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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyJeu 6 Oct 2016 - 0:00
Les ténèbres absolues et poisseuses recouvraient le monde comme une couche de peinture gluante, dégoulinant sur la chair, l'étouffant. L'univers n'était plus qu'un marécage putride et sonore, un calvaire permanent. Le bruit incessant de dizaines de bottes ferrées sur un sol pierreux était pareil à mille lames immatérielles déchirant le cerveau malmené des guerriers. Les pas étaient rapides. Joyeux. Les cris aussi. Des hurlements, des piaillement comme dans un nid de poules. Ils ne s'arrêtaient jamais. Jamais. Recroquevillés, le corps lacéré et laminé par la malveillance de leurs geôliers, ils n'osaient pas ouvrir les yeux de peur de s'attirer de nouveaux les foudres de ceux qui les gardaient, qui les guidaient au travers des profondeurs du mal. L'un d'entre eux, un dont la barbe et l'épaisse moustache étaient maculées de sang séché, se risqua tout de même à observer aux alentours alors qu'il sentait qu'on lui touchait la main. Lorsque son œil se fixa sur l'origine de ce dérangement, il croisa le regard apeuré d'un Gobelin si petit et si chétif qu'il aurait facilement pu passer pour un enfant de ce peuple horrible et maudit.

Les deux se regardèrent pendant un instant qui parut durer une éternité, les grands yeux globuleux de la créature affichant sans réserve l'immense terreur qui s'était saisie d'elle. Ce Gobelin-ci ne portait pas d'armure, ni d'épée, ni de lance, ni de bouclier hérissé de piques. Il ne lançait pas des chants guerriers pour célébrer la victoire de son peuple sur les armées de la coalition, car il n'était de toute évidence pas un soldat. Rien qu'une misérable créature qui n'avait aucune place dans une société qui valorisait la guerre, la violence et le carnage. Ridicule et guère menaçant malgré les crocs pointus que l'on apercevait à travers sa bouche ouverte stupidement, il déglutit péniblement et cligna des paupières à plusieurs reprises comme pour retrouver ses esprits. Avec un empressement trahissant la précarité de sa situation, il retira le dernier anneau qui entourait le doigt du guerrier Naugrim, l'ajoutant au sac qu'il portait à la ceinture. Il aurait pu avoir un mot de pitié pour sa pauvre victime, voire même un sourire de compassion. Mais il était un Gobelin, et il ne savait pas faire ces choses. Alors, aussi silencieusement qu'il était venu, il s'écarta de la cage non sans jeter un dernier regard curieux à ce guerrier Nain qui semblait déjà s'être rendormi.

L'armée gobeline victorieuse avait investi la forteresse de Kalil Abad, ou Daul Dauman comme ils l'appelaient dans leur sombre langue. Ils avaient massacré un grand nombre d'Hommes et de Nains en ce jour faste pour leur peuple. En effet, sous le commandement d'un de leurs plus prestigieux officiers, ils avaient remporté leur première victoire décisive contre le second peuple sous la montagne, depuis le début de ce que les enfants d'Aulë appelaient la « Reconquête », mais que les Gobelins nommaient quant à eux « l'Invasion Inarrêtable ». Depuis quelques temps, ils avaient réussi à ralentir la progression de leurs ennemis, à consolider leurs défenses et à tenir bon contre les assauts répétés des armées ennemies. Plus elles s'enfonçaient en territoire Gobelin, plus elles s'exposaient aux pièges sournois et au harcèlement des archers cachés qui dévalaient les parois rocheuses dans les ombres, et lâchaient sur les troupes mal préparées des volées de flèches meurtrières avant de se replier furtivement. Les enfants de la nuit avaient prouvé que cette invasion n'était pas « inarrêtable », mais aujourd'hui ils avaient démontré qu'ils pouvaient même faire mieux que résister. Une contre-attaque était possible, une victoire décisive contre les Nains, leurs ennemis de toujours, était maintenant envisageable. La nouvelle de leur victoire résonnerait dans toutes les grandes cités, et bientôt le monde apprendrait que la puissance des Gobelins ne s'était pas effondrée.

Afin de poursuivre cette entreprise, Daul Dauman allait servir de point d'ancrage. Des bataillons de Gobelins avaient d'ores et déjà investi la forteresse pour en renforcer les points stratégiques, et celui qui avait dorénavant le commandement des lieux était un des seconds du grand artisan de cette victoire, du stratège qui avait anticipé les mouvements de leurs ennemis et qui avait fondu sur la forteresse en un éclair pour en massacrer tous les occupants. Ce guerrier redoutable que les Gobelins craignaient autant qu'ils admiraient, les Nains apprendraient à trembler en le sachant à la tête des régiments de Gundabad. Lorsque la bataille avait été remportée, que le dernier étendard ennemi avait été jeté à bas, les Gobelins avaient scandé son nom dans la nuit, tout en piétinant les cadavres de leurs ennemis dont ils récupéreraient les crânes et les ossements, lesquels orneraient leurs totems et leurs armures.

Les souvenirs des célébrations macabres étaient présents dans les mémoires de la poignée de survivants Naugrim, capturés et forcés d'assister au spectacle effroyable. Ce n'était que la première des tortures qu'ils auraient à subir, car on prévoyait pour eux des choses terribles, à commencer par leur rapatriement dans une des antres gobelines où ils seraient privés de lumière jusqu'à ce qu'ils eussent rendu leur dernier souffle. Avec de la chance, ce jour viendrait bientôt et mettrait un terme aux souffrances interminables qui leur étaient promises. En attendant, les voilà qui arrivaient en vue de ce qui ressemblait à une gigantesque cité souterraine, qui fourmillait d'activité. Combien de temps avaient-ils ainsi avancé au rythme des chants et des danses ? Ils n'auraient su le dire. Plusieurs jours, assurément. On les avait battus fréquemment, jusqu'à l'inconscience, et la nourriture qu'on leur avait donnée avait eu l'effet des plus puissantes drogues sur leur organisme pourtant résistant. Ils n'avaient plus aucune notion du temps ou de l'espace, mais maintenant que les lumières innombrables de la cité s'étendaient devant eux, ils ne pouvaient que retrouver leur lucidité. Immobiles mais attentifs, ils n'osaient pas tenter de se rebeller. Faire le mort était encore leur meilleure façon de rester en vie.

On les fit sortir de leur cage roulante, un par un, et ils furent emmenés derrière de nouveaux barreaux puants, dans des cellules sans confort, sans même un matelas où s'allonger. Le vétéran des Naugrim, qui respirait encore avec difficulté, jeta un regard peut-être un peu trop agressif à l'encontre d'un Gobelin qui passait par là. L'intéressé inclina la tête sur le côté, et se déplaça vers lui de sa démarche claudicante. Il était large et fort, mais son genou blessé l'handicapait sérieusement quand il marchait. Il grogna comme un animal féroce, et le guerrier à la barbe blanche baissa les yeux, conscient que tout nouveau défi pouvait signer son arrêt de mort. Il se retourna donc pour entrer dans sa cellule, mais au moment où il franchissait le seuil, quelque chose de dur lui heurta l'arrière du crâne et l'envoya valdinguer à l'intérieur. Le même objet, probablement un bâton, continua de le frapper dans le dos tandis qu'il se tortillait pour échapper au supplice. Incapable de voir son agresseur, il ne pouvait pas non plus se défendre. Il subissait les brimades de ces pathétiques créatures, qui n'allaient pas seulement lui prendre la vie, mais aussi sa dignité. L'assaut prit fin alors que l'injustice ne faisait que commencer, et un claquement sourd accompagna la sortie du geôlier. Son rire gras allait devenir une musique aussi régulière que désagréable pour le pauvre prisonnier enfermé…

Combien de temps passa-t-il allongé ainsi, incapable de bouger sans éprouver une intense douleur qui le transperçait comme des aiguilles insidieusement glissées par chaque pore de sa peau ? Le temps paraissait se dilater sous ces cavernes qui, si elles avaient bien été taillées dans la pierre, n'avaient rien de la magnificence et de la splendeur des galeries que les Nains pouvaient creuser. Ces abris puants et sordides ne laissaient filtrer aucune lumière, et ils ressemblaient à des égouts ou d'immenses oubliettes dans lesquelles s'entassait la lie de la Terre du Milieu. Un endroit dont personne ne pouvait sortir psychiquement indemne. Les minutes semblaient une éternité dans ce pénitencier géant, et bientôt les heures se succédèrent avec une lenteur effroyable. La mort, prisonnière de ces lieux elle aussi, se délectait de voir le chagrin et l'affliction sur le visage de ceux qui venaient se perdre ici-bas. Chaque inspiration était un supplice, et chaque expiration une détresse lorsqu'elle n'était pas la dernière. Le simple fait de se trouver en ces lieux lacérait l'âme des griffes du désespoir et jetait l'esprit en pâture à la folie la plus profonde. Alors, quand des bruits de pas se firent finalement entendre au dehors le prisonnier, dont la barbe blanche était désormais emmêlée et recouverte de crasse, demeura allongé exactement dans la même position. Sans bouger. Comme une statue de marbre figée par le froid glacial que l'on percevait glisser sur la peau quand bien même il n'y avait pas un souffle de vent…

- Shâ glozshi.1

Il y eut un grognement affirmatif, puis les pas se rapprochèrent. Le guerrier emprisonné sentit des mains qui s'emparaient de ses bras, et sa vaine tentative de se défendre se solda par de nouveaux coups qui le ramenèrent bien vite à la docilité. Un Gobelin au visage à moitié défoncé par un grand coup de sabre lui attrapa les cheveux et tira son visage en arrière, l'observant de son œil unique où brillait une lueur malveillante. Il considéra sa prise un instant, et fit claquer ses dents bruyamment dans ce qui devait être un rire. Il grogna de nouveau, et rejeta le Nain au sol avec une force surprenante. Faisant visiblement un effort pour parler convenablement malgré sa bouche qui n'avait pas été épargnée, il articula avec peine :

- Ki torag Zock-Dah. Hum.2

Le geôlier parut hésiter un bref instant, mais un ordre était un ordre, et il finit par s'éloigner en traînant des pieds. Le Balafré avait une mine étrange, à la fois curieuse et méprisante, comme s'il venait de dénicher un objet rare sur un étal, mais que celui-ci était cassé. Un bibelot qu'il avait paradoxalement envie de traiter avec soin, et de détruire avec une rage incommensurable. Dans le doute, il préférait ne rien faire, observant avec attention comme si les secondes qui s'égrenaient pouvaient faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Il avait volontairement laissé la porte ouverte derrière lui, comme pour inciter le Nain à tenter quelque chose, n'importe quoi. Mais le prisonnier n'était ni stupide ni ignorant de sa situation. En un contre un, ses chances de franchir l'obstacle que représentait ce Gobelin en pleine possession de ses moyens étaient déjà ridicules. Mais alors quitter la cité dans laquelle il se trouvait désormais ? Autant se jeter du haut d'une falaise et espérer s'en sortir avec une cheville foulée. Non, il n'était pas raisonnable de croire qu'il avait la moindre chance.

- ZOOOOOOOOOOOCK-DAAAAAAAH !

Un cri grave retentit quelque part hors de vue, et des centaines de voix reprirent ce cri avec un enthousiasme qui donnait la nausée. Les Gobelins, invisibles mais pourtant bien présents, se mirent à taper des mains, des pieds, à frapper leurs armes rouillées sur leurs boucliers éventrés. Ils annonçaient la venue d'une créature bien sombre. Le prisonnier, cédant à la curiosité, regarda autour de lui. Mais c'était devant qu'il fallait observer. Le Balafré s'était écarté brusquement car le Maître était arrivé.

- Zock-Dah… Souffla le Balafré en s'inclinant gauchement, et en esquissant un mouvement de retraite.

- Ban.3

Le Nain n'était pas particulièrement petit parmi les siens, pourtant il devait admettre qu'il ne soutenait pas la comparaison face à la stature colossale de son nouveau vis-à-vis. Zock-Dah, puisque c'était son nom, était un titan parmi son espèce, un colosse aux bras noueux qui éclipsait tout le monde autour de lui par sa simple aura. Les chétives créatures que les Nains taillaient en pièces avec facilité n'étaient que du menu fretin, et le prisonnier ne put que constater à quel point leurs ennemis avaient de la ressource. Il fallait se féliciter que de tels spécimens ne constituassent pas la majeure partie des peaux vertes, sans quoi la Reconquête aurait tourné court. Zock-Dah n'était peut-être qu'un Gobelin, mais il n'avait pas l'air stupide et effrayé que pouvaient avoir certaines des pathétiques créatures que les Naugrim rencontraient fréquemment. Il se tenait plus droit que ses congénères, et on lisant dans son regard que la soif de violence qui l'animait n'avait pas englouti son intelligence et sa ruse. C'était assurément un adversaire de taille. Dans tous les sens du terme.

- Ton nom.

Sa voix était indéfinissable, à la fois envoûtante et menaçante. Elle avait le ton rude et déformé des créatures de Morgoth, naturellement, mais y perçaient des accents qui collaient si bien à son propriétaire qu'il était difficile de ne pas se sentir écrasé à chaque fois qu'il prenait la parole. De toute évidence, la conversation allait être à sens unique, puisque le Nain refusa d'ouvrir la bouche. Zock-Dah n'était pas connu pour sa patience, ni pour sa bonté d'âme, pourtant il ne parut pas s'offusquer de cette petite résistance. Au lieu de quoi, il se retourna et quitta la cellule.

- Nakh, migul.4

Le Balafré observa tour à tour le prisonnier, puis Zock-Dah qui s'éloignait sans un regard en arrière, puis il se tourna vers le Nain et le força à se relever. Sans prendre la peine de lui attacher les mains – à quoi bon ? – il le poussa en avant et l'emmena à la suite d'un des plus célèbres Maîtres Fouets de Gundabad. Ils évoluaient sur un système de coursives et de passerelles qui longeaient les parois de la montagne. Le tout avait été construit sans charme, mais avec une astuce suffisamment incroyable pour étonner même un Naugrim. L'ensemble était instable, apparemment fragile, mais la démarche chaloupée des Gobelins s'adaptait finalement assez bien à tout ceci, alors que le prisonnier était obligé de se retenir constamment pour ne pas perdre l'équilibre. Là où les enfants d'Aulë préféraient la solidité et la stabilité de beaux passages en pierre lisse, leurs rivaux éternels avaient opté pour des créations branlantes et maladroites qui collaient à leur nature. Décidément, les deux peuples n'avaient rien en commun.

