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Sujet: Fendre l'armure
Ryad Assad

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Rechercher dans: Albyor   Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Fendre l'armure    Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 29 Sep 2020 - 10:17

Ils ne pouvaient ni se cacher, ni fuir.

Le navire les piégeait aussi sûrement qu’une souricière, coupant leur retraite, les emmenant toujours plus profondément dans les cales depuis lesquelles ils pouvaient entendre les hurlements déchirants de l’équipage que l’on massacrait. Leurs ennemis étaient déterminés, et nul ne se dresserait sur leur chemin sans en subir les conséquences. Une mort immédiate, qui était peut-être préférable à toutes les tortures qu’on leur infligerait s’ils étaient pris vivants. Kryv frissonnait de la tête aux pieds, agitée de tremblements nerveux chaque fois qu’elle percevait un nouveau cri. C’était comme si une part d’elle mourait à chaque fois qu’une vie s’éteignait, et elle en avait presque le souffle coupé et les larmes aux yeux…

Elle suivait aveuglément le Rohirrim, qui s’efforçait de la rassurer comme il le pouvait. Ce n’était pas la perspective de sa propre fin qui l’inquiétait le plus, cependant… c’était de savoir ce que ses ennemis feraient d’elle et de ses étranges capacités s’ils la reconnaissaient et décidaient de la mettre au service de sombres desseins.

Elle trébucha sur une marche inégale, et manqua de s’écrouler.

- Ce sont des hommes du Grand Prêtre. Je reconnais leur chef, Durno…

Rien d’autre ne sortit de sa bouche, tant la terreur la pétrifiait. Le Grand Prêtre, Jawaharlal en personne… L’idée même entrer à son service et de faire les basses besognes d’un homme tel que lui avait de quoi lui donner la nausée. Les sévices qu’elle endurerait avant de finalement céder à ses sombres désirs de pouvoir et de conquête ne seraient qu’une goutte de sang dans l’océan de ses tourments, quand il aurait enfin réussi à la briser. Des images d’une rare violence firent irruption dans son esprit, s’imposant à elle en une vision saisissante dont elle ne pouvait pas se détourner. Incapable de bouger, les yeux grands ouverts, elle fixait le lointain en y voyant non plus la cale et la promesse d’une mort douloureuse, mais bien la perspective encore plus terrible d’une vie entière de servitude…


- Kryv…

Elle cligna des yeux. Jawaharlal se tenait là, le corps brisé par les innombrables scarifications qu’il s’était infligé lui-même, mais l’esprit toujours alerte et vif. Elle était parfaitement soumise à la volonté de ses yeux délirants, qu’il plongeait en cet instant dans les failles de son esprit, pour en extraire la vérité.

- Oui, mon maître…

Les mots sortaient mécaniquement de sa bouche, et le Grand Prêtre s’approcha d’elle, tendant une main blême vers sa gorge. On aurait dit les griffes acérées d’un faucon, prêtes à lui transpercer la chair.

- Kryv… Essaie encore de lire Son avenir… Tu dois y arriver… Je sacrifierai autant d’âmes que nécessaire. Même si pour cela je dois immoler la moitié de ce royaume…

Des larmes se mirent à couler sur les joues de la jeune femme, au moment où les doigts du Grand Prêtre se refermaient sur elle.




- Learamn !

Le cavalier venait de surgir dans son univers, à tel point qu’elle avait sursauté en le voyant, alors qu’il se trouvait à seulement quelques centimètres de son visage. Combien de temps était-elle restée dans cet état ? Quelques secondes ? Quelques heures ? Probablement un bref instant, car elle était toujours vivante, libre, et les bruits de combat continuaient de résonner derrière eux. Elle cligna des yeux, revenant à la réalité. La cale. L’obscurité. Les Melkorites…

Fuir.

- Venez, fit-elle en se relevant. Nous ne devons pas rester ici.

Learamn l’arrêta un instant, et entreprit de lui offrir sa dague. Une arme dérisoire face à la menace qui les poursuivait, mais qui pouvait effectivement se révéler utile le moment venu. Kryv ne put s’empêcher de manifester de la surprise. C’était la première fois de sa vie qu’elle se voyait confier une arme : les maîtres n’aimaient pas donner de tels objets à leurs esclaves en règle générale, et elle-même n’avait dû tenir une lame effilée qu’une poignée de fois dans sa vie. Sentir le poids de cet instrument de mort entre ses doigts lui rappela qu’elle était désormais libre, et en capacité de prendre ses décisions. Vivre ou mourir. Combattre ou attendre sagement la fin qui lui était promise. Prendre sa propre vie, si elle l’estimait nécessaire.

Elle contempla l’objet pendant un bref instant.

Learamn avait-il songé à cette éventualité ? Lui confiait-il une arme de sorte qu’elle préservât sa liberté dans l’après-vie, plutôt que d’être constituée prisonnière ? Ou bien espérait-il seulement qu’ainsi armée, elle lui apporterait un appui décisif dans le combat qu’ils seraient contraints de mener ? Elle avait ressenti toute la fureur de ses sentiments contradictoires, et décelait en lui un désir profond de mourir au champ d’honneur, couplé à une rage de vivre qu’elle n’avait encore jamais rencontrée. Ils étaient peut-être plus proches qu’elle ne l’avait pensé à l’origine.

- Merci, lâcha-t-elle sans parvenir à mettre dans ce simple mot la moindre émotion.

La situation demeurait critique pour les deux fugitifs, qui n’étaient pas encore sortis d’affaire. Learamn, fort heureusement, semblait savoir où il allait. Il naviguait dans le navire avec aisance, et les conduisit jusqu’à la fameuse marchandise qu’ils étaient censés transporter jusqu’à Blankânimad. L’objet de toutes les convoitises, qui semblait déchaîner les passions ici à Albyor, et inquiéter la reine au premier chef. Kryv ne put s’empêcher de marquer un temps d’arrêt quand Learamn abattit son épée sur le cadenas qui fermait l’une d’entre elles.

- Vous êtes sûre que… ?

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, que déjà le Rohirrim se penchait sur le trésor, qui les laissa tous deux passablement stupéfaits.

La situation était bien pire qu’ils le pensaient…


~ ~ ~ ~


L’odeur du sang ne dérangeait pas particulièrement Durno. C’était préférable, d’ailleurs, quand on travaillait au service du Grand Prêtre de Melkor, car depuis peu les exécutions s’enchaînaient et laissaient à peine le temps aux serviteurs de nettoyer le sol. Les dalles de pierre de la grande salle d’exécution étaient d’ailleurs incrustées de sang séché au point que les esclaves l’appelaient familière la « salle rouge ». Un nom qui lui convenait tout à fait.

- Capitaine, tout le monde est à bord.

- Bien, fit l’intéressé. Larguez les amarres, on y va. Cap sur Albyor, et que ça saute.

Le navire ne tarda pas à se mettre en branle, sous l’action combinée de quelques rameurs descendus dans le ventre du navire pour le manœuvrer, et de trois bateliers qui lui donnaient l’impulsion et la direction. A ce rythme-là, ils arriveraient dans moins d’une journée. Durno jeta un dernier regard à Lâm-Su, s’estimant satisfait de l’opération… Trois de ses hommes étaient morts face au colosse, et deux avaient été blessés par les marins, mais c’était bien tout. Un mince prix à payer en échange de la perspective de ramener au Grand Prêtre la si précieuse cargaison.

Il se détourna de la tour de garde, dont les administrateurs sortaient timidement pour récupérer la dépouille de leur chef, et se concentra sur les hommes dont il avait désormais la charge. Les marins qui n’avaient pas été passés par le fil de l’épée étaient blessés ou inconscients. Ou les deux. Ils n’étaient plus que quatre en vie, et les soldats s’occupaient de leurs blessures pour éviter leur mort prématurée. Ils pouvaient encore servir Melkor : Jawaharlal avait toujours besoin de nouveaux sacrifices. Ceux-là se tiendraient tranquille tant qu’ils penseraient que la liberté se trouverait au bout du voyage, ce que Durno était déterminé à leur faire croire.

C’était l’autre prisonnier qui l’intéressait davantage.


Ses hommes avaient eu fort à faire pour le maîtriser, et il avait le sang des fidèles de Melkor sur les mains désormais : un crime passible de mort devant le tribunal de l’Ogdar, devant lequel Durno espérait bien pouvoir le conduire au terme de leur voyage… Mais d’abord, il avait besoin de lui soutirer des informations, de comprendre qui il était, et pourquoi il se trouvait là. On le fit amener péniblement, avant de le jeter à terre où il demeura là, étendu, s’étouffant à demi dans son propre sang. Il ne s’était pas laissé prendre sans combattre, et souffrait de nombreuses blessures plus ou moins graves. Une lame avait perforé son abdomen et s’était glissée entre ses chairs ; pas assez profondément pour le tuer d’un seul coup, mais assez pour l’affaiblir considérablement. C’était pourtant le coup de taille à l’arrière de la cuisse qui avait eu raison de lui. Incapable de tenir debout, il était devenu une proie facile pour les Melkorites qui s’étaient vengés sans ménagement. Le nez cassé, la lèvre éclatée et le visage tuméfié, le Fléau de l’Ouest ressemblait à un ours dompté, le jour de sa mise à mort.

Durno savourait sa victoire.

++ Qui toi être ? ++ Demanda-t-il dans un rhûnien toujours aussi approximatif. ++ Garde ? Hm ? Protecteur ? ++

Thrakan ne répondit rien, essayant de reprendre son souffle et quelques maigres forces. Durno ne lui en laissa pas le loisir, et lui écrasa l’épaule de son pied pour se rappeler à son bon souvenir.

++ Toi parler ? Hein ? Toi parler vite. Qui toi être ? ++

++ Je être garde ++ ironisa le géant dans une réponse dont la subtilité échappa à Durno. ++ Où est la femme ? Où est-elle ? ++

Il s’agita, retrouvant soudainement ses forces titanesques, prêt à les déchaîner sur le capitaine. Percevant sa furie, Durno appuya encore plus fort afin de le maintenir au sol, et répondit d’une voix mauvaise :

++ Elle être morte. Elle… résister. Inutile ! Et toi ? Résister aussi ? ++

Le Fléau n’entendit pas la question, focalisé sur la première information qui venait de parvenir à son cerveau embrumé. Ava ? Morte ? Tuée par ces chiens ? Ce n’était pas possible ! Tout simplement pas possible… Aurait-il osé ? En se souvenant de la rapidité avec laquelle Durno avait tué le régent de Lâm-Su, Thrakan comprit que la mort d’Ava ne pesait pas bien lourd sur la conscience du sédéiste de Melkor. Il se croyait tout puissant, et le statut de la jeune femme l’indifférait au moins autant que celui de son prisonnier actuel. Tout ce qu’il entendait obtenir, c’étaient des réponses à ses questions. C’était pourtant sans compter sur la colère insoupçonnée du géant, qui se releva avec une force étonnante, jetant Durno au sol en lui balayant le pied.

++ TU VAS MOURIR, SALE CHIEN !! ++

À la surprise générale, Thrakan se redressa, immense et fier. Il n’était pas désarmé, tant ses mains gigantesques ressemblaient à des massues. Les torches que tenaient les gardes étendaient son ombre démesurée comme un voile sur Durno, dont le regard sembla soudainement empli d’une crainte nouvelle chez lui. Il avait sous-estimé cet adversaire, comme un chasseur trop confiant s’approcherait d’un prédateur blessé, oubliant et les crocs et les griffes et la rage meurtrière d’une créature née pour tuer. Dans les yeux de Thrakan, on pouvait lire une vérité indépassable… Il y aurait des vies brisées ce soir.

La vie du capitaine fut prolongée in extremis quand un de ses soldats, chétif comme un fétu de paille, tenta d’embrocher le géant barbu. Il eut la mâchoire anéantie par le coup de poing dévastateur qui le cueillit en plein vol, et son cou lâcha un craquement sinistre en percutant le bastingage. Son corps flasque glissa sur le pont et s’immobilisa, pas un souffle ne sortant de sa poitrine. Le second n’eut pas le temps de réagir, que déjà il basculait par-dessus bord sous l’impact terrible qui lui enfonça la cage thoracique. Le coup, aussi puissant que si un marteau s’était abattu sur lui, avait fait décoller ses pieds du sol comme s’il ne pesait rien.

La furie de Thrakan semblait n’avoir aucune limite, mais il savait pourtant qu’il était encerclé et en grand danger ici. Il avisa les autres Melkorites qui, alertés par le vacarme, quittaient leur poste en toute hâte pour venir arrêter la machine de guerre désormais réveillée. Ils s’emparaient de leurs armes, bondissaient sur leurs pieds, en espérant arriver à temps pour l’empêcher de prendre la vie de leur chef. Mais c’était trop tard. Rien ne pouvait plus arrêter le Fléau désormais, entré dans une folie furieuse dont il ne sortirait pas avant de les avoir tous massacrés. Il se retourna pour porter le coup de grâce à Durno, et lui faire payer son crime odieux… d’avoir tué Ava, cette âme si innocente et pure.

Leurs regards se croisèrent, alors qu’un vent glacial se levait sur leurs épaules.

Le duel s’acheva avant même de commencer.

Thrakan lâcha un gémissement, et en baissant les yeux, il put voir la lame en acier plantée dans son torse. Durno ne put s’empêcher d’avoir un bref mouvement de recul quand le géant tenta une ultime ruade dans sa direction. Un éclair de terreur passa dans ses yeux, comme s’il doutait maintenant de la capacité de l’acier à arrêter le monstre. Était-il même humain ? Pouvait-il défier ainsi un serviteur du Dieu Sombre et s’en tirer ? Le capitaine implora silencieusement les forces ténébreuses dont il s’enveloppait quotidiennement, priant pour obtenir la victoire, et pour voir le monstre chuter comme tous ceux qui se dressaient face à Jawaharlal, maître d’Albyor. Melkor lui accorda finalement son appui, et la tentative du Fléau se mua en un échec cuisant lorsque ses genoux heurtèrent le sol douloureusement.

