernion débuta en plaçant son premier caillou dans un coin, Enaël décida de ne pas le contrer d’entrée et répondit en se plaçant sur le coin opposé. Son adversaire poursuivit son alignement et sa soeur finit par se décider à intervenir en le bloquant. Ce jeu de chat et de la souris se poursuivit pendant de longues minutes. Sur toute la grille, le jeune garçon cherchait à contourner le barrage que formait son aînée. Un coup répondait à l’autre et bientôt le plateau de jeu fut quasiment rempli de galets sans que l’un des deux enfants ne prennent l’avantage. Dans un élan aussi ambitieux que désespéré et sachant la partie perdue, il plaça l’un de ses cailloux à l’extérieur de l’aire de jeu; créant certes un alignement, mais qui dépassait clairement les limites fixées.

“Eh! Mais c’est de la triche !”
S’offusqua Enaël.

Amusé par l’indignation de sa sœur, Dernion se contenta de lui répondre avec philosophie.

“S’il est impossible de passer au travers, alors vaut mieux passer autour.”

La grande sœur, pourtant consciente du petit jeu auquel s’adonnait son cadet, se mit à faire la moue alors Dernion récoltait les galets avant de les remettre soigneusement dans le petit sachet. Son visage juvénile s’illumina alors :

“Tiens mais ça me donne une idée !”


Il se tourna vers Swan qui s’était légèrement rapprochée d’eux, peut-être curieuse d’observer leur partie.

“Si on ne peut pas arracher la souche avec nos moyens, pourquoi ne pas simplement passer autour ? L’utiliser ? On pourrait planter entre les racines, utiliser le tronc comme un siège pour se reposer entre deux tâches. Intégrer tout ça au jardin, non ?”
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 28 Fév 2021 - 13:23
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Le dîner fut des plus agréables. La nourriture était chaude et réconfortante, un véritable plaisir après ces longues journées de voyage où les repas étaient pris rapidement et froids. Maître Ovadiah, tout en mangeant avec appétit, consentit à leur révéler leur programme du lendemain. Rien de bien surprenant en ce qui concernait les tâches manuelles et agricoles. Semer, révolter, labourer… Les deux jeunes gens n’avaient encore vécu que bien peu de saisons mais ils avaient déjà appris beaucoup de choses aux champs au côté de leur famille. La culture du blé, de l’avoine ou des pommes de terre n’avaient presque plus de secrets pour eux. Cependant, ici, les plantations du vieil homme présentaient bien plus de variété.

“Des fèves? interrogea Dernion. Mais...ça se mange ces choses-là?”

Heureusement pour eux, le déracinement de cette fameuse “grosse souche” leur promettait un petit plus d’action que les simples tâches agricoles. Rien de très palpitant mais c’était toujours bon à prendre. Puis, leur hôte se décida finalement d'aborder le programme de l’après-midi et donc de l’apprentissage; ce pour quoi ils étaient venus ici, si loin de leur foyer. Ainsi leur premier cours de lecture aurait lieu dès le lendemain et ce qu’il fallait dire c’était que le vieil homme savait parfaitement vendre ses leçons. S’il ne cachait pas la difficulté de l’exercice, il leur lista également les avantages dont disposaient ceux qui disposaient de ce don et il l’avait fait avec une telle éloquence que même Enaël, de prime abord peu emballé par l’étude de livres poussiéreux, sentit une pointe d’excitation naître au fond d’elle.

Ovadiah complimenta alors Swan sur ses talents de cuisinière et aucun des deux jeunes gens ne pouvaient lui donner tort. Le plat était fort goûteux et ils auraient été eux même bien incapable de réaliser ce genre de choses. Travailler au champ était une chose, savoir traiter le produit pour le mettre dans l’assiette en était une autre. Et Deanna, leur mère, ne les laissait que rarement approcher les fourneaux. Ce fut pourtant la provenance de ces fameuses lentilles qui attira l’attention du benjamin:

“Le Harondor...c’est le Gondor? N’est-ce-pas?”


La discussion embraya alors sur leur grand-père Eolkar, qui avait partagé bien des aventures avec Ovadiah. Ce dernier prenait un malin plaisir à raconter plusieurs anecdotes sur son ami et plusieurs d’entre elles provoquèrent l’hilarité des enfants qui découvraient là leur aïeul sous un jour nouveau. Il avait toujours représenté la figure autoritaire de la famille, ce roc inamovible qui se dressait au-dessus d’eux et veillait à la protection et au bon-vivre de sa descendance. De toute évidence, il avait bien changé depuis ses jeunes années, pleines d’insouciance.

Finalement repus, les deux enfants sentirent la fatigue les gagner subitement. Dernion s’était même mis à somnoler à table, bercé par la voix réconfortante de Archibald qui s’était engagé dans un autre de ces récits. Il fut finalement décidé que l’heure était bien tardive et qu’il était temps de gagner leurs lits.

Dernion remercia le vieil homme et souhaita bonne nuit à sa sœur avant de se diriger vers sa chambre, qu’il occuperait seul pour le moment. Enaël quant à elle s’approcha de sa couche en traînant les pieds. Elle avait d’abord renié la fatigue mais en enfilant sa chemise de nuit et s’allongeant sur le matelas de paille, elle dut bien se rendre à l’évidence: elle était, elle aussi, épuisée.  

Quelques minutes plus tard seulement, Swan fit son irruption dans la pièce, sur la pointe des pieds. Entendant son arrivée, Enaël rouvrit subitement les yeux mais n’esquissa pas le moindre geste, laissant croire à la jeune brune qu’elle était endormie. Mais elle ne pouvait refermer les yeux désormais. Elle ne savait pas exactement pourquoi mais la présence de Swan la rendait méfiante à bien des égards. Alors qu’elle se changeait, Enaël put clairement distinguer, à la lueur de la bougie, une longue et fine cicatrice qui courait tout au long du dos de l’adolescente. Ce genre de blessures étaient pour le moins inhabituelles. Enaël ne comptait plus les petites éraflures et coupes qu’elle s’était faite au cours de ses imprudents jeunes années mais elle n’avait jamais rien vu d’aussi énorme. A part sur les bras larges des cavaliers qui parcouraient parfois leur village.

Elle ne dit pourtant rien alors que Swan enfilait sa tunique et s’allongea à son tour. Ce ne fut qu’au bout de longues minutes de silence qu’Enaël brisa le silence, ne sachant pas même si Swan s’était déjà assoupi ou pourrait l’entendre.

“Dis-moi Swan?”


Pas de réponse. Mais la jeune fille ne se laissa pas démonter pour autant.  Elle continua, sur un ton qui se voulait curieux et innocent.