Ils arrivèrent bientôt devant une petite galerie qui s'ouvrait comme un tunnel au bout duquel on apercevait une petite lumière. Pour y accéder, ils devaient monter une série de marches usées, taillées à la va-vite, qui leur permirent d'accéder à une sorte de petite alcôve qui s'ouvrait au-dessus d'une vaste salle. Tous les sens du prisonnier furent frappés simultanément lorsque Zock-Dah apparut. Un concert de chants, de hurlements et de tambours accueillit la sortie du Maître Fouet, qui  leva les bras comme un général triomphant, et savoura les acclamations de son peuple. Un pas derrière lui, le Nain se tenait encore dans l'ombre, invisible du reste de la foule. Le Gobelin le fit monter à ses côtés, et la foule sembla entrer en transe. Les milliers d'âmes rassemblées étaient incontrôlables, certains grimpaient sur les autres pour mieux voir, d'autres se mettaient à sauter sur place comme s'ils étaient possédés. La raison de tout ceci devint évidente lorsque Zock-Dah sortit un long poignard effilé. Son regard glacial croisa celui du prisonnier. Ils n'échangèrent pas un mot, mais les acclamations et les appels de la foule étaient clairs.

Le Naugrim sentit une main puissante lui appuyer sur l'épaule, et le faire tomber à genoux. Il faisait face à l'assemblée réunie, il pouvait voir leur jubilation extrême, la haine qu'ils lui portaient. Il pouvait ressentir leur envie de le tailler en pièces, et leur désir profond d'infliger le même sort à tous les Nains qu'ils trouveraient. Les armées Gobelines pouvaient compter sur une chose : la rage de tuer qui animait ce peuple belliqueux. Voilà au moins un trait qu'ils partageaient avec leurs adversaires de toujours. Zock-Dah leva le poignard bien haut dans le ciel, et le glissa sous le menton de son prisonnier.

Il n'y eut qu'un mouvement, brusque et extrêmement précis.

Le Maître leva son trophée dans les airs, et les Gobelins devinrent encore plus fous si cela était possible. Certains avaient des convulsions, ils étaient dans une autre galaxie, libérés de toute contrainte physique. Certains faisaient couler leur propre sang avec leur lame sans même paraître éprouver la moindre douleur, d'autres se frappaient la tête contre les parois rocheuses en lançant de grands éclats de rire. Zock-Dah, qui les observait avec une impassibilité spectaculaire compte-tenu de la circonstance, fit résonner sa voix pour être entendu de tous :

- Nam ord dorg !5

Il jeta le prix de la victoire au milieu de la foule, et les Gobelins se ruèrent comme des chiens affamés sur un morceau de viande. Aucune retenue, aucun respect. Ils n'étaient plus que des bêtes enragées à mort, galvanisées par leur chef aussi charismatique qu'énigmatique. Zock-Dah se tourna vers ce qu'il restait du Nain, et eut une moue difficile à déchiffrer. Sa main alla chercher quelque chose dans l'obscurité, et lorsqu'elle en ressortit, il tenait une grande hache à nulle autre pareille. Cette arme était connue aussi bien des Nains, pour ses hauts-faits, que des Gobelins chez qui elle avait pris de nombreuses vies au cours des siècles. C'était une arme merveilleuse et terrible, à la fois objet de destruction et symbole fédérateur chez le peuple Naugrim.

Barazanthathûl.

Son seul nom suffisait à faire frémir les ennemis des Nains. Zock-Dah la tenait comme s'il s'agissait d'un objet tout à fait banal, sans paraître s'émouvoir de son histoire légendaire et de sa réputation funeste. Au lieu de quoi, il parut l'examiner un instant, s'attardant sur les motifs complexes sculptés sur son manche et sur sa lame. Même les Gobelins savaient apprécier le beau travail, quoi qu'ils ne fussent pas en mesure de créer eux-mêmes de telles splendeurs et que leur nature les poussât à corrompre ce qu'ils trouvaient pour servir leurs propres desseins. Après un instant de contemplation, il lança tranquillement :

- Ton nom, Seigneur de la Moria. Donne-le moi. Ou je prendrai plus que ton honneur.

L'intéressé leva les yeux. Ceux de Zock-Dah exprimaient une satisfaction insoutenable. Ils étaient entourés par une armée entière de Gobelins, mais le Maître Fouet savait que même s'ils n'avaient été que tous les deux, même si le Nain avait pu se jeter sur lui et le frapper de toutes ses forces, il aurait quand même l'avantage. Il lui avait porté le coup le plus dur qu'il était possible d'imaginer, et rien de ce qu'on lui renverrait n'aurait autant d'impact.

Le Maître avait déjà gagné.

En témoignaient les hourras qui remontaient jusqu'à eux.


__________

1 Il ne dort pas.

2 Vas chercher Zock-Dah. Maintenant.

3 Reste.

4 Viens, misérable.

5 Nous sommes les maîtres de la montagne !


Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop

"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Hadhod Croix-de-Fer
Ancien seigneur de la Moria
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Hadhod Croix-de-Fer

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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyDim 6 Nov 2016 - 16:33
Pris.

Pour la première fois de sa vie, Hadhod était pris par l'ennemi. En cent quatre-vingts neuf longues années, jamais il n'avait été fait prisonnier par quiconque, que ce fut dans de petites escarmouches au détour d'un angle de galerie ou lors des grandes batailles dont il avait été le protagoniste. Bien des fois cela lui avait pendu au nez, notamment lors de sa première vraie campagne militaire il y a de cela près d'un siècle et demi, tandis qu'il maniait Barazanthatûl pour la première fois et qu'il n'était qu'un simple nain, sans titre et sans prétention, happé par la fièvre de la guerre, par le panache et l'envie de faire ses preuves. Il avait été sauvé de peu lors du dénouement de cette campagne longue de sept ans, à la célèbre Bataille de la Brande Desséchée, par l'arrivée inopinée de renforts. Il s'en était fallu de quelques heures pour qu'il connût la captivité, mais il y avait échappé. De même pendant les premières semaines de son règne, il avait mené lui-même ses troupes reconquérir la ténébreuse Moria et avait connu un franc succès. Et loin de chez lui l'an dernier, au pays de Rohan, malgré la faible ampleur de son contingent il n'avait pas été pris par les hommes de la Couronne de Fer.

Cette fois il n'y avait pas échappé. Tout s'était passé si vite... Voyant la bataille perdue et prenant sur lui la responsabilité de la défaite, il s'était lui-même lancé dans une manœuvre périlleuse, téméraire, insensée. Se coupant de ses troupes il avait chargé le troll dans l'encadrure de la grande porte, et dans sa colère et son désespoir  s'était révélé plus hargneux que son redoutable adversaire. Les coups obstinés de son fer de hache avaient taillé des sillons dans la peau pourtant coriace de la créature, la faisant reculer dans de terribles cris de douleur, la rendant folle et désorientée par la furie qui s'abattait sur elle. Les fumées noires avaient privé Hadhod de ses repères, pourtant il s'était douté qu'ils avaient quitté l'enceinte de la forteresse et se trouvaient sur la chaussée pentue qui donnait accès à Kalil Abad. Un étourdissement avait alors embrumé son esprit et il s'était surpris à donner des coups dans le vide, ne sachant au juste si son lourd adversaire avait fui ou s'il s'était effondré à cause de ses blessures. Et puis il avait senti quelqu'un le bousculer, avait manqué tomber et avait balayé l'air d'un grand revers de hache. Il y avait eu un cri. Puis on l'avait à nouveau bousculé, et puis encore à nouveau. Il eut mieux valu qu'il se laisse choir sur le pavé et fasse le mort, car à force de bousculades et de halètements ses agresseurs avaient fini par déterminer précisément sa position malgré la purée de poix opaque. Des mains étaient venues l'agripper, le tirailler, des corps étaient venus l'ensevelir. Le fils de Trehod avait résisté comme un lion malgré sa fatigue et ses sens chancelants : il avait fait craquer un cou, avait enfoncé son pouce dans un œil et en était même venu à mordre. Mais le nombre de ses ravisseurs était finalement venu à bout de sa résistance et il avait été cruellement immobilisé et ligoté, puis emporté.

Emporté vers où, il en avait une vague idée et regrettait de ne pas être mort parmi ses soldats lors de l'ultime combat. Le Roi croirait-il qu'il avait déserté ? Ce serait là l'ultime déshonneur...

♦ ♦ ♦

Le temps s'écoulait très lentement quand on était enfermé, à la merci des coups et des brimades, dans les geôles indécentes des gobelins. Depuis combien de temps était-il enfermé dans ces cavernes puantes, il n'aurait su le dire. Son esprit était moins engourdis que pendant cet interminable voyage, ses sens lui revenaient peu à peu mais il ne parvenait pas à en comprendre la raison. En fait, maintenant qu'il était enfermé de façon sûre derrière de solides barreaux en fer forgé, les gobelins n'avaient plus à mêler des drogues à sa nourriture et à sa boisson, lesquelles ne devaient servir que lorsque du butin vivant était ramené des terres extérieures. Mais la vie n'en fut pas moins déprimante. Pour toute vue il avait les barreaux de sa cellule et le mur irrégulier du couloir des geôles. Pour toute odeur celle de la bouillie peu ragoûtante qu'on lui servait à intervalles réguliers, une fois par jour lui semblait-il mais il ignorait si c'était le matin, le midi ou le soir. Et pour toute distraction auditive des vociférations dans l'horrible langage des gobelins. Hadhod ignorait si les habitants de Gundabad formaient un peuple homogène ou s'ils n'étaient qu'un agglomérats de tribus diverses, mais de toute évidence ils usaient d'un dialecte bien défini et n'avaient nullement besoin du Commun pour se comprendre. Ils ne l'employaient que lorsqu'ils s'adressaient à lui. La syntaxe en était alors plutôt correcte, ce qui le surprit grandement ; le vocabulaire et la prononciation étaient par contre des plus vils.

La linguistique – et à plus forte raison la linguistique gobeline – n'intéressaient pas Hadhod outre mesure, pourtant il tâchait de raccrocher son esprit à des détails comme celui-ci pour ne pas sombrer dans un désespoir total. Cela faisait s'évader son esprit, à défaut de son corps, et rendait la douleur physique et la douleur mentale un peu moins insupportables. Ce n'était pas toujours évident cela dit : il avait appris à ne pas contrarier le gardien pour éviter d'être rossé à nouveau, mais les multiples ecchymoses qui constellaient son corps le lançaient affreusement. Il se demanda même si certains de ses os n'étaient pas fêlés tant il était enflé par endroits. Pour couronner le tout, il venait de contracter un gros rhume dans cette atmosphère froide et humide, et son nez cassé lors de la bataille rendait chacun de ses innombrables éternuements dignes d'un supplice.

Puis on était venu lui parler.

« On » n'était autre qu'un gobelin de taille gigantesque. Hadhod crut tout d'abord qu'il s'agissait de Baltog. Le sbire au visage balafré s'était incliné devant lui en prononçant un mot qui devait signifier « Majesté » ou quelque formulation de respect analogue. Oui, ce devait être là le fameux Roi Gobelin dont les Nains ne savaient que peu de chose, hors mis le nom. Le colosse lui demanda son nom, interrogation que le Seigneur de Khazad-dûm gratifia d'un silence religieux. S'ils apprenaient qui il était, ils enverraient des émissaires en Moria et marchanderaient sa vie en échange de conditions exorbitantes. Non, il ne devait pas céder. Il ne céderait pas. Cet infâme créature pouvait bien ordonner au geôlier de le rosser à nouveau, cela n'y changerait rien, qu'il apporte le bâton et il verrait bien !

Mais le bâton ne quitta pas la ceinture du maître des prisons. Hadhod se vit emmené de force par le Balafré. Ils marchèrent pendant un bon moment, empruntant des passerelles de fortune que les nains n'auraient pas même osé mettre en place provisoirement lors des expéditions de recherche de minerai. Gundabad, Gundubanad comme disaient les sages, était jadis la capitale du Royaume de Durin et Hadhod avait toujours pensé qu'il y trouverait l'architecture régulière digne des fils d'Aulë. Mais qu'ils se trouvassent dans une zone agrandie à postériori par les peaux-vertes ou que la maçonnerie naine ait été dégradée jusqu'à ne plus ressembler à ce qu'elle était à l'origine, Hadhod crut presque que la présence de ses aïeux ici n'était finalement qu'une légende.

Mais où le menait-on comme ça ?

Hadhod comprit bien vite que les gobelins entassés dans cette salle en-dessous de lui étaient venus assister à son exécution. Leur déchaînement répugnant l'emplit de dégoût, mais aussi de cette sensation plus désagréable encore qu'on nomme la peur. Du brouhaha endiablé s'élevait souvent le même mot bi-syllabique qu'il avait entendu dans sa cellule. Il était répété, encore et encore. Et soudain Hadhod comprit. Zock-Dah. Le Gobelin à taille d'homme. Celui qui ne connaît pas la défaite. Le Coupeur de Têtes. Hadhod tourna la tête pour croiser son regard, ces deux yeux jaunes et mauvais derrière ce visage glacial. Zock-Dah. Puis il fut mis à genou et le Maître-fouet lui passa le couteau sous la gorge. C'en était fini, il était mort.

Il ressentit un tiraillement mais ce fut moins douloureux que ce à quoi il s'attendait. Et bien plus douloureux à la fois. Les lambeaux de sa barbe voletèrent depuis l'alcôve jusqu'à la populace en contrebas comme au ralenti. C'étaient toutes les années de sa vie qu'il voyait s'éloigner, disparaître, cent quatre-vingts neuf ans tranchés cruellement en un seul bref instant. Sa barbe était perdue, son honneur bafoué, sa grande hache tenue sans le moindre respect en signe de victoire. Hadhod était dépouillé de tout. Et pourtant il avait encore peur.

Ton nom, Seigneur de la Moria. Donne-le moi. Ou je prendrai plus que ton honneur.

Il avait peur qu'on lui prenne sa vie, c'était tout ce qui lui restait. Un refus catégorique entraînerait à coup sûr son trépas, rapide dans le meilleur des cas.

Un Nain ne cède pas sous la contrainte.

Un Nain préfère la mort à la capitulation.

Un Nain n'obéira jamais à un Gobelin.

Mais un Nain, ça porte une barbe...

- Hadhod... Hadhod Croix-de-Fer.


