3 résultats trouvés pour Lucinia

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Sujet: Si la Mort a Mordu
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Si la Mort a Mordu    Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 7 Mai 2020 - 18:51
Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! Yse10

Yse posa un regard glacé sur le cadavre de Khaan, au moment où celui-ci touchait le sol. Elle ne connaissait pas particulièrement l'homme, et n'avait aucune affection particulière pour les marchands. Le voir obtenir le sort qu'il semblait mériter n'était pas pour lui déplaire, même s'il faudrait sans le moindre doute trouver comment régler sa succession. Encore de la paperasse. Elle poussa un long soupir résigné, et fit quelques pas à l'intérieur de la pièce, pour constater les dégâts. En bas de la demeure du grand marchand, des badauds étaient déjà attirés par le cadavre, que des gardes entouraient pour éviter à quiconque d'essayer de piller les maigres biens qui restaient encore sur la dépouille encore chaude. Quelques têtes se levèrent vers la femme à la fenêtre, et Yse comprit que le peuple attendrait une réponse.

Pas une explication, oh non. Tout le monde se fichait de savoir pourquoi le Requin s'était défenestré. Les gens voulaient seulement savoir qui allait reprendre son empire.

La nature avait horreur du vide.

Le regard de la pirate glissa successivement sur les trois silhouettes qui lui faisaient face, et qui semblaient avoir traversé l'enfer ensemble. Lucinia, le regard à la fois résigné et vulnérable, paraissait attendre avec anxiété la suite des événements. Yse la connaissait personnellement, pour avoir déjà eu affaire à son père, un homme bien étrange. Elle n'avait pas d'attaches particulière à la jeune femme, mais elle avait été surprise d'entendre le sort qui avait été réservé à ses possessions – l'incendie de son manoir avait fait grand bruit –, et elle n'avait pas manqué de comprendre que son intercession serait nécessaire pour veiller à ce que les grands marchands d'Umbar ne finissent par s'entre-déchirer comme les chiens de basse fosse qu'ils étaient.

Elle était simplement arrivée trop tard, et avait laissé la mort s'abattre dans les hautes sphères. Seulement cette fois, le petit poisson avait maté le gros.

Les deux autres, Yse ne les connaissait pas. L'homme et la femme ressemblaient de toute évidence à des combattants, et ils portaient sans doute la responsabilité de la mort de Shahib davantage que la jeune marchande qui se trouvait à leurs côtés. Le sang sur les mains de cette dernière disait pourtant le contraire… Que s'était-il donc passé ici ?

- Je suppose, fit la capitaine, que vous avez une explication pour tout ce désordre.

Lucinia ne se laissa pas duper par le ton glacial d'Yse. C'était là une opportunité de s'expliquer qui ne se représenterait pas, et elle devait la saisir afin de pouvoir plaider sa cause. Les assassinats entre grands marchands étaient rares, et généralement les autorités d'Umbar veillaient à faire régner un semblant d'ordre pour éviter la déstabilisation profonde de la classe dirigeante de la cité. Ce qui venait de se produire aujourd'hui était très grave, mais il était toujours préférable de régler ce genre de choses à l'amiable plutôt que de faire un scandale de tout ceci.

- Capitaine Yse, je peux tout vous expliquer.

La jeune marchande se lança dans un récit long et détaillé de ce qui s'était passé. A la grande surprise de tous, elle n'omit aucun détail important, et ne chercha pas particulièrement à dissimuler sa responsabilité dans la mort de Shahib, pas plus qu'elle ne tut son ambition de prendre sa revanche en s'emparant de sa fortune. Le coup audacieux qu'elle avait monté aurait pu très mal finir, mais elle avait triomphé, et réclamait aujourd'hui le butin preuve à l'appui. Le morceau de papier, testament universel qui lui léguait la fortune du Requin, devait encore être paraphé par un Yse, qui ne mit pas longtemps à prendre sa décision après avoir entendu cette histoire pour le moins rocambolesque :

- Eh bien, lâcha-t-elle à la fin du récit, vous avez traversé des épreuves auxquelles bien peu auraient pu survivre, et vous avez réussi à triompher de Shahib et de son sous-fifre… Khaan, c'est bien ça ? J'estime que vous avez mérité votre vengeance, il n'était pas prudent de la part du Requin de s'attaquer impunément à l'héritage de votre père, Lucinia. Je suis heureuse que vous ayez pu vous en tirer.

C'était un mensonge. Yse s'en fichait éperdument, mais elle était fine calculatrice, et elle voyait là un moyen habile de consolider sa position. Shahib s'était toujours aligné plus ou moins nettement avec Riordan, mais depuis la mort de ce dernier, il avait eu du mal à reporter son allégeance sur un nouveau Seigneur Pirate. Sa fortune considérable demeurait un prix alléchant que se disputaient les maîtres de la ville, qui n'aimaient pas se trouver dans cette position de dépendance vis-à-vis d'un homme qui n'était, après tout, qu'un négociant. Lucinia avait redistribué les cartes, et pour asseoir sa position à la tête de cette gigantesque fortune sur laquelle elle entendait dormir, elle aurait besoin du soutien d'une figure d'autorité ici. Yse se proposait de le devenir :

- Votre plan était audacieux, pour ne pas dire ingénieux, mais il ne tient que grâce à la signature que peut apposer un Seigneur Pirate. Je suis disposée à vous aider, Lucinia, mais vous comprenez que je ne peux pas vous placer à la tête de cet empire si vous entendez défendre une politique différente de la mienne. Les intérêts des Neufs doivent prévaloir, pour qu'Umbar prospère. Comprenez-vous ?

- Je le comprends, capitaine, répondit l'intéressée avec humilité.

Yse hocha la tête :

- Bien, alors agenouillez-vous, et répétez après moi. « Moi, Lucinia Nakâda, grande marchande d'Umbar, jure solennellement fidélité à Yse, princesse des mers, capitaine du Rancunier, Seigneur Pirate de la cité d'Umbar ».

