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Sujet: L'heure des renoncements
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Temple Sharaman   Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'heure des renoncements    Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 11 Avr 2024 - 13:44
Le Temple de Sharaman s’éveilla au son des tambours, tandis que la foule des fidèles s’engageait lentement dans le ventre de la bête de pierre noire et nue, se laissant volontairement ingérer par l’estomac insatiable de Melkor, et l’ambition dévorante du Grand Prêtre Jawaharlal. Les fanatiques melkorites, venus par centaines pour cette occasion très spéciale, se bousculaient pour s’emparer des meilleures places, tandis que la noblesse de la Cité Noire baissait pudiquement la tête devant l’effigie du Dieu Sombre qui les accueillait – de crainte sans doute que le Vala déchu ne lût dans leurs regards le fond de leur pensée, et à quel point son pouvoir ténébreux les dégoûtait. Les hommes et les femmes rassemblés ici, de toutes conditions sociales, de toutes allégeances politiques, ployaient sous le poids du dogme et sous le joug imposé par les terrifiants prêtres de l’Ogdâr.

Ces derniers, silhouettes sombres encapuchonnées, accueillaient les visiteurs avec une mine sévère, inquisitrice. Ils étaient particulièrement reconnaissables, eux et leurs corps scarifiés, leurs yeux vides et leurs lèvres pincées de mépris. Leur autorité, de plus en plus grande à Albyor, en faisait les arbitres de la moralité publique, les juges de la foi, et les bourreaux des mécréants. Tous ceux qui n’avaient pas le courage de les regarder en face craignaient de passer pour suspects… Quant à ceux qui parvenaient à leur tenir tête, ils ne pouvaient s’empêcher de se demander si un tel défi aux représentants de Melkor ne reviendrait pas les hanter plus tard. Les zélotes, à l’inverse, se prosternaient devant ces émissaires du Grand Prêtre, leur chantant d’odieuses louanges.

++ Merci, seigneur-prêtre, pour votre lutte impitoyable contre l’hérésie. ++

++ Puissiez-vous faire couler le sang des ennemis de Melkor, jusqu’à Son retour. ++

++ Que notre Dieu veille sur votre mission, et que votre lame ne cesse de fendre la chair impie. ++

Les prêtres, satisfaits, leurs accordaient parfois un signe de tête appréciateur.

Les fidèles ronronnaient alors de plaisir et de crainte, rampant jusqu’au parterre d’où ils pourraient observer la cérémonie exceptionnelle à laquelle ils étaient conviés. Pour l’occasion, on leur avait réservé au moins la moitié de la grande salle des sacrifices, et des gradins avaient même été installés pour permettre à ceux qui se trouvaient le plus loin de voir le spectacle prévu par Jawaharlal. Cette foule compacte ne rentrerait pas en entier dans le Temple, et ceux qui étaient arrivés en retard se contenteraient d’assister aux sacrifices depuis le parvis, voire de chanter à la gloire de Melkor depuis les marches du Temple… Parmi ceux-là, on ne trouvait guère de fidèles absolus, plutôt des individus qu’on avait vivement encouragés à se rendre à la cérémonie, et qui s’accommodaient très bien de quelques chants collectifs qui leur épargnaient de voir la mort en face. Learamn, quant à lui, se tenait parmi les esclaves qui encadraient cette foule et se chargeaient de les installer convenablement. De là où il se trouvait, il pouvait assister à cet étrange ballet, à ces mille signes obséquieux et à ces mille petites résistances de la part de la population d’Albyor, dont le malaise était perceptible. En réalité, à l’exception d’un noyau dur de fanatique endoctrinés, nul ne se sentait réellement à son aise au sein du Temple. C’était d’ailleurs une sensation partagée par les Bakhshidan, qui surveillaient les entrées et les sorties avec attention, tout en patrouillant avec beaucoup plus de sérieux que d’ordinaire. Le nombre de visiteurs posait un véritable défi en termes de sécurité, et leurs effectifs étaient dispersés : le Grand Prêtre comptait davantage sur leur apparence et sur le poids de leur aura mystique, que sur leur force brute.

Après tout, il était invincible, ici dans son sanctuaire, entouré par ses troupes et ses fidèles.

Une quinzaine de Pardonnés était placée de chaque côté des immenses portes qui gardaient l’entrée du Temple, tandis que plusieurs dizaines occupaient les coursives latérales, surveillant les points d’accès qui conduisaient ensuite dans le reste du Temple. Enfin, le gros de la troupe se trouvait parsemé entre la foule et l’autel sacrificiel, dissuadant quiconque de quitter son rang et de chercher à interrompre la cérémonie. Certains d’entre eux, Learamn en était conscient désormais, scrutaient la foule en espérant l’apercevoir. Le maintien des apparences comptait beaucoup pour les Melkorites, dont la puissance se fondait en grande partie sur la violence brutale qu’ils affichaient publiquement. Toutefois, s’ils avaient la possibilité d’intervenir violemment au milieu de la cérémonie pour arrêter un ennemi de la foi, ils ne se priveraient pas de le faire.

La chance de Learamn, pour l’heure, était que sa description physique ne permettait pas aux gardes de le retrouver aisément.

L’avertissement de Nomi avait été salutaire de ce point de vue, car au beau milieu de la nuit, les gardes avaient débarqué parmi les esclaves, et avaient retourné les chambres à la recherche d’un « esclave Lossoth de grande valeur », qu’ils ne pouvaient trouver qu’en isolant les esclaves dans leurs quartiers, et en opérant une recherche méthodique. Il leur avait fallu plus d’une heure et un interrogatoire musclé pour se rendre compte que leur cible s’était bel et bien évanouie, et qu’ils ne pouvaient pas la pourchasser à la veille d’une cérémonie cruciale pour leur maître. Il fallait dire que rechercher un Tatoué parmi les serviteurs du Temple de Sharaman revenait à essayer de trouver une femme dans un harem, ou un idiot à l’Ouest de l’Anduin. La colère des Bakhshidan et leurs menaces n’avaient rien changé à l’affaire et, pris par le temps et l’obligation de sauver les apparences, ils avaient été contraints de laisser le flot d’esclaves rejoindre leurs rangs pour remplir leurs devoirs.

Nomi avait soupiré de soulagement.

Mais elle ignorait tout de ce qui se tramait en réalité.

Learamn s’était glissé subrepticement parmi les esclaves affectés aux zélotes, et avait emboîté le pas de ses compagnons, psalmodiant en rythme en répétant machinalement des paroles dont il ne connaissait pas vraiment le sens, mais qui lui auraient sans doute valu la condamnation sévère de tous ceux qu’il connaissait dans sa vie antérieure. Cependant, il n’était pas le seul à répéter ces incantations sans y croire. Autour de lui, aucun esclave n’était un melkorite convaincu, évidemment, mais tous savaient qu’il valait mieux jouer son rôle avec conviction, pour éviter de franchir la barrière et de se retrouver parmi les sacrifiés… Alors, à mesure que les fanatiques remplissaient l’espace qui leur était affecté, ils chantaient de plus en plus fort, faisant enfler les prières à Melkor jusqu’à ce que leurs chants semblassent recouvrir le chaos et le bruit des conversations.

++ Plus fort ! ++ Cria le chef des esclaves à l’attention de ses troupes. ++ Le Grand Prêtre a exigé que nous soyons entendus par Melkor en personne ! ++

Ils redoublèrent d’ardeur, et les zélotes se laissèrent emporter par cette litanie.

Bientôt, Learamn se retrouva encerclé par la foule, coupé de la porte principale par des centaines d’individus qui avaient les yeux rivés vers le balcon immense où se rassemblaient les dignitaires de la cité. Les tentures immenses, que Nomi et ses compagnons avaient participé à installer, conféraient une aura grandiose et magnifique à cette loge qui semblait s’élever au milieu des ténèbres. Les symboles cryptiques, tissés finement, formaient des entrelacs malsains qui captivaient l’âme au point de ne plus pouvoir s’en détourner. Cette simple lecture avait le pouvoir de rendre totalement fou, et plusieurs aristocrates firent en sorte de ne pas les observer pour ne pas se laisser happer par ces signes et ces mots horribles. La noirceur la plus absolue se dégageait de ces inscriptions, comme du moindre détail de la salle des sacrifices.

Tout à coup, venu de nulle part, le silence s’imposa progressivement dans l’assistance, à grands renforts de « chut » et de coups de coude. On pointa du doigt le balcon, où se dressait une figure solitaire, vêtue d’une tenue cérémonielle splendide, d’un rouge profond rehaussé de fils d’or. Nul héraut n’avait annoncé sa venue, nul tambour de guerre n’avait célébré son entrée en scène. Pourtant, il était là, superbe et terrible à la fois, toisant l’assistance avec ce même regard enflammé qu’il avait à chaque fois. Ses adorateurs se prosternèrent longuement, et bientôt on n’entendit plus un souffle dans la salle, dans l’attente des annonces du Grand Prêtre.


Jawaharlal savait ménager ses entrées.

++ Melkor soit loué ! ++

++ Loué soit-il ! ++

La répétition permettait d’ancrer la foi dans les esprits faibles. Le bâton qu’il tenait dans la main frappa brusquement le sol, renvoyant un écho prodigieux dans toute la salle, alors qu’il répétait :

++ Melkor soit loué !!! ++

++ LOUÉ SOIT-IL !!! ++

La foule se mit alors à applaudir en tempête, à rugir, à pousser des hurlements sauvages. Les zélotes, en extase, tremblaient d’excitation en voyant leur maître comme des roquets aboyant au passage de celui qui leur jetait un peu de nourriture. Un peu de chair humaine. Jawaharlal s’en délecta pendant un moment, avant d’apaiser la clameur populaire d’un simple mouvement de la main.

++ Gloire aux fidèles de Melkor, qui adorent Son nom ! Gloire aux fidèles de Melkor qui entendent Sa volonté. Gloire à ceux qui, aspirant au retour de notre maître, sont rassemblés ici pour célébrer Son triomphe prochain. Gloire ! ++

++ Gloire ! ++

Jawaharlal reprit :

++ Gloire !!! ++

++ GLOIRE !!! ++

Les applaudissements reprirent, puis se calmèrent, comme une vague humaine que le héraut de Melkor contrôlait à volonté. L’idée qu’il pût commander aux Hommes avec une telle aisance était terrifiant. Encore une fois, tout était pensé pour faire la démonstration du pouvoir de Jawaharlal sur les âmes des vivants. Le tout était très efficace, car les bonnes gens de la Cité Noire observaient ce spectacle avec un mélange de fascination, de consternation et de résignation.

++ Nous sommes rassemblés ici aujourd’hui pour une cérémonie exceptionnelle… pour démontrer notre foi et notre résolution, pour réaffirmer notre détermination de tous les instants à combattre ceux qui s’opposent à notre dieu. Nos ennemis sont plus nombreux que vous l’imaginez… Ils nous observent, ils nous scrutent, ils nous jaugent en permanence. Et aujourd’hui, hélas, ils nous croient faibles, vulnérables. Ils cherchent à tuer la foi dans nos cœurs et nos chairs. Ils se tapissent parmi nous, ici-même, sous le visage d’un proche, d’un ami, d’un serviteur… Mort aux ennemis de Melkor ! Mort aux ennemis du Rhûn ! ++

++ MORT AUX ENNEMIS DE MELKOR !!! MORT AUX ENNEMIS DU RHÛN !!! ++

La foule bourdonnait de rage à peine contenue. Les sermons du Grand Prêtre soulignaient souvent la présence d’ennemis invisibles, d’une menace diffuse mais existentielle, qui devait être combattue par la foi la plus orthodoxe et par la dévotion la plus extrême. Toutefois, c’était bien la première fois qu’il faisait référence à cette menace de manière aussi précise. Nombreux furent ceux qui, par réflexe, regardèrent autour d’eux à la recherche d’un signe d’impiété dans les yeux de leurs voisins… Le malaise était palpable, la tension était à son comble. Les fanatiques, électrisés par ce discours, semblaient prêts à massacrer n’importe quelle personne que leur désignerait Jawaharlal. Ils avaient été conditionnés pour haïr depuis si longtemps que le destinataire de cette haine importait peu. Ils dévoreraient vivant celui qu’on leur offrirait en sacrifice, si le Grand Prêtre le leur commandait. Ce dernier, qui en était parfaitement conscient, leur réservait un plat de résistance auquel ils ne s’attendaient certainement pas.

++ Aujourd’hui, cependant, notre Temple est fort. Notre résolution est forte. Notre bras est fort. Nul ne peut se dresser sur la route de Melkor, notre maître. S’il est des ennemis de la foi, qu’ils constatent ici même notre unité, qu’ils mesurent notre puissance ! Nous jouissons même de la protection et du soutien du Gouverneur d’Albyor, qui nous honore par sa présence. Gloire au Gouverneur Hagan ! ++

++ Gloire ! ++

Une silhouette fit son apparition aux côtés de Jawaharlal, mais alors que les zélotes se mettaient à applaudir avec chaleur, les nobles de la cité et Learamn ne purent manquer d’afficher leur surprise. Il fallut un moment au reste de l’assistance pour comprendre la situation, puis le nom du nouveau gouverneur circula progressivement dans les rangs, comme un murmure, comme une rumeur courant sur les ailes d’une brise printanière. L’homme en question était certainement un Hagan, mais il ne s’agissait assurément pas du gouverneur Demior Hagan… Ce n’était pas l’homme que Learamn avait rencontré, et qui l’avait accueilli au sein de son palais. Un homme certes dépassé par la montée en puissance des Melkorites, mais qui n’aurait jamais de son plein gré participé à un spectacle d’une telle tristesse, et qui ne se serait pas compromis en s’affichant publiquement aux côtés de Jawaharlal pour légitimer son ascension fulgurante. En lieu et place, se trouvait quelqu’un de plus jeune, qui s’appuyait lourdement sur une canne métallique dont il avait besoin pour se déplacer convenablement. Un individu que Learamn avait déjà croisé, plusieurs semaines auparavant, au sein du Palais du Gouverneur.

Nixha Hagan, le fils et héritier de son père.

