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 Un os dans le Palais [Flashback]

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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Un os dans le Palais [Flashback] EmptyVen 8 Aoû 2014 - 19:38
Récit de la prise du Palais de Radamanthe - 300 QA

Il m'a toujours semblé difficile de déterminer avec certitude à quel moment une bataille pouvait être considérée comme terminée. Celle qui s'était déroulée devant Dur'Zork avait été d'une rare violence, et les morts se comptaient par milliers, ce qui n'aidait pas à proclamer un vainqueur. L'assaut des troupes de Radamanthe, bien mieux équipées et bien mieux préparées pour ce genre de missions avait été dévastateur, et beaucoup des fantassins réquisitionnés dans les rangs de Taorin avaient perdu la vie, notamment les esclaves placés en première ligne, qui avaient été décimés comme il était de coutume quand on "recrutait" des "auxiliaires" de cette qualité. Les malheureux n'avaient même pas d'armure digne de ce nom, et leurs armes étaient tout juste bonnes à effrayer des enfants. Ils étaient malingres et dépenaillés, placés en face d'une cavalerie lourde lancée à pleine vitesse. Le choc avait été rude, et le fracas de la bataille nous était parvenu alors que nous nous trouvions encore dans l'enceinte de la ville. Je n'avais pas eu le temps d'observer le déroulement des combats, toutefois, et j'avais pris la décision - en tant que chef des infiltrés - de prêter main-forte aux pirates qui avaient réussi à pénétrer dans la cité.

Ils avaient subi de lourdes pertes, terrassés par les miliciens - c'était dire l'incompétence de ces bandits de grands chemins que l'on peinait à appeler soldats - qui avaient de toute évidence reçu un excellent entraînement, et qui avaient su compenser leur faible nombre par une organisation sans faille. Les pirates s'étaient pour la plupart débandés, et ma tâche avait été de retrouver les survivants, et de les réorganiser. Avec Agathe, nous effectuâmes un travail de sape dont l'efficacité ne nous apparût pas immédiatement. En effet, seuls face à une si grande cité, sans avoir la certitude que nos actions allaient servir à quelque chose, nous étions livrés à nous-mêmes et obligés de croire en la victoire de Taorin. Les pirates désorganisés que je retrouvais avaient pour mission d'incendier les bâtiments stratégiques de la ville : la caserne, les stocks d'armes et de flèches, de saboter les machines de guerre qui protégeaient la forteresse, en somme de provoquer le chaos chez les militaires pour les désorganiser. S'ils pouvaient éliminer des gardes en faction, ils avaient ordre de le faire sans hésiter, afin de semer un peu plus la confusion.

Incroyable ce que l'on pouvait faire avec un arc, quelques flèches, et beaucoup de volonté. Nous approchant d'un mur, il m'avait suffi de tirer dans le torse d'une sentinelle, trop occupée à observer le champ de bataille au loin. Ses compagnons avaient donné l'alerte, et rapidement un contingent de miliciens avait rappliqué, mais n'avait trouvé personne : nous étions déjà loin. Et de toutes parts dans la ville, des hommes isolés ou en petit groupes s'occupaient de faire perdre la tête aux officiers en charge de la défense de la cité. Des traques étaient organisées, mais le gros des troupes était au dehors désormais, et il n'y avait pas assez de soldats pour protéger l'entièreté de la ville, qui semblait céder à la panique. Des incendies se déclenchaient un peu partout, et les habitants qui sortaient dans les rues pour les endiguer gênaient le travail des gardes, incapables de savoir où donner de la tête. Il suffisait de porter un seau pour être habilité à circuler partout dans la cité, ce qui ne m'empêchait pas de commettre quelques meurtres ici ou là. A dire vrai, la présence d'Agathe à mes côtés fut d'une grande aide, car un homme et une femme courant avec empressement dans la ville avaient naturellement l'air moins suspects qu'un individu seul cherchant à échapper à la garde.

Cela ne nous empêcha pas d'être pris à partie par des soldats par deux fois, mais nous nous en débarrassâmes avec facilité : il suffisait de s'arrêter et de les laisser approcher en leur faisant croire que nous étions des civils tout ce qu'il y avait de plus banal. Et, quand ils baissaient enfin leur garde, il n'y avait plus qu'à les poignarder rapidement. Nous ne prîmes même pas la peine de cacher les corps, considérant qu'un vent de panique plus important encore se répandrait si on trouvait ici ou là des cadavres de soldats. On se demanderait qui avait pu les éliminer, et on se méfierait de tout un chacun, ce qui contribuerait à faciliter notre opération de sabotage. Quand des milliers de suspects se promenaient dans les rues, il n'était pas possible d'assurer la sécurité des édifices principaux. Rapidement, les gardes furent submergés de travail, et les officiers débordés de rapports alarmants. Je m'occupai de tuer un capitaine qui distribuait des ordres, d'une flèche en pleine poitrine. Ses hommes me donnèrent la chasse, mais je les semai habilement. Encore un qui ne donnerait plus de consignes, ce qui affaiblirait considérablement l'efficacité des troupes de l'Emir.

Les heures passèrent, et nous continuâmes notre lent et méthodique travail de destruction. Il s'agissait parfois de mettre le feu à une maison située dans un quartier pauvre, pour inciter les habitants à sortir de chez eux, et à se mettre à pied d'œuvre pour combattre les flammes. Les gardes approchaient alors, et nous pouvions sauter dans une autre zone pour commettre un autre forfait. Nous courûmes comme jamais, à chaque fois à la limite de la rupture, mais fort heureusement nous n'étions pas seuls, et nous pûmes bénéficier de l'action de nos compagnons d'infortune, déterminés à semer la pagaille sur leur chemin. Dur'Zork était en proie à une panique totale, et de longues colonnes de fumée s'élevaient en tourbillonnant vers le ciel, encourageant - je l'espérais ! - Taorin et ses hommes à continuer la lutte pour s'emparer de cette cité. Ils avaient fait une longue route pour venir jusqu'ici, et j'espérais qu'il n'abandonnerait pas le combat, sans quoi nous risquions bien d'être condamnés. La perspective de finir mes jours dans cette cité du Sud était loin d'être plaisante, et elle me poussait de l'avant, me donnait des ailes lorsqu'il s'agissait d'échapper à des gardes à l'œil perçant, ou bien de me cacher d'une patrouille attentive. Tuer, courir, incendier, détruire, et puis tuer encore. Voilà le cycle de violence dans lequel nous étions pris, et duquel nous ne pourrions nous défaire qu'avec l'entrée d'une des deux armées dans l'enceinte de la ville.

Et, lorsque les cloches de la ville se mirent à résonner, je compris que l'heure était venue d'adresser une prière à tous les dieux qu'il m'était donné de connaître. S'il s'agissait des troupes de Taorin, la victoire était nôtre, car il n'y avait plus en ville que quelques gardes qui céderaient devant l'avancée d'une armée déterminée à piller et à détruire. En revanche, s'il s'agissait des troupes de Radamanthe, nous étions finis. Une chasse aux traîtres serait organisée, et même si je savais être en mesure de me cacher et de me fondre dans la foule, les chances de survivre à la purge étaient infinitésimale. Mes prières furent entendues quelque part, car les portes de la ville demeurèrent closes, contrairement à ce qui aurait dû être fait pour accueillir le retour triomphant du seigneur des lieux et des ordres commencèrent à être braillés un peu partout, des accents de panique clairement perceptibles dans le dialecte local. Les civils se dépêchèrent de se cacher, hurlant de terreur, pleurant et maudissant l'arrivée des pirates qui, à n'en pas douter allaient faire couler le sang, tandis que les gardes abandonnaient leurs positions, pour se replier dans les endroits stratégiques. Les officiers encore présents voulaient absolument défendre le Palais de l'Emir, mais plusieurs poches furent constituées au niveau de la caserne, des écuries. Les tours de garde fermèrent leurs portes, et se préparèrent à supporter le siège, même si c'était totalement en vain. Que pouvait une poignée contre une multitude, sinon mourir en martyr ?