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Ryad Assad
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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyMer 7 Déc 2016 - 14:08

- Hadhod… Kroadefer…

Les mots sortaient déformés de la bouche du Gobelin immense, mais il était certain qu'il savait à qui il avait affaire. Depuis le début, en réalité. Il avait simplement amené son prisonnier au bord du précipice pour l'entendre céder, l'entendre s'affaisser et se recroqueviller comme une pathétique créature. Le Nain, du moins ce qu'il en restait, ne pleurait pas. Il était à un stade au-delà du simple désespoir. Tout simplement, il avait été anéanti, et son avenir dansait au creux de la paume de son adversaire invincible. Lever les yeux vers cet être abject qu'était Zock-Dah revenait à lever les yeux vers son destin, lequel paraissait arborer un sourire malveillant.

- Bienvenue à Gundabad, laissa-t-il échapper en dévoilant ses canines gigantesques, celles d'un prédateur.

Il confia Barazanthathûl au Gobelin qui l'accompagnait, lequel s'inclina servilement en faisant de son mieux pour ne pas chanceler sous le poids de l'arme. Il était curieux d'observer le Maître-Fouet, qui se déplaçait avec une forme d'élégance répugnante. On le sentait maladroit, gauche et asymétrique comme ses congénères, mais dans tout ce chaos régnait une forme de magnificence malsaine. Les Gobelins étaient par nature des créatures imparfaites et viles, mais Zock-Dah incarnait la quintessence de ces immondes choses qui pullulaient dans les souterrains du monde. Il tourna le dos à la foule, et fit un signe de la main pour inciter Hadhod à le suivre le long du même couloir qu'ils avaient empruntés. Toutefois, quand ils en émergèrent pour se retrouver le long des coursives branlantes qui se jetaient à l'assaut du vide avec une audace confinant à la folie, ils prirent une autre direction que celle des geôles.

- Vous avez de la valeur, Hadhod… Kroadefer.

Il ménageait de longues pauses dans son discours, sans qu'il fût possible de dire s'il ménageait ses effets volontairement, ou s'il réfléchissait simplement aux mots à utiliser. Le Westron restait une langue que les créatures de la nuit utilisaient peu, et elle leur brûlait la bouche quand elles devaient l'utiliser. Malgré sa stature, Zock-Dah ne faisait pas exception. Il marchait en tête, le Nain sur ses talons, lequel était suivi du Balafré qui gardait un œil attentif sur lui.

- Vous savez des choses… importantes…

Nouvelle pause. Ils quittèrent le système de coursives à donner le vertige, et s'engouffrèrent dans un nouveau tunnel qui ne montait ni ne descendait. Ils bifurquèrent à droite, puis débouchèrent sur un vaste espace. Le temps de s'habituer à la pénombre ambiante, et Hadhod put constater qu'il s'agissait d'ouvriers en train de s'affairer avec empressement. Ils déployaient leurs talents et leur agilité pour grimper sur les murs et travaillaient à y installer de nombreux pièges et dispositifs complexes. Certains taillaient à l'aide de pioches usées des niches dans lesquelles des archers embusqués pourraient se tapir, tandis que d'autres consolidaient ou renforçaient des passages que les guerriers emprunteraient pour surgir discrètement derrière les forces qui tenteraient d'attaquer la cité.

Gundabad se préparait à la guerre.

Malgré l'imposante force coalisée que les Nains avaient réussi à rassembler sous l'égide de leur roi, il fallait bien admettre que la bataille serait particulièrement âpre et rude. Si l'on prenait en compte les importants sacrifices auxquels les forces de la Reconquête devraient consentir avant d'arriver aux portes de la place-forte, il faudrait sans doute des années aux armées Naines pour enlever la cité aux Gobelins. A supposer bien entendu que nulle force ennemie ne vînt pour briser le siège qu'ils tenteraient de mettre en place. Chaque mètre se gagnerait au prix du sang versé, et il n'était pas certain que les Nains sortissent victorieux de cette guerre. Les ingénieurs malingres et colériques discutaient du positionnement des redoutables armes de siège qu'ils disposaient sur les remparts fraîchement renforcés. Les machines complexes, dont le fonctionnement ne pouvait pas apparaître évident à un esprit sain, avaient toutefois un but facilement identifiable : donner la mort. Elles ravageraient les rangs des assaillants, et prélèveraient leur tribut sans merci.

Zock-Dah fit demi-tour, sans faire aucun commentaire sur les préparatifs défensifs des troupes de Gundabad. Il revint exactement sur ses pas, et lorsqu'ils atteignirent de nouveau les coursives, il poursuivit sa route comme s'il offrait une visite guidée à Hadhod. Les raisons d'agir du Gobelin étaient obscures, mais il était probable qu'il voulût offrir une vision de la puissance de son peuple. Toutefois, il y avait davantage que de la vantardise dans sa façon d'agir. Davantage que la volonté d'impressionner un Nain qui n'avait que mépris pour ce qu'il voyait.

- Vous connaissez le Roi Thorik…

La phrase était sortie de nulle part, et elle jeta un froid. Thorik était celui qui avait rendu la Reconquête possible. Il avait unifié pratiquement toutes les forces des Nains sous sa bannière, et avait été à l'initiative de cette grande guerre. Malgré son jeune âge, et sa relative inexpérience, il était soutenu unanimement par tous les grands seigneurs, dont Hadhod lui-même. Sans lui… Sans lui, quelle victoire les Nains pouvaient-ils envisager ? Zock-Dah, qui ne s'était pas arrêté d'avancer, continua lentement :

- Vous connaissez le Prince Orwen…

Cette révélation était plus surprenante encore. Il était évident que les Gobelins disposaient de leurs propres informateurs, et de leurs propres renseignements sur les forces coalisées. Ils n'avaient pas dû manquer de remarquer que des hommes du Rohan se battaient aux côtés de leurs ennemis de toujours, et que ceux-ci étaient menés par un chef aussi charismatique qu'il était jeune. Toutefois, en faisant ces révélations, Zock-Dah dévoilait à quel point les Nains avaient pu sous-estimer les armées Gobelines. L'État-major qui entourait Thorik était capable de déterminer avec précision les mouvements des troupes ennemies, d'estimer leur nombre, la qualité de leur armement. Ils pouvaient prévoir où ils allaient frapper, et où ils allaient craquer. Toutefois, ils ne connaissaient que peu de choses au sujet des personnes et des personnalités qui menaient la défense acharnée des Gobelins. Hadhod pouvait se rendre compte par lui-même à quel point ignorer son ennemi pouvait être dangereux.

Zock-Dah bifurqua de nouveau, mais cette fois il prit une autre passerelle de bois, encore plus instable que les autres. Elle traversait le vide, et se dirigeait vers une gigantesque alcôve de pierre, laquelle n'était accessible que par ce seul pont, lequel devenait rapidement un chemin de cordes. Tressées solidement les unes aux autres, elles étaient paradoxalement plus solides que les fragiles constructions en bois usées, mais elles n'inspiraient certainement pas la confiance. Un bref coup d'œil en-dessous renseignait sur l'issue d'une chute malencontreuse. Quiconque déciderait de tenter le grand saut aurait largement le temps de regretter son acte, avant de s'écraser si profondément que de là où ils se trouvaient, le sol ne leur apparaissait pas.

Ils arrivèrent finalement sur un sol de pierre stable, et ils pénétrèrent dans une salle qui ressemblait à une fosse. Ils se trouvaient sur une sorte de balcon qui faisait tout le tour, et lorsque Hadhod fut invité à s'approcher pour observer en contrebas, il put voir qu'une demi-douzaine de Nains était agenouillés là. Ils avaient visiblement été battus, maltraités, et certains avaient même été dépossédés de leurs oreilles ou de certains de leurs doigts. Mais tous avaient leur barbe, cependant. Ils levèrent les yeux vers le Seigneur, car Zock-Dah avait fait attention à choisir des Nains qui avaient été capturés en même temps que le Compagnon de la Croix-de-Fer. Du coin de l'œil, le Gobelin se délecta de la réaction de son prisonnier de luxe. Était-ce le fait de ne pas être immédiatement reconnu par les siens qui lui faisait le plus mal ? Ou bien le fait d'être justement reconnu et de voir la lueur horrifiée passer dans le regard de ses frères d'armes ?

- Gorid !1 Tonna Zock-Dah.

Dans la seconde, des Gobelins surgirent des ombres et se jetèrent férocement sur les Nains qu'ils poignardèrent sans merci. Il y eut des hurlements de douleur et de désespoir, avant qu'un grand silence ne s'emparât de la fosse, seulement brisé par les rires narquois des assassins qui venaient de commettre leur forfait.

- Vous avez de la valeur, Hadhod Kroadefer… Pas eux.

Le message était clair. S'il ne coopérait pas, s'il n'acceptait pas de parler et de révéler les secrets de la Reconquête, il finirait comme ces malheureux dont le corps serait certainement mutilé et profané. Le grand Gobelin haussa les épaules, et fit un geste éloquent de la main pour congédier son prisonnier :

- Toragid, hum.2

Hadhod allait tranquillement être raccompagné jusqu'à ses geôles, où il serait interrogé sans le moindre ménagement jusqu'à avoir révélé toutes les informations dont il disposait. Il y serait torturé s'il résistait, il serait battu s'il mentait, on le priverait de nourriture s'il essayait de gagner du temps. Son calvaire ne faisait que commencer. Et quand il observa Zock-Dah, il ne put voir que son dos immense.

Le Maître-Fouet s'était déjà désintéressé de lui…


___________

1 Tuez-les !

1 Emmène-le, maintenant.

#Zock-Dah #Hadhod


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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyVen 31 Mar 2017 - 20:27
Plus d'une fois Hadhod fut tenté de courir jusqu'au bord des coursives et de sauter dans les abîmes qui s'étalaient, sombres et mystérieuses, en-dessous d'eux. Était-ce la crainte des tortures à venir qui lui donnait l'envie d'en finir ici et maintenant ? Peut-être, mais pas seulement. Il ressentait une émotion qu'il n'avait connu que rarement dans sa longue vie. Une émotion qui lui serrait la gorge, qui lui tiraillait les tripes et qui, pire que tout, était capable de lui faire monter les larmes aux yeux s'il n'y prenait pas garde. Cette émotion, ces ressentis, le renvoyaient quelques mois en arrière. Il revoyait la scène... Thôrun, chef du Krammkarn et de la Loge des Passeurs de Khazad-dûm, ouvrait la porte de ses appartements privés. Il lui avait demandé une audience dans la plus stricte discrétion. Hadhod entendait les voix murmurer à ses oreilles comme si c'était hier. ... de connivence avec l'Ordre de la Couronne de Fer. Le Seigneur de la Moria se levait alors de son siège, croyant avoir mal entendu. Qu'est-ce que vous dites ? Tôrhun le regardait avec des yeux emplis de compassion. Votre mère, seigneur Hadhod. Drís. Elle est de connivence avec l'Ordre  de la Couronne de Fer. De la honte, voilà ce qu'il avait ressenti. Une honte insupportable. Mais aujourd'hui l'intensité était encore différente car sa honte ne concernait plus un de ses proches, mais sa propre personne. Zock-Dah avait visé juste en touchant à ce qui faisait sa fierté de Nain, et malgré cette insulte suprême il avait accepté de lui révéler son véritable nom pour éviter de mourir, comme un chien battu qui vient lécher la main de son maître. À présent la mort, qui le terrifiait quelques instants plus tôt, lui souriait, l'appelait à elle, le tentait en lui promettant l'oubli de son déshonneur.

À quoi bon souffrir plus longtemps ? Toute heure passée dans cet enfer voyait augmenter le risque qu'il révèle à ses ennemis des informations cruciales et promettait des espoirs de salut ridiculement infimes. Kalil Abad était certainement tombée et dans le meilleur des cas Thorik avait du fuir vers quelque place, peut-être à Therkâ Nalâ à une poignée de lieues à l'est. La Reconquête avait subi un sérieux revers et les chasseurs étaient devenus les chassés, y avait-il un espoir pour que la vapeur s'inverse à nouveau ? Non. Oui, bien sûr que oui.  Les deux pensées s'étaient succédé de façon fulgurante dans l'esprit perturbé du Seigneur imberbe de la Moria : la seconde, provenant de la raison, avait chassé la première, issue de son instinct déformé par le désespoir. Oui, Thorik pouvait encore rassembler ses armées et marcher sur Gundabad pour livrer une vraie bataille, pas une défense improvisée contre une embuscade. Armée contre armée les Nains pouvaient encore avoir leur chance. Ils ne disposaient pas de créatures aussi massives que les trolls ni d'artifices de magie noire, ils étaient en sous-nombre par rapport aux gobelins, mais un brave soldat nain paré de son armure et de sa hache valait deux, trois, cinq peaux-vertes dans un combat loyal.

C'est pourquoi Hadhod ne plongea pas tête la première dans le vide. Il espérait pouvoir être sauvé, s'il le méritait encore...

Grande fut sa surprise lorsqu'il s'aperçut que Zock-Dah et son homme de main balafré lui faisaient prendre une autre direction que sa sordide cellule. Une forme de soulagement pointa dans son esprit avant d'être balayée par un tourbillon d'hypothèses plus inquiétantes les unes que les autres que son imagination lui envoyait pour son tourment. Zock Dah lui faisait visiter la cité tout en lui lançant de temps à autres une phrase courte et concise, comme autant de petites aiguilles à moitié plantées dans son cerveau. Il semblait prendre un cruel plaisir à jouer avec lui, à lui révéler seulement quelques bribes de ce qu'il avait en tête pour que le seigneur Croix-de-Fer se torture lui-même les méninges à essayer d'en deviner les arrières-pensées.

Décidément ce gobelin était exceptionnel, Hadhod était obligé de le reconnaître même si cela lui faisait mal. De tous temps les Nains avaient dépeint les Gobelins comme des êtres sans cervelle, dépourvus de la moindre finesse d'esprit, des petites brutes colériques dont la seule lueur d'intelligence était d'ordre technique. Mais ce Zock Dah avait quelque chose d'autre, une lueur spéciale dans les yeux, une conscience plus exacerbée que ses congénères, une capacité de réflexion plus poussée. La haine du fils de Trehod pour cette race l'empêcha d'aller jusqu'à lui trouver une forme de sagesse, mais il lui semblait presque voir la brillance des yeux d'un elfe cruel et difforme, encadrés qu'ils étaient par ces oreilles pointues. C'était une idée stupide, certainement due aux doutes et aux craintes de Hadhod, mais elle lui avait traversé l'esprit.

