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Sujet: Fendre l'armure
Ryad Assad

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Rechercher dans: Albyor   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Fendre l'armure    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 17 Sep 2020 - 17:33

Un assassin.

C’était ce que Learamn était devenu en l’espace d’une seconde, quand il avait pris la décision de mettre fin à une existence pour en sauver une autre. Pas au cours d’un duel honorable l’épée à la main, pas à la suite d’un accident ou d’un geste involontaire… non. Il avait délibérément ôté la vie d’un homme sans défense. Toutes les justifications qu’il pouvait essayer d’apporter ne changeraient rien à la sinistre vérité.

En entendant la voix du Rohirrim qui l’appelait, Kryv était descendue précautionneusement, pour découvrir la scène de crime. Elle avait retenu un cri d’horreur, et avait fiché ses yeux dans ceux déterminés de Learamn, qui la dévisageait avec un mélange de rage contenue et d’indifférence. Étrange entre-deux dans lequel il semblait se complaire. La mort qu’il venait de donner ne paraissait pas l’émouvoir particulièrement, comme si les doigts griffus de Melkor glissaient sur ses épaules, sans parvenir à l’attirer dans le royaume de la culpabilité.

- Vous l’avez tué ? Demanda-t-elle sans y croire tout à fait.

Pour une devineresse, elle semblait particulièrement surprise. A croire que les actions de Learamn n’entraient pas le spectre de ce qu’elle pouvait prévoir. Elle se donna une contenance en dépit de la situation, et s’avança vers le corps de l’homme étendu par terre. Il avait le regard pétrifié dans sa dernière expression, la terreur et l’incompréhension. Curieux que d’afficher un air aussi perplexe à sa dernière heure, quand on vivait au quotidien avec une femme capable de voir le futur. L’ironie de la situation était d’une rare violence, teintée du carmin qui s’infiltrait dans le parquet soigneusement entretenu. A genoux devant lui, Kryv lui ferma délicatement les yeux… Elle n’avait jamais aimé l’homme, mais elle n’avait jamais haï son existence au point de lui souhaiter une telle mort.

- Adieu, fit-elle sur un ton difficile à cerner. Si vous m’aviez laissé regarder votre avenir, j’aurais peut-être pu vous éviter une fin aussi tragique…

Ce n’était pas de la compassion que l’on devinait dans sa voix. Plutôt un « je vous l’avais dit » qu’elle lui lançait comme pour lui reprocher de n’avoir jamais voulu d’elle autre chose que l’argent qu’elle pouvait lui rapporter. Elle lui adressa une brève prière en rhûnien, avant de se redresser, le regard résolu.

- Nous ne devons pas rester ici, les murs d’Albyor ont des yeux, et qui sait quels malheurs s’abattront sur vous si on vous identifie comme le responsable de tout ceci. Venez, je connais une sortie discrète.

Liés.

Ils l’étaient désormais, par le sang versé, et par leur fuite commune dans les rues d’Albyor, le souffle court, un œil dans leur dos pour s’assurer que personne ne les suivait. Sans qu’il en ait pleinement conscience, l’univers de Learamn venait de basculer.


~ ~ ~ ~


- Lâm-Su.

La voix de Thrakan les sortit de leurs pensées tumultueuses, tandis qu’il pointait du doigt la silhouette solitaire de ce qui ressemblait à une tour de garde dressée sur les rives du fleuve. Le colosse se retourna vers ses compagnons, pour s’assurer qu’ils ne dormaient pas en selle, et jeta un coup d’œil particulièrement peu sympathique à Kryv, dont la présence au sein de la compagnie n’était pas pour lui plaire. Il avait fallu tous les talents de négociatrice d’Ava et la bonhommie de Khalmeh pour le convaincre d’accepter sa présence à leurs côtés. Learamn s’était porté garant pour la devineresse, ce qui n’était certainement pas un gage suffisant pour le Fléau de l’Ouest.

Il avait finalement accepté de mauvaise grâce de la laisser prendre part à leur mission, considérant qu’elle était la responsabilité de Learamn, et qu’il tiendrait ce dernier pour responsable si quelque chose devait mal tourner. Il n’y avait rien à ajouter au sujet, les deux hommes n’étant pas désireux d’abandonner leurs positions respectives. Kryv chevauchait ainsi parmi eux, ayant troqué sa tunique de devineresse pour un vêtement un peu plus discret de voyageuse. Elle ressemblait à une aventurière comme les autres, mais son regard ne trompait pas : il y avait de la sorcellerie chez cette femme. Thrakan se retint de cracher au sol pour conjurer le mauvais sort.

++ C’est une ancienne tour de garde de l’armée d’Albyor ++ Fit-il en rhûnien en mettant délibérément Learamn à l’écart de la conversation. ++ Elle date d’avant l’ère de Sharaman, et servait à contrôler l’accès du fleuve en amont, pour éviter les attaques. C’était là que s’arrêtait l’autorité d’Albyor ++

Il entendit derrière lui Ava qui faisait la traduction, ce qui l’agaçait moins qu’au début de leur voyage, mais qui n’était pas pour lui plaire. Les efforts qu’elle était prête à consentir pour intégrer cet étranger à leur groupe et, plus largement, à leur culture, le mettaient mal à l’aise. Il préférait voir les gens de l’Ouest morts ou réduits en esclavage. Il avait combattu souvent contre eux, à la fois en tant que soldat et en tant que mercenaire quand il avait quitté les rangs de l’armée régulière. Il savait de quoi ces monstres étaient capables, et il n’appréciait pas de savoir qu’un Rohirrim marchait à ses côtés. La seule raison pour laquelle il acceptait sa présence était que la Reine en personne l’avait ordonné.

Revenant à son observation, il pointa du doigt la route qui menait paresseusement à Lâm-Su.

++ Pendant la Guerre, Lâm-Su a été le lieu d’une grande victoire. Beaucoup des nôtres sont morts là où nous allons marcher. La tour a longtemps servi à protéger le fleuve, mais au début du règne d’Alâhan, elle a progressivement perdu sa fonction. Aujourd’hui, on n’y trouve que quelques administrateurs chargés de lever les taxes de la cité, dont le régent de Lâm-Su. C’est à l’embouchure de la Mer du Rhûn que l’on trouve les troupes royales, désormais. ++

Les connaissances de Thrakan sur la région étaient encyclopédiques, et révélaient une facette du guerrier qu’il n’avait pas encore révélée, et qui ne manquait pas d’étonner quand on connaissait son caractère habituellement taciturne. En réalité, Thrakan avait passé de nombreuses années stationné à Albyor et dans sa région quand il était encore soldat. Ce n’était pas l’affectation idéale, on la réservait en général aux fortes têtes et aux soldats qui avaient fait preuve d’insubordination. Il avait passé huit ans ici, et il connaissait bien les environs de la ville pour avoir patrouillé un nombre incalculable de fois dans ces plaines. Puisque son domaine d’expertise était la guerre, il était particulièrement bien informé sur l’histoire militaire de cette partie du royaume. L’entendre parler ainsi était rassurant, et donnait le sentiment qu’ils savaient où ils allaient.

Ils chevauchèrent encore quelques heures, découvrant un peu plus Lâm-Su et les vestiges de l’impressionnant système défensif, à la lueur du soleil déclinant. Un vieux mur d’enceinte, dont il ne restait plus que quelques sections intactes, entourait la tour de garde à proprement parler, qui s’élevait sur cinq niveaux – à en juger par le nombre de fenêtres. Elle surplombait la région, et permettait de voir de très loin les navires remonter le fleuve. Des meurtrières permettaient à des archers embusqués de tirer dans toutes les directions, et pendant un bref instant ils se sentirent à la merci de quiconque pouvait se trouver à l’intérieur. Personne ne leur tira dessus, fort heureusement, mais ils furent hélés par un homme qui se trouvait à l’entrée du fort, et qui leur demanda de s’identifier sans délai.

Thrakan se tourna vers Ava, la plus diplomate de toutes, qui se chargea de faire la conversation, et d’obtenir les autorisations nécessaires. On fit chercher le régent de la tour de garde, qui descendit pompeusement et examina les compagnons des pieds à la tête, avant de regarder le document royal officiel que lui tendait la « Femme de la Reine ». Tout ce protocole de vérification minutieuse laissait de l’espace aux membres de la compagnie, et Khalmeh fit signe à Learamn d’approcher.


- Mon ami, j’ai une demande à vous faire…

Il parlait tout bas, observant de loin Thrakan et Ava qui discutaient avec l’administrateur en chef de Lâm-Su.

- Quand nous serons autorisés à monter à bord, trouvez un prétexte, n’importe quoi… j’aimerais bien que vous puissiez voir quelle est la nature de cette cargaison. Je sais qu’on ne devrait pas, mais j’ai l’impression qu’Ava nous cache quelque chose… Juste un petit coup d’œil rapide, hein ? Rien de méchant.

Il accompagna sa requête d’un sourire entendu, puis retrouva son sérieux quand Ava revint vers eux, visiblement satisfaite :

- Nous avons obtenu l’autorisation de procéder au contrôle du navire. Le sceau royal a encore de la valeur ici, contrairement à ce que vous pouviez penser Khalmeh. Leur seule requête est que nous ne pénétrions pas dans la tour, pour des raisons de sécurité. Nous pouvons nous installer dehors, et ils nous feront signe quand le navire approchera.

Khalmeh avisa les environs. Un grand espace vide bordé d’un côté par les restes du mur, et de l’autre par la tour et le fleuve. Un bâtiment en bois qui servait d’écuries, et un autre dans lequel étaient stockées quelques vivres. Tout à coup, leur auberge d’Albyor leur manqua, elle qui avait au moins un toit et un matelas relativement confortable. Cela s’apparentait au grand luxe, en comparaison des conditions dans lesquelles ils allaient devoir attendre. La terre était sèche et dure, poussiéreuse, et parsemée de petits cailloux qui leur rentreraient dans les reins s’ils essayaient de s’allonger. Ils s’installèrent rapidement, montant un camp de fortune pour passer le temps, en attendant l’arrivée du navire. Khalmeh s’en alla nourrir son Uruk, Kryv s’absorba dans une contemplation méditative du fleuve, Thrakan s’appliqua à affûter son épée, et il ne resta plus – comme souvent – que Ava et Learamn.


- J’ai du mal à croire que nous soyons déjà arrivés si loin, lâcha-t-elle, pensive. Lâm-Su, le navire, et nous serons en route pour Blankânimad avant d’avoir pu y songer. Vous pourrez trouver une bien meilleure situation une fois que vous aurez rempli votre devoir au nom de la Reine, sachez-le. Elle peut paraître impitoyable, mais elle sait récompenser à leur juste valeur ceux qui la servent bien.

« Et punir de manière exemplaire les autres… » se retint-elle d’ajouter. Elle espérait de tout cœur que la générosité de Lyra lui permettrait de retrouver le cours normal de son existence. Pour tuer le temps, en attendant de pouvoir poursuivre leur mission, elle reprit les exercices avec Learamn, vérifiant sa coordination, sa motricité, sa souplesse, et évaluant les nouveaux axes de travail qu’elle entendait définir. Elle le fit danser un peu, sans qu’il fût très clair si cela participait de sa rémission ou si c’était simplement pour le plaisir de présenter une facette très différente de lui devant leur nouvelle compagne de route. Ils rirent un peu, se racontèrent des histoires au coin du feu, et firent preuve d’inventivité pour se divertir, allant jusqu’à confectionner une balle avec quelques fétus de paille qu’ils trouvèrent là.

Les heures passèrent, tissées patiemment par Melkor qui prenait de toute évidence un malin plaisir à les faire languir. Le jour descendit progressivement à l’Ouest, là où se trouvait la terre natale du jeune Rohirrim. En suivant la trajectoire de l’astre solaire, il pouvait deviner à peu de choses près où étaient les siens, le royaume qu’il avait quitté. Derrière lui, là où s’étirait son ombre de plus en plus grande, se trouvait la capitale du Rhûn, et sa nouvelle maîtresse. La perspective d’entrer à son service était-elle toujours aussi alléchante désormais qu’il parcourait son royaume et accomplissait sa volonté ? Devrait-il retourner à Albyor si la souveraine l’exigeait ? Ou pourrait-il se prélasser dans le confort indécent de Blankânimad ? A moins qu’il fût envoyé affronter de nouveaux ennemis dont il ignorait tout… Le Rhûn recelait encore bien des mystères.

++ Navire en vue ! ++

Une voix forte résonna au sommet de la tour de garde, et tout à coup Lâm-Su s’agita. Les administrateurs étaient une demi-douzaine, pour la plupart des comptables et des experts de la négociation fluviale, chargés d’examiner les marchandises, leur prix, et de définir la taxe correcte à appliquer. Ils se pressèrent comme des souris sur le ponton près duquel le navire devait s’arrêter. La petite compagnie menée par Ava s’approcha à son tour du fleuve, pour découvrir leur cible. C’était une grande barge de transport à fond plat, conçue pour circuler sans difficulté dans les eaux les moins profondes, et ainsi remonter les fleuves en toute tranquillité. Quelques hommes s’affairaient sur le pont, signalant leur présence par de grands gestes du bras. Ils mirent un moment à arriver, et furent accueillis par une délégation qui comprenait à la fois les administrateurs du poste de garde, ainsi que la compagnie d’Ava.

++ Bonjour capitaine, j’espère que vous avez fait bon voyage ++ Lança le régent. ++ Ces hommes sont ici au nom de Sa Majesté Lyra, avec un mandat pour récupérer une partie de votre cargaison. Ils l’achemineront personnellement à Blankânimad… ++

La traduction de Kryv permit à Learamn de comprendre la réaction agacée du capitaine, et la brève négociation qui suivit. Décharger la cargaison, cela impliquait un retard à l’arrivée, qui ne plairait certainement pas à ses clients, ni à ses hommes qui avaient hâte de rejoindre enfin leur foyer. Surtout, le capitaine espérait toucher une part de la somme convenue pour le transport de la marchandise. Si elle n’arrivait pas à destination, il ne serait pas payé, et aurait fait tout ce voyage pour rien. La maigre compensation financière que lui offrirait Ava ne vaudrait jamais l’argent qu’il aurait pu gagner lui-même à Albyor. Il voulut lui-même vérifier le document que portait Ava, et se montra intraitable dans l’observation du sceau royal, essayant de déceler s’il pouvait s’agir d’un faux.

Pendant qu’il procédait à cet examen minutieux, Khalmeh se tourna discrètement vers Learamn, et lui adressa un signe de tête, comme pour l’enjoindre à aller examiner la cargaison. C’était le moment où jamais.


~ ~ ~ ~


Les entrailles puantes du navire n’étaient pas un endroit charmant, et Learamn devait s’habituer à la fois à l’obscurité oppressante et à l’odeur de renfermé qui rendait le tout irrespirable. Des formes mouvantes se déplaçaient dans les ombres, probablement des rats qui habitaient les cales et filaient pour échapper au halo de lumière sur le point de les cueillir dans leur tanière. L’équipage était composé de quelques marins expérimentés venus d’un peu partout, et de rares passagers qui venaient des rives de la Mer du Rhûn et avaient acheté un transport peu cher – et peu confortable – pour Albyor et les terres orientales du royaume.

C’était Ezziz qui lui avait raconté tout ça.

Le capitaine lui avait ordonné d’accompagner Learamn, visiblement content de trouver une occupation à cet homme qui parlait beaucoup, et qui semblait ne jamais manquer de faire un commentaire ou une remarque sur tout ce qu’il ne comprenait pas – c’était à dire, beaucoup de choses. Il venait du Harad, et était arrivé au Rhûn deux ans auparavant, où il était entré au service de plusieurs employeurs, avant de prendre part à une grande expédition vers l’Ouest. Il évoqua un comptoir commercial, quelques tensions politiques entre le Rhûn et ses voisins… beaucoup de choses qui n’avaient pas d’importance, et qui n’avaient rien à voir avec la conclusion de son histoire : son retour au Rhûn sur ordre de son employeur.

Ezziz était décidément bien bavard, mais toujours de bonne humeur, et surtout il parlait mieux le Westron que la plupart des Rhûnedain, ce qui signifiait qu’il était plus facile d’entretenir une conversation avec lui. Curieux comme, sur ces terres lointaines et méconnues, deux étrangers venus de contrées bien différentes pouvaient soudainement se trouver avoir beaucoup plus en commun qu’ils ne le pensaient.

- Ouais, fit-il en arrivant dans une section du navire qui ressemblait à toutes les autres, c’est bien la cargaison qu’on va devoir débarquer. Par Melkor, ça va demander un sacré boulot, vous n’imaginez même pas. Je comprends pas pourquoi on n’attend pas d’arriver à Albyor, on aurait plus de bras pour la sortir, on se fatiguerait moins.

Le marin avait raison, et Learamn n’imaginait pas à quel point. Il y avait devant eux un assortiment de caisses de belle taille, qu’il faudrait au moins quatre hommes pour manipuler sans difficulté. Elles étaient de forme régulière, et il serait possible de les empiler dans le chariot et, à condition de les attacher solidement, de prendre la route. Cependant, un problème subsistait : leur nombre. Il y en avait bien plus qu’il ne pouvait les compter, soigneusement empilées dans le ventre du navire, attendant d’être déchargées par des mains bien plus nombreuses que les leurs, et transportées par un convoi plus important. Le calcul était simple. Vu leur taille et leur poids, il faudrait au moins deux chariots comme le leur pour acheminer l’entièreté de la marchandise. Deux chariots vides, ce qui impliquait de devoir se débarrasser de la cage de l’Uruk d’une manière ou d’une autre… Ava était-elle au courant de cette première difficulté, qui semblait déjà insurmontable ? Comment le dire ?

Alors que Learamn observait la cargaison, il y eut de l’agitation au dehors. Un homme fit quelques pas dans les cales :

- Ezziz ! Ezziz !

Le Haradrim répondit dans une langue qui mélangeait plusieurs influences, mais qui ne ressemblait certainement pas au rhûnien que Learamn entendait depuis son arrivée ici. Peut-être un idiome partagé entre marins Haradrim ? Quoi qu’il en fût, le dénommé Ezziz qui l’accompagnait s’excusa platement :

- Désolé monsieur, je dois aller voir ce qui s’passe. Je reviens tout de suite.

