Rencontre entre deux êtres bien différents.

Ils étaient là, plus horribles les uns que les autres, plus hargneux et poussés par une volonté, un désir que je n'arrivais pas à comprendre. L'envie de tuer ? Celle de conquérir ? Ces questions n'avaient que peu le temps de tourner dans ma tête tant ce que je voyais m'horrifiait, tant les choses semblaient vouloir se précipiter. Je les voyais (ou revoyais peut-être ?) se jeter sur les cadavres si ce n'étaient des êtres encore vivants et sortir leurs entrailles du corps, s'en nourrir... Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine, ma tête commencer à tourner... Qu'est-ce que je fais là ?

Alors je suis comme tirée vers le sol, ou plutôt poussée, je ne sais pas, tout en embrouillé je n'ai rien senti venir. Je tombe à terre, violemment, je retiens mon souffle, je me retourne sur la terre boueuse du marais et vois. De nombreux visages hideux et surtout effrayants, se jetant sur moi. Je me débats, je crie, j'essaie de m'extirper de là en rampant, je suis plaquée au sol puis retournée sur le dos. Je souffre alors qu'ils charcutent mon corps, la douleur est interne et extrême. Pourtant je vois encore, comme si malgré le fait que je devrais être morte mon esprit tient à rester dans mon corps, attaché par un lien invisible. Je crie, encore, des larmes coulent le long de mes yeux, impuissante. Enfin mes yeux se décident à se fermer, le noir de la nuit venir à moi. Enfin...

Mes yeux s'ouvrent et l'impression d'une terre tanguant de gauche à droite me déséquilibre complètement. Je vois flou et après un long moment immobile j'arrive à faire l'état des lieux : je suis allongée par terre dans ce qui doit être une petite forêt, les doigts de la main droite plantés dans la terre, la position de mon corps me donnant l'impression de venir de ramper, et je transpirais. Je fermais les yeux, essayant de me calmer ; ce n'était qu'un mauvais rêve, rien d'autre, un souvenir transformé en cauchemar. Tout en me basculant sur le dos, j'essayais de retrouver les conseils d'Agnhë : respirer, se concentrer sur la nature qui m'entoure, ses bruits, la vue qu'elle laisse voir d'elle, mon contact avec elle... Je mis en application ces dires, essayant de retrouver un peu de stabilité. Il fallait dire que dans ma tête venaient encore certains images et ressentis de mon cauchemar.

Les arbres s'élevaient vers le ciel, comme s'ils pouvaient de leurs longs bras les nuages, et laissaient frémir leur multitude de doigts à la douce brise qui dansait sur mon visage. Bien qu'elle était froide et humide, elle me faisait du bien. Je la sentais tout comme je sentais sous moi l'épée qui ne quittait mon dos que lorsque j'avais l'occasion de me baigner, pas bien confortable, tout comme je pouvais éprouver le contact du reste de mon corps avec l'herbe et la terre bien plus ferme que par chez moi. Tout comme je pouvais prendre conscience de mon thorax qui s'élevait puis se rabaissait, au départ rapidement, puis de façon lente et régulière. Un doux et rosé rayon de soleil s'amusait à éclairer la femme que j'étais, m'indiquant ainsi qu'il devait être l'aube ou l'aurore. Incapable d'être précise, je n'arrivais pas à me souvenir du moment où je m'étais endormie... il me faudrait donc attendre quelques temps afin de pouvoir déterminer le moment de la journée et ainsi pouvoir reprendre la route de l'ouest. L'ouest... l'est me manquait, beaucoup, beaucoup trop même. Je n'avais pas encore eu le temps de faire le deuil de mon père, ni de mon clan, ni de ma terre natale. Je ne connaissais plus rien, mon monde était complètement chamboulé, je n'avais plus qu'une direction à suivre. Tristesse. J'en venais à me demander pourquoi Kenod, le Survivant, m'avait épargnée, m'avait aidée même. S'il n'avait pas été là certainement les Valar auraient capturé mon âme ! Enfin bon... mon clan me pesait désormais sur les épaules et je ressentais, au fond de moi, que je ne pourrais faire le deuil de mon père qu'une fois que je serais rendue sur sa terre natale. Si seulement il pouvait être là...