“De quel coin du Rohan tu viens?”
Sujet: L'éducation du Riddermark
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 15 Fév 2021 - 18:11
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Les réponses de Maître Ovadiah étaient à la fois aussi éclairantes que bien mystérieuses, amenant souvent plus de questions dans l’esprit encore malléable des jeunes voyageurs. Le savoir de l’érudit était grand et ses talents de narrateur lui assurait un réel succès auprès de sa jeune audience qui buvait ses paroles sur les origines des Rohirrim. Ils avaient entendu bien des histoires sur les fils d’Eorl et les moments héroïques de leur peuple, leur enfance avait été bercé par ce genre de récits presque légendaire. Cependant Ovadiah donnait au tout une cohérence historique, une vraisemblance qui transformait les mythes du peuple en réelle chronologie. Il n’y avait pas que de grands actes de bravoures dispersées à travers les générations mais bien une continuité dans l’évolution des gens du Riddermark. Dernion en particulier appréciait grandement cette façon de faire. Comme tout enfant de son âge, il avait bien sûr été fasciné par les héros de son peuple mais, étrangement, il trouvait que la façon qu’avait Archibad de replacer les choses dans un contexte, de leur donner un sens ancré dans le réel, rendait le tout encore plus admirable. La mention du Gondor, le Grand Royaume des Hommes, fit réagir le jeune garçon.

“Le Gondor… On dit que les hommes qui s’y trouvent sont d’une grande sagesse. Et que leur sang est d’une rare noblesse.”

Les hypothèses que formula le vieil homme au sujet de leur oncle eurent aussi le mérite d’apaiser les inquiétudes de ses élèves. Après tout, Learamn servait-il encore peut-être sa patrie, loin de sa famille et de de la gloire. Une façon de faire bien peu traditionnelle pour des cavaliers du Rohan, avant tout attachés à la défense de leur terre, mais si le danger était si grand à l’Est, il y avait besoin d’hommes de valeur pour contrer la menace avant qu’elle n’atteigne les frontières de l’Estenmet. Les mots d’espoir du précepteur remirent un peu de baume au cœur aux deux enfants qui se défendirent quelque peu. Leur conversation se fit plus légère et bientôt ils en vinrent presque à oublier la présence adulte à leur côté. Un long jeu de devinettes se prolongea pendant de longues heures et les adolescents eurent même l’heureuse surprise de voir que, malgré son âge avancé, Maître Ovadiah n’avait pas hésité à prendre part au jeu. Après de longues heures de route cependant, Enaël, fatiguée, faisait moins d’effort pour se tenir droite sur selle et Dernion devait lutter pour ne pas somnoler, bercé par le rythme lent des pas de Pantoufle.

---------------------------------


Ils voyagèrent ainsi pendant près de trois jours. La route n’était pas des plus palpitantes et Enaël réalisa vite que l’aventure que lui avait promis son grand-père ne serait pas vraiment au rendez-vous. Les plaines du Riddermark étaient splendides mais finalement similaires à travers toute la région et la jeune adolescente en vint même à se demander comment Archibald pouvait se repérer si aisément dans un environnement aussi vierge. L’endroit était quasiment désert et le silence absolu qui les enveloppait une fois la nuit tombée n’était pas des plus rassurants. Une nuit, Dernion, peinant à trouver le sommeil s’était blotti contre le dos de sa grande sœur, cherchant à se rapprocher d’une présence familière et protectrice dans cette immensité sombre qui lui était inconnue. L’aînée avait d’abord protesté, intimant à son frère de la laisser tranquille; mais au contact du bras anormalement tremblant de l’enfant, elle avait fini par l’enlacer en lui assurant que tout irait pour le mieux.

Le lendemain ils arrivèrent enfin à destination. La demeure de Maître Ovadiah était simple d’aspect mais semblait receler de biens des trésors qui ne demandaient qu’à être découverts par les deux nouvelles âmes qui occuperaient les lieux. Le regard de ces derniers s’attarda un moment aux curieuses plantations qui entouraient la bâtisse. Les champs agricoles n’avaient que peu de secrets pour Enaël et Dernion qui avaient passé de longues heures à courir à travers les larges plantations du village où travaillaient leur père. De longues étendues de blé et d’orge qui donnait sur les pâturages pour les troupeaux d’ovins, desséchés depuis de longs mois. Mais jamais n’avait-il vu pareille agriculture. Les champs n’étaient pas bien grands mais voir autant de couleur et de formes différentes dans un si petit lopin de terre était plutôt surprenant. Les hommes du Rohan, soucieux de nourrir leurs familles, faisaient souvent le choix de développer les quelques céréales et légumes de bases qui s’adaptaient le mieux au sol du Riddermark. Mais Ovadiah avait misé sur une diversité unique dans le royaume. Cet homme était décidément plein de surprises. Notant leur curiosité, leur hôte s’empressa d’ailleurs d’expliquer avec ferveur l’utilité de ce potager. Visiblement Enaël ne partageait pas vraiment son excitation. Les champs n’étaient-il pas avant tout faits pour nourrir le peuple? Pourquoi ainsi gâcher des ressources précieuses pour des produits dont on ignorait le rendement?

Ils finirent par mettre pied à terre, et Enaël se chargea de conduire Pantoufle jusqu’à la stalle qui lui était réservée. Elle attacha le cheval de trait d’un geste expert qu’elle avait déjà maintes fois répété avant de caresser la crinière fournie de la monture.


“On est enfin arrivés! Tu vas enfin avoir du repos bien mérité! Quant à nous...on verra bien ce qui nous arrive.”


L’adolescente rejoignit Ovadiah et Dernion dans la salle principale d’où s’échappait une odeur attrayante de ragoût. Ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de profiter d’un bon repas chaud au cours des derniers jours et la simple idée de pouvoir à nouveau s’attabler de manière appropriée la libéra d’un poids certain.  Elle remarqua alors la présence d’une autre jeune fille. La Rohirrim fut d’abord surprise, elle ne s’attendait pas vraiment à voir d’autres gens ici mais en y réfléchissant cela semblait plutôt logique. Les hommes de savoir étaient rares au Rohan, qui plus est dans cette région reculée, les places pour apprendre à ses côtés devaient être précieuses. De plus, un homme aussi âgé que lui n’aurait pas pu gérer une telle maison sans aide.

Swan avait des cheveux très sombres, bien loin de la blondeur habituelle des gens du Riddermark et un regard d’une grande maturité alors même qu’elle ne devait pas être plus vieille que la petite fille d’Eolkar. Les regards des deux jeunes filles se croisèrent furtivement mais Enaël ne put déceler aucune émotion claire dans les yeux noirs de Swan. Tout au plus, une certaine méfiance à l’égard de ces nouveaux venus. L’adolescente blonde haussa les épaules d’un air détaché. Après tout, si cette Swan se montrait trop antipathique à son égard, elle pourrait très bien lui faire comprendre qu’elle n’était pas du genre à subir à une quelconque pression. Après tout, elle ne ferait qu’une petite bouchée de cette petite brune. Surtout que voilà qu’elle apprenait qu’elles devaient partager leur chambre....