Et il s’évanouit sans rien ajouter, laissant Learamn et sa lanterne, seuls au milieu du navire. Il avait tout le loisir de faire ce qu’il souhaitait. Jeter un coup d’œil discret à la cargaison, comme le lui avait recommandé Khalmeh ? Ou bien se comporter comme un fidèle de la Reine, ne pas poser de questions et simplement faire son devoir. C’était ce qu’aurait fait Ava, assurément. Il n’avait pas beaucoup de temps pour contempler ses options et prendre une décision, car Ezziz pouvait revenir à tout moment, et qui pouvait dire ce qu’il penserait de le voir penché sur le contenu d’une de ces caisses mystérieuses ?


~ ~ ~ ~


C’était Thrakan qui les avait repérés le premier. Il lâcha un juron particulièrement élaboré dans propre langue, maudissant son inattention, et celle de tous ceux qui se trouvaient là. L’arrivée du navire et la relative sécurité qu’induisait la proximité d’Albyor avaient probablement fait retomber la vigilance des administrateurs de Lâm-Su. Si la sentinelle au sommet de la tour avait fait correctement son travail, au lieu de regarder les tractations qui se déroulaient en contrebas, elle aurait probablement pu repérer depuis fort longtemps l’arrivée d’un groupe de cavaliers qui venaient de l’Est. De la Cité Noire. Impossible de dire combien ils étaient, ni quelle était leur allégeance. Des réguliers de l’armée royale venus pour leur prêter main-forte ? Des Miliciens en patrouille dans la région ? Ou bien, comme il le pressentait, une menace bien plus sournoise et diffuse ? Tout ce qu’il pouvait dire, c’était qu’ils allaient vite, et qu’ils étaient nombreux. Plus nombreux que les six membres de sa petite compagnie.

Une partie de lui espérait que ce ne serait qu’un malheureux hasard, des hommes envoyés hors des murs d’Albyor pour une toute autre raison – pour appréhender des esclaves en fuite, ou bien pour essayer de capturer des trafiquants. Cependant, il ne croyait plus aux coïncidences depuis longtemps. On les avait suivis jusqu’ici, et les raisons ne pouvaient être qu’inquiétantes.

++ Ava ! ++ Rugit-il. ++ Ava ! Amène les chevaux ! ++

La jeune femme était encore affairée à négocier avec le capitaine, et elle ne comprit pas immédiatement ce que lui disait le Fléau. Il fallut qu’il lui désignât les cavaliers qui approchaient dans la pénombre pour que son cerveau fît le lien.

++ Merde ! Capitaine, ces hommes en ont probablement après votre cargaison. Au nom de Sa Majesté Lyra, ils ne doivent pas s’emparer, est-ce clair ? ++

Le malheureux hocha la tête. C’était un marin, un marchand qui avait déjà dû manier le sabre deux ou trois fois pour sauver sa vie, mais qui n’était certainement pas un soldat. Cette histoire le dépassait. Il fit appeler ses hommes pour les rassembler et définir avec eux la marche à suivre. Il ignorait s’il devait reprendre la route vers Albyor, ou bien laisser la « Femme de la Reine » résoudre ce problème. En l’absence d’ordres, il se contenta de dire à ses marins de prendre leurs armes, et de se rassembler autour de lui. Pendant ce temps, Thrakan continuait à distribuer ses directives. Les administrateurs, qui devaient évaluer la marchandise pour prélever les taxes, paraissaient ne pas savoir quoi faire.

++ Hors de mon chemin ! ++ Tonna-t-il en les repoussant du bras. ++ Kryv ! Allez chercher Learamn ! Dépêchez-vous ! Khalmeh ! Khalmeh ! Bon sang, mais où êtes-vous !? ++

Il le chercha du regard, sans trouver trace de lui. Il n’était ni près du bateau, ni près de la tour. Près du camp ? Près de la porte ? Occupé à prendre la fuite comme le lâche qu’il était ? Thrakan se retourna, mais ses yeux avisèrent une scène qui le figea sur place. Ava s’était élancée pour récupérer les chevaux et les mettre en lieu sûr. Ils étaient leur seule garantie de pouvoir s’échapper si nécessaire, et elle en avait parfaitement conscience. Alors, appliquée comme d’habitude, elle avait fait en sorte de détacher une à une chaque monture, au lieu de simplement trancher leurs brides pour les guider à l’abri.

++ Ava ! ++

Ce fut tout ce qu’il trouva la force de crier, au moment où les cavaliers pénétraient en masse par les brèches dans le vieux mur d’enceinte. Le vacarme des sabots de leurs chevaux était terrible, et donnait envie de claquer des dents. Ils soulevèrent un nuage de poussière en freinant, tandis que leurs bêtes poussées à l’extrême s’étaient mises à renâcler et à piaffer. Le Fléau nota immédiatement que ce n’étaient pas des soldats. Pas d’équipement régulier, ni d’armure distinctive. Ils n’avaient même pas l’air de Miliciens. Plutôt d’une bande de maraudeurs armés, trop organisés pour être de vulgaires bandits cependant. Le guerrier se retrouva instantanément séparé de Ava, qui était présentement de l’autre côté de la cour. Entre lui et elle, une quinzaine d’hommes, et d’autres encore qui arrivaient à la suite des premiers, lourdement armés. Ils repérèrent la jeune femme, et lui barrèrent la route sans rien tenter encore. Tout dépendrait des ordres qu’ils recevraient.

Le chef des cavaliers avisa la situation d’un seul coup d’œil et, vit venir l’administrateur en chef qui descendait à sa rencontre, l’air particulièrement contrarié. En effet, il n’était pas habituel de pénétrer ainsi à Lâm-Su, et ces hommes auraient besoin d’une justification solide pour légitimer leur présence en si grand nombre en ces lieux. Le meneur de la compagnie lui lança dans un rhûnien très approximatif :

++ Je suis Durno, je viens en le service de Jawaharlal. Vous… Arrêter tout de suite ! Ces hommes se être des mensonges. Ils sont être des voleurs ! ++

L’administrateur fronça les sourcils devant cette pathétique tentative de l’impressionner. L’homme était de toute évidence un étranger, à en juger par son vocabulaire limité et son air clairement originaire d’Outre-Anduin. Ce misérable osait lui donner un ordre ? Inconscient du danger que représentaient ces nouveaux venus, il rétorqua avec une belle assurance :

++ Je suis le régent de Lâm-Su, et je ne réponds qu’à Sa Majesté la reine Lyra, et au gouverneur Hagan, pas aux suppôts de Jawaharlal et à ses supposés représentants. Rangez vos armes, et retournez dans votre antre, avant que je ne fasse appeler la garde qui viendra vous châtier ! ++

Des paroles fort braves, qui signèrent l’arrêt de mort du malheureux. Thrakan, n’eut pas le temps de réagir, que déjà le dénommé Durno dégainait son arme et l’abattait sur le crâne qui s’offrait à lui en sacrifice. La mort emporta cette première âme avant que quiconque eût compris exactement quels étaient les tenants et les aboutissants de cette affaire. Il était certain, toutefois, que la confiance était du côté des Melkorites qui semblaient agir en toute impunité, sans se soucier outre mesure des conséquences. La lame dégoulinante de sang frais vint se pointer vers les autres administrateurs.

++ La volonté de Melkor, loué soit-Il ! Nous sont être les représentants de Jawaharlal, le Grand Prêtre ! Écartez ou mourez-vous ! ++

Ils s’exécutèrent, comme tout le monde à Albyor. L’autorité grandissante de Melkor n’était pas prise à la légère, et si ces hommes pouvaient tuer un représentant du gouverneur sans sourciller, alors les vies de vulgaires exécutants n’avaient aucune valeur.

++ Bien… ++ Fit Durno, avant de reprendre en Westron à l’attention de ses hommes qui étaient tous, à l’évidence, étrangers au Rhûn. Maintenant arrêtez-moi ces chiens, nous les amènerons devant le Grand Prêtre qui sera sans doute curieux de savoir pourquoi ils s’intéressent à ses affaires. Allez !

Deux hommes descendirent de selle, et se dirigèrent vers Ava. Cinq autres firent de même en direction de Thrakan, qui était certes beaucoup plus impressionnant et méritait une attention toute particulière. Une dizaine d’autres mit le cap sur le navire, où les marins qui tremblaient de peur paraissaient hésiter quant à la marche à suivre. Mourir ne faisait certainement pas partie de leur programme du jour, et les deux Haradrim qui composaient l’équipage reculaient déjà pour éviter d’être pris pour d’éventuels obstacles.

Juché sur sa monture, Durno observait la situation avec le calme qui le caractérisait. Une concubine royale et son escorte, en route pour Lâm-Su afin de récupérer la précieuse cargaison… Il avait reçu le message dans la journée, d’un informateur qui parlait vite et de manière pas très claire, mais qui avait tout de même réussi à lui transmettre la substance du message. Les détails n’étaient pas très importants dans ce genre d’histoire, et il avait filé sans tarder, en bonne compagnie, paré à toute éventualité.

Une vingtaine d’hommes pour appréhender deux ennemis de Melkor.

Rien de plus simple.

#Ezziz #Durno
Sujet: Fendre l'armure
Ryad Assad

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Rechercher dans: Albyor   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Fendre l'armure    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 9 Aoû 2020 - 14:08

Melkor.

Ce nom à lui seul semblait doté de pouvoirs presque magiques, comme si le prononcer à voix haute suffisait à convoquer les pouvoirs du sinistre ennemi du monde, le grand destructeur, que les Hommes de l’Est semblaient pourtant vénérer comme leur principale figure religieuse. Le culte de Melkor existait depuis des siècles, et s’était mêlé à des pratiques animistes, les rites évoluant d’une région à l’autre. Depuis qu’il avait pénétré au Rhûn, Learamn avait pu constater que les Orientaux étaient aussi divers que pouvaient l’être les Hommes de l’Ouest de l’Anduin, et même s’ils se référaient explicitement au même dieu, en réalité la situation était bien plus complexe. Pouvait-on véritablement affirmer que les prêtres d’Albyor vénéraient la même entité divine que des gens aussi doux qu’Ava, ou aussi irrévérencieux que Khalmeh ? Chacun semblait avoir sa propre opinion sur le sujet.

Toutefois, Learamn se trouvait présentement dans l’endroit où la puissance du Dieu Sombre était certainement la plus importante en Terre du Milieu, et là où les litanies sacrées pouvaient passer pour de curieux mais innocents traits folkloriques à Blankânimad, ici le culte était pris très au sérieux. Ils devaient faire preuve d’une prudence de tous les instants.

Kryv lut dans le regard de Learamn qu’il comprenait les implications de cette révélation, et hocha la tête avec satisfaction. Désormais qu’il voyait le danger se profiler, il serait en mesure de se battre convenablement, de discerner plus facilement ses amis de ses ennemis, et de sortir vivant de la souricière dans laquelle il était enfermé. La mission confiée par Lyra n’était pas aisée, pour sûr, mais désormais qu’il en devinait les contours, il lui serait plus facile d’affronter les ténèbres qui rampaient ici.

Toutefois, Learamn était plein de surprises, et alors que Kryv espérait avoir satisfait sa curiosité, elle haussa les sourcils quand il lui fit une proposition qu’elle ne pouvait pas refuser. Sa loyauté totale, en échange de sa liberté ? Elle ignorait les implications d’une telle promesse, mais au fond de son cœur, elle savait que Learamn était un homme bien plus droit et honnête que ses maîtres le seraient jamais. Il ne la trahirait pas. Elle mit de longues secondes à réagir, avant de finalement revenir à elle, comme si pendant un bref instant elle s’était abandonnée dans ses pensées les plus profondes. Gracieusement, elle s’inclina en posant un genou à terre, baissant la tête comme le faisaient les esclaves. La liberté n’était pas, hélas, quelque chose qu’elle avait intégré :

- Je vous en fais la promesse. Vous aurez ma loyauté, aussi longtemps que je vivrai, je serai votre obligée.

Kryv sentit un poids étonnant peser sur ses épaules, alors qu’elle prenait cet engagement. C’était la première fois de sa vie qu’elle décidait par et pour elle-même, et elle ressentit la force de ce virage existentiel. Elle aurait voulu remercier chaleureusement l’étranger à qui elle venait de jurer allégeance sur la foi de ses visions et de ses convictions, mais elle en fut incapable, saisie par l’émotion.

La première pierre était posée.


~ ~ ~ ~

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Ava s’était fait un sang d’encre en sachant Learamn seul avec la devineresse, et elle ne cacha pas son soulagement lorsque cette dernière quitta la pièce. Involontairement, elle jeta un regard mauvais à cette dernière, qui baissa les yeux devant une telle hostilité. Ava ne l’aimait décidément pas, et ne lui pardonnerait pas d’avoir joué un tour aux dépens de son patient. Khalmeh, qui perçut la tension latente, invita la « Femme de la Reine » à entrer.

Learamn semblait aller bien, et il avait même retrouvé des forces par rapport à quelques instants plus tôt. Le mal qui l’avait soudainement plongé dans l’inconscience s’était dissipé, comme le brouillard des matins d’hiver, impénétrable et aussi épais que de la laine, s’évanouissait avec la brise venue de la mer. Il avait l’œil vif, le pas sûr, et son discours était aussi précis et cohérent qu’à son habitude.

Cohérent, mais guère rassurant.

Ava jeta un regard éberlué à Learamn, comme s’il venait de lui demander s’ils pouvaient inviter Jawaharlal lui-même à rejoindre leur petite troupe.

- Elle ? Elle ? Vous n’y pensez pas, Learamn. Vous voudriez faire confiance à une femme comme elle, esclave de surcroît ? Non, non, oubliez cette idée saugrenue et dangereuse. Nous avons des choses bien plus importantes à régler.

L’avis d’Ava était particulièrement tranché, ce qui lui ressemblait assez dans un sens, mais il semblait y avoir autre chose derrière ses paroles. Les vestiges d’une inquiétude bien légitime, et une méfiance profondément ancrée qui la mettait en garde contre une personne dotée de pouvoirs de vision et de la capacité à ensorceler son prochain. Learamn s’était évanoui, mais Ava se souvenait parfaitement de toute la scène : cette femme qui d’un seul regard avait fait basculer un fier guerrier du Rohan, envoyé par la reine Lyra. Pouvait-elle reproduire son exploit à volonté ? Pouvait-elle, à elle seule, briser l’élan de leur mission, et mettre un terme à l’ambition de Lyra de récupérer ladite cargaison ?

Qui pouvait le dire ?

Ils revinrent effectivement à des affaires plus urgentes, notamment à Thrakan qui était parti en éclaireur. Ava invita Learamn à s’asseoir, pour lui faire un petit récapitulatif de la situation :

- Thrakan n’est pas encore revenu, mais il nous a fait parvenir un message. Un coursier est venu le déposer à l’attention de Khalmeh. D’après ses informations, la cargaison remonte le fleuve, et est attendue au poste de garde de Lâm-Su après-demain, dans la matinée. C’est le dernier point de contrôle sur le fleuve avant d’entrer dans l’aire d’influence d’Albyor. Il n’est même pas tenu par des militaires, mais par des administrateurs locaux, des bureaucrates chargés de lever quelques taxes pour l’entretien du bac. D’après Thrakan, c’est notre meilleure chance, car le navire sera obligé de faire un bref arrêt. Nous pourrons en profiter pour négocier avec le capitaine, récupérer la cargaison au nom de la reine, et repartir en direction de Blankânimad en évitant soigneusement Albyor.

L’explication d’Ava était rassurante, et donnait l’impression que cette mission ne serait rien de plus qu’une formalité. En réalité, elle omettait un certain nombre de détails, que Khalmeh se plut à rappeler sur un ton léger :

- Bien sûr, c’est si tout se passe bien, si les administrateurs se montrent dociles et flexibles, ce qu’ils sont toujours, c’est bien connu. Oh et c’est à supposer que le capitaine, qui a probablement dû recevoir des consignes concernant la marchandise, accepte de nous la livrer sans difficulté. Il y a plus de chances que nous soyons obligés de nous faire entendre les armes à la main, alors n’essayez pas de faire passer ce que nous allons faire pour une vulgaire promenade. Dites plutôt que nous allons nous livrer à de la piraterie en bonne et due forme.

Ava jeta un regard agacé à Khalmeh, avant de revenir à Learamn :

- Nous sommes investis de l’autorité royale. Il n’est pas question de piraterie. Ceux qui ne voudront pas se plier à nos requêtes seront, de facto les pirates. Nous sommes ici pour mettre à exécution la volonté de Sa Majesté, rien d’autre.

Une justification habile, à n’en pas douter.

- Voilà, reprit Ava, vous savez tout. Nous partons demain à l’aube, afin de chevaucher tranquillement et d’arriver à Lâm-Su à temps. Des questions ?

#Ava #Khalmeh
Sujet: Fendre l'armure
Ryad Assad

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Rechercher dans: Albyor   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Fendre l'armure    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 19 Juin 2020 - 17:40
A peine étaient-ils arrivés à Albyor que la ville avait déjà refermé son emprise sur eux. Ils étaient soumis au rythme infernal de cette fourmilière et, mus par leur désir de ne pas s'éterniser à l'ombre des montagnes, s'empressaient de délibérer sur la meilleure solution à apporter aux problèmes auxquels ils devaient faire face.

La situation était, fort heureusement, sous contrôle.

Les grandes lignes de leur plan d'action avaient été décidées assez rapidement, Ava insistant pour agir le plus vite possible, afin de ne pas laisser leur fameuse cargaison pénétrer dans la Cité Noire, d'où elle estimait qu'il serait difficile de la faire sortir. Conformément à l'avis de Learamn, il fut donc entendu qu'ils tenteraient de récupérer la marchandise dont ils ne savaient encore rien à l'extérieur de la ville, afin de limiter les risques d'être dérangés par les autorités locales. Hélas, cette simple considération était en soi inquiétante : imaginer que les principales forces d'Albyor pouvaient se retourner contre eux était préoccupant, et témoignait de la faiblesse du pouvoir de Lyra dans cette ville. Quand on connaissait l'aura de la reine orientale, et la puissance de son bras armé, il fallait craindre ceux qui osaient la défier et échapper à la mainmise qu'elle avait de droit sur ces terres. Khalmeh était, des trois, le plus mesuré. Il considérait qu'agir en-dehors de la ville était un risque inutile, mais il ne voulait pas s'opposer à l'opinion générale, et se rangea de mauvaise grâce à l'avis des deux autres. Après tout, si quelque chose venait à mal tourner, il pourrait toujours accuser Ava d'en être responsable, ce qui lui convenait très bien.