Les gardes ayant déserté les remparts, il nous fut extrêmement simple d'ouvrir les portes pour les troupes de Taorin, qui pénétrèrent pour la seconde fois dans l'enceinte de la cité. Les pirates nous menacèrent, mais nous leur apprîmes notre identité, et ils firent rapidement venir leurs supérieurs, craignant de s'engager dans un piège. Un cavalier du désert, de toute évidence membre d'une des tribus que Taorin avait ralliées à sa cause, s'approcha de moi, et me demanda dans un commun à peine compréhensible :

- Toi... Ami Taorin ? Quoi ton nom ?

Je levai les yeux vers lui. Il venait de l'extrême Harad, et il avait l'air exotique même au regard des gens du Sud, qui semblaient le craindre autant qu'ils le respectaient. Sa peau était noire comme la nuit, et sa voix grave donnait envie de lui obéir immédiatement. Il ne portait en guise d'armure qu'une épaulière de cuir, rehaussée d'or, le reste de son torse étant nu, exposant à la vue de tous sa musculature titanesque, et ses cicatrices innombrables. Dans son dos, une épée gigantesque était attachée, et il n'était pas besoin de le voir avec pour comprendre qu'il savait s'en servir. Cet homme n'était pas né chef, de toute évidence, et il avait conquis sa position à la force de son bras. De quoi gagner mon respect, même si je ne le connaissais pas vraiment. D'une voix claire, je répondis :

- Je m'appelle Salem, Taorrin a dû vous parrler de moi.

- Hmm... Lâcha-t-il sans qu'il me fût possible de déterminer s'il me croyait ou non. Palais où ?

Un soupir de soulagement quitta mes poumons, et je sentis Agathe se détendre à mes côtés. Nous étions enfin victorieux, même s'il restait des choses à faire avant de pouvoir nous emparer de la cité. Ce que j'ignorais alors, c'était que de toutes parts, les portes étaient prises d'assaut, et les pirates retrouvaient leurs compagnons infiltrés à l'intérieur, pour la plupart épuisés et blessés d'avoir tant couru et combattu. Ceux-ci les guidaient donc vers les postes stratégiques, qu'ils devaient prendre et où ils devaient hisser le drapeau du Harad libre. Pour ma part, je décidai de me concentrer sur le plus important, et de ne pas disperser les précieuses forces que le chef Haradrim avait réunies :

- Suivez-moi, je vais vous y conduirre.

Il adressa quelques mots à ses troupes, constituées pour la plupart de membres de sa tribu - il était facile de les identifier à leur peau sombre, et aux bijoux assez semblables qu'ils portaient tous -, mais également de mercenaires qui venaient ensuite. Ceux-ci furent lâchés dans le reste de la cité, et ils s'empressèrent d'aller fouiller les maisons, se répandant comme une marée humaine, partout où ils trouvaient à rentrer. Ils délogèrent les hommes qu'ils firent prisonniers - conformément aux consignes qu'ils avaient reçues, car Taorin ne souhaitait pas régner sur un cimetière -, s'occupèrent de violer les femmes comme il était de coutume pour eux, et ils s'emparèrent à leur compte de tout ce qu'ils pouvaient porter. Les habitants avaient pris soin de cacher leurs bijoux et leurs biens précieux, mais la violence des tueurs et la force de persuasion d'un couteau sous la gorge d'une épouse ou d'une fille eurent raison de la vaine résistance des locaux, qui s'empressèrent de confesser.

Pendant ce temps, nous marchâmes vers le Palais, dernière place forte des fidèles de Radamanthe, qui entendaient bien nous donner du fil à retordre. Ils comptaient - et nous aussi - sur le retour de leur Seigneur, espérant - et nous non - qu'il nous prendrait à revers avant que nous ayons eu l'opportunité de mettre la main sur le cœur de la ville. Ce que nous ignorions tous, c'était que jamais l'Emir n'allait revenir, et qu'il avait mis le cap avec ses troupes vers le Nord, abandonnant sa précieuse capitale aux mains d'Umbar, dont la victoire n'était pas encore proclamée, mais déjà certaine.

#Ryad #Taorin


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Un os dans le Palais [Flashback] EmptyVen 8 Aoû 2014 - 21:13
Les flèches sifflaient dans l'air, et les cris des blessés étaient absolument atroces, car les défenseurs semblaient ne pas vouloir les achever, se contentant de faire pleuvoir des traits sur les troupes fraîches qui s'étaient massées hors de portée, et qui réfléchissaient à une solution pour passer à l'offensive sans être décimées. Les troupes qui avaient cru pouvoir s'emparer du Palais sans difficulté, constituées essentiellement de mercenaires plus avides mais moins malins que les autres, avaient été taillées en pièces. Ils avaient marché en ligne droite vers la porte principale, considérant que si on ne leur tirait pas dessus, c'était parce qu'il n'y avait plus personne à défendre le bâtiment. Ils avaient payé cher leur erreur. Quand leur groupe fût entièrement sur l'étroit chemin, des ordres avaient retenti, et ils avaient été copieusement arrosés, salves après salves. Incapables de se défendre, incapable de riposter, près d'une centaine d'hommes avait été piégée et éliminée sur place. Pourtant, les ordres des Neufs étaient clairs : le Palais était pour eux.

Désormais qu'ils étaient sortis de leur cachette, les troupes s'occupant de défendre l'imposant bâtiment, difficile à attaquer, avaient repoussé deux assauts de faible envergure, destinés à éprouver leur résistance. Le premier groupe avait réussi à se frayer un chemin jusqu'à la porte, grâce à des boucliers récupérés sur les cadavres, et avait entreprit de la démonter à la hache. C'était sans compter sur les pierres jetées sur eux, qui avaient tué quatre pirates, fait trois blessés, et forcé les trois derniers à se replier tant bien que mal. Le second assaut avait été destiné à faire avancer un bélier de siège, couvert d'une structure en bois. Il avait suffi d'une flèche enflammée pour transformer l'édifice et ses quatre occupants en une grillade odorante, qui avait suscité des vivats de la part des défenseurs. Maudit soit ce temps sec ! Désormais, nous en étions à patienter dans la tente de commandement, pressés par le temps et par la crainte de voir revenir les troupes de l'Emir. Tous les Seigneurs Pirates s'étaient réunis, ainsi que les chefs de tribus, et les échanges étaient houleux. Certains étaient partisans d'une charge frontale, sans se soucier des pertes, tandis que d'autres suggéraient de patienter et de consolider les défenses de la ville, pour mieux affamer les assiégés, et se protéger de Radamanthe. D'autres, dont je faisais partie, étaient partisans de tenter une infiltration dans le Palais, pour mieux ouvrir les portes, et favoriser l'assaut final.

J'avais pris une nouvelle dimension depuis que les combats avaient commencé, et Taorin m'interrogeait souvent, me demandant ce que je pensais de tel ou tel point. Au début, j'avais été très surpris, mais j'avais répondu avec franchise à ses questions tactiques. Mon expérience militaire me donnait un regard intéressant, que la plupart des hommes ici n'avaient pas : pour eux, la guerre était une affaire d'épées et de boucliers. Pour moi, c'était également une question de cartes, de pions et de chiffres. La stratégie n'était pas mon domaine de prédilection lorsque j'avais rejoint les rangs de l'armée régulière, mais en devenant espion, j'avais été formé à cela. Il était important de changer de point de vue quand on voulait avoir le meilleur impact sur une situation donnée. En prenant du recul, on pouvait découvrir qu'une structure apparemment imprenable était en réalité vulnérable. Il nous fallait simplement trouver quel était le point faible du Palais pour nous en emparer. L'idée fut retenue, et Taorin me chargea de mener un groupe de combattants de mon choix pour trouver une solution au problème.