Or donc, les phrases se succédaient à mesure que durait le voyage dans les souterrains avilis de l'ex-capitale naine. Vous avez de la valeur, Hadhod Kroadefer... Vous savez des choses importantes... Vous connaissez le Roi Thorik... Vous connaissez le Prince Orwen... Tel un guide-conférencier, il mêlait le verbe aux images des lieux qu'il traversait pour faire passer son message. Mais quel était ce message ? Les ouvriers qui trimaient pour améliorer les systèmes de défense de Gundabad n'avaient pas reçu ces ordres par hasard, non. Zock-Dah avait compris le but ultime de la guerre des Nains : ils n'avaient pas pris le chemin des Monts Brumeux pour casser du gobelin, mais bel et bien pour leur prendre leur capitale. Ils se préparaient. Ils les attendaient de pied ferme, prenant la menace au sérieux. Vous avez de la valeur... Avec horreur, Hadhod comprit qu'il n'était plus qu'un objet, particulièrement rare et précieux, dans les mains des Gobelins ; un objet qu'ils pourraient menacer de détruire si les Nains se montraient trop menaçants, brisant leur élan en leur infligeant un abominable dilemme moral. C'était le risque. Hadhod ignorait s'il aurait le courage de crier aux siens de le laisser mourir le moment venu plutôt que de renoncer à la reconquête... tout son courage, si fort parmi son peuple, semblait en ce lieu cauchemardesque tanguer autant que les passerelles suspendues. Vous savez des choses importantes... Cela ne devint que trop clair à présent, et concernait une échéance bien plus proche encore. Vous connaissez le Roi Thorik... Les stratégies et les projets du Roi, Zock-Dah les voulait, et il s'évertuerait à lui les prendre de gré ou de force. Il était du devoir de Hadhod de lui cacher coûte que coûte l'information concernant Gabil Agrâbhaban, le Grand Assaut de la Revanche, dont Thorik avait annoncé à ses vassaux qu'il serait déclenché pour le Jour de Durin, une fois que les longs mois de campagne auraient fait vomir à Gundabad le gros de ses effectifs.

La revanche prenait jour après jour, heure après heure de plus en plus de sens, si besoin en était. La cruauté de Zock-Dah était sans limite et il avait bien l'intention de faire boire à Hadhod le calice de l'horreur jusqu'à la lie. La visite se termina par ce que le Maître-fouet considérait sans nul doute comme le point d'orgue de sa funeste mise en scène. Les nains agenouillés là, amochés, mutilés, posèrent leur regard sur lui. Il en reconnaissait la plupart, ceux qui parmi eux étaient venus du Khazad-dûm pour batailler dans le Nord avec lui. Reproche vis-à-vis de ses décisions, incompréhension, pitié pour son honneur perdu, Hadhod n'arriva pas à savoir ce que ces regards voulaient lui dire. Les yeux de tous ces pauvres naugrim se révulsèrent bientôt pour toujours, leurs possesseurs poignardés à mort sur ordre de Zock-Dah. Ce dernier voulait saper les résistances morales du Seigneur de la Moria, transformer ses derniers espoirs en désespoir total, lui faire broyer du noir par la noirceur du spectacle auquel il l'obligeait à assister.

Pourtant à trop vouloir affirmer sa domination sur son ennemi, Zock-Dah était passé à côté de la terrible clef qui aurait pu ouvrir Hadhod Croix-de-Fer en deux et lui faire révéler toutes les informations qu'il voulait. La mise à mort de ses frères d'armes ou la coopération, voilà une stratégie qui aurait eu toutes ses chances. Peut-être Hadhod aurait-il préféré laisser mourir les siens en l'honneur de ceux pour quoi ils s'étaient battu... mais peut-être n'aurait-il pas eu la force de la supporter. Petite erreur qui pouvait avoir son importance. Ou tout au moins retarder l'échéance, car ce qui l'attendait serait peut-être encore moins drôle que ça.

Le Maître-fouet s'éloignait déjà...

- Zock-Dah...

Il avait prononcé son nom dans un murmure si faible que l'autre ne le remarqua même pas. Seul le Balafré eut un frémissement et releva la tête.

- Zock-Dah, attendez.

Cette fois le chef des Dépeceurs s'arrêta et se retourna lentement comme s'il savourait cet appel, cette supplication du seigneur nain. Ce dernier avait le dos courbé devant tous ses malheurs et les épaules tombantes à cause de l'alimentation insuffisante de ces derniers jours.

- Nous pouvons... nous pouvons discuter.

Ses yeux regardaient dans le vide un point qui se situait à peu près en-dessous du menton de Zock-Dah, comme s'il craignait de voir à nouveau cette lueur étrange si effrayante dans ceux du monstre.

- Thorik a bien l'intention d'attaquer votre cité.

La phrase avait été lâchée à mi-voix, comme pour qu'elle ne soit pas entendue par l'esprit de Durin Ier si toutefois il vagabondait encore en ces lieux qui n'avaient plus rien à voir avec les cavernes sacrées où il s'était jadis réveillé. Dans son trouble, Hadhod venait même d'assimiler le charismatique gobelin au maître de cette cité... le Roi Zock-Dah des Monts Brumeux. Il faut dire que ce dernier se comportait presque comme tel, tout au moins à travers le prisme défromé des yeux de Hadhod, qui en outre n'avait jamais vu Baltog depuis son arrivée ici.

- J'ai... J'ai une proposition à vous faire mais j'exigerai des contreparties.

Le Maître-fouet devait bien rire devant cette tentative de marchandage. Peut-être même s'attendit-il à voir le  nain mettre les mains sur les hanches et retrousser le nez comme un enfant qui fait son caprice et réclame une friandise.

- Voilà... Thorik est mon Roi, mais il n'a pas tous les pouvoirs. En ma qualité de Seigneur de la Moria je conserve une autorité sur ma Cité et sur les Montagnes qui l'abritent. Si j'avais donc à prendre une décision qui concernait les Monts Brumeux en particulier, il pourrait me blâmer mais pas m'en empêcher : c'est notre loi. Zock-Dah, si vous et vos semblables acceptez de déposer les armes et de quitter Gundubanâd dans le calme, je vous jure sur tout ce qui m'est sacré, sur Durin Père de mes Ancêtres et sur Mahal le Grand Forgeron, sur la Hache qui fait notre fierté et sur la Pierre qui fait notre substance, de vous accorder, ainsi qu'à votre peuple, un sauf-conduit jusqu'à Carn Dûm sans que le moindre des vôtres ne soit tué, blessé, ou brutalisé en aucune façon. Vous avez ma parole de Nain.

La tête de Hadhod se releva soudain et ses yeux plongèrent dans ceux du gobelin, affichant un sursaut de lucidité qu'ils n'avaient plus montré depuis sa prise en otage. L'extrémité droite de sa lèvre se crispa subrepticement, grimace due aux ecchymoses et à sa blessure qui le lançaient, ou bien esquisse d'un sourire en coin.  

- Je vous en supplie, pensez à eux, c'est votre seule chance de les sauver d'une mort certaine.


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Ryad Assad
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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptySam 1 Avr 2017 - 15:39
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La démonstration de force de Zock-Dah avait indubitablement fait son effet. Il avait pu lire la peur dans les yeux du Nain, et il savait qu'en le conduisant progressivement sur les chemins de l'horreur il parviendrait à obtenir ce qu'il souhaitait. Des informations de première main sur les forces et les faiblesses de l'armée coalisée, des détails sur le plan de bataille du Roi Thorik et de son état-major… N'importe quoi qui pourrait permettre aux Gobelins de reprendre l'avantage dans cette guerre. La contre-attaque sur Kalil Abad ne pouvait pas faire oublier que pendant des semaines, ils avaient été sur le recul, essuyant défaite après défaite. Leurs bastions étaient tombés les uns après les autres devant la puissance et l'organisation des Naugrim qui bénéficiaient en outre d'un équipement supérieur et d'une volonté de fer. Ils avaient taillé dans les défenses gobelines avec aisance, obligeant les principaux représentants de Gundabad, du Mont Gram et Goblinville à s'organiser pour mener une défense plus efficace. Au départ, chacun avait soigneusement conservé ses forces à l'écart du conflit, escomptant sur l'attaque des Nains allait affaiblir un concurrent. L'opportunisme légendaire des créatures de la nuit existait bel et bien. Mais en se rendant compte que les forces déployées par Thorik appartenaient à une alliance de tous les royaumes Nains, et que leur marche les destinait immanquablement à détruire les trois grandes places-fortes, tout le monde s'était mis à la table des négociations, cherchant à organiser la résistance.

C'était peut-être la raison pour laquelle les Nains sentaient que les combats étaient plus difficiles, plus âpres et plus coûteux. Au lieu de s'attaquer à de faibles garnisons, très inexpérimentées, qui fuyaient en désordre devant les haches scintillantes que l'on brandissait devant elles, ils devaient faire face à des régiments entraînés, nombreux, et mieux disciplinés. Les attaques des Gobelins avaient depuis longtemps cessé d'être des charges frontales désespérées, et sous l'égide d'individus comme Zock-Dah et bien d'autres leurs stratégies s'étaient élaborées, gagnant en efficacité, prenant les Naugrim au dépourvu. Ainsi Hadhod avait-il été pris, et bientôt sans doute d'autres seigneurs Nains s'ils n'y prenaient pas garde. En lui faisant visiter les gigantesques installations défensives de la cité, le Maître-Fouet savait que « Kroadefer » allait comprendre… comprendre que les Gobelins se préparaient à un siège, et que l'arrivée des Nains ne serait pas une surprise. Il espérait que devant l'évidence de la défaite de son peuple, Hadhod accepterait de négocier pour sauver son peuple d'une attaque qui le conduirait inévitablement à la destruction. Car il avait devant lui les ingénieurs de Gundabad, mais il ignorait encore que les bataillons du Mont Gram et de Goblinville se tenaient prêts à affluer eux aussi, amenant leurs porteurs de mort pour prendre en tenaille les assaillants. Le Roi Baltog avait une grande ambition…

Éradiquer les armées Naugrim en une seule bataille décisive.

C'était un plan qui plaisait à Zock-Dah, lequel s'assurerait que ses troupes seraient au cœur des combats, aux prises avec l'ennemi. Mais pour parvenir à réaliser cet objectif, il leur fallait de nouveaux renseignements. Les mouvements des Nains n'étaient pas faciles à cerner, car ils pouvaient se déplacer de jour comme de nuit et, profitant des rayons du soleil, couvrir de grandes distances sur les chemins exposés à la lumière du jour pour rallier de nouvelles positions. Fort heureusement, les Gobelins avaient leurs alliés : des informateurs humains, qui les servaient craintivement depuis longtemps, et qui avaient contribué à les renseigner. Ils étaient devenus doués pour compter les troupes ennemies, estimer leur nombre avec un degré de précision tout à fait satisfaisant, et calculer leur vitesse de marche. Toutefois, ce n'était pas assez. Pour vraiment pouvoir porter un coup fatal à l'armée de Thorik, il fallait obtenir des données au plus haut niveau… savoir ce que l'on racontait dans l'entourage du Roi lui-même. Dans cette optique, Hadhod était la clé…

Ce fut la raison pour laquelle, quand le Nain appela le Maître-Fouet, celui-ci ne tarda guère à se retourner. Il avait besoin de ces informations, et s'il pouvait les obtenir sans avoir besoin de dépenser trop de temps et d'énergie, cela lui allait également. Il n'en croirait pas un mot, bien entendu, et il torturerait Hadhod le temps qu'il faudrait pour obtenir confirmation. Après tout, aucun fils de Durin ne révélerait sciemment à un Gobelin de telles informations. Pas sans y avoir été poussé, naturellement.

Toutefois, le sourire suffisant du grand guerrier s'évanouit quand il sentit que la résolution de son prisonnier n'avait pas vacillé autant qu'il avait pu l'espérer. Ainsi, ce misérable espérait marchander ? Un rictus menaçant dévora le visage difforme du Maître-Fouet, comme s'il était sur le point de se jeter toutes griffes dehors pour déchiqueter purement et simplement le compagnon de la Croix-de-Fer. Le mot « contrepartie » l'avait fait tiquer, et une lueur brutale envahit son regard. Il n'était pas ici pour marchander, il n'était pas ici pour négocier. Il avait déjà fixé ses conditions, et Hadhod n'avait rien à lui offrir qui pût l'intéresser. Pourtant… Le Nain paraissait insensible à ses avertissements silencieux, et il se lança dans une tirade qui laissa le Balafré et Zock-Dah pantois. Ce court-sur-pattes n'avait donc aucune retenue. Même dans la pire situation, même privé de son arme, de son armure, de sa barbe et de ses atours de grand seigneur, il continuait de se comporter avec la condescendance qui caractérisait son peuple.

Ha !

Leur fournir un sauf-conduit jusqu'à Carn Dûm en échange de leur reddition ? Des Nains qui ne profiteraient pas de la situation pour mettre à mort leurs ennemis ancestraux ? Et tout cela au nom de quoi ? Pour épargner au peuple de la cité une « mort certaine » ? Soit le Seigneur de la Moria était devenu fou, soit il surestimait très largement les forces de la coalition. Dans un cas comme dans l'autre, le résultat serait le même : il mourrait, et tous les siens avec lui. Néanmoins, il y avait dans son regard un éclair de lucidité qui déplut souverainement au Maître-Fouet. En plongeant dans les yeux du Nain, il se rendit compte qu'il croyait dans ce qu'il disait, et qu'il semblait vouloir initier un bras de fer. Son pari était simple, il était persuadé que Thorik allait l'emporter, et rien ne pouvait le détourner de cette idée. Davantage que la peur de voir ce futur se réaliser, ou que la frustration de devoir négocier, ce fut la colère la plus noire qui s'empara de Zock-Dah. Une colère qui n'était pas motivée, curieusement, par les propos mêmes de son interlocuteur. Non. Elle tenait à un terme en particulier qu'il avait utilisé, et que le Gobelin ne pouvait pas supporter d'entendre. Jamais.

- GUNDABAD ! Tonna-t-il soudainement.

Il ponctua son rugissement d'un retentissant coup de poing qui vint cueillir Hadhod en pleine poitrine, le jetant à terre où il resta, le souffle coupé.

- Son nom est Gundabad !