Splendide…


Nouvelle mauvaise nouvelle. Elle aurait bien préféré être avec son jeune frère, que de se retrouver la nuit avec cette nouvelle camarade qui ne lui inspirait que bien peu de confiance. D’autant plus que Dernion, lui, allait pouvoir profiter d’une chambre pour lui seul jusqu’au retour de ce “Fréod” qui semblait traîner à l’extérieur de la maison. Cependant, et une fois n’est pas coutume, Enaël ravala sa salive et se contenta de suivre en silence sa guide avant de marmonner froidement des remerciements quand Swan leur remplit le bain avant de les laisser se laver.

Dernion ne perdit pas une seconde. Il se déshabilla en un éclair et plongea littéralement dans le baquet.

“Dernion! Fais un peu attention!”
le réprimanda Enaël, mécontente d’avoir été ainsi éclaboussée.
“De toute façon tu vas te laver et te changer! Qu’est-ce que ça peut bien faire?
-Ouais...bon allez tourne-toi maintenant.”


Le cadet lui donna alors le dos pour respecter l’intimité de sa sœur qui put enlever à son tour ses vêtements usés par le voyage. A son tour, elle se laissa glisser dans l’eau tiède en laissant échapper un soupir de satisfaction. Le confort d’un bain chaud après de longues journées à chevaucher n’avait pas son pareil. Même sa faim dévorante se retrouva momentanément apaisée.

“Tu t’es fait une nouvelle amie à ce que je vois!”
lança Dernion d’un air taquin par-dessus son épaule.
“-Ah... tais-toi veux-tu bien?” répliqua Enaël en fixant le dos maigre de son petit frère.
“De toute façon il va falloir t’y faire, j’ai bien l’impression qu’elle a un rôle important ici. Et puis vous dormez dans la même pièce…”
“Je suis sûre qu’elle ne vient même pas du Rohan!”
Enaël...c’est absurde voyons! Tu voudrais qu’elle vienne d’où?”
“Je n’en sais rien moi… Peut-être une autre de ces sorcières de l’Est.”


Le garçon pouffa.

“Tu te fais des histoires ma sœur! Arrête avec ces histoires de sorcellerie tu vas finir par y croire. Savon?”

Contrariée, l’aînée déposa la brique de savon noir dans la main tendue que Dernion avait passé derrière sa tête, le regard toujours fixé à l’opposé. Le jeune garçon se frotta avec vigueur avant de déposer la brique odorante sur le rebord de la baignoire en bois.

“En tout cas j’ai hâte de voir ce que maître Ovadiah nous réserve pour notre première leçon. Peut-être continuera-t-il à parler de nos origines ou des gens venus d’Orient. Histoire de balayer définitivement tes théories magiques.
-Tu sais à force, ce n’est plus très drôle…”


Décidant qu’elle en avait assez de subir les moqueries de son cadet, Enaël sortit de l’eau avant de s’emmitoufler dans la grande serviette blanche que Swan avait mis à disposition.

“C’est bon tu peux sortir.”


Dernion s’autorisa afin à tourner la tête en direction de sa sœur et émergea du baquet, frissonnant légèrement sous l’effet de la brise fraîche qui commençait à souffler entre les collines. Enaël lui demanda alors d’un air réprobateur:

“Tu as pris ta lotion aujourd’hui?”

Pris devant le fait accompli, Dernion bafouilla quelques plates excuses.

“Dernion! Tu n’es pas sérieux! Tu sais très bien que maître Rihils a dit que tu devais en boire quotidiennement!
-Mais ça me brûle le ventre! Et puis je n’ai pas eu de crise depuis de longues semaines maintenant…
-Dernion...ne m’oblige pas à te forcer le flacon dans la bouche…”


La menace eut son petit effet et le benjamin sortit un petit flacon en verre de son paquetage qu’il avait déposé un peu plus loin. A l’aide d’une cuillère en bois il recueillit quelques gouttes d’un liquide verdâtre peu ragoûtant qu’il avala avec une grimace.

“Bon… tu vois ce n’est pas si terrible.
-J’aimerais bien t’y voir toi…
-Allez va t’habiller et passons à table. Je meurs de faim.”
conclut Enaël en ébouriffant affectueusement au passage les cheveux de son petit frère.

-------------------------------------------------


Les deux enfants se retrouvèrent devant la salle à manger et entrèrent ensemble, attrapant au passage la fin de la conversation entre Ovadiah et Swan, cette dernière s’inquiétait grandement du retard de quelqu’un. Sûrement ce Fréod dont l’absence avait déjà été évoquée. Cependant en voyant arriver ses deux nouveaux élèves, le précepteur s’interrompit et les invita à passer à table. On leur servit de la soupe de lentilles et un peu de viande séchée. Enaël et Dernion attaquèrent leur assiette avec appétit. Sans en prendre conscience, l’adolescente aspira bruyamment le contenu de sa cuillère avant de s’efforcer de rectifier le tir suite au regard de Dernion.

Ce fut d’ailleurs, sans surprise, ce dernier qui répondit à leur hôte.

“Eh bien je dois dire que je suis très excité à l’idée de commencer à travailler et étudier avec vous! Je me demandais même ce par quoi nous allions bien pouvoir débuter!”


Le jeune garçon reprit une cuillère de lentilles.

“D’ailleurs c’est délicieux! Je n’avais jamais vu de lentilles aussi sombres auparavant! Elles viennent de votre jardin?”

Sujet: L'éducation du Riddermark
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 2 Fév 2021 - 13:56
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Leur nouveau précepteur disposait d'un grand talent de conteur et le récit qu'il fit de l'histoire des Hommes de l'Est était proprement fascinant pour ces deux enfants qui avaient du mal à en croire leurs oreilles. L'Histoire n'avait pas forcément eu une place centrale dans leur éducation avant tout tournée vers le travail de la terre et l'élevage; il s'étaient certes nourri des histoires de leur père ou des anciens qui investissaient parfois la place du village une fois la nuit tombée. A travers ces derniers, ils avaient découvert les héros du Riddermark: ces preux chevaliers cavalant à travers le continent pour protéger la liberté face aux hordes du Mal. Ainsi les exploits d'Eowyn n'avaient jamais quitté l'esprit d'Enaël depuis qu'elle en avait entendu parler pour la première fois; nourrissant ses rêves et folles aspirations. L'adolescente sentit son frère tressaillir quand Maître Ovadiah évoqua les sombres machinations du Valar Morgoth, divinité vénérée à l'Est. Les jeunes rohirrim n'avaient que peu de connaissances au sujet de ces êtres surnaturels qui peuplaient jadis les Terres du Milieu; quelques mentions et autres expressions qui y faisait référence. Dernion, qui avait toujours été désireux sur ces êtres extraordinaires avait bien cherché à en savoir plus mais nul dans les Plaines du Rohan ne semblait en savoir bien plus que lui.

D'une voix hésitante il interrogea leur nouveau professeur.