Je recrutai à mes côtés le chef de l'extrême-Harad, dont j'appris qu'il s'appelait Lobé, ainsi que tous les guerriers qu'il avait à sa disposition. Ils me semblaient être de bons combattants - rien que pour oser affronter une cité entière sans porter d'armure, il fallait avoir une bonne dose de confiance en soi -, et surtout ils n'avaient pas cédé à la tentation de pillage des autres. De toute évidence, on leur avait promis une belle récompense, et ils n'éprouvaient pas le besoin de s'emparer des richesses de la ville en leur nom. Ce qu'ils voulaient, c'était accomplir leur mission pour être payés. Ils obéissaient à leur chef comme un seul homme, et j'appréciais cette dévotion, que je n'avais que rarement retrouvée en dehors des frontières de mon royaume. Il était amusant de constater que c'était loin des grandes villes du Sud que l'on retrouvait les gens qui représentaient le plus grand intérêt militaire. Curieux.

En revanche, j'ordonnai à Agathe de rester en arrière. La jeune femme me jeta un regard noir, et je compris qu'elle n'était pas prête à m'obéir. Toutefois, elle n'avait pas le choix, car je ne voulais pas d'elle à mes côtés en cet instant :

- Et pourquoi ça ? Me demanda-t-elle, acide.

- Parrce que vous en avez déjà fait assez... Notrre mission était d'ouvrrirr les porrtes de la ville, et nous l'avons fait. Vous avez été exemplairre quand il a fallu saboter et livrrer bataille dans les rrues. Mais vous n'êtes pas une guerrièrre, et vous devez vous rreposer. Ce ne serra pas une parrtie de plaisirr à l'intérrieurr, et ce n'est pas un endrroit pourr quelqu'un qui n'a pas d'expérrience du combat.

- Parce que vous en avez une, vous ? Je croyais que vous n'étiez qu'un simple intendant.

Je soupirai. Elle était décidément incroyablement tenace, elle ne lâchait jamais rien. Mais ce n'était ni l'endroit ni le moment, et je fronçai les sourcils, pour lui faire comprendre que la situation ne se prêtait pas à ce genre de caprices. Ici, nous étions sur un champ de bataille, et les ordres étaient faits pour être exécutés, non pour être discutés. D'une voix où ne perçait aucun accent complaisant, je répondis :

- Pourr l'heurre, vous allez rrester ici, et fairre ce qu'on vous dit, c'est clairr ? Nous discuterrons de tout cela plus tarrd.

Je tournai les talons, mais elle me rattrapa par le bras. Je crus qu'elle allait essayer de me convaincre à nouveau, et une lueur d'agacement passa dans mon regard, mais lorsque je découvris sa mine inquiète, je compris les véritables raisons qui la poussaient à vouloir m'accompagner. Elle sembla regretter son geste, et détourna le regard, avant d'ajouter :

- Alors faites en sorte de revenir en vie. S'il-vous-plaît.

J'eus un sourire que je voulus apaisant, mais qui ressemblait davantage à une moue désolée. Je ne pouvais rien lui promettre, même si j'avais confiance en mes capacités. Les hommes en face de nous étaient des combattants aguerris, et nous étions bien trop peu pour espérer les défaire tous. Si nous venions à être coincés dans le bâtiment sans pouvoir ouvrir les portes, nous serions massacrés sans pitié, et il faudrait à Taorin un autre plan pour pénétrer dans le bâtiment. Je lui posai une main sur l'épaule, et m'éloignai sans mot dire, incapable de trouver quoi répondre... tout comme je ne trouvais rien à répondre quand mon épouse me demandait la même chose à chaque fois que je partais en mission. Et malheureusement, c'était elle qui m'avait quittée le premier. Peut-être parce que je ne lui avais pas demandé la même chose en retour. Me retournant à demi, je lançai par-dessus mon épaule :

- Prrenez soin de vous également, Agathe.

Et je m'enfonçai dans les rangs de soldats qui allaient et venaient autour des tentes de commandement qui avaient été érigées à la va-vite. Je n'avais pas le temps de prendre une armure, je me contentai simplement de récupérer un bouclier en acier, suffisamment épais pour me protéger d'une flèche qu'un des défenseurs risquait de décocher sur nous. Ce poids familier mais oublié depuis le temps que je n'en avais plus utilisé me rappela mes souvenirs de jeunesse, quand j'étais encore dans les rangs de l'armée régulière, entouré de camarades pour qui j'aurais donné ma vie. Ici, tout avait bien changé, et je ne me battais même plus pour notre drapeau. Je me battais simplement pour les intérêts de la Reine, et c'était pour elle que j'allais encore une fois risquer ma vie. Si ma mort devait servir à quelque chose, ce serait au moins à consolider les intérêts de notre nation. Et si mon contact parvenait à me retrouver, il s'arrangerait pour rapatrier mon corps jusqu'à Blankânimad, où on célébrerait mon sacrifice lors d'une procession traditionnelle, avant que ma dépouille ne fût inhumée aux côtés de mes ancêtres, dans la crypte du Palais royal... privilège dont les miens jouissaient eu égard à leur dévouement. En fait, ce n'était pas si mal. Mais si je pouvais vivre et continuer à servir, alors je le ferai.

Ce fut avec ces pensées qui m'apportaient sérénité et paix intérieure que je pris la tête du groupe de guerriers, et que nous allâmes contourner la forteresse, pour essayer d'en débusquer le point faible. Dans ma tête, il nous fallait le trouver avant le lever du soleil, pour les prendre par surprise, et surtout pour pouvoir nous approcher à la faveur de l'obscurité qui régnait encore dans les rues, grâce aux nuages noirs qui s'étaient emparés du ciel et avaient capturé le soleil. Nous tentâmes de localiser une entrée secrète, une porte dérobée, ou bien un passage par lequel nous aurions pu escalader et pénétrer ainsi dans la forteresse, mais ce fut en vain. De toute évidence, le Palais était bien entretenu, et nous ne parvînmes pas à localiser un seul point d'accès. Quarante minutes après notre départ, toutefois une estafette arriva, porteuse d'un message urgent de la part de Taorin. Un des citoyens avait parlé - probablement pas de son plein gré, mais cela n'importait guère -, et avait révélé qu'il existait un conduit qui alimentait le palais en eau. Le niveau était haut, à cause des importantes pluies et des crues qui avaient fait monter le niveau des fleuves alentours, mais il demeurait possible de passer par là. Sitôt le message lu, je congédiai le Haradrim, et me tournai vers mes compagnons de route :

- Nous avons une issue. Allons !

Et nous allâmes comme un seul homme, prêts à plonger dans des eaux glacées pour nous emparer du Palais de Radamanthe. Qu'est-ce qu'on n'aurait pas donné pour être à mille lieues de là ? Mais telle était notre mission, et si elle nous permettait de nous emparer de cette dernière poche de résistance, alors il n'y avait pas à hésiter...


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Un os dans le Palais [Flashback] EmptyVen 8 Aoû 2014 - 22:38
Les hommes tremblaient de froid, et marmonnaient des choses dans leur langue. Je n'étais pas mieux, gelé jusqu'aux os, mais je les exhortai au silence d'un geste impérieux, et leur chef donna un ordre sec qui les fit tous taire subitement. J'appréciais cette efficacité. Je tendis l'oreille, et cherchai à percevoir quelque chose. Des bruits de pas. Des bottes ferrées, de toute évidence. Nous avions dû traverser la ville au pas de course, à la recherche de l'entrée indiquée par le message de Taorin, puis nous avions dû plonger dans l'eau glacée, et patauger en sens inverse, jusqu'à la forteresse. Nous étions dans un conduit qui traversait la cité, et se rendait directement sous le Palais. Il s'agissait également d'un passage secret pour quiconque voulait sortir discrètement des lieux, mais avec les crues, personne ne devait songer qu'il était possible de l'utiliser. Sauf nous, naturellement. Une bande de guerriers sans armure pouvait très bien se faufiler par là, même si l'eau leur arrivait jusqu'au torse. Nager était difficile, marcher également, et nous dûmes nous débrouiller comme des grands pour remonter jusqu'au Palais, sans vraiment savoir où nous étions. A intervalle régulier, je marquais des pauses pour écouter, et essayer de déterminer s'il y avait du bruit au-dessus de nous, ce que j'estimais être le meilleur moyen de noter quand nous serions au bon endroit. Et en l'occurrence, nous n'étions pas loin.