Après quelques minutes je me relevais, sentant très rapidement une douleur dans mon ventre. Il allait falloir que je chasse, cela faisait trop longtemps que je ne l'avais pas fait, au point que mon estomac le réclamait sans même prendre la peine de gargouiller ; il avait compris que ça ne changerait rien. Quoi qu'il en soit, je m'approchais de la petite étendue d'eau qui se trouvait non loin de moi : un petit « lac », mot que nous n'employions pas dans le marais. Son eau si claire m'avait surprise et, après avoir vérifié qu'aucune créature nuisible ne s'y trouvait, j'avais enfin pris un bain. Là, pour l'heure, me rincer le visage et boire un coup ne seraient pas de trop. Je m'agenouillais donc auprès de l'eau calme et y trempa mes mains pour m'éclabousser le visage. C'était rafraîchissant !

C'est alors que j'entendis un bruit étranger à ce que j'avais pu entendre jusqu'alors dans cette zone. Alerte. Tous sens aux aguets, ma main gauche se posant sur mon bâton, je scrutais les environs, prête à faire le moindre geste permettant ma survie dans cet inconnu.

***

Un petit animal, juste ça. Assis à terre, il semble me regarder comme si j'étais une bête curieuse... c'est lui la bête curieuse, pour moi. Je ne me souviens pas avoir vu d'être similaire dans les marais. Alors je reste sur mes gardes, ne serait-ce que le temps de faire un premier point sur le nouvel arrivant : une petite bouille sertie d'yeux verts, un pelage blanc et marron-grisâtre apparemment soyeux, des petites pattes d'où je pouvais deviner qu'au bout étaient des griffes rétractables, une queue sans piquant. Un félin qui ne semblait pas vouloir être agressif, me laissant une impression de calme de par son attitude. Visiblement donc il y a des chances pour qu'il ne soit pas un danger potentiel ; j'avais cependant appris à rester sur mes gardes, l'apparence ne faisant pas l'individu. Après avoir jeté un coup d’œil autour de moi, je fis m'agenouillais tout en décrispant ma main tenant mon bâton. Inutile de faire croire que j'étais un prédateur... mais ça je n'étais pas sûre que l'animal me voyait comme cela.

Il se passa un moment, comme ça, pendant lequel aucun de nous deux ne daigna bouger. J'étais méfiante - quoi de plus normal ? - donc je le jaugeais. Je supposais qu'il devait en être de même pour lui... C'est alors qu'une voix se fit entendre à travers les bois, me faisant aussitôt me redresser sans pour autant me lever.

"Gahane, ouhaytu ?

La voix était assez douce, allant plus vers les aigus que vers le graves. Une voix de femme. Incompréhensible par contre... je ne devais pas être assez loin à l'ouest pour pouvoir trouver le peuple premier de mon père. Une étrangère donc, même si dans le fond c'était bien plus moi qui l'était... Puis je la vis, celle qui venait de parler. Ce qui me frappa le plus fut la façon dont elle était vêtue, une longue tunique euh... robe ? rouge et bleue, des couleurs que nous ne portions pas au sein du clan. La facture était très particulière, la façon dont se tenait la femme n'était pas identique aux nôtres non plus... j'avais l'impression d'avoir en face de moi quelqu'un provenant d'un tout autre monde, comme s'il existait plusieurs univers complètement différents. Un sourire arqua ses lèvres avant de disparaître, me regardant alors avec une méfiance similaire à celle que je pouvais avoir pour elle. Pour autant, elle ne semblait pas être spécialement armée ; mais un je ne sais quoi clochait et et je mis un temps fou à me rendre compte de cette infime différence qui devait signifier beaucoup entre nous deux : des oreilles rondes. C'était quoi ça ?!