La grande marchande, qui semblait avoir ressuscité des morts, s'exécuta sans discuter. Son avenir en dépendait. Plus que son avenir, même : son destin. C'était une chose curieuse en cette ville, et les gens d'Umbar paraissaient guidés par cette force inexorable qui les menait sur les chemins du triomphe ou de l'échec. Lucinia émergeait victorieuse de cette guerre, mais à quel prix ? Nesrine et Tarik observaient la scène surréaliste qui se jouait devant leurs yeux, assistant à la naissance d'un nouvel équilibre dans les sphères du pouvoir d'Umbar. Le monde des grandes gens était décidément plein de surprises.


~ ~ ~ ~

Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! Lucini10

Une semaine avait passé, le temps pour Lucinia de mettre ses affaires en ordre, et pour Tarik et elle de récupérer de leur long périple. La jeune femme avait eu besoin d'un peu de temps pour faire admettre sa prise de pouvoir à ses anciens adversaires. Les grandes familles marchandes avaient vu d'un très mauvais œil sa prise de contrôle des affaires de Shahib, une opération qui n'était pas commune, et qui menaçait l'équilibre des forces dans la cité. Cela dit, l'appui du capitaine Yse et le ralliement rapide des partenaires commerciaux – qui tenaient davantage au maintien des liens économiques plutôt qu'à la fidélité personnelle – avaient convaincu les Miridas et les Vulnir de tempérer leurs ardeurs. Il fallait dire qu'en plus des restes de son ancienne fortune – qui se résumait pour l'heure au Mille Soleils qui effectuait son voyage de retour vers Umbar, Lucinia avait également mis la main sur la puissante clientèle du Requin, laquelle comptait un certain nombre d'hommes de mains qui se fichaient éperdument de la mort de leur patron, et qui avaient immédiatement juré allégeance à la nouvelle tête pensante… celle qui leur versait un salaire confortable pour effectuer ses basses besognes.

Tarik et Nesrine avaient joué un rôle crucial dans l'organisation de ce nouvel empire commercial, remplissant virtuellement les fonctions de chefs de la sécurité. Ils avaient distribué leurs conseils à Lucinia pour la protéger, lui garantir une assise, et surtout empêcher les Miridas et les Vulnir de mettre en place une quelconque vengeance. Ils ne l'avaient pas fait par bonté d'âme, mais parce que l'apaisement des relations était la seule manière pour eux de pouvoir quitter Umbar sans avoir à craindre de finir avec une lame plantée entre les deux épaules.

Pourtant, après sept jours de négociations, de tractations et de courriers, il avait fallu se rendre à l'évidence. Lucinia avait conforté sa position, et n'était pas prête de la perdre. La jeune femme, qui semblait avoir vieilli et mûri, n'avait plus besoin de leur aide, et eux-mêmes pouvaient retourner à leurs occupations. Tarik, son précieux papier toujours en poche, pouvait enfin rentrer auprès des siens, et reprendre le cours de sa vie. Il avait demandé à être reçu par la grande marchande, qui s'attendait à sa visite depuis quelques temps :

- Bonjour Tarik, fit-elle. Assieds-toi, je t'en prie.

Elle avait investi le bureau de Shahib, et avait commencé à le redécorer à sa manière. La fenêtre avait été remplacée, les dernières traces de sang que les serviteurs n'avaient pas pu enlever avaient été cachées par un joli tapis aux motifs floraux. Les meubles lourds et pompeux du Requin avaient quant à eux disparu, cédant la place à des étagères élégantes et plus discrètes, qui donnaient davantage de charme et de féminité à cet espace austère et jadis peu accueillant. La désormais maîtresse des lieux se leva pour accueillir le guerrier, et s'assit en même temps que lui avec courtoisie.

Elle savait qu'il avait des choses à lui dire, mais elle ne pouvait pas contenir son excitation : il y avait tant de choses qu'elle voulait partager avec lui aujourd'hui.

- Tu ne croiras jamais quelle nouvelle vient d'arriver : les Miridas acceptent de renouveler le partenariat commercial, en échange d'un allègement de leurs dettes. Rien de trop important, je te rassure. J'ai cru qu'ils n'accepteraient jamais ! Tu te rends compte ? Ça veut dire que les derniers récalcitrants vont devoir rentrer dans le rang maintenant, et que je vais pouvoir financer les réparations du Rancunier. J'ai déjà pris contact avec le chantier naval, j'ai demandé à ce qu'on envoie les meilleurs architectes au Palais des Neufs pour s'entretenir avec Yse personnellement.

Elle parlait vite, avec une nervosité frivole qui rappelait les premières heures de leur rencontre, à l'époque où elle n'était qu'une jeune fille ingénue, certes douée pour le commerce, mais sans la moindre once de malice en elle. Depuis, elle avait sciemment torturé un homme en le lacérant sans merci, avant d'orchestrer sa chute au sens propre comme au sens figuré. Son enthousiasme était un paravent bien fragile qui dissimulait à grand peine l'horreur de ses actes.

Après avoir terminé de raconter ce qui l'enchantait à ce point, elle nota que Tarik ne partageait pas vraiment son énergie. Il ne s'était jamais caché de mépriser les questions commerciales, mais elle comprit qu'il y avait autre chose. Sa voix se fit plus basse, alors qu'elle comprenait ce que les mots n'avaient guère besoin d'exprimer :

- Tu t'en vas, c'est ça ?