- Que disent-ils ? Demandai-je à Lobé.

- Dire... Chercher Emir. Pas savoir où.

Ils ignoraient donc où se trouvait Radamanthe. C'était une excellente nouvelle. Cela signifiait que la situation n'avait pas évolué, et que nous pouvions toujours attaquer sans risque de voir des cavaliers du Harondor fondre sur la cité et nous priver de tout soutien. Cela s'était déjà vu, et j'avais entendu parler d'infiltrés qui avaient été massacrés parce qu'ils avaient eu le malheur d'attaquer au mauvais moment. Mais nous ne ferions pas la même erreur, assurément. Nous continuâmes un peu, et arrivâmes enfin à des bifurcations. De toute évidence, ces passages alimentaient différentes sections du Palais, et il nous appartenait désormais d'en choisir une par laquelle nous allions démarrer notre offensive. Le choix reposait grandement sur du hasard, et il n'était donc pas besoin de tergiverser longtemps, considérant que nous étions pressés :

- A drroite, dis-je avec conviction, espérant que cela dissiperait mes doutes autant que les leurs.

Nous allâmes donc à droite, essayant de faire fi de l'odeur exécrable que l'on pouvait sentir ici, et dont j'identifiai l'origine sans toutefois vouloir en parler. Je faisais un effort pour ne pas regarder l'eau dans laquelle nous étions plongés, et ne pas penser à ma réaction si par malheur je devais boire la tasse. Mes compagnons, qui chuchotaient entre eux, devaient en être arrivés aux mêmes conclusions, mais aucun ne fit remonter de plainte, et je me trouvai donc dans l'obligation de continuer. S'ils avaient décidé de prendre une autre voie, je n'aurais certainement pas dit non. Nous arrivâmes enfin sous un conduit d'où s'échappait une certaine lumière. Elle était tenue et lointaine, mais c'était mieux que rien, et cela nous indiquait qu'il était possible de sortir. Toutefois, l'issue était trop haute, et nous continuâmes.

Nous dépassâmes quatre rais de lumière, avant d'arriver à un endroit où il nous était possible de grimper. Retenant notre souffle, surtout à cause de l'atmosphère que parce que nous étions terrifiés, nous écoutâmes au dehors, priant intérieurement pour qu'il n'y eût personne en train de... bref. Un silence funèbre fit écho à nos prières, et nous soupirâmes de contentement, avant de nous rappeler non sans une grimace que soupirer voulait dire inspirer ensuite. Lobé, qui était de toute évidence le plus grand - il me rendait bien une tête et demi -, passa le premier. Il était massif, taillé comme un tronc d'arbre, et l'interstice paraissait trop petit pour lui. Mais il le défonça sans trop de difficulté et - étonnamment ! - sans trop de bruit. Une immense colonne lumineuse nous aveugla momentanément, nous forçant à mettre nos mains devant nos visages pour mieux voir. Lobé demeura un instant invisible, s'assurant visiblement qu'il était seul, avant de se pencher pour me tendre son immense bras. Je le saisis sans hésiter pour m'extraire de la masse liquide gluante dans laquelle nous avions pataugé si longtemps, gangue glaciale qui avait engourdi nos membres et nos sens. En me sentant arraché à elle, ce fut comme une délivrance, et j'agrippai les bords de toutes mes forces, hissant mon bouclier et mon épée par-dessus, avant de battre des pieds jusqu'à pouvoir ramper sur un sol ferme.

La progression avait été épuisante, nous étions trempés, sales et souillés, mais au moins nous étions à l'intérieur. M'accordant quelques secondes pour reprendre mon souffle, j'analysai l'endroit autour de moi. Nous étions, comme nous l'avions tous deviné, dans des toilettes très sophistiquées, qui utilisaient une évacuation d'eau pour garantir la propreté des alentours. Ce n'était pas le cas partout dans la cité, hélas, mais au moins le Palais était relativement moderne. J'ouvris lentement la porte, et jetai un œil au dehors. Personne. Il nous faudrait rapidement trouver une autre cachette, car vingt combattants ne tiendraient pas dans la pièce minuscule où nous étions, même si elle était d'une taille respectable. Pendant que les hommes continuaient à se hisser à la surface, je fis quelques pas au dehors, et ouvris une porte au hasard. Mes pieds laissaient des empreintes parfaitement identifiables sur le marbre qui constituait le sol, mais je n'y pouvais rien. Je sécherai bien un jour. Je pénétrai dans une chambre d'hôte, vidée de ses habitants. Fort bien. J'invitai les soldats à me rejoindre, et ils firent tous le trajet sur la pointe des pieds, tandis que j'allai regarder par la fenêtre du fond.

Le Palais disposait d'une cour centrale, et cette chambre merveilleusement décorée donnait directement dessus. Je n'arrivais pas à voir jusqu'à la porte qui faisait face aux troupes de Taorin, mais je pouvais déjà voir des hommes s'affairer à emporter des meubles pour barricader l'entrée, et se préparer à tenir un siège. Ils n'étaient pas encore très avancés, ce qui nous donnait une chance raisonnable de réussite. Il nous fallait simplement traverser le Palais sans nous faire repérer - ce qui était possible, car j'avais dans l'idée que tous les soldats étaient affectés aux postes de défense -, localiser le mécanisme qui contrôlait la porte, et l'actionner pour laisser pénétrer le gros de nos troupes. Tout semblait simple, à l'exception des quelques deux cents hommes qui assuraient la défense du Palais, et qui ne nous laisseraient pas faire.

- Plan ? Demanda Lobé, me tirant de mes pensées.

- Nous devons trrouver le mécanisme qui contrrôle les porrtes. Il doit êtrre sous bonne garrde, mais si nous rréussissons à rrester discrrets, nous devrrions pouvoirr l'ouvrrirr avant d'êtrre encerrclés.

Il hocha la tête, et expliqua succinctement à ses hommes ce que je venais de lui dire. J'étais persuadé qu'il avait supprimé quelques détails - les avait-ils compris ? -, mais ses combattants paraissaient être des machines à tuer, et ils se fichaient des subtilités de la mission. Ce qu'ils savaient, c'était qu'ils devaient me suivre, et tuer tout ce qui portait un uniforme. Nous quittâmes donc les appartements, et nous déplaçâmes dans les couloirs. Cette fois, plus question de jouer sur la délicatesse, nous marchions arme au poing, prêts à nous débarrasser de quiconque se dresserait sur notre route. Ce fut le cas de ce jeune page, qui sortit derrière nous, les bras chargés de flèches. Il poussa un cri de stupeur, et essaya de détaler. Un couteau lancé adroitement le cueillit entre les omoplates, l'envoyant par terre. Il vivait encore quand le guerrier qui l'avait lancé vint récupérer son arme, retourner sa pauvre victime, et le traîner à l'intérieur de la pièce d'où il était sorti pour lui trancher la gorge. Du travail bien fait. Nous continuâmes à marcher d'un bon pas, mais discrètement.