"Donc...vous dîtes que tous les Hommes viennent de l'Est? Même les Rohirrim?"

Il avait toujours considéré les siens comme appartenant à une noble race d'homme ayant traversé les âges, frères des gens du Gondor et de l'Arnor et dont la mission était de purger le mal qui résidait dans le cœur des Orientaux, plus proches des orcs que des autres humains. Pourtant l'image qu'en dressait Archibad était bien différent, plus nuancée. Et Dernion se disait que la description de l'érudit devait être proche de la réalité. Son esprit était encore jeune mais affûté par les drames vécus par sa famille. La guerre civile était passée par là et toutes les conceptions absolues de Bien et de Mal s'étaient grandement brouillées à ses yeux. Sa soeur répétait que le maléfique Hogorwen et ses fidèles avaient mérités leur sort; pourtant, Dernion savait qu'il y avait parmi eux des gens aux bons cœurs.

Enaël fut prise de court lorsque Ovadiah l'interrogea sur la raison de ses questions sur l'Est lointain. Le vieil homme était plus fin et perspicace que son allure bonhomme laissait entendre et il avait parfaitement ressenti le malaise des deux jeunes gens face à sa description des peuples résidant au-delà de l'Anduin. Pourtant, la jeune fille ne se laissa pas démonter et cacha tant bien que mal sa confusion en bombant fièrement le torse.

"Nous ne craignons rien!
répondit-elle farouchement. Que ces Orientaux viennent à nos portes! Nos vaillantes éoreds les repousseront sans trembler comme par le passé."

Le léger sourire du précepteur laissa la jeune fille de marbre; elle ne doutait pas des capacités du Rohan à faire face à tout danger. Pourtant, Dernion se sentait de plus en plus mal à l'aise.

"Eh bien c'est que à l'Est... Ouch! Enaël!"

Celle-ci avait discrètement asséné un léger coup de coude derrière elle dans l'abdomen de son petit frère pour l'arrêter dans sa phrase. Celui-ci lui jeta un regard noir en se massant les côtés, le choc n'avait pas été violent pour un sou - l'adolescente serait bien incapable de faire du mal à son frère - mais l'intention était là. Cependant, il en fallait plus pour arrêter le jeune garçon quand celui-ci était déterminé à aller au bout. Il reporta donc son attention sur leur guide et lâcha enfin ce qu'il avait sur le cœur.

"Eh bien c'est que notre oncle Learamn, je ne sais pas si vous l'avez également eu comme élève, est parti à l'Est. Certains ont essayé de l'en dissuader, arguant que c'était de la folie, mais il était si déterminé. Quelque chose dans son regard qui disait qu'il irait au bout..."

Visiblement contrariée que ce sujet sensible soit abordé avec un homme qu'il connaissait à peine; Enaël le coupa sèchement. Elle était visiblement touchée par cet histoire qui souillait l'honneur de sa famille. Comment un fils du Rohan pouvait ainsi renier les siens pour rallier les monstres de l'Ouest? L'impétueuse était sincèrement peinée par cet épisode.

"Il a bêtement succombé à la sorcellerie d'une des ces Orientales. Voilà tout! Nous n'y pouvions rien..."

Peu convaincu par l'hypothèse de la magie, le garçon ne se laissa pas impressionner par l'intervention de son aînée et poursuivit.

"Cela fait de longs mois qu'il est parti et nous n'avons eu aucune nouvelle. Remarque, donner de ses nouvelles n'a jamais été dans ses habitudes. Mais je me demande ce qui a pu le pousser ainsi à fuir vers ses terres incertaines..."

Dernion inspira profondément alors qu'une brise fraîche venait soulever ses mèches revêches de cheveux châtains. L'évocation de son oncle était un sujet douloureux pas tant à cause de l'absence de l'intéressé qu'il n'avait qu'assez peu connu entre ses obligations d'officier et ses missions à l'étranger, mais surtout car son exil avait été la source d'un véritable déchirement dans la famille. Pas une journée ne se passait sans qu'Eolkar ne peste ou se dispute avec les enfants qu'il avait encore autour de lui. Leur grand-père n'avait jamais été d'un naturel paisible mais ses sautes d'humeur s'étaient empirées depuis ce jour-là.

Avec une pointe d'inquiétude dans la voix, l'enfant demanda:

"Maître Ovadiah... pensez-vous qu'il reviendra?"
Sujet: L'éducation du Riddermark
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 4 Jan 2021 - 14:13
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Les deux enfants embrassèrent leur mère avec amour, le petit Dernion essuyant même ses larmes sur l’épaule maternelle. Sa grande sœur faisait de son mieux pour garder son sang-froid mais ses grands yeux humides trahissaient l’épreuve que représentait pour elle ce départ. Deana posa ses mains douces sur les joues de sa fille:

Enaël, je t’en prie, veille sur ton frère. Constamment. Maître Ovadiah vit dans une contrée sûre mais Dernion a besoin de toi… Qui sait ce qui peut se passer si loin de la maison?”


L’adolescente prit une profonde inspiration et bomba fièrement le torse avant de répondre avec une voix que la tristesse enrouait légèrement.

“Je vous le promets Mère! Je donnerai jusqu’à ma vie s’il le faut pour protéger Dernion!”


La remarque aussi brave que incongrue arracha un rire à l’adulte.

“Je ne t’en demande pas tant. Faire attention à ce qu’il respecte bien la dose de ses remèdes suffira amplement.”


Enaël, la gorge trop nouée pour pouvoir émettre le moindre son, acquiesça d’un signe d’un tête. Deanna déposa un tendre baiser sur le front de son aînée, luttant  pour ne pas éclater en sanglots.

“Je suis si fière de toi ma fille…”


De son côté, Eolkar finissait d’harnacher le cheval qui aurait le privilège de transporter ses deux petits-enfants. Pour ce faire, il avait sélectionné un robuste cheval de trait, assez petit pour être monté par un adolescent mais dont la musculature développée pouvait supporter de longues journées successives de voyage. Dernion, trop jeune pour chevaucher seul, monterait au côté de sa sœur. Une fois la bête équipé, le paysan tapota l’encolure du cheval avec un sourire.


“Te voilà tout beau Chausson! Tâche simplement de ne pas aller trop vite avec mes petits-enfants sur le dos.”


Le rohir avait nommé ainsi son cheval en raison des longs poils soyeux qui recouvraient ses larges sabots; une caractéristique de son espèce qui donnait l’impression que la bête se déplaçait constamment en pantoufle. Il aida ensuite le benjamin de la famille à monter en selle. Sa grande sœur l’imita peu après avec un peu plus d’assurance dans le geste. De toute évidence, elle avait déjà l’habitude de ce genre d’exercice et s’y sentait parfaitement à l’aise. Pour ses parents, il  n’était d’ailleurs pas rare de la trouver en train de cavaler frénétiquement à travers champs en train de combattre d’innombrables ennemis imaginaires.