Elle avait toujours su que ce moment viendrait tôt ou tard. Tarik et elle n'appartenaient pas au même monde, il ne pouvait rester. Et pourtant, elle lui devait tellement. Tellement… Sans lui, elle serait probablement morte dans l'incendie de sa maison. Ou morte dans les collines du Harad. Morte sur la route, ou dans le bureau de Shahib. Morte un millier de fois, de mille façons différentes. Elle n'oubliait pas qu'il avait été envoyé pour agir contre elle, et qu'il avait été le déclencheur de tous ses malheurs, mais depuis il avait payé sa dette… Il s'était acquitté de sa tâche avec noblesse, et avait contribué à les sauver tous les deux, même quand elle avait perdu espoir.

Aucun « merci » ne pourrait traduire l'étendue de sa gratitude, mais elle avait néanmoins un présent pour le guerrier. Elle se leva et se saisit d'une lame qui trônait sur un râtelier. L'épée familiale des Nakâda, un bien précieux qui semblait avoir traversé les âges. Pendant un instant, elle lut le doute dans l'esprit du marchand. Décidément, il ne lui ferait jamais totalement confiance. Elle lui tendit l'épée par la garde, afin d'apaiser ses craintes, et lui souffla :

- Cette lame est dans ma famille depuis des générations. Arriandalazar, « la Reine sous les Flots ». Elle fut forgée dans l'ancien monde, et il est dit qu'elle ne se brisera jamais ni jamais ne perdra de son tranchant. Elle appartenait à son père, puis elle fut brandie par mon frère, et elle m'a échu quand le temps fut venu. J'ai conscience qu'il ne s'agit pas d'une arme discrète, mais je gage qu'elle sera plus utile entre tes mains expertes qu'entre les miennes.

L'arme, en effet, n'était pas de celles que l'on pouvait cacher facilement dans une manche ou une ceinture. Ce n'était pas une arme d'assassin, mais plutôt une fine lame pleine de noblesse, de celles qu'on utilisait pour affronter un adversaire en face, les yeux dans les yeux. La noblesse, le guerrier en avait fait preuve ces derniers temps, et il avait laissé derrière lui une partie de son enseignement pour embrasser un chemin nouveau. La guerre, il pouvait désormais la faire aussi bien dans l'ombre que dans la lumière. Ce cadeau symbolisait ce passage. L'épée finement ouvragée était une arme de guerre, qui avait déjà tué à l'évidence, mais elle arborait aussi de fines inscriptions qui s'enroulaient sur la lame, comme des incantations.

- C'est du vieil adûnaic, la langue des anciens Núménoréens. Il est écrit « voici la lame qui brise les chaînes, voici l'épée du serment ». Et sur l'autre face, est inscrite une phrase dont le sens s'est perdu depuis des lustres. Elle dit « quand viendra l'heure après la nuit, l'acier qui a croisé le fer brisera l'or et l'argent ». Je suppose qu'il est ironique que cette arme soit restée tout ce temps entre les mains d'une famille de marchands, n'est-ce pas ?

Elle n'avait jamais compris le sens de ces paroles. Elle avait espéré le découvrir, mais cela lui semblait hors de sa portée, et quelque part Tarik lui apparaissait comme la personne la plus indiquée pour cela. Il trouverait le courage de mener cette lame sur le chemin de la vérité, et peut-être parviendrait-il à « briser l'or et l'argent ». Lucinia lui déposa aussi un document entre les mains, un petit parchemin qu'elle avait pris soin de rouler sur lui-même et de cacheter.

- Voici ton sauf-conduit pour te rendre jusqu'à Al'Tyr. Deux de mes navires partent aujourd'hui, trois autres demain. Tu es libre de monter à bord de n'importe lequel d'entre eux, les capitaines te feront le meilleur accueil grâce à ce document.

Tout était prévu. Tarik retrouvait enfin sa liberté. Lucinia le regarda droit dans les yeux, sans savoir ce qu'elle allait trouver dans ses pupilles trop souvent fermées. L'assassin n'eut aucun mal à lire l'émotion dans le visage de la grande marchande. Elle était attristée de le voir partir, comme si une page de son existence se refermait définitivement sur son innocence et sur ces jours heureux. Sans vraiment réfléchir, elle s'approcha du guerrier, et lui déposa un baiser affectueux sur la joue.

- Sois très prudent, là-bas. Qu'il ne t'arrive rien.

Elle passa une main sur son bras, mais elle ne pouvait le retenir. Ils étaient appelés par deux destins différents, et elle ne pouvait lutter contre cette force qui était déterminée à les séparer. Alors ils restèrent là un long moment, à contempler leur passé, leur présent et leur avenir.

Et tout ce qu'ils perdaient.


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Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! Nesrin10

Nesrine et Za'Shin discutaient de manière animée – comme souvent – en envisageant la suite de leur voyage. Ils s'interrompirent en voyant Tarik arriver. Le guerrier se remettait de ses blessures, et il aurait tout le loisir de récupérer à bord d'un des navires de la nouvelle grande marchande. Les deux voyageurs étaient au courant des dispositions prises par Lucinia, et ils ne s'étonnaient pas de voir l'assassin partir. Ils étaient même surpris qu'il fût resté à Umbar si longtemps.

- C'est l'heure de nous dire au revoir, si j'ai bien compris ?

Nesrine n'avait jamais fait dans la dentelle, mais derrière son voile on décelait tout de même une pointe de regret. Elle était une guerrière solitaire, mais elle avait apprécié la compagnie de Tarik, et ce qu'il avait apporté à leur petit groupe : de la discipline, de la rigueur. Ce qui lui manquait précisément. Cependant, elle savait aussi qu'il appartenait à la Guilde des Ombres, et qu'il n'était pas soumis à son libre-arbitre. Il n'était qu'une arme au service des plus célèbres assassins d'Al'Tyr, et il ne pouvait pas parcourir les routes à sa guise, pour mener sa vie comme il l'entendait. Il n'était pas exclus, d'ailleurs, qu'il se retrouvassent opposés à l'avenir, si d'aventure leurs chemins venaient à se croiser de nouveau. Elle ne put s'empêcher de le lui faire remarquer :

- J'espère que tu seras remis sur pied la prochaine fois qu'on se verra… cela me dérangerait de devoir botter les fesses d'un estropié.