La question de l'Uruk fut également décidée, et l'avis de Learamn pesa lourd dans la balance cette fois encore. Les bons sentiments de la « Femme de la reine » ne pouvaient pas tenir longtemps face à la compétence militaire du jeune homme, qui était en l'absence de Thrakan leur meilleur expert sur ce genre de choses. Il assumait son rôle avec une autorité qui trahissait les responsabilités qu'il avait eu à endosser auparavant, ce qui n'échappa à aucun de ses deux compagnons. Même s'il avait été privé de sa cape et de son armure, Learamn demeurait au fond un meneur d'hommes, et cela ne s'éteindrait pas si facilement. C'était un trait de caractère qui était ancré profondément dans son âme, forgé dans les flammes de la guerre civile qui avait déchiré le Rohan. Ava, était une guérisseuse de grand talent, et elle avait pour elle l'autorité officielle de la reine. Khalmeh était un érudit pétri de savoirs, qui en savait aussi long sur l'histoire, la géographie et la politique que sur les combines et les manigances cachées. Aucun des deux, pourtant, ne pouvait se targuer d'être un combattant aguerri, d'avoir déjà affronté la mort la plus effrayante droit dans les yeux, seul et loin de chez lui, et d'en être revenu. Learamn avait traversé les flammes de la guerre et les horreurs les plus innommables, ce qui lui donnait le calme et la maîtrise nécessaires pour affronter n'importe quelle situation.

Cela constituait un atout précieux dans leur mission.

Pourtant, si Learamn était un meneur d'hommes, il était bien loin de maîtriser aussi aisément ses relations avec les femmes. Celles de l'Est, en particulier, le désarçonnaient régulièrement, et chaque fois qu'il s'habituait à leur caractère, il en découvrait une autre qui lui rappelait à quel point elles étaient différente de celles de l'Ouest. Pour ainsi dire, Kryv était différente de toutes les femmes, même de celles qui vivaient sur ces terres orientales méconnues. Était-ce lié à son don particulier, ou à son attitude à la fois pleine de confiance et curieusement distante ? Elle avait toujours rendu les gens autour d'elle nerveux, et le jeune Rohirrim n'échappa guère à la règle.

Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! Kryv10

Sa réaction lui tira un bref sourire.

Elle s'était glissée à la table de ces trois conspirateurs, les seuls de toute l'assistance qui semblaient se soucier de toute autre chose que du spectacle qu'elle offrait aux clients de la Tulipe Noire. Ce n'était pas un affront pour lequel elle leur tenait rigueur, mais il était évident que, du fait de sa renommée et de son talent, ce genre de comportement était pour le moins inhabituel. Il n'en avait pas fallu davantage pour piquer sa curiosité, et pour venir faire une petite démonstration à ces élèves dissipés.

La réponse de Learamn était pour le moins attendue : le doute était normal, la moquerie encore davantage. Elle avait déjà vu bon nombre d'hommes et de femmes afficher leur méfiance et leur dédain vis-à-vis de ses talents de devineresse. Les gens comme elle étaient le plus souvent perçus comme des excentriques, qui vivaient de bonnes paroles et de prédictions génériques. Il fallait dire que beaucoup de devins se comportaient ainsi, et prétendaient avoir un pouvoir alors qu'ils se contentaient de bien peu de choses.

Kryv comprenait.

Pourtant, elle ne considérait pas son acte comme une imposture. Elle était, comme un certain nombre de personnes de par le monde, touchées par un don unique et précieux qui lui permettait d'échapper aux limitations du commun des mortels. Chaque culture expliquait cela à sa manière, et elle ne se targuait pas d'avoir compris ou de détenir une quelconque vérité. Elle savait seulement que le monde qu'elle voyait n'était pas celui que tout le monde percevait. A mesure que les années s'étaient écoulées, elle avait appris à peaufiner ce talent, au point de voir ce que les autres appelaient « l'avenir », et ce qu'elle même considérait comme une révélation évidente. Learamn n'était qu'un sceptique de plus…

Ou pas.

Elle l'observa longuement, de ce regard perçant qu'elle réservait à ses meilleurs clients. Elle voyait sa résolution, teintée d'une aisance de circonstance qui lui venait de longues années de certitudes qu'il confortait au quotidien en se persuadant que magie, prédictions et autres boniments n'étaient que des tours soigneusement préparés pour épater les badauds et récolter quelques piécettes. Cependant, elle ne pouvait pas faire semblant de ne pas voir son malaise, le léger tremblement au coin de ses lèvres. Elle décelait les modulations inhabituelles de sa voix, qui révélaient la profondeur de son… angoisse ? C'était souvent l'effet que produisait Kryv sur les gens, quand elle leur parlait de leur avenir. On pouvait la prendre pour une folle, on pouvait la prendre pour une menteuse, mais quelque part, l'aiguillon de la vérité s'insinuait derrière toutes les défenses, et même l'armure la plus solide avait une faille. Une faille qui se résumait en une phrase simple.

« Et si elle disait vrai ? »

Kryv ne s'épuisait jamais à convaincre quiconque. Elle se contentait de dire ce qu'elle ressentait, et de laisser les faits parler pour elle. Sa réputation la précédait pour une raison, et elle s'amusait toujours de voir ceux qui résistaient à l'inévitable, sans pour autant chercher à l'éviter. Curieuse posture de vie, que de nager toutes ces années à contre-courant, tout en niant l'existence du fleuve. La devineresse savait s'y prendre avec les incroyants.

Il ne lui fallut qu'un sourire.

Un sourire, et une incantation prononcée à voix très basse, très grave, dans un rhûnien ancien et mélodieux. Elle glissa l'index sous le menton de Learamn, comme le ferait une mère avec son enfant, et l'amena à plonger avec elle dans les flots tempétueux du destin et du monde…


~ ~ ~ ~


- Learamn ? Learamn ? Vous allez bien ?

Le jeune homme ouvrit les yeux pour découvrir le visage de Khalmeh penché sur lui. Il avait les sourcils froncés, et la pénombre ambiante ne parvenait pas à dissimuler la lueur préoccupée dans son regard. Ava se tenait à ses côtés, un peu en retrait, l'inquiétude peinte sur ses traits. Elle paraissait gigantesque, mais c'était parce que le jeune homme était allongé, dans son lit, une serviette imbibée d'eau sur le front. Les bruits étouffés de la salle commune leur parvenaient depuis le plancher. Ils entendaient des rires, des chants, des danses et des vivats. De toute évidence, la soirée touchait à sa fin. Les clients semblaient ravis.

- Bon sang, vous m'avez fait peur ! Soupira la « femme de la reine ». Vous voulez boire quelque chose ?

Sans même attendre sa réponse, elle lui servit un verre d'eau glacée. Sa main tremblait tellement qu'elle dut s'y reprendre à deux fois pour simplement remplir le petit récipient en terre cuite. Elle demanda à Khalmeh de le tendre à Learamn, incapable de maîtriser son malaise, qui semblait la transpercer comme une lance. Une telle réaction était particulièrement curieuse chez une femme aussi calme et expérimentée qu'Ava. Elle n'avait jamais cillé devant les blessures, n'avait pas semblé incommodée par l'odeur de l'Uruk, et voilà qu'elle frémissait comme la dernière feuille d'un chêne, battue par le vent automnal. L'esclavagiste, un peu plus pragmatique, paraissait se contrôler, mais il était blême lui aussi. Son regard n'était pas rassuré, et il examinait son compagnon de voyage avec le même air qu'il avait en général vis-à-vis de l'Uruk. Il le dévisageait pour essayer de déceler des signes de blessures, physiques ou mentales.

- Vous vous êtes évanoui, mon ami, lança Khalmeh sans détour, en répondant à la question silencieuse du Rohirrim. Je peux vous dire que vous avez animé la soirée, il a fallu qu'on joue des coudes pour vous ramener dans votre chambre. Tout le monde voulait voir ce qui vous arrivait. Et cette devineresse en a eu pour son argent, on s'est bousculé pour obtenir une prédiction après que vous ayez… réagi… ainsi.

Ava secoua la tête :

- Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé. Vous vous souvenez de quelque chose ? Vous êtes resté inconscient une bonne heure, comme si vous aviez été empoisonné…

La jeune femme avait longuement veillé sur Learamn, et avait employé tous ses talents de guérisseuse pour essayer de déterminer l'origine de son mal. Elle avait conclu qu'il était simplement plongé dans un profond sommeil, agité de rêves qui faisaient bouger ses yeux derrière ses paupières closes. De toute évidence il s'agissait de rêves très intenses, car il s'était débattu légèrement quand on l'avait installé dans son lit. Rien de grave pour autant.

Finalement, Ava s'était avouée vaincue, et avait décidé d'attendre un peu pour voir quels seraient les effets secondaires de son évanouissement. A l'évidence, Learamn semblait aller bien, il était capable de parler, de penser logiquement et de bouger. Le mystère s'épaississait, mais au moins le cavalier était-il en bonne santé. C'était déjà ça. Khalmeh et elle essayèrent de tirer quelques informations à Learamn, pour comprendre d'où lui était venue sa réaction à la fois impressionnante et inquiétante, mais aussi – sans s'en cacher véritablement – pour savoir en quoi avaient consisté les visions qu'il avait pu avoir.

De toute évidence, ils s'étaient interrogés pendant qu'il était inconscient, et étaient impatients de connaître la réponse.

Leur conversation fut interrompue par quelques coups discrets frappés à leur porte.

C'était Kryv.

Ava se figea en la voyant entrer, tandis que Khalmeh se levait, prêt à se défendre si nécessaire. Tous les deux étaient méfiants, mais la femme eut un geste d'apaisement à leur endroit.

- Je viens seulement prendre des nouvelles, rassurez-vous. Je ne lui veux aucun mal.

Elle avait pris la peine de parler en Westron, afin de ne pas exclure Learamn de la conversation. Ava nota ce détail dans un coin de sa tête, et répondit dans la même langue :

- Je sais bien, mais il est encore fragile. Je ne vous laisserai pas faire un de vos drôles de tours sur lui ce soir.

- Je veux juste discuter avec lui. En privé, s'il-vous-plaît. Je vous donne ma parole qu'il ira très bien.

Kryv savait se montrer convaincante, et les deux compagnons de route de Learamn tombèrent bientôt à cours d'arguments, tant et si bien qu'ils furent contraints de la laisser seule avec l'ancien capitaine. C'était de mauvaise grâce, mais ils firent comprendre à l'ancien officier qu'ils resteraient tout proches, et qu'au moindre problème ils interviendraient. Kryv referma la porte derrière eux doucement, et lorsque ce fut fait, elle lâcha un soupir de soulagement.

- Je suis désolé pour tout ça, Learamn…

Elle lui parlait avec une familiarité déconcertante, comme si elle le connaissait depuis toujours. Le fait d'employer librement son nom ainsi renforçait ce sentiment de proximité. En trois pas, elle fut à ses côtés, et elle s'assit délicatement sur le lit, posant une main sur son front pour surveiller sa température.

- Tout le monde ne réagit pas pareil à la mandragore. Je dois dire que je ne m'attendais pas à ce que vous succombiez si… intensément.

La mandragore… C'était une plante particulièrement puissante, que les gens du Rhûn utilisaient avec précaution tant elle pouvait être dangereuse. Elle détenait des propriétés redoutables, et avait notamment la faculté de provoquer l'endormissement d'un individu. Kryv jeta un regard vers la porte, puis revint à Learamn :

- Il fallait que je trouve un moyen pour que nous puissions parler seul à seul. Il n'était pas prudent que vos compagnons entendent ce que j'ai à vous dire, et je ne pouvais pas me libérer de mes maîtres sans une bonne excuse.

C'était un détail pour la devineresse, qu'elle avait laissé échapper sans y penser, mais elle était effectivement une esclave. Esclave de luxe, certes, dont la renommée assurait à ses propriétaires des revenus confortables, mais une esclave néanmoins. La liberté ne lui serait jamais rendue, assurément, et plus son don se manifestait, plus elle devait travailler pour enrichir son maître. La petite démonstration de ce soir, dont Learamn avait été à la fois l'objet et la victime, avait rapporté gros, et faisait partie des tours qu'elle réservait pour les grandes occasions.

Le destin ne se manifestait pas toujours de manière spectaculaire, et il fallait parfois forcer un peu les choses. Pour plaire à la foule.

- Je sais que vous ne croirez pas un mot de ce que je vais vous dire, mais je dois vous le dire néanmoins. J'ai vu votre arrivée, Learamn, il y a de ça bien longtemps. Votre avenir tout entier n'est pas écrit, mais certains passages le sont. Et si je suis ici, c'est que votre avenir me concerne, moi.

Elle le fixa sans ciller, comme pour lui prouver qu'elle croyait dur comme l'acier dans ce qu'elle venait de lui révéler :

- Nous sommes liés, vous et moi. Liés d'une manière unique et indescriptible. Vous êtes celui qui va me libérer, Learamn. J'ignore comment vous vous y prendrez, mais je le sais.

Elle parlait comme si elle évoquait un événement certain, et le ton de sa voix ne laissait pas de place au doute. C'était de toute évidence une certitude pour elle, mais pour des raisons curieuses elle avait estimé qu'il était de son devoir d'en informer l'ancien capitaine. Elle ne jugea pas utile de s'en expliquer, et ajouta :

- Avant que vous quittiez Albyor, beaucoup de choses auront changé. Vous aurez un rôle à jouer dans tout cela, oui. Votre histoire se répète, ici aussi, comme un miroir. Mais cette fois, vous ne la fuirez pas. Mais dites-moi, si vous le voulez bien. Qu'avez-vous vu dans vos rêves ?

#Ava #Khalmeh #Kryv
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 25 Mar 2020 - 17:34

Blessés.

Ils l'étaient tous les deux, à leur manière. Courageux, fous peut-être, ils continuaient à avancer dans la direction que leur indiquait le bras tendu de la souveraine du Rhûn. Là-bas, à l'Ouest, se dessinait un espoir fugace. Fragile. Bousculé par la brise estivale qui galopait en silence sur les grandes plaines de ces terres orientales. L'espoir d'enfin pouvoir construire une vie meilleure. Pour elle, retrouver l'être aimé. Pour lui, donner un sens nouveau à son existence. Et pour tous les deux, oublier le passé qui s'accrochait à leur esprit comme les épines d'un roncier s'accrocheraient à leur cape.

Alors ils luttaient, insensibles aux coupures, à la morsure irritante de leurs souvenirs. Tête basse, ils espéraient voir l'épais taillis s'éclaircir une fois qu'ils auraient traversé Albyor, et qu'ils auraient enfin contenté la suzeraine de ces terres.

Albyor.

L'espoir.

Deux idées qui n'allaient pas aisément de pair…

Pourtant, en dépit de leur destination, Ava s'efforçait de garder espoir en l'avenir, et de regarder vers l'horizon en songeant à des jours meilleurs. Quand la nuit venait la saisir au fin fond de sa solitude, et lui rappeler cruellement son impuissance, elle se laissait aller aux larmes et à un bref désespoir, mais elle s'efforçait de chasser les ténèbres de son cœur en convoquant l'espoir. Une arme à double-tranchant, qu'elle aurait probablement dû manier avec davantage de précautions. Il lui était donc difficile, voire insupportable, de voir son compagnon de route dans un tel état. Lui qui se trouvait loin de chez lui, seul, ne pouvait pas céder au désespoir. Il ne le devait pas.

S'il choisissait cette voie, alors Albyor lui offrirait ce qu'il réclamait sans oser le formuler : la mort indigne qu'il estimait mériter pour ses échecs, pour ses crimes, pour ses manquements et pour toutes les fois où il ne s'était pas montré à la hauteur de l'homme qu'il imaginait être.

- Vous n'êtes pas perdu, Learamn…

Les mots étaient maladroits, incertains. Ava s'en voulait terriblement d'avoir plongé le guerrier dans davantage de tourments en l'appelant varka. Elle aurait dû se douter qu'il céderait à sa curiosité dévorante, et qu'il irait se renseigner par lui-même. Nul doute que son acolyte esclavagiste lui avait décrit la nature de ces créatures sous le jour le plus défavorable qui fût. Elle aurait voulu s'expliquer, se justifier… peut-être même s'excuser. Elle n'en trouva pas la force, et préféra à nouveau regarder vers l'avenir :

- Vous êtes un guerrier, cela se voit. Peu importe à quel point j'essaie de vous faire ressembler à un danseur…

Un sourire triste illumina son visage un bref instant, alors que la lune les recouvrait de sa pâle lueur.

- Si vous pensez que vous ne méritez pas la présence d'une femme à vos côtés, si vous pensez ne jamais être digne d'être un bon père, alors vous pouvez sans peine mettre votre lame au service du Rhûn. Ce royaume vaut aussi bien qu'un autre, après tout. Serrez-moi contre vous.

Elle l'avait senti reculer légèrement, comme s'il craignait de la blesser ou de soudainement ressentir de violentes pulsions. Ava percevait cependant sa respiration, et elle le devinait parfaitement calme. Son agitation était due à sa tristesse, mais il n'y avait aucune colère en lui. Il finit par s'exécuter, et elle demeura silencieuse pendant quelques instants. Il y avait fort longtemps qu'elle n'avait pas été prise dans des bras amicaux ainsi, avec la certitude de pouvoir parler sans être jugée. Elle devinait, à la maladresse du cavalier, qu'il y avait bien longtemps qu'une femme ne s'était pas lovée ainsi contre lui. Ni l'un ni l'autre n'osait le dire, mais ils redécouvraient tous les deux le partage, la tendresse et la simplicité d'une étreinte pure et désintéressée. Il avait voyagé trop longtemps avec un cadavre en sursis. Elle-même avait voyagé trop loin avec des souvenirs en décomposition… Ils avaient tous les deux besoin de ressentir la vie, le battement d'un cœur près du leur. Ava inspira, avant de reprendre :

- Votre flamme ne s'est pas non plus éteinte, Learamn. Je la sens encore, juste ici.

Elle mit un index sur son cœur.

- Protégez-la, le temps qu'elle grandisse de nouveau. Vous êtes un guerrier, après tout, alors battez-vous pour défendre ce qu'il reste de votre âme.

