Thrakan parlait peu, mais il n'avait pas pu s'en empêcher cette fois. Leur petite colonne s'immobilisa au sommet d'un promontoire, pour observer la silhouette déroutante de la Cité Noire. Sa vision pouvait aisément déranger les visiteurs, même ceux qui étaient natifs du grand royaume de l'Est. Le Fléau raffermit sa prise sur sa monture qui s'agitait de manière inhabituelle. Les maléfices qui régnaient en ces lieux mettaient au supplice les animaux, et on disait que seuls les charognards avaient élu domicile dans les environs. Les autres créatures, humaines ou non, fuyaient l'atmosphère étouffante de la Cité Noire, et l'odeur de mort qui semblait coller à la roche…
La roche, justement, semblait omniprésente.
La ville était nichée dans une épaisse chaîne de montagnes acérées qui s'élevaient vers le ciel comme les dents d'un dragon prêtes à se refermer sur les nuages. Contrairement à la glorieuse Minas Tirith, dont les courbes élégantes avaient été sculptées dans une pierre blanche qui reflétait les rayons du soleil levant, Albyor s'était fermée à l'astre du jour et semblait rejeter toute lumière. La roche grisâtre, brunie, ternie par les intempéries, la crasse et la saleté, donnait à imaginer toute la cruauté qui régnait en ces lieux. A l'ombre, le mal prospérait toujours.
Learamn comprenait peut-être enfin pourquoi ses compagnons de route étaient si mal à l'aise vis-à-vis de la Cité Noire. Rhûnedain ou non, chacun éprouvait de la crainte en approchant ces lieux. Ils se jetèrent un regard entendu : leur mission passait avant tout. Thrakan marmonna quelque chose dans sa rude langue natale, avant d'embrasser son index, de le coller sur son front, et d'adresser un geste sibyllin vers les cieux.
Ava fit aller sa monture en faisant le même geste et en murmurant les mêmes paroles. Khalmeh se tourna vers Learamn, et lui adressa un clin d'œil complice en exécutant le même rituel que ses deux compagnons :
- Que Melkor soit clément. Ça ne coûte rien de le dire… si vous croyez à ces choses.
Il était étrangement détendu, mais depuis le temps que Learamn le côtoyait, il savait que ce n'était qu'une façade. La décontraction de Khalmeh était le miroir de sa propre inquiétude, et lui-même n'était de toute évidence pas heureux d'approcher la Cité Noire. Son attelage se mit en branle en suivant la petite route sinueuse qui les menait à leur destination.
Si Learam avait cru qu'ils arriveraient en quelques heures, il se trompait lourdement.
Albyor s'offrait impudiquement à leurs regards comme une immense cicatrice dans le flanc de la montagne, et il leur fallut encore toute la journée pour rejoindre les contreforts de la ville. Celle-ci grossissait à vue d'œil à chaque pas qu'ils faisaient dans sa direction, et à la mi-journée ils furent totalement submergés par sa taille. De part et d'autres de leur chemin s'élevaient des murs rocheux escarpés, sur lesquels ils purent apercevoir quelques silhouettes qui les dévisageaient avec attention.
Thrakan offrit quelques explications, que Ava jugea opportun de traduire en Westron pour Learamn :
- On les appelle les « Yeux du Maître ». Ce sont des habitants des montagnes qui vivent reclus et entre eux. Ils gardent les voies d'accès à Albyor en échange du respect de leurs coutumes.
Le Fléau ajouta quelque chose, qui fit sourire Khalmeh comme Ava.
- On les appelle aussi les « Hommes-Serpents », poursuivit cette dernière. Pour Thrakan, ce surnom suggère qu'il suffit de taper des pieds sur le sol pour les faire fuir.
L'humour du colosse était particulier, mais il eut au moins le don de rassurer tout le monde. Cependant, Learamn sentit la présence régulière des Yeux du Maître à chaque fois qu'il tournait la tête pour observer les escarpements rocheux. Ces Hommes-Serpents ne faisaient rien pour se cacher, et se laissaient voir pour bien faire comprendre aux visiteurs que leur arrivée avait été remarquée. Quelques corneilles s'envolèrent dans le lointain… peut-être des messagers filant vers Albyor pour avertir la ville de l'arrivée de nouvelles âmes.
Quoi qu'il en fut, les cavaliers ne furent pas importunés par ces sentinelles mystérieuses dont ils ne voyaient que les silhouettes fugaces. Certaines étaient assises nonchalamment, et semblaient disparaître dès qu'ils clignaient des yeux. D'autres marchaient tranquillement le long de la crête, accompagnant leur progression, puis paraissaient se fondre dans un rocher. Ils s'évanouissaient à leur droite, pour revenir à leur gauche, sans faire le moindre bruit. Il aurait été impossible d'estimer leur nombre et, à cause de la distance, de déterminer s'il s'agissait d'hommes ou de femmes, de jeunes ou de vieux. Leurs visages semblaient de toute façon dissimulés sous d'épais turbans… à moins que ce ne fût la forme de leurs têtes, rondes comme celles des serpents.
Suivant Thrakan, la petite compagnie arriva bientôt en vue de petits villages de montagne qui entouraient Albyor. Des champs s'étendaient sur de petits plateaux soigneusement aménagés par la main humaine, ce qui devait représenter une prouesse technique sans nom. La pierre avait été modelée avec patience pour accueillir la vie, et bien que le résultat fût moins spectaculaire que le travail des Nains ou des hommes de Númenor, il n'en demeurait pas moins stupéfiant de voir un tel résultat.
La stupéfaction laissa bientôt la place à la tristesse et au dégoût.