La provocation était amicale, et tira un franc sourire à Za'Shin, qui donna une tape sur l'épaule de la guerrière, avant de tendre la main à Tarik.

- Ne l'écoutez pas, elle dit n'importe quoi, comme d'habitude. Merci, Tarik d'Al'Tyr, ou peu importe comment vous vous appelez. Vous avez accompli votre mission ici, d'après ce que j'ai cru comprendre, mais surtout vous avez accompli de nobles actes. Vous avez protégé Lucinia, vous avez restauré cette marchande dans ses droits, et vous avez permis à Nesrine et à moi d'obtenir notre vengeance.

Za'Shin ne s'était jamais ouvert sur la question, mais à plusieurs reprises il avait laissé entendre que lui aussi avait des raisons de détester le Requin. Les choses étaient peut-être trop douloureuses pour lui permettre d'en parler, mais la gratitude dans son regard était éloquente.

- Le Harad dominerait le monde depuis bien longtemps, s'il était peuplé de plus de gens comme vous. N'oubliez pas qui vous êtes, Tarik. N'oubliez pas.

Il posa une main sur le torse de l'assassin, un signe de paix de la part de certains peuples du Harad. Un encouragement aussi. Nesrine se leva à son tour, affichant un air moins moqueur que précédemment. Les paroles de Za étaient touchantes, et méritaient qu'elle se mît au diapason. Alors elle posa sa main sur l'épaule du guerrier de manière très virile, et lui souffla :

- Comme le dit l'autre idiot, n'oubliez pas qui vous êtes. Les Ombres ne détiennent qu'une partie de la vérité… c'est à vous de l'explorer complètement. Vous savez, le monde est vaste. Quoi qu'il en soit, faites bon voyage jusqu'à Al'Tyr, et prenez soin de vos blessures. Et ne mourez pas avant que nous nous retrouvions.

Elle haussa les épaules, et pour la première fois montra un visage très humain. Elle avait trouvé en Tarik un allié précieux et un rival de valeur. Elle espérait sincèrement le croiser de nouveau, quand ils auraient laissé cette sinistre histoire derrière eux, et qu'ils auraient tout deux évolué. Les adieux n'étant pas son fort, elle s'éclipsa bientôt, préférant gérer seule ses émotions contradictoires, et réfléchir à ce qu'elle ferait par la suite. Maintenant qu'elle avait obtenu sa vengeance, elle devait trouver un sens nouveau à sa vie.


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Elle avait fait son paquetage, qui contenait quelques vivres, une tenue de rechange, et assez d'eau pour survivre trois jours. D'ici là, elle espérait bien repérer un point d'eau potable, ou obtenir l'aide qui lui avait été promise. En apprenant la nouvelle de la mort de Khaan, la situation lui avait paru évidente. Son protecteur était mort, et elle ne pouvait plus compter que sur elle-même pour survivre. Survivre, et protéger son père qui était toujours plongé dans un état très grave.

Elle se pencha vers le chariot où reposait son corps embaumé.

- Père ? Vous m'entendez ?

Il ne répondit pas. Les drogues qu'on lui administrait pour endiguer la douleur l'assommaient régulièrement, et elle savait que dans ces moments il n'était pas utile d'insister. Par réflexe, cependant, elle lui parlait en imaginant que dans son sommeil agité il l'entendait néanmoins :

- Nous allons trouver un lieu sûr, vous verrez.

- Camila ?

La voix la fit sursauter, et elle se retourna en portant par réflexe la main à son arme. En la voyant faire, il écarta les mains pour montrer qu'il venait en paix, et elle s'en voulut presque d'avoir réagi ainsi. C'était un homme de la garde d'Umbar. Un ami de son père, qu'elle connaissait de vue, et qui ne lui ferait jamais le moindre mal.

- Tout va bien, Camila, ce n'est que moi. J'ai négocié avec les gardes, ils te laisseront passer sans poser de questions… Tu es vraiment sûre que tu veux quitter Umbar ?

Elle hocha la tête. Il n'était pas le premier à lui poser la question :

- Oui, c'est plus sûr ainsi. Nous avons de la famille en-dehors d'Umbar, j'irai les trouver et leur demander de l'aide. Je veux juste reconstruire une vie simple, et m'occuper de mon père.

Le soldat acquiesça, et n'ajouta rien. Camila baissa les yeux un instant. Elle n'aimait pas mentir. Elle savait au fond de son cœur qu'elle ne pourrait jamais se satisfaire de la situation telle qu'elle était. L'homme qui avait détruit son existence courait toujours, et avait eu l'audace de se pavaner à Umbar après avoir contribué à la chute de Shahib le Requin. Elle n'avait aucune idée de son identité, mais elle savait deux choses à son sujet : il appartenait à la Guilde des Ombres – cela, Khaan le lui avait confirmé –, et il était basé à Al'Tyr. Elle était patiente, et elle trouverait bien le moyen de le tuer un jour.

Elle s'en était fait la promesse…


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HRP : Voilà la conclusion de ce scénario, que nous avons quand même ouvert le 20 juin 2016 ! C'est toujours plaisant d'arriver au bout de ce genre d'entreprises, et ça aura beaucoup fait grandir nos deux personnages. A partir de là, je laisse Issam faire ses adieux à Umbar, et tu peux enchaîner à Al'Tyr comme tu le souhaites pour l'intégration dans la Guilde des Ombres (considère que c'est validé haha). La question de Camila reste en suspens, on verra à l'avenir comment elle reviendra te hanter haha.