-Gahane viuntoud eushuit, ons anva.

Ne comprenant même pas où elle voulait en venir, lorsqu'elle se rapprocha je me mis sur la défensive. Elle avançait, je ne bougeais pas. Comme un animal prêt à filer ou à mordre au cas où l'être lui faisant face s'avèrerait être un prédateur. Pendant ce temps où j'attendis je pu remarquer que l'inconnue ne me fixait plus du regard comme tout à l'heure, de nous deux même elle était certainement celle qui était le moins à même de se défendre, une proie facile sûrement. A peine arrivée au niveau du petit félin que celui-ci déguerpit en ma direction, venant se frotter contre moi tout en ronronnant. Je me retins de justesse de ne pas lui asséner un violent coup de bâton sur la tête ! Qu'avait-il à venir marquer son territoire sur ma jambe celui-là ? Enfin... Comprenant que la fille aux longs cheveux bruns n'était pas offensive, j'essayais d'enlever cette méfiance de mon visage, ce qui n'enleva en rien de sa fermeté, puis me levais doucement. Inutile de brusquer... c'était la premières fois que je rencontrais une personne depuis peut-être plusieurs semaines, l'occasion d'enfin pouvoir essayer de parler à quelqu'un était présente et il valait mieux que je ne la laisse pas filer. Tout en dégageant l'animal de ma jambe d'un coup doux mais ferme de bâton, j'essayais d'ouvrir la discussion.

-Henmet ce mauwë me ?"
(tempo : rapide, normal, lent)

Pouvez-vous me comprendre ? Là était la première question...

***

Non, elle ne comprenait pas langage de mon peuple... du moins la langue, puisqu'il se passa tout un temps pendant lequel rien ne suivit. Je sentis mon cœur se mettre à battre plus fort à cause de ce sentiment de crainte qui n'arrivait qu'à me laisser complètement perdue dans cette conversation qui n'avait ni queue ni tête. Le petit animal miaula, me faisant me retourner. Que voulait-il dire ? Je n'en savais rien. Je n'avais jamais réellement discuté avec un animal pour tout dire, j'arrivais juste à comprendre à peu près quels pouvaient être leurs ressentis. Fort utile lorsque de cette capacité peut venir la survie face à un autre être, notamment face à un prédateur potentiel. Je regardais l'inconnue aux oreilles rondes et aux drôles de vêtements ; elle semblait tout à fait comprendre ce que voulait dire l'animal, ou du moins vu son regard devait-il y avoir une certaine osmose entre eux. Ainsi ce n'est pas un animal sauvage... bon à savoir.

Ce qu'il se passa ensuite me surprit ou, devrais-je dire, faillit provoquer en moi une profonde exaspération. Elle se pointa du doigt, prononça un mot, puis pointa l'animal avant de prononcer un autre mot. Puis elle me pointa du doigt, un air interrogateur dessiné sur son visage. Je ne comprenais pas... ce geste n'appartenait pas du tout à ceux de mon clan ! Je restais muette, regardant tour à tour les deux individus, remettant les mots "Telsia" et "Gaan" sur ce qu'ils étaient. Réfléchissant à toute allure, la première chose que je compris fut qu'elle se présentait comme faisant partie du clan "Telsia" et que le félin devait être un Gaan. Très bien, la notion de clan avait donc de l'importance pour elle. Peut-être pourrais-je parler à son chef (quelque soit le nom qu'ils lui donnent) ? Les chefs font partie des sages, le sien pourrait alors m'aider dans ma quête de l'Ouest. Il fallait juste que je me fasse comprendre de celle qui ne me ressemblait en aucun point... cela ne serait pas des plus simples, sachant qu'en plus elle ne s'était pas présentée sous son propre nom - je ne risquais malheureusement pas de comprendre que le petit animal s'appelait Gaan, vu que nous ne donnons pas de noms particuliers aux animaux. Doucement, pour ne pas la brusquer et ainsi la faire fuir, je fis deux pas en sa direction. Je guettais sa réaction avant de m'arrêter et de pointer un doigt sur mon torse, ce qui me fit bizarre, et de prononcer le nom de mon clan.