Ce dernier jeta un regard indéchiffrable en contrebas, observant l’assistance qui se partageait entre des citadins qui le célébraient comme un allié providentiel qui se joignait librement à leur cause, et des aristocrates qui le voyaient sans doute comme un traître et un usurpateur… En observant la foule qui s’agitait, ses yeux s’illuminèrent brièvement. Pouvait-on y déceler une pointe de peur ? Ou n’était-ce qu’une illusion ? Nixha ne fut pas convié à prendre la parole. C’était l’heure du Grand Prêtre, et il ne partageait ce moment avec personne d’autre. Sitôt qu’il eût rempli son rôle, Nixha s’assit lourdement sur l’immense trône stylisé que Jawaharlal avait fait sculpter et installer pour lui, ses épaules se calant entre les griffes de l’immense créature au réalisme saisissant qui semblait veiller sur lui… ou le surveiller.

Il soupira légèrement, et tourna la tête vers la femme qui se tenait de l’autre côté de Jawaharlal.

Une femme à la beauté froide, et aux yeux tristes, qui observait la scène avec gravité. Elle dut sentir son regard, car elle tourna la tête vers lui en retour. A ce moment précis, il comprit qu’elle aussi devait jouer un rôle auprès du Grand Prêtre, et qu’elle n’était qu’un pion au service d’ambitions bien plus importantes qu’ils ne pouvaient le concevoir. Nixha déglutit difficilement.

++ Fidèles de Melkor, fils du Rhûn… Inclinez-vous devant le gouverneur Hagan, soutien indéfectible de notre religion, gardien de la foi, bouclier du peuple ! ++

La question qui était sur toutes les lèvres, et dans tous les esprits, ne resta pas longtemps sans réponse. Écartant grand les bras, en poussant un long rugissement de colère, Jawaharlal poursuivit :

++ Et voici venir l’heure du jugement pour ceux qui se dressent devant Son autorité et Sa volonté. Mort aux ennemis de Melkor ! Mort aux ennemis du Rhûn ! ++

++ MORT !!! ++

La porte qui se trouvait sous l’alcôve de Jawaharlal, et de laquelle avaient surgi les Bakhshidan quelques jours plus tôt, s’ouvrit cette fois sur un spectacle bien plus triste et pathétique. Demior Hagan, hagard et visiblement amoindri par les sévices endurés, fut traîné pieds et poings liés jusqu’à l’autel sacrificiel qui occupait le centre de la pièce, par des prêtres de l’Ogdâr. On entendit, même parmi les zélotes, des hoquets de surprise alors que le représentant de l’autorité de la reine à Albyor était conduit vers son destin, et un verdict qui ne surprendrait personne. Ce tour de force était extraordinaire, car nul n’avait eu vent d’une destitution du gouverneur, et nul ne savait comment s’était déroulée cette transition. Il était cependant évident que Jawaharlal avait utilisé son autorité religieuse pour évincer un allié de Lyra, ce qui en disait long sur l’influence qu’il avait gagnée ces dernières années.

Parmi les Ogdâr-Sahn, un homme se distinguait par sa tenue plus richement décorée. Il s’agissait du Père Supérieur, un éminent personnage du Temple de Sharaman, qui n’officiait que très rarement, mais qui comptait parmi les plus proches de Jawaharlal. Sa présence conférait au jugement une solennité rare. Il prit la parole, avec emphase :

++ Demior Khamlal Hagan ! Confessez-vous vos crimes contre Melkor ? ++

L’intéressé parcourut l’assemblée du regard. Ses yeux se posèrent sur les nobles absolument sidérés, pétrifiés d’effroi devant ce qu’ils comprenaient comme étant un tournant décisif dans la vie politique de la Cité Noire. Si le gouverneur en personne pouvait être jugé par le tribunal de Jawaharlal, alors personne n’était à l’abri. Et eux, rassemblés au sein de la demeure de Melkor, étaient pour l’heure prisonniers de la volonté du Grand Prêtre et de sa garde de Pardonnés qui les surveillaient étroitement.

++ Je… ++

++ Ne confessez rien, gouverneur ! ++ Cria quelqu’un.

Ce fut une jeune femme de l’aristocratie locale qui trouva le courage de briser le silence. De là où il se trouvait, Learamn put voir l’agitation que provoqua sa soudaine intervention, la bousculade qui s’en suivit se répercutant jusqu’à l’autre bout de l’immense salle du Temple de Sharaman. Les Bakhshidan convergèrent vers elle comme des vautours, et se saisirent de ses bras fins et graciles, l’arrachant de force à l’étreinte de sa mère éplorée qui tenta tout pour la retenir.

++ Prenez-moi à sa place ! Prenez-moi, je vous en prie… ++

++ Prenez-la également, puisqu’elle insiste ! ++ Gronda le Père Supérieur, cynique. ++ Dénoncez-vous, ennemis de la foi ! Dénoncez-vous, et soumettez-vous au châtiment de Melkor ! ++

Le coup de force du Grand Prêtre était total, et pour la première fois depuis qu’il avait revitalisé le culte du dieu sombre, il affrontait publiquement et frontalement les élites de la Cité Noire. Une quinzaine de nobles se rebellèrent franchement, protestant avec véhémence contre ce qu’ils considéraient comme un abus de pouvoir. Ils furent promptement arrêtés par les gardes du Temple, qui n’eurent aucun mal à venir à bout de cette maigre résistance. De toute évidence, Jawaharlal était prêt à décapiter toute la noblesse de la ville si elle ne lui prêtait pas un serment d’allégeance absolu en cautionnant pleinement la mise à mort de leur seigneur, celui à qui elle avait pourtant juré fidélité…

Ces patriciens avaient été habitués progressivement à accepter l’inacceptable, à endurer l’impossible, mais surtout à se rendre en pèlerinage vers le Temple de Sharaman sans armes pour se placer temporairement sous l’autorité d’un homme et d’une foi qui refermaient désormais leurs griffes immondes sur leurs gorges haletantes. Outre les quinze braves qui osèrent défier l’autorité de Melkor publiquement, les autres demeurèrent figés dans un silence préoccupé, essayant de se persuader que la puissance d’un dieu ne pouvait pas être combattue par des moyens humains, ou de se convaincre que l’heure de la rébellion viendrait plus tard, et qu’il fallait avant tout survivre pour échapper à l’emprise de Jawaharlal.

Vœux pieux.

En réalité, ils renoncèrent tous aux principes moraux, aux promesses et aux valeurs qui étaient les leurs. Terrifiés, écrasés par l’aura mystique du lieu, par les cycles de violence auxquels ils avaient été habitués, et par le désespoir que Jawaharlal avait réussi à insuffler en eux semaine après semaine, jour après jour, ils ne parvinrent pas à trouver le courage de prendre la parole pour s’indigner ce la situation. À quoi bon ? Leur silence, étouffant, oppressant, répondait aux invectives des zélotes qui hurlaient des insultes et des menaces aux opposants de la foi, qui furent bientôt conduits sur l’autel sacrificiel. Lorsque le calme revint, et que les rebelles furent maîtrisés et ligotés à leur tour, le prêtre de l’Ogdâr demanda le silence et reprit comme si rien ne s’était passé :

++ Demior Khamlal Hagan. Confessez-vous vos crimes contre Melkor ? ++

L’ancien gouverneur, anéanti par ce qu’il voyait, répondit machinalement :

++ Je confesse… ++

++ Implorez-vous Son pardon ? ++

++ Je l’implore… ++

Le prêtre sourit, étirant les minces cicatrices qui parcouraient l’entièreté de son visage parcheminé, lui donnant l’air d’une bête portant un masque de chair humaine.

++ Vous serez donc épargné. Melkor sait être miséricordieux avec ceux qui se repentent, et qui se vouent à Lui. Demior Khamlal Hagan, obtenez le pardon de Melkor, devenez membre de l’Ogdâr, accomplissez Sa volonté ! ++

En disant cela, il tendit sa lame au gouverneur, et d’un signe de tête lui indiqua les quinze prisonniers qui avaient défié l’autorité d’un dieu et d’une foule fanatique pour lui. Le message était clair… S’il souhaitait obtenir le pardon de la créature la plus terrible et la plus violente d’Arda, il lui faudrait accomplir l’inimaginable, le plus grand des sacrifices, la plus douloureuse des trahisons…


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Huru jeta un regard en contrebas, incapable de croire qu’ils venaient vraiment d’y arriver. La traversée du vide, suspendu à une simple corde tendue, avait probablement été l’expérience la plus terrifiante de toute son existence, d’autant qu’il n’avait pas respecté les consignes de ses compagnons, et qu’il avait regardé en bas. Ses yeux avaient soudainement perdu le sens de la réalité, alors qu’ils plongeaient dans les ténèbres d’un gouffre à la profondeur inimaginable, lui donnant pour la première fois de son existence une sensation de vertige totalement incontrôlable.

Il n’avait cessé de trembler que dix bonnes minutes après avoir remis le pied sur terre, alors que les autres assassins achevaient eux aussi leur traversée, tout aussi éprouvés que lui.

++ Tout le monde est là ? ++ Demanda-t-il enfin.

On lui répondit par quelques grognements. Personne ne manquait à l’appel. C’était déjà un petit miracle en soi. Ils avaient cru qu’ils ne parviendraient jamais tous ensemble à destination, quand l’ascension du col qui surplombait le Temple de Sharaman s’était transformée en un véritable parcours du combattant, deux jours auparavant, à cause des vents infernaux qui s’étaient mis à tourbillonner en tempête sur leur passage. Leur matériel de piètre qualité avait été mis à rude épreuve, et leurs épées avaient souvent servi de piolets pour affronter les derniers mètres. Leurs nerfs et leurs corps, testés par les éléments déchaînés, avaient failli céder à de nombreuses reprises, mais ils avaient tenu bon, puisant dans des réserves qu’ils ne soupçonnaient même pas avoir. Puis, il avait fallu trouver comment redescendre de l’autre côté, pour se rapprocher du Temple, et finalement ils avaient mis huit heures à s’accorder sur une solution viable pour affronter le précipice qui séparait l’éperon rocheux sur lequel ils avaient atterri, et le Temple.

Une dizaine de mètres à franchir au-dessus du vide.

Sans filet.

La solution était venue de Fall, et de son ingéniosité extraordinaire, comme souvent. Elle avait eu l’idée de fabriquer une corde en nouant tout ce qu’ils avaient pu réunir : leurs vêtements, leurs ceintures, les moindres morceaux de corde qu’ils avaient à leur disposition, et de les lancer inlassablement à travers le gouffre jusqu’à atteindre l’autre extrémité et une prise sûre. Ils avaient lancé cette fichue ligne de vie des centaines de fois, se relayant pour reposer leurs bras fourbus, tandis que le désespoir les gagnait peu à peu.

Le plan, totalement fou, avait pourtant fonctionné.

La corde s’était enroulée autour d’une aspérité à peine visible, qui leur avait redonné du baume au cœur.

Après le soulagement, il avait fallu de la bravoure. Fall, la plus légère, s’était aventurée en premier, et avait brillamment réussi la traversée, émergeant de l’autre côté presque nue, gelée, tétanisée, mais résolue à trouver un moyen de faciliter le passage à ses compagnons plus lourds. A quelques heures seulement de la cérémonie sanglante, elle avait profité de l’agitation extraordinaire dans les niveaux inférieurs pour se faufiler au sein de la résidence de Melkor, et y dérober de quoi nourrir ses ambitions. Une bure simple qui convenait à une vulgaire esclave, et autant de cordes qu’elle pouvait en porter sans éveiller les soupçons. A l’heure où toute l’attention du Grand Prêtre était focalisée sur les grandes portes qui accueillaient ses ouailles, la jeune femme avait détalé comme une souris, transcendée à l’idée d’avoir pu pénétrer et ressortir vivante du Temple.

Un tel exploit était donc possible.

Huru avait écouté son récit d’une oreille attentive.

++ Et tu dis qu’il nous serait possible d’approcher le Grand Prêtre ? ++

++ Ce ne sera pas facile, mais je pense que oui. Le balcon sur lequel il se trouve est bien gardé, mais si nous pouvions créer une diversion en bas… N’importe quoi qui attirerait l’attention des gardes et nous permettrait de nous faufiler… Il me suffirait d’une seule chance, Huru. Une seule, et tu sais que je pourrais mettre fin à la vie de ce salopard… ++

Il hocha la tête, en lui passant une main dans les cheveux. Une seule occasion, c’était effectivement tout ce dont ils avaient besoin, mais pour cela il leur fallait réussir à créer assez de grabuge ailleurs dans le Temple. Restait à savoir comment.

++ Ton ami nous serait bien utile. Tu ne sais pas où il se trouve ? ++

++ Non. Mais je sais pouvoir le reconnaître si je le vois. Fall, si tu me fais entrer dans le Temple, je te promets la plus belle diversion qui soit. ++

Elle sourit.

Cette journée serait mémorable, d’une manière ou d’une autre.


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Demior Hagan, couteau en main, semblait perdu. Il jeta un regard hébété vers Jawaharlal, puis vers son fils qui semblait déchiré par un intense conflit intérieur… Cette mascarade était-elle la dernière tentative de Nixha pour sauver son père ? Ou bien le jeu malsain du Grand Prêtre, tortionnaire professionnel, soucieux de raffermir son autorité tout en tirant de la situation une jouissance sadique ? Hagan sentit des larmes couler sur ses joues… Parmi les patriciens qui le regardaient, impuissants, il y avait des gens qu’il considérait comme des amis, des individus qui avaient partagé sa table, ri à ses plaisanteries, échangé sur l’avenir du monde. Il se souvenait de leur enthousiasme, de leur belle allure, de leur courage.

Où était passée la noblesse d’Albyor ?

Beaucoup n’osaient plus le regarder dans les yeux, maintenant que la vie lui était promise, incapables de vivre avec la honte de n’avoir pas su, au moment fatidique, se positionner en faveur d’un ami plutôt que de choisir le camp de la peur. Pourtant, Hagan ne les regardait pas avec sévérité. Il ne les condamnait même pas. Lui-même n’aurait-il pas agi ainsi pour protéger son fils unique ? N’aurait-il pas, lui aussi, courbé l’échine devant Jawaharlal pour s’épargner de devoir assister à la mort de Nixha aux mains de l’Ogdâr ? Ne l’avait-il pas déjà fait, dans un sens ? Son regard balaya le reste de l’assistance, les zélotes surexcités, qui l’encourageaient à passer à l’acte, à commettre le pire des massacres, et à s’immerger pleinement dans la folie.

