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Nivraya
Assistante de l'Intendant d'Arnor
Nivraya

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Héritages EmptySam 20 Avr 2024 - 20:25
- Je ne vais pas y arriver. Je ne vais pas y arriver…

Nivraya essaie de respirer, fort. Son souffle rauque répond aux roues de la voiture brinquebalante, qui claquent sur les pavés de la cité d’Annúminas, tandis que dans l’habitacle les deux silhouettes sont secouées de droite et de gauche malgré les efforts du cocher pour éviter les cahots de son véhicule. L’homme à l’intérieur, gigantesque, semble totalement démuni. Il pose une main immense sur l’épaule de la jeune femme, et tente de la rassurer :

- Il faut tenir. Nous y sommes presque.

- Frey’, j’ai perdu les eaux…

Il ne répond rien, et jette un regard vers l’extérieur.

Il fait nuit noire, mais il reconnaît sans mal la place de la fontaine, et l’arche voûtée, ainsi que la boutique de l’apothicaire qui se trouve à l’angle de la rue. Ils n’en ont plus que pour quelques minutes. L’aristocrate, une main sous son ventre arrondi, une autre pressée de toutes ses forces contre le plafond de la voiture, s’efforce de garder son calme malgré la douleur indescriptible qui lui cisaille les entrailles. Une onde de souffrance généralisée, que la sage-femme appelle fort à propos « contraction », lui coupe la respiration pendant plusieurs dizaines de secondes, avant de refluer petit à petit. Pour mieux revenir.

Les mâchoires serrées, les yeux perlés de larmes, la peau rougie par l’effort, Nivraya est méconnaissable.

Soudainement, l’attelage ralentit, jusqu’à s’arrêter complètement. Les chevaux renâclent, des voix étouffées se fraient maladroitement un chemin vers l’intérieur de la voiture, témoignant d’un échange assez tendu. Le géant venu du Nord, comprenant que son concours est nécessaire, s’extrait tant bien que mal de l’habitacle, et crie quelque chose au cocher, qui lui répond penaud. Il revient, quelques secondes plus tard.

- Les gardes font quelques difficultés. Nous aurions vraiment dû faire venir l’accoucheuse à la Chambre…

- Non. Le palais est plus sûr. Dis-leur que…

Elle pousse un gémissement plaintif à fendre le cœur, au bord du malaise, incapable de finir sa phrase. Ses yeux se ferment, son pouls s’accélère. Derrière ses paupières fermées, des explosions de lumière scintillante se mettent brusquement à crépiter. Cette contraction, plus forte que les dernières, la laisse haletante et fébrile. Son acolyte hoche la tête avec gravité, et se fend d’un commentaire laconique :

- Compris.

Mû par la colère et l’impératif de protéger son employeuse, Freyloord s’avance face aux gardes du Palais d’Annúminas, qui protègent la porte principale. Deux hommes assez jeunes, protocolaires… tout ce dont n’a pas besoin la primigeste. Engoncés dans leurs armures d’apparat, armés de lances et de superbes boucliers aux armes du roi Aldarion, ce sont pourtant eux qui tremblent devant le colosse qui leur avance droit dessus, en ouvrant grand ses bras immenses aux muscles noueux.

- Gardes ! Laissez-nous passer immédiatement ! Nous avons autorisation de pénétrer dans le Palais à toute heure, il s’agit d’une affaire particulièrement urgente.

Derrière lui, les gémissements se font plus sonores. Les gardes s’interrogent du regard, décontenancés. Ce n’est pas la première fois qu’ils croisent Dame de Gardelame au Palais : pour ainsi dire, sa venue est plutôt habituelle qu’autre chose. Cependant, c’est la première fois qu’elle tente d’entrer d’y pénétrer à une heure aussi tardive, et en faisant autant de difficultés vis-à-vis d’un protocole sécuritaire qu’elle a elle-même contribué à mettre en place.

- Nous… euh… Nous aurons besoin d’un laissez-passer… Ce sont les ordres.