Ils se murèrent dans un silence contemplatif, que le guerrier finit par rompre pour lui montrer les constellations. Ava leva le nez. Elle avait toujours apprécié les étoiles, qui lui donnaient l'impression d'être des gardiennes bienveillantes. Les gens de son peuple leur demandaient conseil, et attendaient d'elles des signes favorables pour entreprendre certaines actions. Elle ne croyait que modérément dans les conseils célestes, mais elle appréciait leur présence rassurante. Chaque fois qu'elle les observait, elles lui rappelaient son foyer, loin à l'Est de Blankânimad.

Learamn lui apprit involontairement quelque chose qu'elle ignorait, en dessinant du bout de son doigt le tracé de la constellation du Méaras. Elle aurait juré que les étoiles n'étaient pas les mêmes à l'Est et à l'Ouest, et elle fut très surprise de constater que le jeune guerrier semblait tout aussi à l'aise à déchiffrer l'architecture céleste que s'il avait été dans son jardin. Cette pensée était très réconfortante… cela signifiait que malgré toutes les différences qu'ils pouvaient entretenir, tous les peuples du monde déambulaient sous le même ciel.

Ava aurait voulu l'interroger sur son pays natal, pour savoir encore ce qui les rapprochait et ce qui les distinguait. Elle voulait comprendre pourquoi tout à coup son âme semblait vibrer au même rythme que celle de cet étranger, alors que tout aurait dû les opposer. La souffrance était-elle la même à l'Est et à l'Ouest ? Les Hommes d'ici et d'ailleurs pleuraient-ils de la même manière ? Partageaient-ils les mêmes chagrins, les mêmes peines… mais aussi les mêmes espoirs ?

Elle ne trouva pas comment lui demander tout ça. Il y avait tant de choses qu'elle aurait voulu qu'il lui dît, tant de choses qu'elle aurait voulu entendre. Cependant, elle savait que les mots risquaient d'ouvrir de nouveau la plaie qu'il essayait péniblement de refermer. Alors elle puisa dans son silence les réponses à questions. Elle se nourrit à la source de sa respiration profonde, et lut dans le regard qu'il jetait vers l'Ouest, les yeux dans le vague. Elle décela dans tout ce qu'il ne disait pas l'amour sincère qu'il éprouvait dans son pays, et elle comprit.

Le Rohan était sans nul doute une terre magnifique.

Elle se pencha pour embrasser le guerrier sur la joue, et déplia ses jambes fuselées :

- Bonne nuit, Learamn.

Son tour de garde s'achevait, et elle devait se reposer en préparation de la longue journée du lendemain. Ce baiser timide avait le parfum des fruits des bois, et la douceur de la soie. Ava n'ajouta pas un mot, et se laissa happer par le sommeil. Celui-ci fut le plus plus profond et le plus réparateur depuis bien longtemps.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 18 Mar 2020 - 13:47

Ava sécha ses larmes précipitamment.

Son attitude avait changé du tout au tout quand elle avait entendu des bruits de pas derrière son dos, et elle s'était presque fait le reproche d'avoir cédé à la tristesse alors que ses compagnons de route étaient si proches. Quelle idiote !

Elle resserra la couverture qui l'enveloppait autour de ses épaules, et se laissa approcher comme un petit animal méfiant par celui qui ne pouvait être que Learamn. Thrakan aurait fait un bruit digne d'un auroch, tandis que l'Uruk et Khalmeh n'auraient même pas pris la peine de se lever pour s'enquérir de son état. Alors il ne restait que lui, l'étranger, le varka… Venait-il se délecter de la souffrance qu'elle éprouvait au fond de son cœur ?

Était-ce comme ça que lui et les siens fonctionnaient ?

Il s'assit à côté d'elle sans rien dire d'abord, et elle s'efforça de contenir ses deux instincts contradictoires. Le premier l'inclinait à se lever et à s'éloigner de cet homme, pour qu'il ne vît pas la faille béante dans son âme, qu'il ne devinât pas la souffrance indicible qui la transperçait chaque fois qu'elle laissait ses pensées vagabonder. Le second, plus pur encore, l'incitait à se rapprocher de cette chaleur humaine qu'il dégageait, à rechercher contre son épaule la perspective d'un bref réconfort. La sensation rassurante d'être protégée.

Tiraillée entre deux forces égales, elle demeura parfaitement immobile, calant sa respiration sur la mesure d'une chanson calme qu'elle connaissait bien.

Un bref frisson la parcourut quand elle sentit que l'homme allait prendre la parole. Elle l'imaginait cavalier, direct, aussi délicat qu'un bélier. Elle le voyait déjà lui demander de tout raconter, de confier sa vie et ses secrets à celui qui demeurait, pour elle, un inconnu. Elle leva involontairement sa garde, parée, prête à se défendre, et fut surprise quand elle constata que Learamn ne semblait pas être ici pour l'interroger.

Au contraire, il semblait seulement vouloir… partager ?

Il lui parla de son enfance, de ses rêves étoilés, d'une ambition juvénile et innocente qui lui paraissait aujourd'hui bien loin. Ava n'eut aucun mal à imaginer Learamn plus jeune, intrépide et courageux comme tous les gens de son espèce, mais aussi rêveur et indiscipliné comme seuls l'étaient les âmes les plus créatives. Elle le voyait enfant, les mains croisées derrière la tête, allongé dans un champ, à essayer de repérer chaque étoile et de l'ajouter à sa liste mentale. Elle le voyait, les paupières de plus en plus lourdes, se recroqueviller sur lui-même pour préserver la chaleur… ses yeux fermés, sa respiration profonde, ses petits poings serrés pour retenir le plus longtemps possible le rêve dans lequel il était plongé.

Il lui parla de son père, de sa mère, et elle devina leur visage. Un homme simple, droit, un travailleur honnête espérant faire de son fils une personne respectable. Une femme douce, tendre, soucieuse, s'efforçant de donner tout l'amour possible à un fils qu'elle ne voulait pourtant pas trop couver. Elle se représentait leur regard rassuré et amusé quand le père était entré dans la maison, portant le jeune Learamn dans ses bras. Elle voyait presque leur humble chaumière, réchauffée par un feu accueillant. Elle apercevait le lit dans lequel il fut déposé, et la douce chaleur du foyer familial.

Une larme solitaire quitta son regard.

- Votre vie vous manque.

Ce n'était pas une question.

Plutôt un constat. Une évidence, en réalité. Il y avait tant de souffrance et de nostalgie dans les paroles du guerrier qu'elle devinait le chemin parcouru pour en arriver là, sur les lointaines terres du Rhûn où il n'aurait probablement jamais rêvé de se trouver. Elle avait dit « votre vie », et non pas « votre pays », car elle percevait également qu'il avait souffert, là-bas. Il n'avait pas évoqué sa vie d'adulte, son engagement, les femmes qu'il avait pu côtoyer, les rêves qu'il avait pu entretenir une fois que la vie d'adulte s'était imposée à lui.

Non.

Il avait évoqué une vie simple, une vie modeste.

Une vie sans épée au côté, sans ennemi à l'horizon. C'était cette vie qui semblait le rendre nostalgique… Cette vie paisible… La quiétude d'un maison transmise de générations en générations, le côté rassurant d'une famille aimante et toujours présente. Depuis combien de temps Learamn n'avait-il pas vu son village ? Depuis combien de temps n'avait-il pas vu sa famille ? Reverrait-il un jour les siens, ou mourrait-il comme un inconnu indésirable dans les sinistres rues d'Albyor, la Cité Noire ?

Elle se sentit tout à coup désolée.

Désolée de devoir utiliser cet homme pour atteindre son objectif. Il aurait été tellement plus facile pour elle de ne rien savoir, de seulement l'imaginer être un barbare occidental, un rustre sans éducation, sacrifiable, dispensable, un parmi tant d'autres. Hélas, plus elle apprenait à le connaître, plus elle décernait une personnalité qui méritait d'être rencontrée, apprivoisée, connue.

Le rapport de force entre ses deux instincts évolua légèrement, et elle se rapprocha de Learamn, collant son épaule contre la sienne. Un bref contact qui l'apaisa étrangement.

- Vous avez quitté votre vie pour une bonne raison, Learamn du Rohan. Et je suis certaine que vous avez fait des choses bien, même si vous semblez hanté par les horreurs que vous avez pu voir.

Les mots coulaient de ses lèvres comme un torrent de vérité, et cela ne pouvait pas être un hasard. Elle ne parlait pas en l'air, elle exprimait une idée tout à fait précise qui faisait écho à quelque chose qu'elle avait pu voir elle-même. Les yeux d'un soldat plongeaient trop souvent dans le regard d'un ennemi, et voyaient la haine, la colère, un désir de survivre si fort que seule une lame en acier pouvait y mettre fin…

Mais les yeux d'une guérisseuse n'avaient-ils pas également vu leur lot de malheurs ?

- Un jour, vous trouverez la paix, Learamn. Vous le méritez. Alors, vous trouverez le chemin vers un foyer… Vous cultiverez votre terre, vous aimerez votre femme, vous élèverez vos enfants… Vous vous détournerez de tout ça…

D'un geste de la main elle embrassa le paysage qui s'étendait devant eux.

- Le monde est plus vaste que vous le pensez. Votre cœur aussi. Vous trouverez.

Elle s'interrompit sur ces paroles bien énigmatiques. Qu'avait-elle vu ? Que ne pouvait-elle pas dire ? Learamn ne put retenir sa curiosité, et avec douceur il l'incita à parler… non pas pour la juger, pour la blâmer ou pour lui faire comprendre qu'elle porterait à tout jamais la faute commise. Non. Simplement pour l'aider. Elle le devina dans son attitude, dans son ton… et pour une raison qu'elle ignorait encore, elle se laissa aller à lui en révéler un peu plus sur elle.

- Je le crois, oui, répondit-elle dans un souffle à la dernière question de son compagnon de voyage. Je ne sais pas… Je ne sais plus… Je me raccroche à un espoir qui n'en est peut-être pas un, une folie, car si je ne continue pas à avancer envers et contre tout, alors… à quoi bon ?

Elle marqua une pause, et lâcha un profond soupir. Son corps se refusait à pleurer de nouveau devant Learamn, et elle digéra sa souffrance :

- Je suis la seule personne à pouvoir le sauver. Avec Thrakan, évidemment. Peu importe les sacrifices, je dois y parvenir. Je ne peux pas imaginer vivre sans lui.

Sa poitrine se serra, et elle eut l'impression qu'une lance venait de la transpercer. Elle serra les dents, ferma les yeux et parvint péniblement à faire refluer ses émotions déchaînées. Elle posa la tête sur l'épaule de Learamn, et demeura ainsi sans rien dire. Les yeux rivés sur l'horizon, elle n'avait qu'une envie : arriver à Albyor le plus rapidement possible.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 24 Fév 2020 - 20:27

En voyant Learamn se masser le pied, Khalmeh ne put s'empêcher de sourire.

Le jeune vagabond ne s'en était probablement pas rendu compte, mais tous ses adversaires du jour s'étaient fait un devoir de ne pas lui laisser la moindre chance. Fierté orientale, sans doute. Ils en plaisantaient dans son dos, jugeant de ses compétences médiocres en la matière, même si quelques uns appréciaient d'avoir pu montrer leur culture à cet étranger que Khalmeh leur avait présenté comme étant « acceptable ».

Les gens d'ici étaient orgueilleux, rudes et parfois brutaux, mais ils prenaient un plaisir certain à montrer les meilleurs aspects de leur monde à Learamn. Comme si, isolés et déconsidérés par les « Peuples Libres », ils voulaient absolument lui démontrer la supériorité de l'Est sur l'Ouest. Alors, leur arrogance prenait des airs de vulnérabilité touchante, et leur rudesse se transformait en un maladroit besoin de reconnaissance. Ces hommes avaient longtemps vécu dans l'ombre de voisins plus puissants, et luttaient ardemment pour être reconnus comme un peuple à part entière, digne de prendre sa place en Terre du Milieu.

Khalmeh lui-même s'était pris au jeu, et se faisait un devoir de montrer à Learamn la culture orientale telle qu'il l'expérimentait lui-même. Loin des champs de bataille, loin de la guerre, des épées et du fracas des lances. Les gens du Rhûn se levaient, travaillaient, mangeaient, riaient, dansaient et buvaient comme tout autre peuple. Ils avaient leur humour – particulier –, leurs coutumes – déroutantes –, et leurs propres merveilles dont ils se délectaient. Certains des paysages de la Mer de Rhûn étaient à couper le souffle, de même que la vue de Blankânimad quand on approchait de l'Ouest et que l'on découvrait cette cité fourmillante de vie.

La fierté des Orientaux n'était pas toujours mal placée.

- Tout le plaisir est pour moi, mon ami, répondit Khalmeh sur un ton assez solennel qui ne lui ressemblait guère.

Il s'assit aux côtés du Rohirrim, et lui posa une main amicale sur l'épaule :

- Grâce à vous, je pourrai peut-être payer ma dette, et retrouver la vie qui m'a été arrachée. C'est plutôt moi qui devrais vous remercier. Pour un homme de l'Ouest, vous faites preuve d'une grande ouverture d'esprit, et vous ne semblez pas nous haïr autant que vos compagnons.

Le sourire de l'esclavagiste revint, ouvrant son visage comme une fenêtre donnant sur un monde enjoué. Même quand il parlait des sujets les plus graves, Khalmeh savait toujours le faire avec légèreté : peut-être parce qu'il avait vu tant d'horreurs dans sa vie qu'il avait appris à savourer les petits riens, les conversations anodines dans la quiétude de cette capitale si fermement tenue par la main de fer de Lyra que rien ne semblait les menacer.

Il aimait Blankânimad, et il ne rêvait que d'y revenir habillé de beaux habits, retrouver son secrétaire, son fauteuil confortable, ses livres et la douceur d'un quotidien routinier mais sûr.

Le monde lui avait toujours paru plus agréable ainsi.

Learamn, cependant, le ramena à la réalité et à la dernière épreuve qu'ils devaient affronter avant leur départ. Albyor, la Cité Noire. Et Ava, cette femme si mystérieuse que Khalmeh ne supportait guère. Il sourit une nouvelle fois en entendant le conseil de son ami du Rohan, et éclata franchement de rire quand ce dernier ponctua sa phrase d'un regard malicieux. Décidément, ce gamin était amusant :

- J'ai peut-être un différend avec elle, mais je ferai en sorte de l'oublier le temps de notre mission. Elle devra simplement apprendre à composer avec mon insupportable caractère, et la rudesse des gens des routes que nous sommes. Vous pensez bien, une femme comme elle n'a rien à faire avec des hommes de notre espèce. Car vous avez raison, Ava est une très belle femme, même selon les standards locaux.

Il pouffa pour lui-même, laissant le temps à Learamn de comprendre la critique implicite des femmes occidentales que contenait son allusion. Il reprit :

- Cependant, je ne me fais aucune illusion à son sujet. Et vous ne devriez pas vous en faire non plus. Elle est mariée à Lyra, et je ne crois pas que cette dernière laissera l'un de nous l'épouser si facilement.

Il n'ajouta rien d'autre à ces paroles bien étonnantes, écoutant plutôt la question qui semblait brûler les lèvres de Learamn. En entendant le mot qu'il venait de prononcer, Khalmeh sembla s'assombrir un peu, comme si le terme en lui-même n'était pas positif. Il répondit froidement :

- C'est Ava qui vous a appelé comme ça ?

Qui d'autre ? Learamn se promenait librement à Blankânimad, mais il interagissait assez peu avec la population locale sans être accompagné. Or Khalmeh n'avait jamais entendu personne l'appeler ainsi, et il imaginait assez mal Thrakan lui faire la conversation au point de lui affubler ce sobriquet. Le terme en lui-même avait plusieurs sens, et désignait une réalité qui n'était guère reluisante quand on en comprenait toute la dimension. L'esclavagiste, qui se trouvait aussi être un érudit, était peut-être la personne la mieux placée pour le lui expliquer :

- Un varka… comment vous le dire simplement ? Dans les textes les plus anciens, le terme désigne des « loups », des changeurs de forme, des hommes-bêtes capables de se mouvoir sous la forme d'un animal à la nuit tombée. Aujourd'hui, on dit que ces changeurs de forme ont disparu, qu'ils sont morts ou qu'ils se sont cachés. Leurs descendants, cependant, continuent à arpenter le monde. D'ordinaire, ce sont des hommes tout à fait normaux, polis, calmes, bien éduqués. Mais quand vient l'heure du combat, ils cèdent à la bête qui sommeille en eux, et s'abandonnent à la férocité.

Il marqua une pause, et ajouta :

- Ce sont des hommes qui combattent au mépris de leur propre vie. Fous, à nos yeux. Ils se complaisent dans le sang, la guerre, la violence, et parfois… ils ne savent plus redevenir des hommes. Alors, ils restent prisonniers de l'animal, et quand la mort ne met pas fin à leur supplice, ils s'enfuient par delà le monde connu, et ne reviennent jamais…

Khalmeh plongea ses yeux sombres dans ceux de Learamn, et poursuivit avec une gravité pesante :

- Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une légende, Learamn. Les rois du Rhûn les affectionnent particulièrement, et ils savent s'attacher leurs services. On dit que Lyra est capable de les reconnaître, qu'elle ressent l'animal qui sommeille en eux, et qu'elle sait les rallier à sa cause… Personne ne crie trop fort qu'il est un varka, vous savez… Ceux qui vivent ainsi meurent jeunes, ou vivent une vie entière à combattre la bête en eux. Ce n'est pas une chose plaisante que vous a dit Ava, et elle n'aurait jamais dû vous comparer à une de ces choses. Elle ignore d'ailleurs probablement de quoi elle parle…

Il se leva sur ces paroles qui se voulaient rassurantes, prêt pour une autre partie de ce jeu de balle que ses compatriotes affectionnaient tant :

- Allez mon ami, faisons au moins bonne figure devant cette équipe de vantards. Peut-être qu'une de ces demoiselles se laissera impressionner par votre prestation, et vous offrira une dernière nuit agréable avant que nous quittions Blankânimad ! C'est tout le mal que je vous souhaite, mais ne touchez pas à celle au manteau rouge, elle est pour moi.

Goguenard, il s'élança au milieu du terrain, levant la main pour qu'on lui envoyât la balle de cuir. Learamn, pendant ce temps, resta seul avec ses pensées à masser sa cheville. Il croisa finalement le regard d'une des spectatrices, une jolie fille qui devait avoir environ son âge, et qui semblait très curieuse à son endroit sans oser le dire.

Quelle vie.