Hors de lui pendant un bref instant, il retrouva un peu de maîtrise sans toutefois que la rage eût totalement disparu de son regard et de ses gestes. Il éclata d'un rire déplaisant, malsain, et pointa un doigt en direction de sa pauvre victime qui le contemplait depuis le sol :

- Shâ zog i rangum kogum, Khozd !1

Il avait presque craché ce dernier mot, avec tout le mépris et la haine dont il était capable. Sa furie était stupéfiante, et elle faisait sans doute écho à un sentiment que les Nains ne pouvaient pas mesurer pleinement : la fierté des Gobelins. Ce peuple malingre, chétif et incapable de beauté, avait été capable de s'imposer comme un des plus puissants en Terre du Milieu. Ils tenaient leurs bastions depuis des siècles, et nul n'osait les défier ! Ils avaient prouvé cent fois qu'ils méritaient mieux que d'être traités comme de la vermine, et l'arrogance de ceux-qui-marchent-sous-le-soleil était de moins en moins supportable. Ils les haïssaient, ils les haïssaient tous autant qu'ils étaient !

- Khozdai gukhtigu nakhya, â bû toraskya2, reprit-il.

Sa langue déformée avait des accents curieusement suaves et mortels, comme un serpent ondulant pour mieux endormir sa proie et la mordre à la gorge. Les sonorités rudes et brutales portaient le poids de milliers d'années de guerres, de conflits et de violences que les Gobelins avaient dû endurer. Ils ne passeraient jamais d'alliance avec les Nains, et encore moins ne se rendraient à eux. Écartant les bras, Zock-Dah prit une pose théâtrale en jetant :

- Girid… Girid… Margid Gundabadul… Shirzlum rishyam… Rangi goryam â Khozdai dum gorgoryam…3

Il s'interrompit un instant, puis un ton plus bas souffla :

- Go kirm â ghâsh…4

Le Balafré, qui s'était recroquevillé devant Zock-Dah, ne put s'empêcher de hocher la tête et de reprendre sa dernière phrase à voix basse. Comme une incantation. Comme une prière. Ils restèrent un instant silencieux, Hadhod n'osant certainement pas intervenir de peur de s'attirer de nouveau les foudres du Maître-Fouet. Celui-ci finit par humer l'air, ce qui lui tira un sourire narquois :

- Hum, aharid…  Nuzdi gast…5 Fit-il en y adjoignant un geste de la main parfaitement compréhensible.

Le Nain sentit qu'on le relevait, et qu'on le tirait en arrière. Le Balafré le ramenait à sa cellule. En s'éloignant, il put voir que cette fois les yeux de Zock-Dah étaient braqués sur lui. Alors que sa silhouette disparaissait dans les ombres, ses deux pupilles jaunes et luisantes restèrent à le fixer intensément en lui promettant les pires tourments. Il ne s'était certainement pas fait un allié…


▼▼


Le Maître-Fouet de Gundabad observait les troupes d'un œil critique. Quatre groupes forts d'une cinquantaine de Gobelins chacun avaient été constitués. Les deux premiers avaient pour mission d'attaquer les lignes de ravitaillement des Nains, provenant du Nord et du Sud. Leur tâche consisterait moins à attaquer les convois qui, lourdement gardés, assuraient l'approvisionnement en nourriture et en armes de leurs ennemis. Ils devraient surtout entreprendre des actions de sabotage, obstruer les tunnels dans lesquels passaient les Naugrim pour les forcer à prendre des chemins plus longs et plus dangereux. Ce n'était qu'une petite diversion, mais si elle pouvait leur faire gagner du temps, elle aurait atteint ses objectifs.

Les deux autres groupes, quant à eux, avaient une toute autre importance… Ceux qui les composaient n'étaient pas des guerriers, mais plutôt des messagers rapides qui fileraient vers le Sud et vers l'Est à la recherche de nouveaux alliés susceptibles de faire pencher la balance. En effet, les Monts Brumeux n'étaient pas le seul endroit en Terre du Milieu où l'on pouvait trouver des Gobelins. Zock-Dah ne l'aurait avoué à quiconque, mais les paroles de Hadhod avaient généré en lui une pointe d'inquiétude. Il connaissait la puissance des Nains, même s'il ne les craignait pas. Toutefois, il n'avait jamais vu une armée coalisée – renforcée par des alliés humains – montrer une telle détermination. Lui-même considérait que Gundabad était imprenable, mais il préférait de loin se montrer trop prudent que pas assez. A l'issue d'une entrevue fort peu plaisante, il avait su convaincre son Roi Baltog de la nécessité d'envoyer des émissaires rallier des forces que les Nains ne s'attendraient pas à voir approcher. Il avait fallu beaucoup de patience pour faire comprendre au Roi que ce n'était pas une marque de faiblesse, mais plutôt de raison. La menace était aujourd'hui plus réelle que jamais.


▼▼


Hadhod avait été reconduit dans sa cellule dans le plus grand silence, et le Balafré avait fait venir deux Gobelins qui s'étaient amusés à le tabasser pour la forme. Sans même lui poser une seule question. Il n'était même pas certain que cela faisait partie du traitement qu'avait prévu Zock-Dah, ce n'était sans doute qu'une facétie de son geôlier qui entendait s'amuser à ses dépens.

Les heures cédèrent la place aux jours, et chacun d'eux apportait avec une régularité effrayante son lot de violence. C'était toujours le même rituel. Des bruits de pas et des rires, puis le Balafré qui ouvrait la porte. Des Gobelins – toujours différents – entraient et usaient de bâtons pour frapper le prisonnier qui se tortillait sur le sol. Il n'était pas facile de savoir si les coups étaient plus douloureux que leurs rires qui transperçaient les tympans. Ils prenaient un plaisir malin et non simulé à l'exercice, et sans nul doute qu'ils se battaient pour avoir le privilège de rentrer dans la cage et de passer leurs nerfs sur leur prisonnier. Ils s'arrangeaient simplement – ce devaient être les consignes – pour ne rien lui casser. Ni les doigts, ni le nez, ni les jambes ou les bras. Juste des bleus et quelques fines plaies qui saignaient légèrement. Rien qui le tuerait de douleur ou l'empêcherait de marcher.

Et à la fin de la dernière séance de torture – la troisième ou la quatrième le plus souvent –, on lui servait invariablement son unique repas de la journée. Une mixture répugnante dont il valait mieux ne même pas demander la recette, qu'il devait manger en tremblant d'avoir été tant battu.

Les jours s’égrenèrent ainsi, ponctués par les visites tant redoutées. Au bout d'un temps indéfinissable… peut-être une semaine, peut-être moins, peut-être davantage… Hadhod eut toutefois une drôle de surprise. Alors qu'on ouvrait sa cage pour la troisième fois depuis le dernier repas, et qu'il se préparait à recevoir les coups de bâton, il constata que ce n'était pas un Gobelin qui venait à lui, mais bien un Nain. Un Nain qui avait toute sa barbe, et qui fut jeté sans ménagement dans la cellule avant que le Balafré ne refermât la porte à clé. Il n'avait plus un poil sur la tête, mais sa barbe longue et bien blanche attestait de son âge avancé bien plus encore que ses traits tirés. Comme Hadhod, il portait les stigmates de tortures récentes. En s'approchant, le Seigneur de la Moria put constater qu'il était éveillé, conscient, mais décidé à faire le mort :

- Ils sont partis ? Chuchota-t-il. Dites-moi qu'ils sont partis… Pitié, faites qu'ils soient partis…

Et le Nain, constatant que ses geôliers n'étaient plus là pour le frapper, se mit à sangloter.


__________

1 : N'espère pas que nous allons abandonner cet endroit, Nain !

2 : Ta horde de Nains viendra, et sera vaincue.

3 : Essayez… Essayez… Attaquez Gundabad… Nous vous trancherons morceau par morceau… Nous tuerons votre Roi et nous massacrerons les Nains jusqu'au dernier…

4 : Par la lame et le feu

5 : Et maintenant, emmène-le… Il empeste la peur…


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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyLun 10 Avr 2017 - 20:12
- Vous ! Par tous les diables... mais qu'est-ce... qu'est-ce que vous faites ici ?

La question était partie toute seule, faisant fi de la situation et de la douleur, du désespoir et de l'horreur. Malgré son piteux état, malgré la crasse, les ecchymoses et les sanglots qui transformaient quelque peu son visage, le nouvel arrivant n'était pas inconnu de Hadhod. Ce dernier baissa d'un ton, allant jusqu'à chuchoter de manière à ce qu'aucun gobelin tapi dans l'ombre ne puisse entendre ce qu'il disait. Oh, de toute façon nul gobelin n'aurait pu comprendre la teneur de ses propos car il s'exprima en khuzdûl et non en langage commun, mais il n'imaginait que trop bien le courroux que pourrait inspirer sa langue maternelle si elle venait à être entendue par les séides de Gundubanâd, et les séances de tabassage supplémentaires qui pourraient en résulter – ici tout prétexte était bon pour jouer du bâton. D'ailleurs, Zock-Dah n'était-il pas sorti de ses gonds en entendant le nom originel de la cité ? User du khuzdûl en ce lieu était un symbole de résistance. On pouvait se faire enlever armure, atours, hache, et même barbe, mais pas son attachement à sa culture.

- Aktubmi ku astu utsu. Astu utsu id-amnan Khagal'abbadu ku anukhi e asukh, tân ansudi aya id-zabadegam Khazad-dûmu. 1

Oui, c'était bien lui. Son crâne avait encore perdu quelques cheveux depuis qu'il était venu le narguer sur ordre de son neveu, il y avait sept ans de cela, lors de la cérémonie d'investiture de Hadhod en tant que Seigneur de la Moria, mais il portait la même barbe blanche qu'alors. 2

- Astu utsu Ghomenar... Id-irakadad Toner Ghomenaru uzbad Torongheimu... 3

Hadhod n'en revenait pas. Il avait longtemps ruminé l'affront que cet individu lui avait fait. Ce dernier, en présence du roi Krohr, de ses Sept Conseillers, de toute la Croix-de-Fer et de toute la noblesse du Khazad-dûm, lui avait offert comme présent une peinture représentant un nain percé d'une flèche gisant aux pieds d'un elfe lors des guerres du Premier Âge, symbole des défaites que les Ghomenar prophétisaient pour le tout nouveau Seigneur de la Moria. Il n'y avait jamais eu beaucoup d'amour entre les Croix-de-Fer et les Ghomenar mais cet incident avait ravivé les braises de cette inimitié, certes étouffées à de nombreuses reprises depuis pour le bien du peuple Nain, mais toujours rougeoyantes. Ah, que n'aurait-il pas donné pour pouvoir étrangler cet arrogant représentant de la famille honnie, dans les années qui suivirent ! Le vieil ambassadeur des Montagnes Bleues avait désormais payé pour son arrogance, même si ce n'était pas de la main de son ancienne victime. Et pourtant, à l'heure où Hadhod eut pu savourer la vue de l'oncle de son rival dans la souffrance, il ne ressentit pour lui qu'empathie, compassion et tristesse. Dans cet endroit où l'horreur faisait partie du quotidien, où la torture était monnaie courante et où les cauchemars de l'enfance passaient pour de doux rêves, que pouvaient bien représenter les vieux griefs des Nains contre les Nains, des familles contre les familles, et des frères contre les frères ? Quelle importance revêtait maintenant un cadeau provocateur, des paroles un peu trop railleuses ou des querelles entretenues par habitude ? Rien. L'ennemi d'hier qu'il croyait haïr était devenu le compagnon de galère avec lequel il partagerait la douleur et la souffrance.

- Ak... zûr ? 4

L'autre ne répondit même pas à la question, continuant de pleurer tout en poussant des gémissements qui prenaient Hadhod aux tripes. Il avait mené de nombreuses batailles, vu maints proches mourir ou être estropiés juste à côté de lui, mais rien de ce qui s'était passé pendant sa vie ne lui paraissait aussi atroce que le comportement de l'ambassadeur des Ered Luin et les sévices qu'il laissait imaginer. Mais comment s'était-il retrouvé aux mains de Baltog et de Zock-Dah alors qu'aucune armée des Nains de l'Ouest n'avait encore eu le temps de prêter main forte à la coalition ? L'esprit retourné par ses récents passages à tabac et par le spectacle bouleversant qui s'offrait à lui, le fils de Trehod et de Drís essayait tant bien que mal d'émettre des conjectures... Le couronnement de Thorik s'était déroulé sans la présence de l'ambassade des Montagnes Bleues, car on n'avait pu se permettre de repousser la cérémonie, et par là même la Reconquête. Mais on avait entendu dire que des émissaires s'étaient mis en route tout de même pour honorer le nouveau Roi. Si c'était le cas, ils auraient pris la Grande Route de l'Est qui traversait l'Eriador avant de devenir Men-i-Naugrim, la vieille Route des Nains qui coupait aujourd'hui à travers Vertbois-le-Grand pour arriver à Erebor. Ce chemin franchissait les Monts Brumeux au niveau du Haut Col, non loin de Gobelinville. Pourtant le passage était presque vierge de gobelins, régulièrement nettoyé par les braves béornides depuis des générations et des générations, sauf lors des rares occasions où le Carrock était pris d'assaut et lors des occasions, encore plus rares, où les hommes de Varbeorn partaient guerroyer sur d'autres territoires. Était-ce un signe ? Mais en admettant que les ambassadeurs se soient faits prendre par les sbires du Grand Gobelin... le Ghomenar devrait trimer dans les antres de Gobelinville où, disait-on, tant d'esclaves mourraient à petit feu. Se pouvait-il qu'ils aient compris qu'il s'agissait là d'un nain de haut rang et qu'ils l'aient remis à Baltog ?

- Rukhsit aktubôn ku astu utsu ? 5

L'inquiétude était palpable dans la voix de Hadhod. Son propre sort ne lui avait pas totalement fait oublier son peuple et son suzerain, et les grands projets qu'ils avaient eu ensemble. Dans leur euphorie ils avaient évoqué l'idée de poursuivre la reconquête en direction de l'Ouest une fois qu'ils auraient repris Gundubanâd, de lorgner les vieilles cités de Gabilgathol et de Tumunzahar. Mais si le Ghomenar était bien incapable de révéler les stratégies de la campagne de Thorik, ne les connaissant pas, il était certainement porteur de beaucoup de secrets concernant Tronjheim et ses défenses. Les relations entre les gobelins des Monts Brumeux et ceux des Montagnes Bleues étaient-elles assez bonnes pour que Baltog puisse informer les chefs des peaux-vertes de là-bas, quels qu'ils soient ? Ça n'était pas certain... Mais si c'était le cas, le peuple des Rukhsit pouvait faire d'une pierre deux coups : ils détenaient deux oiseaux rares dans la même cage.

Mais le pauvre nain ne semblait pas même avoir entendu la question. Ou peut-être avait-il craqué sous la torture et n'osait-il pas répondre au Seigneur de la Moria...