Super RP en tout cas ! J'ai cru comprendre qu'il y avait un certain marchand vers Djafa qui avait besoin qu'on aille lui secouer les puces, n'hésite pas Wink
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Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Si la Mort a Mordu    Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 20 Juin 2016 - 14:26
Si les matins de grisaille se teintent



De loin, Umbar ressemblait à une gigantesque fourmilière dont la logique ne pouvait pas être comprise par un esprit humain. Les structures anarchiques, chaotiques parfois, qui peuplaient les quais et les quartiers pauvres de la ville, jouxtaient les constructions plus anciennes, datant du temps des Numénoréens. Les habitants, venus de partout en Terre du Milieu, vaquaient à leurs occupations comme une horde grouillante et bruyante, chacun animé par une volonté propre, mais finalement soumis aux impératifs du Destin qui semblait guider les pas du plus noble au plus humble. Le port était l'incarnation de la puissance de la ville, et il aurait été impossible de compter le nombre de navires qui entraient et sortaient, chargés de marchandises précieuses ou vitales. Les vaisseaux des Corsaires, plus fins, plus élancés, au profil racé comme des chevaux de course taillés pour fendre la houle et prendre le vent, filaient en ondulant sur les vagues comme s'ils bondissaient par-dessus des obstacles mouvants. Les navires marchands, plus lourds et plus imposants, se laissaient porter tranquillement par les flots qui paraissaient même incapable de faire vaciller ces grandioses créations humaines. Ils entraient dans le port en portant sur leur dos des marins las, heureux de retrouver la terre pour quelques semaines. Ils agitaient les bras, minuscules personnages juchés sur le dos de gigantesques monstres de bois à la placidité relaxante.

La cité était devenue sans y paraître la plus active de la Terre du Milieu, et la guerre contre l'émirat du Harondor avait ramené jusqu'à la demeure des Seigneurs Pirates les mille et une richesse de la magnifique cité de Dur'Zork. Cette dernière avait été pillée, comme bien d'autres cités qui n'avaient pas voulu se soumettre. Les esclaves, capturés, avaient été ramenés sur le premier marché d'hommes d'Arda, devant même celui d'Albyor au Rhûn. Les navires qui sillonnaient les côtes en razziant les villages ne s'étaient jamais montrés aussi audacieux, et ils ramenaient un butin toujours plus grand à Umbar, le cœur du Sud qui battait à tout rompre.

Certainement, la ville était bien différente d'Al'Tyr. Plus agitée, plus colorée. Plus dangereuse aussi, dans un sens. Des prostituées sillonnaient les rues en proposant leurs charmes aux marins qui venaient de poser pied à terre, ou aux marchands qui arrivaient en ville par la porte du Nord. Certaines ne revenaient jamais de leurs passes, battues à mort par des hommes ivres d'alcool et de violence, qui déversaient sur elles leur frustration, leur colère et leur envie de meurtre. Parfois, c'étaient les clients eux-mêmes qui ne revenaient pas, saisis en plein ébat par une lame argentée qui venait se glisser contre leur gorge. La caresse glacée de la mort les gelait instantanément, figeant leur souffle et leurs pensées pour toujours. A défaut d'être courants, les assassinats n'étaient pas rares. Et pourtant, la ville restait un lieu agréable par bien des aspects. Les étals chaleureux où la population pouvait apprécier les richesses venues des quatre coins du monde. Des artisans au talent incroyable se massaient ici, certains attirés par l'opportunité de s'enrichir considérablement, d'autres amenés contre leur gré dans une cité qu'ils ne pouvaient désormais plus quitter.

C'était dans cet endroit bien étrange que Issam avait pénétré, et conformément aux instructions qu'il avait pu recevoir il avait réussi à trouver une auberge miteuse dans un quartier relativement moins mal famé que les autres. Ce n'était pas luxueux, et son lit avait autant de puces que les autres, mais il avait moins à craindre ici qu'ailleurs, car un solide gaillard gardait la porte d'entrée et s'assurait que personne ne venait apporter du désordre à l'intérieur. Le patron, encore plus costaud que son molosse bipède, avait penché un regard peu amène sur Issam lorsque celui-ci était venu se présenter à lui – comme on lui avait demandé de le faire. Il lui avait indiqué sa chambre, et lui avait glissé l'air de rien :

- Je vous ferai appeler si quelqu'un vient pour vous.

Cela n'avait pas tardé. Issam avait eu une demi-douzaine d'heures à sa disposition pour se remettre de son voyage et s'installer quelque peu, avant qu'on vînt le chercher. La nuit menaçait de tomber sur la cité, qui se parait de centaines de flammes allumées par des lanterniers. Ces gens-là en savaient toujours plus qu'ils ne voulaient le laisser croire. A cette heure-ci, les gens de mauvaise vie sortait de leur tanière, protégés par l'obscurité, et ils allaient discuter de ces choses dont on ne peut même admettre l'existence en d'autres circonstances. Les assassinats, les missions secrètes… personne n'était du genre à vouloir reconnaître qu'il trempait là-dedans, pour sûr. Le jeune assassin découvrit qu'on avait envoyé une jeune fille ravissante pour l'accueillir. Elle n'était pas seulement ravissante à cause de son visage, lequel n'était pas d'une beauté si pure qu'elle aurait pu faire chavirer le cœur d'un homme d'un simple regard. Elle était, cependant, apprêtée et soigneusement maquillée. Assurément, elle servait quelqu'un de puissant. Elle ne put cacher son malaise en se retrouvant face à un assassin, craignant sans doute inconsciemment qu'il ne la prît pour cible, ignorant tout de l'entraînement que les Ombres recevaient pour précisément dompter leurs émotions.

- Sire, si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre…

Elle s'inclina légèrement, descendit l'escalier en se retenant prudemment à la rambarde. Sa robe était de qualité, quoique loin d'être ostentatoire, et elle devait prendre soin de ne pas glisser avec ses chaussures délicates. Une fois arrivée en bas, elle salua le patron d'un geste doux de la main, et il lui fit amener sa veste qu'elle referma sur ses épaules. Elle rabattit un capuchon sur ses cheveux bruns, et non sans jeter un regard en arrière pour s'assurer que l'assassin la suivait bien, elle se glissa dans les rues silencieusement.