Traverser des couloirs vides avait ce petit quelque chose d'effrayant, car quand on voyait le nombre de portes, on ne pouvait pas s'empêcher de songer aux hommes armés qui pouvaient se tapir derrière, attendant notre venue pour nous sauter dessus et nous éliminer. Nous étions furtifs, autant qu'un groupe de vingt colosses et d'un espion peut l'être, essayant de ne pas rester trop longtemps aux fenêtres, d'éviter que notre ombre fût projetée là où nous ne le désirions pas, et prenant garde à chaque croisement. Nous avions dû éliminer un soldat en patrouille, qui n'avait pas compris ce qu'il lui arrivait. Lobé l'avait surpris en sortant de sa cachette, et lui avait brisé la nuque sans effort. Le malheureux avait encore sur le visage les traits détendus de celui qui ne s'attend pas à une mort imminente. Nous avions caché le cadavre, et continué notre expédition, qui nous rapprochait de plus en plus de la zone où se trouvaient tous les soldats.

Nous nous cachâmes aussi bien que possible, et observâmes les allées et venues. Des combattants étaient chargés de courir ici ou là, pour porter des stocks de flèches à leurs compagnons, qui se trouvaient sur les remparts, bien abrités. Ils étaient nombreux, mais concentrés sur l'extérieur, et trop bien isolés pour pouvoir réagir rapidement à notre assaut. Ils avaient fortifié la porte, pour empêcher qu'elle ne fut enfoncée, et abaissé, de sorte à transformer le petit boyau en un couloir mortel pour quiconque voudrait pénétrer dans la forteresse. Des hommes armés d'arcs se tenaient au-dessus, prêts à abattre quiconque essaierait de passer. Décidément, ils étaient prêts. Mais ce n'était pas notre problème. Nous devions nous focaliser sur la porte et la herse désormais que nous avions vent de son existence.

Je commençai à réfléchir. En général, les forteresses étaient toutes construites de la même façon, et les commandes mécaniques se trouvaient non loin, à l'intérieur des murs, dans la partie la plus épaisse. Cela signifiait à droite ou à gauche de la porte. Je fermai les yeux, pour me souvenir de la disposition de nos ennemis que j'avais eu le temps d'analyser alors qu'ils faisaient pleuvoir sur nous des flèches à n'en plus finir. Repérer les archers n'avait pas été un souci majeur, et j'avais été surpris de voir des hommes tirer depuis le pied des remparts, droit sur les hommes qui tendaient leur bouclier en l'air. C'était d'ailleurs eux qui avaient le plus contribué à l'élimination de la première vague, prenant totalement au dépourvu les mercenaires. Les murailles étant au-dessus des douves remplies par les crues et les pluies, et les tireurs regroupés derrière des meurtrières trop fines pour être prises pour cible, ils étaient totalement inexpugnables et particulièrement efficaces. Mais y en avait-il des deux côtés ?

- Quoi faire Salem ? Me demanda Lobé, impatient de plonger dans la bataille.

Je jetai un regard à ses hommes, tapis dans l'ombre, qui ressemblaient à des fauves prêts à se jeter sur des biches sans défense. Il leur suffisait d'un signal, que j'étais le seul à pouvoir leur donner. Mais je n'étais pas encore en mesure de le faire. Je leur fis signe d'attendre, et fis le tour d'un pilier pour observer au dehors, sans être vu, un genou au sol, bien caché. Les allées et venues des soldats qui apportaient des munitions étaient régulières. Il me fallait simplement une confirmation. Droite ou gauche. A chaque fois qu'un groupe allait, j'espérais silencieusement qu'il allait me donner l'endroit où se trouvaient les archers. Mais malheureusement, ils s'arrangeaient toujours pour prendre l'escalier qui menait aux remparts, et alimenter leurs hommes qui se trouvaient là-haut, occupés à surveiller.

Objectivement, il ne se passa que quelques secondes, mais dans le feu de l'action, chaque instant paraît durer une éternité. Nous étions à l'abri, mais à n'importe quel moment, nous risquions d'être découverts par un homme passant par hasard. Et nous étions si proches de la cour et des portes que nous pouvions entendre distinctement les ordres criés par les officiers gondoriens à leurs soldats harondorim. Ils les exhortaient à se dépêcher, et les rassuraient en leur disant que plus ils tenaient, plus ils avaient de chance de s'en sortir, car Radamanthe reviendrait bientôt pour les chercher. Nous avions tous peur que cela fût vrai, car si l'Emir était en déroute, il n'en demeurait pas moins chez lui, et il pouvait regrouper ses forces et mener une deuxième offensive sur la capitale. D'après ce que j'avais entendu, ses troupes avaient jeté à terre plusieurs Mûmakil, et avaient infligé de sérieuses pertes aux troupes de Taorin. S'il revenait maintenant, le combat serait âpre, d'autant qu'il bénéficiait encore du soutien de sa population. Prendre le Palais était donc impératif.

Alors que je commençais à perdre patience, je vis soudainement un jeune soldat pressé et essoufflé s'approcher de la porte, tourner à gauche et toquer à la porte. On lui ouvrit, et il pénétra dans la petite pièce où devaient se tenir une demi-douzaine d'archers, à qui il confia deux ballots de flèches acérées. C'était le signal tant attendu. J'ordonnai aux hommes de me suivre, et nous filâmes comme des ombres de l'autre côté de la forteresse, sur le côté droit, pour déclencher notre assaut. Je laissai les guerriers de Lobé à l'étage, et leur ordonnai de me suivre dès qu'ils entendraient mon signal. Ils hochèrent la tête, et je sus que j'étais couvert. Maintenant, il me fallait sortir à découvert, avec tant de naturel que personne ne me remarquerait. Dans la cour, se trouvaient une douzaine de gardes, tous occupés à préparer des barricades. Si j'allais assez vite, et que je restais caché derrière les statues et les colonnes, ils ne me verraient pas. S'ils me repéraient, j'étais cuit.

Je quittai l'escalier, non sans dire à mes compagnons de se tenir prêts. Puis, prenant une grande inspiration, je m'élançai. Le tout, dans cette situation, était de ne pas courir, et de ne pas céder à la panique. Je marchai en regardant droit devant moi, présentant face à quiconque aurait eu l'idée de regarder dans ma direction le bouclier aux armes du Harondor que j'avais récupéré au préalable, et je ne m'arrêtai surtout pas. Deux hommes levèrent la tête dans ma direction, au moment où j'arrivais devant la porte de la salle où se trouvaient les machineries. Ils se regardèrent, et lâchèrent leur équipement. Il y avait des serviteurs dans la forteresse, et ils ne m'identifièrent pas immédiatement comme un ennemi. Je toquai à la porte, sans me laisser perturber par leur approche. Ils étaient de l'autre côté de la cour, j'avais encore du temps :

- On m'a demandé de vous relever ! Lançai-je à l'huis.

- Pas trop tôt ! Me répondit une voix, tandis que des bruits de pas se faisaient entendre.

Sur ma gauche, les deux gardes continuaient à approcher, et ils me hélèrent. Je fis comme si je n'avais rien entendu, et priai pour que les bruits que j'entendais à l'intérieur fussent ceux du loquet et de la barre servant à maintenir la porte à sa place. Et c'était bien le cas. La lourde pièce de bois bougea, et j'entraperçus le soldat qui se tenait derrière, ses compagnons pas très loin, visiblement désireux d'aller se reposer. Je captai une once de surprise dans les yeux du premier, et en échange lui enfonçai trente centimètres d'acier dans la gorge. Son regard se vida immédiatement, et il tomba en arrière, tandis que les quatre autres combattants - deux à l'intérieur et les deux m'ayant repéré - marquaient une pause. Pause salutaire pour moi. Je laissai le corps du misérable retomber en avant, entravant la fermeture de la porte, puis bondis à l'intérieur comme un fauve en frappant le premier adversaire de mon bouclier. Il le reçut en plein visage, mais j'étais déjà passé par-dessous, plantant ma lame profondément dans sa cuisse. Je la retirai et chargeai le dernier dont la lance n'était pas l'arme la plus appropriée dans cette situation. Déjà, dehors, des cris d'alarme retentissaient, beuglés par les deux hommes qui s'étaient jetés à mes trousses. L'arme d'hast, balancée en droite ligne, glissa sur mon bouclier tendu, et je ripostai d'une frappe vicieuse. Il bloqua, mais je fis riper ma lame sur la hampe, lui tranchant trois doigts sans difficulté. La main droite en plus, quelle chance ! Il s'écroula en hurlant à pleins poumons, tandis que je me retournai pour faire face à mes opposants.