- Kulhu izdun amhulîn astû ? 6

A ces mots les sanglots du nain cessèrent subitement et il regarda Hadhod avec des yeux si écarquillés et une telle expression d'épouvante que le Seigneur de la Moria recula sur les fesses jusqu'au fond du cachot. L'autre secouait la tête de droite à gauche et de gauche à droite, comme si répondre à la dernière question lui faisait revivre des moments qu'il aurait aimé oublier à tout jamais mais qui allaient néanmoins se reproduire. Hadhod blêmit. Il savait qu'il aurait droit au même sort.

- Izbir mi Mahal, kulhu Zock-Dah amhuli astû ? 7

L'autre se mit à pousser de petits cris saccadés et plaintifs pendant un temps qui parut incroyablement long au fils de Trehod, qui pria pour que le vacarme n'attire pas les geôliers ou pire encore, le Balafré qui ferait remonter tout ceci à son maître. Peu à peu les cris redevinrent des sanglots et l'ambassadeur déchu se ramassa dans un coin de la cellule, la tête dans les mains et son crâne chauve contre les barreaux. Hadhod n'osa pas l'embêter plus avant et garda ses distances pour l'instant. Il se sentait encore plus seul qu'avant l'arrivée de son congénère. Passant la main au cœur de sa tignasse grasse et tâchée de sang, il dégrafa un petit objet de métal qu'il avait caché là dans les heures qui avaient suivi sa capture, avant que les drogues qu'on lui avait administré n'aient fait leur effet. Il regarda le petit bijou en forme de croix qu'il tenait de ses ancêtres et qui lui avait toujours porté chance. La broche de la Croix-de-Fer ne lui servait plus à maintenir sa cape désormais, seulement vêtu qu'il était des quelques malheureux habits que les gobelins avaient bien voulu lui laisser... Mais c'était le seul bien de valeur sur lequel ces infâmes créatures n'avaient pas encore mis la main, et le contempler l'aidait à tenir bon.

Et de chance, il en aurait bien besoin.



1. Je sais qui vous êtes. Vous êtes l'ambassadeur des Montagnes Bleues qui vint jadis me voir, lorsque je m'assis sur le trône de Khazad-dûm.

2. Pour plus de détails, voir le topic de la Cérémonie de passation des pouvoirs, 9ème post et suivants.

3. Vous êtes un Ghomenar... L'oncle de Toner Ghomenar le seigneur de Tronjheim...

4. Mais... comment ?

5. Les Gobelins savent-ils qui vous êtes ?

6. Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ?

7. Par Aulë répondez, qu'est-ce que Zock-Dah vous a fait ?


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Ryad Assad
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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptySam 22 Avr 2017 - 10:51
Terrifié, réduit à l'état de pathétique tas de chair attendant que la mort vînt le cueillir, le Nain que l'on avait enfermé auprès de Hadhod parut être frappé par la foudre quand il entendit les morts sortis de la bouche du Seigneur de la Moria. Des mots prononcés dans une langue qu'il n'avait plus entendue depuis longtemps. Sa langue. Leur langue. La langue des Nains. Son regard torve, rendu moins affûté par le poids des années et les sévices, glissa sur son vis-à-vis qui usait du khuzdûl librement, sans paraître craindre le châtiment de ses geôliers. Il devait être là depuis peu, et conservait encore en lui la minuscule flamme de résistance qui animait toujours les Naugrim lors de leurs premiers jours, leurs premières semaines, leurs premiers mois entre les griffes des Gobelins. Et puis la flamme vacillait, chahutée par les moqueries incessantes et les brimades douloureuses ; elle pouvait résister, lutter contre le vent tempétueux de la malice, elle finissait toujours par s'éteindre.

Toujours.

Quelque part, Tarka admirait Hadhod. Il admirait son courage, sa bravoure, le fait qu'il fût un puissant seigneur qui, bien qu'ayant été dépourvu de sa barbe et de ses atours nobles, n'en demeurait pas moins plus charismatique que lui-même le serait jamais. Pour cela aussi, il le détestait. Il incarnait malgré lui tout ce que les prisonniers de Gundabad avaient perdu. Tout ce qu'ils ne retrouveraient jamais, en dépit de leurs vaines tentatives de se convaincre qu'ils n'avaient pas totalement sombré. Beaucoup avaient cédé au désespoir le plus total, et ils étaient prêts à se raccrocher à n'importe quelle branche. N'importe quoi qui pouvait améliorer un tant soit peu leur quotidien affreux. Si seulement ils avaient pu trouver le secret pour garder, au fond de leurs cœurs meurtris, la foi. Si seulement ils avaient été en mesure de conserver, derrière le rideau de ténèbres qui tombait sur l'horizon de leurs existences, la perspective d'un avenir meilleur… Que n'auraient-ils pas accompli, alors ?

Mais pour l'heure, il n'était pas en mesure de voir plus loin que les barreaux impénétrables qui le retenaient prisonnier. Ramassé sur lui-même, sanglotant les dernières larmes de son corps, il paraissait incapable de formuler une réponse cohérente aux questions que le Seigneur de la Moria lui assénait. Il avait l'impression de revivre les interminables interrogatoires, les séances de torture motivées par une seule chose : découvrir qui commandait l'armée unifiée des Nains. Les créatures de la nuit avaient fait quartier à leurs ennemis pour mieux exploiter le moindre renseignement qu'ils pouvaient donner. Ils étaient avides d'informations, cherchant à analyser les forces et les faiblesses de la coalition Naugrim, essayant d'exploiter les tensions qui régnaient entre les différents bastions pour désunir leurs ennemis afin de mieux les disperser. Dans leur quête de savoir, ils faisaient endurer à leurs prisonniers les pires tourments. Ces derniers étaient torturés savamment, lentement, avec une telle expertise qu'ils ne mourraient jamais de pure douleur. Et leurs geôliers écoutaient attentivement, ne négligeaient rien, pas même un hurlement déchirant poussé après qu'un tison brûlant leur eût... Non, il ne voulait pas se rappeler de ça...

Tarka se mura dans un silence assourdissant, seulement entrecoupé des raclements réguliers de ses ongles brisés sur la pierre. On aurait dit qu'il souhaitait creuser à même le roc le passage vers la sortie, à moins qu'il ne fût simplement en train de composer la mélodie du malheur sur fond de rires sinistres que l'on entendait remonter des profondeurs de la cité. Pendant un long moment il demeura ainsi, prostré, luttant pour refouler les larmes qui avaient creusé des rivières de tristesse dans le désert émotionnel de son visage. Elles semblaient s'écouler si souvent et si régulièrement que lorsqu'il leva la tête vers Hadhod après avoir finalement réussi à tarir leur flot incontrôlable, on aurait dit que leur lit s'était ancré profondément dans la peau parcheminée du vieux Ghomenar.

- Je suis désolé... Souffla-t-il, sans qu'il fût possible de dire avec certitude à quoi il faisait référence.

Il passa la main dans sa barbe, s'efforçant de ne pas regarder le moignon qu'une lame rouillée avait laissé au Seigneur de la Moria. Une compassion soudaine pour son compagnon de cellule s'empara de lui. Une compassion qui dépassait leurs anciennes inimitiés, qui les renvoyait à leur identité commune dans cette cage puante, et qui les rapprochait inexorablement alors que tant de choses les différenciaient. Il déglutit péniblement, et observa à l'extérieur sans parvenir à apercevoir les gardes. Ceux-ci semblaient s'être éloignés un instant, comme il leur arrivait souvent de le faire. Mais ils n'étaient jamais hors de portée, et il valait mieux se montrer prudent. Tarka rampa lamentablement, traînant sa frêle carcasse à la force ridicule de ses bras décharnés. Lui qui avait jadis manié la hache et l'épée serait aujourd'hui bien incapable de soulever l'une ou l'autre de leur râtelier. Il finit par s'immobiliser, retombant au sol comme s'il venait d'affronter la plus terrible des épreuves. Sa respiration était lourde et sifflante, et à cette distance Hadhod put voir que ses mains portaient les stigmates de tortures répugnantes. Il n'avait plus qu'un ongle encore en place, les autres ayant été brutalement arrachés par des pinces. Le sang séché avait refermé les blessures, mais la chair à vif devait le faire souffrir à chaque fois qu'il prenait appui sur ces rochers glissants qui lui promettaient de belles infections.

- Hadhod...

Plus de titre, plus de hiérarchie. Ils n'étaient plus les représentants de deux territoires Nains aux intérêts opposés, pas davantage qu'ils n'étaient de nobles et beaux représentants de leur race. Non. Ils étaient des Naugrim piégés dans les ténèbres, et il aurait été futile de feindre une révérence qui n'avait pas sa place ici. Il passa sa langue sur ses lèvres craquelées, frémissant perceptiblement quand celle-ci survola une plaie qu'un coup de poing avait ouverte en travers de sa bouche.

- Hadhod, vous ici... Tout est fini, n'est-ce pas ?

Il n'avait pas le courage de son alter ego. Parler khuzdûl n'était pas pour lui un acte de résistance qui lui permettait de sauvegarder ce qu'il restait de sa ténacité naine, mais plutôt un caprice inutile qui ne lui apportait qu'un surcroît de souffrance. Des souffrances dont il se serait bien passé. Alors il employa le Commun, soumis qu'il était à la cruauté de ses gardiens qui menaçaient de fondre sur lui à la moindre incartade tels des vautours fondant sur un rongeur ayant eu l'audace de se risquer hors de son terrier Il se racla la gorge, et il parut alors évident qu'à force de supplier et de hurler, il s'était brisé la voix. Chaque parole était un petit supplice supplémentaire.

- S'ils vous ont, cela signifie que les plans de Thorik ont échoué... Ou pire... Je ne peux pas croire que la Moria soit tombée !

Ce sursaut d'énergie, presque effrayant, redonna une forme de rage que le vieux guerrier cachait enfouie en lui. Il observa au dehors, craignant de voir les geôliers Gobelins revenir vers eux pour les punir de leurs conversations. Constatant que, fort heureusement, ce n'était pas le cas, le vieux Ghomenar s'empara fermement du bras de Hadhod et le serra comme s'il s'accrochait à cette fameuse dernière branche :

- Hadhod... Dites-moi que tout n'est pas perdu... Dites-moi que le Roi a encore quelque chose en tête pour ces monstres... Je vous en supplie... Je vous en supplie...

Sa voix n'était devenue qu'un murmure :

- Je vous en supplie à genoux, Hadhod... Dites-moi ce que prépare notre souverain...


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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyJeu 27 Avr 2017 - 22:02
Ô combien cruel était le dilemme qui pointait le bout de son nez ! Et ô combien délicate la situation dans laquelle se trouvait Hadhod. La pitié qu'il ressentait en ce moment pour Tarka Ghomenar lui faisait presque oublier sa propre infortune – presque. Les questions désespérées de son compagnon de cellule lui piquaient le cœur tels des petits carreaux d'arbalète lancés involontairement : que l'autre pût imaginer un seul instant que le peuple nain pût faillir au point de perdre Khazad-dûm ne le renseignait que trop sur le désespoir qui s'acharnait sur les hôtes de cet antre abominable, et qui ne manquerait pas de s'acharner sur Hadhod et d'avoir raison de lui tôt ou tard, pareillement. Et pourtant comment pouvait-il lui en vouloir d'émettre cette crainte, puisqu'effectivement le Seigneur de la Moria était bel et bien prisonnier des gobelins ?

Ô combien cruel était le dilemme, oui, car toutes les attitudes à tenir face à ces interrogations alarmées semblaient pouvoir plausiblement mener à une issue mauvaise. Non, pas plausiblement, inévitablement. Bien que gisant au fond de l'abîme de la souffrance, Tarka se trouvait paradoxalement juché sur une crête rocheuse particulièrement effilée, ou sur le faîte aigu du toit d'une de ces maisons qui servaient de demeures aux Hommes. S'il tombait d'un côté ou de l'autre, les affres d'un désespoir total et irrémédiable, qui attendaient sa chute, le happeraient de leurs griffes noires et l'emprisonneraient dans l'étau de leurs crocs pointus, et c'en serait fini de lui. Il ne revenait qu'à Hadhod de donner la pichenette qui ferait perdre le soupçon d'équilibre qui restait à Tarka, ou au contraire de donner le coup de pouce qui lui permettrait de rester accroché encore un peu plus longtemps. Mais ce coup de pouce salvateur aurait des conséquences, il le savait.

Le Croix-de-Fer essaya de peser tant bien que mal chaque alternative dans son esprit que l'angoisse, la faim, la douleur et le manque de sommeil privaient peu à peu de sa pleine lucidité. Il y avait trois choix possibles.

Il pouvait redonner un peu de baume au cœur à son compère d'infortune en lui révélant tout ce que Thorik avait encore dans son sac contre ces gobelins maudits, mais ces informations auraient alors deux fois plus de chance de tomber aux mains de leurs ennemis. Car Hadhod ne se voilait pas la face : il voyait les stigmates des tortures qu'on avait infligées au ressortissant des Montagnes Bleues et son imagination lui faisait entrevoir les scènes immondes qui les avaient provoquées. Et il savait que tôt ou tard le vieux nain serait à nouveau soumis à ces horreurs et qu'il aurait beau résister, résister et résister encore, il finirait  par craquer, car Mahal sait depuis combien de temps on le suppliciait ainsi. Alors, les plans de Thorik seraient portés à la connaissance du Balafré, de Zock-Dah puis de Baltog, et la Reconquête connaîtrait un sort funeste.

Il avait aussi possibilité de refuser catégoriquement de transmettre la moindre nouvelle, mais alors la dernière petite flamme de ténacité nanesque serait soufflée à jamais du cœur de Tarka et ferait de lui une coquille complètement vide, sans âme et sans but, sans plus aucun repaire auquel se raccrocher qu'une souffrance quotidienne décuplée par un désespoir sans fond. Et Hadhod aurait ce poids sur la conscience, qui viendrait s'ajouter à toutes les peines qui s’amoncelaient déjà dans la lourde hotte de ses malheurs.

Enfin il pouvait choisir de lui mentir sciemment, de déformer les plans du Roi Thorik. Cette option était sans doute la plus raisonnable, celle qui aurait le moins de conséquences négatives. Le Ghomenar aurait la possibilité d'abréger la durée de ses souffrances en révélant aux gobelins des informations fausses avec une voix teintée des accents de la vérité, puisqu'il les croirait lui-même véridiques. Les peaux-vertes n'apprendraient rien de compromettant et mieux encore, seraient induits en erreur, ce qui pourrait profiter à la coalition en fin de compte. Seulement voilà, pour cela il devait proférer des mensonges envers celui qui attendait la vérité de la part du Seigneur de la Moria, et cela même était aux antipodes du code de conduite des Nains.