Freyloord le dévisage avec sévérité. À dire vrai, dans leur empressement, ils ont tout bonnement oublié le fameux sésame. Dissimulant son embarras derrière un masque autoritaire, l’homme de main de Nivraya essaie une nouvelle approche :

- Vous n’entendez pas ? La Dame de Gardelame a besoin d’entrer au Palais de toute urgence… Il en va de sa santé…

Le garde n’en mène pas large. Une partie de lui accepterait bien, mais les troubles causés par l’Ordre de la Couronne de Fer et l’assassinat des princes royaux ont largement émoussé la confiance que les gardes du Palais prêtent aux visiteurs… même lorsqu’ils s’agit de figures connues dans la cité. La sécurité des principaux dignitaires du royaume demeure la priorité absolue. Les éclats de voix attirent toutefois l’attention d’une autre patrouille, au sein de laquelle se trouve un homme nettement plus expérimenté, qui intervient pour calmer la situation. Il s’approche de Freyloord, et après avoir prêté l’oreille aux bruits qui émergent du véhicule, il souffle :

- J’ai deux enfants, mon ami. Je sais de quoi il retourne. Laissez-moi simplement confirmer son identité, et je vous laisse entrer. Je connais bien la Dame de Gardelame, nous ne souhaitons pas lui rendre la vie difficile ce soir.

- Merci… infiniment.

- Il n’y a que vous quatre ?

Le géant fronce légèrement les sourcils.

- Quatre ?

Le garde pointe du doigt la voiture, et la petite silhouette qui se tient juste à côté. Pendant un instant, le cœur du Lossoth s’arrête net. Un bref moment d’inattention, une mince seconde de déconcentration, et voilà qu’un inconnu aux intentions troubles a réussi à se frayer un chemin jusqu’à sa maîtresse en toute impunité. Il ne lui suffit que d’un geste pour ouvrir la porte. Un de plus pour trancher la gorge de Nivraya de Gardelame, et porter un nouveau coup au gouvernement de l’Arnor, déjà meurtri par tant et tant de drames.

La silhouette se tourne vers lui, dans une envolée de cheveux bruns.

- C’est trop tard ! Crie-t-elle. Le bébé arrive ! Allez chercher quelqu’un !

- A… Alyss ? Répond Freyloord, stupéfait.

Elle lui jette un regard à la fois espiègle et soucieux. Toute l’ambivalence de cette guerrière au grand cœur, boule de tendresse capable de mettre à mort à peu près n’importe qui dans la capitale des Dúnedain du Nord.

- C’est une affaire de femmes ! Ne restez pas plantés là, et allez chercher quelqu’un qui s’y connaît plus que vous autres ! Dépêchez-vous !

Les émotions du géant oscillent entre la surprise la plus totale et la joie la plus profonde. Ainsi, en dépit des mots échangés, en dépit des colères et des incompréhensions, au moment où cela compte le plus, Alyss est venue. Porté par le sentiment que les choses retrouvent peu à peu leur place, le Lossoth s’élance vers le Palais accompagné du garde qui peine à suivre ses grandes enjambées.

Trouver la sage-femme.

Cette pensée, qui tourne en boucle dans son esprit, ne suffit pas à faire disparaître le demi-sourire qu’on entrevoit sur son visage d’ordinaire stoïque.

Alyss est revenue.


#Nivraya #Freyloord #Alyss
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Nivraya
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Héritages EmptySam 4 Mai 2024 - 19:20
- Respirez, ma Dame, respirez…

- FERMEZ-LA !

La réponse de Nivraya, d’une violence qui ne lui ressemble guère, foudroie sur place la plus jeune des deux sage-femmes qui s’occupe d’elle, et qui s’empresse de s’emmurer dans un silence gêné. Tout plutôt que de se retrouver dans la ligne de mire de ces yeux d’un vert intense qui la dévisagent avec une animosité rare. Accroupie sur un lit, adossée à cette jeune assistante énergique, les jambes écartées dans une position qui reflète à la fois la vulnérabilité et la dépendance totale à autrui, tous les masques de la Dame de Gardelame tombent soudainement.