Là, dans ces champs où poussaient des légumineuses de toutes sortes, travaillaient des centaines d'esclaves. Il n'était pas difficile de les reconnaître. Ils étaient faméliques, à peine vêtus pour certains, et ils demeuraient étroitement surveillés par des gardes en armes qui circulaient autour des propriétés en dardant sur les esclaves un regard assassin. Quelques uns circulaient à cheval, et contrairement à Khalmeh et à ses hommes ils ne portaient pas de gourdins – destinés à assommer plutôt qu'à tuer. Ils étaient armés de longues lances, d'un sabre, et d'un arc compact. Les esclaves n'étaient pas une ressource rare, et ces hommes ne feraient preuve d'aucune merci.
Khalmeh fronça les sourcils en les voyant. De toute évidence, il ne se reconnaissait pas dans cette pratique de l'esclavage.
- Ce sont des sauvages, fit-il à l'attention de Learamn. Ils n'ont aucune considération pour la vie humaine, et ils attendent presque avec impatience une évasion pour se mettre en chasse. Ce sont les pires…
Ils ignorèrent le regard suspicieux des cavaliers, et poursuivirent leur progression en découvrant peu à peu les contours de la Cité Noire. Plus ils avançaient, plus ils rencontraient de gens qui convergeaient dans la même direction qu'eux, et ils furent bientôt absorbés dans une foule compacte d'hommes et de chevaux. Les grandes portes de la cité leur apparurent finalement, largement ouvertes pour absorber le flot d'esclaves que l'on faisait aller et venir d'un chantier à l'autre. Ils étaient littéralement partout : occupés aux réparations, portant les lourdes charges, tenant les chaises à bras des seigneurs les plus puissants. Leur rôle était essentiel dans l'économie de la ville, et il était presque surprenant de voir que tant et tant d'hommes et de femmes pouvaient être dominés par une aristocratie finalement peu nombreuse.
Ce fut quand ils furent amenés à franchir la grande arche de la cité qu'ils comprirent pourquoi les esclaves ne se révoltaient pas massivement contre la domination injuste qui leur était imposée. Albyor était plus qu'une ville à proprement parler : c'était une véritable forteresse, et à chaque coin de rue ou presque ils voyaient des régiments de l'armée du Rhûn. Des hommes que Learamn avait pu croiser dans son périple jusqu'à Blankânimad, mais qui paraissaient exceptionnellement nombreux ici.
Leur présence était d'ailleurs inhabituelle, même selon les standards locaux, et Thrakan fit un commentaire en ce sens qu'Ava choisit de traduire à sa façon :
- De toute évidence ce déploiement de forces n'est pas normal. Il a dû se passer quelque chose ici…
Quelques indices les aidèrent à se faire une idée de ce qui avait pu se passer, notamment les corps empalés de quelques esclaves, qui trônaient au bout d'une pique en guise d'avertissement. Les meneurs d'une révolte, de toute évidence. Leurs corps décharnés, morts depuis bien longtemps, avaient été sauvagement attaqués par les oiseaux de mauvaise augure qui sillonnaient le ciel de la cité. Le message était clair, et la présence des soldats dans les rues venait appuyer sur la triste réalité de la situation : celui qui sortirait du rang serait puni de manière exemplaire.
Dans la petite compagnie, à l'exception de l'Uruk, ils n'étaient pas esclaves. Pourtant, aucun d'entre eux n'avait envie de jouer avec les autorités qui semblaient sur le qui-vive. L'ambiance à Albyor était pour le moins pesante. Ava et ses compagnons mirent pied à terre sur une place, et ils furent immédiatement abordés par des esclaves tout à fait charmants qui les entourèrent de mille attentions. Deux d'entre eux s'approchèrent de Learamn, et offrirent de prendre soin de son cheval. L'un d'entre eux avait les traits d'un homme de l'Ouest, et sans paraître souffrir de son statut, il offrit des salutations chaleureuses au cavalier :
- Bienvenue à Albyor, cher voyageur. Vos compagnons et vous-mêmes êtes nouveaux en ville ? Vous pouvez trouver des chambres à un prix très abordable dans l'auberge de la Tulipe Noire.
Il devint évident très rapidement qu'il était là pour récupérer des clients, et que son ton affable faisait partie de son personnage.
- Nous avons le plaisir d'accueillir une brillante artiste ce soir, la plus célèbre devineresse de tout le Rhûn, la seule et l'unique Kryv Syrsa-Shan. Une occasion à ne pas manquer.
Pendant que Learamn faisait connaissance avec le rabatteur local, ses compagnons prenaient leurs repères dans la cité. Thrakan semblait connaître les lieux, et il discutait avec un des gardes pour obtenir des informations sur la situation d'Albyor. Ava, quant à elle, conversait avec les esclaves pour leur demander quelques informations au sujet de leur mission. Elle en connaissait les détails mieux que personne. Khalmeh, quant à lui, était debout sur le chariot. Il éloignait du pied les esclaves qui voulaient l'aider à décharger sa précieuse cargaison. Pour l'heure, il ne voulait pas créer un scandale en dévoilant l'Uruk en plein cœur de la ville.
- Learamn, vous avez trouvé un endroit où dormir ? Demanda-t-il sur un ton agacé qui ne lui ressemblait guère. C'est que ça devient urgent, garçon.
Quelques têtes se tournèrent dans leur direction en les entendant converser en Westron. Les regards bifurquèrent vers Learamn, et affichèrent un mépris teinté de méfiance à son endroit. Probablement qu'on le prît pour un esclave, car personne ne se donna la peine de lui adresser la moindre remarque. Khalmeh acheva de chasser les esclaves qui voulaient absolument l'aider, descendit du chariot, et s'approcha de son compagnon pour reprendre à voix basse :
- Désolé mon ami, il vaut mieux qu'on vous prenne pour mon esclave ici. C'est plus sûr.
Puis, revenant à des affaires plus pressantes :
- Mais j'étais sérieux, est-ce que vous avez un endroit où aller ? Autant trouver un endroit sûr pour débarquer le chargement. J'ai l'impression qu'il a envie de se dégourdir les jambes.