Eolkar s’approcha alors de son vieil ami, lui aussi prêt à partir.

“Ce fut un réel plaisir de te revoir et d’échanger avec toi Archibad. Malgré le poids des années, ton esprit est demeuré aussi vif et fascinant, je suis persuadé que les enfants auront une magnifique expérience à tes côtés.


Il jeta un regard en direction de Deanna, puis de ses enfants avant de reprendre d’une voix plus basse.

“C’est que… entre la maladie de Céoda et le départ de leur père, ces derniers mois on été difficiles pour les enfants. Et pour nous tous… J’apprécie ce que tu fais pour nous mon vieil ami. Pour eux.


Eolkar n’était pas un homme qui partageait souvent ses émotions. Même en cet instant, il avait pris soin de rester le plus sobre possible dans les mots et le plus neutre qu’il le pouvait dans l’attitude. Mais Ovadiah le connaissait depuis assez longtemps pour savoir que la lueur qui brillait au fond de ses  yeux était celle d’un homme profondément ému. Le fait qu’il eût omis de mentionner l’exil de son autre fils en disait d’ailleurs long sur sa perception des choses mais Archibad ne le questionna pas à ce sujet.

Les adieux se prolongèrent encore pendant de longues minutes, Deanna vérifiant plusieurs fois leurs paquetages pour s’assurer que ses enfants ne manqueraient de rien pendant le trajet. Par au moins trois fois, elle compta soigneusement le nombre de petits flacons en verre, remplis d’une substance brunâtre, qui se trouvait dans un de sacs avant de le refermer avec une attention toute particulière. Quand elle se redressa, son beau-père posa une mains rassurante son épaule gracieuse et fit discrètement signe à Archibad qu’il était temps.

Suivant l’exemple de leur nouveau mentor, Enaël fit avancer lentement Chausson en direction de la sinueuse route de l’Estenmet. A intervalles réguliers, Dernion se retournait pour regarder derrière lui en direction du foyer familial. Sa mère n’avait pas bougé d’un centimètre et continuait inlassablement d’agiter la main; le garçon leva timidement la sienne avant qu’Enaël ne lui intime de regarder devant lui avec une once de réprobation dans la voix.

“Nous sommes partis Dernion! Regarder en arrière n’est plus permis.”

Bientôt la silhouette maternelle ne fut plus qu’un point, au lointain, qui finit par disparaître derrière une colline un petit peu plus élevée que les autres. Depuis leur départ, les deux enfants n’avaient quasiment pas prononcé le moindre mot. Le plus jeune se contentait d’observer leur nouveau guide dans les plaines du Riddermark, cet inconnu qu’ils allaient devoir suivre et obéir. Derrière cet apparence de bonhomie sympathique, le jeune garçon croyait percevoir une grande sagesse, renforcée par l’humilité évidente du précepteur. Il ne connaissait ce dernier que depuis quelques heures mais déjà il avait envie de lui faire entièrement confiance. Après tout, il était un ami de leur grand-père et il avait même formé leur propre père il y a des années de cela. De toutes les manières au milieu de ces immenses contrées inconnues pour lui, il fallait bien qu’il remette sa confiance en un adulte.

Enaël semblait de son côté plus indifférente à l’égard de l’érudit. Elle avait le regard fixé au loin, tirant parfois fermement sur les rênes d’un Chausson qui avait  tendance à s’emballer un peu au cours de longs trajets. Les larmes qui avaient perlé un peu plus tôt aux coins de ses yeux noisettes avaient définitivement séché, et seule la détermination se lisait dans son regard. Le départ et la présence de son frère, qu’elle devait protéger,  étaient autant de responsabilités qu’elle avait grand plaisir à prendre sur elle. Du moins, pour le moment.

Ce fut finalement l'aînée qui finit par briser le silence.

“Maître Ovadiah? Puis-je vous poser une question?”


Le précepteur répondit à l’affirmative, visiblement satisfait que sa nouvelle élève décide enfin de lui adresser la parole; qui plus est avec une question!

“Qu’y a-t-il là bas? Tout là-bas ? Loin vers l’Est?”

Cela faisait déjà un long moment qu’ils sillonaient sur la route peu fréquentée, mais réputée sûre, qui les menait vers l’Est du Riddermark. Pourtant ce que la jeune fille voulait désigner n’était pas l’Estenmet. Elle pointait du doigt l’horizon et cet Est lointain à la fois craint et fantasmé parmi les gens du Rohan.

“On raconte tant de choses sur ce qu’on peut y trouver. Des choses terrifiantes”

Elle sentit Dernion tressaillir légèrement devant elle. Ce sujet le mettait mal à l’aise mais Enaël comptait bien avoir des réponses à ses interrogations

“ Grand-Père refuse de nous en parler. Mais je l’ai entendu dire un jour à notre mère que celui qui se rend là-bas, n’en reviens jamais…”


L’image de leur oncle revint à l’esprit des deux enfants; celui-ci était venu les voir peu avant son départ vers ces contrées aussi légendaires que inquiétantes. Il s’était montré très évasif sur ses motivations. Depuis, ils n’avaient plus reçu la moindre nouvelle.

“On raconte que vivent là-bas des monstres sanguinaires capables de broyer les plus preux des héros. Mais aussi des sauvages assoiffés de sang ainsi que des sorciers aux pouvoirs immenses. J’ai même entendu parler d’un dragon qui y ferait régner la terreur.”


Au vu de la passion avec laquelle elle abordait ce sujet, l’adolescente était fascinée par ces contes et légendes sur l’exotisme et l’inconnu de l’Est lointain. Quant au contraire, le malaise perceptible de son cadet trahissait sa préférence pour la quiétude des pâturages de son royaume natal.

Enaël avait entendu beaucoup de rumeurs et d’histoire mais, après les refus répétés d’Eolkar de parler de ce sujet, leur nouveau précepteur était certainement être le seul à pouvoir lui donner des informations plus précises.
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 15 Déc 2020 - 19:29

Le visage marqué d’Eolkar se fendit d’un large sourire à la vue de son vieil ami. Ces dernières années, les occasions de se réjouir s’étaient faites très rares pour lui mais la présence du précepteur venait de lui remettre un peu de baume au coeur. Il serra vigoureusement la main tendue de son invité.

“Et toi Archibad, comment se fait-il que tu sembles rapetisser à chaque fois que je te vois?”
plaisanta-t-il d’un lieu d’un ton enjoué.

Les petites piques adressées au sujet de la petite taille d’Archibad étaient devenues une habitude après toutes ces années, et l’érudit avait cessé de s’en offusquer depuis bien longtemps. D’autant plus, qu’Eolkar était sincèrement  heureux de revoir son ancien compère et là était sûrement sa manière de manifester son affection; pas forcément très délicate mais à l’image du personnage.