Elle n’en a cure.

Le corps tendu à l’extrême, les poings refermés si fort que ses ongles délicats semblent sur le point de déchirer ses paumes, elle lutte contre la douleur indescriptible qui la saisit. Les contractions, en comparaison, lui semblent finalement tout à fait supportables, tandis qu’elle s’efforce de ménager les oreilles des deux femmes qui tentent de l’aider à accoucher. Ses hurlements déchirants des premières heures ont cédé la place à des gémissements sourds, entrecoupés de longues plaintes, ponctuées de sanglots. Le sentiment d’être écartelée ne la quitte pas, et la pousse à supplier, à implorer qu’on la délivre de cette souffrance.

- Pitié… Pitié… Faites que ça s’arrête…

- Bientôt, ma Dame, bientôt… Vous devez continuer à respirer.

- Je respire ! Je ne fais que ça, respirer !

La novice se mord la lèvre, regrettant d’avoir tenté une nouvelle approche. Nivraya rejette la tête en arrière contre son épaule, le visage luisant de sueur et de larmes mêlées.

- Je veux mon mari… Je veux mon mari…

Elle répète cette phrase machinalement et, comme à chaque fois qu’elle songe à son absence, fond en larmes. La troisième tentative est la bonne pour la jeune sage-femme, lui vient poser une main réconfortante sur l’aristocrate, et lui adresse des paroles rassurantes :

- Tout se passe bien, ma Dame. N’y pensez guère.

Ne pas y penser. Sacré défi.

L’absence de Justar lui pèse douloureusement, car à cet instant elle aimerait qu’il la tienne contre lui, qu’il lui dise lui que tout se passe bien, et qu’elle n’a rien à craindre de ce monde. Au lieu de quoi, à la place à laquelle il devrait se tenir, ne se trouve qu’une chaise vide qui lui renvoie sa propre solitude, exacerbée par la réverbération de ses cris contre les murs du Palais. De l’autre côté de la porte, Freyloord monte la garde, toujours fidèle. Alyss, qui se ronge les ongles en observant la scène depuis un fauteuil non loin, n’a pas dit un mot depuis quelques heures. Ses yeux de chat semblent ne pas ciller, attentifs au moindre tressaillement, au moindre geste anormal. Après avoir tenu la main de Nivraya au début, elle a été contrainte de s’asseoir, car son état de panique avancé empêchait les professionnelles de travailler correctement.

Il a presque fallu l’attacher pour la garder tranquille.

Nivraya aimerait la regarder, pour puiser du courage dans sa présence retrouvée, pour se nourrir de la joie de revoir un visage familier après si longtemps, mais elle n’en a pas la force. Toute entière, elle est focalisée sur le bébé à naître, sur l’épreuve apparemment insurmontable qui l’attend encore, à en juger par la moue de la plus âgée des deux sage-femmes, qui répond au nom de Dame Helen : une femme acariâtre et revêche, sûre de son fait et stoïque face aux émotions conflictuelles de sa patiente. Nivraya en plus âgée, diraient certains.

C’est elle qui reprend la parole, avec ce même ton sec et cassant :

- Un bébé, ça ne naît pas tout seul. Il va falloir y mettre du vôtre. Continuez donc à respirer si vous voulez que ça avance plus vite.

Cependant qu’elle parle, elle pose ses mains sur le ventre arrondi de Nivraya, comme pour guider le bébé, pour l’aider à se placer dans la bonne position. Ses mains et ses gestes sont aussi doux que ses paroles sont dures. Une combinaison surprenante, qui apaise curieusement la parturiente.

- Vous êtes sûre… que tout le monde accouche comme ça ? Demande toutefois Nivraya.

- On peut aussi vous ouvrir le ventre pour le faire sortir.

Nouveau cri. Convaincue par l’argument, l’aristocrate se remet à respirer bruyamment, préférant écouter les conseils de son aînée, et ne pas donner littéralement la vie ce soir.