"Kevloh.

Cela ne lui dirait très certainement rien, Ulra ne m'avait parlé que par contes de ces êtres aux oreilles rondes... des Humains, si je me souviens bien. Quoi qu'il en soit j'essayai tout de même, je comprenais qu'une aide ne serait pas malvenue dans mon exil. Je posai mon bâton sur le sol afin de faire comprendre que je n'avais pas envie de lui faire de mal et continuai à m'approcher. Toujours aussi doucement, m'arrêtant dès que le doute semblait prendre l'humaine ou encore pire lorsque je pouvais lire dans ses yeux qu'elle désirait partir. La rencontre n'était vraiment pas évidente... Puis, une fois que je fus vraiment proche d'elle - ce qui prit un certain temps - je posai ma main droite à demi-refermée sur mon front, paume vers ma tête, puis la posa ouverte sur mon torse.

-Qewiel."

J'avais prononcé mon nom vraiment lentement par rapport à sa vitesse habituelle, de sorte à être sûre qu'elle le comprendrait. Puis, gardant ma main non loin de mon cœur, je levai ma main gauche pour faire de même mais sur l'humaine. Je sentis qu'elle n'était pas forcément très ouverte à ce geste qu'elle ne devait pas connaître, aussi je ne touchai pas directement son corps, je m'arrêtai à plusieurs centimètres d'elle pour reproduire ce geste de présentation, paume dirigée vers elle. Puis je penchai ma tête sur la gauche, montrant ainsi que cela signifiait une interrogation de ma part. J'attendis un mot, qui je l'espérai serait bien son nom, avant de me reculer de quelques pas. En la regardant bien, je n'étais pas sûre qu'elle m'ait réellement comprise...

***

Il y eut un temps pendant lequel je ne sus si celle qui me faisait face me comprenait vraiment. Il y eut un blanc, encore. Le petit animal, le gaan, vint alors sur l'épaule de la femme aux oreilles rondes et fit un petit bruit assez caractéristique des félins. Je ne compris pas ce qu'il dit mais il me sembla alors qu'un lien existait réellement entre le gaan et elle. Arrivait-elle à le comprendre, comme s'ils parlaient la même langue ? Ce n'était pas mon cas en tout cas. Quoi qu'il en soit je restais là, espérant une réponse, essayer de connaître celle qui m'était inconnue. Il se passa encore quelques secondes, puis celle en robe prononça un mot, un qu'elle avait en fait déjà prononcé : Telsia.

Ma main se baissa, enfin je comprenais, à la fois contente d'avoir réussi à instaurer un dialogue entre nous deux, à la fois dépitée de comprendre que dès le départ elle parlait de son prénom... Et le clan ? Faisait-elle seulement partie d'un clan ? Savait-elle seulement qui pourrait l'aider dans sa quête de l'Ouest ? J'en doutais... Je baissais la tête, cherchant rapidement quoi dire, quoi lui faire comprendre. N'arrivant pas trop à savoir quoi faire, je m'écartais un peu plus d'elle et après avoir regardé où en était le soleil je lui montrais du doigt l'ouest, tendant bien le bras pour lui faire comprendre que c'était cette direction que je souhaitais désigner, pas les arbres. Après allait y avoir le problème de faire comprendre que je posais une question. Je fermais mon poing n'indiquant pas la direction, le mettant à hauteur de mon visage, pour montrer que je posais une question. Cela ne fut visiblement pas compris, aussi... je soupirais, tout en haussant les épaules et en  regardant l'ouest. Comment pourrais-je lui faire comprendre ?