Ses yeux passèrent sur Learamn, sans le reconnaître, l’assimilant sans doute à l’un de ces esclaves passifs, tristes spectateurs des déboires de leurs maîtres, se réjouissant sans doute de voir le chaos s’emparer pour une fois des élites de la ville. Cet anonymat était peut-être préférable pour l’ancien officier du Rohan… qu’aurait pensé Hagan en le voyant ainsi grimé, dans les rangs des fanatiques melkorites les plus radicaux ? Peut-être aurait-il pensé que toute résistance à Melkor était vaine, et qu’il valait mieux renoncer à combattre la marée montante, et embrasser le flux et le reflux de la foi mortifère en laquelle croyait Jawaharlal.

Anonyme, pourtant, Learamn ne l’était pas totalement.

Un objet lourd tomba dans la poche de sa bure informe. Un poignard à la lame affûtée, et au manche lissé par l’usage. Dans le même temps, quelques paroles glissées à son oreille firent fondre son sentiment de profonde solitude.

- Pour Kayemba.

Cette voix, familière.

En se retournant, Learamn eut à peine le temps de voir l’énigmatique sourire d’un homme à la peau sombre, se laissant absorber par la masse des fidèles. Un compagnon d’aventure qui lui avait fait confiance aveuglément, au point de le suivre dans une entreprise folle, le conduisant dans les tréfonds du Temple de Sharaman. Huru avait tenu parole, et contre vents et marées, contre toute logique et tout esprit d’auto-préservation, il avait plongé au cœur de la fournaise dans l’espoir de détruire le mal qui grandissait ici.

Aujourd’hui, c’était à Learamn de lui faire confiance sans réserve.

Le fils de Kayemba s’éloigna quelque peu, se déplaçant avec une aisance peu commune dans cette foule agitée, et qui semblait sur le point d’imploser. Learamn l’avait déjà vu faire, chez les esclaves infortunés d’Albyor. Cette fois, cependant, il ne cherchait pas à esquiver les coups ou à courber l’échine… il incarnait la juste vengeance du peuple asservi et opprimé de la Cité Noire. Dans ses yeux, on pouvait déceler l’excitation fébrile qui précédait généralement le début des hostilités. L’ambiance électrique, la violence à peine contenue et la folie réelle des zélotes faisaient de cette masse inhumaine une puissance sauvage et redoutable que le Grand Prêtre maniait avec brio lors de ses discours enflammés, mais également une force instable et volatile qui menaçait de s’emporter à la moindre sollicitation. Les accusations permanentes de Jawaharlal, les complots qu’il agitait régulièrement pour garder ses chiens de chasse sur la piste de ses ennemis réels, pouvaient être retournés contre lui.

Il suffisait d’une étincelle.

Une étincelle appelée Liberté.

Un corps s’effondra brusquement dans l’assistance, vers les derniers rangs, en poussant un long cri de souffrance qui se mua progressivement en un râle douloureux.

++ À l’aide ! ++ Cria une voix puissante. ++ À l’aide ! Les Bakhshidan nous attaquent ! ++

Huru tenait entre ses mains le cadavre d’un jeune homme, qui ne devait pas avoir plus d’une vingtaine d’années. Sa main était refermée sur une plaie béante qui s’ouvrait au milieu de son abdomen, et de laquelle s’écoulait un sang bouillonnant dont l’esclave était désormais couvert lui aussi. Il se redressa brusquement alors que les Pardonnés du Grand Prêtre s’avançaient vers lui, feignant à merveille la crainte et la panique. Alors que la foule abasourdie se retournait pour trouver l’origine de ce cri, le fils de Kayemba leva haut son bras recouvert du sang d’un melkorite, suscitant l’effroi de la part des zélotes autour de lui.

++ Traîtres ! Traîtres à Melkor ! Au secours ! Les Bakhshidan en veulent au Grand Prêtre ! ++

Pendant un instant, la sidération l’emporta sur la panique. Pendant un bref instant, Huru se demanda si la raison ne l’emporterait pas sur la folie de cette foule chauffée à blanc par les paroles de Jawaharlal, mais qui lui demeurait pourtant totalement fidèle. Un instant suspendu, où la goutte d’eau qui menaçait de faire déborder le vase de colère refusait de céder à la gravité et d’entamer sa chute inexorable…

Une seconde.

Puis il y eut un cri de femme, non loin. Huru ne sut s’il s’agissait simplement d’une adoratrice du dieu sombre cédant à la terreur, ou si son allié du Rohan avait joué un rôle de son côté. Quoi qu’il en fût, la foule se mit soudainement à gronder contre les gardes de Melkor, et plusieurs hommes s’avancèrent férocement pour injurier et menacer les Bakhshidan, dont beaucoup – Huru et Learamn s’en rendirent compte à ce moment précis – ne parlaient pas assez bien la langue du Rhûn pour gérer ce genre de situations tendues. Il suffit d’une bousculade, d’un homme qui se sentit tout à coup menacé, d’une lame sortie, et la situation bascula en une fraction de seconde. Avant que Jawaharlal eût trouvé comment calmer les membres de sa secte sinistre, une demi-douzaine de zélotes avaient mordu la poussière, tandis que les autres, acculés et terrifiés, se préparaient à un combat à mort contre ceux qu’ils estimaient responsables d’un véritable coup d’État.

Les rugissements et les hurlements couvraient les paroles du Grand Prêtre, qui s’époumonait du haut de son balcon, totalement inaudible. Le chaos se répandit parmi les zélotes, qui dévalèrent l’estrade pour confronter les Pardonnés, et tenter de les neutraliser. Plus ces derniers tentaient de maintenir l’ordre, plus ils suscitaient la colère et la méfiance. Les aristocrates, terrorisés par ce mouvement de foule, tentèrent de s’éloigner, ce qui déclencha à l’autre bout de la salle une vague de panique. La cérémonie sanglante de Jawaharlal tournait au fiasco, et le Père Supérieur sur son autel avait beau hurler des ordres et des appels au calme, lui et ses prêtres n’en menaient pas large face à la furie populaire.

Il ne comprit que trop tard son erreur, lorsqu’une lame effilée transperça sa cage thoracique et se planta profondément dans sa poitrine. Ses yeux écarquillés plongèrent un instant dans ceux de Demior Hagan, qui rugit par-dessus le vacarme :

++ Bakhshidan, avec moi ! ++

Ceux qui doutaient encore de la culpabilité des Pardonnés furent soudainement saisis, et se jetèrent furieusement contre les gardes. Hagan, qui avait parfaitement compris ce qui se jouait ici, espérait qu’en retournant les Melkorites les uns contre les autres, il pourrait trouver un moyen de s’échapper.

La diversion était parfaite.

Encore fallait-il y survivre.

Huru et Learamn n’avaient que peu de temps pour agir. Ils bataillèrent des coudes et des épaules pour se retrouver au milieu du chaos, avant de mener la charge en compagnie d’une cinquantaine d’adorateurs vers deux gardes totalement dépassés qui battirent en retraite pour ne pas se retrouver totalement encerclés. Laissant là les hommes qui ne servaient à rien, les deux conjurés échappèrent à la vigilance des Bakhshidan et se faufilèrent dans les coursives du Temple, s’extirpant brutalement du bruit et de la fureur. Ils se regardèrent avec un brin de surprise, puis Huru éclata de rire, et ils échangèrent une étreinte fraternelle, encore hébétés par ce qui venait de se produire sous leurs yeux :

- Comment ? Demanda Huru. Comment avez-vous fait ?

Il n’en revenait tout simplement pas. Il avait toujours cru dans son compagnon d’infortune, bien entendu, mais le voir en chair et en os, bien vivant au milieu du Temple, avait été une véritable claque… Cela signifiait qu’ils avaient des chances de réussir. Le plan des esclaves était en marche, toutefois, et les retrouvailles devraient attendre. Huru disposait d’un poignard, qu’il garda pour lui, et d’une épée courte qu’il donna bien volontiers à Learamn. Il sentait que l’homme en ferait meilleur usage lorsqu’ils devraient s’en servir.

- Nous avons joué notre rôle ici, nous devons maintenant essayer de gagner les niveaux supérieurs. Les autres doivent être aux prises avec les troupes de Jawaharlal, à l’heure qu’il est. Comment pouvons-nous les aider ? Connaissez-vous un chemin ?

Rallier le balcon de Jawaharlal ne serait pas chose aisée, mais puisqu’ils se retrouvaient derrière les lignes des gardes du Temple, ils avaient un mince avantage qu’ils pouvaient mettre à profit. Ils devaient encore monter plusieurs étages, qui seraient immanquablement gardés, et se frayer un chemin sanglant à travers les prêtres qui couraient en tous sens, et qui donneraient l’alarme s’ils voyaient deux esclaves armés circuler dans les couloirs. Ensuite, il leur faudrait affronter les gardes du Grand Prêtre, qui avaient l’avantage de porter des armures complètes et des armes de bien meilleure facture que celles dont ils disposaient…

La mission était tout bonnement impossible.

- Ils arrivent, souffla Huru en désignant deux silhouettes qui approchaient en face d’eux.

Les deux premiers adversaires sur la route de la victoire.
Sujet: L'heure des renoncements
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Temple Sharaman   Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'heure des renoncements    Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 16 Mar 2024 - 11:47

La devineresse sécha ses larmes, en s’installant lourdement sur son lit à baldaquins. Les draps de soie, d’une douceur incomparable, l’enveloppèrent toute entière dans un cocon délicat qui lui donna tout le loisir de réfléchir à la conversation qui venait de se produire. Les Bakhshidan, toujours aussi impassibles, ne semblaient pas avoir décelé quelque chose d’étonnant dans la conversation à laquelle ils avaient assistée, mais il était toujours difficile de savoir ce que pensaient ces hommes métalliques dont les émotions étaient cachées au reste des mortels.

La jeune femme soupira.

Sa situation au Temple lui pesait de plus en plus, mais sa récente conversation lui donnait le sentiment qu’une nouvelle porte venait de s’ouvrir, apportant un nouveau vent de fraîcheur à l’intérieur de sa prison. Un sourire fleurit sur ses lèvres. L’histoire était désormais en marche, et elle avait contribué à l’emmener dans la meilleure direction, même si rien n’était jamais certain avec l’avenir.

Quelques coups furent frappés à la porte qui se trouvait à l’opposé du boudoir où elle avait reçu son étrange invité.

++ Entrez ! ++

Deux gardes firent leur apparition, dans une tenue moins impressionnante que la nouvelle légion de Jawaharlal. Ils n’en étaient pas moins dangereux pour autant, bien au contraire. Kryv les salua élégamment, en leur demandant la raison de leur venue. Ils répondirent en Westron :

- Le Grand Prêtre vous a fait quérir… immédiatement.

- Puis-je au moins passer une tenue plus adaptée ?

Le premier soldat lui fit signe que non, et s’approcha d’elle pour l’enjoindre à le suivre. C’était bien la première fois qu’elle était convoquée de manière aussi cavalière, et la devineresse s’interrogea sur les raisons d’une telle précipitation de la part du maître des lieux. Elle fronça les sourcils, et dissimula soigneusement dans un pan de sa tunique la lettre qu’elle venait de rédiger pour les amis « timides et rêveurs » de son récent hôte.

- Je vous suis. Après vous.

- Non. Après vous, devineresse.

Elle jeta un regard sibyllin à cet homme qui semblait prendre un malin plaisir à lui tenir tête. Quelque chose lui semblait différent, aujourd’hui.


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Huru était muré dans un silence renfrogné depuis la veille au soir, et il n’adressa qu’un vague salut de la tête à Eodwaeld, qui ne semblait pas de meilleure humeur. Sa dernière dispute avec le Rohirrim était encore fraîche dans leurs têtes, et semblait avoir fissuré l’unité des esclaves, qui doutaient désormais de leurs chances de succès et qui hésitaient quant à la marche à suivre. Fall, la plus jeune du groupe, souffrait de cette ambiance délétère, et elle décida de faire un pas vers chacun des deux hommes en espérant qu’ils parviendraient à se réconcilier.

Le fils de Kayemba la regarda parler à Eodwaeld pendant un long moment. Il n’entendait pas la teneur de leur échange, mais il pouvait lire beaucoup de choses dans le langage corporel des deux esclaves. Elle, plus ouverte, plus détendue, essayait d’apaiser les choses ; lui, tendu, avait encore du mal à laisser retomber la colère qui bouillonnait derrière ses yeux sombres.

Le jour fatidique approchait.

Leurs nerfs étaient mis à rude épreuve.

Fall finit par se lever, posant une main affectueuse sur l’épaule de l’Ancien, avant de se lever et de venir vers Huru qui s’écarta pour lui faire une place sur le banc où il était installé.

++ Ça va ? ++

++ Non. ++ Répondit-il, sombre. ++ Non, ça ne va pas. ++

Elle lui passa une main dans le dos.

++ Je sais, je sais… Mais il ne pensait pas à mal quand il a dit tout ça. Tu sais comment sont les gens de l’Ouest… Leurs paroles dépassent souvent leur pensée. ++

++ Ce n’est pas ça que je lui reproche… ++

Huru se mentait légèrement à lui-même. Il ne pouvait totalement nier, en son for intérieur, que les propos de l’Ancien avaient touché une corde sensible en lui. Ce dernier l’avait accusé de ne pas être à la hauteur de la mémoire de son père, en manquant de courage et de résolution alors que la Cérémonie sanglante prévue par Jawaharlal approchait. De telles paroles, alors que son père venait de quitter ce monde, ne pouvaient que meurtrir une âme encore jeune et fragile. En vérité, Huru se sentait comme un imposteur essayant d’endosser une tunique trop large pour lui. Eodwaeld, qui avait une longue expérience en ce monde, lui renvoyait en permanence ce qu’il n’était pas… et qu’il ne serait peut-être jamais.