Le premier enjambait le cadavre qui barrait la porte, avant de se jeter sur moi. Nous avions le même équipement, et je bloquai son premier assaut, avant que ma tentative ne fût contrée de la même manière. Il fit siffler sa lame dans le vide, me forçant à reculer pour ne pas perdre la tête - je regrettai de ne pas avoir de casque en cet instant -, et en profita pour m'infliger une coupure au bras, qui aurait pu être bien pire si je n'avais pas eu le bon réflexe de me déporter sur la gauche - il n'était pas particulièrement bon, je dois dire, mais j'avais derrière moi plusieurs heures passées à combattre dans la cité, à courir pour échapper aux gardes, et à patauger dans l'eau glacée, pour finalement arriver jusqu'ici, ce qui lui donnait une chance d'approcher mon niveau. Il sourit largement, conscient qu'il avait marqué des points, mais lorsqu'il chercha son compagnon à ses côtés pour me prendre en tenaille, il se rendit compte qu'il n'était pas là. Ce fut cette fois à mon tour de sourire, en voyant Lobé, énorme, pénétrer dans la pièce en tenant dans la main gauche la tête du garde. Profitant de la surprise de mon adversaire, je lui plongeai une lame dans le cœur, et le laissai retomber mollement, stupéfait. La guerre ne se gagnait pas au poing, j'avais eu le temps de l'apprendre.

Je n'avais pas le temps de fanfaronner, toutefois, car nos ennemis avaient eu vent de notre attaque, et nous étions déjà repérés. Les hommes de Lobé combattaient dans les escaliers, dans une position désavantageuse, pour essayer de contenir le plus longtemps possible nos ennemis, le temps pour nous d'ouvrir les portes. Je me retournai, rangeant mon sabre à lame droite, et observai le mécanisme. Avec sa simplicité habituelle, le géant me demanda :

- Pousser ?

- Pousser, répondis-je avec un sourire.

Si trois hommes suffisaient à ouvrir la porte à une allure normale, que dire de cinq titans déchaînés, pressés d'aller rejoindre leurs frères en train de livrer bataille ? La herse présenta plus de difficulté que la porte, étant beaucoup plus lourde, mais déjà les troupes de Taorin avaient donné l'assaut. Les pirates des Neufs chargeaient sans se soucier du danger, et beaucoup tombèrent, pris par les pièges et les flèches des hommes qui se situaient au-dessus d'eux. Mais ce n'était pas mon affaire, j'avais fait mon travail, et j'en étais fier. Rapidement, les troupes se déversèrent dans le Palais, rencontrant en face des hommes surpris, désorganisés, et en cruelle infériorité numérique. Lobé et moi, non sans nous délecter à l'avance de la furie des combats, plongeâmes dans la bataille comme des monstres, suivis par une vingtaine de guerriers à la peau sombre. La lutte fut féroce, et nous étions en première ligne, exposés à tous les dangers, étrangement heureux.

Les combats durèrent deux bonnes heures, et cette poche de résistance fut la plus difficile à vaincre. En effet, les hommes qui se trouvaient là avaient pour tâche de protéger les personnalités les plus importantes de l'Emirat, que Radamanthe avait dû laisser derrière lui lorsqu'il avait tenté sa sortie. Il ne s'attendait sûrement pas à être coupé ainsi de sa ville, et la situation devait être catastrophique pour lui. Après avoir pris la cour, au prix de nombreuses vies, nous avions traqué les fuyards qui tentaient de se regrouper dans les bâtiments. Il avait fallu du temps pour explorer toutes les chambres, déloger les soldats qui ne se rendaient pas toujours, et trouver les chefs qui continuaient à les haranguer. Finalement, quand ils comprirent qu'il n'y avait plus aucun espoir pour eux, ils se regroupèrent dans une salle qu'ils barricadèrent, et demandèrent à pouvoir se rendre à la condition d'être bien traités.

Taorin fut appelé en personne pour négocier avec eux les conditions d'une reddition honorable et courtoise, qui mit fin aux combats, et annonça enfin la victoire des troupes pirates. Ce fut, pour Lobé et pour moi, l'heure de crier à la victoire, et de célébrer ensemble cette magnifique prise. Dur'Zork, joyau du Harondor, capitale de l'émirat, était tombée grâce à nos efforts et à nos sacrifices. Nous étions blessés, épuisés, mais bien vivants, et triomphants. Il n'y avait pas plus belle sensation que celle de la victoire durement acquise, celle qui vous faisait vous sentir privilégié, honoré d'être encore debout alors que tant ne verraient plus jamais le soleil se lever. Quand le drapeau du Harad libre fut enfin hissé sur le Palais, des hourras s'élevèrent de la ville entière, et les barrissements de Mûmakil résonnèrent dans le lointain, célébrant ce jour historique.


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Ryad Assad
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Un os dans le Palais [Flashback] EmptySam 9 Aoû 2014 - 1:54
Marcher au milieu de Dur'Zork avait quelque chose d'irréel. J'avais déambulé ici même, alors que c'était jour de marché, j'avais eu l'occasion de voir la vie normale, fourmillant d'activité. J'avais vu les gardes en armure rutilante patrouiller avec l'air sévère. J'avais vu l'ordre et la discipline relative ici, et j'avais du mal à croire qu'il s'agissait bel et bien de la même cité. Sous mes yeux se déroulait un spectacle qui aurait été effrayant si je n'avais pas fait partie des vainqueurs, si je n'avais pas été un acteur relativement décisif de cette victoire. Par un concours de circonstances tout à fait extraordinaire, et que j'avais encore bien du mal à me figurer, je m'étais retrouvé à contribuer à la prise du Palais de Radamanthe, alors que j'étais parti de très loin. Rétrospectivement, ce que j'avais accompli en quelques mois était incroyable, même pour un espion, et je me demandai si je n'en avais pas trop fait, si je n'avais pas laissé mes émotions personnelles entrer en ligne de compte. J'étais certain que non, mais j'avais tout de même dû tirer l'épée et massacrer pas mal d'ennemis avant qu'on pût planter sur le sommet du Palais l'étendard rouge du Harad. Et désormais, c'était un peu grâce - ou à cause, question de point de vue - de moi que la cité était livrée au pillage.

Les civils avaient été ménagés, contrairement à ce qu'il se produisait habituellement. Ils n'avaient pas été réduits en esclavage, et on dénombrait peu de meurtres de sang froid. Les femmes n'avaient pas eu la même chance, et beaucoup d'entre elles accoucheraient des fruits d'une union qui n'avait rien de consentie d'ici neuf mois. Mais cela ne m'émouvait pas beaucoup, et si les pratiques n'étaient pas coutumières en Rhûn, elles n'en demeuraient pas moins dans ma conception de la guerre. Ils se battaient comme des barbares, certes, mais ils avaient remporté la victoire. Au vainqueur le droit de déterminer ce qui était bien ou non. J'évitai souplement un groupe de pirates complètement ivres qui dansaient au milieu de la rue, et m'éloignai en boitant vers le campement où étaient rapatriés les blessés, accompagnant le cortège de ceux qui n'avaient pas eu la chance de réchapper aux combats. Nous défilions en une longue procession qui traversait la ville, rejoints par toujours plus d'hommes, Haradrim ou Harondorim qui allaient quémander des soins.