Il adressa un clin d'œil à Learamn, puis revint vers le chariot en faisant de grands gestes vers les esclaves qui essayaient de l'emmener au loin. La scène était presque comique. Un bref moment de détente qui les coupait pour un temps de la sensation désagréable d'avoir mis le pied au milieu d'un piège immense à taille urbaine. Le jeune Rohirrim s'était progressivement habitué à Blankânimad, et à la quiétude qu'il pouvait y trouver entouré qu'il était de Khalmeh aux bons tuyaux, et de Ava qui se montrait très protectrice. Ici, ils ne jouissaient pas du même statut, et l'épée qu'il portait au côté était un bien meilleur gage de protection que sa proximité avec la reine Lyra.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1078 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Learamn n’avait pas vraiment eu besoin de l’annonce très solennel de Thrakan pour comprendre que leur destination leur faisait désormais face. A présent qu’il l’avait sous les yeux, il comprenait mieux son surnom de la Cité Noire. La ville semblait avoir été creusée dans le flanc d’une imposante falaise de roche basaltique et dominait chaque voyageur de par sa taille et son aura maléfique, incarné par une brume épaisse et poussiéreuse qui se répandait dans toute la sombre vallée. Heolstor commença à s’agiter et à hennir nerveusement; en bon cavalier du Rohan, le jeune homme savait que quand une monture se montrait si angoissée alors ce ne pouvait qu’être un mauvais présage. Il caressa doucement la crinière de l’étalon, et lui chuchota quelques mots à l’oreille pour l’apaiser. C’était un bon cheval, puissant et endurant, avec qui il était parvenu a créer certain lien depuis leur départ d’Edoras mais leur relation était bien moins développée que celle qu’il avait connu avec Ouragan, son destrier pendant de longues années. Il lui arrivait parfois de repenser à lui, tombé lors de la dernière mission du Capitaine de la Garde Royale et drapé de sa prestigieuse cape. En un certain sens, Learamn avait déjà perdu son grade quand il avait fait ce geste; la sanction de Mortensen n’en avait été que le constat.
Thrakan et Ava firent un geste étrange et Khalmeh expliqua qu’il s’agissait là d’un rituel évoquant la clémence de Melkor avant de suivre leur exemple. Melkor… Ce nom était revenu plusieurs fois depuis son arrivée au Rhûn mais jamais de manière trop insistante. Il savait depuis longtemps que les gens d’ici vénéraient une divinité nommée ainsi, entité considérée comme maléfique dans l’Ouest, mais jusqu’ici il n’avait pas eu réellement le sentiment que ce Dieu rythmait réellement la vie quotidienne des locaux. Quelques mentions ça et là, la statue gigantesque dans la salle du trône de Lyra mais cela n’avait jamais réellement dépassé le stade du symbole. Pourtant, face à la Cité Noire ses compagnons s’en remettait à lui pour les protéger. Lui n’avait jamais vraiment cru en ces choses là. Les légendes sur les Valars lui étaient vaguement familières, mais ce n’étaient là que des légendes. Au Rohan, la totalité du folklore surnaturel se rapportait surtout aux esprits des anciens héros veillant sur le futur du royaume; mais les gens du Riddermark ne servaient pas de dieux. Le cavalier haussa donc les épaules et fit avancer sa monture à la suite des autres sans prononcer la moindre incantation. Pas vraiment rassuré pour autant, il espéra silencieusement que l’esprit d’Eorl veillait sur sa destinée.
Ils chevauchèrent encore longtemps dans la vallée surplombée par l’ombre menaçante d’Albyor, cette dernière se faisait de plus en plus imposante à chaque lieu traversée mais son entrée ne semblait jamais se rapprocher. Il eut l’impression qu’ils auraient pu ainsi avancer dans le vide pour l’éternité, la ville les écrasant de plus en plus. Alors qu’ils progressaient difficilement au sein d’un défilé rocheux étroit et lugubre, Learamn se sentit observer. Il leva les yeux et entrevit des silhouette en amont, sur les escarpements. Ces “Yeux du Maître”, ou “Hommes-Serpents” comme les appelaient le Fléau, le rendaient particulièrement incomfortable. Il n’aurait su dire si c’était dû au fait d’être ainsi scruté de manière impuissante en bas d’une falaise ou par la simple annonce de leur arrivée dans une cité. Au vu de la composition de leur compagnie pour le moins hétéroclite, il aurait sans doute été préférable de pénétrer dans la cité de façon discrète.
Ils poursuivirent leur chemin et à mesure qu’ils approchaient, se dévoilaient les premiers aspects de la Cité Noire. Des champs “perchés” en hauteur avaient été ingénieusement réalisé sur des lieues à la ronde. Des milliers d’esclaves y travaillent d’arrache-pied sous la menace des armes acérées de leurs contremaîtres, ces derniers se montrant d’ailleurs plutôt prompt à s’en servir. Khalmeh, visiblement mal à l’aise, critique vivement ce genre de pratiques sur les travailleurs; une remarque quelque peu cocasse venant de la part d’un esclavagiste. Mais il était vrai, que durant leurs mois de voyages ensemble, Learamn n’avaient jamais été témoins d’un tel déchaînement de violence sur la caravane de détenus. Le jeune homme ne croyait pas qu’il y avait une façon “humaine” de pratiquer esclavage; mais de toute évidence il y avait des degrés de bestialité. A force, il avait fini par s’habituer à croiser des esclaves depuis son arrivée dans l’Est. A Vieille-Tombe ou à Blankânimad, ceux-ci faisaient partie intégrante de la vie de la cité; et une partie non négligeable d’entre eux bénéficiaient même d’une vie plus douce que celles de certains citoyens. Cela dépendait bien entendu de la bonne volonté de leur propriétaire mais c’était moins rare qu’il l’avait crû au début. Mais ici c’était différent. L’évidence frappa Learamn alors qu’il traversait le pont sinistre et exigu qui menait à la grande arche d’entrée. Le souci n’était pas qu’il y avait des esclaves, non toutes les cités du Rhûn en comptait. Le problème était qu’il n’y avait que des esclaves. Et tous paraissaient dans un état aussi repoussant que déplorable, vêtus de guenilles et mal-nourri. Ils erraient ainsi dans la cité pour accomplir leurs tâches, corps sans vie, êtres sans âmes. Mais s’il y avait tant de servants, il devait bien y avoir des servis. Les habitants “ordinaires” - si l’on pouvait raisonnablement user cet adjectif pour quoique ce soit qui ait à faire avec ce lieu- se faisaient bien rares, au contraire des soldats présents en nombre. Que craignaient-ils donc dans cette contrée si reculée à l’Est du Royaume que tous semblaient vouloir éviter comme la peste? Un soulèvement des esclaves? Ces derniers paraissaient bien incapable de penser même à cette éventualité, inconscients de leur état et de leur nombre. Les gens de la Cité Noire était parvenu à transformer des êtres humains en simples spectres se pliant à leurs exigences.