++ Il a le droit de dire ce qu’il veut, Fall. Ce que je lui reproche, c’est de vouloir foncer tête baissée dans la gueule du loup, sans réfléchir aux conséquences… S’il pense qu’on peut simplement débarquer à Sharaman, et fondre sur Jawaharlal… Tu sais très bien que si c’était aussi simple, d’autres que nous auraient déjà essayé et réussi. ++

++ Je sais… Mais la lettre que nous avons reçue… La lettre de ton ami… Elle est encourageante, non ? C’est la lettre que tu attendais, Huru. La lettre qui nous donne enfin les informations dont nous avons besoin… ++

Il secoua la tête :

++ Non… Tu ne comprends pas… C’est une lettre codée, qui pourrait tout aussi bien être un piège. Elle ne nous dit rien du tout de la situation à l’intérieur du Temple, du nombre de gardes, et de la résistance que nous aurons à affronter. La situation est fébrile à Albyor, tu sais comme moi que les gardes sont nerveux, qu’on raconte des choses étonnantes en ville, des étrangers venus de loin, des hommes mystérieux qui convergent tous vers le Temple… Nous ne pouvons pas agir sans avoir plus d’informations. ++

++ Tu veux savoir la situation à l’intérieur du Temple ? Nos frères se font massacrer par centaines, les gardes seront de toute façon trop nombreux pour nous, et nous aurons à nous frayer un chemin sanglant jusqu’au Grand Prêtre. Voilà la situation, Huru. L’Ancien a peut-être raison sur un point : nous ne pouvons pas hésiter au moment où nous avons enfin un avantage face à Jawaharlal. Nous savons où il se trouvera, et nous avons quatre jours pour réfléchir à comment nous infiltrer là-bas. L’un de nous le tuera, et si Melkor le permet, ce sera ma lame qui plongera dans les entrailles du vieux décrépit… Le reste, nous l’improviserons le moment venu. Il nous suffit d’une seule opportunité, Huru, et nous perdons un temps précieux à tergiverser, alors que nous pourrions concentrer nos efforts à réfléchir à un moyen d’atteindre notre cible. ++

Elle soupira. Fall avait toujours été une femme déterminée, même avant que les circonstances de son existence ne changeassent radicalement quand elle était devenue esclave. Cependant, aujourd’hui, elle semblait animée d’une foi indéfectible que rien ne semblait pouvoir tempérer. En la regardant, Huru sut qu’il serait seul face à ses compagnons, et que son autorité sur le groupe ne tenait à rien d’autre qu’au nom de son père et à l’aura que ce dernier projetait encore sur les esclaves d’Albyor. Sans cela, ils auraient sans doute déjà confié le commandement à Eodwaeld. Frustré de cette situation, il garda le silence un instant, et Fall reprit un ton plus bas :

++ Huru… S’il-te-plaît… Nous avons besoin de toi. Nous n’y arriverons pas si tu n’es pas là pour nous guider. L’Ancien lui-même le sait, et il te respecte malgré tout ce qu’il a pu dire. Il sait que tu es celui qui peut nous guider à la victoire… à condition de ne pas t’en détourner toi-même. Nous sommes libres de choisir notre destination, mais il nous faut un guide pour tracer un chemin à travers les ombres. ++

Ils restèrent un moment silencieux, absorbés dans leurs pensées, avant que Huru ne prît le parti de se lever. Il posa une main affectueuse sur les cheveux de Fall en lui murmurant des remerciements sincères. Puis, d’un pas décidé, il rejoignit Eodwaeld et se planta devant lui. Leurs regards se croisèrent avec la même violence que deux lames s’entrechoquant, chacun jaugeant la force de caractère de l’autre. Huru rompit enfin le silence :

++ Nous ne pouvons pas rester sans rien faire, l’Ancien. Tu as raison. Trop de pièces sont déjà en mouvement. Pardonne-moi d’avoir douté. ++

++ Ce n’est rien, Huru… ++ Répondit Eodwaeld, visiblement surpris. ++ Moi aussi, je tiens à m’excuser. Je crois que nous sommes tous sur les nerfs, mais Fall a pris soin de me rappeler l’évidence : nous sommes tous dans le même camp. Quel est ton plan ? ++

La hache de guerre enterrée, les deux hommes s’assirent côte à côte :

++ Commençons par rassembler tous les éléments dont nous disposons au sujet du Grand Prêtre, du Temple, et des accès supérieurs. Sharaman n’a pas été conçu comme une forteresse : il y a forcément un moyen pour l’atteindre. Forcément. ++


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▲▲▲▲



Aménager la grande alcôve, puis lustrer les marches du Temple, installer les décorations, l’estrade magistrale sur laquelle prendraient place les sacrifiés, et de fond en comble la salle des sacrifices. Ensuite, porter les repas des membres de l’Ogdâr qui étaient venus en masse pour assister à la Cérémonie sanglante, patienter le temps qu’ils terminent, puis débarrasser leurs plats, les porter aux cuisines, donner de l’aide aux équipes là-bas pour le nettoyage. Après cela, reprendre le travail, et participer au transport des corps… On avait appris à Nomi que trois condamnés n’avaient pas supporté la perspective de leur massacre, et avaient préféré se donner la mort dans leur cellule. Malheureusement, on avait retrouvé leurs corps après plusieurs heures, et le processus de décomposition avancé les rendait pratiquement inutiles. Son équipe devait les mener vers les jardins, où ils serviraient d’engrais pour les fruits et les légumes que l’on faisait pousser à destination des élites du Temple de Sharaman.

Le cycle de la vie.

Nomi quant à elle s’efforçait de se remémorer tout ce qu’ils avaient à accomplir aujourd’hui dans le bon ordre. La longue liste de tâches était complexe, mais elle avait une bonne mémoire, et son efficacité faisait d’elle une cheffe d’équipe toute indiquée pour conduire sa petite troupe vers les différents points où ils étaient réclamés. Ordinairement, ils travaillaient moins et dans moins d’endroits différents, mais l’effervescence palpable depuis l’annonce de la grande cérémonie avait conduit à une démultiplication des tâches. Ils terminaient chaque journée sur les rotules, ce qui permettait à la fois de lutter contre toutes les velléités rebelles, et de repérer très vite quels esclaves un peu fragiles pouvaient changer de statut, et être ajoutés à la longue liste des sacrifiés.

Malgré l’épuisement qui les gagnait, toutes les âmes damnées du Temple s’efforçaient de rester solidaires et de se montrer zélés à la tâche, car la simple dénonciation d’un garde pouvait les conduire à l’échafaud.

Le contrôle des hommes de Jawaharlal était également plus étroit que d’habitude, ils percevaient davantage les regards acérés des hommes en armes qui circulaient plus nombreux et plus fréquemment. Ils sentaient que la moindre erreur ferait l’objet d’une sanction, et que la moindre tentative séditieuse se solderait pas un véritable carnage. Learamn n’était pas là depuis longtemps, mais il n’avait jamais senti les esclaves aussi terrifiés. Nomi elle-même ne pouvait comparer la situation actuelle qu’avec les années sombres de Shuresh, quand la répression avait coûté la vie à des milliers d’esclaves… Depuis lors, ils avaient doucement relevé la tête, inspirés par la récente évasion spectaculaire qui avait secoué la cité… Mais aujourd’hui, l’emprise du Grand Prêtre s’était refermée sur leurs espoirs, et ils suffoquaient presque littéralement sous le poids des travaux forcés et des châtiments.

De folles rumeurs circulaient également. Un groupe de prisonniers spéciaux, enfermés dans une aile secrète du Temple, à laquelle personne n’avait accès sinon quelques prêtres de l’Ogdâr triés sur le volet. Les esclaves pouvaient seulement déposer les repas à l’entrée, et n’avaient jamais eu la possibilité de jeter un coup d’œil à l’intérieur. Toutes ces considérations troublaient Nomi plus qu’elle n’osait l’avouer, et ce fut la raison pour laquelle elle sursauta légèrement lorsque le Lossoth lui adressa la parole.

Elle ne parlait à peine assez le Commun pour le comprendre, et il dut faire des efforts importants pour lui transmettre des informations simples. Les mots se mélangeaient dans son esprit, et les sonorités proches lui donnaient l’impression d’un charabia à peine discernable.

- Présonner ? Présonnier ?

Elle n’était pas sûre d’avoir compris. Le Lossoth fut contraint de mimer légèrement, et elle crut comprendre à quoi il faisait référence.

- Oui, présonnier dans la Temple. Oui. Ici.

Elle ne savait pas où il voulait en venir. Etait-il préoccupé à l’idée de devenir lui-même un prisonnier et d’être sacrifié ? Se souciait-il des rumeurs des prisonniers qu’on enfermait actuellement dans cette aile privée ? S’agissait-il d’autre chose ? De toute évidence, la question semblait avoir une grande importance pour son compagnon, et ce fut la raison pour laquelle elle choisit de ne pas simplement le laisser avec ses interrogations. Elle lisait dans son regard un souci réel, un trouble comme elle en voyait assez peu à Sharaman… Cet homme était inquiet d’autre chose que de sa propre existence.

- Rohan… Oui… Seigneur de Cheveux. Non ? Chevaux, oui. Présonnier de Rohan, c’est ça ?

Lentement, mais sûrement, ils parvenaient à communiquer. Elle comprit que la question portait sur un prisonnier Rohirrim, mais elle ne savait trop comment répondre. Elle essaya tout de même.

- Aujourd’hui, avoir présonnier à Sharaman… Mais pas connaître. Non. Hier… Elle fit un geste de la main, qui indiquait un passé bien plus lointain. Hier, autre présonnier de Rohan. Beaucoup des paroles…

Elle fit un signe vague de la main, comme le vent se répandant à travers les plaines… ou une rumeur dans les couloirs du Temple. Elle n’était pas certaine que le Lossoth comprenait, mais elle ne pouvait guère faire mieux.

- Je pas voir Uruk… Non… Mais paroles, oui. Raconter… Hm… On raconte Uruk libre humain. Hm… Libérer humain de Rohan. Oui. Uruk, libérer humain de Rohan. Mais paroles, paroles…

Elle haussa les épaules. Son interlocuteur semblait suspendu à ses lèvres, l’incitant à continuer :

- Je pas voir présonnier de Rohan. Je pas connaître. Mais… Hm… Hm… Paroles encore paroles : être présonnier de Jawaharlal. Pas être…

Elle ne connaissait pas le mot pour « esclave », et elle se résolut à désigner ceux qui se trouvaient autour d’elle.

- Homme de Rohan… douleur. Beaucoup douleur. Beaucoup cris. Paroles, paroles, dire… Hm… Hm… Jawaharlal vouloir information… Oui, information. Vouloir connaître… Hm… secret… Hm… Sahira.

Nomi avait tenté sa chance en rhûnien, incapable de prononcer le mot en westron. C’était un des termes dont Learamn avait connaissance, puisqu’il l’avait utilisé lui-même auprès des gardes. Ce mot assez générique pouvait se traduire par « enchanteresse » ou « magicienne », et de toute évidence il ne désignait qu’une seule personne à l’intérieur du Temple de Sharaman. Cependant, l’esclave ne parvenait pas à lui expliquer clairement ce qu’elle avait appris. De toute évidence, il s’était passé quelque chose entre le Grand Prêtre, Learamn et la devineresse, mais il en ignorait la nature… et Nomi elle-même ne semblait pas en connaître les détails. Seulement les « paroles » rapportées, et peut-être déformées.

Elle sembla cependant réagir davantage en voyant la petite clé que lui montra le Lossoth, sans cacher son étonnement.

Cela faisait longtemps que Nomi se trouvait dans le Temple, et elle n’avait jamais vu un esclave en possession d’une clé. C’était un objet à la fois rare et symbolique, puisqu’il permettait d’accéder à un endroit normalement inaccessible : tout l’inverse de ce qu’offrait le statut d’esclave, ces derniers ne pouvant se rendre que là où on le leur commandait. Toutefois, Nomi avait déjà vu de nombreuses clés : entre celles qui ouvraient les cellules et celles qui protégeaient les réserves de nourriture, elle savait visuellement à quoi elles ressemblaient. De gros objets métalliques, du fer généralement, qui n’avaient ni la finesse ni la délicatesse ni la couleur dorée de celle que tenait le Lossoth. La question que lui posa celui-ci était évidente, et prolongeait le questionnement qui venait de fleurir dans la tête de la cheffe d’équipe.

- Je pas connaître ce clé. Mais, clé important. Tu voir détail. Tu voir couleur… Ouvrir chose important. Pas être grande… Elle mima une serrure. Mais porte important… Trésor ? Secret ? Je pas savoir, mais attention… Personne savoir… Avoir ça, être interdit.

Elle adressa un sourire compatissant à Learamn. Elle avait depuis longtemps deviné qu’il n’était pas exactement comme les autres esclaves, et elle avait entendu parler de son escapade nocturne. Le voir revenir avec une clé ne pouvait pas être une coïncidence, et s’il manigançait quelque chose, elle préférait l’aider de son mieux sans se compromettre. Quelques conseils innocents, qui n’engageaient pas sa responsabilité et encore moins celle des hommes sous sa responsabilité. C’était ce qui faisait d’elle un être humain, et non une bête au service de Melkor… Toutefois, elle craignait que les audaces du Lossoth ne conduisissent à une fin bien sombre.

Toute la journée durant, elle se demanda si elle avait bien fait de donner son aide à cet inconnu.

La mort rôdait de toute évidence dans son sillage.

Restait à savoir qui elle emporterait.


▼▼▼▼▼
▲▲▲▲



Les quatre jours menant à la Cérémonie sanglante furent à la fois fébriles et monotones pour les esclaves du Temple, assignés à des tâches éreintantes et pénibles, qui les abrutissaient. Leurs corps étaient soumis à rude épreuve, de même que leurs esprits, conscients que quelque chose bouillonnait dans les entrailles de Sharaman. Était-ce Melkor lui-même qui se réjouissait du sang bientôt versé ? Ou bien seulement l’inquiétude des milliers d’âmes qui se trouvaient enfermées là, sans connaître la fin d’une histoire qu’ils savaient en train de s’écrire.

La grande salle des sacrifices était fin prête.

Les immenses tentures rouge et noir figurant des symboles cryptiques complexes avaient été soigneusement dressées, et habillaient les murs latéraux, agitées légèrement par un vent surnaturel provenant des entrailles de la terre. Les statues du Dieu Sombre, qui encadraient les visiteurs, jetaient un regard sévère autour d’elles. On aurait dit qu’elles percevaient sans mal les intentions des uns et des autres, et tous ceux qui levaient les yeux vers ces visages de pierre ne pouvaient s’empêcher de trembler dans leurs chausses et de détaler comme des insectes face à la puissance du Vala.

Learamn lui-même commençait à prendre conscience de la mesure des actes qu’il entendait commettre.