Le travail continue cependant durant des heures. Les accoucheuses, qui ne semblent guère inquiètes, surveillent étroitement leur patiente en prévision du moment où l’enfant sera finalement prêt à venir au monde. De manière régulière, elles viennent observer sous le drap de chasteté, échangent quelques paroles, puis repartent vérifier une énième fois le nécessaire. Elles n’ont qu’une seule patiente ce soir, mais pas des moindres.

Tout doit se passer à la perfection.

Quant à Nivraya, ses pensées rebondissent aléatoirement dans son esprit, au même rythme que changent ses émotions. Elle songe à sa vie, au sens à lui donner, à Justar, à ses beaux-parents qui seront si heureux d’accueillir un nouvel être dans leur famille. Leur sourire immense et leur grande fierté l’aident à tenir un peu. Elle pense à ses propres parents… Les larmes lui reviennent brutalement, et elle se met à sangloter :

- Je veux mes parents… J’aimerais tellement qu’ils soient là…

La petite fille en elle, trop souvent confinée à l’intérieur de cette cuirasse d’acier dont elle a fait sa personnalité, émerge elle aussi. Une Nivraya si ancienne qu’Alyss hausse les sourcils en l’entendant, surprise de retrouver alors une facette qu’elle croyait morte et enterrée. Le sujet des parents de Nivraya est un tabou absolu, même pour ses amis les plus proches… La perspective de donner naissance à leur descendance – en prenant le risque d’y laisser la vie – bouleverse ses perspectives, et lui donne le sentiment que les revoir est essentiel, une obligation morale, un devoir filial, voire un désir ardent. Pourtant, après toutes ces années… Après tout ce qu’elle leur a infligé… Ces gens qui ont accepté de la recueillir et de l’éduquer seront-ils prêts à l’accepter ? A la serrer dans leurs bras ?

Cette pensée s’envole comme d’autres, au moins aussi profondes et importantes.

Seul compte désormais le temps, et survivre à cette attente interminable dont on lui dit qu’elle est bientôt finie.

Mais en définitive, lorsqu’il s’agit des affaires de la vie, Eru seul est maître de la situation. Les contractions gagnent brutalement en intensité, et Nivraya manque de perdre connaissance, sonnée par les ondes qui la traversent. Ses poumons se vident soudainement de tout leur oxygène, et la laissent haletante, incapable de reprendre son souffle :

- Respirez, par tous les démons des Galgals, respirez ! Le bébé est là cette fois ! Poussez !

Incapable de proposer un trait d’esprit, Nivraya s’applique. Elle crie. Elle geint. Elle supplie. Elle prie tous les Valar et tous les esprits de ce monde et des autres, sans trop savoir s’ils peuvent l’aider d’une quelconque manière. Tout est bon, à ce stade.

- Poussez !

Elle pousse.

De toutes ses forces. Son corps contracté, déchiré de l’intérieur, est mû par une énergie nouvelle, instinctive, primale. Sans ce geste, elle s’en convainc, c’est la mort assurée. Alors, comme si sa vie en dépendait, elle focalise toute son énergie sur ce simple geste. A cet instant, il lui paraît qu’une amputation aurait été préférable. La penser la fait rire, au moment où elle relâche la pression.

- C’est bien, ma Dame. C’est bien. Le bébé est là, je vois sa tête. Poussez !

Elle pousse.

Nouvel effort surhumain, qui lui donne le sentiment d’être en incandescence, dévorée par des flammes qui la consument sans merci. La seconde d’après, un grand froid la saisit, et lui donne des frissons. Tout en elle se met à tourner à l’envers, l’univers entier s’agite devant ses yeux, tandis que les sons et les images se confondent. A travers les brumes de son épuisement, elle entend cependant une voix implacable tonner :

- Poussez !

Elle pousse. Une ultime fois.