++ Ava… ++

Sa voix se brisa en un sanglot. Durno, haletant, s’éloigna encore un peu par prudence, mais il ne craignait plus rien désormais.

++ Ava… ++

Un dernier mot, lâché dans un dernier souffle.

La vie quitta Thrakan, et son corps s’écroula sur le côté, comme s’il n’avait été qu’une marionnette dont les fils venaient soudainement d’être sectionnés.

Une larme solitaire perla sur sa joue.


~ ~ ~ ~


Serrée fermement dans les bras de Learamn, Kryv tremblait de tout son long. Pas de froid, car il faisait lourd dans les cales ; pas de peur, car hélas elle était absorbée par des émotions bien plus fortes en cet instant. Son esprit lui envoyait une succession de visions dont le sens lui échappait totalement, mais qui s’imposaient encore à elle, toujours plus violentes, toujours plus douloureuses. Elle s’était mise à crier, à gémir, à pleurer, à se débattre, au point que Learamn avait dû l’emmener dans un abri sûr et l’empêcher physiquement de faire trop de bruit, au risque qu’elle révélât leur position.

Elle finit par revenir à elle, en nage et complètement dépassée par la force de ces plongées dans le passé et l’avenir qui la secouaient comme rarement encore dans sa vie.

- Learamn…

Sa voix était très faible, ce qui convenait parfaitement à la situation et à leur impératif de discrétion, bien que pour le moment ils n’eussent pas encore été repérés. Il semblait, les hommes de Durno n’avaient pas conscience de leur présence à bord, car ils ne paraissaient pas les rechercher particulièrement, sans quoi ils n’auraient pas manqué de les trouver, terrés au fond du navire. Cependant, ils étaient passés vérifier la cargaison, et pouvaient revenir à tout moment.

- Learamn… J’ai vu des choses… Des morts… Par centaines…

Il aurait été facile de dire qu’elle divaguait, ou qu’elle affabulait. Cependant, elle avait l’air de croire sincèrement à ce qu’elle voyait, et la peur dans ses yeux n’était pas feinte. Elle qui paraissait d’ordinaire si détachée de tout dévoilait une fragilité presque totale, comme un enfant face à un monde cruel.

- Les Melkorites, Learamn… Tellement de sang… Tellement, tellement…

Elle s’était mise à pleurer. Ce n’était pas la première fois depuis qu’elle était propulsée dans ses visions. Cette fois, cependant, la fatigue l’emporta sur le reste, et elle sombra dans un sommeil agité, troublé sans doute par de nouveaux rêves.

Pour un temps, elle échappait au cauchemar du présent, dans lequel Learamn était quant à lui piégé. Piégé dans la cale puante d’un navire à destination d’Albyor, le dernier endroit en Terre du Milieu où il aurait souhaité être. Piégé dans l’incertitude de ne pas savoir ce qu’il était advenu de ses compagnons. Thrakan, Khalmeh, Ava… Ils avaient tous disparu, peut-être capturés par les hommes de Durno, peut-être pire…

Que lui restait-il, désormais ?

Sa mission ? Était-il encore en mesure de l’accomplir dans ces circonstances ? Pouvait-il faire autre chose que sauver sa vie, et quitter cet endroit de malheur ? Mais pour aller où ? Y avait-il un seul endroit où lui et Kryv pouvaient être en sécurité ? Ils n’avaient ni alliés, ni appuis… Quitter Albyor serait impossible compte-tenu de l’emprise du Grand Prêtre… La seule chose dont disposait Learamn pour le moment, c’était de temps pour réfléchir.

De temps, et d’un immense trésor.

Des centaines, non des milliers d’armes et d’armures soigneusement rangées dans les cales d’un navire apparemment quelconque. Des armes comme on n’en fabriquait pas dans le monde des Hommes. Le métal était bien trop léger et trop résistant, trop bien travaillé… La dernière fois que le jeune cavalier avait aperçu de telles pièces, elles étaient fièrement portées par les représentants des Naugrim. Celles-ci, en revanche, avaient été conçues pour être portées par des Hommes, et quiconque mettrait la main dessus pourrait constituer une force redoutable.

Du temps, et assez d’armes pour équiper au moins cinquante éored.

Il ne lui restait plus qu’à trouver quoi en faire.
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Ryad Assad

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Rechercher dans: Albyor   Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Fendre l'armure    Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 17 Sep 2020 - 17:33

Un assassin.

C’était ce que Learamn était devenu en l’espace d’une seconde, quand il avait pris la décision de mettre fin à une existence pour en sauver une autre. Pas au cours d’un duel honorable l’épée à la main, pas à la suite d’un accident ou d’un geste involontaire… non. Il avait délibérément ôté la vie d’un homme sans défense. Toutes les justifications qu’il pouvait essayer d’apporter ne changeraient rien à la sinistre vérité.

En entendant la voix du Rohirrim qui l’appelait, Kryv était descendue précautionneusement, pour découvrir la scène de crime. Elle avait retenu un cri d’horreur, et avait fiché ses yeux dans ceux déterminés de Learamn, qui la dévisageait avec un mélange de rage contenue et d’indifférence. Étrange entre-deux dans lequel il semblait se complaire. La mort qu’il venait de donner ne paraissait pas l’émouvoir particulièrement, comme si les doigts griffus de Melkor glissaient sur ses épaules, sans parvenir à l’attirer dans le royaume de la culpabilité.

- Vous l’avez tué ? Demanda-t-elle sans y croire tout à fait.

Pour une devineresse, elle semblait particulièrement surprise. A croire que les actions de Learamn n’entraient pas le spectre de ce qu’elle pouvait prévoir. Elle se donna une contenance en dépit de la situation, et s’avança vers le corps de l’homme étendu par terre. Il avait le regard pétrifié dans sa dernière expression, la terreur et l’incompréhension. Curieux que d’afficher un air aussi perplexe à sa dernière heure, quand on vivait au quotidien avec une femme capable de voir le futur. L’ironie de la situation était d’une rare violence, teintée du carmin qui s’infiltrait dans le parquet soigneusement entretenu. A genoux devant lui, Kryv lui ferma délicatement les yeux… Elle n’avait jamais aimé l’homme, mais elle n’avait jamais haï son existence au point de lui souhaiter une telle mort.

- Adieu, fit-elle sur un ton difficile à cerner. Si vous m’aviez laissé regarder votre avenir, j’aurais peut-être pu vous éviter une fin aussi tragique…

Ce n’était pas de la compassion que l’on devinait dans sa voix. Plutôt un « je vous l’avais dit » qu’elle lui lançait comme pour lui reprocher de n’avoir jamais voulu d’elle autre chose que l’argent qu’elle pouvait lui rapporter. Elle lui adressa une brève prière en rhûnien, avant de se redresser, le regard résolu.

- Nous ne devons pas rester ici, les murs d’Albyor ont des yeux, et qui sait quels malheurs s’abattront sur vous si on vous identifie comme le responsable de tout ceci. Venez, je connais une sortie discrète.

Liés.

Ils l’étaient désormais, par le sang versé, et par leur fuite commune dans les rues d’Albyor, le souffle court, un œil dans leur dos pour s’assurer que personne ne les suivait. Sans qu’il en ait pleinement conscience, l’univers de Learamn venait de basculer.


~ ~ ~ ~


- Lâm-Su.

La voix de Thrakan les sortit de leurs pensées tumultueuses, tandis qu’il pointait du doigt la silhouette solitaire de ce qui ressemblait à une tour de garde dressée sur les rives du fleuve. Le colosse se retourna vers ses compagnons, pour s’assurer qu’ils ne dormaient pas en selle, et jeta un coup d’œil particulièrement peu sympathique à Kryv, dont la présence au sein de la compagnie n’était pas pour lui plaire. Il avait fallu tous les talents de négociatrice d’Ava et la bonhommie de Khalmeh pour le convaincre d’accepter sa présence à leurs côtés. Learamn s’était porté garant pour la devineresse, ce qui n’était certainement pas un gage suffisant pour le Fléau de l’Ouest.

Il avait finalement accepté de mauvaise grâce de la laisser prendre part à leur mission, considérant qu’elle était la responsabilité de Learamn, et qu’il tiendrait ce dernier pour responsable si quelque chose devait mal tourner. Il n’y avait rien à ajouter au sujet, les deux hommes n’étant pas désireux d’abandonner leurs positions respectives. Kryv chevauchait ainsi parmi eux, ayant troqué sa tunique de devineresse pour un vêtement un peu plus discret de voyageuse. Elle ressemblait à une aventurière comme les autres, mais son regard ne trompait pas : il y avait de la sorcellerie chez cette femme. Thrakan se retint de cracher au sol pour conjurer le mauvais sort.

++ C’est une ancienne tour de garde de l’armée d’Albyor ++ Fit-il en rhûnien en mettant délibérément Learamn à l’écart de la conversation. ++ Elle date d’avant l’ère de Sharaman, et servait à contrôler l’accès du fleuve en amont, pour éviter les attaques. C’était là que s’arrêtait l’autorité d’Albyor ++

Il entendit derrière lui Ava qui faisait la traduction, ce qui l’agaçait moins qu’au début de leur voyage, mais qui n’était pas pour lui plaire. Les efforts qu’elle était prête à consentir pour intégrer cet étranger à leur groupe et, plus largement, à leur culture, le mettaient mal à l’aise. Il préférait voir les gens de l’Ouest morts ou réduits en esclavage. Il avait combattu souvent contre eux, à la fois en tant que soldat et en tant que mercenaire quand il avait quitté les rangs de l’armée régulière. Il savait de quoi ces monstres étaient capables, et il n’appréciait pas de savoir qu’un Rohirrim marchait à ses côtés. La seule raison pour laquelle il acceptait sa présence était que la Reine en personne l’avait ordonné.

Revenant à son observation, il pointa du doigt la route qui menait paresseusement à Lâm-Su.

++ Pendant la Guerre, Lâm-Su a été le lieu d’une grande victoire. Beaucoup des nôtres sont morts là où nous allons marcher. La tour a longtemps servi à protéger le fleuve, mais au début du règne d’Alâhan, elle a progressivement perdu sa fonction. Aujourd’hui, on n’y trouve que quelques administrateurs chargés de lever les taxes de la cité, dont le régent de Lâm-Su. C’est à l’embouchure de la Mer du Rhûn que l’on trouve les troupes royales, désormais. ++

Les connaissances de Thrakan sur la région étaient encyclopédiques, et révélaient une facette du guerrier qu’il n’avait pas encore révélée, et qui ne manquait pas d’étonner quand on connaissait son caractère habituellement taciturne. En réalité, Thrakan avait passé de nombreuses années stationné à Albyor et dans sa région quand il était encore soldat. Ce n’était pas l’affectation idéale, on la réservait en général aux fortes têtes et aux soldats qui avaient fait preuve d’insubordination. Il avait passé huit ans ici, et il connaissait bien les environs de la ville pour avoir patrouillé un nombre incalculable de fois dans ces plaines. Puisque son domaine d’expertise était la guerre, il était particulièrement bien informé sur l’histoire militaire de cette partie du royaume. L’entendre parler ainsi était rassurant, et donnait le sentiment qu’ils savaient où ils allaient.

Ils chevauchèrent encore quelques heures, découvrant un peu plus Lâm-Su et les vestiges de l’impressionnant système défensif, à la lueur du soleil déclinant. Un vieux mur d’enceinte, dont il ne restait plus que quelques sections intactes, entourait la tour de garde à proprement parler, qui s’élevait sur cinq niveaux – à en juger par le nombre de fenêtres. Elle surplombait la région, et permettait de voir de très loin les navires remonter le fleuve. Des meurtrières permettaient à des archers embusqués de tirer dans toutes les directions, et pendant un bref instant ils se sentirent à la merci de quiconque pouvait se trouver à l’intérieur. Personne ne leur tira dessus, fort heureusement, mais ils furent hélés par un homme qui se trouvait à l’entrée du fort, et qui leur demanda de s’identifier sans délai.

Thrakan se tourna vers Ava, la plus diplomate de toutes, qui se chargea de faire la conversation, et d’obtenir les autorisations nécessaires. On fit chercher le régent de la tour de garde, qui descendit pompeusement et examina les compagnons des pieds à la tête, avant de regarder le document royal officiel que lui tendait la « Femme de la Reine ». Tout ce protocole de vérification minutieuse laissait de l’espace aux membres de la compagnie, et Khalmeh fit signe à Learamn d’approcher.


- Mon ami, j’ai une demande à vous faire…

Il parlait tout bas, observant de loin Thrakan et Ava qui discutaient avec l’administrateur en chef de Lâm-Su.

- Quand nous serons autorisés à monter à bord, trouvez un prétexte, n’importe quoi… j’aimerais bien que vous puissiez voir quelle est la nature de cette cargaison. Je sais qu’on ne devrait pas, mais j’ai l’impression qu’Ava nous cache quelque chose… Juste un petit coup d’œil rapide, hein ? Rien de méchant.

Il accompagna sa requête d’un sourire entendu, puis retrouva son sérieux quand Ava revint vers eux, visiblement satisfaite :

- Nous avons obtenu l’autorisation de procéder au contrôle du navire. Le sceau royal a encore de la valeur ici, contrairement à ce que vous pouviez penser Khalmeh. Leur seule requête est que nous ne pénétrions pas dans la tour, pour des raisons de sécurité. Nous pouvons nous installer dehors, et ils nous feront signe quand le navire approchera.