Il affrontait non seulement une armée de fanatiques, mais également un dieu, et indirectement tous ceux qui croyaient en lui. Même les ennemis de Jawaharlal croyaient dur comme fer dans la puissance de Melkor, et il n’était pas facile d’imaginer quelle serait la réaction de la population d’Albyor s’ils réussissaient leur mission. Échouer était peut-être plus facile, finalement. Le Rohirrim s’installa pour entamer sa dernière nuit de quiétude, la dernière nuit avant une bataille qu’il livrerait avec un désavantage considérable… Jamais il n’avait été autant écrasé par la puissance de ses ennemis : pas même contre les sédéistes de l’Ordre retranchés à Pelargir, où il avait fait face à la mort avec des compagnons de valeur. Pas même contre Sellig, où il avait chevauché en compagnie d’Iran. Son sentiment d’absolue solitude à l’intérieur de ces murs était soigneusement entretenu par le Grand Prêtre, qui cherchait à briser l’individu en lui donnant l’illusion de n’être qu’un infime grain de poussière face à la puissance d’une armée divine.

Aujourd’hui, cette armée avait un nom et un uniforme.

Cette armée avait des effectifs considérables, et menaçait de prendre le contrôle de la cité d’Albyor.

Et ensuite ?

Et ensuite…

Learamn fut brusquement réveillé par Nomi, qui le secouait énergiquement par le bras. Son regard était effrayé : c’était la première fois qu’elle affichait une telle émotion.

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- Partir, tu partir, vite, vite !

Elle ne parvenait pas à s’expliquer clairement, mais elle poussa tout de même Learamn à quitter sa couchette et à s’habiller rapidement. Il faisait nuit à cette heure-ci dans le Temple, mais de toute évidence le matin approchait car le ciel avait pris une teinte indigo qui annonçait le retour prochain du soleil.

- Hommes venir pour toi. Venir arrêter toi. Et…

Nomi n’eut pas besoin d’en dire davantage. Ils avaient transporté assez de corps tous les deux pour savoir quelles seraient les conséquences d’une arrestation ici, au sein du Temple. Une condamnation à mort par le tribunal de l’Ogdâr, qui serait prononcée publiquement et exécutée dans la seconde par un prêtre zélé qui lui trancherait la gorge devant une foule en délire.

Non. Il ne pouvait pas être pris. Pas maintenant.

- Tu partir, pitié…

Elle se mit à réfléchir rapidement. A cette heure, les premiers visiteurs s’étaient déjà rassemblés auprès du Temple pour obtenir les meilleures places. Il ne pourrait pas affronter la marée humaine qui allait s’engouffrer dans la grande salle pour assister au funeste spectacle. Il ne pourrait pas non plus échapper aux gardes qui se rapprochaient et qui allaient probablement vérifier toutes les issues. Cependant, la jeune femme eut une idée. Jawaharlal tenait à ce que la cérémonie se passât à la perfection, et il ne pouvait pas entamer une chasse à l’homme en plein cœur de son moment de gloire, sans afficher aux yeux de tous sa propre faiblesse et son manque de maîtrise.

Tout reposait sur le maintien des apparences, et sur l’image de toute-puissance qu’il renvoyait.

- Tu cacher. Pas ici, ils trouver toi. Non… Tu cacher entre… esclaves…

Elle avait appris le mot quelques jours plus tôt, auprès du Lossoth dont elle essayait aujourd’hui de sauver la vie. Ils partagèrent un bref sourire dans la tourmente :

- Tu cacher… Hm… Autre… Elle fit un geste des deux mains qui désignait le dortoir où ils se trouvaient. Deux à gauche… esclaves de hommes de Jawaharlal… Tu cacher bien…

Learamn les connaissait bien pour les avoir croisés plusieurs fois. Ces esclaves avaient la lourde tâche de veiller aux besoins des zélotes, les fanatiques les plus radicaux qui chantaient et dansaient pour le retour de Melkor. Il était certain que leur proximité pouvait être dérangeante, mais ils seraient tellement concentrés sur la cérémonie que nul ne prêterait attention à lui, et les gardes n’auraient pas forcément l’œil tourné vers ces individus certes agités, mais entièrement dévoués à la cause de Jawaharlal. Nomi poursuivit :

- Tu cacher aussi… Cinq à droite… esclaves de hommes d’Albyor… Grands hommes…

La seconde option était au moins intéressante que la première : la bonne société d’Albyor se rendrait massivement à Sharaman sous peine d’être accusée de ne pas adhérer pleinement au culte du Dieu Sombre. En plus de leurs serviteurs personnels, ils étaient escortés par une armée d’esclaves qui veillaient à leurs moindres besoins : en effet, nombre d’entre eux défaillaient ou se souillaient, ce qui nécessitait l’intervention délicate d’un grand nombre d’esclaves pour gérer les incidents. En raison de leur statut, il était difficile pour les gardes d’intervenir de manière rugueuse parmi eux, mais hélas ils feraient l’objet d’une surveillance toute particulière.

Alors que Learamn allait partir, Nomi lui proposa une dernière solution :

- Tu cacher aussi… esclaves de Jawaharlal… Porte rouge, gauche, loin loin. Mais… difficile… Esclaves… nombre limité. Si tu cacher, tu remplacer esclave.

Cette dernière option était peut-être la plus folle. Les esclaves qui se trouvaient près de Jawaharlal durant la cérémonie étaient considérés comme plus dociles que les autres, et ils se trouvaient dans des quartiers séparés. Ils avaient été entraînés à porter des plateaux d’argent pour servir des collations et des rafraîchissements aux invités de marque, mais pour des raisons de sécurité leur nombre était limité et ils étaient soigneusement fouillés avant de pouvoir intégrer l’alcôve du Grand Prêtre. Cette option impliquait donc de négocier sa place avec un des esclaves du Temple… ou bien de la prendre par la force. Mais l’agression d’un esclave par un autre était susceptible de se retourner violemment contre Learamn s’il ne faisait pas attention.

Le temps était compté.

Nomi le rappela à son compagnon, tandis qu’elle le poussait vers la porte. Déjà au loin, il entendait l’écho des bruits de bottes qui se rapprochaient. Au moins une douzaine de soldats en armures, qui ne manqueraient pas de le tuer sur place s’il faisait trop d’histoires. Les Bakhshidan le tailleraient en pièces sans le moindre remord, sans la moindre once de pitié. Il était impératif de leur échapper.

Learamn n’avait qu’une nuit à passer : une seule nuit à survivre avant de pouvoir enfin faire face à son destin et à tout ce qu’il avait redouté durant son séjour dans la Cité Noire…

Il devait simplement décider où, et calculer soigneusement son coup pour le lendemain, en sachant pertinemment qu’il ne maîtrisait plus rien et qu’il devrait s’intégrer à un nouveau groupe d’esclaves qu’il ne connaissait pas.

- A demain, lui souffla Nomi en refermant la porte derrière lui. A demain.

Une nouvelle fois, il se retrouva seul.

Perdu dans les ténèbres de Sharaman.

Et dans le lointain, le rire de Melkor semblait accompagner sa vaine tentative d’érafler la puissance du Dieu Sombre qui se délectait du spectacle.
Sujet: L'heure des renoncements
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Temple Sharaman   Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'heure des renoncements    Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 13 Jan 2024 - 18:36
À l’exception de Melkor et de la souffrance, rien n’avait de sens dans les sinistres entrailles du Temple de Sharaman. Les petites vies humaines, fragiles bougies battues par les vents tempétueux du destin, avaient autant de valeur que les grains de poussière qui reposaient inertes entre les dalles séculaires, lissées par le temps. Les ténèbres dévoraient absolument tout. Le temps semblait s’écouler différemment entre les griffes de Melkor, s’étirant à l’infini au point de torturer les âmes et les cœurs qui aspiraient à retrouver la lumière du soleil et la pureté d’un air qui ne sentirait pas la mort et la peur. Puis ces mêmes heures se compressaient de manière étrange, tandis que les cérémonies sanglantes paraissaient revenir trop rapidement, trop régulièrement. Les malheureux qui assistaient à ces cruelles exécutions publiques, dans la Cité Noire, devaient également ressentir le même dégoût à l’approche de la journée sacrificielle, et abhorrer le jour où Jawaharlal avait décidé de transformer cette odieuse coutume en un rituel qu’il était dangereux de manquer.

Au milieu de cette tourmente, se trouvait le jeune Learamn, dépossédé de tout ce qui avait jadis eu un sens dans son existence. Sa terre, ses effets personnels, sa famille, ses amis… et désormais ses valeurs, ses convictions les plus profondes. Tout lui était arraché avec une violence et une brutalité sans nom. Melkor, l’ennemi du monde, avait depuis longtemps refermé ses griffes sur le cœur de l’Occidental, et depuis le cachot infernal où il avait été banni, il continuait à diffuser sa sinistre influence… Elle avait l’apparence du désespoir, et attirait l’ancien officier du Rohan comme un aimant tirant à lui de manière inexorable ce qui demeurait de sa volonté de fer. Combien de temps faudrait-il à Learamn pour succomber pleinement au néant, et répondre « rien » à cette question qui revenait assaillir son esprit de plus en plus régulièrement ces derniers jours ?

Quelques jours avaient suffi à émousser ses convictions.

Quel effet pouvait avoir un enfermement prolongé ici ? Que deviendrait-il d’ici quelques mois ? Quelques années ?

Quel homme deviendrait-il quand les ténèbres auraient fini par ronger toute la lumière qu’il s’efforçait de préserver dans le secret de son âme tourmentée ? Quel homme serait-il devenu si, au hasard d’une coursive du Temple de Sharaman, il n’avait pas entraperçu la silhouette de la devineresse ?

Le garde qui veillait sur les lieux ne manqua pas de capter le changement d’attitude de Learamn, et de venir écraser dans l’œuf ce qu’il perçut comme le début d’une potentielle rébellion. Les ordres étaient clairs : ne pas laisser le moindre répit aux esclaves, ne pas leur permettre une seule seconde de lever la tête et d’espérer. Briser dès la naissance toute velléité libertaire, et répandre le désespoir comme on verserait du sel sur les premières pousses qui s’arrachaient à la terre la plus dure et la plus sèche. Ce poing refermé autour du visage de l’ancien officier était destiné à déraciner la graine de la sédition de la plus violente des manières.

- Un Lossoth, hein…

Le garde jeta un coup d’œil à son compagnon. Tous les deux avaient connu un parcours mouvementé durant leur vie, amenés à voyager à travers le monde avant de finir leur course ici, au Rhûn, pour y servir un nouveau maître. Ils avaient sillonné les terres de l’Ouest depuis les confins du Harad où ils avaient participé à de nombreuses batailles, jusqu’aux régions de l’Arnor et de Dale où leurs épées avaient été mises au service de toutes les causes qui avaient su les payer à leur juste valeur. Ils n’avaient pas participé à la Bataille du Nord, toutefois, et ne s’étaient jamais aventurés dans les lointains territoires glacés qui s’étendaient dans le septentrion. C’était, disait-on, la terre des ours et des loups, et les hommes qui y vivaient étaient des brutes épaisses, des sauvages…

Celui qu’ils interrogeaient actuellement n’était pas un colosse, et ils échangèrent un sourire entendu. Les légendes n’étaient donc bien que des légendes, et les Lossoths étaient comme les autres : de simples hommes, que l’on pouvait broyer sans crainte.

- La rivière Thrâkhân ? Le mont d’Ava ? Jamais entendu parler, gamin… Mais je te… Hé ! Regarde-moi quand je te parle !

Avec une brutalité rare, il plaqua Learamn contre le mur de pierre qui se trouvait derrière lui, envoyant une onde de choc à travers tout son corps meurtri, qui le désorienta un instant. Le garde se retourna vivement, pour voir ce qui avait attiré l’œil du Lossoth, mais il ne vit rien. Le couloir était vide. Learamn lui-même ne pouvait être sûr d’avoir bien vu. Pendant une fraction de seconde, on aurait dit que Kryv s’était figée, mais ce geste si subtil, si fugace, pouvait tout aussi bien n’être qu’une illusion de l’esprit, un fantasme n’ayant rien de réel, et correspondant tout simplement aux espoirs fous d’un homme qui avait renoncé à tout pour retrouver une ombre, un fantôme, et qui perdait la tête en retrouvant finalement sa trace à l’issue d’un long périple.

Avait-elle seulement entendu ?

Avait-elle compris les mots qu’il avait prononcés ?

Avait-elle reconnu les noms, ceux-ci résonnaient-ils encore dans son esprit ?

Elle s’était évanouie, flanquée par les deux cerbères qui l’accompagnaient partout, laissant Learamn seul avec ses interrogations, et le fil ténu de l’espoir qu’il venait de retrouver, après avoir erré longtemps dans le labyrinthe du Temple de Sharaman. Restait à savoir où le mènerait cette ligne de vie à laquelle il se raccrochait désespérément à présent.

++ Monseigneur, je vous en prie… ++ Intervint Nomi, sans oser s’interposer trop frontalement entre le garde et Learamn qui subissait encore son emprise. ++ Monseigneur, je vous assure que nous ne poserons aucun problème… Nous sommes attendus à la loge du Grand Prêtre pour de simples aménagements… Rien de plus. ++

Pendant un instant, le garde parut ne pas prêter attention à l’esclave et à ses suppliques, laissant planer le doute quant à ses intentions. Son regard ne quittait pas Learamn des yeux, comme s’il cherchait à percer le mystère de ce qu’il avait pu percevoir furtivement, par deux fois maintenant, et qui lui donnait un très mauvais pressentiment. L’impression que quelque chose se tramait sous ses yeux, et que cet homme soi-disant venu du Nord amenait davantage de problèmes qu’il voulait bien l’admettre. Cette impression persistante, toutefois, n’était soutenue par aucune preuve tangible. Ce n’était, de toute évidence, qu’une autre âme asservie cherchant à se faire oublier au sein de la demeure de Melkor. Le garde hésita encore un instant, mais ce fut son compagnon qui finit par intervenir, trouvant de toute évidence que cette situation s’éternisait inutilement :

- Allez Vago, on a mieux à faire que d’emmerder des esclaves. Tue-le maintenant, ou bien laisse-le partir, mais fais quelque chose.

Vago eut un sourire inquiétant, qui étira les fines cicatrices que l’on voyait apparaître sur son visage. Il sembla vraiment considérer la première option pendant un moment, avant de relâcher son emprise, et de laisser Learamn s’affaisser sur le sol, où il resta un moment à reprendre son souffle.