Au moment même où il met pied à terre, Learamn fut abordé par un esclave aux traits clairs qui se portaient étonamment bien en comparaison des autres. Peut-être son maître avait intérête à le garder bien portant. Le Rohirrim constata également que leurs traits n’étaient pas si différents, cet homme venait probablement de l’Ouest, peut-être même du Rohan. Il salua chaleureusement le nouvel arrivant avant de faire la publicité d’un établissement de la ville, le tout en Langage Commun. L’ancien capitaine haussa un sourcil à la mention de la devineresse mais se garda de faire toute remarque. Tout cela semblait bien ridicule mais il était sans doute plus prudent de parler le moins possible et de s’abstenir de faire toute remarque inutile. Il jeta un regard en coin à Khalmeh, affairé à chasser une troupe d’esclaves désireux de décharger sa cargaison. Ce dernier demanda alors à son ami s’il leur avait trouvé un endroit pour y passer la nuit, car Learamn espérait bien qu’il n’aurait pas à dormir ici plus d’une fois. Cette tâche somme toute important semblait lui avoir été incombée, Ava et Thrakan étant absorbée dans des conversations qui semblaient être de la plus haute importance. “Mes maîtres se réjouiront de loger à la Tulipe Noire à condition de disposer d’au moins deux chambres isolées. L’accès à une cour privée sera aussi pris en compte au moment du payement.” Déclara Learamn à l’esclave.
Celui-ci afficha un large sourire et se contenta, pour toute réponse, de faire signe de le suivre. Une fois toutes les conversations terminées, les agents de la Reine suivirent l’occidental jusque devant une bâtisse en bois sombre gâté. Ils poussèrent la porte qui émit un grincement strident et entrèrent dans le vestibule seulement éclairée par une paire de chandelle au-dessus du comptoir. La salle était quasiment vide, seuls se trouvaient quelques hommes d’allures louches devant un bol rempli d’une mixture brunasse qui inspirait tout sauf l’appétit. Une odeur rance qui agressa les narines du Rohir était également à ajouter au tableau peau reluisant. L’auberge de la Tulipe Noire était bien à l’image de la ville qui l’abritait. Ils réussirent à négocier des chambres à un prix raisonnable ainsi qu’un endroit “sûr” et privé pour y garder l’Urûk. Ava et Thrakan se mirent à gravir les marches délabrées qui menaient à l’étage alors que Learamn resta au côté de Khalmeh pour placer la créature à l’endroit convenu, à l’abri des regards indiscrets. Alors qu’il se dirigeaient vers le chariot et que le doux parfum de carcasse en décomposition de l’Orc se faisait sentir; Learamn commenta d’un ton léger “ Il pourrait bien être le seul à se plaire ici…”
Il poursuivit de manière plus sérieuse “Mais dîtes-moi mon ami. Que y-a-t-il avec cet endroit? Je veux dire même des personnes comme vous ou Ava, des Rhûnedains semblez effrayé par cet ville. Alors oui je vous accorde bien volontiers sa dimension macabre mais aucun de vous n’êtes des pleutres et vous avez tous invoqués votre Dieu, Melkor… Dîtes mon ami… Quel Mal hante donc les rues d’Albyor”
A vrai dire, Learamn n’était pas certain d’avoir envie de connaître la réponse.
The Young Cop
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- Deux chambres isolées, je suis sûr que cela devrait pouvoir se faire.
L'esclave que Learamn avait rencontré était particulièrement affable, d'une gentillesse exacerbée par son rôle particulier dans la Cité Noire. Il faisait à l'évidence partie des mieux lotis, et il s'employait à garder un ton enjoué, pour ne pas avoir à subir le même sort que nombre de ses compagnons d'infortune qui achevaient leur misérable vie dans les tristement célèbres mines d'Albyor. Ici, chacun trouvait une utilité, et on racontait que même ceux qui n'avaient que la peau sur l'os pouvaient servir à fertiliser les champs…
Les rumeurs étaient trop plausibles pour pouvoir être simplement ignorées.
- Pour l'accès à une cour privée, il faudra que vos maîtres voient si ce que nous avons à offrir peut leur convenir. Je pense que nous pourrons trouver de quoi les satisfaire entièrement. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je porte vos affaires ?
En se penchant vers Learamn, le rabatteur posa involontairement les yeux sur l'épée que le cavalier gardait au côté. Il eut un bref mouvement de recul, et une lueur inquiète passa dans son regard. Son masque de sérénité se craquela légèrement, mais il se reprit bien vite, et ne fit aucun commentaire particulier, se contentant de parler un peu plus rapidement que précédemment :
- Je vais faire prévenir le maître-aubergiste de votre arrivée, il verra les détails avec vous. Je vous assure que vous passerez un excellent séjour ici.