Cependant, le visage du paysan s’assombrit aussitôt à la mention de Céoda. Ne pouvait-il donc pas bénéficier d’un peu de répit des démons qui hantaient son quotidien? Il n’en voulait pas à son ami qui semblait réellement inquiet pour sa femme. Tout cela partait d’une bonne intention. Mais Eolkar n’aimait pas parler du mal qui rongeait son épouse. Ce n’était pas  un homme qui s’exprimait beaucoup sur ces choses-là.  Sa réponse fut brève et très évasive, là n’était pas un sujet qu’il désirait aborder devant les enfants.

“Elle... elle tient le coup. Mais elle est si fatiguée... Excuse-la de son absence, elle ne peut pas quitter son lit  en ce moment…”

Céoda se trouvait à l’étage, incapable de descendre les marches pour venir à la rencontre de cet invité de marque. Archibad pouvait cependant très clairement se souvenir, qu’il y a quelques années encore, elle l’aurait accueillie royalement, avec une générosité et une chaleur qui n’avaient pas leurs pareils dans le Riddermark. Pour l’érudit, il avait été facile de comprendre comment le rude et bourru Eolkar avait fondu devant le sourire scintillant de cette jeune fille aux longs cheveux ondulés et aux yeux châtaignes. Bien des printemps s’étaient écoulés depuis ces noces célébrées à la hauteur de leurs moyens, et avec le temps étaient venus les affres de la vieillesse.

“Je vois que Deana s’est chargé de calmer ta faim!
remarqua Eolkar en avisant l’assiette vide. Elle a bien fait; on ne fait point attendre un invité à table.”

L’homme adressa un sourire à sa bru avant de se diriger vers l’âtre, des écuelles à la main qu’il se chargea de remplir de potage.  Les deux enfants, qui avaient jusque-là cherché à se cacher derrière la large et rassurante silhouette de leur grand-père prirent délicatement en main leur repas en prenant bien soin de ne rien renverser et s’assirent sur le parquet.

“Bien sûr que tu peux rester ici pour la nuit, ou plus si tu le désires. J’installerai une couche près du feu. Les nuits deviennent enfin un peu plus fraîches.”


Eolkar s’assit à son tour et commença à manger avec appétit. Il formula un compliment à sa belle fille à propos du repas avant d’expliquer à son ami:

“Cela fait déjà plusieurs mois que Heldamn est parti avec la Grande Estive. Deana et les enfants sont donc venus habiter ici, jusqu’à son retour au moins. Elle m’aide à tenir la maison et moi je peux profiter des ces garnements.”

Le maître de maison eut une pensée pour son fils aîné, un homme qui avait suivi les traces de son père, loin de la capitale et des élites mais qui l’avait rendu si fier. La bravoure des hommes ne se trouvait pas seulement sur les champs de batailles ou dans les couloirs de Meduseld; tous ces hommes et ces femmes qui consacraient leur vie à labourer la terre et garder les troupeaux en tâchant de rendre leur famille heureuse. Ceux-là aussi étaient des braves. Pourtant, Heldamn aurait pu aspirer à plus; après tout, il était  un garçon intelligent et il avait appris à lire et à écrire, une capacité bien rare dans les plaines du Rohan. Peut-être aurait-il pu lui aussi s’engager dans une carrière militaire ou utiliser ses compétences au service des puissants du royaume mais il avait humblement fait le choix de rester dans les champs, conscient qu’ainsi il ne risquait pas de se perdre. Et Eolkar se réjouissait du choix de son aîné à chaque fois qu’il voyait ses petits-enfants.

Ces derniers continuaient à observer le précepteur avec de grands yeux ronds, à la fois curieux et gênés de voir un inconnu s’immiscer ainsi dans leur cercle privé. Ils savaient qu’un homme arriverait bientôt pour leur enseigner les lettres mais ils ne l’imaginaient pas forcément de cette façon.

Le vieil homme se présenta et leur annonça même qu’il leur faudrait quitter le foyer avec lui. Dernion n’osa rien dire sur le coup mais son regard en disait assez; Enaël, plus farouche, se redressa subitement et protesta vigoureusement.

“Grand-père! Vous ne nous avez jamais dit que nous devrions partir! On peut bien faire tout ça ici…”

Eolkar poussa un soupir et échangea un regard avec Deana. Il avait, en effet, repoussé le moment où il leur parlerait du départ. L’homme n’avait pas voulu s’engager dans des discussions interminables à ce sujet avec les enfants; convaincre leur mère avait déjà été assez compliqué. De toute façon il n’était jamais vraiment à l’aise dans ce genre de situation et détestait devoir s’expliquer, la décision était prise et il n’y avait aucun moyen d’y revenir. Il se résolut finalement à se justifier un minimum devant les regards accusateurs de Enaël et Dernion.

“Maître Ovadiah, car ainsi vous l'appellerez, a généreusement accepté de partager son savoir. Il a fait un long voyage rien que pour vous.  Comme il avait formé votre père, votre oncle et votre tante; il vous formera aussi. Ses enseignements demandent aussi de devoir partir de la maison pour découvrir le monde et en apprendre les secrets. Si vous saviez la chance que vous avez… j’aurais tant donné pour avoir un tel enseignant quand j’étais jeune.”

Eolkar n’avait jamais été formé par un précepteur et tout comme ses parents à lui, il était illettré. Les paysans du Rohan ne voyaient pas vraiment d’utilité à l’apprentissage de l’alphabet, des rudiments de calculs et géométries étaient bien suffisants pour leur métier. Pourtant, au contact de Archibal, le rohir avait fini par entrevoir le monde de possibilités qui s’ouvraient à ceux qui savaient lire. Des dizaines d’années auparavant, il avait ainsi pris la décision de confier ses enfants à Ovadiah, pour qu’il leur serve de précepteur. Et après plusieurs années d’apprentissage; ses trois enfants pouvaient non seulement lire et écrire mais avaient assimilés une immense quantité d’informations sur le monde qui les entouraient. Plus qu’Eolkar n’en avait imaginé. Il se souvenait parfaitement de ces soirées passées près du feu, le petit Learamn sur ses genoux,  à écouter son aîné raconter tout ce qu’il avait appris auprès de Archibal. N’avoir jamais eu le temps d’entreprendre un long voyage avec son ami pour apprendre auprès de lui; là était sûrement le plus grand regret du maître des lieux.

“Voyez cela comme une aventure.”
lâcha finalement le grand-père pour convaincre ses petits enfants.

Les yeux d’Enaël s'illuminèrent alors d’un coup. Elle, qui avait toujours rêvé d’aventure, regardait à présent le vieil homme avec un regard nouveau. Il ne ressemblait pas vraiment au chevalier la portant vers l’inconnu, une figure qu’elle s’était tant de fois imaginée, mais après tout. Elle ne mourrait pas d’envie de s’asseoir pendant des heures pour suivre des leçons ennuyantes de grammaire- elle n’était pas dupe sur la nature de “l’aventure” que leur vendait leur grand-père- mais tous les prétextes étaient bons pour partir et voir du pays.
Dernion semblait toujours déçu. Il s’était immédiatement montré enthousiaste à l’idée d’apprendre auprès d’un précepteur mais il aurait évidemment souhaité pouvoir le faire auprès de sa mère. Toutefois, il y avait fort à parier qu’il finirait par suivre sa sœur sans trop hésiter. D’autant plus que l’enseignant en question lui inspirait de la sympathie. Le garçon se retrouvait un petit peu dans la silhouette chétive et le regard pétillant de Maître Ovadiah.