Très silencieusement.

Elle ne pipa mot de tout le trajet, lequel s'avéra plus long que prévu. Elle marchait relativement lentement, et cela donna le temps à Issam d'observer les environs, de noter quelques détails de ci de là. Umbar était une ville incroyablement vivante, et même à cette heure de la nuit on pouvait voir bien des choses. Des personnages curieux qui entraient et sortaient de maisons en regardant par-dessus leur épaule tels des conspirateurs, des marins déjà ivres qui pourtant ne faisaient que débuter leur soirée, ou encore des gardes – car oui, il y avait bien une forme d'autorité incarnée par les Seigneurs Pirates – qui déambulaient dans les rues en n'attirant pas davantage la crainte que les rats qui couraient d'un tas d'ordures à un autre.

Cependant, ce n'étaient pas dans les ténèbres que le conduisait la jeune fille, qui bifurqua bientôt vers des quartiers plus propres, moins fréquentés, et plus éclairés. Ils montèrent en pente douce pendant quelques temps, et s'arrêtèrent bientôt devant une maison de belle taille dont le style était curieux. Les fondations étaient de grosses pierres pâles, larges et lisses, tandis que le haut de la structure était complètement différent. Comme si on avait bâti un nouveau genre de demeure sur les ruines d'un ancien palais. Le contraste était intéressant, pour ne pas dire révélateur, mais ce n'était pas pour l'architecture que le jeune Issam était venu. Il pénétra à l'intérieur, et changea subitement de décor. L'entrée était vraiment superbe, faite de marbre et de bois précieux. Sur les murs bien éclairés par des torches placées stratégiquement et des miroirs qui en reflétaient la lumière, on voyait de magnifiques tentures qui coloraient le grand hall d'entrée. L'assassin, assurément, tranchait avec le décor dans lequel il venait de pénétrer comme une tâche d'huile sur un canevas immaculé. Fort heureusement, il n'était pas le seul dans ce cas, et deux hommes d'armes visiblement expérimentés prirent le relais de sa jeune hôte. Elle s'éclipsa dans une pièce adjacente, tandis qu'il était conduit de l'autre côté, vers un salon où on lui demanda de s'asseoir.

- Désirez-vous un verre de vin, Sire ?

Un serviteur venait de se matérialiser à ses côtés, aussi discret qu'un Maître Assassin. Il tenait entre les mains un plateau d'argent sur lequel trônait un verre et une carafe d'un liquide rouge comme le sang. Il déposa le tout sur un guéridon, servit le jeune apprenti, et s'effaça avec un professionnalisme incroyable. Issam attendit donc devant des fauteuils vides, pendant quelques minutes qui s'étiraient en longueur. Derrière lui, les deux gardes s'étaient postés de sorte à pouvoir garder un œil sur ce qu'il faisait sans pour autant se montrer menaçant. Ce n'était qu'une sécurité compréhensible, et cela signifiait qu'ils prenaient leur invité au sérieux. Finalement, une porte s'ouvrit au fond de la pièce, et trois hommes firent leur apparition.

Ils étaient riches, à n'en pas douter.

Tous avaient l'air incroyablement banal, cela dit. Des marchands fortunés, qui investissaient leur profit dans des tenues élégantes et coûteuses pour faire bonne impression auprès des pauvres qu'ils croisaient dans la rue. Ils s'avancèrent tranquillement, et saluèrent l'apprenti avec une froideur qui ne devait rien à leur manque de sympathie ou à la peur. Ils étaient tendus pour une autre raison.

- C'est donc vous… Oui, vous avez l'air assez jeune.

Celui qui s'était installé reprit son camarade, assis à sa gauche :

- Peut-être, avant toute chose, devrions-nous lui expliquer pourquoi il est ici. Puis, revenant à Issam, il enchaîna : Bienvenue, et désolé d'avoir dû vous convoquer ainsi. Nous avions besoin de nous assurer que vous étiez, eh bien… la bonne personne.

Celui de droite poursuivit :

- Oui, nous ne pouvions pas nous permettre de recruter n'importe qui. L'affaire qui nous occupe est très importante pour nous, et nous avons déjà essuyé quelques revers en faisant confiance à des individus qui se sont révélés incapables de faire preuve de… tact.

L'homme au centre, qui semblait être la tête pensante du groupe – et qui de toute évidence habitait les lieux, car il fit venir le serviteur d'un geste – expliqua plus en détail :

- Nous n'allons pas vous faire perdre votre temps. Nous avons souhaité qu'on nous envoie quelqu'un de jeune, qui soit capable de négocier une affaire délicate en notre nom. Nous ne souhaitons la mort de personne… enfin… cela ne signifie pas que nous ne pourrions pas avoir besoin de vos talents, mais… voici l'affaire qui nous occupe. Nous souhaiterions que vous vous rapprochiez d'un de nos concurrents, que vous fassiez sa connaissance, que vous vous introduisiez dans son cercle, et que vous dénichiez en fin de compte des éléments qui nous permettront de racheter son affaire. Les choses vont très bien en ce moment, et le commerce naval – notre domaine d'expertise – est en plein essor. Nous souhaitons acheter son entreprise, au prix le plus bas possible, mais il n'est pas envisageable de procéder à un assassinat. Un membre de sa famille hériterait de tout, et ne serait peut-être pas disposé à vendre. Est-ce que vous comprenez pourquoi tout ceci est très délicat ?

Les choses l'étaient en effet. Un peu trop de pression risquait de compromettre toute l'opération, et il allait falloir faire preuve d'ingéniosité et de délicatesse. Ce n'était pas vraiment pour de telles missions que le jeune homme avait été formé, mais il ne pouvait pas vraiment refuser. S'il échouait, il n'obtiendrait jamais son titre d'assassin, et il n'aurait plus aucun avenir dans la Confrérie. Les perspectives n'étaient pas réjouissantes dans ce cas.