~ ~ ~ ~


Aux premières lueurs du jour, la petite compagnie était rassemblée sous la Porte de Toutes les Tribus. Thrakan ouvrait la marche, son immense carcasse installée sur le dos d'un cheval de petite taille mais de toute évidence assez robuste pour soutenir le poids d'un cavalier lourdement armé. La vision était presque cocasse pour un Rohirrim, davantage habitué à voir des destriers de grande taille. Il y avait de quoi rire de voir ce géant sur le dos d'un grand poney. Ava le suivait de près, juchée quant à elle sur un cheval élégant à la robe alezane. Elle avait passé une tenue élégante qui n'avait rien de discret, puisqu'elle était pourpre et dorée. Cependant, elle portait des sortes de chausses comme s'en vêtaient parfois les femmes d'ici, ce qui lui permettait de monter comme un homme. Elle avait saisi dans ses mains délicatement gantées une petite carte sur laquelle elle avait soigneusement calculé leur itinéraire.

Un rythme modéré pour ménager leurs montures, et profiter des villages qu'ils croiseraient sur la route aux abords de Blankânimad. Cela leur permettrait d'affronter plus facilement la partie difficile du voyage, une longue traversée d'étendues peu peuplées qui les mènerait finalement à Albyor. Ils voulaient arriver dans la Cité Noire en forme.

Ensuite venait Khalmeh, qui guidait leur attelage et leur cargaison spéciale. L'Uruk avait été traité avec les plus grands soins par Ava, qui avait soigné ses blessures et s'était arrangée pour le rendre présentable. Tant d'attentions à l'égard d'une créature que les hommes de l'Ouest considéraient volontiers comme l'incarnation du mal pouvait être étonnante, mais Khalmeh s'en était expliqué à Learamn :

- Bien que nous n'aimions pas les Uruk davantage que vous, nous avons appris à négocier avec eux. Ils parlent notre langue, et certains parmi les nôtres parlent la leur. Nous échangeons des objets de peu de valeur, de la nourriture, des minerais. En contrepartie, nous respectons leurs frontières et ils respectent celles du royaume. Je parie que ce n'est pas le premier Uruk que notre chère Ava a l'occasion de voir.

L'Uruk était un esclave, mais il n'était pas traité plus mal que les esclaves humains, ce qui était suffisamment singulier pour être souligné.

Enfin, fermant la marche, venait Learamn. Il assurait l'arrière-garde, et devait surveiller tout le reste de la compagnie, tout en profitant de l'abri relatif que lui offrait le chariot face aux vents parfois agressifs qui soufflaient sur les plaines du Rhûn. Le rythme qu'imposait Ava était suffisamment tranquille pour lui permettre de ne pas tirer sur ses blessures, tout en avançant à un bon rythme.

Les premiers jours de leur voyage furent assez agréables. Chaque soir, ils s'arrêtaient pour dormir à la belle étoile – il faisait frais, mais les journées étaient chaudes et ils ne pouvaient qu'apprécier ce bref répit –, et montaient un petit campement où avaient toujours lieu les mêmes rituels. Ava continuait à enseigner la danse à Learamn, tout en surveillant avec beaucoup d'attention son sommeil et son alimentation. Elle avait la patience d'une mère, et travaillait sans relâche pour lui permettre de retrouver la souplesse et la mobilité dans son membre blessé.

De l'autre côté, Khalmeh s'entraînait à dresser son esclave, en lui faisant accomplir toutes sortes de tâches. Au départ, l'Uruk avait les mains liées, et devait seulement collecter du bois sous le regard sévère de l'esclavagiste qui voulait s'assurer que rien de négatif ne se passerait. Il ne quittait jamais le bâton de commandement, et gardait l'épée à portée de main au cas où l'Uruk se serait rebellé. Mais au bout de quelques temps, il prit l'habitude de libérer l'Uruk le soir venu, et de l'intégrer peu à peu à la vie de leur compagnie.

Il collectait le bois, allumait le feu, cherchait de l'eau… des tâches simples et qui n'exigeaient aucune délicatesse particulière, mais qui confortaient Khalmeh dans l'idée qu'il pouvait faire quelque chose de cette créature.

- C'est un drôle de spécimen, mon ami, lâcha un jour l'esclavagiste à Learamn. Je le sens terriblement intelligent, mais pour une raison que j'ignore il demeure tout à fait passif. Il obéit sans rien dire, et ne montre aucun signe de déplaisir quand il doit accomplir une corvée, ou de contentement quand il est récompensé. Il a juste l'air… neutre.

L'Uruk s'asseyait désormais au milieu d'eux pour manger, sans jamais émettre le moindre son. Il les regardait parfois de ses yeux étrécis, et derrière la laideur de son visage il était presque possible de déceler toutes les souffrances de sa vie… Qu'avait-il vu du monde, qu'ils ne pouvaient même pas concevoir ? Quelles horreurs avait-il affrontées, que les mots ne pouvaient pas décrire ? Khalmeh éprouvait de la pitié envers sa créature, mais il n'était pas encore prêt à baisser sa garde.

La plus à l'aise avec l'Uruk demeurait encore Ava, qui lui prodiguait des soins réguliers. Cette femme était infatigable, et après avoir aidé à monter le camp, assisté Learamn dans ses exercices, donné un coup de main pour préparer le repas, elle trouvait encore le temps de s'occuper des blessures de tout un chacun : Hommes, Orcs ou chevaux. Elle appliquait des onguents sur la peau sombre de la créature qui demeurait parfaitement immobile, de toute évidence insensible au contact physique. Ava n'éprouvait pas le moindre dégoût, et elle examinait cette chose horrible sans hésiter, comme si dans son existence elle avait déjà vu des choses plus effrayantes.

Thrakan, cependant, ne la quittait jamais des yeux.

Ce dernier était finalement le plus taciturne de tous. Presque aussi silencieux que l'Uruk, presque aussi commode d'ailleurs, il se contentait de mener la compagnie, et de veiller sur Ava. Il aurait volontiers laissé Learamn et Khalmeh mourir si cela lui avait permis de protéger la jeune femme, et les deux hommes avaient bien conscience qu'il n'était là que pour elle, sans que l'origine de ce lien indéfectible fût très claire.

Un soir pourtant, Learamn eut l'opportunité d'en apprendre plus sur sa compagne de voyage.

Alors que c'était à son tour de monter la garde – rôle qu'elle prenait très au sérieux, et qu'elle n'avait voulu céder pour rien au monde –, le cavalier s'était réveillé bien malgré lui. Il aurait pu se rendormir, s'il n'avait pas entendu des sanglots étouffés provenant d'une silhouette assise dos à lui, emmitouflée dans une épaisse couverture. Ava pleurait seule sous un ciel si plein d'étoiles qu'on y voyait comme en plein jour. La lueur blafarde de la lune donnait l'impression que le monde entier était recouvert de poussière d'argent, alors que le spectacle magnifique de la voûte céleste se reflétait dans le miroir liquide du petit ruisseau au bord duquel ils s'étaient arrêtés.

Tous les autres membres de la compagnie dormaient profondément, éreintés après une longue semaine de chevauchée qui leur avait permis d'accomplir environ la moitié de leur périple, et Ava s'était pensée à l'abri de leur regard. En entendant que quelqu'un bougeait dans son dos, elle essuya rapidement les larmes qui coulaient sur ses joues, et affecta de n'avoir rien à cacher. Cependant, ses épaules tremblaient encore légèrement, et ce n'était pas de froid.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 8 Fév 2020 - 13:27

Ava n'était pas le genre de femmes à se laisser impressionner par un simple compliment. Son statut très particulier à Blankânimad la rendait désirable aux yeux des hommes de la cité, et elle avait reçu son lot de demandes en mariage prestigieuses. Des nobles de bonne réputation, seconds ou troisièmes de la famille, qui cherchaient à conclure une union fructueuse avec une femme proche du pouvoir, raffinée et éduquée. Une épouse parfaite pour sortir en société. Ces hommes faisaient preuve de la plus extrême courtoisie à son égard, lui écrivaient des poèmes, des lettres, des chansons… Ils la complimentaient sur sa beauté, la finesse de sa silhouette, la profondeur de son regard, la douceur de ses cheveux, sur son parfum. Cependant, personne ne l'avait encore complimentée sur sa voix.

Il fallait dire qu'elle ne chantait pas souvent.

Il lui arrivait bien de fredonner quelques airs quand elle travaillait, mais elle ne faisait pas partie de ces concubines à la voix enchanteresse, capables de charmer tout un auditoire dès qu'elles ouvraient la bouche. Ava considérait avoir une voix dans la norme, et ses tutrices n'avaient jamais jugé utile de pousser ce talent chez elle, se contentant de lui donner les bases de cet art que toutes les femmes de l'entourage royal devaient maîtriser.

Elle était trop bien éduquée pour rougir aussi facilement, mais elle ne pouvait pas nier qu'elle appréciait l'attention de l'ancien soldat. Elle l'appréciait peut-être encore davantage précisément parce qu'il était un ancien soldat. Les gens de sa trempe n'étaient pas souvent poètes, et encore moins capables de tourner un compliment de telle sorte qu'il ne parût pas inapproprié. Il n'avait pas parlé de sa beauté physique, comme tant d'autres auraient pu le faire, et s'était contenté de souligner ce qu'il estimait être une qualité chez elle. C'était… touchant.

Ava ne lui donna pas de réponse : que dire, de toute façon ? Elle se contenta d'un petit sourire indéchiffrable comme elle en avait le secret.

L'atmosphère détendue et pacifique entre eux changea bien rapidement, quand elle se décida enfin à lui présenter la lettre qu'elle avait pris soin de rédiger. Le document, qui faisait office de condamnation à l'isolement – et indirectement, à mort –, semblait tout à fait inoffensif entre ces doigts fins. Learamn aurait pu s'en emparer sans la moindre difficulté, s'il l'avait voulu. Il demeura cependant immobile, à l'exception d'un léger tressaillement – de surprise ? – et de ses sourcils qui se froncèrent perceptiblement. Ava était convaincue qu'il essaierait quelque chose, et elle s'était mentalement préparée à le voir se transformer en une bête sauvage prête à tout pour défendre son territoire. Intérieurement, elle s'était figurée la scène maintes et maintes fois.

Elle le voyait se dresser furieusement, et abattre un poing massif sur sa tempe pour l'empêcher de rien faire. Dans le meilleur des cas, elle sombrait immédiatement dans l'inconscience, et il n'aurait qu'à s'emparer de la lettre sans lui faire davantage de mal. Certains des scenarii qu'elle avait imaginés finissaient moins bien, et l'animal qui sommeillait dans l'Occidental prenait le pas sur l'homme, mettant un terme à la vie de la femme censée l'aider à guérir… Malgré toutes ces appréhensions, elle avait affronté son destin avec une grande sérénité, sans rien laisser transparaître. Avait-elle confiance en Learamn à ce point, ou bien était-elle simplement détachée de l'idée de sa propre mort au point de ne pas y accorder d'importance ?

Difficile à dire.

En attendant, elle fixait son compagnon de voyage, qui semblait assimiler cette nouvelle information, et chercher la meilleure réponse à apporter. Et quelle réponse.

Ava l'écouta très attentivement, percevant clairement la menace à peine voilée qu'il lui faisait. Elle avait rencontré son lot de guerriers, et savait faire la différence entre ceux qui relataient leurs exploits pour amuser leurs convives, impressionner leur prochain, et ceux qui se contentaient d'exposer froidement les faits. Elle lisait dans ce regard brisé que chaque mot était vrai, et portait son lot de souffrances, de sang et de mort. Learamn avait de toute évidence traversé assez de champs de bataille pour une vie entière, et ses yeux qui ne cillaient pas faisaient comprendre à la concubine qu'il n'avait pas peur de la lettre qu'elle brandissait. Elle pouvait lui promettre les pires tourments, ce n'était rien à côté de ce qu'il avait déjà affronté.

D'une voix douce, elle lui glissa :

- Je sais…

Son ton était si maternel et si apaisant qu'il était difficile de ne pas se laisser attendrir par sa bienveillance. Elle qui s'était montrée menaçante une seconde avant offrait tout à coup un spectaculaire changement d'attitude, démontrant de l'empathie et de la compassion. Deux mots qui résonnaient des accents de la vérité. Elle n'avait pas mis longtemps à déceler qu'il avait traversé des choses affreuses. Certains détails ne trompaient pas, et elle était consciente qu'il vivrait avec ces démons jusqu'à la fin de ses jours.

Il avait tout perdu, il n'avait plus foi en rien, sinon en l'épée qu'il serrait fermement dans son poignant tremblant de rage. Debout au milieu du charnier qu'était son existence, il n'avait aucune raison de continuer à avancer, et pourtant il n'arrivait pas à se résoudre à s'allonger paisiblement au milieu de tous les autres cadavres. Amis et ennemis l'appelaient indistinctement à les rejoindre dans la tombe, et s'il trouvait une cause juste pour laquelle donner ce qui restait de sa vie, il le ferait joyeusement. Ava sentit un frisson lui remonter le long de l'échine alors qu'il s'approchait d'elle, incisif, tranchant comme une lame, la harcelant comme s'il voulait arracher la vérité qu'elle essayait péniblement de tenir cachée en elle-même.

Cette fois, le masque se fissura visiblement, et le visage parfaitement composé de la jeune femme se fendit d'une marque de pure souffrance.

- Arrière, varka ! Répondit-elle sèchement en se levant brusquement.

Elle tourna le dos à Learamn, et passa précipitamment la main sur son visage pour en chasser les larmes qui s'étaient mises à couler soudainement. La plaie dans son regard saignait abondamment de ce liquide clair et salé qui dévalait en ruisselant sur ses joues. Elle ne sanglotait pas, mais était incapable d'endiguer cette souffrance qui perlait sur son menton avant de se perdre en petites tâches foncées sur le carmin de sa tunique. Ce déferlement brutal d'émotions la surprenait elle-même, et elle s'en voulait de laisser un étranger en être témoin. Il y avait tant de temps qu'elle gardait les choses enfouies en elle, qu'elle ne comprenait pas pourquoi son passé surgissait ainsi au pire moment. L'Occidental vint se placer face à elle, l'empêchant d'échapper à l'intensité de son regard, attendant de toute évidence une réponse.

Il n'avait pas le pouvoir d'écrire une lettre à la reine, mais en l'observant elle comprit qu'elle non plus ne lui donnait pas de solides garanties pour ce voyage. Lui aussi s'efforçait de lui faire confiance alors qu'il était en territoire étranger, seul, sans alliés, et sans la moindre idée de ce à quoi ressemblerait son futur. Pouvait-elle exiger de lui une totale fiabilité, alors qu'elle-même semblait au bord de la rupture ? Elle lui devait bien une explication, même si l'idée de se confier entièrement et sans réserve était encore trop difficile.

- Cette amie dont vous parliez… la cousine de la reine… Vous l'aimiez n'est-ce pas.

Ce n'était pas une question. Plutôt une affirmation, une observation qu'Ava fondait sur le peu qu'elle en avait appris, et sur la façon dont Learamn en parlait. Elle n'avait pas évoqué la question de l'amour romantique, celui dont les poètes se délectaient particulièrement. Non. Elle parlait de l'amour véritable, le plus pur et le plus profond. Celui de deux âmes jumelées, d'un parent pour son enfant, d'un frère pour sa sœur. Cet amour indestructible qui traversait même les frontières de la mort. Il était évident que pour Learamn, Iran était une de ces personnes. Une personne qu'il n'oublierait jamais, et dont l'absence lui pesait chaque jour.

- Imaginez un instant si vous pouviez la retrouver… si vous pouviez la voir apparaître devant vous… la prendre dans vos bras, et lui dire tout ce que vous n'avez pas eu l'occasion de lui dire.

Elle marqua une pause, laissant l'image se former dans l'esprit de l'Occidental. Elle voulait le laisser s'imprégner de ce sentiment, de cet espoir déraisonnable, complètement fou, et pourtant si tentant. Qu'il était doux de croire que la mort pouvait être vaincue, que la force des sentiments pouvait venir à bout de l'implacable réalité.

- Songez maintenant qu'on vous retire cet espoir… Songez à ce que vous ressentiriez si vous deviez la perdre une deuxième fois… N'auriez-vous pas peur, vous aussi ? Ne feriez-vous pas tout pour empêcher que cela arrive ?

Son regard était brillant d'émotion, et si elle avait eu quelques minutes de plus à sa disposition, elle aurait probablement pu donner sens à ses paroles bien mystérieuses. Cependant, ils furent interrompus dans leur conversation par l'arrivée impromptue de Thrakan et Khalmeh. Learamn et Ava perçurent leurs voix bien avant de les voir, et le temps que l'Occidental détourne les yeux pour chercher leurs deux autres compagnons, la « femme de la reine » avait déjà retrouvé une contenance. Elle sécha précipitamment ses larmes, et fit un signe discret à son compagnon danseur pour lui intimer de ne rien en dire.

- Khalmeh, comment allez-vous aujourd'hui ? Fit-elle sur un ton parfaitement naturel.

L'intéressé était toujours aussi jovial. Il avait repris des forces grâce au repos et aux bons repas qu'il avait pu manger depuis son arrivée dans la capitale. Il était en bien meilleur état que Learamn, et trépignait d'impatience de reprendre la route.

- Je vais bien, répondit-il en Westron pour s'assurer que Learamn comprît la teneur de l'échange. Nous venons seulement constater les progrès de notre danseur en herbe. Je crois que Thrakan et moi-même partageons le désir de nous mettre en route rapidement.

Ava se trouvait légèrement devant Learamn, et elle ne se retourna pas une seconde vers lui quand elle répondit sur un ton tout à fait posé :

- Il a fait beaucoup de progrès, je pense que nous pourrons nous mettre en route dès demain. Nous continuerons nos exercices en route, et d'après mes estimations, il arrivera en pleine forme à Albyor.

La jeune femme avait croisé les mains dans son dos, et s'était appliquée à chiffonner soigneusement la lettre qu'elle avait rédigée, l'ancien capitaine étant le seul témoin de son forfait. Ava reprit :

- Je dois seulement m'assurer que notre cinquième compagnon soit prêt pour notre voyage. Je vais y aller de ce pas, d'ailleurs. Merci encore Learamn, et désolée que nous n'ayons pas pu aborder ce nouveau mouvement dont je vous parlais. Nous aurons peut-être l'occasion de nous pencher dessus un jour prochain.