Khalmeh avisa les environs. Un grand espace vide bordé d’un côté par les restes du mur, et de l’autre par la tour et le fleuve. Un bâtiment en bois qui servait d’écuries, et un autre dans lequel étaient stockées quelques vivres. Tout à coup, leur auberge d’Albyor leur manqua, elle qui avait au moins un toit et un matelas relativement confortable. Cela s’apparentait au grand luxe, en comparaison des conditions dans lesquelles ils allaient devoir attendre. La terre était sèche et dure, poussiéreuse, et parsemée de petits cailloux qui leur rentreraient dans les reins s’ils essayaient de s’allonger. Ils s’installèrent rapidement, montant un camp de fortune pour passer le temps, en attendant l’arrivée du navire. Khalmeh s’en alla nourrir son Uruk, Kryv s’absorba dans une contemplation méditative du fleuve, Thrakan s’appliqua à affûter son épée, et il ne resta plus – comme souvent – que Ava et Learamn.


- J’ai du mal à croire que nous soyons déjà arrivés si loin, lâcha-t-elle, pensive. Lâm-Su, le navire, et nous serons en route pour Blankânimad avant d’avoir pu y songer. Vous pourrez trouver une bien meilleure situation une fois que vous aurez rempli votre devoir au nom de la Reine, sachez-le. Elle peut paraître impitoyable, mais elle sait récompenser à leur juste valeur ceux qui la servent bien.

« Et punir de manière exemplaire les autres… » se retint-elle d’ajouter. Elle espérait de tout cœur que la générosité de Lyra lui permettrait de retrouver le cours normal de son existence. Pour tuer le temps, en attendant de pouvoir poursuivre leur mission, elle reprit les exercices avec Learamn, vérifiant sa coordination, sa motricité, sa souplesse, et évaluant les nouveaux axes de travail qu’elle entendait définir. Elle le fit danser un peu, sans qu’il fût très clair si cela participait de sa rémission ou si c’était simplement pour le plaisir de présenter une facette très différente de lui devant leur nouvelle compagne de route. Ils rirent un peu, se racontèrent des histoires au coin du feu, et firent preuve d’inventivité pour se divertir, allant jusqu’à confectionner une balle avec quelques fétus de paille qu’ils trouvèrent là.

Les heures passèrent, tissées patiemment par Melkor qui prenait de toute évidence un malin plaisir à les faire languir. Le jour descendit progressivement à l’Ouest, là où se trouvait la terre natale du jeune Rohirrim. En suivant la trajectoire de l’astre solaire, il pouvait deviner à peu de choses près où étaient les siens, le royaume qu’il avait quitté. Derrière lui, là où s’étirait son ombre de plus en plus grande, se trouvait la capitale du Rhûn, et sa nouvelle maîtresse. La perspective d’entrer à son service était-elle toujours aussi alléchante désormais qu’il parcourait son royaume et accomplissait sa volonté ? Devrait-il retourner à Albyor si la souveraine l’exigeait ? Ou pourrait-il se prélasser dans le confort indécent de Blankânimad ? A moins qu’il fût envoyé affronter de nouveaux ennemis dont il ignorait tout… Le Rhûn recelait encore bien des mystères.

++ Navire en vue ! ++

Une voix forte résonna au sommet de la tour de garde, et tout à coup Lâm-Su s’agita. Les administrateurs étaient une demi-douzaine, pour la plupart des comptables et des experts de la négociation fluviale, chargés d’examiner les marchandises, leur prix, et de définir la taxe correcte à appliquer. Ils se pressèrent comme des souris sur le ponton près duquel le navire devait s’arrêter. La petite compagnie menée par Ava s’approcha à son tour du fleuve, pour découvrir leur cible. C’était une grande barge de transport à fond plat, conçue pour circuler sans difficulté dans les eaux les moins profondes, et ainsi remonter les fleuves en toute tranquillité. Quelques hommes s’affairaient sur le pont, signalant leur présence par de grands gestes du bras. Ils mirent un moment à arriver, et furent accueillis par une délégation qui comprenait à la fois les administrateurs du poste de garde, ainsi que la compagnie d’Ava.

++ Bonjour capitaine, j’espère que vous avez fait bon voyage ++ Lança le régent. ++ Ces hommes sont ici au nom de Sa Majesté Lyra, avec un mandat pour récupérer une partie de votre cargaison. Ils l’achemineront personnellement à Blankânimad… ++

La traduction de Kryv permit à Learamn de comprendre la réaction agacée du capitaine, et la brève négociation qui suivit. Décharger la cargaison, cela impliquait un retard à l’arrivée, qui ne plairait certainement pas à ses clients, ni à ses hommes qui avaient hâte de rejoindre enfin leur foyer. Surtout, le capitaine espérait toucher une part de la somme convenue pour le transport de la marchandise. Si elle n’arrivait pas à destination, il ne serait pas payé, et aurait fait tout ce voyage pour rien. La maigre compensation financière que lui offrirait Ava ne vaudrait jamais l’argent qu’il aurait pu gagner lui-même à Albyor. Il voulut lui-même vérifier le document que portait Ava, et se montra intraitable dans l’observation du sceau royal, essayant de déceler s’il pouvait s’agir d’un faux.

Pendant qu’il procédait à cet examen minutieux, Khalmeh se tourna discrètement vers Learamn, et lui adressa un signe de tête, comme pour l’enjoindre à aller examiner la cargaison. C’était le moment où jamais.


~ ~ ~ ~


Les entrailles puantes du navire n’étaient pas un endroit charmant, et Learamn devait s’habituer à la fois à l’obscurité oppressante et à l’odeur de renfermé qui rendait le tout irrespirable. Des formes mouvantes se déplaçaient dans les ombres, probablement des rats qui habitaient les cales et filaient pour échapper au halo de lumière sur le point de les cueillir dans leur tanière. L’équipage était composé de quelques marins expérimentés venus d’un peu partout, et de rares passagers qui venaient des rives de la Mer du Rhûn et avaient acheté un transport peu cher – et peu confortable – pour Albyor et les terres orientales du royaume.

C’était Ezziz qui lui avait raconté tout ça.

Le capitaine lui avait ordonné d’accompagner Learamn, visiblement content de trouver une occupation à cet homme qui parlait beaucoup, et qui semblait ne jamais manquer de faire un commentaire ou une remarque sur tout ce qu’il ne comprenait pas – c’était à dire, beaucoup de choses. Il venait du Harad, et était arrivé au Rhûn deux ans auparavant, où il était entré au service de plusieurs employeurs, avant de prendre part à une grande expédition vers l’Ouest. Il évoqua un comptoir commercial, quelques tensions politiques entre le Rhûn et ses voisins… beaucoup de choses qui n’avaient pas d’importance, et qui n’avaient rien à voir avec la conclusion de son histoire : son retour au Rhûn sur ordre de son employeur.

Ezziz était décidément bien bavard, mais toujours de bonne humeur, et surtout il parlait mieux le Westron que la plupart des Rhûnedain, ce qui signifiait qu’il était plus facile d’entretenir une conversation avec lui. Curieux comme, sur ces terres lointaines et méconnues, deux étrangers venus de contrées bien différentes pouvaient soudainement se trouver avoir beaucoup plus en commun qu’ils ne le pensaient.

- Ouais, fit-il en arrivant dans une section du navire qui ressemblait à toutes les autres, c’est bien la cargaison qu’on va devoir débarquer. Par Melkor, ça va demander un sacré boulot, vous n’imaginez même pas. Je comprends pas pourquoi on n’attend pas d’arriver à Albyor, on aurait plus de bras pour la sortir, on se fatiguerait moins.

Le marin avait raison, et Learamn n’imaginait pas à quel point. Il y avait devant eux un assortiment de caisses de belle taille, qu’il faudrait au moins quatre hommes pour manipuler sans difficulté. Elles étaient de forme régulière, et il serait possible de les empiler dans le chariot et, à condition de les attacher solidement, de prendre la route. Cependant, un problème subsistait : leur nombre. Il y en avait bien plus qu’il ne pouvait les compter, soigneusement empilées dans le ventre du navire, attendant d’être déchargées par des mains bien plus nombreuses que les leurs, et transportées par un convoi plus important. Le calcul était simple. Vu leur taille et leur poids, il faudrait au moins deux chariots comme le leur pour acheminer l’entièreté de la marchandise. Deux chariots vides, ce qui impliquait de devoir se débarrasser de la cage de l’Uruk d’une manière ou d’une autre… Ava était-elle au courant de cette première difficulté, qui semblait déjà insurmontable ? Comment le dire ?

Alors que Learamn observait la cargaison, il y eut de l’agitation au dehors. Un homme fit quelques pas dans les cales :

- Ezziz ! Ezziz !

Le Haradrim répondit dans une langue qui mélangeait plusieurs influences, mais qui ne ressemblait certainement pas au rhûnien que Learamn entendait depuis son arrivée ici. Peut-être un idiome partagé entre marins Haradrim ? Quoi qu’il en fût, le dénommé Ezziz qui l’accompagnait s’excusa platement :

- Désolé monsieur, je dois aller voir ce qui s’passe. Je reviens tout de suite.

Et il s’évanouit sans rien ajouter, laissant Learamn et sa lanterne, seuls au milieu du navire. Il avait tout le loisir de faire ce qu’il souhaitait. Jeter un coup d’œil discret à la cargaison, comme le lui avait recommandé Khalmeh ? Ou bien se comporter comme un fidèle de la Reine, ne pas poser de questions et simplement faire son devoir. C’était ce qu’aurait fait Ava, assurément. Il n’avait pas beaucoup de temps pour contempler ses options et prendre une décision, car Ezziz pouvait revenir à tout moment, et qui pouvait dire ce qu’il penserait de le voir penché sur le contenu d’une de ces caisses mystérieuses ?


~ ~ ~ ~


C’était Thrakan qui les avait repérés le premier. Il lâcha un juron particulièrement élaboré dans propre langue, maudissant son inattention, et celle de tous ceux qui se trouvaient là. L’arrivée du navire et la relative sécurité qu’induisait la proximité d’Albyor avaient probablement fait retomber la vigilance des administrateurs de Lâm-Su. Si la sentinelle au sommet de la tour avait fait correctement son travail, au lieu de regarder les tractations qui se déroulaient en contrebas, elle aurait probablement pu repérer depuis fort longtemps l’arrivée d’un groupe de cavaliers qui venaient de l’Est. De la Cité Noire. Impossible de dire combien ils étaient, ni quelle était leur allégeance. Des réguliers de l’armée royale venus pour leur prêter main-forte ? Des Miliciens en patrouille dans la région ? Ou bien, comme il le pressentait, une menace bien plus sournoise et diffuse ? Tout ce qu’il pouvait dire, c’était qu’ils allaient vite, et qu’ils étaient nombreux. Plus nombreux que les six membres de sa petite compagnie.

Une partie de lui espérait que ce ne serait qu’un malheureux hasard, des hommes envoyés hors des murs d’Albyor pour une toute autre raison – pour appréhender des esclaves en fuite, ou bien pour essayer de capturer des trafiquants. Cependant, il ne croyait plus aux coïncidences depuis longtemps. On les avait suivis jusqu’ici, et les raisons ne pouvaient être qu’inquiétantes.

++ Ava ! ++ Rugit-il. ++ Ava ! Amène les chevaux ! ++

La jeune femme était encore affairée à négocier avec le capitaine, et elle ne comprit pas immédiatement ce que lui disait le Fléau. Il fallut qu’il lui désignât les cavaliers qui approchaient dans la pénombre pour que son cerveau fît le lien.

++ Merde ! Capitaine, ces hommes en ont probablement après votre cargaison. Au nom de Sa Majesté Lyra, ils ne doivent pas s’emparer, est-ce clair ? ++

Le malheureux hocha la tête. C’était un marin, un marchand qui avait déjà dû manier le sabre deux ou trois fois pour sauver sa vie, mais qui n’était certainement pas un soldat. Cette histoire le dépassait. Il fit appeler ses hommes pour les rassembler et définir avec eux la marche à suivre. Il ignorait s’il devait reprendre la route vers Albyor, ou bien laisser la « Femme de la Reine » résoudre ce problème. En l’absence d’ordres, il se contenta de dire à ses marins de prendre leurs armes, et de se rassembler autour de lui. Pendant ce temps, Thrakan continuait à distribuer ses directives. Les administrateurs, qui devaient évaluer la marchandise pour prélever les taxes, paraissaient ne pas savoir quoi faire.

++ Hors de mon chemin ! ++ Tonna-t-il en les repoussant du bras. ++ Kryv ! Allez chercher Learamn ! Dépêchez-vous ! Khalmeh ! Khalmeh ! Bon sang, mais où êtes-vous !? ++

Il le chercha du regard, sans trouver trace de lui. Il n’était ni près du bateau, ni près de la tour. Près du camp ? Près de la porte ? Occupé à prendre la fuite comme le lâche qu’il était ? Thrakan se retourna, mais ses yeux avisèrent une scène qui le figea sur place. Ava s’était élancée pour récupérer les chevaux et les mettre en lieu sûr. Ils étaient leur seule garantie de pouvoir s’échapper si nécessaire, et elle en avait parfaitement conscience. Alors, appliquée comme d’habitude, elle avait fait en sorte de détacher une à une chaque monture, au lieu de simplement trancher leurs brides pour les guider à l’abri.

++ Ava ! ++

Ce fut tout ce qu’il trouva la force de crier, au moment où les cavaliers pénétraient en masse par les brèches dans le vieux mur d’enceinte. Le vacarme des sabots de leurs chevaux était terrible, et donnait envie de claquer des dents. Ils soulevèrent un nuage de poussière en freinant, tandis que leurs bêtes poussées à l’extrême s’étaient mises à renâcler et à piaffer. Le Fléau nota immédiatement que ce n’étaient pas des soldats. Pas d’équipement régulier, ni d’armure distinctive. Ils n’avaient même pas l’air de Miliciens. Plutôt d’une bande de maraudeurs armés, trop organisés pour être de vulgaires bandits cependant. Le guerrier se retrouva instantanément séparé de Ava, qui était présentement de l’autre côté de la cour. Entre lui et elle, une quinzaine d’hommes, et d’autres encore qui arrivaient à la suite des premiers, lourdement armés. Ils repérèrent la jeune femme, et lui barrèrent la route sans rien tenter encore. Tout dépendrait des ordres qu’ils recevraient.