Son corps se relâche presque naturellement, alors qu’un soupir de profond soulagement lui échappe. Ce n’est qu’à cet instant qu’elle se rend compte qu’Alyss est présente à ses côtés, une main sur son front. Ce n’est qu’à cet instant qu’elle prend conscience du miracle qui vient de s’accomplir. Entre les mains de son accoucheuse, un petit être tremblant qu’elle s’empresse de nettoyer et d’envelopper dans des langes propres. Nivraya l’observe longtemps, sidérée devant cet être si chétif, encore relié à elle par un cordon que la plus jeune s’empresse de trancher d’un geste expert.

- Je… Je… Waou…

A court de mots, la jeune femme se laisse aller à un sourire. Un vrai sourire, sincère, sans artifices, sans malice. Un sourire comme elle n’en avait pas laissé fleurir depuis si longtemps.

Le dernier.

Une nouvelle contraction violente la transperce tout à coup, et la renvoie au tapis. La douleur, insoutenable, lui semble presque pire que précédemment. Toutefois, ce n’est pas le choc qui l’inquiète le plus, mais bien le regard qu’elle capte immédiatement sur le visage de Dame Helen. Un regard préoccupé, comme lorsque quelque chose d’anormal est en train de se produire.

- C’est peut-être la secondine… Suggère la plus jeune, avant d’être coupée immédiatement par son aînée.

Si elle était sèche auparavant, elle devient réellement glaciale et autoritaire en s’adressant à Alyss :

- Vous, qui avez l’air dégourdie. Allez chercher des linges propres, et ramènez un autre baquet d’eau claire et tiède. Et de la décoction d’eau de rose, ainsi que du poivre et des pétales de lavande séchée. Dépêchez-vous !

Bondissant au quart de tour, Alyss s’élance comme une flèche, manquant d’arracher la porte de ses gonds tant elle l’ouvre avec force, pour s’élancer dans les couloirs en quête du nécessaire. La sage-femme, la voyant faire, ne semble pas rassurée pour autant. Elle se tourne vers Nivraya, qui souffre toujours, et lui prend le visage entre les mains avec une fermeté et une familiarité qui trahissent l’urgence de la situation :

- Ma Dame. Regardez-moi… voilà… Votre sort est désormais entre les mains de Yavanna et Vána, qui veillent sur celles qui donnent la vie. En l’absence de votre mari, les lois de ce royaume exigent que je vous le demande : quel nom choisissez-vous pour votre enfant, Dame de Gardelame ?

Les yeux écarquillés, Nivraya met un moment à comprendre.

Elle ouvre la bouche, sans qu’aucun son n’en sorte.

Elle déglutit difficilement, et entre deux gémissements, souffle :

- Vous voulez dire que…

- Ma Dame, de grâce. Ne prenons aucun risque. Un nom.
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Héritages EmptySam 25 Mai 2024 - 17:44
- Sire de Gardelame ?

La question n’en est pas vraiment une : l’époux de Nivraya, tristement célèbre pour avoir perdu un bras au combat, passe rarement inaperçu quand il paraît en société. Grand, bel homme, Justar de Gardelame est un aristocrate avenant et séduisant, qui affiche toujours d’ordinaire un sourire tranquille et apaisant. Ce soir, toutefois, il est méconnaissable. Le visage sombre, les yeux éteints, le dos voûté, il fixe le lointain comme un de ces vétérans revenant de l’enfer de la guerre, incapable de voir autre chose que la désolation et le carnage, même après être revenus à la vie civile.

Il tourne la tête si vite qu’il manque de se briser la nuque. La seconde d’après, il bondit sur ses pieds avec une raideur et une agitation qui ne lui ressemblent pas. Enfin, il semble se remémorer la préséance, les codes, et les usages.

- Votre Majesté, souffle-t-il en s’inclinant.


Dinaelin, reine d’Arnor, une des femmes les plus puissantes de ce monde, lui répond sans dissimuler sa tristesse.