- J’en ai déjà étripé un aujourd’hui. Si j’en tue un deuxième, on va me demander de le rembourser…

Il haussa les épaules, puis reprit en rhûnien pour Nomi :

++ Ça ira pour aujourd’hui… Tiens tes esclaves la prochaine fois, ou tu en subiras les conséquences. Compris ? ++

++ Oui, monseigneur. ++ Fit l’esclave en s’inclinant. ++ Merci, monseigneur. Allez, relève-toi… ++ Lâcha-t-elle enfin à l’attention de Learamn, tandis qu’elle l’aidait à se remettre sur pied.

Ils surmontèrent leur tétanie et rejoignirent le reste du groupe pour continuer l’ascension et rejoindre enfin la loge où ils étaient attendus. Cependant, au moment où ils se croyaient tirés d’affaire, une voix méfiante s’éleva derrière eux, dans un westron qui n’était de toute évidence adressé qu’à Learamn :

- Au fait, Lossoth… Je ne crois pas avoir entendu ton nom. Comment tu t’appelles, déjà ?

Quand l’ancien officier se retourna pour répondre, il ne put manquer de constater que quelque chose avait changé dans le regard de Vago. On pouvait désormais y lire une lueur inquiétante, celle d’un limier ayant flairé quelque chose sans savoir quoi. Il observait Learamn en fronçant les sourcils, comme s’il tentait de convoquer un souvenir…

Le souvenir d’un homme qu’il avait lui-même ramené au Temple, quelques semaines auparavant…


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++ Des nouvelles ? ++

++ Rien. On attend. ++

Les deux silhouettes se fondirent dans les ombres en silence, alors que des bruits de bottes synchronisés se rapprochaient. Des gardes en armure, qui patrouillaient en ville alors que le soir approchait. Une demi-douzaine de fantassins cuirassés des pieds à la tête, dont deux portaient des torches qui jetaient un rai de lumière orangée vers leur cachette. Lourdement armés, bien entraînés et parés à toute éventualité, ils représentaient une menace que les deux embusqués ne tenaient pas à affronter au risque d’y laisser la vie. Ils retinrent leur souffle un instant, mais les sentinelles passèrent leur chemin sans s’arrêter, et bifurquèrent le long d’une artère plus fréquentée qui remontait en pente douce vers la place du petit marché.

Les ombres s’agitèrent, et les deux hommes quittèrent leur tanière.

++ Ce n’est pas sûr, ici. Filons ++

++ Et pour aller où ? ++

La première silhouette encapuchonnée se rapprocha de la seconde, et souffla :

++ Nous avons trouvé une cachette, un endroit secret. Nous y serons en sécurité. Les autres sont là-bas, eux aussi. ++

++ C’est trop dangereux. Si nous sommes pris… ++

Il ne finit pas sa phrase. Ils savaient tous deux ce que signifiait leur capture. Dans le meilleur des cas, une mort rapide administrée par la justice expéditive du gouverneur Hagan. Dans le pire des cas, ils finiraient leurs jours dans le Temple de Sharaman, confiés aux prêtres de l’Ogdâr pour y être sacrifiés… On disait que ceux qui mouraient ainsi voyaient leur âme dévorée par Melkor pour l’éternité. Cette perspective les terrifiait presque davantage que la mort elle-même.

La première silhouette reprit :

++ Ne t’inquiète pas. Nous avons pris des précautions. Tout ira bien. ++

Ils n’avaient pas d’autre choix, de toute manière, que de quitter les rues de la Cité Noire. La tension était montée d’un cran depuis l’exécution publique d’une fille de la noblesse, et les gardes semblaient particulièrement crispés. On racontait des choses étonnantes parmi le petit peuple de la Cité Noire : on parlait de nouveaux gardiens du Temple qui effrayaient même les soldats et le gouverneur. On parlait de disputes entre les grands d’Albyor, partagés sur la conduite à tenir face aux Melkorites. Mais ce n’étaient que des rumeurs… Quiconque aurait osé formuler une idée séditieuse ouvertement aurait été immédiatement arrêté par les Ogdâr-Sahn, et aurait pris place parmi les sacrifiés de la prochaine cérémonie sanglante.

Ainsi, les rues n’étaient plus vraiment sûres, et la multiplication des patrouilles compliquait singulièrement leurs déplacements. Ils durent faire de longs détours, et se tapir à plusieurs reprises, avant de gagner les profondeurs de la Ville Sombre. Les artères creusées dans la roche renvoyaient l’écho de leurs pas pressés, mais fort heureusement ils ne croisèrent personne à cette heure tardive, pas même quelques ivrognes ayant perdu la faculté de retrouver le chemin de leur foyer. Nul ne voulait se retrouver seul à la nuit tombée, de crainte d’être enlevé et réduit en esclavage… ou pire. Les deux silhouettes continuèrent leur progression à travers la ville, émergeant des quartiers troglodytes, contournant largement la place de l’Ogdâr – où étaient pratiquées les exécutions publiques –, et la place du port, pour remonter vers les maisons qui se situaient en surplomb du fleuve. Dans toute autre cité, ces habitations auraient probablement été particulièrement prisées, mais pas ici.

À Albyor, le fleuve amenait quotidiennement son lot de marchandises, débarquées des navires qui sillonnaient la mer de Rhûn, de ceux qui venaient de la région du Dorwinion à l’Ouest, voire depuis le comptoir commercial ouvert auprès des Nains des Monts de Fer. Certains esclavagistes osaient même s’aventurer dans les terres d’Outre-Anduin, et ramenaient dans la Cité Noire des esclaves de luxe qui valaient une véritable fortune. Chaque jour avait lieu la criée, où l’on achetait et l’on vendait indifféremment des soieries, des pierres précieuses, des armes et des armures, des hommes et des femmes, du vin fin de la meilleure qualité, du blé et de l’orge, des enfants non tatoués, des objets d’art et d’artisanat, des tapisseries, des chevaux destinés à la reproduction, ou encore des bêtes de somme pour renouveler les cheptels d’Albyor. Le vacarme assourdissant le disputait à l’horreur de ces humains vendus à la pièce, parfois séparés à grands renforts de cris et de larmes de leurs compagnons de voyage avec qui ils avaient survécu à la longue traversée jusqu’à Albyor. Certains voyageaient même en couple ou en famille, et on assistait à des déchirements terribles lorsque la femme était vendue comme esclave de compagnie – prostituée, en somme – tandis que le mari était envoyé dans les mines de fer de la Cité Noire où il y rencontrerait probablement la mort. De même, on assistait régulièrement aux séparations entre une mère et son enfant, ce dernier pouvant avoir la chance d’être vendu à un propriétaire scrupuleux qui lui donnerait une bonne éducation pour en faire un comptable ou un traducteur. L’alternative était moins réjouissante, puisque les enfants étaient également prisés des propriétaires de mines d’or, qui savaient que des corps plus petits pouvaient se faufiler dans les veines les plus dangereuses pour y dénicher le précieux métal.

Évidemment, cela ne les prémunissait pas des éboulements, qui tuaient chaque année une bonne dizaine d’enfants malchanceux. Parfois davantage.

Ce fut dans l’une de ces maisons, aux premières loges d’un des spectacles les plus affligeants de la Terre du Milieu, que les deux silhouettes trouvèrent refuge. Quelques coups frappés discrètement selon un code secret, et on leur ouvrit pour les laisser se mettre au chaud. La première silhouette retira son capuchon.


C’était un homme d’une quarantaine d’années, au visage fatigué mais au regard déterminé. Ses cheveux et sa barbe grisonnants le vieillissaient encore davantage que les sévices subis par ses maîtres. C’était un Rohirrim de naissance, qui répondait au nom de Eodwaeld, mais que tout le monde appelait l’Ancien. Il était unanimement connu comme un homme bien, ayant longtemps travaillé comme palefrenier, avant de parfaire l’éducation équestre des enfants de bonne famille. Une sombre affaire de mœurs l’avait fait tomber en disgrâce, et il avait été vendu à des maçons qui se servaient de lui pour porter des sacs de pierre et de mortier. Ses épaules voûtées attestaient de la dureté de son quotidien. Il s’était enfui peu auparavant, en entendant l’appel de Huru. Pour lui, il n’y avait d’autre opportunité que la victoire ou la mort, car s’il était rattrapé par ses maîtres ou les autorités d’Albyor, il serait exécuté publiquement pour l’exemple. Il fut accueilli par de chaleureux sourires à l’intérieur de la petite bâtisse, et une femme vint notamment le serrer dans ses bras à lui couper le souffle :

- Tout va bien, Fall. Je suis rentré.


Il passa une main affectueuse dans la chevelure brune de la jeune femme, qui lâcha un soupir de soulagement. Fall était un personnage à part de leur petite compagnie. Elle avait été parmi les premières à rejoindre l’appel de Huru, pour des raisons que personne n’ignorait. Elle était, avec l’Ancien, la seule à être née à l’Ouest et elle avait probablement vécu davantage de sévices que tous ses compagnons réunis. Réduite au rang d’esclave de compagnie avant même sa puberté, elle était passée de maître en maître, subissant un lot inimaginable de violences physiques et psychologiques. Avant sa majorité, elle avait déjà connu trois fausses couches et deux avortements forcés, jusqu’à ce qu’elle contractât une maladie vénérienne qui l’avait rendue subitement moins désirable aux yeux de ses maîtres. Vendue à un guérisseur qui ne lui avait donné que quelques mois à vivre, elle était devenue un cobaye opportun pour tester de nouvelles drogues curatives, ce qui lui avait paru être une fin tout à fait adéquate au regard de son existence… Sauf qu’elle avait déjoué le destin, et cinq ans après le pronostic de son dernier maître, elle était toujours en vie et lui… presque pas. La faute à la rencontre malencontreuse avec une branche d’arbre lors d’une sinistre partie de chasse à l’homme. Paralysé aux trois quarts, incapable de parler, il n’avait pu se reposer que sur sa délicieuse esclave-cobaye, qui avait pris un malin plaisir à lui faire payer minute par minute tout ce qu’elle avait subi dans son existence.

Et pourtant, Fall n’était pas qu’une femme brisée éprise de vengeance. Véritable boule d’énergie, bourreau de travail, elle associait son intelligence vive et débordante à une discipline de fer qui faisait d’elle une force sur laquelle il fallait compter. Elle se tourna vers la seconde silhouette, et l’embrassa de la même manière, en soufflant :

++ Je suis heureuse que tu sois en vie, Huru. Toutes mes condoléances pour ton père. ++

Huru retira son capuchon, et lui rendit son étreinte avec chaleur. Il la considérait comme une petite sœur, même si elle était plus âgée que lui-même, et il savait qu’elle avait plusieurs fois prêté assistance à son père, notamment durant Shuresh.


++ Merci, ça me touche… Essayons d’être à la hauteur de sa mémoire. Vous êtes tous ici ? Comment avez-vous fait pour… ? ++

++ Nous allons tout t’expliquer Huru, ne t’inquiète pas. ++

Fall lui prit la main, et le tira vers la pièce principale, où se trouvaient les autres esclaves enrôlés dans cette folle entreprise consistant à tuer Jawaharlal. Des braves parmi les braves, qui se retrouvaient pour la première fois tous ensemble dans la même pièce. Ils n’étaient que onze, certes, mais leur courage était probablement inégalé dans la Cité Noire, qui se terrait devant le Grand Prêtre de Melkor, et qui n’aurait jamais osé convenir d’une telle réunion pour discuter de sa mort. Un sentiment d’immense fierté envahit Huru en les voyant ainsi rassemblés, et il pensa à son père. A tout ce qu’il avait construit patiemment. Il ne ressentait que gratitude à leur égard, eux qui lui prêtaient leur vie et lui faisaient confiance pour mener à bien ce que personne n’avait jamais songé à accomplir. De toute évidence, le respect était réciproque, car tous le saluèrent avec révérence, lui adressant des mots encourageants et lui serrant la main avec énergie. Tous le regardaient avec une certaine admiration qu’il n’était pas sûr de mériter. Après les retrouvailles d’usage, Huru les pressa de questions concernant leur nouveau quartier général.

++ Cette maison appartient à cet affranchi que tu avais contacté pour entrer dans le Temple de Sharaman. Il a tenu à nous aider en nous prêtant cette bâtisse, et il nous a fait apporter quelques repas chauds, et des armes. ++

Ils révélèrent à Huru leur équipement… C’était davantage que ce qu’il aurait pu espérer. Deux épées, une série de dagues effilées, et trois arcs ainsi qu’une bonne trentaine de flèches. Ce n’était pas de l’équipement de la meilleure facture, mais c’était de toute évidence du matériel fiable et robuste, qui leur permettrait de frapper fort au cœur du Temple. Il soupesa une des épées, sans cacher sa surprise. Jawarhalal, bouffi d’orgueil, ne pourrait pas échapper à une douzaine d’assassins envoyés à ses trousses. Fall, qui trépignait d’impatience, reprit :

++ Nous sommes prêts, Huru. Nous avons repris des forces, nous avons l’estomac plein, et nous avons pu nous exercer au maniement des armes. Nous n’attendons plus que ton signal. Dis-nous à quelle heure frapper, et nous frapperons. Jawaharlal mourra par main, je peux te le garantir ! ++

Huru lui posa une main sur l’épaule :

++ Je sais que tu ne manqueras pas ton coup. Mais pour le moment, nous devons attendre le signal. Notre allié s’est infiltré dans le Temple, mais il n’a pas encore pris contact pour nous dire quand frapper. Ni où. Dès qu’il m’aura informé de… ++

++ Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps, Huru. ++ Trancha l’Ancien. ++ Les patrouilles se multiplient à Albyor, le Grand Prêtre trame quelque chose, et nous devons frapper pendant que nous avons encore l’initiative. Chaque jour qui passe, nous prenons le risque d’être découverts. À chaque fois que nous partons en reconnaissance, nous prenons le risque d’être suivis, et que notre plan se retourne contre nous. Huru… Tu sais bien que les chances que ton ami survive dans les entrailles de Sharaman sont minces. Combien de temps avant qu’il soit démasqué, qu’on le torture, et qu’on remonte jusqu’à nous ? Tu sais que j’ai raison. ++

Huru baissa la tête. Il savait pertinemment que le danger était grand, mais il avait foi en Learamn, et par ailleurs il savait qu’un assaut irréfléchi conduirait au désastre. Ses compagnons étaient zélés et remplis d’espoir, mais ils se leurraient sur leurs chances réelles de réussir à tuer Jawaharlal sans l’aide de leur infiltré. Toutefois, le leur dire frontalement risquait d’entamer leur moral, et il ne tenait pas à instiller le doute dans leur esprit. Ce sentiment viendrait bien assez tôt, et serait leur pire ennemi.