Cette fois, il imita Tarka et se contenta d'user du ouistrien pour lui répondre. Pas par peur, mais justement par volonté de ne pas attiser la peur chez son camarade.

- Je vais vous dire la vérité, finit-il par chuchoter à son compagnon de cellule en lui posant doucement une main sur son épaule. Mais pas toute la vérité, et vous devinez pourquoi.

Il n'osa pas évoquer ouvertement la possibilité de nouvelles tortures auxquelles son vis-à-vis pouvait être soumis, de peur de déclencher une réaction similaire à celle qu'il avait eu quelques instants plus tôt et qui ne manquerait pas, cette fois, de provoquer le mécontentement de leurs gardiens et de leur valoir une correction. Espérant de tout son cœur ne pas lire de la déception dans les yeux amis qui le regardaient, implorants, il se demanda dans quelle mesure les précieuses informations sécrètes étaient plus en sécurité chez lui que chez Tarka, et s'il pouvait vraiment se targuer de pouvoir résister aux interrogatoires plus longtemps que ce dernier sans parler. Il n'en savait rien. Il n'en savait strictement rien.

- Ecoutez-moi, la Moria n'est pas tombée et ne tombera pas. Tout n'est pas perdu. Thorik a subi une défaite, c'est d'ailleurs là qu'ils m'ont eu, mais ses plans n'ont pas échoué. Il attend simplement que tous ses hommes fassent le chemin jusqu'à lui, et il aura alors tout le loisir de choisir le jour le plus propice pour lancer la grande attaque. Gabil Agrâbhaban, mon ami. Gabil Agrâbhaban, vous n'avez certainement pas oublié ce que cela veut dire... C'est ce que Thorik a en tête pour ces monstres.

Hadhod n'osa pas en dire davantage pour l'instant, se contentant de ces éléments brefs et concis en priant que cela suffise à soulager la curiosité de l'ambassadeur. L'attaque sur Gundabad n'était pas vraiment secrète, seules étaient secrètes la date et la façon de procéder : d'ailleurs Hadhod n'avait-il pas dit à Zock-Dah pour la provoquer que les Nains prévoyaient de reconquérir la cité, et n'avait-il pas vu les travailleurs affairés à préparer les défenses ?  Il voulait seulement lui redonner de l'espoir sans trahir les siens. Ça n'était pas chose facile mais il s'en était plutôt bien sorti et il comptait sur le bon sens du Ghomenar de ne pas en demander davantage, sans quoi il se verrait obligé de lui opposer, à regret, un douloureux refus catégorique. Gardant les yeux plongés dans ceux de Tarka, il ré-agrafa la petite Broche de la Croix-de-Fer au plus profond de sa chevelure. Peut-être ce geste voulait-il lui signifier qu'il devait tenir ces choses cachées malgré le peu de renseignements qu'elles contenaient ?

Mais comme il a été dit, la lucidité qui n'avait jusqu'alors jamais fait défaut au Seigneur de la Moria venait d'être mise à mal ces derniers temps. Par l'angoisse de voir ce nain d'Ered Luin n'être devenu que l'ombre du fier Khazad qu'il avait été un jour, angoisse qui parasitait son esprit. Par la faim causée par cet unique et répugnant repas quotidien. Par la douleur qui parcourait tout son robuste corps de nain alors même qu'il n'avait encore subi que des passages à tabac. Par le manque de sommeil que le sol dur et froid de ce cachot, les rires sinistres et la pensée de se savoir prisonnier occasionnaient. Et quand la lucidité n'était plus là, ou plus tout à fait là, il était difficile de penser aux petits détails...

Le terme « hommes » pouvait être utilisé avec ou sans majuscule. Sans majuscule, il désignait simplement les troupes masculines de Thorik, que tout le monde, allié ou ennemi, savait qu'il devait rassembler s'il voulait lancer une grande attaque. Mais si l'esprit de Tarka affublait le mot d'une majuscule...

De même, si toutes les armées avaient fait le chemin jusqu'à lui en ligne directe depuis Erebor, cela ferait bien longtemps que Thorik aurait pu lancer Gabil Agrâbhaban...

Quant au jour le plus propice pour que des Nains lancent une attaque, il fallait espérer que Tarka ne ce soit jamais intéressé aux calendriers de son peuple dans sa longue vie...

De légères erreurs, mais qui pouvaient avoir leur importance. C'est souvent le cas des légères erreurs, comme dirait l'autre.


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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyLun 18 Sep 2017 - 18:46
Tarka conserva le silence longtemps. Il pesait chaque mot que venait de lui transmettre Hadhod, les yeux baissés comme s'il craignait qu'un geôlier gobelin en l'observant pût déceler la vérité derrière ses iris fatigués. Ses cheveux filasses et sales pendaient autour de son crâne que l'on avait trop souvent battu, et il demeura là. Voûté. Flétri. Comme si le poids des milliers de rires que ses oreilles avaient dû supporter s'était appesanti sur ses épaules décharnées. Il s'humecta bientôt les lèvres, et dans un souffle lâcha :

- Alors, il reste de l'espoir…

Un soupir. Un soupir profond, comme si un nœud dans sa poitrine venait brusquement de se desserrer. Oui. Il y avait de l'espoir. Les forces de Thorik étaient encore là au-dehors, bien vaillantes. Et si les Gobelins n'avaient pas tué le Seigneur de la Moria, c'étaient qu'elles craignaient malgré elles le courroux du Roi des Nains. Cela faisait bien longtemps que ces créatures pullulaient dans la nuit, mais elles n'avaient pas oublié la colère des Enfants de Durin, qui s'abattrait sur eux comme le marteau du destin sur leurs faciès répugnant, les condamnant pour toujours à l'oubli.

L'espoir…

L'espoir.

Hadhod ne reçut pas d'interrogation supplémentaire de la part de Tarka. Le vieillard éreinté semblait chérir la petite lumière que les paroles du fier guerrier venaient de raviver en lui, et il s'était replié sur ses pensées en marmonnant des choses incompréhensibles, comme un enfant babillant en s'observant le nombril. Les ravages des tortures gobelines se donnaient à voir sous leur jour le plus atroce. Ce n'étaient pas les souffrances physiques qui étaient à craindre ici, car le corps d'un mortel, si fort fût-il, retournait toujours à la nature. Mais voir une âme ainsi brisée, réduite en poussière sous les coups de bottes des immondes créatures qui rampaient ici… nul ne pouvait dire que cela le laissait de marbre, car même les braves parmi les braves succombaient à la patience des sadiques tortionnaires. Insidieux. Perfides. Inventifs. Ils trouvaient toujours la faille. Toujours.

Le silence de Tarka dura une éternité. Les jours semblèrent se succéder, sans qu'aucun mot ne franchît ses lèvres. Les rares tentatives de Hadhod de faire la conversation se heurtèrent à des regards tantôt apeurés, tantôt interrogateurs. Par moments, le vieux Nain ne semblait plus reconnaître où il était, ni ce qu'il faisait là, et il s'agitait. D'autres fois, il faisait preuve d'une lucidité surprenante, et observait les allées et venues des petites torches qu'ils apercevaient au loin avec dans les yeux une lueur de mépris. Le mépris d'un individu qui savait qu'il valait mieux que ces créatures. C'était bon signe.

Le temps était mesuré par les repas qu'on venait leur servir, lesquels étaient à l'image des Gobelins : incertains et aléatoires. Il pouvait s'écouler un temps infini entre deux portions de la bouillie infecte qu'ils étaient contraints d'avaler pour ne pas mourir de faim – et qu'ils se surprenaient à attendre comme s'il s'agissait du meilleur repas qu'il leur avait été donné de goûter. Souvent ils dormaient et n'entendaient pas qu'on leur déposait leur repas, se contentant de trouver une écuelle posée là à leur réveil. Les rations étaient destinées à les affaiblir encore plus. La nourriture suffisait à les maintenir en vie, à peine davantage. Ils restaient allongés là, et leurs muscles s'atrophiaient du manque d'exercice, du manque d'air frais et du désespoir qui commençait à les ronger. La tactique des Gobelins commençait à porter ses fruits… s'il s'agissait bien là d'une tactique. Comment savoir ? Ces monstres étaient si imprévisibles qu'ils pouvaient aussi bien les avoir oubliés là, et être passés à autre chose. Cela n'aurait pas été surprenant.

Mais il fallait croire que l'on n'oubliait pas de sitôt le Seigneur de la Moria.

Un beau jour… qui n'avait rien de beau, et Aulë seul savait s'il faisait jour au dehors… on vint les chercher tous les deux. Un petit groupe de Gobelins chétifs, encadrés par d'autres un peu plus gros et plus menaçants. Ils ouvrirent la cage, et l'un des plus malingres s'approcha de Hadhod, lui prenant la tête entre les mains pour l'examiner. Le Naugrim aurait pu essayer de se défendre, mais la menace que faisaient planer les sentinelles ne lui donnait pas la possibilité de repousser d'une pichenette les doigts crochus qui examinaient l'intérieur de sa bouche, ses dents, ses joues, ses yeux, ses oreilles. Fort heureusement, l'examen s'arrêta là. Un signe de tête plus tard, le compagnon de la Croix-de-Fer et son compagnon de cellule étaient debout, en marche, sans savoir où ils allaient.

Si Hadhod avait eu le fol espoir qu'on le libérât – car après tout, les Gobelins vivaient aussi du rançonnage – il fut très vite déçu. Leurs pas les conduisirent rapidement dans les profondeurs de Gundabad, là où la pierre était froide, et où l'air était aussi lourd que le plomb. Ils empruntèrent d'abord une longue coursive qui leur donna le vertige, puis s'enfoncèrent dans une série de boyaux visqueux qui les recrachèrent ils ne savaient où. Par endroits, ils repéraient des symboles khuzdul, ou des parois lissées par le travail amoureux des Nains. Et puis ils bifurquaient vers un couloir taillé sauvagement à la pioche par les indélicats mais – il fallait l'admettre – persévérants ingénieurs gobelins. A mesure qu'ils descendaient, des bruits et des odeurs leur agressaient les sens. Des bruits douloureux, des aboiements comme ceux des loups que l'on entendait parfois au loin. Dehors. Dans ce monde lointain que l'on appelait la Terre du Milieu. Il y avait aussi d'autres sons, plus étranges, qui ne ressemblaient à rien de connu. Peut-être des choses de la terre dont les Gobelins avaient révélé l'existence. Des immondices si noirs et si mauvais que même eux n'osaient pas les libérer sur la face du monde, de peur d'en perdre le contrôle. Fort heureusement, ils s'éloignèrent bientôt de ces couloirs, pour aller là où il faisait le plus chaud. Les tunnels avaient tous leurs caractéristiques, certains étaient glacés, d'autres silencieux, d'autres encore étaient humides… celui-ci était chaud. Les parois semblaient transpirer, et les pieds des Nains pouvaient sentir le picotement d'une chaleur surnaturelle sous leurs pas.

Qu'allaient-ils découvrir ?

Un des grands Gobelins finit par s'arrêter. Leur petite compagnie en fit de même. Il se pencha, et Hadhod – qui pour une fois était plus grand que la plupart de ceux qui l'entouraient – put voir qu'il actionnait le mécanisme d'une ouverture pratiquée dans le sol. Une lourde plaque de fer, très épaisse et visiblement très solide, recouvrait un boyau qui descendait verticalement. Les barreaux d'une échelle étaient visibles grâce à la lueur qui rougeoyait depuis les profondeurs, lesquelles exhalaient une vapeur brûlante. C'était comme plonger dans le cœur d'un volcan. On les piqua un peu, et les prisonniers avancèrent, posant comme ils le pouvaient les mains sur les barreaux surchauffés. Tarka semblait avoir anticipé la situation, car il avait enveloppé ses paumes dans ses manches, ce qui lui évita d'inutiles brûlures. Hadhod descendit, immédiatement suivi par les Gobelins qui, petits et agiles, se dépêchèrent de courir aux quatre coins de la pièce immense dans laquelle ils venaient de poser le pied. L'air était irrespirable, la chaleur suffocante, et le bruit assourdissant, mais le Seigneur de la Moria ne pouvait pas dire qu'il ignorait où il se trouvait. Les senteurs et le chant de l'acier ne trompaient pas.

- Tarka ! J'avais cru que…

Hadhod se retourna pour voir un Naugrim, encore assez vaillant pour s'inquiéter pour son prochain, prendre le vieillard par les épaules. Ils se ressemblaient un peu, mais il était difficile de savoir s'ils étaient de la même famille pour autant. Ils échangèrent quelques mots couverts par le bruit sourd d'un marteau, avant que Tarka ne se retournât pour montrer le nouveau venu du doigt. Le jeune Naugrim, qui ne présentait pas les mêmes stigmates que son infortuné compagnon, approcha :

- Alors on vous a envoyé ici, vous aussi…

Il renifla :

- On m'appelle Zib. Contremaître Zib. Vous y connaissez quoi en forge ?


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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyDim 27 Mai 2018 - 11:50
Il était difficile voire impossible pour Hadhod d'appréhender l'écoulement du temps. Ce n'était pas à proprement parler le fait de se trouver dans les profondeurs qui posait problème, les Nains étant habitués, eux aussi, à vivre sous les montagnes, loin de l'air libre et fougueux du monde extérieur. C'était d'ailleurs particulièrement vrai en Moria, où, par l'agencement en de multiples niveaux et sous-sols, certains individus pouvait passer des jours voire des semaines sans voir le moindre rai de lumière naturelle. Mais dans le but de rythmer la vie du peuple, et aussi pour tenir correctement le compte des jours et le comput, on avait recours à un système assez rudimentaire mais qui avait fait ses preuves : on avait placé près des salles qui disposaient de fenêtres sur l'extérieur, telles la bibliothèque de Mazarbul pour ne citer qu'elle, de lourdes cloches logées dans des alcôves, et un Nain, d'un coup de marteau, en faisait résonner le son grave qui indiquait l'heure, laquelle était répercutée, relayée jusqu'aux niveaux les plus retirés par des dispositifs similaires. Clochers des profondeurs, nul doute qu'ils découlaient de leurs pendants extérieurs dalites. Seul Aulë sait si les Gobelins disposaient de telles façons de faire. Peut-être bien que oui, étant donné l'ingéniosité dont Hadhod ne faisait que commencer à se rendre compte. Pourtant, dans sa cage, les bruits qu'ils entendait en échos désordonnés et disparates ne ressemblait à rien qui eut pu l'instruire sur la course du soleil et de la lune. Le seul indice qui eut pu éventuellement l'aiguiller était la longueur de repousse de sa barbe, mais cette méthode était aussi approximative que douloureuse.