« Excellent ». Le mot semblait ne pas coller à l'atmosphère locale. Sans rien ajouter de plus, il se tourna vers un autre rabatteur, et lui fit signe de filer vers l'auberge : ils avaient enfin trouvé des clients, et ils devaient faire en sorte de les accueillir dans les meilleures conditions possibles. De toute évidence, la clientèle étrangère était assez rare, et la concurrence était rude, à en juger par le regard déçu ou jaloux des autres esclaves présents.
Quand ils furent tous prêts à se mettre en route, Khalmeh fit aller leur précieux attelage à travers les rues d'Albyor qui montaient en pente douce, toujours escorté de ses compagnons qui avaient mis pied à terre pour l'occasion. L'imposante silhouette de Thrakan, en tête de cortège, fendait la foule comme la proue d'un gigantesque navire fendrait les flots. Il écartait d'une main impatiente ceux qui ne réagissaient pas assez vite, et devant son visage austère les critiques s'évanouissaient aussitôt. L'homme parlait peu, mais il représentait un atout irremplaçable dans leur petite compagnie. De tous les cinq, il était peut-être celui qui connaissait le mieux les subtilités locales, et il y avait fort à parier que sans lui, ils n'auraient aucune chance d'accomplir leur mission.
La Tulipe Noire apparut bientôt devant eux, et ils pénétrèrent à l'intérieur du bâtiment qui n'eut pas le loisir de les décevoir, vu la hauteur de leurs espérances. Les lieux étaient à peu près propres, malgré l'odeur désagréable qui leur agressait les narines. Quelques regards méfiants les accueillirent comme depuis qu'ils avaient posé le pied en ville, mais rien de franchement hostile qui aurait pu les décourager de s'arrêter ici. La clientèle n'était ni pire ni meilleure qu'ailleurs, et il aurait été hypocrite de croire que toutes les tavernes à l'Ouest de l'Anduin réservaient bon accueil aux étrangers.
Thrakan prit en charge les négociations, pendant que Learamn et Khalmeh s'occupaient de leur cargaison. La répartition des rôles et des tâches était devenue de plus en plus fluide depuis leur départ, si bien qu'ils n'avaient pas besoin de se concerter particulièrement. Ils étaient tous des hommes d'action, et à ce titre Ava faisait preuve d'une capacité d'intégration tout à fait étonnante. Pour une femme distinguée et bien éduquée, elle s'était fondue dans la vie collective avec aisance, et ne s'était jamais révélée être un poids pour quiconque. La fatigue semblait quand même la saisir plus rapidement que ses compagnons, habitués des longues marches et des privations de la vie sur les routes. Ils lui laissèrent le privilège d'aller se délasser quelque peu, tandis qu'ils accomplissaient les dernières formalités.
Khalmeh déchargeait quelques caisses de matériel et de vivres, afin de faire de la place pour ouvrir la cage et libérer l'Uruk, quand Learamn lui lâcha ce commentaire laconique concernant la cité. L'esclavagiste réfléchit un instant, avant de répondre sur un ton difficile à déchiffrer :
- Mon ami, je crois que même lui ne se plairait pas tout à fait ici. La violence est omniprésente à Albyor, et je crois que même les Uruk ont besoin de repos, parfois. J'ai bien peur que certains des hommes que nous croiserons ne vous déçoivent, Learamn. Tout le monde ne partage pas mon élévation morale et mon exceptionnelle politesse.
Il sourit largement, tout en déposant une lourde caisse dans les mains de l'Occidental, qui alla la poser près des autres. Cela n'avait pas arrêté Learamn dans son enquête : le jeune cavalier semblait à la fois inquiet et fasciné par la Cité Noire, ce qui était une réaction assez logique compte-tenu de l'atmosphère locale. Le mal semblait si profondément ancré ici qu'il semblait possible de l'observer à l'état naturel, comme une curiosité quelconque. Le danger était de trop s'en approcher, de baisser sa garde, et de se laisser happer par celui-ci. Certains devenaient totalement fous, et s'abandonnaient à leurs pulsions les plus sauvages. D'autres étaient brisés par de telles visions, et ne s'en remettaient jamais totalement. Chaque fois qu'ils fermaient les yeux, ils voyaient en boucle les horreurs commises au nom du Dieu Sombre.
C'était d'ailleurs à son sujet que Learamn s'interrogeait le plus, ce qui n'était pas étonnant.
- Pour comprendre ce que Melkor représente, je crois qu'il nous faudrait discuter fort longuement… et surtout à l'abri d'éventuelles oreilles indiscrètes. Vous n'êtes pas au meilleur endroit pour émettre des réserves sur le véritable maître de la ville aujourd'hui.
En disant cela, il avait jeté un regard circulaire vers les coursives et les petites fenêtres qui donnaient autour d'eux. Il était plus prudent de ne pas parler trop librement ici.
- Melkor règne à Albyor depuis quelques années maintenant. Son aura irradie depuis le Temple Sharaman, le grand temple de la victoire qui date d'il y a plusieurs dizaines d'années. Le culte de Melkor s'est développé particulièrement ici, sous l'impulsion du grand prêtre Jawaharlal… J'espère que nous n'aurons pas à trop nous en approcher.
Il marqua une pause, tout en libérant l'Uruk de sa cage. Celui-ci, sans paraître éprouver la moindre émotion, s'extirpa de sa prison et descendit au sol avec une certaine souplesse. Il s'étira longuement, et se mit à marcher. Khalmeh l'observa un instant, avec ce regard précis et observateur : il regardait sa masse musculaire, vérifiait qu'il n'était pas blessé, qu'il ne boitait pas, et qu'il avait toujours l'air en pleine santé. Ce bref examen terminé, il revint au cavalier :
- Ce que vous devez comprendre, Learamn, c'est que Melkor n'est pas juste une vieille figure légendaire, un nom dans les mémoires que l'on invoque pour de bon. C'est une divinité bien vivante, bien réelle, et son pouvoir se manifeste encore parfois en certains endroits, ou à travers certaines personnes. Les prêtres interprètent sa volonté, afin d'accélérer son retour. Le jour où ils y parviendront, le monde changera de manière irréversible. D'ici là, nous pouvons toujours compter sur les femmes et l'alcool pour nous causer du souci, hein ?