Le chef des cavaliers avisa la situation d’un seul coup d’œil et, vit venir l’administrateur en chef qui descendait à sa rencontre, l’air particulièrement contrarié. En effet, il n’était pas habituel de pénétrer ainsi à Lâm-Su, et ces hommes auraient besoin d’une justification solide pour légitimer leur présence en si grand nombre en ces lieux. Le meneur de la compagnie lui lança dans un rhûnien très approximatif :

++ Je suis Durno, je viens en le service de Jawaharlal. Vous… Arrêter tout de suite ! Ces hommes se être des mensonges. Ils sont être des voleurs ! ++

L’administrateur fronça les sourcils devant cette pathétique tentative de l’impressionner. L’homme était de toute évidence un étranger, à en juger par son vocabulaire limité et son air clairement originaire d’Outre-Anduin. Ce misérable osait lui donner un ordre ? Inconscient du danger que représentaient ces nouveaux venus, il rétorqua avec une belle assurance :

++ Je suis le régent de Lâm-Su, et je ne réponds qu’à Sa Majesté la reine Lyra, et au gouverneur Hagan, pas aux suppôts de Jawaharlal et à ses supposés représentants. Rangez vos armes, et retournez dans votre antre, avant que je ne fasse appeler la garde qui viendra vous châtier ! ++

Des paroles fort braves, qui signèrent l’arrêt de mort du malheureux. Thrakan, n’eut pas le temps de réagir, que déjà le dénommé Durno dégainait son arme et l’abattait sur le crâne qui s’offrait à lui en sacrifice. La mort emporta cette première âme avant que quiconque eût compris exactement quels étaient les tenants et les aboutissants de cette affaire. Il était certain, toutefois, que la confiance était du côté des Melkorites qui semblaient agir en toute impunité, sans se soucier outre mesure des conséquences. La lame dégoulinante de sang frais vint se pointer vers les autres administrateurs.

++ La volonté de Melkor, loué soit-Il ! Nous sont être les représentants de Jawaharlal, le Grand Prêtre ! Écartez ou mourez-vous ! ++

Ils s’exécutèrent, comme tout le monde à Albyor. L’autorité grandissante de Melkor n’était pas prise à la légère, et si ces hommes pouvaient tuer un représentant du gouverneur sans sourciller, alors les vies de vulgaires exécutants n’avaient aucune valeur.

++ Bien… ++ Fit Durno, avant de reprendre en Westron à l’attention de ses hommes qui étaient tous, à l’évidence, étrangers au Rhûn. Maintenant arrêtez-moi ces chiens, nous les amènerons devant le Grand Prêtre qui sera sans doute curieux de savoir pourquoi ils s’intéressent à ses affaires. Allez !

Deux hommes descendirent de selle, et se dirigèrent vers Ava. Cinq autres firent de même en direction de Thrakan, qui était certes beaucoup plus impressionnant et méritait une attention toute particulière. Une dizaine d’autres mit le cap sur le navire, où les marins qui tremblaient de peur paraissaient hésiter quant à la marche à suivre. Mourir ne faisait certainement pas partie de leur programme du jour, et les deux Haradrim qui composaient l’équipage reculaient déjà pour éviter d’être pris pour d’éventuels obstacles.

Juché sur sa monture, Durno observait la situation avec le calme qui le caractérisait. Une concubine royale et son escorte, en route pour Lâm-Su afin de récupérer la précieuse cargaison… Il avait reçu le message dans la journée, d’un informateur qui parlait vite et de manière pas très claire, mais qui avait tout de même réussi à lui transmettre la substance du message. Les détails n’étaient pas très importants dans ce genre d’histoire, et il avait filé sans tarder, en bonne compagnie, paré à toute éventualité.

Une vingtaine d’hommes pour appréhender deux ennemis de Melkor.

Rien de plus simple.

#Ezziz #Durno
Sujet: Fendre l'armure
Ryad Assad

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Rechercher dans: Albyor   Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Fendre l'armure    Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 25 Mar 2020 - 17:43



- Albyor.

Thrakan parlait peu, mais il n'avait pas pu s'en empêcher cette fois. Leur petite colonne s'immobilisa au sommet d'un promontoire, pour observer la silhouette déroutante de la Cité Noire.  Sa vision pouvait aisément déranger les visiteurs, même ceux qui étaient natifs du grand royaume de l'Est. Le Fléau raffermit sa prise sur sa monture qui s'agitait de manière inhabituelle. Les maléfices qui régnaient en ces lieux mettaient au supplice les animaux, et on disait que seuls les charognards avaient élu domicile dans les environs. Les autres créatures, humaines ou non, fuyaient l'atmosphère étouffante de la Cité Noire, et l'odeur de mort qui semblait coller à la roche…

La roche, justement, semblait omniprésente.

La ville était nichée dans une épaisse chaîne de montagnes acérées qui s'élevaient vers le ciel comme les dents d'un dragon prêtes à se refermer sur les nuages. Contrairement à la glorieuse Minas Tirith, dont les courbes élégantes avaient été sculptées dans une pierre blanche qui reflétait les rayons du soleil levant, Albyor s'était fermée à l'astre du jour et semblait rejeter toute lumière. La roche grisâtre, brunie, ternie par les intempéries, la crasse et la saleté, donnait à imaginer toute la cruauté qui régnait en ces lieux. A l'ombre, le mal prospérait toujours.

Learamn comprenait peut-être enfin pourquoi ses compagnons de route étaient si mal à l'aise vis-à-vis de la Cité Noire. Rhûnedain ou non, chacun éprouvait de la crainte en approchant ces lieux. Ils se jetèrent un regard entendu : leur mission passait avant tout. Thrakan marmonna quelque chose dans sa rude langue natale, avant d'embrasser son index, de le coller sur son front, et d'adresser un geste sibyllin vers les cieux.

Ava fit aller sa monture en faisant le même geste et en murmurant les mêmes paroles. Khalmeh se tourna vers Learamn, et lui adressa un clin d'œil complice en exécutant le même rituel que ses deux compagnons :

- Que Melkor soit clément. Ça ne coûte rien de le dire… si vous croyez à ces choses.

Il était étrangement détendu, mais depuis le temps que Learamn le côtoyait, il savait que ce n'était qu'une façade. La décontraction de Khalmeh était le miroir de sa propre inquiétude, et lui-même n'était de toute évidence pas heureux d'approcher la Cité Noire. Son attelage se mit en branle en suivant la petite route sinueuse qui les menait à leur destination.

Si Learam avait cru qu'ils arriveraient en quelques heures, il se trompait lourdement.

Albyor s'offrait impudiquement à leurs regards comme une immense cicatrice dans le flanc de la montagne, et il leur fallut encore toute la journée pour rejoindre les contreforts de la ville. Celle-ci grossissait à vue d'œil à chaque pas qu'ils faisaient dans sa direction, et à la mi-journée ils furent totalement submergés par sa taille. De part et d'autres de leur chemin s'élevaient des murs rocheux escarpés, sur lesquels ils purent apercevoir quelques silhouettes qui les dévisageaient avec attention.

Thrakan offrit quelques explications, que Ava jugea opportun de traduire en Westron pour Learamn :

- On les appelle les « Yeux du Maître ». Ce sont des habitants des montagnes qui vivent reclus et entre eux. Ils gardent les voies d'accès à Albyor en échange du respect de leurs coutumes.

Le Fléau ajouta quelque chose, qui fit sourire Khalmeh comme Ava.

- On les appelle aussi les « Hommes-Serpents », poursuivit cette dernière. Pour Thrakan, ce surnom suggère qu'il suffit de taper des pieds sur le sol pour les faire fuir.

L'humour du colosse était particulier, mais il eut au moins le don de rassurer tout le monde. Cependant, Learamn sentit la présence régulière des Yeux du Maître à chaque fois qu'il tournait la tête pour observer les escarpements rocheux. Ces Hommes-Serpents ne faisaient rien pour se cacher, et se laissaient voir pour bien faire comprendre aux visiteurs que leur arrivée avait été remarquée. Quelques corneilles s'envolèrent dans le lointain… peut-être des messagers filant vers Albyor pour avertir la ville de l'arrivée de nouvelles âmes.

Quoi qu'il en fut, les cavaliers ne furent pas importunés par ces sentinelles mystérieuses dont ils ne voyaient que les silhouettes fugaces. Certaines étaient assises nonchalamment, et semblaient disparaître dès qu'ils clignaient des yeux. D'autres marchaient tranquillement le long de la crête, accompagnant leur progression, puis paraissaient se fondre dans un rocher. Ils s'évanouissaient à leur droite, pour revenir à leur gauche, sans faire le moindre bruit. Il aurait été impossible d'estimer leur nombre et, à cause de la distance, de déterminer s'il s'agissait d'hommes ou de femmes, de jeunes ou de vieux. Leurs visages semblaient de toute façon dissimulés sous d'épais turbans… à moins que ce ne fût la forme de leurs têtes, rondes comme celles des serpents.

Suivant Thrakan, la petite compagnie arriva bientôt en vue de petits villages de montagne qui entouraient Albyor. Des champs s'étendaient sur de petits plateaux soigneusement aménagés par la main humaine, ce qui devait représenter une prouesse technique sans nom. La pierre avait été modelée avec patience pour accueillir la vie, et bien que le résultat fût moins spectaculaire que le travail des Nains ou des hommes de Númenor, il n'en demeurait pas moins stupéfiant de voir un tel résultat.

La stupéfaction laissa bientôt la place à la tristesse et au dégoût.

Là, dans ces champs où poussaient des légumineuses de toutes sortes, travaillaient des centaines d'esclaves. Il n'était pas difficile de les reconnaître. Ils étaient faméliques, à peine vêtus pour certains, et ils demeuraient étroitement surveillés par des gardes en armes qui circulaient autour des propriétés en dardant sur les esclaves un regard assassin. Quelques uns circulaient à cheval, et contrairement à Khalmeh et à ses hommes ils ne portaient pas de gourdins – destinés à assommer plutôt qu'à tuer. Ils étaient armés de longues lances, d'un sabre, et d'un arc compact. Les esclaves n'étaient pas une ressource rare, et ces hommes ne feraient preuve d'aucune merci.

Khalmeh fronça les sourcils en les voyant. De toute évidence, il ne se reconnaissait pas dans cette pratique de l'esclavage.

- Ce sont des sauvages, fit-il à l'attention de Learamn. Ils n'ont aucune considération pour la vie humaine, et ils attendent presque avec impatience une évasion pour se mettre en chasse. Ce sont les pires…

Ils ignorèrent le regard suspicieux des cavaliers, et poursuivirent leur progression en découvrant peu à peu les contours de la Cité Noire. Plus ils avançaient, plus ils rencontraient de gens qui convergeaient dans la même direction qu'eux, et ils furent bientôt absorbés dans une foule compacte d'hommes et de chevaux. Les grandes portes de la cité leur apparurent finalement, largement ouvertes pour absorber le flot d'esclaves que l'on faisait aller et venir d'un chantier à l'autre. Ils étaient littéralement partout : occupés aux réparations, portant les lourdes charges, tenant les chaises à bras des seigneurs les plus puissants. Leur rôle était essentiel dans l'économie de la ville, et il était presque surprenant de voir que tant et tant d'hommes et de femmes pouvaient être dominés par une aristocratie finalement peu nombreuse.

Ce fut quand ils furent amenés à franchir la grande arche de la cité qu'ils comprirent pourquoi les esclaves ne se révoltaient pas massivement contre la domination injuste qui leur était imposée. Albyor était plus qu'une ville à proprement parler : c'était une véritable forteresse, et à chaque coin de rue ou presque ils voyaient des régiments de l'armée du Rhûn. Des hommes que Learamn avait pu croiser dans son périple jusqu'à Blankânimad, mais qui paraissaient exceptionnellement nombreux ici.

Leur présence était d'ailleurs inhabituelle, même selon les standards locaux, et Thrakan fit un commentaire en ce sens qu'Ava choisit de traduire à sa façon :

- De toute évidence ce déploiement de forces n'est pas normal. Il a dû se passer quelque chose ici…

Quelques indices les aidèrent à se faire une idée de ce qui avait pu se passer, notamment les corps empalés de quelques esclaves, qui trônaient au bout d'une pique en guise d'avertissement. Les meneurs d'une révolte, de toute évidence. Leurs corps décharnés, morts depuis bien longtemps, avaient été sauvagement attaqués par les oiseaux de mauvaise augure qui sillonnaient le ciel de la cité. Le message était clair, et la présence des soldats dans les rues venait appuyer sur la triste réalité de la situation : celui qui sortirait du rang serait puni de manière exemplaire.

Dans la petite compagnie, à l'exception de l'Uruk, ils n'étaient pas esclaves. Pourtant, aucun d'entre eux n'avait envie de jouer avec les autorités qui semblaient sur le qui-vive. L'ambiance à Albyor était pour le moins pesante. Ava et ses compagnons mirent pied à terre sur une place, et ils furent immédiatement abordés par des esclaves tout à fait charmants qui les entourèrent de mille attentions. Deux d'entre eux s'approchèrent de Learamn, et offrirent de prendre soin de son cheval. L'un d'entre eux avait les traits d'un homme de l'Ouest, et sans paraître souffrir de son statut, il offrit des salutations chaleureuses au cavalier :

- Bienvenue à Albyor, cher voyageur. Vos compagnons et vous-mêmes êtes nouveaux en ville ? Vous pouvez trouver des chambres à un prix très abordable dans l'auberge de la Tulipe Noire.

Il devint évident très rapidement qu'il était là pour récupérer des clients, et que son ton affable faisait partie de son personnage.

- Nous avons le plaisir d'accueillir une brillante artiste ce soir, la plus célèbre devineresse de tout le Rhûn, la seule et l'unique Kryv Syrsa-Shan. Une occasion à ne pas manquer.