- Sire, je… Je suis terriblement désolée… Toutes mes condoléances…

Le mot à lui seul, comme s’il était porteur d’une sinistre et implacable réalité, le pétrifie sur place. « Condoléances ». Il frémit. Son regard se fige, et l’espace d’un instant se remplit de larmes qui refusent de couler, retenues par un puissant déni qui l’empêche encore de réaliser l’ampleur de la tragédie. La brusque irruption de cette douloureuse vérité dans le chaos de ses pensées, hélas, dévaste le fragile édifice qu’il a tenté de construire pour se donner une contenance. Manquant de forces, les jambes soudainement cotonneuses, il s’assoit lourdement sur le banc placé là à son intention, impuissant face aux tremblements qui le traversent.

La reine prend place à ses côtés, et d’une main chaleureuse s’empare de la sienne.

- Sire…

Les mots manquent à cette souveraine si humaine. Quelques larmes coulent sur ces joues royales, pour lesquelles l’acte de sacré de donner la vie revêt un caractère aussi impérieux que douloureux. Ils restent un instant silencieux, liés par le chagrin et l’affliction. Une longue minute passe, avant que Justar ne reprenne la parole :

- Merci, votre Majesté. Il s’éclaircit la voix. Son ton est rauque. Merci d’être venue.

- Je vous en prie. Votre épouse a toujours été une présence rassurante entre les murs de ce palais, depuis mon arrivée à Annúminas. Il est normal que je sois là aujourd’hui…

Elle lève un regard vers la porte close qui les retient prisonniers à l’extérieur de la salle où l’accouchement de la Dame de Gardelame a tourné au drame. Ni les suppliques ni les menaces de Justar n’ont réussi à forcer son ouverture. La bataille pour la vie, hélas, est ponctuée de terribles défaites et de deuils impossibles. Seul le silence donne un sens à leurs émotions, et ils replongent tous deux dans une attente tout à fait insupportable.

Au bout d’une éternité, la porte s’ouvre.


Alyss, le visage hagard, apparaît devant les deux nobles qui sont déjà debout pour lui demander des nouvelles. La jeune femme aux traits haradrim tient entre les mains un linceul ridiculement petit, qu’elle manipule avec mille précautions. Elle fait une révérence élégante devant la souveraine d’Arnor, mais elle n’a pas le cœur aux formalités, et s’approche de Justar :

- Les accoucheuses ont fait de leur mieux, mais…

Les mots meurent dans son regard éploré, alors qu’elle se remet à sangloter. Elle a assisté à toute la scène, impuissante comme elle ne l’a jamais été dans son existence, réduite à prier tous les Valar en espérant qu’ils parviennent à sauver cette vie minuscule et innocente, qui n’a jamais réussi à prendre son premier souffle… à pousser son premier cri. Les larmes d’Alyss, qui n’est pourtant pas démonstrative, cisaillent le cœur de Justar, qui ne peut que s’emparer de cet enfant inerte. Il le regarde avec un mélange de colère et d’amour profond. Amour pour cet être à qui il aurait tout donné. Colère contre le monde entier, contre la vie elle-même.

- Mon fils… Lâche-t-il entre ses mâchoires serrées. Lui a-t-on donné un nom ?

Alyss lui fait non de la tête, incapable de formuler la moindre parole.

- Emblar… Conformément à la tradition de mes pères, et de leurs pères avant eux. Emblar de Gardelame…

Un instant accablé par le chagrin, il retrouve bien vite son caractère naturellement tourné vers les autres.

- Oh, Alyss…

Sans rien ajouter, et avec une familiarité qui ne peut que surprendre la reine d’Arnor, il vient serrer la jeune femme contre lui à l’aide de son bras mutilé, tenant de l’autre le corps sans vie de son enfant. Celle qui est d’ordinaire une guerrière intrépide se mue cette fois en une petite fille vulnérable, et elle referme ses bras graciles autour de la poitrine de Justar, pour y puiser un peu de réconfort. Il l’embrasse sur le sommet du crâne, et lui souffle :

- Merci d’être revenue… Merci d’avoir pris soin d’elle quand je ne le pouvais pas. Tu n’auras jamais à t’en vouloir pour ce qui s’est passé ce soir. Tu as rempli ton devoir, Alyss. Tu m’entends ? Tu as rempli ton devoir.