- Votre cible est une femme, il s'agit de Lucinia Nakâda. Vous la trouverez normalement autour de…


~ ~ ~ ~

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Les quais étaient très animés en cette matinée relativement grisâtre, peuplés par des centaines de matelots en plein préparatifs. Il faisait toujours bon pour la saison, et l'été paraissait vouloir durer plus que de raison, mais de sombres nuages pointaient à l'horizon. Des nuages qui faisaient écho à ceux qui se trouvaient dans le cœur de la jeune femme très élégante qui attendait là. Elle était en pleine discussion avec un homme qui lui rendait une bonne tête, et qui pourtant paraissait écouter ce qu'elle avait à dire avec beaucoup d'attention. Lui, visiblement marin sur le départ, et elle jeune femme délicate… Ils avaient l'air d'un couple improbable sur le point de se séparer, et un observateur extérieur aurait pu être trompé par les émotions qu'ils ressentaient en ce moment. Elle posa une main sur son bras :

- Capitaine, je vous en prie soyez prudent…

- Tout ira bien, madame. Nous ferons attention, et nous ramènerons le navire chargé d'autant de biens que possible, je vous assure.

Elle baissa la tête, et se mordit la lèvre :

- Ce n'est pas la marchandise qui m'inquiète… Le Lueur de Vermeil, son équipage, vous… Je ne veux pas qu'on m'annonce une nouvelle disparition. S'il y avait une autre solution… Oh, Capitaine, si seulement je pouvais être sûre que…

- Madame, je vous en prie. Rien n'est sûr dans ce monde, et nous n'avons pas le choix que d'essayer. Votre père a beaucoup fait pour moi, et même si nous avons perdu une partie de l'équipage, ceux qui restent sont déterminés. Nous reviendrons bientôt, et tout ira bien. D'ailleurs, qu'en est-il du Mille Soleils ?

Elle nota la manœuvre pour changer de sujet, mais se laissa guider vers cette nouvelle conversation pour justement ne pas céder aux larmes. Elle avait eu quelques bonnes nouvelles de ce côté, et elle était heureuse de pouvoir en parler. Accrochant un sourire qu'elle voulait sincère sur son visage, elle lui expliqua :

- Nous avons réussi à accélérer les réparations, et les choses avancent bien. L'équipage est toujours prêt à travailler, et nous avons recruté de nouveaux marins. Je ne sais pas encore quand est-ce qu'il pourra prendre la mer, mais on m'a dit que cela ne saurait tarder. Quand il pourra voguer, je pense que les choses iront un peu mieux…

- Vous voyez ? Les choses s'arrangent.

Elle eut un sourire timide, et il lui posa une main sur l'épaule, avant de rejoindre son équipage qui achevait les préparatifs pour le départ. Lucinia resta sur le quai à les observer, l'inquiétude peinte sur son visage. Son regard se perdit dans le lointain quand le Lueur de Vermeil quitta le port et acheva de disparaître à l'horizon. Elle demeura là un instant, adressant des prières silencieuses au Destin qui semblait gouverner la cité. Elle demeura là, frissonnant comme si un froid insidieux refermait ses griffes autour de son corps frêle. Elle demeura là.

Silhouette solitaire au milieu de la foule qui gravitait autour d'elle.

#Lucinia #Issam
Sujet: Tales Of Umbar
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tales Of Umbar    Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 6 Fév 2016 - 7:50
Lucinia lut le message une seconde fois, pour s'assurer qu'elle n'avait pas cauchemardé tout cela. Ce n'était tout simplement pas possible. Les lettres tressées avec soin à l'encre noire, entrelacées comme des amants figés sur le papier froissé et de mauvaise qualité, formaient des mots qui résonnaient douloureusement dans son esprit. Elle crut qu'elle allait défaillir. Etait-ce seulement possible ? Encore ! Pendant un instant son esprit voulut croire à une mauvaise plaisanterie, à une farce de très mauvais goût qui avait pour seul objectif de lui faire peur. Oui, c'était cela : on voulait lui faire peur. Puis sa raison reprit le dessus. C'était bien la réalité.

- Ce n'est pas possible…

Ce furent les seuls mots qui purent sortir de sa bouche. Le choc était trop grand. Cette mauvaise nouvelle venait s'ajouter à une liste déjà bien longue. Des événements analogues s'étaient déjà produits par le passé, mais ils étaient survenus de plus en plus souvent ces temps-ci. La campagne militaire des hommes de Taorin avait mobilisé de très nombreuses ressources envoyées vers le Nord, le territoire de l'Usurpateur, pour alimenter les immenses régiments de mercenaires, de pillards du désert, de pirates et autres crapules. Le commerce avait connu un essor sans précédent, et les liens s'étaient renforcés entre Umbar et les principales cités du Sud du Harondor, libérées en premier. Celles qui avaient rejoint de leur plein gré l'alliance suderone avaient été les mieux servies, et elles avaient bénéficié de nombreux avantages. Les autres, sans doute surprises par la victoire remportée par ce qui n'était après tout qu'une horde hétéroclite de guerriers sans étendard, avaient subi quelques changements politiques effectués sous la contrainte. Les dissidents les plus farouches avaient été emprisonnés ou exécutés, leurs partisans dispersés ou déportés. Certains étaient en fuite avec les reliques de l'armée du Harondor, mais beaucoup s'étaient simplement réfugiés dans les campagnes pour y échapper aux persécutions.