Pendant que Learamn faisait connaissance avec le rabatteur local, ses compagnons prenaient leurs repères dans la cité. Thrakan semblait connaître les lieux, et il discutait avec un des gardes pour obtenir des informations sur la situation d'Albyor. Ava, quant à elle, conversait avec les esclaves pour leur demander quelques informations au sujet de leur mission. Elle en connaissait les détails mieux que personne. Khalmeh, quant à lui, était debout sur le chariot. Il éloignait du pied les esclaves qui voulaient l'aider à décharger sa précieuse cargaison. Pour l'heure, il ne voulait pas créer un scandale en dévoilant l'Uruk en plein cœur de la ville.

- Learamn, vous avez trouvé un endroit où dormir ? Demanda-t-il sur un ton agacé qui ne lui ressemblait guère. C'est que ça devient urgent, garçon.

Quelques têtes se tournèrent dans leur direction en les entendant converser en Westron. Les regards bifurquèrent vers Learamn, et affichèrent un mépris teinté de méfiance à son endroit. Probablement qu'on le prît pour un esclave, car personne ne se donna la peine de lui adresser la moindre remarque. Khalmeh acheva de chasser les esclaves qui voulaient absolument l'aider, descendit du chariot, et s'approcha de son compagnon pour reprendre à voix basse :

- Désolé mon ami, il vaut mieux qu'on vous prenne pour mon esclave ici. C'est plus sûr.

Puis, revenant à des affaires plus pressantes :

- Mais j'étais sérieux, est-ce que vous avez un endroit où aller ? Autant trouver un endroit sûr pour débarquer le chargement. J'ai l'impression qu'il a envie de se dégourdir les jambes.

Il adressa un clin d'œil à Learamn, puis revint vers le chariot en faisant de grands gestes vers les esclaves qui essayaient de l'emmener au loin. La scène était presque comique. Un bref moment de détente qui les coupait pour un temps de la sensation désagréable d'avoir mis le pied au milieu d'un piège immense à taille urbaine. Le jeune Rohirrim s'était progressivement habitué à Blankânimad, et à la quiétude qu'il pouvait y trouver entouré qu'il était de Khalmeh aux bons tuyaux, et de Ava qui se montrait très protectrice. Ici, ils ne jouissaient pas du même statut, et l'épée qu'il portait au côté était un bien meilleur gage de protection que sa proximité avec la reine Lyra.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 24 Fév 2020 - 20:27

En voyant Learamn se masser le pied, Khalmeh ne put s'empêcher de sourire.

Le jeune vagabond ne s'en était probablement pas rendu compte, mais tous ses adversaires du jour s'étaient fait un devoir de ne pas lui laisser la moindre chance. Fierté orientale, sans doute. Ils en plaisantaient dans son dos, jugeant de ses compétences médiocres en la matière, même si quelques uns appréciaient d'avoir pu montrer leur culture à cet étranger que Khalmeh leur avait présenté comme étant « acceptable ».

Les gens d'ici étaient orgueilleux, rudes et parfois brutaux, mais ils prenaient un plaisir certain à montrer les meilleurs aspects de leur monde à Learamn. Comme si, isolés et déconsidérés par les « Peuples Libres », ils voulaient absolument lui démontrer la supériorité de l'Est sur l'Ouest. Alors, leur arrogance prenait des airs de vulnérabilité touchante, et leur rudesse se transformait en un maladroit besoin de reconnaissance. Ces hommes avaient longtemps vécu dans l'ombre de voisins plus puissants, et luttaient ardemment pour être reconnus comme un peuple à part entière, digne de prendre sa place en Terre du Milieu.

Khalmeh lui-même s'était pris au jeu, et se faisait un devoir de montrer à Learamn la culture orientale telle qu'il l'expérimentait lui-même. Loin des champs de bataille, loin de la guerre, des épées et du fracas des lances. Les gens du Rhûn se levaient, travaillaient, mangeaient, riaient, dansaient et buvaient comme tout autre peuple. Ils avaient leur humour – particulier –, leurs coutumes – déroutantes –, et leurs propres merveilles dont ils se délectaient. Certains des paysages de la Mer de Rhûn étaient à couper le souffle, de même que la vue de Blankânimad quand on approchait de l'Ouest et que l'on découvrait cette cité fourmillante de vie.

La fierté des Orientaux n'était pas toujours mal placée.

- Tout le plaisir est pour moi, mon ami, répondit Khalmeh sur un ton assez solennel qui ne lui ressemblait guère.

Il s'assit aux côtés du Rohirrim, et lui posa une main amicale sur l'épaule :

- Grâce à vous, je pourrai peut-être payer ma dette, et retrouver la vie qui m'a été arrachée. C'est plutôt moi qui devrais vous remercier. Pour un homme de l'Ouest, vous faites preuve d'une grande ouverture d'esprit, et vous ne semblez pas nous haïr autant que vos compagnons.

Le sourire de l'esclavagiste revint, ouvrant son visage comme une fenêtre donnant sur un monde enjoué. Même quand il parlait des sujets les plus graves, Khalmeh savait toujours le faire avec légèreté : peut-être parce qu'il avait vu tant d'horreurs dans sa vie qu'il avait appris à savourer les petits riens, les conversations anodines dans la quiétude de cette capitale si fermement tenue par la main de fer de Lyra que rien ne semblait les menacer.

Il aimait Blankânimad, et il ne rêvait que d'y revenir habillé de beaux habits, retrouver son secrétaire, son fauteuil confortable, ses livres et la douceur d'un quotidien routinier mais sûr.

Le monde lui avait toujours paru plus agréable ainsi.

Learamn, cependant, le ramena à la réalité et à la dernière épreuve qu'ils devaient affronter avant leur départ. Albyor, la Cité Noire. Et Ava, cette femme si mystérieuse que Khalmeh ne supportait guère. Il sourit une nouvelle fois en entendant le conseil de son ami du Rohan, et éclata franchement de rire quand ce dernier ponctua sa phrase d'un regard malicieux. Décidément, ce gamin était amusant :

- J'ai peut-être un différend avec elle, mais je ferai en sorte de l'oublier le temps de notre mission. Elle devra simplement apprendre à composer avec mon insupportable caractère, et la rudesse des gens des routes que nous sommes. Vous pensez bien, une femme comme elle n'a rien à faire avec des hommes de notre espèce. Car vous avez raison, Ava est une très belle femme, même selon les standards locaux.

Il pouffa pour lui-même, laissant le temps à Learamn de comprendre la critique implicite des femmes occidentales que contenait son allusion. Il reprit :

- Cependant, je ne me fais aucune illusion à son sujet. Et vous ne devriez pas vous en faire non plus. Elle est mariée à Lyra, et je ne crois pas que cette dernière laissera l'un de nous l'épouser si facilement.

Il n'ajouta rien d'autre à ces paroles bien étonnantes, écoutant plutôt la question qui semblait brûler les lèvres de Learamn. En entendant le mot qu'il venait de prononcer, Khalmeh sembla s'assombrir un peu, comme si le terme en lui-même n'était pas positif. Il répondit froidement :

- C'est Ava qui vous a appelé comme ça ?

Qui d'autre ? Learamn se promenait librement à Blankânimad, mais il interagissait assez peu avec la population locale sans être accompagné. Or Khalmeh n'avait jamais entendu personne l'appeler ainsi, et il imaginait assez mal Thrakan lui faire la conversation au point de lui affubler ce sobriquet. Le terme en lui-même avait plusieurs sens, et désignait une réalité qui n'était guère reluisante quand on en comprenait toute la dimension. L'esclavagiste, qui se trouvait aussi être un érudit, était peut-être la personne la mieux placée pour le lui expliquer :

- Un varka… comment vous le dire simplement ? Dans les textes les plus anciens, le terme désigne des « loups », des changeurs de forme, des hommes-bêtes capables de se mouvoir sous la forme d'un animal à la nuit tombée. Aujourd'hui, on dit que ces changeurs de forme ont disparu, qu'ils sont morts ou qu'ils se sont cachés. Leurs descendants, cependant, continuent à arpenter le monde. D'ordinaire, ce sont des hommes tout à fait normaux, polis, calmes, bien éduqués. Mais quand vient l'heure du combat, ils cèdent à la bête qui sommeille en eux, et s'abandonnent à la férocité.

Il marqua une pause, et ajouta :

- Ce sont des hommes qui combattent au mépris de leur propre vie. Fous, à nos yeux. Ils se complaisent dans le sang, la guerre, la violence, et parfois… ils ne savent plus redevenir des hommes. Alors, ils restent prisonniers de l'animal, et quand la mort ne met pas fin à leur supplice, ils s'enfuient par delà le monde connu, et ne reviennent jamais…

Khalmeh plongea ses yeux sombres dans ceux de Learamn, et poursuivit avec une gravité pesante :

- Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une légende, Learamn. Les rois du Rhûn les affectionnent particulièrement, et ils savent s'attacher leurs services. On dit que Lyra est capable de les reconnaître, qu'elle ressent l'animal qui sommeille en eux, et qu'elle sait les rallier à sa cause… Personne ne crie trop fort qu'il est un varka, vous savez… Ceux qui vivent ainsi meurent jeunes, ou vivent une vie entière à combattre la bête en eux. Ce n'est pas une chose plaisante que vous a dit Ava, et elle n'aurait jamais dû vous comparer à une de ces choses. Elle ignore d'ailleurs probablement de quoi elle parle…

Il se leva sur ces paroles qui se voulaient rassurantes, prêt pour une autre partie de ce jeu de balle que ses compatriotes affectionnaient tant :

- Allez mon ami, faisons au moins bonne figure devant cette équipe de vantards. Peut-être qu'une de ces demoiselles se laissera impressionner par votre prestation, et vous offrira une dernière nuit agréable avant que nous quittions Blankânimad ! C'est tout le mal que je vous souhaite, mais ne touchez pas à celle au manteau rouge, elle est pour moi.

Goguenard, il s'élança au milieu du terrain, levant la main pour qu'on lui envoyât la balle de cuir. Learamn, pendant ce temps, resta seul avec ses pensées à masser sa cheville. Il croisa finalement le regard d'une des spectatrices, une jolie fille qui devait avoir environ son âge, et qui semblait très curieuse à son endroit sans oser le dire.

Quelle vie.


~ ~ ~ ~


Aux premières lueurs du jour, la petite compagnie était rassemblée sous la Porte de Toutes les Tribus. Thrakan ouvrait la marche, son immense carcasse installée sur le dos d'un cheval de petite taille mais de toute évidence assez robuste pour soutenir le poids d'un cavalier lourdement armé. La vision était presque cocasse pour un Rohirrim, davantage habitué à voir des destriers de grande taille. Il y avait de quoi rire de voir ce géant sur le dos d'un grand poney. Ava le suivait de près, juchée quant à elle sur un cheval élégant à la robe alezane. Elle avait passé une tenue élégante qui n'avait rien de discret, puisqu'elle était pourpre et dorée. Cependant, elle portait des sortes de chausses comme s'en vêtaient parfois les femmes d'ici, ce qui lui permettait de monter comme un homme. Elle avait saisi dans ses mains délicatement gantées une petite carte sur laquelle elle avait soigneusement calculé leur itinéraire.

Un rythme modéré pour ménager leurs montures, et profiter des villages qu'ils croiseraient sur la route aux abords de Blankânimad. Cela leur permettrait d'affronter plus facilement la partie difficile du voyage, une longue traversée d'étendues peu peuplées qui les mènerait finalement à Albyor. Ils voulaient arriver dans la Cité Noire en forme.

Ensuite venait Khalmeh, qui guidait leur attelage et leur cargaison spéciale. L'Uruk avait été traité avec les plus grands soins par Ava, qui avait soigné ses blessures et s'était arrangée pour le rendre présentable. Tant d'attentions à l'égard d'une créature que les hommes de l'Ouest considéraient volontiers comme l'incarnation du mal pouvait être étonnante, mais Khalmeh s'en était expliqué à Learamn :

- Bien que nous n'aimions pas les Uruk davantage que vous, nous avons appris à négocier avec eux. Ils parlent notre langue, et certains parmi les nôtres parlent la leur. Nous échangeons des objets de peu de valeur, de la nourriture, des minerais. En contrepartie, nous respectons leurs frontières et ils respectent celles du royaume. Je parie que ce n'est pas le premier Uruk que notre chère Ava a l'occasion de voir.

L'Uruk était un esclave, mais il n'était pas traité plus mal que les esclaves humains, ce qui était suffisamment singulier pour être souligné.

Enfin, fermant la marche, venait Learamn. Il assurait l'arrière-garde, et devait surveiller tout le reste de la compagnie, tout en profitant de l'abri relatif que lui offrait le chariot face aux vents parfois agressifs qui soufflaient sur les plaines du Rhûn. Le rythme qu'imposait Ava était suffisamment tranquille pour lui permettre de ne pas tirer sur ses blessures, tout en avançant à un bon rythme.

Les premiers jours de leur voyage furent assez agréables. Chaque soir, ils s'arrêtaient pour dormir à la belle étoile – il faisait frais, mais les journées étaient chaudes et ils ne pouvaient qu'apprécier ce bref répit –, et montaient un petit campement où avaient toujours lieu les mêmes rituels. Ava continuait à enseigner la danse à Learamn, tout en surveillant avec beaucoup d'attention son sommeil et son alimentation. Elle avait la patience d'une mère, et travaillait sans relâche pour lui permettre de retrouver la souplesse et la mobilité dans son membre blessé.

De l'autre côté, Khalmeh s'entraînait à dresser son esclave, en lui faisant accomplir toutes sortes de tâches. Au départ, l'Uruk avait les mains liées, et devait seulement collecter du bois sous le regard sévère de l'esclavagiste qui voulait s'assurer que rien de négatif ne se passerait. Il ne quittait jamais le bâton de commandement, et gardait l'épée à portée de main au cas où l'Uruk se serait rebellé. Mais au bout de quelques temps, il prit l'habitude de libérer l'Uruk le soir venu, et de l'intégrer peu à peu à la vie de leur compagnie.