Beaucoup de ceux qui ne pouvaient plus marcher, et qui étaient portés par d'autres pirates, avaient été blessés par une flèche, qu'il serait particulièrement difficile d'extraire. Les chirurgiens allaient avoir beaucoup de travail, et je m'estimais heureux de ne pas avoir à souffrir de complications aussi douloureuses. Pour ma part, les blessures se résumaient à une arcade ouverte qui saignait abondamment, et qui nécessiterait d'être pansée, plusieurs coupures qui n'étaient pas mortelles, mais qui vomissait encore du sang et qu'il faudrait recoudre pour certaines, et un méchant hématome au-dessus du genou, là où la hampe d'un adversaire m'avait percutée... d'où ma légère claudication. J'allais toutefois mieux que j'en avais l'air, car après avoir erré dans une eau immonde, j'avais plongé littéralement dans le sang et les viscères, au point que mes vêtements étaient méconnaissables, et que j'avais l'air d'avoir été éventré sur place. Impressionnant, mais pas de quoi émouvoir Taorin, qui m'avait demandé de lui faire mon rapport immédiatement.

Je n'avais pas eu grand chose à lui dire, sinon louer le courage de Lobé et de ses hommes, et lui raconter brièvement comment nous avions procédé pour nous emparer des machines contrôlant la porte. Il avait hoché la tête pesamment, puis m'avait demandé de rejoindre le convoi des blessés, afin d'aller me faire soigner. Lui aussi devait avoir beaucoup de choses à gérer, maintenant qu'il avait pris le contrôle de la ville. A commencer par les mercenaires qui essayaient de s'emparer des trésors du Palais, qui appartenaient de droit aux Neufs, et que nul ne devait toucher à part eux. Ils devaient se partager le butin, rémunérer leurs troupes, puis décider ensuite de ce qu'ils allaient faire. Si chacun partait avec une coupe en or massif, il n'y aurait plus rien à distribuer, et ce serait le début du chaos.

Bien loin de ces considérations, je portai mon regard sur les rues pleines de déchets et de cadavres, où bouteilles d'alcool et lambeaux de vêtements trônaient côte à côte, quand un pirate un peu chaud avait décidé de courir nu dans les rues pour célébrer la victoire. Il regretterait son geste quand il se rendrait compte qu'il avait oublié l'endroit où il s'était dévêtu, mais en l'occurrence ce n'était pas un gros problème. L'heure était à la fête. De toutes parts, on entendait des gens chanter, danser, et même un peu de musique. Certains avaient pris des instruments traditionnels, à corde ou bien à percussion, et commençaient à jouer tranquillement. Le son des tambours, qui pour une fois ne jouaient pas des hymnes guerriers, était réconfortant, comme s'ils exprimaient la part d'humanité qui existait derrière les masques sanguinaires de certains hommes. Curieux comme ils pouvaient passer de l'un à l'autre, de tueur à musicien, là où dans la culture occidentale il semblait impossible de faire les deux, et où dans la culture orientale les nobles étaient nécessairement les deux. Peut-être était-ce pour cela que Suderons et Orientaux étaient assez proches : parce que la guerre faisait partie de leur culture, et n'était pas qu'une simple nécessité.

Laissant là ces considérations un peu complexes pour le moment, je décidai de me concentrer sur ma route, pour oublier la souffrance de mon corps qui n'avait pas dormi depuis bien longtemps, et qui réclamait à grands cris du repos. La colonne à laquelle j'appartenais arriva bientôt dans une zone de la ville où des infrastructures étaient en train d'être érigées pour pouvoir allonger autant de patients que possible. Une belle initiative, mais au vu du nombre de tentes, beaucoup allaient devoir dormir dehors... Des dizaines de combattants étaient déjà étendus là, quémandant des soins, tandis que des docteurs de fortune, souvent Harondorim d'ailleurs, étaient affectés à leur soin. Les femmes qu'on avait jugées compétentes s'occupaient des malheureux, et devaient leur apporter assistance. Certaines d'entre elles avaient été violées sauvagement, et il était curieux de les voir s'occuper de leurs bourreaux. Beaucoup, toutefois, semblaient prendre en pitié les blessés. Elles savaient sans doute combien n'allaient pas survivre, et y trouvaient une consolation. Et puis elles voyaient tellement de visages déformés par la douleur qu'elles ne pouvaient tous les haïr. Quand elles tombaient sur un jeune marin d'à peine seize ans qui avait reçu une lance en plein ventre, une blessure qui allait l'emporter dans les heures à venir, et qui dans son délire les appelait "mère", elles ne pouvaient pas le détester. Pas plus qu'elles ne pouvaient haïr les esclaves forcés de combattre, qui avaient acquis leur liberté au prix d'un bras ou d'une jambe. De bons pères de famille forcés de s'enrôler pour retrouver leur vie d'antan... ou peu s'en faut.

Devant l'afflux de blessés, le découragement des médecins augmenta d'un cran, mais ils s'empressèrent de trouver des places libres, et d'organiser l'arrivée des nouveaux venus. Beaucoup devaient attendre, debout, qu'on leur trouvât une place, car il était nécessaire de ne pas faire s'agglutiner les hommes, sans quoi le risque de répandre des maladies était grand. Je n'avais pas besoin de beaucoup de traitements, mais je décidai de patienter comme les autres, plus parce que je n'avais nulle part où aller que parce que j'avais véritablement besoin de rester ici. La ville semblait prise d'une forme de frénésie incontrôlable, et on avait allumé des feux de joie aux carrefours, où on jetait les bouteilles d'alcool en s'extasiant devant les lueurs colorées qu'elles jetaient quand elles éclataient. Pour ma part, ces jeux d'ivrognes ne m'intéressaient guère, et je préférais de loin trouver le repos pour m'attaquer à la journée du lendemain, qui ne serait sans doute pas facile, quand serait passé le temps des célébrations.

- Salem !

Je tournai légèrement la tête, à la recherche de la voix qui venait de m'appeler. Mais il y avait tellement de bruits, tellement de gémissements qu'il était difficile de localiser quelqu'un. Je me tournai de l'autre côté, et finis par voir quelqu'un fendre la foule en s'excusant sans vraiment faire attention. Agathe. Elle avait l'air paniquée, et elle traversait les files de blessés comme une nageuse essaie de lutter contre le courant. Elle trébuchait sur des hommes installés par terre, se cognait contre un médecin qui marchait à toute allure, mais elle finit par arriver jusqu'à moi :

- Agathe, que se passe-t-il ? Vous semblez...

Elle ne me laissa pas finir ma phrase, et se jeta à mon cou, manquant me faire tomber. De toute évidence, elle voulut dire quelque chose, mais les mots lui manquèrent, et elle se contenta de me tenir contre elle, enfouissant la tête dans le creux de mon épaule, les épaules secouées de sanglots silencieux. Un peu désemparé, je lui rendis maladroitement son étreinte, et lui soufflai :

- Agathe, tout va bien... Dites-moi ce qui vous amène... On a besoin de moi ?

Elle me lâcha subitement, comme si je l'avais repoussée, et me dévisagea incrédule. De toute évidence, ma question lui paraissait stupide, et devant mon air surpris, elle fronça les sourcils, presque en colère :

- Mais c'est vous qui m'amenez ! Regardez-vous, vous êtes couvert de sang !

- Oh... Lâchai-je en comprenant son trouble. Ce n'est rrien... Ce n'est pas le mien. Vous n'avez pas à vous inquiéter.

Si elle n'avait pas vu que mon arcade était ouverte, et que le sang sur mon visage, en l'occurrence, était bel et bien à moi, elle m'aurait sans doute décoché une gifle à cet instant précis. Elle paraissait extrêmement préoccupée, mais elle n'arrivait pas à l'exprimer autrement que par la colère, ce que je concevais tout à fait. Dans ce genre de situations, les gens pouvaient réagir de manière extrêmement diverse, et il fallait un grand entraînement pour garder son calme et rester professionnel.