Il posa une main sur l'épaule de Learamn, et retourna à ses occupations. Si le jeune cavalier avait des questions plus précises, il lui faudrait les poser quand ils seraient seuls, à l'abri des oreilles indiscrètes, dans un endroit sûr. Cela existait-il seulement à Albyor ?
~ ~ ~ ~
Cette première journée avait été consacrée au repos. Khalmeh s'était endormi sans la moindre difficulté, dans la chambre qu'il partageait avec Learamn. Ava et Thrakan, qui dormaient une pièce plus loin, tout au bout du couloir, s'étaient vraisemblablement assoupis aussi. Par la fenêtre, le soleil déclinait déjà alors qu'au Rohan il aurait été encore haut dans le ciel. Pour eux tous, il faudrait un temps d'adaptation : à la pénombre, à l'angoisse permanente, et à ces bruits sinistres qui semblaient essayer de les effrayer. Le parquet grinçait étrangement, le vent qui tapait à la fenêtre ressemblait à des doigts malicieux essayant de pousser le battant. Même les voix étouffées des clients au rez-de-chaussée remontaient comme de sinistres incantations venues des tréfonds du monde.
Learamn dormait dans un lit assez peu confortable, mais qui avait au moins le mérite de ne pas avoir trop de punaises. Il n'avait dû en écraser que deux pour le moment. Ses compagnons ne s'étaient pas plaint pour l'heure, ce qui témoignait soit de leur exceptionnelle résistance au parasites nocturnes, soit de la malchance de l'ancien officier s'il s'était vu affublé du couchage le moins confortable.
La fatigue était une visiteuse capricieuse, qui semblait fuir l'esprit de quiconque voulait se reposer, et qui savait cueillir celui qui voulait rester éveillé à méditer sur de sombres pensées. Et il y en avait un certain nombre qui méritaient l'attention du jeune officier, à commencer par la question de son statut ici, mais aussi leur mission de laquelle Ava ne leur avait rien dit ou presque. Ils devaient seulement récupérer « quelque chose » pour la Reine, et le ramener à Blankânimad. Que pouvaient-ils vouloir à Albyor que le pouvoir royal ne pouvait pas récupérer autrement qu'en envoyant une bien étrange compagnie ?
Doutes et questions n'empêchèrent pas l'ancien officier de s'assoupir, et il ne fut tiré de son lit qu'en début de soirée par Khalmeh. L'ancien esclavagiste semblait ne pas avoir totalement récupéré du voyage, mais il mourait de faim et préférait de très loin manger quelque chose avant de retourner dormir :
- Je pourrais avaler un auroch tout entier, mais je crains qu'on ne nous serve qu'une soupe infâme et du pain sec. L'hospitalité locale…
En rejoignant la salle commune, les deux compagnons n'eurent pas le plaisir d'être accueillis par le fumet savoureux d'une belle pièce de viande cuisant doucement sur le feu, mais Khalmeh ne s'était pas montré tout à fait juste avec la cuisine locale. Les gens d'Albyor étaient peut-être des sauvages, mais l'aspect vicié des lieux ne signifiait pas que leur cuisine était piteuse. Ils mangèrent à leur faim, dans un assortiment de plats communs dans lesquels ils pouvaient piocher librement, comme cela se faisait assez couramment à l'Est. Les légumes étaient bons, et ils eurent même une pièce de viande séchée dont l'esclavagiste préféra ne même pas demander la provenance. Il avait peur qu'on lui révélât quel animal se trouvait dans son assiette… Il avait encore plus peur qu'on lui apprît qu'il ne s'agissait pas d'un animal.
La pièce était plongée dans une atmosphère chaleureuse, du fait de la présence de quelques musiciens qui jouaient un air lancinant, mélancolique. Un homme chantait d'une belle voix chaude, légèrement usée par le temps. Les deux artistes qui l'accompagnaient, à l'aide d'une sorte de harpe horizontale et d'une flûte pour le seconde, donnaient de leur personne pour rendre les lieux chaleureux, et c'était presque réussi. La Tulipe Noire n'était pas si inconfortable, finalement. Il convenait toutefois de se rappeler que la quiétude relative dont ils jouissaient ici était construite sur le dos des esclaves qui trimaient quotidiennement pour assurer aux rares habitants libres de la cité une vie confortable.
Ces légumes avaient été plantés, surveillés, récoltés, triés, et préparés par des mains serviles, et ils avaient le goût amer des chaînes. Cette musique n'était pas jouée par des hommes libres de leurs mouvements, et leurs maîtres passaient dans les rangs pour récolter une donation charitable de la part du public. Khalmeh déposa quelques piécettes dans l'écuelle qu'on lui tendait avec un sourire affable, avant de revenir à son compagnon :
- Ce ne sont pas les pires : ces musiciens sont bien traités, ils représentent un investissement précieux. Ceux-là n'ont pas de renommée, mais les plus chers s'arrachent à prix d'or, et vivent des vies somptueuses dans des palais que vous ne pourriez même pas imaginer. Ah, si seulement j'avais pu mettre la main sur une telle pépite, plutôt que de m'encombrer de cette créature.
Il partit de son rire franc et communicatif, avant de se pencher sur sa chope pour dire à Learamn :
- Je me serais évité bien des problèmes, si vous voyez ce que je veux dire.