Il collectait le bois, allumait le feu, cherchait de l'eau… des tâches simples et qui n'exigeaient aucune délicatesse particulière, mais qui confortaient Khalmeh dans l'idée qu'il pouvait faire quelque chose de cette créature.

- C'est un drôle de spécimen, mon ami, lâcha un jour l'esclavagiste à Learamn. Je le sens terriblement intelligent, mais pour une raison que j'ignore il demeure tout à fait passif. Il obéit sans rien dire, et ne montre aucun signe de déplaisir quand il doit accomplir une corvée, ou de contentement quand il est récompensé. Il a juste l'air… neutre.

L'Uruk s'asseyait désormais au milieu d'eux pour manger, sans jamais émettre le moindre son. Il les regardait parfois de ses yeux étrécis, et derrière la laideur de son visage il était presque possible de déceler toutes les souffrances de sa vie… Qu'avait-il vu du monde, qu'ils ne pouvaient même pas concevoir ? Quelles horreurs avait-il affrontées, que les mots ne pouvaient pas décrire ? Khalmeh éprouvait de la pitié envers sa créature, mais il n'était pas encore prêt à baisser sa garde.

La plus à l'aise avec l'Uruk demeurait encore Ava, qui lui prodiguait des soins réguliers. Cette femme était infatigable, et après avoir aidé à monter le camp, assisté Learamn dans ses exercices, donné un coup de main pour préparer le repas, elle trouvait encore le temps de s'occuper des blessures de tout un chacun : Hommes, Orcs ou chevaux. Elle appliquait des onguents sur la peau sombre de la créature qui demeurait parfaitement immobile, de toute évidence insensible au contact physique. Ava n'éprouvait pas le moindre dégoût, et elle examinait cette chose horrible sans hésiter, comme si dans son existence elle avait déjà vu des choses plus effrayantes.

Thrakan, cependant, ne la quittait jamais des yeux.

Ce dernier était finalement le plus taciturne de tous. Presque aussi silencieux que l'Uruk, presque aussi commode d'ailleurs, il se contentait de mener la compagnie, et de veiller sur Ava. Il aurait volontiers laissé Learamn et Khalmeh mourir si cela lui avait permis de protéger la jeune femme, et les deux hommes avaient bien conscience qu'il n'était là que pour elle, sans que l'origine de ce lien indéfectible fût très claire.

Un soir pourtant, Learamn eut l'opportunité d'en apprendre plus sur sa compagne de voyage.

Alors que c'était à son tour de monter la garde – rôle qu'elle prenait très au sérieux, et qu'elle n'avait voulu céder pour rien au monde –, le cavalier s'était réveillé bien malgré lui. Il aurait pu se rendormir, s'il n'avait pas entendu des sanglots étouffés provenant d'une silhouette assise dos à lui, emmitouflée dans une épaisse couverture. Ava pleurait seule sous un ciel si plein d'étoiles qu'on y voyait comme en plein jour. La lueur blafarde de la lune donnait l'impression que le monde entier était recouvert de poussière d'argent, alors que le spectacle magnifique de la voûte céleste se reflétait dans le miroir liquide du petit ruisseau au bord duquel ils s'étaient arrêtés.

Tous les autres membres de la compagnie dormaient profondément, éreintés après une longue semaine de chevauchée qui leur avait permis d'accomplir environ la moitié de leur périple, et Ava s'était pensée à l'abri de leur regard. En entendant que quelqu'un bougeait dans son dos, elle essuya rapidement les larmes qui coulaient sur ses joues, et affecta de n'avoir rien à cacher. Cependant, ses épaules tremblaient encore légèrement, et ce n'était pas de froid.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 25 Nov 2019 - 19:04
- Je vous en prie, votre Altesse… J'implore votre clémence…

Lyra jouait négligemment avec un grain de raisin, qui finit entre ses lèvres charnues. Ses dents réduisirent le pépin en miettes, symbolisant ce qui risquait d'advenir à son interlocutrice si elle n'exécutait pas ses ordres à la lettre. Tous ceux qui connaissaient la reine du Rhûn de près savaient qu'elle faisait preuve d'une grande maîtrise d'elle-même, mais qu'elle était aussi sujette à de violentes et soudaines colères. Il valait mieux éviter de l'agacer outre mesure, alors qu'elle était encore assez calme. La voix de la suzeraine orientale s'éleva :

- Votre désobéissance implique la peine de mort, vous le savez.

- Votre Altesse…

Elle était sincèrement choquée, comme si la perspective de perdre soudainement la vie la clouait sur place. Son action avait été irréfléchie, pour ne pas dire stupide, mais elle avait cru que la reine comprendrait… qu'elle pardonnerait. De toute évidence, elle s'était trompée sur Lyra, qui n'avait jamais aimé que l'on contestât son pouvoir. Était-ce donc terminé ? Arrivait-elle au bout du chemin ?

- Votre Altesse, je vous en supplie. J'ai mal agi, mais mes intentions n'ont jamais été de vous nuire… Je vous implore de m'accorder une chance de me rattraper. J'ai toujours été la plus fidèle et la plus talentueuse de vos femmes… Je peux me rendre utile, je n'ai pas perdu mes talents et vous savez que…

- Silence ! Tonna Lyra d'une voix si tranchante que l'air sembla se déchirer. Ne me dis pas ce que je sais ou ne sais pas ! Tu [i]étais
la plus fidèle, et c'est pourtant toi qui a trahi ton serment. Tout ce qui t'a été offert, tu l'as rejeté. Qui n'a point de talent, dans cette cité ? La loyauté, en revanche… que voilà une denrée rare.

De grosses larmes s'étaient mises à couler sur les joues de l'infortunée condamnée, qui s'abaissa sur ses genoux. La jeunesse de ses traits transparaissait pleinement en cet instant, et si Lyra avait eu la réputation d'avoir un cœur, cela aurait pu expliquer pourquoi elle changea subitement d'attitude. Fièrement dressée comme un aigle prêt à fondre sur sa proie, elle se rassit brusquement et reprit d'une voix rauque :

- Je devrais vous tuer tous les deux, pour l'exemple… Pourtant, je sais que tu as encore un rôle à jouer à mon service. Lorsque viendra l'heure, lorsque viendra l'opportunité, tu me serviras fidèlement jusqu'à la mort. Si tu survis, alors tu seras pardonnée. Si tu échoues…

Un silence pesant s'installa entre les deux femmes.

Il était inutile d'en dire davantage. Celle qui venait miraculeusement de sauver sa tête, sans vraiment comprendre pourquoi ou comment, comprit que l'entrevue était terminée et qu'il était préférable de battre prudemment en retraite. Elle se redressa en séchant ses larmes, et fit quelques pas en arrière sur la pointe des pieds. Lyra semblait prête à la laisser partir, mais elle sembla se souvenir de quelque chose :

- Ava ?

- Oui, votre Altesse ?

- Je détesterais avoir à m'entretenir de nouveau avec vos parents. Pensez-y.

L'intéressée devint livide, toute vie semblant quitter son visage. Pendant un bref instant, ses yeux exprimèrent un sentiment de pure terreur, et demeura là. Figée. Pétrifiée. Puis elle se reprit rapidement, et hocha la tête sans rien pouvoir répondre.

Lyra perçut ses pas précipités dans le couloir, alors qu'elle s'enfuyait à grandes enjambées.[/i]


~ ~ ~ ~


Ava dévisageait Learamn avec un mélange de curiosité et de méfiance. Elle n'avait pas reçu beaucoup d'informations à son sujet, mais elle avait un sens de l'observation affûté, et elle était capable de deviner la moitié de sa vie rien qu'en le regardant. Sous sa tunique de voyage usée qui semblait un peu grande pour lui, signe qu'il avait perdu du poids après un long périple, elle percevait des muscles soigneusement entretenus qui ne pouvaient pas être ceux d'un fermier. Il avait le bras trop fin, le poignet trop souple… Il était davantage habitué à manier l'épée, ce que confirmait sa réaction à la fois rapide et alerte quand Thrakan s'était approché de lui.

Elle voyait en outre quelques petites cicatrices sur ses mains, fruit d'un entraînement rigoureux qui avait laissé des traces, ou de quelques combats particulièrement âpres qui s'étaient soldés par des échanges de coups de poings. Elle ne l'imaginait pas particulièrement bagarreur, mais son regard farouche en disait long et elle préférait ne pas trop s'avancer. On disait les hommes de l'Ouest rustres et brutaux, souvent avinés et prompts à partir en guerre. Celui-ci semblait un peu mieux dégrossi que ses congénères, mais cela ne changeait rien au fait qu'il ressemblait à un paysan hirsute.

Elle sourit pour elle-même, tandis qu'elle achevait son examen mental.

Ses déductions étaient bonnes, car elle vit immédiatement l'étincelle d'intérêt s'allumer dans le regard du guerrier quand elle évoqua les miracles de la médecine du Rhûn. Elle connaissait en effet de nombreux remèdes, mais aussi des techniques qui faisaient miracle là d'où elle venait. Des savoirs transmis de génération en génération, qu'elle avait appris au contact de sa famille, et qu'elle avait perfectionnés par la suite auprès de maîtres expérimentés. Elle était considérée comme une experte dans sa branche, à tel point que Lyra avait souvent fait appel à ses services personnellement ou pour des proches.

Learamn, cependant, semblait dubitatif, ou du moins il voulait des preuves concrètes de ce qu'elle était capable de faire.

- Vous doutez de mes capacités, homme de l'Ouest ?

La confiance qui transparaissait derrière son sourire était sans faille. Elle se moquait de lui, comme si le cavalier était censé la connaître. Elle oubliait sans doute un peu vite qu'il venait à peine d'arriver à Blankânimad, et qu'il découvrait totalement le monde qui l'entourait. Ce fut Khalmeh qui intervint pour fournir quelques explications :

- Il y a des savoirs ici qui dépassent ce que vos guérisseurs peuvent comprendre. Il est fort dommage que nos peuples ne mettent pas en commun leurs précieuses connaissances médicinales pour s'entraider.

La confiance d'Ava venait de sa position. Guérisseuse renommée à Blankânimad, elle méprisait largement les savoirs venus de l'Ouest, et considérait que la seule médecine digne de ce nom était celle forgée par ses ancêtres. Khameh avait comme souvent une position plus médiane, lui qui avait beaucoup voyagé, mis un pied dans chaque monde, et vu que les Hommes avaient davantage à gagner à échanger qu'à se battre. Learamn ne put que constater à quel point la position de son compagnon de route était minoritaire, de la même manière que rares au Rohan étaient ceux à prôner une ouverture vers l'Est.

La femme inclina légèrement la tête, et reprit d'une voix douce :

- Je préférerais vous montrer mes talents dans un endroit plus… privé…

Son sourire enjôleur et malicieux était parfaitement calculé. Elle savait l'effet qu'elle faisait aux hommes, et elle en jouait sans limite. C'était probablement dû à la présence du géant à ses côtés, qui lui assurait une protection sans faille. Peut-être aussi croyait-elle dur comme fer à son statut de « femme de la reine » qui lui garantissait que personne ne viendrait s'en prendre à elle. Khalmeh voulut faire un commentaire, mais il se ravisa. Le regard de Thrakan l'incitait à garder sa langue dans sa poche pour le moment.

De toute façon, Ava n'avait pas terminé, et elle reprit :

- Pour l'heure, je dois évaluer votre état physique. Vous êtes un peu maigre, mais globalement vous avez l'air en bonne santé. Faites quelques pas, je vous prie.

Khalmeh regarda Learamn en haussant les épaules, comme pour lui dire : « ce sont les ordres de la dame ». Les guérisseurs, peu importe leur origine, se comportaient tous de la même manière. Quand il s'agissait de la santé de leurs patients, ils ne toléraient aucune contestation, et donnaient des ordres en s'attendant à être obéis par tous. Soldats ou officiers, nobles ou roturiers, même les princes et les rois se pliaient à leurs directives. Ava ne faisait pas exception, et elle observa le Rohirrim alors qu'il marchait, étudiant soigneusement sa posture et sa démarche.

- Vous ne dansez pas souvent, fit-elle sur un ton moqueur.

Il était difficile de lui donner un âge, car elle alliait une assurance que l'on acquérait qu'avec l'expérience, une forme de fraîcheur et de simplicité qui étaient celles d'une très jeune femme. Espiègle une seconde, et mortellement sérieuse la suivante, elle dégageait une forme de dualité perturbante. Et derrière cette ambivalence, on décelait encore une facette cachée, plus sombre et plus triste, qu'elle s'efforçait de ne pas révéler.

- Votre posture est voûtée, vous avez de toute évidence un grand poids sur les épaules… Et puis il y a votre blessure. Vous boitez encore un peu, même si vous compensez suffisamment pour tenir debout, marcher, et peut-être même vous battre. Le problème, c'est que vous n'êtes pas équilibré.

Ses capacités d'analyse étaient prodigieuses, Learamn n'ayant même pas fait le tour de la pièce. Elle picora une pâtisserie au miel qui était restée sur la table, et pointa un doigt vers les jambes du Rohirrim.

- Je vous apprendrai donc à danser, homme de l'Ouest. C'est décidé.

Khalmeh eut un sourire amusé, mais encore une fois il préféra garder son opinion pour lui-même. Il y avait autre chose de beaucoup plus intéressant sur lequel il voulait revenir, et il jugea bon de poser la question directement pendant que Learamn revenait s'asseoir à la table :

- Par Melkor, pourquoi la reine a-t-elle décidé de vous associer à notre petite compagnie ? Ne vous méprenez pas, je ne doute pas de vos talents, mais il y a ici un certain nombre de guérisseurs plus expérimentés, qui ont déjà affronté les routes et les horreurs d'Albyor. En tant que femme de la reine, la pire vision que vous ayez eue est sans doute une tulipe fanée. Excusez-moi de formuler les choses ainsi, mais vous risquez de nous ralentir, et cette mission s'annonce déjà assez compliquée comme ça.