- Je n'ai pas à m'inquiéter ? Alors tout va bien ! Je peux vous laisser partir vous faire tuer dans une mission suicide, puisque c'est tout ce qui vous intéresse ! Et en prime, je n'ai pas le droit de poser des questions.

- Bien sûrr que vous pouvez poser des questions.

Elle me décocha un regard venimeux, comme si je la faisais sciemment tourner en bourrique... ce qui n'était pas tout à fait faux. Elle m'attrapa le bras avec force, et me tira en avant sans que j'eusse eu le temps de me préparer, me faisant trébucher sans le vouloir. Elle dut alors se rendre compte que j'étais peut-être légèrement blessé tout de même, et une lueur de honte passa dans son regard. Sa prise devint un soutien, et elle me laissa me reposer un peu sur elle pour me conduire à l'écart. De toute évidence, elle ne pouvait pas poser ses questions en public, et j'étais heureux de savoir qu'elle ne tenait pas - plus ? - à me compromettre devant tout le monde. Cela ne signifiait pas, naturellement, que j'allais lui dire la vérité. Mais le tout était de lui en donner l'impression, comme si en retirant un seul masque elle allait tous les arracher et découvrir la réalité. Elle me conduisit vers le centre de la ville, non sans s'arrêter pour récupérer de quoi panser et recoudre mes plaies - une façon, peut-être, de me torturer ? Nous nous arrêtâmes non loin des fêtards, trop ivres pour prêter attention à nous, et elle me fit asseoir, avant de commencer à m'examiner :

- Je veux savoir la vérité, lâcha-t-elle ex abrupto. Un simple intendant ? Mon œil ! Expliquez-moi tout : pourquoi est-ce que vous m'avez achetée, moi ? Pourquoi est-ce que je suis dans ce merdier avec vous ? Et quel est mon rôle dans tout ça !?

Je soupirai. Ces questions, elle aurait pu me les poser dès le début, mais elle savait que j'allais lui mentir. Aujourd'hui, à ces questions, je pouvais lui répondre par la vérité. Tout ce qui toucherait à Ryad, toutefois, demeurerait dans le secret le plus absolu :

- Je vous l'ai dit, Agathe. Dans votrre langue, je pense qu'on peut appeler cela le Destin. Peut-êtrre que vous prréférrerrez dirre "les Valarr", ou bien "les dieux". Dans notrre langue, il existe un mot pourr désigner l'ensemble des choses que l'on ne comprrend pas, mais qui nous influencent. Je ne saurrais comment vous le trraduirre. Si je ne vous ai pas tout dit depuis le début, ce n'est pas pourr vous piéger, ou me serrvirr de vous... C'est simplement que les choses sont également difficiles pourr moi...

J'aimais une femme, Agathe. Une femme merrveilleuse, douce et pleine de vie. Elle s'appelait Samia, elle trravaillait dans une auberrge, et elle était adorrée par tous ceux qui la rrencontrraient. Son rrirre, sa façon de passer sa main dans ses cheveux quand elle rréfléchissait... j'aimais tout en elle. Elle m'a donné un fils, un beau garrçon dont j'aurrais pu êtrre fierr plus tarrd. Un enfant qui rreprrésentait tout pourr nous. Et puis un beau jourr...


Je levai les yeux vers Agathe, me rendant soudainement compte que j'avais le regard dans le vide depuis un moment. Elle était captivée par mes paroles, et elle avait cessé de m'examiner, totalement concentrée sur ce que je lui disais. Je lus dans son regard une appréhension terrible, et elle lut dans le mien la suite des événements. Elle comprit ce qu'il s'était passé, et ses sourcils se froncèrent bien involontairement, sa bouche adoptant une moue coupable, coupable de m'avoir forcé à exhumer de tels souvenirs. J'inspirai profondément :

- Une épidémie... Elle et mon fils... Il n'aurra pas fallu plus de quelques jourrs... Alorrs si je vous ai libérrée, c'est parrce que quand je vous ai vue, j'ai vu en vous les trraits de mon épouse, et que je n'ai pas pu supporrter de vous voirr derrièrre ces barreaux. Maintenant, je vous connais mieux, et je vous apprrécie énorrmément. Mais vous n'avez aucun autrre rrôle que celui que vous déciderrez de jouer. Vous n'êtes pas un fantôme, vous êtes une perrsonne bien rréelle, et vous n'avez qu'une seule vie. Elle vous apparrtient, et c'est à vous de choisirr comment vous allez la vivrre.

Elle me dévisagea un instant, gênée au point de ne plus savoir où se mettre. Si elle ne m'avait pas emmené à l'écart, et qu'elle n'avait pas décidé de nettoyer mes blessures, elle aurait très certainement pris la fuite. Mais elle s'était engagée, et elle ne pouvait pas revenir en arrière. Se concentrant sur son travail, elle demeura silencieuse, et passa un linge sur mes plaies pour en chasser le sang et pouvoir voir où elle devrait recoudre. Je la sentais tendue, et j'ajoutai :

- Je sais ce que vous allez vous dirre... Que mon histoirre est bien jolie, mais qu'elle ne rrépond pas à vos autrres questions.

- Je n'ai jamais... Commença-t-elle.

- Je vous comprrends, coupai-je. Vous vous demandez comment il est possible que je sache me battrre, et vous pensez que je vous ai menti. Il se trrouve qu'au Rrhûn d'où je suis orriginairre, je ne connais pas un enfant qui ne soit pas forrmé au maniement des arrmes dès son plus jeune âge. Nous apprrenons à nous défendrre, et nous savons tous manier l'épée... au cas où nous devrrions défendrre notrre rroyaume. Ce sont des choses qui ne s'oublient pas avec les années.

Elle ne savait plus où se mettre, et j'avais parfaitement atteint mon objectif. La faire culpabiliser suffisamment pour détourner son attention, avant de lui lancer une estocade fatale. Bien entendu, j'avais dit la vérité au sujet de ma famille, ce qui n'avait pas été aisé, mais au moins n'avais-je pas eu à simuler l'émotion qui s'était emparée de moi. Pour le reste, je n'avais eu qu'à exploiter la faille, afin de parfaire mon déguisement. Je n'avais dit que la vérité, j'avais simplement tronqué et choisi mes passages, tout en m'arrangeant pour la faire passer pour une personne à la curiosité malsaine doutant même de ma propre douleur. En se sentant coupable, elle en oubliait de chercher le mensonge, et elle ne reviendrait pas à la charge avant longtemps. Un coup de maître.

- Je suis désolée, Salem. Je suis désolée pour votre femme. Je...

- N'en parrlons plus, voulez-vous ?

- Bien sûr.

Elle se mordit la lèvre, sortit une aiguille et du fil pour commencer à recoudre les plaies qui nécessitaient un soin urgent, et s'attaqua à son travail. D'ordinaire, elle ne faisait pas particulièrement attention à ceux qui l'entouraient, et elle était bien le genre de femme à ne pas prendre de pincettes avec son patient, pour mieux le railler lorsqu'il montrerait des signes de souffrance. Mais avec moi, en cette étrange matinée où la vie semblait s'être arrêtée à Dur'Zork, alors qu'on célébrait ce qui n'aurait pas dû être fêté, elle mit une attention toute particulière à ne pas me faire de mal inutilement, tandis que ses pensées - je le voyais à ses yeux - étaient agitées, confuses. Elle avait l'impression - et c'était le but de la manœuvre - d'avoir eu faux sur toute la ligne, et elle cherchait maintenant à effacer du filtre de ses pensées toutes les considérations négatives qu'elle pouvait avoir à mon égard.

Si j'avais été quelqu'un de bien, je m'en serais peut-être voulu de ce que je lui faisais subir, et je me serais laissé attendrir par son joli minois plein de remords. Mais j'étais un fidèle serviteur du Trône de Rhûn. Rien n'était plus important.

#Agathe


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"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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