Ce fut finalement l’aînée qui prit son courage à deux et osa s’adresser à leur nouveau professeur.

“Je suis Enaël, fille de Heldamn du Rohan! Mon grand-père nous a souvent parlé de vous, selon lui vous êtes un homme capable d’instruire une future cavalière du Rohan.”

Eolkar grimaça légèrement, cela faisait des années que la jeune fille ne cessait de répéter vouloir intégrer l’armée. Au début, il avait pris ça pour une lubie passagère mais il devait bien admettre qu’elle semblait bien décidée. L’Eoherë était un milieu hautement masculin; certes, plusieurs femmes avaient récemment forcé les portes de la cavalerie; mais le milieu militaire, et tout ce que cela impliquait, n’était pas un endroit où il désirait voir sa petite-fille. Mais la décision n’était pas sienne à prendre même s’il espérait secrètement que Ovadiah puisse détourner Enaël de cette idée. L’armée avait déjà fait trop souffrir les siens.

“Moi je m'appelle Dernion,
fit finalement le cadet d’une voix un peu timide. J’ai hâte d’en apprendre plus sur le monde à vos côtés.”

#Enaël #Dernion
Sujet: L'éducation du Riddermark
Learamn

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag enaël sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 6 Déc 2020 - 19:18
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#Enaël         #Dernion




Les deux enfants étaient plongés dans une concentration extrême, la tension était palpable. Ils fixaient d’un oeil déterminé leur objectif commun, conscients qu’il leur faudrait se montrer à la fois rapide et malin pour éviter les obstacles qui se dressaient sur leur parcours sinueux. La jeune fille aux longs cheveux d’or prit sa voix la plus grave et, sans prendre le soin de tourner la tête,  souffla à son compagnon:

“ Très bien Dernion. Je rappelle les règles. Le dernier arrivé sur le toit doit s’occuper de la toilette de Brise et bien entendu…
-...tous les coups sont permis.”
Poursuivit le  garçon, un petit sourire espiègle en coin.

Les deux jeunes gens échangèrent brièvement un regard qui se voulait défiant. L’aînée se délesta de son ceinturon en cuir qui aurait pu la ralentir dans sa course folle. Elle le laissa tomber sur le sol poussiéreux avec un bruit sourd, puis se mit immédiatement en position; le dos courbé, les jambes légèrement fléchies, un bras en avant et l’autre derrière le dos pour préserver l’équilibre tout en se donnant de l’élan.  Lui, gardait une attitude décontractée, il savait pertinemment que la course de vitesse pure ne tournerait pas à son avantage et qu’il lui faudrait redoubler d’ingéniosité pour éviter de devoir nettoyer les sabots encrassés de leur cheval; à ce titre le démarrage n’était pas la partie la plus importante à ses yeux. Deux stratégies différentes pour un seul et même objectif.

“Trois…
murmura Dernion
-Deux… reprit sa grande soeur.
-Un…
-Partez!”
firent-ils finalement en choeur avant de s’élancer à l’intérieur de l’immense grange qui leur servait d’arène.

La jeune adolescente prit déjà une certaine avance sur ses premières foulées. Elle avait des jambes bien plus longues et une puissance physique plutôt impressionante pour une fille de son âge et au bout de quelques secondes elle devançait déjà son jeune frère de plusieurs mètres. Plus ou moins volontairement elle percuta une pile de caisses en bois qui s’écroulèrent dans son sillage en répandant la totalité de leur contenu. Des dizaines de pommes se mirent à rouler devant le pauvre Dernion qui manqua de trébucher en glissant sur l’une d’entre elles.

Enaël! Tu triches!”


Celle-ci se fendit d’un éclat de rire tout en continuant son sprint effrené. D’un ton hilare elle s’écria:

“Tous les coups sont permis c’est toi qui l’as dit!”


Sans un regard de plus en arrière, elle s’élanca à toute vitesse dans l’ascension des escaliers en bois qui menaient jusqu’à l’étage supérieur. Elle montait les marches quatre à quatre sans aucune forme de prudence.  Peut-être aurait elle dû ralentir un peu pour assurer le coup car elle paya bientôt le prix de sa précipitation.  Alors qu’elle avait presque atteint l’étage, sa botte ripa sur le bord d’une des marches, anormalement plus courte que les autres, et elle tomba en avant. Par chance, elle eut le réflexe de mettre ses bras devant elle pour ne pas que son visage heurte le bois, l’impétueuse jeune fille s’en tira finalement avec des coudes sanguilonents et une paire d’échardes sur les avants- bras. Rien qui ne pouvait arrêter Enaël qui se releva d’un bond et reprit sa course. Elle jeta tout de même un regard au-dessus de son épaule pour s’assurer que son petit contretemps n’avais pas fait fondre son avance. Elle aperçut Dernion en contrebas qui avait renoncé à la suivre en traversant “le champ de pommes”, il s’agrippait désormais à une énorme botte de foin posée contre le mur. En escaladant ainsi, il espérait atteindre l’étage supérieur sans devoir courir jusqu’aux escaliers et se rapprocher du sommet du bâtiment. Un choix audacieux qui pouvait se révéler dangereux mais le garçon n’avait pas d’autres choix, avec ce retard si précoce il lui fallait prendre des risques.

Enaël gravit les dernières marches et avisa l’endroit qu’elle avait face à elle: une sorte de “grenier” où les propriétaires des lieux avaient entassés toutes sortes d’outils et objets plus ou moins utiles pour leur labeur quotidien. Là, se trouvait plusieurs dizaines de pelles et râteaux, plus loin, reposaient des sacs de grains dont elle ignorait la nature; au fond, gîsait une brouette rouillé qu’elle admira un court moment en songeant à toutes les sensations fortes qu’un tel véhicule pouvait provoquer. Elle s’imagina à l’intérieur, en train de dévaler les quelques pentes de l’Estenmet, ou même ces escaliers qui l’avaient pourtant déjà un peu blessée.  Enaël coupa rapidement court à sa rêverie pour poursuivre son chemin. Elle ne vit aucun escalier qui pourrait lui permettre de se monter jusqu’au toit et se mit à pester. Il lui fallait grimper jusque là-haut et dans cet exercice elle se savait moins à l’aise. Réunissant ses forces, elle prit son élan et sauta en avant afin d’agripper une poutre de la charpente qui se trouvait au-dessus de sa tête. Avec un grognement, elle parvint à se hisser laborieusement dessus de manière bien peu gracieuse. La grâce n’était pas forcément la plus grande qualité de la jeune fille, en particulier quand elle se trouvait dans cet état de compétition. La transpiration et ses vêtements sales n’étaient clairement pas dignes des filles de “bonnes familles”; mais cela tombait bien: elle n’en faisait nullement partie. Dans le milieu agricole dans lequel elle avait grandi, on ne s’arrêtait pas à ces choses superflues.