Même s'il paraissait parfois fantasque et détaché, Khalmeh n'était pas un homme frivole qui était prêt à sacrifier tous ses rêves et toutes ses ambitions pour le joli sourire d'une femme. Pas une seconde fois. Il avait conscience que Lyra ne leur avait pas confié cette mission sans raison, elle qui aurait simplement pu faire appel aux troupes de sa garde rapprochée pour récupérer le chargement. Il leur faudrait de la discrétion, et peut-être une dose de muscle si quelqu'un essayait de se dresser sur leur route. Dans tous les cas, ce n'était pas la place d'une femme du monde, éduquée et raffinée, mais sans aucune expérience de la guerre et de ses dangers. Ava était demeurée impassible en l'écoutant, se contentant d'un petit sourire en coin. Elle répondit simplement :

- La reine a ses raisons, et je ne me risque pas à essayer de deviner ce qu'elle pense. Sachez seulement que je ne vous ralentirai pas.

En la regardant, il était difficile d'y croire. Ses mains impeccables, sa silhouette fine et gracile… elle ne ressemblait pas à une aventurière, et pourtant elle dégageait une confiance en elle si grande qu'il était difficile de ne pas lui accorder du crédit. Khalmeh, n'ayant aucun autre argument – après tout, il ne pouvait pas s'opposer directement aux directives royales –, haussa les épaules et se résigna à accepter la présence de cette femme dans leur compagnie. Ava inclina doucement la tête, comme pour le remercier, puis revint à Learamn :

- C'est plutôt vous qui risquez de ne pas aller bien loin dans cet état. Vous devez prendre des forces, et vous reposer. Trois jours devraient suffire pour commencer, puis nous prendrons la route à une allure modérée afin que votre corps ne soit pas soumis à trop rude épreuve. Pensez-vous que cela sera suffisant ?

Elle parlait avec l'assurance d'un chef de guerre, prenant ouvertement de haut Learamn qui pourtant avait beaucoup plus d'expérience en la matière, lui qui avait arpenté une bonne partie de la Terre du Milieu ces dernières années. Cependant, il fallait bien admettre qu'elle le défiait. Trois jours de repos après avoir chevauché pendant si longtemps… c'était peu, même pour un homme en forme. Voulait-elle le pousser à réclamer un sursis, ce qui aurait pu passer pour une marque de faiblesse, ou bien n'était-elle simplement pas au fait de la fatigue engendrée par un tel périple ? Dans les deux cas, Learamn devait se positionner, tout en sachant qu'en ne faisant rien il se laisserait mener par le bout du nez par une jeune femme dont il ne savait rien et vis-à-vis de qui il pouvait avoir des doutes raisonnables.

- Cela vaut aussi pour vous, sire Khalmeh. Vous avez fait un long voyage, m'a-t-on dit, pour aller chercher quelque animal exotique du Sud. Trois jours seront-ils suffisants pour vous permettre de vous reposer ?

- Je pourrais repartir sur-le-champ, madame, mentit-il.

Point de « mon ami », cette fois, comme s'il tenait à mettre une distance soigneusement définie entre lui et Ava. De toute évidence, il se méfiait d'elle, ce qui n'échappa guère à Learamn. Celle-ci se contenta de répondre un « oh » légèrement surpris, comme si elle considérait sincèrement l'option. Elle semblait pressée de se mettre en route, pour des raisons qui n'étaient pas immédiatement évidentes, et trépignait d'impatience malgré sa posture parfaitement contenue.

A chaque seconde, de nouvelles questions. De nouveaux secrets.

Et un seul horizon pour le Rohirrim.

La guérison.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag thrakan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 8 Nov 2019 - 10:04
L'entrevue avec la reine s'était achevée sur une note étrange pour les deux hommes, contraints de se retirer respectueusement sans avoir tout à fait compris les implications de ce qu'elle leur demandait à tous les deux. Learamn, désireux de faire ses preuves, se voyait confier une mission de la plus haute importance sans laquelle il ne pourrait jamais entrer pleinement au service de cette souveraine orientale qui lui promettait monts et merveilles en échange de sa plus totale loyauté. Khalmeh, quant à lui, était contraint de mettre sa propre marchandise à l'épreuve, sans bien savoir s'il serait en mesure de contrôler l'Uruk jusqu'à l'accomplissement de sa quête. Il avait secrètement espéré que Lyra ne poserait pas trop de questions en ce sens, et il comptait sur sa verve pour la convaincre de le prendre à son service, ou d'en faire son animal de compagnie. Il s'était bien trompé au sujet de sa suzeraine, et il commençait à regretter d'avoir voulu lui tenir la dragée haute. Fort heureusement, il avait encore le bâton de commandement, mais il savait très bien que sans cet objet dérisoire, la créature se vengerait de tous les sévices infligés en lui déchirant la gorge à l'aide de ses crocs proéminents. Une armée entraînée disposant d'une logistique efficace pouvait sans peine gérer un tel monstre, mais que pouvait-il accomplir avec à sa disposition une équipe réduite d'hommes courageux, certes, mais qui manquaient cruellement de finesse et d'expérience.

Il se sentait affreusement seul face à cette tâche impossible.

Alors qu'il traversait les couloirs de Blankânimad, toujours guidé par le page qui les avait conduit à l'entretien, son regard se posa sur le jeune occidental, qui ne disait pas grand-chose. Non, il n'était pas seul dans cette aventure… Cependant, il était flanqué d'un acolyte si particulier et si imprévisible qu'il ne savait pas s'il devait se réjouir ou se lamenter. Learamn était un guerrier, à n'en pas douter, mais ses blessures avaient affaibli son corps autant que son esprit. Son poignet n'avait sans doute pas oublié comment manier une lame, et il était évident qu'il avait vu la guerre et ses horreurs. Néanmoins, avait-il encore les épaules assez solides pour affronter les inévitables dangers auxquels ils feraient face ? Il avait souffert dans sa chair et dans son âme, tant et si bien que son récit auprès de Lyra avait bouleversé Khalmeh, qui pourtant n'était pas prompt à s'émouvoir. Il y avait de la peine chez ce jeune homme, prêt à se parjurer pour sauver ce qui restait de son âme, et se convaincre qu'il faisait le bon choix.

Au service de Lyra, il apprendrait péniblement qu'il n'y avait jamais de bon choix…

Les deux hommes arrivèrent finalement devant leurs appartements, dans un silence de mort seulement rompu par le claquement de leurs pas repris en échos effrayants par les couloirs de la forteresse. Le page, dont l'élégance le disputait à la jeunesse, leur ouvrit la porte et leur permit de pénétrer dans le réduit de leur chambre où ils se changèrent, abandonnant à regret les vêtements qui leur avaient été prêtés pour l'occasion. Ils passèrent de nouveau leurs tuniques de voyage, rêches et inconfortables en comparaison des habits soyeux qu'ils avaient pu essayer. La poussière collait encore à leurs bottes, et d'invités royaux ils devinrent de nouveau de simples voyageurs pleins d'espoir et de crainte.

- Je dois parler à Lakhsha et Zark'ân pour faire le point, lança Khalmeh autant pour lui-même que pour Learamn. Même s'ils sont braves, ils ne nous accompagneront pas à Albyor… Je ne veux pas les mettre en danger outre mesure, surtout pas après tout ce qu'ils ont traversé pour en arriver là. Ils méritent un peu de repos, et j'ai le sentiment que la reine ne nous a pas tout dit de cette mission…

Son commentaire plana dans l'air un moment. Il était évident que Lyra avait retenu des informations. Albyor, la Cité Noire… Learamn n'en avait entendu que des bribes durant son voyage, mais il était évident que la compagnie de Khalmeh n'appréciait pas beaucoup l'endroit. D'après ce qu'il avait pu glaner, c'était un grand centre de l'esclavage au Rhûn, mais aussi un lieu mystérieux où se réunissaient les prêtres de Melkor. Même si les gens d'ici révéraient le Noir Ennemi du Monde, ils semblaient particulièrement mal à l'aise avec les pratiques des gens d'Albyor, et se méfiaient de ces lieux comme de la peste. L'idée même de devoir s'en approcher rendait Khalmeh nerveux, et il faisait une véritable faveur à ses hommes en les tenant éloignés de cet endroit maudit.

L'esclavagiste acheva de boucler sa ceinture, et abandonna Learamn quelques instants pour accomplir son devoir de chef. Il n'était pas facile de convaincre des hommes qui vous avaient suivi jusqu'au bout du monde de soudainement demeurer passifs, mais Khalmeh savait ce qu'il faisait. Il avait affronté les routes, les brigands et les dangers du quotidien qui rôdaient sur les chemins sinueux qu'empruntaient les voyageurs. Il connaissait le monde et ses vices, ceux que des hommes de bien pouvaient affronter froidement. Albyor était autre chose. Une noirceur profonde qui semblait coller aux remparts de cette cité honnie, une méchanceté ancrée dans la pierre et l'air, pesante comme la mort. Même s'il avait toute confiance dans ses compagnons, il savait qu'ils ne seraient pas en sécurité là-bas. S'il avait pu, il aurait même laissé Learamn à Blankânimad, mais puisque la reine avait exigé qu'il fît partie de la mission… Ils étaient tous deux embarqués dans une affaire qui les dépassait, et qui risquait de fort mal tourner.

Khalmeh demeura absent un long moment. Il parla beaucoup à Lakhsha le vénérable, qui refusa encore et encore de rester en arrière tandis que celui qu'il appelait affectueusement son fils partait dans une aventure fort dangereuse. Il fallut tous les talents de négociateurs du plus jeune pour convaincre son aîné de se montrer raisonnable. Si l'affaire réussissait, il obtiendrait sa part des gains et il n'aurait plus à se soucier du quotidien. Si les choses tournaient mal, alors ils pourraient au moins rentrer chez eux en vie. La mort n'était pas un salaire digne du courage de ces hommes.

Lorsque l'esclavagiste revint dans la chambre où l'attendait Learamn, il trouva le jeune cavalier dans ses pensées. Pendant un instant, l'Oriental se demanda à quoi il pouvait bien penser. Regrettait-il sa décision ? Songeait-il à tout ce qu'elle impliquait pour lui, pour les siens, pour tous les gens qu'il avait connus ? Il était devenu un parjure, un traître à sa patrie… il n'y avait pas de retour en arrière. Cela lui faisait-il peur ? Ou au contraire se sentait-il tout à coup pousser des ailes, désormais qu'il avait lié son destin à celui de la plus grande souveraine du Rhûn ? Lyra était à la fois terrifiante et inspirante, raison pour laquelle elle se maintenait si habilement sur le trône. Elle savait galvaniser les hommes à son service, et elle n'hésitait pas à récompenser ceux qui lui étaient fidèles. Learamn trouvait-il en elle ce qu'il avait cherché toute sa vie durant ?

Khalmeh l'espérait.

Sortant doucement le guerrier occidental de ses pensées, l'esclavagiste lui lança :

- Venez donc, Learamn. Ne restons pas enfermés ici au risque de devenir fous. La reine nous a octroyé quelques jours de repos, et je suis certain que vous êtes curieux de découvrir les merveilles de Blankânimad de vos propres yeux.

L'offre était difficile à refuser. La curiosité d'un voyageur ne pouvait pas être satisfaite par quatre murs et une bougie, et il fallait dire que l'atmosphère du palais était oppressante. Il ne fallut pas longtemps pour convaincre l'ancien officier de sortir voir le soleil, et prendre une bouffée d'air frais. Le page qui les accompagnait, toujours le même depuis leur arrivée, les attendait devant leur porte. Il se leva en les entendant arriver, et lissa les plis de sa tunique.

- Sommes-nous autorisés à profiter de la ville ? Demanda Khalmeh en westron pour permettre à Learamn de suivre la conversation.

Le garçon répondit dans le même idiome :

- Naturellement, sire. Les portes du grand Palais vous demeureront ouvertes, et vous pouvez séjourner ici tant que je n'aurai pas reçu de directive contraire. Souhaitez-vous que je vous conduise à l'extérieur ?

- S'il-vous-plaît, oui. Conduisez-nous.

De nouveau, ils empruntèrent les corridors sombres, mais cette fois avec l'espoir de revoir le jour, ce qui changeait totalement leur perspective sur le palais. La forteresse était un ogre ténébreux qui engloutissait tous ceux qui osaient s'engouffrer dans ses entrailles de pierre, mais sortir dans la cour pavée de la cité des rois du Rhûn leur procura un sentiment de bien-être absolu, comme s'ils voyaient le soleil pour la première fois de leur vie. Ils restèrent un instant à profiter de la caresse des rayons, de la légère brise qui faisait flotter leurs cheveux. Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de Khalmeh, alors qu'il descendait les quelques marches qui les conduisirent jusqu'aux portes du palais à proprement parler. On leur rendit leurs armes qui avaient été soigneusement consignées, et on les autorisa sans difficulté à quitter les lieux.

Ils repartaient à l'aventure, cette fois dans une ville qui fourmillait d'activité.

Le palais surplombait la cité, et en descendant la longue avenue vers la ville, ils pouvaient voir les innombrables maisons, les étals colorés des marchands, et au loin l'immense Porte de Toutes les Tribus qui accueillait les visiteurs. Les gens d'ici n'étaient pas très différents des gens d'ailleurs, assurément. Learamn avait déjà visité un certain nombre de grandes cités des Hommes, et il pouvait reconnaître la plupart des activités auxquelles s'adonnaient les locaux. Il y avait des marchands, des négociants, des bourgeois et des nobles qui déambulaient dans les quartiers, pressés d'aller à leurs affaires. On achetait, on vendait, on discutait des prix, on se serrait la main chaleureusement en échangeant de précieuses marchandises contre quelques piécettes de métal. Les drapiers et les tailleurs se disputaient les faveurs des plus riches clients, pour leur offrir les tissus et les tuniques les plus à la mode. Les apothicaires, dont les plantes odorantes attiraient le chaland, concoctaient des remèdes supposés tout guérir au profit d'acheteurs parfois désespérés. Rien de nouveau sous le soleil de plomb de l'Est lointain. Certains individus étaient plus difficiles à identifier, et Khalmeh offrit quelques explications à Learamn alors qu'ils croisaient un groupe d'hommes et de femmes qui faisaient des courses d'agrément, achetant des parfums et des savons, alors qu'ils étaient vêtus avec simplicité.