La compagnie de Tarka ne se révélait guère à la hauteur du réconfort qu'aurait imaginé Hadhod quand il était seul dans sa cellule. En fait elle était à double tranchant, car si elle lui octroyait un compagnon de sa race, elle lui donnait aussi un exemple frappant de ce que lui-même pouvait devenir en ces lieux. Il aurait aimé savoir depuis combien de temps le pauvre hère était détenu ici, mais nulle réponse claire ne venait récompenser ses questions, et bientôt il renonça à tourmenter le Ghomenar. Au fond il valait peut-être mieux, de la même manière qu'il est préférable de ne pas connaître à l'avance l'heure de son trépas. Il ignorait d'ailleurs s'il devait espérer mourir rapidement ou faire l'effort de prolonger son existence. À l'angoisse qui tenaillait son cœur, à la douleur que lui infligeaient ses geôliers, s'était greffé un morne ennui, une monotonie propre au désespoir, sans repère ni changement.

Et pourtant cette monotonie fut brisée par une excursion impromptue en-dehors de la prison – la petite prison, et non celle, immense, que constituait Gundabad, hélas ! À force de passages à tabac et d'ankylose, c'est à peine si le fils de Trehod avait eut la force de tenir sur ses jambes au début. Mais il avait bien fallu, il avait fallu se lever, se mettre en route et continuer à marcher par les coursives, les tunnels maçonnés et les boyaux pierreux, car les Gobelins ne toléraient ni faiblesse ni désobéissance. Le pauvre seigneur Nain se demanda bien dans quelles profondeurs infernales lui et son compère d'infortune étaient emportés, et imagina le pire... Aussi, lorsqu'on les fit descendre par ces barreaux brûlants et qu'il aperçut, là en bas, un Nain « libre » de ses mouvements, il poussa presque un ouf! de soulagement. Mais il déchanta bien vite...

Pendant un instant d'égarement, Hadhod crut qu'ils avaient marché assez longtemps pour parcourir des galeries de liaison secrètes jusqu'à Gobelinville. Il se demanda même s'il n'était pas incarcéré depuis le début dans les cachots du Grand Gobelin, et non à Gundabad... Mais il se rappela, naturellement, qu'il se trouvait bel et bien dans la capitale gobeline, cela Zock-Dah le lui avait rappelé avec force cris, en un temps qui lui semblait presque lointain, lorsqu'il avait osé appeler cette cité par son vrai nom. Il était ridicule de croire que l'esclavage, spécialité de Gobelinville si l'on peut dire, n'avait pas cours dans les autres cités gobelines ; les visages aux traits creusés qui rougeoyaient à la lueur du fer incandescent en étaient la preuve. Baltog ne se privait certainement pas de cette ressource, et peut-être certains parmi ces misérables avaient-ils été achetés à la rivale méridionale, qui sait, pour fournir un surplus de main d'oeuvre en vue de la guerre et du besoin grandissant d'armes. Car on les avait effectivement fait descendre dans une forge. Une forge sinistre. Une forge de la souffrance. Une forge de la honte.

Celui qui se présenta au seigneur glabrescent se nommait Zib, et dit être un contremaître. Hadhod sentit une sorte d'indignation se diffuser dans ses veines à la vue de ce Nain qui officiait pour les Gobelins. Mais il modéra bien vite son jugement, car il savait fort bien que son vis-à-vis n'accomplissait pas son rôle de son propre chef, et encore moins de gaieté de coeur, c'était certain. Il espérait simplement que ce Zib n'avait pas trahi son peuple ou ses camarades de cellules pour qu'on le plaçât à ce poste qui, pour honteux qu'il soit entre tous, assurait peut-être des chances de survie un peu moins ténues. De toute façon il n'avait nullement la possibilité ni l'envie de faire des histoires. Il le salua d'un signe de tête, sans dire son nom. Sans oser dire son nom, en fait, comme si l'action même de proférer à nouveau son nom dans cet endroit lui rappelait le souvenir atroce qu'il avait connu à son arrivée. De toute façon l'autre devait bien se douter de qui il était : la rumeur du Seigneur Nain sans Barbe devait avoir faire le tour de tout Gundabad dans la bouche des innombrables créatures qui avaient assisté à son « avènement ». En outre les mots avec lesquels il l'avait acceuilli ne laissaient guère de doute là-dessus.

Ce qu'il y connaissait en forge ?

Hadhod ne sut tout d'abord que répondre. Zib lui parlait à la manière hautaine d'un maître-forgeron qui fait passer un entretien à une potentielle recrue tout juste sortie du nid. Cela faisait des lustres qu'un représentant de son propre peuple n'avait pas traité ainsi le Seigneur de la Moria. S'entendre questionner de la sorte était presque plus dur, toute proportions gardées, que les cruelles brimades des geôliers. Ici, dans ce lieu où l'ordre du monde était sens dessus dessous, même les Nains ne lui rendaient plus les honneurs dûs à son rang. Il n'était plus l'Uzbad Khazaddûmu, ni même un ressortissant de la noblesse naine : il était un prisonnier parmi d'autre, un nouveau venu dans la hiérarchie servile.

- Eh bien je... balbutia-t-il.

Il ignorait ce qu'il devait dire. Un mensonge lui était-il d'une quelconque utilité ? Ignorant qui était Zib dans son ancienne vie, il ne pouvait être sûr qu'il n'ait jamais entendu parler de ses anciens talents de forgeron, lesquels n'étaient pas un secret. Et qui sait si ce contremaître ne signalerait pas directement aux Gobelins toute tentative de mensonge ou de filouterie ? Il n'avait pas confiance en lui, et savait que la peur ou la menace, en ces lieux de désespoir, menaient parfois à des conduites inhabituelles.

- ... je sais effectivement marteler le fer, oui. J'ai réalisé dans ma jeunesse toutes sortes d'objets... De très beaux objets en vérité.

Ce n'était pas faux. Il faillit, dans un réflexe involontaire, porter sa main à la chevelure hirsute sous laquelle était mussée sa broche, souvenir de son passé. Peut-être qu'en axant ses explications sur le côté esthétique de la forge, Zib allait penser qu'il n'avait pratiqué que la ferronnerie d'art ou quelque chose comme ça, loin des compétences pratico-pratiques que les peaux-vertes recherchaient. Ainsi pourrait-il éviter, espérait-il, d'avoir à livrer tous ses secrets sur la solidité du métal, ainsi que sur la confection et le travail de l'acier des Nains, domaines dans lesquels il avait excellé et pour lesquels il avait de nombreux restes. Car, qu'on comptât l'employer au battage de la ferraille ou à la supervision des forgerons, ce qui était sûr, c'est qu'il n'avait pas l'intention de réaliser des chefs-d'oeuvre !


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Qui n'a plus rien à perdre a tout à retrouver EmptyJeu 7 Juin 2018 - 14:49
Zib passa la main sur son front moite. Il faisait une chaleur étouffante dans les forges de Gundabad, et lui et les autres nains n'avaient vraisemblablement pas assez d'eau pour se désaltérer autant qu'ils l'auraient voulu. Ils avaient beau vivre dans une relative liberté, ils n'en demeuraient pas moins à la merci des Gobelins, qui savaient comment faire pour les affaiblir sans les tuer. Le contremaître écouta soigneusement la réponse du Seigneur de la Moria, fronçant les sourcils à la mention de « très beaux objets ». Il hocha la tête pesamment, avant de répondre d'une voix caverneuse :

- C'est moi qui décide ce qui est un bel objet, ici.

Il s'approcha de Hadhod, et lui enfonça son index dans le torse pour bien lui faire comprendre qui commandait :

- Si on t'a envoyé ici, c'est que tu dois savoir faire quelque chose. Sinon tu serais déjà mort. Alors fais ton travail correctement, et n'essaie pas de filouter. Je contrôle personnellement tout ce qui sort d'ici, et t'as pas trop intérêt à faire du sale boulot. Compris ?

Il n'y avait pas grand-chose à objecter. Dans ces souterrains puants, la hiérarchie était totalement inversée. Il n'était pas certain que Zib eût la moindre idée de l'identité de son interlocuteur, et si c'était le cas, il ne semblait pas s'en préoccuper le moins du monde. Il dirigeait ces forges, et il faisait son travail sans sourciller. C'était une situation qui n'était pas nouvelle pour Hadhod : homme de guerre, il était habitué à la hiérarchie, et il savait que dans tous les corps de métier on obéissait à son supérieur. Cependant, jamais il n'avait eu à obéir à un Nain qui lui-même travaillait pour les Gobelins.

Zib, après avoir reçu l'assentiment obligatoire du Naugrim, le dirigea vers les forges à proprement parler, en lui présentant les différentes sections. Les Nains travaillaient ici par dizaines, affairés autour de grands fourneaux dans lesquels ils faisaient fondre le métal, avant de le couler dans des moules taillés avec grand soin. Ils n'exploitaient pas le mithril qui faisait la fierté de la Moria, et nulle part Hadhod ne vit de l'or, de l'argent ou des pierres précieuses. Les Gobelins n'avaient que faire de telles choses. Ils s'intéressaient seulement aux armes, aux armes tranchantes et efficaces, que les Nains fabriquaient en nombre relativement restreint, mais avec talent. Cependant qu'ils marchaient, Zib lui expliqua le fonctionnement de la forge :

- Les repas sont servis deux fois par jour si tu travailles bien, une fois par jour si tu ne remplis pas ton quota hebdomadaire. C'est dégueulasse, mais ça tient au corps. Tous les ateliers sont individuels, donc je saurai très bien quelles armes tu as forgé, pas moyen de truquer.

Il pointa du doigt un des forgerons, qui s'affairait la tête baissée, sans afficher le sourire caractéristique que l'on voyait souvent poindre sur le visage des artisans nains quand ils faisaient ce qu'ils aimaient. Il n'y avait que résignation chez celui-ci, mais ses gestes n'en demeuraient pas moins précis.

- Ici, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, tout le monde travaille pareil. Humlin est le meilleur artisan de la section, et c'est aussi celui qui déteste le plus son boulot. Mais il le fait. Si tu sens que c'est trop pour toi, tu peux toujours prendre une lame et te la planter dans les boyaux. Les Gobelins viendront te ramasser demain, si on ne t'a pas foutu dans un fourneau avant.

Humlin leva des yeux fatigués vers Hadhod, mais ce que ne capta pas Zib, c'est que le forgeron sembla tout à coup changer d'attitude. Il se pencha en avant, incrédule, se retenant d'ouvrir la bouche pour dire quelque chose. De toute évidence, il venait de reconnaître le compagnon de la Croix-de-Fer. Un ancien de la Moria ? Un allié potentiel ? Avant qu'il eût la possibilité de vérifier ce qu'il en était, le Seigneur fut emmené plus loin par le contremaître, qui continuait de lui présenter les spécificités des lieux. Il lui expliqua notamment où récupérer le métal brut à faire fondre, il lui assigna un chariot pour le transport des armes forgées, et lui désigna un foyer de forge libre où il pourrait commencer immédiatement.

- Je vais pas te surveiller, je te fais confiance pour remplir ton quota. Ici, on est dans la forge numéro un, celle où se trouvent les meilleurs artisans. Il y en a quelques autres, où les Nains sont moins bien traités. Si ton travail n'est pas assez bon, tu y seras transféré, et Aulë seul sait ce qu'il adviendra de toi après.

Il tourna la tête vers l'échelle par laquelle était descendu Hadhod quelques instants plus tôt, et qu'il pouvait apercevoir derrière des volutes de fumée et l'air déformé par la chaleur. Les barreaux se terminaient abruptement sur le plafond de pierre lisse, et il n'était pas possible de s'échapper depuis l'intérieur de la forge. Zib glissa :

- A l'inverse, si tu forges des objets réellement extraordinaires, tu pourras peut-être quitter cet endroit. On dit que Baltog récompense les Nains qui l'impressionnent. Qu'ils vivent dans le confort, et que leurs familles sont à l'abri. Essaie d'y penser.

Sans rien ajouter, Zib s'éloigna d'un pas lourd pour aller vaquer à ses occupations. Il restait à Hadhod à aller allumer son foyer, et à préparer ses outils pour essayer de produire quelque chose d'honnête avant la prochaine levée, s'il voulait pouvoir manger. C'était une entreprise fastidieuse que de faire arriver un foyer de forger à la bonne température, cela prenait du temps, et avant qu'il s'en rendît compte une cloche se mit à résonner dans la grotte où il se trouvait, pour annoncer que tout le monde devait se rassembler. Il ne fallut pas longtemps au Naugrim pour comprendre que c'était l'heure du repas, et tout le monde abandonna ses outils pour se presser autour des Gobelins qui venaient distribuer la nourriture. Zib évoluait parmi eux, et pointait du doigt ceux qui avaient le droit à une ration complète, et les infortunés qui avaient le droit à une demi-ration. Il y eut quelques têtes basses, mais personne ne protesta, étrangement. Hadhod avisa son vieil ami Tharka, qui tendait ses mains crispées autour d'un bol vide, tremblant comme un chien affamé en attendant de recevoir un quignon de pain noir, et une soupe froide dont il valait mieux ne pas questionner le contenu. Pointant le doigt vers le Seigneur de la Moria, Zib lança :

- Lui vient d'arriver, donnez-lui une bonne ration qu'il prenne des forces avant de commencer à travailler.

Les Gobelins se regardèrent, mais ne firent aucun commentaire et obtempérèrent. Hadhod se retrouva ainsi avec deux quignons de pain, et son écuelle était si remplie qu'il dut faire un grand effort pour ne pas en renverser, sous les regards légèrement jaloux de certains de ses compagnons d'infortune. Même ici, au fin fond de l'enfer de l'âme, les divisions pouvaient subsister. Comme les autres, le désormais nouveau forgeron alla s'installer dans un coin pour commencer à manger, en essayant de faire abstraction du goût abject de la pitance qui venait de lui être servie. Cependant qu'il procédait, il sentit quelqu'un approcher, et découvrit qu'il s'agissait de Humlin. L'intéressé, debout avec son pain et sa soupe, le regardait intensément, sans qu'il fût possible de déterminer ce qui lui passait par la tête. Il finit par lâcher à voix basse :

- C'est vous ? C'est vraiment vous ?


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