Elle hoche la tête, sans trop y croire. Ces paroles, toutefois, l’apaisent quelque peu. Justar profite d’une brève accalmie dans ses pleurs pour lui demander :

- Et… et l’autre ? A-t-on encore de l’espoir ?

C’est à ce moment précis que le miracle survient. Depuis la pièce où la dame de Gardelame s’est heurtée à la réalité de la vie et à la douleur de la perte la plus injuste, des pleurs leur parviennent brusquement. Des pleurs d’abord timides, puis de plus en plus forts, ininterrompus, qui donnent à leurs larmes le goût d’un sourire. La porte s’ouvre à la volée, et la jeune assistante de Dame Helen s’écrie avec énergie :

- Elle est revenue à la vie ! Elle est revenue à la vie !

Puis, constatant quelle noble assistance l’écoute avec attention, elle bafouille, se confond en excuses, s’incline maladroitement, avant de se remettre à parler à toute vitesse :

- Votre Majesté, Sire, elle est revenue à la vie ! La mère et l’enfant vont bien. Nous avons cru le pire, mais vous avez une fille, Sire. Vous avez une fille.

Justar n’attend pas.

D’un pas décidé, il pénètre dans la pièce enténébrée, où règne une odeur indescriptible de sueur, de sang, et de mort qu’il ne peut que lier à celle des champs de bataille. Nivraya, étendue sur le dos, pâle comme un cadavre, peine à garder les yeux entrouverts, même si ses doigts caressent machinalement ce petit être posé contre sa poitrine, qui rampe doucement vers son sein. Elle n’a aucunement conscience de ce qui se trame autour d’elle, et c’est ce que Dame Helen entend préserver avec toute l’autorité que lui confère sa science.

Elle arrête net Justar et Dinaelin, en leur intimant le silence, avant de souffler :

- Cette femme a eu un des accouchements les plus difficiles qu’il m’ait été donné de vivre… Laissez-la se reposer quelques minutes, laissez cette petite fille apprendre à connaître sa mère. Je veux que vous restiez silencieux, et que vous respectiez ce moment privilégié.

Elle leur indique plusieurs sièges, installés dans la pièce, où ils prennent place, penauds. La curiosité de Justar n’est cependant pas totalement satisfaite, et tandis que ses yeux ne quittent pas la silhouette éthérée de Nivraya, il demande à voix basse :

- Ma fille… Lui a-t-on donné un nom ?

Dame Helen acquiesce :

- Nous avons cru perdre mère et enfant, ce soir. Nous avons procédé comme d’habitude, en l’absence de mari, et avons insisté pour que la mère nous donne un nom, afin que le bébé puisse au moins prétendre à un héritage le cas échéant.

Elle lui tend un morceau de papier qu’il déplie, et lit à haute voix :

- Valeria Sancha Delagli de Gardelame.

- Un nom très étrange, si vous voulez mon avis, précise l’accoucheuse.

- Notre famille a des liens très anciens avec les régions du Sud, et il est de coutume chez nous d’honorer cet héritage lointain.

Dinaelin se penche vers le morceau de papier, intriguée par ces sonorités qui ne ressemblent ni à ce qu’elle connaît de Dale, ni aux sons plus rugueux qui lui viennent de l’Arnor. L’histoire de la famille de Gardelame semble également l’intéresser, et elle demande avec candeur :

- Sancha… Cela a-t-il un sens pour vous ?

- Cela signifie « sainte ». Nous avions discuté de ce nom, car c’était celui de ma grand-mère, Sancha Barbara de Gardelame. Une personne d’une grande douceur, et d’une droiture morale exceptionnelle.

- Je vois… Et Delagli ? Je n’ai jamais entendu ce mot.

Justar hésite davantage cette fois.

- C’est de toute évidence une inspiration soudaine de Niv’, que l’on pourrait le traduire par « fille de l’aigle ». Je lui souhaite d’hériter de toutes les qualités de ce noble animal.



#Justar
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