Il fit un signe de tête entendu, incitant le cavalier à se tourner pour regarder derrière lui. Ava venait de faire son apparition, élégante comme à son habitude, sans son garde du corps habituel. Elle attira les regards d'une bonne partie de l'assistance, venue pour passer une soirée relaxante après une courte journée. Quelques hommes semblaient vouloir l'aborder, mais ils n'osèrent pas s'interposer entre elle et la table où elle se dirigeait. Khalmeh tira galamment une chaise pour la jeune femme, un geste d'une grande courtoisie qui ne lui ressemblait guère.
- Merci, Khalmeh.
- De rien, votre Altitude Sérénadissime.
Elle lui fit une moue entendue qui lui tira un sourire amusé, mais ne releva pas. De toute évidence, les deux s'efforçaient de parfaire une sorte de couverture qui consistait à les présenter comme des visiteurs étrangers. Montrer des signes de division serait bien malvenu et risquait d'attirer inutilement l'attention sur eux, alors qu'ils devaient de toute évidence rester discrets. La jeune femme prit quelques nouvelles de ses compagnons, notamment de la blessure de Learamn, avant de venir au sujet qui leur importait le plus.
La mission.
Curieusement, dans le brouhaha de plus en plus fort de la salle principale, ils étaient plus à l'aise pour communiquer. Les voix ambiantes couvraient leurs conversations de conspirateurs, à condition de surveiller que personne n'écoutait aux alentours :
- J'ai envoyé Thrakan enquêter, fit-elle, pour dénicher des informations au sujet de la marchandise que nous devons récupérer.
- Vous ne voulez toujours pas nous dire de quoi il s'agit ? Demanda Khalmeh.
- Pour le moment, cette information n'est pas utile, mais vous serez mis au courant en temps voulu. Nous devons tout d'abord parler d'Albyor. Khalmeh, je suppose que vous avez déjà expliqué à Learamn où nous nous trouvions.
Les explications lacunaires de l'esclavagiste dressaient un portrait singulier de la ville, mais encore trop incomplet. Ava avait de toute évidence des informations fraîches. A voix basse, les forçant à tendre l'oreille pour la comprendre, elle glissa :
- A notre arrivée ici, j'ai été approchée par des informateurs de la Reine qui avaient eu vent de notre présence. Ils m'ont donné un long rapport sur la situation à Albyor, que j'ai pris le temps d'étudier cet après-midi. Les choses ne sont pas rassurantes, je le crains. Le gouverneur Hagan a perdu le contrôle de la ville, au profit des Melkorites. La récente évasion d'esclaves a largement affaibli son pouvoir, d'autant que son fils Nixha a été empoisonné durant l'affaire… Les prêtres de Jawaharlal ont repris la main, malgré la destruction de leur nouveau tribunal pendant l'émeute. Cela a mis un frein temporaire aux condamnations qui s'abattent sur les habitants. Je crains qu'il nous fasse faire profil bas, si nous voulons éviter les ennuis…
Les paroles d'Ava étaient pour le moins inquiétantes. Learamn et Khalmeh étaient deux vagabonds sans statut et sans famille pour les protéger, ce qui faisait d'eux des cibles particulièrement faciles pour les prêtres melkorites. Leur compagne, en revanche, était une des « femmes de la Reine », et elle était ici l'extension de la volonté de Lyra. Qu'elle fût préoccupée par sa propre sécurité alors qu'ils se trouvaient toujours au Rhûn ne voulait rien dire de bon concernant leur séjour ici. Ils marchaient sur un sentier bien étroit.
Ils continuèrent à parler de choses et d'autres, marquant une brève pause quand la musique se tut bientôt, pour laisser la place à une nouvelle attraction. Un grand nombre de clients se bousculaient maintenant dans l'auberge, et ils pouvaient se féliciter d'avoir une place assise, car beaucoup étaient debout derrière eux, remplissant les lieux de manière inhabituelle. Les trois voyageurs en mission ne comprirent pas immédiatement pourquoi, jusqu'à ce qu'un homme fît son apparition sur une petite scène installée pour l'occasion. Il portait une jolie tunique blanche, qui contrastait beaucoup avec les habitudes vestimentaires des locaux, et parlait d'une voix suave et élégante en regardant l'assistance de droite à gauche, pour capter leur attention. Il y eut quelques applaudissements qui annonçaient l'arrivée de quelqu'un, pendant lesquels Ava se proposa de traduire à Learamn :
- Apparemment c'est une devineresse assez célèbre dans la région, qui vient faire ses tours. Comme je le disais donc, nous devrons intercepter le navire marchand à l'extérieur de la cité, idéalement à une bonne journée de cheval d'ici. Il nous faudra peut-être camper un peu, mais les informations à ma disposition sont plutôt fiables, et je ne doute pas que tout ceci sera terminé rapidement. Nous n'aurons ensuite qu'à décharger la cargaison, et à la ramener en toute simplicité à Blankânimad.
- Cela ne me paraît pas simple du tout, fit Khalmeh. Learamn, dites-lui, mon ami. Je parie que vous avez l'expérience de ces choses. Ça pourrait très mal tourner.
Malgré toute son expérience de voyageur et d'esclavagiste, Khalmeh n'avait jamais eu à mener de dangereuses missions d'escorte. L'idée de récupérer une cargaison mystérieuse au nez et à la barbe des autorités d'Albyor lui semblait délicat : et comment feraient-ils ensuite pour rallier la capitale, sans être contrôlés par les miliciens locaux ? Les principales routes étaient étroitement surveillées, et s'aventurer hors des sentiers battus représentait un risque non-négligeable pour leur compagnie qui ne comptait pas assez de lames pour repousser la plus petite attaque de bandits. Learamn ne connaissait pas forcément la région, mais il était logique, et Khalmeh comptait sur lui pour cela.