Elle inclina respectueusement la tête, et s'éclipsa sans vraiment attendre de réponse, suivie de Thrakan qui faisait figure de véritable garde du corps. Khalmeh les regarda s'éloigner un moment, avant de se tourner vers l'Occidental :

- Eh bien mon ami, elle avait l'air pressée de nous quitter… Je l'insupporte à ce point ?

Il partit d'un rire léger. La question était rhétorique, car il était évident qu'il ne la portait pas dans son cœur, et que Ava le lui rendait bien. Ils se méprisaient à demi-mot, et s'amusaient à se lancer des attaques voilées qui pouvaient parfois faire sourire, mais qui laissaient présager de futures difficultés lors de leur mission. Ils devraient apprendre à ranger leurs différences de côté s'ils voulaient pouvoir affronter les dangers d'Albyor. Khalmeh avait cependant cette faculté de se montrer rassurant, et il changea de sujet avec la facilité d'un enfant :

- Dites-moi Learamn, puisque c'est notre dernière soirée dans la capitale, que diriez-vous de vous amuser un peu ? Il y a un jeu qui est assez populaire chez le petit peuple de Blankânimad, un sport de balle qui demande de l'adresse et de la souplesse. Il faut se passer la balle entre joueurs d'une même équipe, et la mettre dans le cercle de l'adversaire. Bon, peut-être que votre guérisseuse se montrera moins enthousiaste que moi, mais si elle ne le sait pas, y a pas de risque, n'est-ce pas ?

Ce clin d'œil malicieux avait déjà conduit Learamn à faire quelques bêtises les soirs derniers. Allait-il céder une fois de plus ?
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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 30 Déc 2019 - 13:02

- Non, non, plus souple votre poignet.

Ava se leva en décroisant ses jambes longilignes à la manière d'un félin, et s'approcha de Learamn qui transpirait abondamment sous le soleil qui l'écrasait, alors que la mi-journée approchait. L'effort qui lui était demandé était intense, et il y avait bien longtemps que son corps n'avait été soumis à pareille épreuve physique. Même s'il avait l'habitude de porter l'épée et la lance, de se battre et de marcher comme tout guerrier digne de ce nom, sa nouvelle guérisseuse lui imposait de travailler des muscles dont il n'avait même jamais soupçonné l'existence, et cela constituait une difficulté supplémentaire à laquelle il n'était pas préparé.

Avait-il un jour pensé mettre les pieds au Rhûn pour y danser ?

A la manière d'un poisson devant apprendre à grimper aux arbres, il se retrouvait à tout redécouvrir comme un novice. Le monde martial dans lequel il pouvait être facilement qualifié de combattant expérimenté ne l'avait pas préparé à affronter le monde des arts, où il se retrouvait aussi démuni qu'un enfant armé d'une brindille face à une horde de chevaliers. L'expérience n'avait rien de plaisant pour quiconque, mais elle était nécessaire. C'était tout du moins l'avis de la jeune femme, qui se montrait aussi inflexible qu'elle était bienveillante, aussi intraitable qu'elle pouvait être douce.

Avec une familiarité qui trahissait leur rapprochement des jours derniers, elle lui prit délicatement l'avant-bras, et lui fit faire quelques mouvements pour l'aider à se relaxer, enfonçant doucement son pouce entre deux muscles pour les masser et le forcer à se détendre. Elle agissait avec une précision stupéfiante, sans même regarder ce qu'elle faisait, simplement au toucher. Des années d'expérience avaient aiguisé ses sens, au point qu'elle n'avait plus besoin de la vue pour procéder. Ses yeux, cependant, ne restaient pas inactifs, et ils se perdaient sur le corps de l'ancien officier à la recherche de ce qu'elle appelait maladroitement des « blocages » à défaut de pouvoir trouver un terme plus adéquat en langue commune. Elle avait bien essayé de lui expliquer de quoi elle parlait, mais le terme qu'elle tirait de sa langue natale était un concept difficile à expliquer. Il renvoyait à l'idée de blocage au sens premier du terme, comme un canal obstrué, mais désignait aussi bien l'idée d'infirmité, comme un corps boiteux ou encore un mécanisme attaqué par la rouille. L'idée générale était celle d'un dysfonctionnement, mais Ava ne souhaitait pas effrayer son jeune protégé en lui laissant croire qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas chez lui.

Elle savait les hommes de l'Ouest influençables et facilement effrayés, et elle ne tenait pas à lui faire perdre sa concentration au risque de ruiner son travail.

Alors, après chaque session, elle lui appliquait consciencieusement une série de pressions très appuyées, sortes de massages à la mode orientale censés apaiser les muscles aussi bien que l'esprit… et surtout le préparer à reprendre l'exercice le plus vite possible. Ava n'était pas comme les savants de l'Ouest que Learamn avait pu rencontrer, et elle se plaisait à entretenir cette différence. Elle connaissait les plantes et les simples de son pays, naturellement, mais elle était détentrice d'un savoir orienté différemment… tourné autour du mouvement, du corps et de sa rémission par l'action. Elle n'entendait pas lui prescrire du repos, mais bien une activité réparatrice et exigeante. C'était sans doute épuisant, difficile et guère à la portée du premier venu, mais elle avait le sentiment que cela convenait mieux à l'esprit d'un guerrier que l'alitement.

- Bien, bien, continuez maintenant. Reprenez depuis le début.

Elle retourna s'asseoir à l'ombre, ajustant sa robe élégante, puis se remit à chanter. A défaut d'avoir un orchestre pour accompagner les pas de Learamn, Ava utilisait sa voix comme un instrument. Elle avait le timbre doux et grave, et puisque les mots qu'elle prononçait dans sa langue natale n'avaient aucun sens à l'oreille de l'Occidental, ses paroles ressemblaient véritablement à une mélodie sur laquelle il était facile de se mouvoir. Elle avait choisi un air noble et triste, suffisamment lent pour permettre à son patient de répéter les pas de base d'une chorégraphie que la plupart des aristocrates de la cour royale connaissaient. Jusqu'à présent, elle n'avait pas jugé utile de lui en donner le sens, mais à chaque fois que Learamn s'était autorisé à observer Ava du coin de l'œil, il n'avait pu manquer de remarquer la peine et le chagrin qui semblaient l'habiter, et qui rendaient son chant si poignant.

Fort heureusement pour la jeune femme orientale, l'ancien officier n'avait que peu de moments de répit, et elle ne le ménageait pas, le forçant à répéter encore et encore les mêmes pas, jusqu'à s'assurer qu'il fût capable de les maîtriser et de les reproduire. Elle lui montrait fréquemment comment tenir la bonne posture, menton levé, pieds bien écartés, les mains ouvertes et les épaules en arrière. Elle essayait de lui faire ressentir la nature profonde de la danse, du déplacement, du mouvement permanent et de sa signification.

L'exercice pouvait paraître ridicule, pour ne pas dire déconnecté des réalités de la vie de soldat, mais Ava escomptait que l'Occidental comprendrait bien rapidement les parallèles qui existaient entre la danse et la guerre. La position des pieds, l'équilibre, la fluidité et la précision des mouvements… c'étaient autant de pré-requis qui servaient aussi bien dans une discipline que dans l'autre. Elle avait appris au guerrier à troquer la rigidité de sa posture traditionnelle contre la souplesse du danseur, afin de lui permettre de ré-apprendre à s'appuyer sur son pied blessé. La légèreté de ses mouvements lui permettait de prendre des appuis moins traumatisants, tandis que les complexes entrelacs qu'elle lui imposait de réaliser avec ses bras l'empêchaient de se concentrer sur la douleur physique, pour se focaliser sur l'exercice mental. Elle détournait son corps et son esprit de ce pied qui l'obnubilait, afin qu'il pût non pas surmonter la douleur, mais bien l'accepter, l'embrasser, et apprendre à vivre avec. Les simples feraient leur travail pour l'apaiser, mais le plus important pour lui était de comprendre qu'il ne retrouverait jamais le corps parfait de ses vingt printemps. Ces blessures faisaient désormais partie de lui, et par la danse il comprendrait peut-être qu'elles ne l'empêchaient en aucun cas de se mouvoir, et de s'émouvoir.

Et depuis quelques jours, elle voyait de réels progrès, à tel point qu'elle ne regrettait pas d'avoir repoussé leur départ.

Elle se souvenait encore très bien de leur conversation dans l'auberge, et de la réponse pour le moins incisive de Learamn. Alors qu'elle le mettait au défi de partir sous trois jours, cherchant à tester sa réaction et celle de Khalmeh, il avait choisi de lui renvoyer la responsabilité et de la laisser prendre la décision. Connaissait-il assez Lyra pour savoir comment elle fonctionnait ? Savait-il qu'elle reprocherait à Ava d'avoir pris une décision irréfléchie par simple orgueil ? Dans tous les cas, il avait visé juste, et la « femme de la reine » avait incliné la tête avec un sourire, avant de consentir à leur donner une semaine entière de repos, pour les laisser récupérer de leur long périple.

« Une semaine », avait-elle dit sur un ton sarcastique. « Puisque vous attendez mes ordres pour partir, alors ainsi soit-il ! ».

Elle avait voulu retourner la situation habilement pour faire comprendre aux deux hommes qu'elle prenait les commandes de l'opération, mais en réalité, elle savait avoir été mouchée par Learamn. Elle n'avait pas l'habitude d'être ainsi prise à son propre piège, encore moins par ce qu'elle n'estimait alors n'être qu'un vulgaire mercenaire cherchant à se placer au service de sa suzeraine. Alors, lors de leurs premières séances, elle avait voulu lui faire payer sa répartie en le faisant travailler dur. Une basse vengeance, qui ne lui avait procuré qu'un réconfort bien passager, et qui n'avait pas comblé la plaie béante de son cœur. Elle avait rapidement pu constater que l'Occidental ne feignait pas ses blessures, et que malgré ses douleurs persistantes, il se battait comme un lion pour accomplir les mouvements qu'elle lui commandait. Le courage le disputait chez lui à une détermination féroce, et elle avait reconnu en lui des valeurs morales qui lui semblaient respectables, même si l'ancien officier n'obtiendrait probablement jamais la même reconnaissance qu'un soldat de métier, à ses yeux. Elle ignorait tout ou presque de ses compagnons, et surtout elle ne connaissait pas le passé tumultueux de Learamn, sinon qu'il venait seulement d'arriver dans le grand royaume oriental et entendait offrir ses services à Lyra.

Pourtant, malgré son mépris initial, en le voyant ainsi batailler contre un passé de souffrances et de mort, qui se rappelait à lui quotidiennement à chaque fois qu'il posait le pied par terre, il était difficile de ne pas éprouver une forme de compassion. Ava respectait les combattants, les braves, ceux qui refusaient de courber l'échine face aux difficultés et qui étaient capables d'endurer les tourments du monde. Plus elle voyait son patient se dresser face aux épreuves, plus elle avait envie de le voir réussir, de le voir triompher, et surmonter ses propres démons. Les jours passant, elle s'était prise à voir Learamn non plus comme sa mission, mais bien comme un véritable compagnon. Un homme qu'elle considérait comme digne de marcher à ses côtés et, peut-être, digne de servir Lyra.

Aujourd'hui, elle éprouvait une même certaine fierté à le voir bouger avec moins de difficulté, et surtout avec moins de retenue.

Il n'était pas encore danseur, mais au moins il dansait, et elle le sentait se calquer sur le rythme de la mélodie qu'elle fredonnait. Quand elle accélérait, emportée par l'émotion, elle le sentait qui suivait le mouvement. A l'inverse, quand la gravité du chant la rattrapait et qu'elle ralentissait involontairement, elle le sentait s'ajuster, épouser la forme de la partition, comme l'eau épousait la forme du vase. Il commençait à comprendre.

Elle s'interrompit de nouveau, et but une longue gorgée d'eau fraîche dans l'outre posée à ses côtés, avant de la tendre à Learamn.

- Vous avez encore du mal à mettre votre poids sur votre jambe faible, mais vous maîtrisez de mieux en mieux votre déhanché. Relâchez encore le mouvement, soyez plus léger sur vos pieds, plus aérien, comme si votre corps ne pesait rien.

Elle avait accompagné ses paroles de gestes amples et gracieux. A n'en pas douter, elle était elle-même une excellente danseuse, même si elle n'avait jamais pris la peine de faire une véritable démonstration à Learamn. Elle s'efforçait de lui expliquer les choses par le verbe, car elle ne souhaitait pas le voir imiter simplement des gestes qui n'auraient pas eu de sens pour lui, ce qui aurait été à l'encontre de ses objectifs. Les conseils d'Ava pouvaient paraître obscurs, mais elle ne connaissait pas de manière plus claire pour exprimer les choses, ni en Westron ni dans les langues du Rhûn. La danse n'était pas de ces choses que l'on pouvait décrire précisément avec des mots : il fallait le ressentir.

- Asseyez-vous près de moi, fit-elle en tendant les jambes devant elle à la manière d'une enfant. Nous devons parler.

Ses petits souliers rouges s'agitaient nerveusement, alors que sa voix restait parfaitement composée. C'était un des rares signes de son malaise ou de sa gêne, qu'il était difficile de repérer au premier abord, mais qu'il était impossible de ne plus voir une fois qu'on l'avait décelé. Ava s'humecta les lèvres, et reprit :

- Cela fait désormais six jours que nous nous entraînons à un rythme soutenu pour quelqu'un dans votre condition. Vous avez fait des progrès intéressants, et je crois que s'il m'était permis, je pourrais faire quelque chose de vous. Notre départ est prévu pour demain, cependant, et je crains que le voyage jusqu'à Albyor ne soit éprouvant pour vous. La reine se montre impatiente, elle espérait nous voir prendre la route rapidement, et j'imagine que les soirées que vous et Khalmeh passez à découvrir Blankânimad ne l'aident pas à croire que vous faites votre possible pour repartir…

Elle lui jeta un regard entendu, accompagné d'un petit sourire narquois :

- Ne croyez pas que je ne suis pas au courant.

Elle avait effectivement eu vent des sorties nocturnes des deux hommes, qui se plaisaient à déambuler dans la cité entre chien et loup. Elle n'y voyait aucun inconvénient à titre personnel, car elle savait que deux hommes revenant d'un long voyage ne demandaient sans doute qu'à profiter des merveilles de la capitale de l'Est. Elle s'inquiétait simplement de voir Learamn se blesser d'une manière ou d'une autre au cours d'une de leurs aventures dont ils ne disaient jamais rien, ce qui aurait retardé encore leur départ. Ce petit reproche qui n'en était pas un ne constituait cependant pas le cœur du souci. Les pieds d'Ava s'agitaient toujours :

- Pour vous parler franchement, Learamn, le problème ne tient pas seulement à votre blessure… J'ai eu l'occasion de vous observer depuis que nous avons commencé nos séances. Vous dégagez une telle énergie, une telle volonté. Mais aussi, parfois, une certaine rage. Et je dois admettre que cela me préoccupe. Là où nous allons, vous risquez de devoir vous maîtriser, et contenir vos émotions les plus noires, au risque de réveiller les pires démons qui sommeillent dans cette ville de cauchemar. Albyor est un mauvais endroit, j'en ai peur. Il y a une raison pour laquelle la Reine nous envoie…

Elle sortit précautionneusement une lettre d'une poche à l'intérieur de sa tunique, et la montra à Learamn sans la déplier :

- J'ai rédigé ceci, à l'intention de Sa Majesté Lyra. C'est une lettre qui émet de sérieuses réserves sur votre capacité à remplir cette mission. Je n'ai pas le moindre doute quant au fait que si la reine en prend connaissance, vous serez écarté de l'entreprise, et vous perdrez vos maigres privilèges actuels. Or ici, un homme sans protecteur n'a guère d'avenir sinon la mort…

Ava était une femme parfaitement charmante, éduquée et raffinée, mais elle pouvait aussi se montrer glaçante et tranchante en quelques phrases. Ces quelques lignes, écrites dans une langue que Learamn ne comprenait pas, pouvaient sceller son arrêt de mort et anéantir ses espoirs de voir Lyra lui accorder son patronage. La « femme de la reine » le tenait, et elle pouvait presque exiger ce qu'elle voulait de lui dans ces circonstances. Cependant, son ton n'était ni agressif ni menaçant.

- Je vous dis tout cela, Learamn, car j'espère que vous pourrez me convaincre de ne pas délivrer cette lettre. Vous n'avez voulu parler ni de votre blessure, ni des motifs de votre présence ici. C'est votre droit, tout comme c'est le mien de choisir avec qui je voyage. J'ai assez d'une bête sauvage à m'occuper, et je refuse que notre mission soit compromise à cause d'un varka. Alors donnez-moi une bonne raison de vous confier ma vie et tous mes espoirs.

Ava se mordit subitement la lèvre, comme si elle en avait trop dit tout à coup. Son regard se ficha dans celui de Learamn, comme pour vérifier qu'il n'avait rien relevé. Cette curiosité était à double sens, et l'ancien officier n'avait pas besoin d'être particulièrement observateur pour repérer une émotion qu'il n'avait encore jamais vue chez la guérisseuse.

La peur.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 25 Nov 2019 - 19:04
- Je vous en prie, votre Altesse… J'implore votre clémence…

Lyra jouait négligemment avec un grain de raisin, qui finit entre ses lèvres charnues. Ses dents réduisirent le pépin en miettes, symbolisant ce qui risquait d'advenir à son interlocutrice si elle n'exécutait pas ses ordres à la lettre. Tous ceux qui connaissaient la reine du Rhûn de près savaient qu'elle faisait preuve d'une grande maîtrise d'elle-même, mais qu'elle était aussi sujette à de violentes et soudaines colères. Il valait mieux éviter de l'agacer outre mesure, alors qu'elle était encore assez calme. La voix de la suzeraine orientale s'éleva :

- Votre désobéissance implique la peine de mort, vous le savez.

- Votre Altesse…

Elle était sincèrement choquée, comme si la perspective de perdre soudainement la vie la clouait sur place. Son action avait été irréfléchie, pour ne pas dire stupide, mais elle avait cru que la reine comprendrait… qu'elle pardonnerait. De toute évidence, elle s'était trompée sur Lyra, qui n'avait jamais aimé que l'on contestât son pouvoir. Était-ce donc terminé ? Arrivait-elle au bout du chemin ?