Le souffle d’Enaël s’accéléra rapidement à mesure qu’elle escaladait sur les poutres de la charpente. Ses bras la faisaient de plus en plus souffrir et ses jambes étaient de plus en plus lourdes. Contrainte, elle prit quelques secondes de pause pour retrouver sa respiration avant d’attaquer la dernière ligne droite. Elle chercha également son frère du regard mais il n’y avait aucun signe de Dernion. Elle parvint finalement à reprendre l’escalade et finit par se hisser, non sans peine, au niveau de la lucarne qui laissait passer les timides rayons du soleil matinal. La jeune fille poussa un cri de joie, elle y était enfin arrivée.

Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir , tranquillement assis sur le toit, son jeune frère. Celui-ci semblait être arrivé ici depuis plusieurs dizaines de secondes et croquait nonchalemment une pomme avec un petit sourire en coin. Il fit mine d’adopter une expression surprise en voyant arriver sa soeur.

“Ah te voilà enfin! Il ne sert à rien de courir vite si on peut utiliser sa tête. Je me demandais combien de temps cela allait te prendre; j’ai même songé à revenir te chercher pour m’assurer que tout allait bien.
-Ha...ha… très drôle...”
rétorqua-t-elle avec une moue.

Visiblement contrariée, elle croisa les bras et se plaça devant Dernion; en prenant soin de choisir soigneusement ses appuis pour ne pas glisser. Enaël aurait bien voulu l’accuser de tricherie mais comme elle l’avait elle même rappelé à son “adversaire” quelques minutes plus tôt, tous les coups étaient permis et donc aucune triche n’était possible. Décidément la capacité de ce gamin à trouver systématiquement un moyen de s’en sortir malgré ses désavantages physiques l’agaçait mais, même si elle refusait de l’avouer, elle était aussi admirative de cette capacité d’adaptation de son frère. Il était toujours capable de sortir une solution de son chapeau suite à un raisonnement qu’il prenait un malin plaisir à détailler après coup, toujours avec ce petit sourire facétieux qui le caractérisait si bien.

“Allez! Ne fais pas cette tête là! Assieds-toi! Tu veux une pomme?”

Avant même qu’elle puisse lui répondre, l’enfant lui lança le fruit qu’elle attrapa au vol. Consciente qu’il continuait ainsi à la charrier gentiment, elle s’installa pourtant à ses côtés et se mit à manger. Sa faim avait eu raison de sa fierté.

Enaël! Tu t’es blessée!”
S’exclama alors Dernion en voyant le sang qui coulait le long des avant-bras de sa soeur. Cette fois toute forme de moquerie avait disparu de sa voix, il était sincèrement inquiet pour sa soeur.

“Ce n’est rien.”
répondit-elle en s’empressant de redescendre ses manches.

Dernion haussa les épaules et se remit à déguster son petit-déjeuner en admirant l’horizon. Enaël se prêta également au jeu et son esprit se perdit dans la contemplation de ses immenses étendues vertes. Elle ferma ensuite les yeux, appréciant la légère brise qui soulevait ses cheveux dorés. Pour un mois de décembre, le temps était si agréable. Le Rude Hiver avait déréglé le climat de la région; la sécheresse avait été si forte en été que les bergers du Rohan avaient dû mener leurs troupeaux vers les territoires nains pour les faire paître. Leur père faisait partie de ces hommes. Cela faisait déjà de longues semaines qu’il avait quitté le foyer familial. Ils recevaient parfois du courrier de sa part. Des lettres qu’ils étaient encore incapables de lire mais leur mère se chargeait de leur dire ce qui y était inscrit, “Papa va bien, il sera bientôt de retour.” répétait-elle souvent. Le retour de la pluie et de la verdure dans le Riddermark à l’aube de cet hiver particulièrement doux leur avait donné l’espoir d’un retour des sheptels et donc de leur parent. Pourtant, il n’était pas revenu et ils avaient même quitté leur chaumière pour s’installer chez leurs grands-parents. Là-bas leur mère pouvait prendre soin de leur grand-mère malade tandis que leur grand-père s’était engagé à parfaire leur éducation, à commencer par l’apprentissage de l’alphabet. Incapable d’enseigner lui-même la lecture à ses petits-enfants, le vieux Eolkar voulait les emmener jusqu'en Estenmet, là où, disait-on, vivait un érudit capable de leur enseigner son savoir.

“C’est beau n’est-ce pas?”
remarqua Dernion

Des étoiles pleins les yeux, Enaël rajouta avec la passion qui se saisissait d’elle dès qu’elle abordait le sujet.

“- Magnifique même! Mais je ne veux pas me contenter de regarder ces plaines; je veux les parcourir, en long et en large. En chevauchant jour et nuit pour protéger mon royaume comme l’a fait Oncle Learamn.”

Le petit Dernion se pinça les lèvres, il n’approuvait visiblement pas les projets de son aînée.

“Mais Père dit que l’Oncle Learamn a vécu des choses terribles qui l’ont poussé à partir si loin. Je ne veux pas te voir disparaître comme lui, Enaël.”


L’adolescente reporta alors son attention sur son jeune frère d’un air attendri. Elle lui caressa affectueusement la joue.

“Ne t’en fais pas. Jamais je ne te laisserai seul; je suis plus forte qu’Oncle Learamn. Jamais je ne t’abandonnerai.”

Elle le prit alors dans ses bras avec amour et lui glissa doucement à l’oreille.

“Nous vivons une belle vie, mon frère.
-Puisse-t-elle ne jamais changer.”


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Ce si beau moment fut finalement interrompu par la voix puissante de Eolkar, visiblement mécontent d’avoir cherché les enfants pendant de longues minutes avant de les retrouver sur le toit d’un grange voisine.

Enaël! Dernion! Descendez immédiatement de là! Vous voulez vous  tuer ? Qu’est ce que je dirait à votre mère moi? Allez! Venez maintenant! Nous sommes en retard, Maître Ovadiah doit déjà nous attendre.”


Les deux enfants échangèrent un regard complice. Depuis leur départ, ils ne menaient pas la vie facile à leur grand-père  mais celui-ci cachait bien trop mal l’amour qu’il leur portait  pour que ces deux là s’inquiètent d’une quelconque punition bien sérieuse. Cette fois, ils décidèrent néanmoins d’écouter les directives de leur aïeul et redescendirent, sourire aux lèvres, dans la grange en passant par la fameuse lucarne. L’heure de la leçon était venue.
#Eolkar
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