- Ce sont des esclaves domestiques, mon ami. Ils servent probablement un quelconque marchand trop occupé pour faire ses propres emplettes. Comme vous le voyez, ils n'ont ni chaînes, ni entraves. Ici à Blankânimad, il y a fort peu d'esclaves affectés aux travaux de force. On en retrouve dans la construction, mais ceux-là sont souvent très qualifiés, et traités avec soin. Il y a bien ceux des champs environnants, dont le sort n'est pas toujours plaisant, mais y a-t-il en ce monde un fermier qui n'ait point le dos voûté ?

Cette observation lui tira un sourire, comme s'il trouvait la comparaison amusante. Il n'ajouta rien, se contentant de guider Learamn à travers les rues de plus en plus étroites. Le jeune cavalier aurait tôt fait de voir les esclaves les plus miséreux du Rhûn lorsqu'ils atteindraient Albyor, et il comprendrait à quel point les gens de cette cité morbide différaient des habitants de la capitale du grand royaume de l'Est.

En se promenant dans les rues, ils se reconnectaient avec la société, ce qui était à la fois surprenant et perturbant après avoir passé tant de temps sur les routes. Ici comme ailleurs, on lançait quelques regards surpris à l'occidental, mais la présence de Khalmeh tenait à l'écart ceux qui faisaient montre d'une certaine hostilité. Les gens de Blankânimad n'étaient guère habitués à voir des gens de l'Ouest, qu'ils avaient soigneusement appris à détester, et certains se demandaient pour quelle raison un étranger arpentait leurs rues, alors que les lois de la Reine interdisaient théoriquement tout contact avec l'Ouest. Paradoxalement, c'était la cité la plus éloignée de la frontière qui se montrait la plus rétive à accueillir un étranger, alors que ceux de Vieille-Tombe pensaient commerce de manière plus pragmatique. Il y avait dans l'ignorance le terreau de la haine, que seule l'éducation et les bonnes mœurs pouvaient tenir en cage.

Leur visite de la capitale était un bref moment de répit dans leur aventure, mais une occasion rêvée de se détendre tout en découvrant les spécificités locales. Khalmeh semblait être comme un poisson dans l'eau, et il évoluait dans ces rues sans paraître hésiter le moins du monde quant à la direction à prendre. Il faisait un guide merveilleux, introduisant Learamn à toutes les nouveautés qu'il découvrait, tout en lui laissant le temps et l'espace de toucher, de sentir et de goûter les saveurs locales :

- On ne découvre jamais mieux un royaume que par sa cuisine ! Lança-t-il en souriant.

Fort de cette conviction, il les conduisit vers une adresse qu'il appréciait tout particulièrement, un chef local assez renommé au visage bonhomme qui s'avéra particulièrement flatté de recevoir un invité étranger, hôte de Lyra de surcroît. Les plats étaient à la fois copieux et savoureux, composés principalement de riz, de légumes et d'un nombre impressionnant de fruits. Il y avait notamment des raisins, des prunes, mais aussi des cerises qui venaient agrémenter la table et flatter le palais. Les épices étaient partout, relevant les plats parfois au point où manger des braises aurait paru plus agréable. On ne pouvait pas accuser la nourriture locale d'être fade, c'était bien certain. De toute évidence, les gens de l'Est appréciaient le goût sucré, et ils se délectaient de desserts délicieux qui ravissaient leurs sens. Il y avait chez les Orientaux une forme de raffinement dans les plaisirs qui tranchait avec la simplicité parfois austère de la cuisine occidentale. On savait préparer des mets excellents à l'ouest de l'Anduin, mais les grands seigneurs ne se seraient jamais embarrassés à amener à leur table mille épices et mille gâteaux fins. Un bon gigot et quelques bières suffisaient souvent à contenter même les rois. Ici, Learamn n'était qu'un simple invité dans ce qui pouvait passer pour une taverne miteuse, pourtant il goûtait à une multitude de plats qui auraient facilement pu trouver leur place sur la table d'un puissant monarque. Il lui fallut un moment pour comprendre que le chef attendait son avis sur tous les plats qu'il lui faisait goûter, comme s'il cherchait à tester sa cuisine envers un étranger pour l'améliorer. En fin de repas, le cuisinier lui fit venir une série de petits gâteaux sucrés pour avoir son avis sur lequel était le meilleur à des fins tout à fait politiques :

- Il espère pouvoir présenter ses délices à la reine, fit Khalmeh, c'est la raison pour laquelle il vous utilise comme goûteur. Il croit sans doute que nous pourrons l'introduire auprès de Lyra, ce qui lui garantirait un avenir doré.

L'esclavagiste sourit à cette pensée, s'amusant de la situation et de la méprise terrible. Il n'aurait pas été capable de conseiller Lyra sur les latrines à utiliser, alors encore moins sur la nourriture à ingérer. On disait la reine paranoïaque à ce niveau, et sa crainte de l'empoisonnement était de notoriété publique à Blankânimad. Bientôt, les efforts déployés par le cuisinier finirent par attirer l'attention, et quelques femmes vêtues de soieries précieuses vinrent participer à leur petit jeu. Elles étaient souriantes et charmantes, bien qu'elles ne fussent pas en mesure de parler la langue commune, et Khalmeh les présenta comme étant les « femmes de la reine », sans autre précision. De toute évidence il en savait beaucoup à leur sujet, mais préférait ne rien dire et laisser Learamn se faire sa propre opinion. Ces femmes étaient loin d'être déplaisantes, et malgré la barrière de la langue elles se montraient curieuses et ouvertes. Leur rire était communicatif, et bientôt ils formèrent une joyeuse troupe au milieu de laquelle se tenait Learamn, contraint de mimer de manière exagérée ses réactions à chaque nouveau gâteau. Elles semblaient essayer de deviner ses réactions, et elles se taquinaient réciproquement quand il accordait involontairement ses faveurs à l'une ou l'autre.

Khalmeh rit beaucoup à cette occasion, se tenant les côtes car il était un des rares à comprendre à la fois Learamn et les autres convives dont les commentaires devaient être particulièrement hilarants. Le cuisinier ne s'offusquait pas de cette ambiance festive, qui au contraire lui permettait d'attirer de nouveaux clients. Quand il se retrouva à court de bouchées à faire essayer à son noble invité, il s'inclina respectueusement devant l'ancien officier, et lui serra la main de manière énergique. Le jeune homme ne comprenait pas un traître mot, mais il y avait de la sympathie chez ce personnage haut en couleurs. Les femmes vinrent chacune à leur tour serrer la main de Learamn, en lui adressant des commentaires ravis que Khalmeh traduisait du mieux possible :

- Elle dit que vous avez des sourcils comme elle n'en avait jamais vus, lança-t-il après qu'une femme très élégante lui eût touché le visage du bout du doigt. Je crois qu'elle essaie de vous flatter, mon ami.

Khalmeh semblait apprécier cette ambiance tranquille et détendue, comme s'il retrouvait un endroit qu'il connaissait bien. C'était d'ailleurs probablement le cas, et il n'avait pas mené Learamn ici par hasard. La légèreté d'esprit des convives tranchait avec le caractère réservé et froid des autres habitants de la capitale, qui se muraient dans un silence sinistre quand l'ancien capitaine faisait son apparition. Cependant, toute bonne chose avait une fin, et l'attitude de l'esclavagiste changea du tout au tout quand un nouvel arrivant fit son apparition.


Longue barbe, la carrure impressionnante, il aurait pu appartenir à l'armée de Lyra, mais il n'en portait pas l'uniforme distinctif que Learamn avait appris à connaître. Au lieu de quoi, il arborait une solide tunique de cuir renforcée aux épaules, du genre de celles que les miliciens portaient parfois. C'était rassurant, dans le sens où cela signifiait que la reine n'avait pas décidé de changer d'avis à leur sujet et de les faire ramener dans les cachots de sa forteresse, mais demeurait à expliquer pourquoi il les regardait avec une telle intensité. Il dit quelque chose dans sa langue natale, d'une voix grave et tranchante qui n'inspirait pas la sympathie. Khalmeh répondit immédiatement en se levant, tendant une main devant Learamn pour lui intimer de rester calme. La tension était montée d'un cran, même si personne ne semblait prêt à se battre.

- Cet homme nous cherche, souffla l'esclavagiste entre ses dents. Ne craignez rien, je vais tirer cette histoire au clair.

Il n'en eut pas l'occasion. Alors qu'il était sur le point de revenir à son dialogue avec le colosse, il fallut l'intervention d'une femme pour désamorcer la situation, dans un westron teinté d'un accent local :

- Sire Khalmeh, vous n'avez rien à craindre de nous.


Elle se glissa dans la pièce à la suite du guerrier, rejetant le manteau qui couvrait ses fines épaules, dévoilant un visage fin mais teinté d'une noble gravité. Learamn ne savait peut-être pas grand-chose du Rhûn, mais il ne put manquer de remarquer qu'elle ressemblait à s'y méprendre à une de ces « femmes de la reine ». La même tunique ample et légère, dans les tons pourpres. Le même voile diaphane déposé sur les cheveux, et surtout la même attitude relâchée et confiante, qui semblait venir d'une conscience profonde qu'elle était parfaitement en sécurité. Elle siffla quelque chose en rhûnien, qui n'était pas adressé à Learamn et Khalmeh. Les autres « femmes de la reine » se levèrent comme un seul homme répondant à l'ordre d'un officier supérieur, puis elles s'inclinèrent doucement, avant de quitter précipitamment la pièce pour s'en retourner à leurs affaires. La nouvelle venue n'avait même pas eu à hausser le ton, et elle vint s'asseoir en face des deux hommes sans paraître nullement émue d'avoir ainsi bouleversé l'atmosphère de la petite taverne :

- Homme du Rohan… Vous n'êtes pas facile à trouver. A croire que vous vouliez éviter d'être suivi.

Son mince sourire s'étira légèrement. Le guerrier derrière elle posa une main protectrice sur le dossier de sa chaise, conservant l'autre sur la garde de son épée. Le message était parfaitement clair. Dans cette cité, Learamn ne pouvait pas se cacher.

- Comme je l'ai dit, vous ne devez pas nous craindre. C'est Son Altesse en personne qui m'envoie à votre service. Je pensais vous retrouver dans vos appartements pour me présenter, mais vous aviez déjà quitté le palais de Son Altesse. Je m'appelle Ava, enchantée.

Elle tendit une main menue et délicate à Learamn. Une main qui n'avait jamais connu l'épée, ni la houe, ni le râteau. Une main immaculée, celle d'une femme d'un certain statut qui semblait tout ignorer des travaux des champs, des difficultés de la vie. Le visage qui était attaché dégageait une autre impression, qu'il était difficile de confirmer. Ava, puisque c'était son nom, avait le regard d'une femme en mission, et ses interlocuteurs comprirent bientôt que c'était précisément le cas.

- J'ai été mandatée par Son Altesse, fit-elle, pour vous accompagner dans votre entreprise. Je dois vous suivre, vous et vos compagnons, pour vous apporter toute l'aide que je pourrai. Et d'après ce que j'ai pu comprendre, je pense que je vous serai très utile.

Elle marqua une brève pause, avant d'ajouter :

- Je peux guérir votre blessure, homme du Rohan… si tant est que vous écoutiez mes conseils et que vous soyez prudent. Il n'y a aucun mal que je ne puisse apaiser, et par Melkor je vous rendrai toutes vos forces pour peu que le temps m'en soit donné.

Un bref silence s'installa. Khalmeh comprenait de mieux en mieux les rouages complexes de l'esprit de la reine, et s'il l'avait pu il aurait applaudi chaleureusement ce coup brillant, car il était évident qu'elle ne faisait pas cela par charité. Elle offrait à Learamn un avant-goût de ce qui pouvait l'attendre, et en s'efforçant de lui rendre la santé elle travaillait dur à s'attacher ses services. Elle achetait sa loyauté, certes, mais pas avec de l'or ou des pierres précieuses… avec quelque chose de bien plus rare, que le Rohan n'avait pas pu lui apporter. Il aurait pu se tourner vers les Eldar, et il n'aurait pas été le premier homme à faire ce long périple pour rencontrer le peuple immortel. Sauf que le peuple immortel n'était plus l'ami des Edain depuis longtemps, et que malgré son éloignement, il lui était plus facile d'arriver brisé et sans le sou au fin fond du Rhûn, que de pénétrer dans une des forêts interdites des Elfes.

Lyra tenait désormais entre ses griffes un allié au potentiel gigantesque, et elle avait l'intention de le rendre fidèle pour exploiter au mieux toutes ses capacités. Pourtant, le joli minois de la « femme de la reine » n'était qu'une façade destinée à lui cacher la véritable nature de sa présence à ses côtés. Elle n'était pas simplement là pour le soigner, mais aussi pour le surveiller et s'assurer qu'il ne ferait rien allant contre les intérêts de la toute puissante reine du Rhûn. Cette réalité était matérialisée par le guerrier qui demeurait silencieux et debout, les dominant de toute sa taille. Voyant que les deux hommes regardaient le vétéran à la longue barbe brune, elle lança à Khalmeh et Learamn :

- Voici Thrakan, dit le Fléau de l'Ouest. Il a tué beaucoup des vôtres.

Une précision qui n'était pas nécessaire, tant l'animosité qui brûlait dans le regard du guerrier était palpable.

Un esclavagiste et sa créature, une guérisseuse et son Fléau… A l'instar des cinq doigts de la main, ils étaient tous prodigieusement différents, mais ils devraient apprendre à coopérer les uns avec les autres car ils dansaient tous dans la paume de l'inquiétante souveraine du Rhûn…
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