++ Notre plan implique d’attendre le signal. Nous ne pouvons pas… ++

++ Les plans changent, Huru ! ++ Intervint Fall. ++ Nous savions que ce ne serait pas une partie de plaisir, et que nous aurions des obstacles à surmonter. Nous avons un peu discuté, avant que tu arrives et… ++

Elle marqua une pause, gênée, et Huru fronça légèrement les sourcils. Ils se regardèrent les uns les autres, sans que quiconque n’osât aller au bout du propos. Ce fut finalement l’Ancien qui se lança :

++ Jawaharlal organise une cérémonie sanglante. La plus grande depuis des mois. Nous ne savons pas encore quand, mais elle aura lieu très bientôt. Nous frapperons à ce moment-là : il y aura tellement de monde que la panique et le chaos joueront en notre faveur. Nous respecterons le plan, Huru, mais nous ne pouvons pas tout faire reposer sur les épaules d’un seul homme. Notre décision est prise, en toute liberté. ++

++ En toute liberté. ++ Reprirent les autres machinalement.


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La rencontre avec Vago avait brièvement ébranlé le petit groupe d’esclaves dirigé par Nomi, mais celui-ci avait fini par les laisser partir après avoir obtenu une réponse de la part de Learamn. La cheffe de troupe n’avait pas vraiment compris la teneur de l’échange, mais elle savait qu’il valait mieux faire profil bas, ne pas poser de questions, et se contenter de savourer le fait d’avoir réussi à réchapper vivant de cette rencontre. Elle tremblait encore de peur lorsqu’ils arrivèrent finalement à la loge de Jawaharlal, et qu’ils furent accueillis par une vingtaine de gardes qui eux-mêmes surveillaient les esclaves qui travaillent sur place. Ils n’eurent pas besoin de se présenter pour être introduits dans les lieux, mais on les fouilla néanmoins pour vérifier qu’ils ne transportaient pas d’armes.

Nomi était, hélas, habituée à ce genre de rituels et elle ne se formalisa pas lorsque les mains impudiques des gardes glissèrent sur son corps, intéressés à la fois par les éventuelles armes qu’elle pouvait dissimuler que par les formes que cachaient ses vêtements rapiécés. Elle ne se considérait pas comme particulièrement belle, mais les hommes qui œuvraient dans le Temple, et qui vivaient souvent entre eux, déversaient toute leur frustration sur ces inférieurs qui n’étaient pas en mesure de se défendre. Les doigts répugnants qui s’attardèrent sans douceur sur sa poitrine lui tirèrent un frisson de dégoût, mais elle se félicita qu’il restât un peu de décence à ces gardiens, car nul ne s’aventura au-delà de viles caresses. Elle s’efforça de réprimer les souvenirs de la dernière fois qu’on avait abusé d’elle, en se concentrant sur le fait d’être en vie.

Rester en vie, c’était tout ce qui comptait.

++ Bon, tout est en règle. Allez rejoindre l’équipe qui travaille aux tentures si vous n’avez pas le vertige. ++

Nomi hocha la tête, et distribua les ordres à son équipe. Elle avait déjà participé deux fois à des missions dans la loge du Grand Prêtre, aussi connaissait-elle bien les difficultés inhérentes aux décorations, mais elle devait désormais les expliquer à ses équipiers. Installer des tentures pouvait sembler facile, mais les tissus étaient épais et très lourds, et ils devaient être fixés avec le plus grand soin pour ne pas se détacher durant la cérémonie. Par ailleurs – et c’était bien là le nœud du problème –, l’alcôve de Jawaharlal se trouvait à plusieurs mètres au-dessus du sol, ce qui rendait l’installation plutôt acrobatique. Régulièrement, des esclaves chutaient de l’échelle qui était installée de manière précaire, et achevaient leur vie sur les dalles de la grande salle, vingt mètres en contrebas, le corps affreusement brisé par la rencontre avec le sol. C’était peut-être, pour certains d’entre eux, une manière d’échapper au sort qui leur était promis, mais pour beaucoup d’esclaves superstitieux, mourir dans la grande salle des sacrifices les rapprochait trop de Melkor, et ils craignaient de voir leur âme être damnée pour toujours.

Nomi espérait ne perdre personne aujourd’hui, et elle donna des consignes très précises à chacun. Elle garda Learamn avec elle, pour veiller sur lui durant l’opération. Plus grand et costaud qu’elle, ce fut à lui de grimper sur l’échelle pour installer les tentures. Elle-même se chargeait de tenir l’échelle en place, tandis qu’un troisième esclave s’efforçait de lui passer les tissus pour qu’il pût les accrocher sur les cordes qui avaient été tendues pour l’occasion.

- Attention… Pas tomber… Souffla-t-elle. Attention.

Son westron était élémentaire, mais son souci sincère, et elle s’efforça de lui donner les meilleurs conseils pour réussir la périlleuse mission qui lui était confiée. Plus d’une fois, l’ancien officier manqua de déraper malencontreusement, et de rencontrer son funeste destin, mais la position qui lui était confiée n’avait pas que des inconvénients. De là où il se trouvait, il disposait d’une vue panoramique sur la salle des sacrifices, ainsi que sur la loge de Jawaharlal, jusqu’à l’embouchure des couloirs qui s’ouvraient dans la roche, et qui allaient peut-être vers des appartements. L’un d’entre eux, plus large que les autres, devait probablement permettre au Grand Prêtre de faire une entrée remarquée parmi les membres de l’assistance – des gens de qualité, de la haute noblesse d’Albyor, ainsi que des prêtres éminents – qui pouvaient ainsi lui présenter leurs hommages en personne. D’autres corridors plus étroits pouvaient servir de voie d’exfiltration pour le chef des Melkorites, si d’aventure le moindre danger venait à le menacer.

Si des assassins pouvaient couvrir ces sorties, et tendre une embuscade à Jawaharlal au moment où il s’y attendrait le moins, ils pouvaient avoir des chances raisonnables de lui porter un coup fatal. De telles issues n’étaient pas faciles à manœuvrer pour des gardes, car l’exiguïté des lieux permettait à une force moins nombreuse de compenser rapidement son désavantage. Seule l’expertise de Learamn pouvait lui permettre d’estimer quel chemin serait le plus adapté.

Une fois les tentures installées, ils durent aller chercher les fauteuils des invités, qui devraient être au moins une bonne soixantaine. Les esclaves se dirigèrent vers les fameux couloirs qui s’ouvraient derrière la loge, et ils découvrirent un réseau complexe de pièces de stockage, qui s’ouvraient ensuite vers ce qui ressemblait à des appartements privés. Ce n’était sans doute pas la chambre de Jawaharlal, mais ils purent jeter malgré eux un œil vers une superbe chambre à coucher où pénétrait une douce lumière naturelle, qui descendait presque magiquement depuis le plafond et se reflétait dans les miroirs et les cristaux installés stratégiquement dans la pièce. Qu’il existât de telles merveilles au sein du Temple était pour le moins surprenant, mais personne ne se risqua à faire un commentaire.

Le silence était requis de la part des esclaves en ces lieux considérés comme sacrés.

Nomi et ses esclaves passèrent trois longues heures à travailler dans et autour de la loge, ce qui leur donna amplement le temps de se familiariser avec les lieux, même s’ils ne pouvaient pas se targuer de savoir ce qui se cachait derrière chaque porte close. La présence en nombre des Bakhshidan de Jawaharlal ne trompait pas, cependant. Ils approchaient certainement du siège du pouvoir. Cet avant-goût, toutefois, ne permettait pas d’établir des certitudes. Ils étaient incapables de localiser les appartements du Grand Prêtre, et d’autres personnes importantes semblaient résider ici, sans qu’il fût possible de déterminer qui, ou combien. Tout ce que Learamn put confirmer fut la présence à la prochaine cérémonie du gouverneur d’Albyor, puisqu’il participa à l’installation d’un fauteuil particulier qui lui était réservé, sur lequel son titre était gravé. C’était une lourde pièce de bois, qui portait des moulures délicates et qui était ornée d’une figure majestueuse ressemblant à un dragon sans ailes qui semblait s’enrouler depuis les pieds de la chaise jusqu’au sommet du dossier. La créature avait des pattes griffues et courtaudes, une gueule carrée et méchante, garnie de crocs immenses qui transparaissaient derrière un sourire inquiétant. La sculpture était d’un réalisme saisissant, et les yeux incrustés de rubis du monstre renvoyaient la lueur des torches, donnant l’impression que celui-ci était vivant.

- C’est une… cadeau, expliqua Nomi. Une cadeau pour gouverneur… Grand cadeau.

Un moyen de flatter celui qui demeurait officiellement le maître de la cité… et par la même occasion de le faire asseoir sous la surveillance de cette immense créature serpentine dont les griffes donnaient l’impression de vouloir enserrer les épaules de celui qui s’asseyait ici.


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Un cri rauque quitta ses lèvres, et son corps se mit à trembler des pieds à la tête.

Une main vint presser contre sa bouche, étouffant un second mugissement, alors que son dos se cabrait. La table de bois où il était installé vacilla, manquant de se renverser, emportant avec elle le matériel qui avait été disposé dessus. Toutefois, les quatre hommes qui le tenaient en place avaient assez de force pour le maintenir relativement immobile, et ils évitèrent la catastrophe.

La souffrance omniprésente était insoutenable.

D’une ruade il se dégagea, et trouva la force de supplier entre deux gémissements :

- Pitié… Laissez-moi…

- Pas encore.

Il y eut un nouveau craquement, plus sonore cette fois, et un nouveau hurlement qui se répercuta sur les murs comme un écho terrifiant.

- Faites-le taire, putain, faites-le taire !

Un bâillon fut amené, et installé sommairement. L’homme était agité de spasmes incontrôlables, tant la douleur le cisaillait. Il était au bord de l’inconscience, mais chaque nouveau mouvement le ramenait invariablement à sa jambe martyrisée, atrocement maltraitée. Il hurla à s’en déchirer les poumons derrière ce morceau de tissu qu’on avait coincé entre ses lèvres, et des larmes coulèrent le long de ses joues. Pendant une minute, les choses se calmèrent quelque peu. Il entendit le tintement métallique d’un instrument qu’on repose, et cela lui donna l’illusion que tout allait bientôt s’arrêter. Erreur. Nouvelle douleur subite, alors que son genou et sa cheville pivotaient brusquement en lui arrachant une plainte atroce. Les hommes qui tentaient de le maintenir en place déployaient toutes leurs forces pour y parvenir, leurs doigts glissant contre sa peau luisante.

Il transpirait abondamment, ses chemises étaient trempées de sueur, de même que ses épais cheveux bruns plaqués sur son front plissé.

Spoiler:


- Bon Khalmeh Elkessir… Ce n’était pas une partie de plaisir, hein ?

L’intéressé ne pouvait pas répondre, et le bâillon n’y était pour rien. Fiévreux, en état de choc, il était incapable d’articuler quoi que ce fût. L’homme penché sur lui s’en rendit compte, et lui fit apporter un peu d’eau. Le bâillon tomba, et on le fit boire doucement en essayant de l’empêcher de s’étouffer. Khalmeh retomba brutalement sur le dos après s’être désaltéré : sa poitrine se soulevait à un rythme infernal.

- Maintenant que ces désagréments sont derrière nous, nous allons avoir besoin d’informations… Je te préviens, nous avons très peu de temps devant nous, notre patience est limitée, et l’enjeu est énorme, alors j’ai besoin que tu coopères. Pleinement. Tu comprends, Khalmeh Elkessir ? Tu comprends ? Bien.

L’esclavagiste avait hoché la tête mécaniquement. Il n’était pas en position de refuser quoi que ce fût à cet homme, il n’en avait plus la force. Sa fuite effrénée dans les rues d’Albyor, sa chute brutale, sa jambe brisée… Tout cela aurait eu raison du guerrier le plus endurci – ce qu’il n’était pas – et que dire de ce qu’il venait de subir ? Que dire de ces heures de souffrance, alors qu’on s’acharnait sur sa jambe blessée au point de lui faire perdre la raison. Khalmeh avait des principes, sans doute exhumés par sa rencontre avec Learamn et les épreuves traversées avec ses compagnons, mais ceux-ci ne pesaient pas bien lourd dans la balance aujourd’hui. Il confesserait tout. Il n’avait pas d’autre choix.

- Commençons par le commencement. Où sont tes compagnons ? Ceux avec qui tu as quitté Blankânimad ?

- Morts… essaya-t-il.

L’homme fit claquer sa langue.

- Non, pas tous, et tu le sais bien. Tu te souviens de ma patience limitée ? Reprenons. Où sont tes compagnons, Khalmeh Elkessir ?

De nouvelles larmes.

- Mort… Thrakan est mort. Je l’ai vu…

Un silence. L’homme ne semblait pas surpris par cette information, mais il en désirait davantage, et laissa Khalmeh déglutir difficilement avant de reprendre :

- Ava… Je ne sais pas… Partie… Je ne sais pas…

Nouveau silence. Ce n’était toujours pas suffisant :

- Learamn… Je ne sais pas… Probablement mort… Ou alors…

- Ou alors ? Fit l’homme, soudainement intéressé.

Khalmeh serra les dents. Il ne voulait pas dénoncer son compagnon d’armes, mais il n’avait plus la force de résister et de cacher la vérité. Si on touchait encore une fois à sa jambe, son esprit se briserait purement et simplement. Alors que ses mâchoires se desserraient, il espérait secrètement que Learamn était en train de plonger une lame dans le cœur de tous les Melkorites qu’il rencontrait, et que ces révélations ne nuiraient pas à son plan.

- Au Temple… Il veut…

Les mots franchirent difficilement sa bouche.

- Il veut tuer le Grand Prêtre… Et il y parviendra… Il y parviendra, j’en suis sûr… Et vous ne pourrez rien faire pour l’en empêcher… Il est déjà trop tard…

L’esclavagiste commençait à divaguer. Son interrogateur lui secoua l’épaule pour le forcer à rester concentré. Ces paroles avaient fait leur petit effet, mais n’avaient certainement pas provoqué la réaction paniquée que Khalmeh espérait. Il venait de vendre son compagnon, et ces hommes ne s’étaient même pas émus de la situation… comme s’ils savaient déjà ce que planifiait l’ancien officier du Rohan.