Les nouveaux territoires, conquis au prix du sang du Harad, avaient ouvert de nouvelles opportunités commerciales. Les marchands d'esclaves, principalement, se battaient comme des acharnés pour embarquer leurs marchandises le plus rapidement possible sur les grandes barges de transport qui ramèneraient toutes ces pauvres âmes à Umbar. Les milliers d'esclaves nouveaux étaient parqués sur les quais, attendant d'être négociés à un prix avantageux, et d'être déportés loin au Sud, loin de leurs familles, loin de leurs attaches. Les barges marchandes n'étaient pas les types de navire les plus courants dans la Cité du Destin, qui privilégiait les navires plus petits et plus rapides, capables d'effectuer des raids sur les côtes. Alors forcément, la compétition entre les transporteurs s'était faite plus rude. Plus intense. Plus violente aussi. Sur les deux derniers mois, Lucinia avait perdu la moitié de sa flotte. Trois navires avaient tout simplement disparu corps et biens, et elle avait été contrainte de rembourser les marchands mécontents qui étaient venus frapper à sa porte en vociférant. Ce n'étaient pas seulement trois pièces de bois de grande valeur qui avaient sombré : c'étaient aussi trois capitaines valeureux, que Lucinia connaissait personnellement et dont elle avait dû rendre visite aux familles ; c'étaient aussi trois équipages dévoués et fidèles, dont elle avait dû indemniser les proches.

Et maintenant, voilà qu'on n'avait pas de nouvelles du Siècles d'Or. Il n'avait pas été aperçu au point de rendez-vous où il devait récupérer sa seconde cargaison, et la missive lui indiquait que le marchand était très impatient, qu'il menaçait de demander à être remboursé. Elle connaissait Larkim, le Capitaine du Siècles d'Or : il n'aurait jamais pris autant de retard. Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose…

Lucinia ne céda pas aux larmes, bien qu'elle sentît le désespoir s'emparer de son cœur. Il ne lui restait plus que deux navires, et le Lueur de Vermeil était pour le moment le seul en mesure de prendre la mer. Le commerce qu'elle tenait était sur le point de s'effondrer, ses créanciers commençaient à sortir leurs griffes, et elle sentait que bien des entraves pesaient sur elle. Pire encore, elle avait reçu une lettre de son père un mois auparavant, qui lui demandait de lui avancer encore plus d'argent, pour se tirer d'un quelconque mauvais pas dans lequel il s'était fourré. Certaines fois, elle ne supportait tout simplement pas son attitude, et elle comprenait que sa mère refusât de le voir. Le temps passait, mais il ne changeait pas. Ainsi était-il né. Mais était-ce vraiment certain ? Un doute la saisit. Un espoir aussi. Oui, peut-être que… Elle s'assit à son bureau, prit une plume et un morceau de papier, avant d'écrire frénétiquement, gribouillant sans vergogne, raturant sans honte. Elle ne choisit pas les mots avec le même soin que d'habitude, se contentant de parler avec le cœur :

Citation :
Père, Papa,

Les choses vont très mal, ici. Je ne sais pas où commencer, tant les malheurs qui me tombent dessus sont nombreux. Je crois que suis sûre que nous n'allons pas nous en sortir, cette fois. Comme tu n'as pas répon J'ignore si tu as reçu ma dernière lettre, ou si elle s'est encore égarée en chemin, mais nous avons perdu un quatrième navire. Le Siècles d'Or n'a plus donné signe de vie, et je crois que Larkim est mort. Sa femme m'en a voulu, et elle m'a lancé une malédiction : « vous ressentirez la même peine et la même souffrance que toutes ces familles que vous endeuillez » m'a-t-elle dit. J'ai peur que

Le sort s'acharne, les dettes s'accumulent, et les propositions se multiplient. Je les rejette pour le moment, mais quel choix aurai-je quand les créanciers viendront réclamer leur dû ? Même Lumière ne peut pas tenir éloignée les ennuis indéfiniment. J'ai dû faire voyager le Lueur de Vermeil en assumant de grosses pertes, simplement pour garder l'équipage qui nous t'est fidèle. Les marins ont accepté de réduire leur salaire parce qu'ils aiment ce navire, et qu'ils t'apprécient. Mais il y a du travail ailleurs pour eux, et je ne leur en voudrais pas de ils sont libres de quitter leurs choix.

Papa, je t'en prie, reviens. Je t'ai supplié de revenir pour moi, mais j'ai compris avec le temps que tu te fichais avais d'autres affaires à régler. Aujourd'hui je te supplie encore, au nom de tout ce que tu as construit et qui aujourd'hui est sur le point de disparaître. Iras-tu jusqu'à sacrifier toutes ces années de labeur dans ta quête ? Ne voudrais-tu même pas

Je t'aime, Papa, et je t'enverrai le peu qu'il me sera possible. En retour, je t'en supplie, rentre à la maison.

Ta fille,

Lucinia N.


Tag lucinia sur Bienvenue à Minas Tirith ! Lucini10

Elle n'était pas du genre à craquer facilement, mais en relisant cette lettre brouillonne et sans charme, elle sentit une boule d'émotion se nouer dans sa gorge. Elle avait l'impression d'être redevenue une enfant apprenant à écrire, avec toutes les ratures qui marquaient les errements de sa pensée. Elle était sincèrement confuse, et cette lettre trahissait parfaitement son état d'esprit. Elle ne savait plus où elle en était. Elle décida de n'y apporter aucune correction, et de l'envoyer en l'état à son géniteur. S'il avait un peu de compassion, un peu d'amour pour sa famille, il lui ferait signe. Elle ignorait si un tel ultimatum était souhaitable, et elle préférait ne pas penser à ce qu'elle ressentirait s'il ne répondait pas. Perdrait-elle l'immense amour qu'elle éprouvait pour son père ? Elle pouvait toujours trouver des navires, des équipages, des capitaines et des frégates. Sa mère avait bien trouvé un autre mari. Mais elle pauvre jeune fille propulsée trop tôt dans les terreurs de l'âge adulte, n'avait qu'un seul père. Absent, certes. Bourré de défauts, effectivement. Mais c'était le sien.

#Lucinia
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