- Votre Altesse, je vous en supplie. J'ai mal agi, mais mes intentions n'ont jamais été de vous nuire… Je vous implore de m'accorder une chance de me rattraper. J'ai toujours été la plus fidèle et la plus talentueuse de vos femmes… Je peux me rendre utile, je n'ai pas perdu mes talents et vous savez que…

- Silence ! Tonna Lyra d'une voix si tranchante que l'air sembla se déchirer. Ne me dis pas ce que je sais ou ne sais pas ! Tu [i]étais
la plus fidèle, et c'est pourtant toi qui a trahi ton serment. Tout ce qui t'a été offert, tu l'as rejeté. Qui n'a point de talent, dans cette cité ? La loyauté, en revanche… que voilà une denrée rare.

De grosses larmes s'étaient mises à couler sur les joues de l'infortunée condamnée, qui s'abaissa sur ses genoux. La jeunesse de ses traits transparaissait pleinement en cet instant, et si Lyra avait eu la réputation d'avoir un cœur, cela aurait pu expliquer pourquoi elle changea subitement d'attitude. Fièrement dressée comme un aigle prêt à fondre sur sa proie, elle se rassit brusquement et reprit d'une voix rauque :

- Je devrais vous tuer tous les deux, pour l'exemple… Pourtant, je sais que tu as encore un rôle à jouer à mon service. Lorsque viendra l'heure, lorsque viendra l'opportunité, tu me serviras fidèlement jusqu'à la mort. Si tu survis, alors tu seras pardonnée. Si tu échoues…

Un silence pesant s'installa entre les deux femmes.

Il était inutile d'en dire davantage. Celle qui venait miraculeusement de sauver sa tête, sans vraiment comprendre pourquoi ou comment, comprit que l'entrevue était terminée et qu'il était préférable de battre prudemment en retraite. Elle se redressa en séchant ses larmes, et fit quelques pas en arrière sur la pointe des pieds. Lyra semblait prête à la laisser partir, mais elle sembla se souvenir de quelque chose :

- Ava ?

- Oui, votre Altesse ?

- Je détesterais avoir à m'entretenir de nouveau avec vos parents. Pensez-y.

L'intéressée devint livide, toute vie semblant quitter son visage. Pendant un bref instant, ses yeux exprimèrent un sentiment de pure terreur, et demeura là. Figée. Pétrifiée. Puis elle se reprit rapidement, et hocha la tête sans rien pouvoir répondre.

Lyra perçut ses pas précipités dans le couloir, alors qu'elle s'enfuyait à grandes enjambées.[/i]


~ ~ ~ ~


Ava dévisageait Learamn avec un mélange de curiosité et de méfiance. Elle n'avait pas reçu beaucoup d'informations à son sujet, mais elle avait un sens de l'observation affûté, et elle était capable de deviner la moitié de sa vie rien qu'en le regardant. Sous sa tunique de voyage usée qui semblait un peu grande pour lui, signe qu'il avait perdu du poids après un long périple, elle percevait des muscles soigneusement entretenus qui ne pouvaient pas être ceux d'un fermier. Il avait le bras trop fin, le poignet trop souple… Il était davantage habitué à manier l'épée, ce que confirmait sa réaction à la fois rapide et alerte quand Thrakan s'était approché de lui.

Elle voyait en outre quelques petites cicatrices sur ses mains, fruit d'un entraînement rigoureux qui avait laissé des traces, ou de quelques combats particulièrement âpres qui s'étaient soldés par des échanges de coups de poings. Elle ne l'imaginait pas particulièrement bagarreur, mais son regard farouche en disait long et elle préférait ne pas trop s'avancer. On disait les hommes de l'Ouest rustres et brutaux, souvent avinés et prompts à partir en guerre. Celui-ci semblait un peu mieux dégrossi que ses congénères, mais cela ne changeait rien au fait qu'il ressemblait à un paysan hirsute.

Elle sourit pour elle-même, tandis qu'elle achevait son examen mental.

Ses déductions étaient bonnes, car elle vit immédiatement l'étincelle d'intérêt s'allumer dans le regard du guerrier quand elle évoqua les miracles de la médecine du Rhûn. Elle connaissait en effet de nombreux remèdes, mais aussi des techniques qui faisaient miracle là d'où elle venait. Des savoirs transmis de génération en génération, qu'elle avait appris au contact de sa famille, et qu'elle avait perfectionnés par la suite auprès de maîtres expérimentés. Elle était considérée comme une experte dans sa branche, à tel point que Lyra avait souvent fait appel à ses services personnellement ou pour des proches.

Learamn, cependant, semblait dubitatif, ou du moins il voulait des preuves concrètes de ce qu'elle était capable de faire.

- Vous doutez de mes capacités, homme de l'Ouest ?

La confiance qui transparaissait derrière son sourire était sans faille. Elle se moquait de lui, comme si le cavalier était censé la connaître. Elle oubliait sans doute un peu vite qu'il venait à peine d'arriver à Blankânimad, et qu'il découvrait totalement le monde qui l'entourait. Ce fut Khalmeh qui intervint pour fournir quelques explications :

- Il y a des savoirs ici qui dépassent ce que vos guérisseurs peuvent comprendre. Il est fort dommage que nos peuples ne mettent pas en commun leurs précieuses connaissances médicinales pour s'entraider.

La confiance d'Ava venait de sa position. Guérisseuse renommée à Blankânimad, elle méprisait largement les savoirs venus de l'Ouest, et considérait que la seule médecine digne de ce nom était celle forgée par ses ancêtres. Khameh avait comme souvent une position plus médiane, lui qui avait beaucoup voyagé, mis un pied dans chaque monde, et vu que les Hommes avaient davantage à gagner à échanger qu'à se battre. Learamn ne put que constater à quel point la position de son compagnon de route était minoritaire, de la même manière que rares au Rohan étaient ceux à prôner une ouverture vers l'Est.

La femme inclina légèrement la tête, et reprit d'une voix douce :

- Je préférerais vous montrer mes talents dans un endroit plus… privé…

Son sourire enjôleur et malicieux était parfaitement calculé. Elle savait l'effet qu'elle faisait aux hommes, et elle en jouait sans limite. C'était probablement dû à la présence du géant à ses côtés, qui lui assurait une protection sans faille. Peut-être aussi croyait-elle dur comme fer à son statut de « femme de la reine » qui lui garantissait que personne ne viendrait s'en prendre à elle. Khalmeh voulut faire un commentaire, mais il se ravisa. Le regard de Thrakan l'incitait à garder sa langue dans sa poche pour le moment.

De toute façon, Ava n'avait pas terminé, et elle reprit :

- Pour l'heure, je dois évaluer votre état physique. Vous êtes un peu maigre, mais globalement vous avez l'air en bonne santé. Faites quelques pas, je vous prie.

Khalmeh regarda Learamn en haussant les épaules, comme pour lui dire : « ce sont les ordres de la dame ». Les guérisseurs, peu importe leur origine, se comportaient tous de la même manière. Quand il s'agissait de la santé de leurs patients, ils ne toléraient aucune contestation, et donnaient des ordres en s'attendant à être obéis par tous. Soldats ou officiers, nobles ou roturiers, même les princes et les rois se pliaient à leurs directives. Ava ne faisait pas exception, et elle observa le Rohirrim alors qu'il marchait, étudiant soigneusement sa posture et sa démarche.

- Vous ne dansez pas souvent, fit-elle sur un ton moqueur.

Il était difficile de lui donner un âge, car elle alliait une assurance que l'on acquérait qu'avec l'expérience, une forme de fraîcheur et de simplicité qui étaient celles d'une très jeune femme. Espiègle une seconde, et mortellement sérieuse la suivante, elle dégageait une forme de dualité perturbante. Et derrière cette ambivalence, on décelait encore une facette cachée, plus sombre et plus triste, qu'elle s'efforçait de ne pas révéler.

- Votre posture est voûtée, vous avez de toute évidence un grand poids sur les épaules… Et puis il y a votre blessure. Vous boitez encore un peu, même si vous compensez suffisamment pour tenir debout, marcher, et peut-être même vous battre. Le problème, c'est que vous n'êtes pas équilibré.

Ses capacités d'analyse étaient prodigieuses, Learamn n'ayant même pas fait le tour de la pièce. Elle picora une pâtisserie au miel qui était restée sur la table, et pointa un doigt vers les jambes du Rohirrim.

- Je vous apprendrai donc à danser, homme de l'Ouest. C'est décidé.

Khalmeh eut un sourire amusé, mais encore une fois il préféra garder son opinion pour lui-même. Il y avait autre chose de beaucoup plus intéressant sur lequel il voulait revenir, et il jugea bon de poser la question directement pendant que Learamn revenait s'asseoir à la table :

- Par Melkor, pourquoi la reine a-t-elle décidé de vous associer à notre petite compagnie ? Ne vous méprenez pas, je ne doute pas de vos talents, mais il y a ici un certain nombre de guérisseurs plus expérimentés, qui ont déjà affronté les routes et les horreurs d'Albyor. En tant que femme de la reine, la pire vision que vous ayez eue est sans doute une tulipe fanée. Excusez-moi de formuler les choses ainsi, mais vous risquez de nous ralentir, et cette mission s'annonce déjà assez compliquée comme ça.

Même s'il paraissait parfois fantasque et détaché, Khalmeh n'était pas un homme frivole qui était prêt à sacrifier tous ses rêves et toutes ses ambitions pour le joli sourire d'une femme. Pas une seconde fois. Il avait conscience que Lyra ne leur avait pas confié cette mission sans raison, elle qui aurait simplement pu faire appel aux troupes de sa garde rapprochée pour récupérer le chargement. Il leur faudrait de la discrétion, et peut-être une dose de muscle si quelqu'un essayait de se dresser sur leur route. Dans tous les cas, ce n'était pas la place d'une femme du monde, éduquée et raffinée, mais sans aucune expérience de la guerre et de ses dangers. Ava était demeurée impassible en l'écoutant, se contentant d'un petit sourire en coin. Elle répondit simplement :

- La reine a ses raisons, et je ne me risque pas à essayer de deviner ce qu'elle pense. Sachez seulement que je ne vous ralentirai pas.

En la regardant, il était difficile d'y croire. Ses mains impeccables, sa silhouette fine et gracile… elle ne ressemblait pas à une aventurière, et pourtant elle dégageait une confiance en elle si grande qu'il était difficile de ne pas lui accorder du crédit. Khalmeh, n'ayant aucun autre argument – après tout, il ne pouvait pas s'opposer directement aux directives royales –, haussa les épaules et se résigna à accepter la présence de cette femme dans leur compagnie. Ava inclina doucement la tête, comme pour le remercier, puis revint à Learamn :

- C'est plutôt vous qui risquez de ne pas aller bien loin dans cet état. Vous devez prendre des forces, et vous reposer. Trois jours devraient suffire pour commencer, puis nous prendrons la route à une allure modérée afin que votre corps ne soit pas soumis à trop rude épreuve. Pensez-vous que cela sera suffisant ?

Elle parlait avec l'assurance d'un chef de guerre, prenant ouvertement de haut Learamn qui pourtant avait beaucoup plus d'expérience en la matière, lui qui avait arpenté une bonne partie de la Terre du Milieu ces dernières années. Cependant, il fallait bien admettre qu'elle le défiait. Trois jours de repos après avoir chevauché pendant si longtemps… c'était peu, même pour un homme en forme. Voulait-elle le pousser à réclamer un sursis, ce qui aurait pu passer pour une marque de faiblesse, ou bien n'était-elle simplement pas au fait de la fatigue engendrée par un tel périple ? Dans les deux cas, Learamn devait se positionner, tout en sachant qu'en ne faisant rien il se laisserait mener par le bout du nez par une jeune femme dont il ne savait rien et vis-à-vis de qui il pouvait avoir des doutes raisonnables.

- Cela vaut aussi pour vous, sire Khalmeh. Vous avez fait un long voyage, m'a-t-on dit, pour aller chercher quelque animal exotique du Sud. Trois jours seront-ils suffisants pour vous permettre de vous reposer ?

- Je pourrais repartir sur-le-champ, madame, mentit-il.

Point de « mon ami », cette fois, comme s'il tenait à mettre une distance soigneusement définie entre lui et Ava. De toute évidence, il se méfiait d'elle, ce qui n'échappa guère à Learamn. Celle-ci se contenta de répondre un « oh » légèrement surpris, comme si elle considérait sincèrement l'option. Elle semblait pressée de se mettre en route, pour des raisons qui n'étaient pas immédiatement évidentes, et trépignait d'impatience malgré sa posture parfaitement contenue.

A chaque seconde, de nouvelles questions. De nouveaux secrets.

Et un seul horizon pour le Rohirrim.

La guérison.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag ava sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 8 Nov 2019 - 10:04
L'entrevue avec la reine s'était achevée sur une note étrange pour les deux hommes, contraints de se retirer respectueusement sans avoir tout à fait compris les implications de ce qu'elle leur demandait à tous les deux. Learamn, désireux de faire ses preuves, se voyait confier une mission de la plus haute importance sans laquelle il ne pourrait jamais entrer pleinement au service de cette souveraine orientale qui lui promettait monts et merveilles en échange de sa plus totale loyauté. Khalmeh, quant à lui, était contraint de mettre sa propre marchandise à l'épreuve, sans bien savoir s'il serait en mesure de contrôler l'Uruk jusqu'à l'accomplissement de sa quête. Il avait secrètement espéré que Lyra ne poserait pas trop de questions en ce sens, et il comptait sur sa verve pour la convaincre de le prendre à son service, ou d'en faire son animal de compagnie. Il s'était bien trompé au sujet de sa suzeraine, et il commençait à regretter d'avoir voulu lui tenir la dragée haute. Fort heureusement, il avait encore le bâton de commandement, mais il savait très bien que sans cet objet dérisoire, la créature se vengerait de tous les sévices infligés en lui déchirant la gorge à l'aide de ses crocs proéminents. Une armée entraînée disposant d'une logistique efficace pouvait sans peine gérer un tel monstre, mais que pouvait-il accomplir avec à sa disposition une équipe réduite d'hommes courageux, certes, mais qui manquaient cruellement de finesse et d'expérience.

Il se sentait affreusement seul face à cette tâche impossible.

Alors qu'il traversait les couloirs de Blankânimad, toujours guidé par le page qui les avait conduit à l'entretien, son regard se posa sur le jeune occidental, qui ne disait pas grand-chose. Non, il n'était pas seul dans cette aventure… Cependant, il était flanqué d'un acolyte si particulier et si imprévisible qu'il ne savait pas s'il devait se réjouir ou se lamenter. Learamn était un guerrier, à n'en pas douter, mais ses blessures avaient affaibli son corps autant que son esprit. Son poignet n'avait sans doute pas oublié comment manier une lame, et il était évident qu'il avait vu la guerre et ses horreurs. Néanmoins, avait-il encore les épaules assez solides pour affronter les inévitables dangers auxquels ils feraient face ? Il avait souffert dans sa chair et dans son âme, tant et si bien que son récit auprès de Lyra avait bouleversé Khalmeh, qui pourtant n'était pas prompt à s'émouvoir. Il y avait de la peine chez ce jeune homme, prêt à se parjurer pour sauver ce qui restait de son âme, et se convaincre qu'il faisait le bon choix.

Au service de Lyra, il apprendrait péniblement qu'il n'y avait jamais de bon choix…

Les deux hommes arrivèrent finalement devant leurs appartements, dans un silence de mort seulement rompu par le claquement de leurs pas repris en échos effrayants par les couloirs de la forteresse. Le page, dont l'élégance le disputait à la jeunesse, leur ouvrit la porte et leur permit de pénétrer dans le réduit de leur chambre où ils se changèrent, abandonnant à regret les vêtements qui leur avaient été prêtés pour l'occasion. Ils passèrent de nouveau leurs tuniques de voyage, rêches et inconfortables en comparaison des habits soyeux qu'ils avaient pu essayer. La poussière collait encore à leurs bottes, et d'invités royaux ils devinrent de nouveau de simples voyageurs pleins d'espoir et de crainte.

- Je dois parler à Lakhsha et Zark'ân pour faire le point, lança Khalmeh autant pour lui-même que pour Learamn. Même s'ils sont braves, ils ne nous accompagneront pas à Albyor… Je ne veux pas les mettre en danger outre mesure, surtout pas après tout ce qu'ils ont traversé pour en arriver là. Ils méritent un peu de repos, et j'ai le sentiment que la reine ne nous a pas tout dit de cette mission…

Son commentaire plana dans l'air un moment. Il était évident que Lyra avait retenu des informations. Albyor, la Cité Noire… Learamn n'en avait entendu que des bribes durant son voyage, mais il était évident que la compagnie de Khalmeh n'appréciait pas beaucoup l'endroit. D'après ce qu'il avait pu glaner, c'était un grand centre de l'esclavage au Rhûn, mais aussi un lieu mystérieux où se réunissaient les prêtres de Melkor. Même si les gens d'ici révéraient le Noir Ennemi du Monde, ils semblaient particulièrement mal à l'aise avec les pratiques des gens d'Albyor, et se méfiaient de ces lieux comme de la peste. L'idée même de devoir s'en approcher rendait Khalmeh nerveux, et il faisait une véritable faveur à ses hommes en les tenant éloignés de cet endroit maudit.

L'esclavagiste acheva de boucler sa ceinture, et abandonna Learamn quelques instants pour accomplir son devoir de chef. Il n'était pas facile de convaincre des hommes qui vous avaient suivi jusqu'au bout du monde de soudainement demeurer passifs, mais Khalmeh savait ce qu'il faisait. Il avait affronté les routes, les brigands et les dangers du quotidien qui rôdaient sur les chemins sinueux qu'empruntaient les voyageurs. Il connaissait le monde et ses vices, ceux que des hommes de bien pouvaient affronter froidement. Albyor était autre chose. Une noirceur profonde qui semblait coller aux remparts de cette cité honnie, une méchanceté ancrée dans la pierre et l'air, pesante comme la mort. Même s'il avait toute confiance dans ses compagnons, il savait qu'ils ne seraient pas en sécurité là-bas. S'il avait pu, il aurait même laissé Learamn à Blankânimad, mais puisque la reine avait exigé qu'il fît partie de la mission… Ils étaient tous deux embarqués dans une affaire qui les dépassait, et qui risquait de fort mal tourner.