- Je doute fort qu’il parvienne à tuer le Grand Prêtre, Khalmeh Elkessir, mais je suis sûr qu’il essaiera. La question est de savoir quand. Quand planifie-t-il son coup ?

- Cérémonie… Pendant la cérémonie… C’est le plan… Tuer Jawaharlal pendant la cérémonie…

L’homme fit une moue indéchiffrable, et fit appeler un de ses sbires à qui il transmit quelques instructions à voix basse. Ce dernier portait des tatouages sur le cou et les mains, mais Khalmeh n’eut pas le temps de les reconnaître, à part un. C’était le tatouage des esclaves du gouverneur Hagan. Un monogramme stylisé aux effigies de la famille dominant Albyor.

Il ne comprit pas.

Hagan ? Pourquoi ?

L’esclave s’éclipsa aussi vite qu’il était venu, et l’Occidental reprit :

- Et l’Uruk ? Où est l’Uruk ?

- Je ne sais pas… Peut-être capturé… Peut-être mort…

- Et ce bâton permet de le contrôler, c’est ça ?

Un objet à nul autre pareil entra dans le champ de vision de Khalmeh. Le bâton de commandement. Comment ces hommes avaient-ils pu mettre la main sur la laisse de l’Uruk ? Cela lui échappait totalement, mais ils disposaient désormais d’une carte maîtresse importante. En contrôlant l’Uruk et sa force brute, ils avaient à leur service une créature redoutable, conçue pour tuer, et qui ne reculerait devant rien pour accomplir sa mission. L’esclavagiste confirma les dires de son interrogateur, qui sembla s’estimer satisfait, et rangea le bâton dans la poche de son vêtement.

- Bien, Khalmeh Elkessir. Tu as bien mérité un peu de repos. Ces informations nous seront très précieuses, Tu as fait votre devoir et…

Des paroles vives échangées à l’extérieur de la pièce interrompirent leur conversation. Des éclats de voix, et visiblement quelqu’un de très mécontent qui essayait de forcer l’entrée dans le réduit où se trouvait Khalmeh. L’homme au bâton s’empressa d’aller voir de quoi il retournait. L’esclavagiste ferma les yeux un instant, incapable de se concentrer sur ce qui se disait autour de lui tant le bourdonnement dans ses oreilles occupait son espace mental. Il ne revint à lui que lorsqu’une main se posa sur son front. Elle était glacée.

++ Khalmeh… Khalmeh… Est-ce que vous m’entendez ? Regardez-moi. ++

L’intéressé cligna des yeux à plusieurs reprises. Sa vision était troublée, et il lui fallut un moment pour réussir à discerner ce qui se trouvait juste devant lui. Un visage. Familier. Le frisson qui traversa son corps tout entier lui coupa le souffle. Dans un murmure où se mêlaient à la fois la peur et la surprise, il laissa échapper :

++ Vous ? Impossible ! ++


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Allongé dans le dortoir où se reposaient les esclaves qui n’avaient pas le privilège d’avoir des appartements privés, Learamn dormait profondément et sur ses deux oreilles, lorsqu’une main délicate vint lui secouer doucement l’épaule pour le réveiller. Contrairement à ses dernières nuits à Albyor, il n’eut pas besoin de s’inquiéter car paradoxalement, il pouvait s’estimer en sécurité ici. Il était évident que si les hommes du Grand Prêtre avaient voulu sa mort, ils n’auraient pas eu besoin de le réveiller discrètement au milieu de la nuit : ils pouvaient tout simplement l’exécuter publiquement en grande pompe, en claironnant sur tous les toits qu’ils avaient mis la main sur le traître occidental qu’ils recherchaient depuis si longtemps.

Ce n’était pas de la nuit ou des autres esclaves qu’il devait avoir peur.

En l’occurrence, celui qui se trouvait penché vers lui ne faisait pas partie de son équipe, et il n’était pas certain qu’ils se fussent déjà croisés. Pourtant, il avait réussi à arriver jusqu’à lui, sur la foi d’informations assez précises pour qu’il connût jusqu’au lit où il s’était installé. Les autres esclaves dormaient eux aussi, pour la plupart, mais personne ne s’étonna d’une conversation nocturne. La nuit permettait aux serviteurs du Temple de bénéficier de quelques instants d’autonomie bienvenus, que certains mettaient à profit de manière bien plus originales. Certains consommaient des substances psychotropes qui les aidaient à trouver le sommeil, tandis que d’autres s’asseyaient simplement pour discuter, se confier, parler de leur vie et de leur existence avant… avant tout ça. La nuit, ils redevaient des individus, et se souvenaient des désirs et des craintes qu’ils enfouissaient profondément en eux sitôt que le jour se levait.

Le visiteur de Learamn n’était pas de cette chambrée, ce qui était étonnant en soi, mais en outre il ne parlait pas un mot de westron. Il marmonna quelques paroles en rhûnien que Learamn ne comprit pas, mais cela ne l’empêcha pas de sortir des plis de sa tunique un morceau de papier soigneusement plié. L’absence d’une langue commune pour leur permettre de communiquer ne facilitait pas le travail de l’ancien officier du Rohan, qui sinon aurait pu interroger le messager plus avant, lui demander d’où venait la lettre, qui en était l’émetteur, et éventuellement lui dire de transmettre une réponse. Hélas, incapable de se faire comprendre à ce degré de subtilité, il fut contraint de laisser l’esclave partir, et de trouver un endroit relativement bien éclairé par une torche pour lire le billet qu’on venait de lui faire porter.

Le message était à la fois court et saisissant.

Citation :
J’ai perdu un ami précieux parmi les Lossoths, près du village de Lear, non loin de la rivière Thrâkhân. Si vous avez des informations, retrouvez-moi rapidement.


Il n’y avait aucune signature en bas du document, ni aucune indication quant à la façon de retrouver l’auteur de la lettre, mais la ligne de vie de Learamn semblait s’épaissir un peu plus à chaque nouvelle lecture. Un pas dans la bonne direction était toujours bon à prendre au sein du Temple de Sharaman, mais il devait rester extrêmement prudent. A la nuit tombée, les esclaves devaient se trouver dans leurs quartiers, et avaient interdiction de déambuler dans les couloirs du Temple. Les gardes veillaient au grain, et ne montreraient aucune tolérance pour ceux qui enfreindraient les lois du Grand Prêtre. Attendre le lever du jour lui permettrait d’agir plus librement, mais il serait également encadré par son équipe, et surveillé constamment par les autres esclaves. Enfin, avant même de penser à comment se déplacer dans le temple, il lui restait à trouver l’expéditeur, et à établir le contact.

En espérant qu’il ne s’agissait pas d’un piège.
Sujet: Pardonne-nous nos offenses
Learamn

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Rechercher dans: La Ville Haute   Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Pardonne-nous nos offenses    Tag huru sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 18 Nov 2023 - 23:19


Learamn avait silencieusement écouté l’entièreté du terrible récit de la révolte. Huru n’avait omis aucun détail, énumérant chacune des exactions que la Reine et son gouverneur avaient fait subir à des esclaves en quête de liberté. La même souveraine à qui l’ancien capitaine avait juré fidélité, le même gouverneur qui l’avait accueilli à sa table quelques semaines plus tôt. Le rohirrim réalisa alors à quel point il s’était montré imprudent en invoquant son allégeance face à Kayemba un peu plus tôt. Dans d’autres circonstances, il n’en aurait pas fallu autant pour qu’il soit tué sur le champ après des paroles si maladroites. La clémence des esclaves, ou du moins leur manque d’envie d’ajouter encore plus de sang à un quotidien qui en était empli, lui avait sauvé la mise. Son objectif d’atteindre les Melkorites également, seule figure qui paraissait plus honnie que celle de Lyra.

Quand Huru eut fini son récit, Learamn ne dit pas un mot pendant de longues secondes. Prenant un moment pour assimiler le flot d’informations aussi importantes que glaçantes. Toute l’émotion de l’esclave était palpable dans sa voix qui avait flanché à plusieurs moments. Le compte-rendu de ce soulèvement réunissait pourtant tous les ingrédients pour constituer l’une de ces histoires légendaires rapportées par les conteurs et chantées par les troubadours. Des hommes et des femmes démunis se rebellant contre une autorité tyrannique, à la force de leur courage et armés de leur désir de liberté. Des révolutionnaires allant jusqu’à faire flancher ses tortionnaires, prenant le contrôle de la cité qui avait été leur prison pendant de si longues années. Des figures héroïques prenant la forme d’organes vitaux d’un même corps. Tout était là. Sauf le dénouement heureux. Le monde avait cette intrigante faculté à décevoir les plus romantiques.

“Je suis désolé Huru… Sincèrement désolé.”


L’ancien capitaine avait conscience que ses mots ne pouvaient rien changer au chagrin et au désespoir de l’esclave mais, dans un premier temps, il n’avait rien trouvé à dire d’autre. Il laissa son regard se perde dans la vallée sombre qui leur faisait face; dispersés entre les falaises, les tours de garde de dizaines de villages brillaient dans la nuit. Chacun d’eux semblait accueillir un nombre similaire d’esclaves. Un rapide calcul lui permit de comprendre que plus d’une dizaine de milliers d’esclaves travaillaient dans ces champs et carrières à l’entrée de la ville. Dix mille hommes, femmes, enfants, privés de liberté par une poignée de miliciens en armes.  Learamn aurait voulu courir jusqu’au bord de la falaise, se hisser sur un promontoire rocheux et s'époumoner. Crier à destination de tous ces captifs que la liberté était proche, que face à leur nombre, aucune armée ne pourrait résister. Qu’ils avaient juste besoin d’y croire.

Le récit de Huru lui avait pourtant prouvé que les choses étaient bien plus complexes. L’espoir, ils n’en voulaient plus ; car il n’y avait pas plus douloureux qu’un espoir brisé.  Learamn ne le savait que trop bien. Il s’était déjà imaginé en détonateur capable de rallumer la flamme de la révolte afin de pouvoir répandre le chaos et pénétrer dans le Temple de Sharaman. Une nouvelle fois, son orgueil l’avait poussé à faire fausse route. Ces esclaves n’étaient pas simplement une masse difforme qu’il pourrait manipuler à sa guise, sans se soucier du coût humain qu’une nouvelle révolte pouvait représenter. Ils étaient privés de leur liberté mais toujours mû par des émotions propres aux humains : la colère, la peur et l’amour. L’envoyé de la Reine avait initialement compté sur le fait que Huru et ses pairs n’aient plus rien à perdre. Il s’était lourdement trompé. Malgré toute la misère de sa situation, un homme avait toujours quelque chose à perdre.

“Je comprends, je comprends. Votre père désire simplement que ses enfants puissent aspirer à une meilleure vie. Mais le coût d’un tel espoir est parfois bien lourd…”


Le vent qui balayait les falaises se fit de plus en plus vigoureux, faisant virevolter  les cheveux bruns de l’ancien capitaine devant son visage marqué.

“J’étais un commandant autrefois avant mon arrivée en ces terres. J’ai envoyé de nombreux hommes à la mort au nom d’une cause, d’un espoir. Quand j’annonçais leur mort à leur mère, je leur disais que leurs fils étaient tombés en héros. Dans le regard de ces femmes, je comprenais qu’elle n’avait pas besoin de héros, mais juste d’un fils qu’elles puissent embrasser la nuit tombée.”

Une larme solitaire, quasiment invisible avec l’obscurité ambiante, vint se perdre dans la barbe naissante du rohirrim.

“Votre père est un homme sage mais il se trompe sur un point. Je ne suis pas celui qui peut raviver la flamme de la révolte. Même si je le voulais, je ne le pourrais pas. Moi, un étranger n’ayant pas connu la douleur de la servitude. Je ne parle même pas leur langue, ils ne me comprendraient pas…Non...Le seul qui le peut c’est le fils du Poing de la Révolte…”

Il plongea son regard dans les yeux sombres de Huru, cherchant à déchiffrer les pensées du fils de Kayemba. Ce dernier avait vu des choses terribles, et le traumatisme des Tristes Jours semblait encore bien présent. Le souvenir de ces sanglantes répressions, de toute cette horreur, l’avait convaincu de l’inutilité d’un tel combat. Ce combat face à un système dont la force reposait autant sur sa force que sur la peur qu’il inspirait dans les esprits.

“Je ne peux parler en votre nom, Huru fils de Kayemba, mais si un jour la flamme se ravive en vous. Alors vous trouverez en moi un allié dans votre entreprise. J’ai prêté allégeance à la Reine mais pas aux tortionnaires qui vous retiennent ici…ni aux Melkorites…”

La description que le jeune esclave avait faite de la montée au pouvoir de ces prêtres fanatiques étaient des plus inquiétantes, profitant du chaos et du manque de garanties offert par le gouverneur pour gagner en influence dans la Ville Sombre.

Learamn s’adossa contre une large pierre aux bords saillants et reprit, le regard fixé vers l’horizon.

“J’ai rencontré une esclave à mon arrivée ici. Une devineresse qui travaillait dans une auberge de la ville. Elle m’a rendu un service et en échange je lui ai promis la liberté. Elle a quitté le foyer de son maître mais est retombée dans les griffes de la servitude, détenue par les Melkorites. Je suis un homme de parole et compte bien la libérer à nouveau.”

Pendant un moment, il avait envisagé pouvoir capitaliser sur la haine que vouaient les esclaves aux Melkorites mais les propos désespérés de Huru lui avaient bien montré que cette option était compromise. Prudent, cette-fois ci, il ne mentionna pas sa période de captivité aux mains des prêtres de Melkor, ni le fait que ses souvenirs de cette période étaient inexistants. Il ignorait tout des croyances de ces esclaves mais il valait mieux éviter que certains puissent penser qu’il ait été manipulé et envoûté par quelque maléfice de Jawaharlal.

Pour le moment, il devait trouver le moyen de se rapprocher de Kryvv. Il ne savait pas exactement pourquoi mais quelque chose au fond de lui répétait inlassablement qu’elle était la clef.

Dîtes-moi Huru, ces esclaves qui servent au Temple de Sharaman. Comment sont-ils choisis ?”



#Huru #Learamn
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