Khalmeh demeura absent un long moment. Il parla beaucoup à Lakhsha le vénérable, qui refusa encore et encore de rester en arrière tandis que celui qu'il appelait affectueusement son fils partait dans une aventure fort dangereuse. Il fallut tous les talents de négociateurs du plus jeune pour convaincre son aîné de se montrer raisonnable. Si l'affaire réussissait, il obtiendrait sa part des gains et il n'aurait plus à se soucier du quotidien. Si les choses tournaient mal, alors ils pourraient au moins rentrer chez eux en vie. La mort n'était pas un salaire digne du courage de ces hommes.

Lorsque l'esclavagiste revint dans la chambre où l'attendait Learamn, il trouva le jeune cavalier dans ses pensées. Pendant un instant, l'Oriental se demanda à quoi il pouvait bien penser. Regrettait-il sa décision ? Songeait-il à tout ce qu'elle impliquait pour lui, pour les siens, pour tous les gens qu'il avait connus ? Il était devenu un parjure, un traître à sa patrie… il n'y avait pas de retour en arrière. Cela lui faisait-il peur ? Ou au contraire se sentait-il tout à coup pousser des ailes, désormais qu'il avait lié son destin à celui de la plus grande souveraine du Rhûn ? Lyra était à la fois terrifiante et inspirante, raison pour laquelle elle se maintenait si habilement sur le trône. Elle savait galvaniser les hommes à son service, et elle n'hésitait pas à récompenser ceux qui lui étaient fidèles. Learamn trouvait-il en elle ce qu'il avait cherché toute sa vie durant ?

Khalmeh l'espérait.

Sortant doucement le guerrier occidental de ses pensées, l'esclavagiste lui lança :

- Venez donc, Learamn. Ne restons pas enfermés ici au risque de devenir fous. La reine nous a octroyé quelques jours de repos, et je suis certain que vous êtes curieux de découvrir les merveilles de Blankânimad de vos propres yeux.

L'offre était difficile à refuser. La curiosité d'un voyageur ne pouvait pas être satisfaite par quatre murs et une bougie, et il fallait dire que l'atmosphère du palais était oppressante. Il ne fallut pas longtemps pour convaincre l'ancien officier de sortir voir le soleil, et prendre une bouffée d'air frais. Le page qui les accompagnait, toujours le même depuis leur arrivée, les attendait devant leur porte. Il se leva en les entendant arriver, et lissa les plis de sa tunique.

- Sommes-nous autorisés à profiter de la ville ? Demanda Khalmeh en westron pour permettre à Learamn de suivre la conversation.

Le garçon répondit dans le même idiome :

- Naturellement, sire. Les portes du grand Palais vous demeureront ouvertes, et vous pouvez séjourner ici tant que je n'aurai pas reçu de directive contraire. Souhaitez-vous que je vous conduise à l'extérieur ?

- S'il-vous-plaît, oui. Conduisez-nous.

De nouveau, ils empruntèrent les corridors sombres, mais cette fois avec l'espoir de revoir le jour, ce qui changeait totalement leur perspective sur le palais. La forteresse était un ogre ténébreux qui engloutissait tous ceux qui osaient s'engouffrer dans ses entrailles de pierre, mais sortir dans la cour pavée de la cité des rois du Rhûn leur procura un sentiment de bien-être absolu, comme s'ils voyaient le soleil pour la première fois de leur vie. Ils restèrent un instant à profiter de la caresse des rayons, de la légère brise qui faisait flotter leurs cheveux. Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de Khalmeh, alors qu'il descendait les quelques marches qui les conduisirent jusqu'aux portes du palais à proprement parler. On leur rendit leurs armes qui avaient été soigneusement consignées, et on les autorisa sans difficulté à quitter les lieux.

Ils repartaient à l'aventure, cette fois dans une ville qui fourmillait d'activité.

Le palais surplombait la cité, et en descendant la longue avenue vers la ville, ils pouvaient voir les innombrables maisons, les étals colorés des marchands, et au loin l'immense Porte de Toutes les Tribus qui accueillait les visiteurs. Les gens d'ici n'étaient pas très différents des gens d'ailleurs, assurément. Learamn avait déjà visité un certain nombre de grandes cités des Hommes, et il pouvait reconnaître la plupart des activités auxquelles s'adonnaient les locaux. Il y avait des marchands, des négociants, des bourgeois et des nobles qui déambulaient dans les quartiers, pressés d'aller à leurs affaires. On achetait, on vendait, on discutait des prix, on se serrait la main chaleureusement en échangeant de précieuses marchandises contre quelques piécettes de métal. Les drapiers et les tailleurs se disputaient les faveurs des plus riches clients, pour leur offrir les tissus et les tuniques les plus à la mode. Les apothicaires, dont les plantes odorantes attiraient le chaland, concoctaient des remèdes supposés tout guérir au profit d'acheteurs parfois désespérés. Rien de nouveau sous le soleil de plomb de l'Est lointain. Certains individus étaient plus difficiles à identifier, et Khalmeh offrit quelques explications à Learamn alors qu'ils croisaient un groupe d'hommes et de femmes qui faisaient des courses d'agrément, achetant des parfums et des savons, alors qu'ils étaient vêtus avec simplicité.

- Ce sont des esclaves domestiques, mon ami. Ils servent probablement un quelconque marchand trop occupé pour faire ses propres emplettes. Comme vous le voyez, ils n'ont ni chaînes, ni entraves. Ici à Blankânimad, il y a fort peu d'esclaves affectés aux travaux de force. On en retrouve dans la construction, mais ceux-là sont souvent très qualifiés, et traités avec soin. Il y a bien ceux des champs environnants, dont le sort n'est pas toujours plaisant, mais y a-t-il en ce monde un fermier qui n'ait point le dos voûté ?

Cette observation lui tira un sourire, comme s'il trouvait la comparaison amusante. Il n'ajouta rien, se contentant de guider Learamn à travers les rues de plus en plus étroites. Le jeune cavalier aurait tôt fait de voir les esclaves les plus miséreux du Rhûn lorsqu'ils atteindraient Albyor, et il comprendrait à quel point les gens de cette cité morbide différaient des habitants de la capitale du grand royaume de l'Est.

En se promenant dans les rues, ils se reconnectaient avec la société, ce qui était à la fois surprenant et perturbant après avoir passé tant de temps sur les routes. Ici comme ailleurs, on lançait quelques regards surpris à l'occidental, mais la présence de Khalmeh tenait à l'écart ceux qui faisaient montre d'une certaine hostilité. Les gens de Blankânimad n'étaient guère habitués à voir des gens de l'Ouest, qu'ils avaient soigneusement appris à détester, et certains se demandaient pour quelle raison un étranger arpentait leurs rues, alors que les lois de la Reine interdisaient théoriquement tout contact avec l'Ouest. Paradoxalement, c'était la cité la plus éloignée de la frontière qui se montrait la plus rétive à accueillir un étranger, alors que ceux de Vieille-Tombe pensaient commerce de manière plus pragmatique. Il y avait dans l'ignorance le terreau de la haine, que seule l'éducation et les bonnes mœurs pouvaient tenir en cage.

Leur visite de la capitale était un bref moment de répit dans leur aventure, mais une occasion rêvée de se détendre tout en découvrant les spécificités locales. Khalmeh semblait être comme un poisson dans l'eau, et il évoluait dans ces rues sans paraître hésiter le moins du monde quant à la direction à prendre. Il faisait un guide merveilleux, introduisant Learamn à toutes les nouveautés qu'il découvrait, tout en lui laissant le temps et l'espace de toucher, de sentir et de goûter les saveurs locales :

- On ne découvre jamais mieux un royaume que par sa cuisine ! Lança-t-il en souriant.

Fort de cette conviction, il les conduisit vers une adresse qu'il appréciait tout particulièrement, un chef local assez renommé au visage bonhomme qui s'avéra particulièrement flatté de recevoir un invité étranger, hôte de Lyra de surcroît. Les plats étaient à la fois copieux et savoureux, composés principalement de riz, de légumes et d'un nombre impressionnant de fruits. Il y avait notamment des raisins, des prunes, mais aussi des cerises qui venaient agrémenter la table et flatter le palais. Les épices étaient partout, relevant les plats parfois au point où manger des braises aurait paru plus agréable. On ne pouvait pas accuser la nourriture locale d'être fade, c'était bien certain. De toute évidence, les gens de l'Est appréciaient le goût sucré, et ils se délectaient de desserts délicieux qui ravissaient leurs sens. Il y avait chez les Orientaux une forme de raffinement dans les plaisirs qui tranchait avec la simplicité parfois austère de la cuisine occidentale. On savait préparer des mets excellents à l'ouest de l'Anduin, mais les grands seigneurs ne se seraient jamais embarrassés à amener à leur table mille épices et mille gâteaux fins. Un bon gigot et quelques bières suffisaient souvent à contenter même les rois. Ici, Learamn n'était qu'un simple invité dans ce qui pouvait passer pour une taverne miteuse, pourtant il goûtait à une multitude de plats qui auraient facilement pu trouver leur place sur la table d'un puissant monarque. Il lui fallut un moment pour comprendre que le chef attendait son avis sur tous les plats qu'il lui faisait goûter, comme s'il cherchait à tester sa cuisine envers un étranger pour l'améliorer. En fin de repas, le cuisinier lui fit venir une série de petits gâteaux sucrés pour avoir son avis sur lequel était le meilleur à des fins tout à fait politiques :

- Il espère pouvoir présenter ses délices à la reine, fit Khalmeh, c'est la raison pour laquelle il vous utilise comme goûteur. Il croit sans doute que nous pourrons l'introduire auprès de Lyra, ce qui lui garantirait un avenir doré.

L'esclavagiste sourit à cette pensée, s'amusant de la situation et de la méprise terrible. Il n'aurait pas été capable de conseiller Lyra sur les latrines à utiliser, alors encore moins sur la nourriture à ingérer. On disait la reine paranoïaque à ce niveau, et sa crainte de l'empoisonnement était de notoriété publique à Blankânimad. Bientôt, les efforts déployés par le cuisinier finirent par attirer l'attention, et quelques femmes vêtues de soieries précieuses vinrent participer à leur petit jeu. Elles étaient souriantes et charmantes, bien qu'elles ne fussent pas en mesure de parler la langue commune, et Khalmeh les présenta comme étant les « femmes de la reine », sans autre précision. De toute évidence il en savait beaucoup à leur sujet, mais préférait ne rien dire et laisser Learamn se faire sa propre opinion. Ces femmes étaient loin d'être déplaisantes, et malgré la barrière de la langue elles se montraient curieuses et ouvertes. Leur rire était communicatif, et bientôt ils formèrent une joyeuse troupe au milieu de laquelle se tenait Learamn, contraint de mimer de manière exagérée ses réactions à chaque nouveau gâteau. Elles semblaient essayer de deviner ses réactions, et elles se taquinaient réciproquement quand il accordait involontairement ses faveurs à l'une ou l'autre.

Khalmeh rit beaucoup à cette occasion, se tenant les côtes car il était un des rares à comprendre à la fois Learamn et les autres convives dont les commentaires devaient être particulièrement hilarants. Le cuisinier ne s'offusquait pas de cette ambiance festive, qui au contraire lui permettait d'attirer de nouveaux clients. Quand il se retrouva à court de bouchées à faire essayer à son noble invité, il s'inclina respectueusement devant l'ancien officier, et lui serra la main de manière énergique. Le jeune homme ne comprenait pas un traître mot, mais il y avait de la sympathie chez ce personnage haut en couleurs. Les femmes vinrent chacune à leur tour serrer la main de Learamn, en lui adressant des commentaires ravis que Khalmeh traduisait du mieux possible :

- Elle dit que vous avez des sourcils comme elle n'en avait jamais vus, lança-t-il après qu'une femme très élégante lui eût touché le visage du bout du doigt. Je crois qu'elle essaie de vous flatter, mon ami.

Khalmeh semblait apprécier cette ambiance tranquille et détendue, comme s'il retrouvait un endroit qu'il connaissait bien. C'était d'ailleurs probablement le cas, et il n'avait pas mené Learamn ici par hasard. La légèreté d'esprit des convives tranchait avec le caractère réservé et froid des autres habitants de la capitale, qui se muraient dans un silence sinistre quand l'ancien capitaine faisait son apparition. Cependant, toute bonne chose avait une fin, et l'attitude de l'esclavagiste changea du tout au tout quand un nouvel arrivant fit son apparition.


Longue barbe, la carrure impressionnante, il aurait pu appartenir à l'armée de Lyra, mais il n'en portait pas l'uniforme distinctif que Learamn avait appris à connaître. Au lieu de quoi, il arborait une solide tunique de cuir renforcée aux épaules, du genre de celles que les miliciens portaient parfois. C'était rassurant, dans le sens où cela signifiait que la reine n'avait pas décidé de changer d'avis à leur sujet et de les faire ramener dans les cachots de sa forteresse, mais demeurait à expliquer pourquoi il les regardait avec une telle intensité. Il dit quelque chose dans sa langue natale, d'une voix grave et tranchante qui n'inspirait pas la sympathie. Khalmeh répondit immédiatement en se levant, tendant une main devant Learamn pour lui intimer de rester calme. La tension était montée d'un cran, même si personne ne semblait prêt à se battre.

- Cet homme nous cherche, souffla l'esclavagiste entre ses dents. Ne craignez rien, je vais tirer cette histoire au clair.

Il n'en eut pas l'occasion. Alors qu'il était sur le point de revenir à son dialogue avec le colosse, il fallut l'intervention d'une femme pour désamorcer la situation, dans un westron teinté d'un accent local :

- Sire Khalmeh, vous n'avez rien à craindre de nous.


Elle se glissa dans la pièce à la suite du guerrier, rejetant le manteau qui couvrait ses fines épaules, dévoilant un visage fin mais teinté d'une noble gravité. Learamn ne savait peut-être pas grand-chose du Rhûn, mais il ne put manquer de remarquer qu'elle ressemblait à s'y méprendre à une de ces « femmes de la reine ». La même tunique ample et légère, dans les tons pourpres. Le même voile diaphane déposé sur les cheveux, et surtout la même attitude relâchée et confiante, qui semblait venir d'une conscience profonde qu'elle était parfaitement en sécurité. Elle siffla quelque chose en rhûnien, qui n'était pas adressé à Learamn et Khalmeh. Les autres « femmes de la reine » se levèrent comme un seul homme répondant à l'ordre d'un officier supérieur, puis elles s'inclinèrent doucement, avant de quitter précipitamment la pièce pour s'en retourner à leurs affaires. La nouvelle venue n'avait même pas eu à hausser le ton, et elle vint s'asseoir en face des deux hommes sans paraître nullement émue d'avoir ainsi bouleversé l'atmosphère de la petite taverne :

- Homme du Rohan… Vous n'êtes pas facile à trouver. A croire que vous vouliez éviter d'être suivi.

Son mince sourire s'étira légèrement. Le guerrier derrière elle posa une main protectrice sur le dossier de sa chaise, conservant l'autre sur la garde de son épée. Le message était parfaitement clair. Dans cette cité, Learamn ne pouvait pas se cacher.

- Comme je l'ai dit, vous ne devez pas nous craindre. C'est Son Altesse en personne qui m'envoie à votre service. Je pensais vous retrouver dans vos appartements pour me présenter, mais vous aviez déjà quitté le palais de Son Altesse. Je m'appelle Ava, enchantée.

Elle tendit une main menue et délicate à Learamn. Une main qui n'avait jamais connu l'épée, ni la houe, ni le râteau. Une main immaculée, celle d'une femme d'un certain statut qui semblait tout ignorer des travaux des champs, des difficultés de la vie. Le visage qui était attaché dégageait une autre impression, qu'il était difficile de confirmer. Ava, puisque c'était son nom, avait le regard d'une femme en mission, et ses interlocuteurs comprirent bientôt que c'était précisément le cas.

- J'ai été mandatée par Son Altesse, fit-elle, pour vous accompagner dans votre entreprise. Je dois vous suivre, vous et vos compagnons, pour vous apporter toute l'aide que je pourrai. Et d'après ce que j'ai pu comprendre, je pense que je vous serai très utile.

Elle marqua une brève pause, avant d'ajouter :

- Je peux guérir votre blessure, homme du Rohan… si tant est que vous écoutiez mes conseils et que vous soyez prudent. Il n'y a aucun mal que je ne puisse apaiser, et par Melkor je vous rendrai toutes vos forces pour peu que le temps m'en soit donné.

Un bref silence s'installa. Khalmeh comprenait de mieux en mieux les rouages complexes de l'esprit de la reine, et s'il l'avait pu il aurait applaudi chaleureusement ce coup brillant, car il était évident qu'elle ne faisait pas cela par charité. Elle offrait à Learamn un avant-goût de ce qui pouvait l'attendre, et en s'efforçant de lui rendre la santé elle travaillait dur à s'attacher ses services. Elle achetait sa loyauté, certes, mais pas avec de l'or ou des pierres précieuses… avec quelque chose de bien plus rare, que le Rohan n'avait pas pu lui apporter. Il aurait pu se tourner vers les Eldar, et il n'aurait pas été le premier homme à faire ce long périple pour rencontrer le peuple immortel. Sauf que le peuple immortel n'était plus l'ami des Edain depuis longtemps, et que malgré son éloignement, il lui était plus facile d'arriver brisé et sans le sou au fin fond du Rhûn, que de pénétrer dans une des forêts interdites des Elfes.

Lyra tenait désormais entre ses griffes un allié au potentiel gigantesque, et elle avait l'intention de le rendre fidèle pour exploiter au mieux toutes ses capacités. Pourtant, le joli minois de la « femme de la reine » n'était qu'une façade destinée à lui cacher la véritable nature de sa présence à ses côtés. Elle n'était pas simplement là pour le soigner, mais aussi pour le surveiller et s'assurer qu'il ne ferait rien allant contre les intérêts de la toute puissante reine du Rhûn. Cette réalité était matérialisée par le guerrier qui demeurait silencieux et debout, les dominant de toute sa taille. Voyant que les deux hommes regardaient le vétéran à la longue barbe brune, elle lança à Khalmeh et Learamn :

- Voici Thrakan, dit le Fléau de l'Ouest. Il a tué beaucoup des vôtres.

Une précision qui n'était pas nécessaire, tant l'animosité qui brûlait dans le regard du guerrier était palpable.

Un esclavagiste et sa créature, une guérisseuse et son Fléau… A l'instar des cinq doigts de la main, ils étaient tous prodigieusement différents, mais ils devraient apprendre à coopérer les uns avec les autres car ils dansaient tous dans la paume de l'inquiétante souveraine du Rhûn…
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