Ava, à l'inverse, comptait sur le cavalier pour appuyer son idée, et reconnaître que c'était la seule possibilité raisonnable. S'ils avaient des ennemis à l'intérieur d'Albyor, a fortiori si ceux-ci étaient haut-placés, il valait sans doute mieux éviter de laisser le navire entrer dans la ville, au risque de ne plus pouvoir faire sortir la marchandise. Face à ce dilemme, l'expertise précieuse d'un homme de guerre était requise, et les deux Rhûnedain convinrent tacitement de se ranger à l'avis du Rohirrim. Il en savait certainement plus qu'eux à ce sujet. La « femme de la Reine » l'écoutait d'ailleurs très attentivement, prenant quelques notes codées sur un carnet qui ne la quittait jamais.
Ils discutèrent de choses et d'autres, ponctuellement interrompus par les applaudissements de la foule qui appréciait les tours de la devineresse. Elle s'était installée d'un côté d'une petite table ronde, et invitait les volontaires – ceux qui ne craignaient pas ses prédictions, du moins – à la rejoindre pour qu'elle leur dise l'avenir selon toute une série de méthodes plus ou moins exotiques. Pendant ce temps, le trio continuait sa longue conversation, en essayant d'envisager toutes les éventualités de leur bref – espéraient-ils – séjour à Albyor. Ils firent l'inventaire de leurs forces et de leurs compétences, de tout ce qui serait utile pour la réussite de leur mission. L'Uruk fut notamment un sujet important, car Ava était convaincue qu'il pouvait prendre part à leur entreprise de manière plus active, en tenant une arme et en assurant la sécurité de leur campement aux côtés du possesseur du bâton. Khalmeh, quant à lui, ne voulait pas se montrer aussi optimiste. La confiance dans sa créature n'empêchait pas la prudence la plus élémentaire, et il ne souhaitait pas faire l'erreur de donner une lame à un Uruk qu'il avait enfermé des semaines durant. La vengeance grondait peut-être derrière ces yeux étrécis, et il préférait ne pas prendre de risque inutile.
- Je vous assure que cet Uruk a l'air totalement soumis, avait dit la jeune femme, il ne montre aucun signe d'agressivité quand il est en présence de ce bâton, et je crois qu'il pourrait être un allié de poids.
- Non, non, non, c'est trop risqué, avait rétorqué Khalmeh. S'il s'agit de le lancer sur un bandit pour qu'il lui mange une jambe ou un bras, pourquoi pas. Mais je ne pense pas qu'il soit judicieux de le laisser vadrouiller ainsi.
- Ce n'est pas qu'une bête, vous savez. On a déjà vu de telles créatures arpenter les couloirs de Blankânimad par le passé, et même si les gens d'ici les craignent, ils seraient sans doute fascinés de voir un tel produit.
Khalmeh souffla par le nez, peu convaincu. Il n'aimait pas la tentative de manipulation qu'Ava tentait sur lui, et répondit :
- « Fascinés », rien que ça ? Je pensais que le but était de passer inaperçu, non ?
- Fascinés par l'Uruk, Khalmeh. Un excellent moyen de détourner leur attention d'autre chose. De moi, et Learamn par exemple. Si nous devons conduire nous affaires à Albyor, ne pensez-vous pas qu'une bonne raison de rester ici nous permettrait au contraire de ne pas attirer l'attention inutilement ? Les voyageurs ne s'attardent jamais dans la Cité Noire. On risquerait de se poser des questions.
De nouveau, ce fut à Learamn de trancher. Les chamailleries des deux compagnons de route pouvaient parfois être constructives, mais il était souvent besoin de prendre une décision rapide et efficace. Dans ce cas, le seul étranger de la compagnie apportait un point de vue extérieur précieux, et une voix plus modérée qui leur permettait d'avancer dans les discussions. C'était un rôle étrange, mais nécessaire. Ils en étaient là dans leur discussion quand ils furent soudains interrompus par l'arrivée d'une silhouette qu'ils n'avaient pas vue venir. Ava rangea précipitamment son carnet, alors qu'ils levaient la tête avec étonnement. Ils croisèrent tous trois le regard d'une jeune femme, tout de blanc vêtue, les dévisager avec un air indéchiffrable.
Même Khalmeh paraissait interdit, lui qui d'ordinaire avait toujours les bons mots. Il observait cette inconnue avec surprise, cherchant à savoir la raison de son arrivée inopportune. Ce fut peut-être à ce moment qu'ils notèrent que les yeux de toute l'assistance étaient rivés sur eux, dans un silence oppressant. Elle observa intensément l'esclavagiste, paraissant lire en lui la vérité de son existence toute entière. Son regard glissa bientôt vers Ava, qu'elle cloua sur place sans la moindre difficulté, en semblant dévoiler toutes ses blessures les plus profondes au grand jour. Enfin, elle observa l'Occidental. Ses sourcils se froncèrent très légèrement, comme si quelque chose la préoccupait… ou l'intriguait.
Elle tendit une main délicate, et souffla quelque chose dans la langue des gens du Rhûn. Puis, avec grâce et un accent amusant, elle prit la peine d'ajouter en Westron :
- Bonsoir à vous, Learamn. Voulez-vous que je lise aussi votre avenir ?
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1078 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Sur son lit de fortune infesté de punaises de lit, Learamn avait bien du mal à trouver le repos. Depuis son départ du Rohan il avait pourtant passé des mois à dormir dans un hamac, sur un tas de paille ou parfois à même le sol; le manque de confort ne l’avait jamais empêché de se reposer après une épuisante journée de voyage. Mais ici, dans la Cité Noire, une partie de son esprit refusait de s’assoupir; comme si s’endormir s’était en quelque sorte s’incliner devant les ténèbres qui hantaient cet endroit avec le risque de ne jamais en ressortir. Il fallait dire que les informations que Khalmeh lui avait révélé sur les prêtres de Melkor et leur divinité omniprésente n’aidait pas à l’apaisement. Le rohirrim avait toujours été un grand sceptique face à tout ce qui touchait de près ou de loin au surnaturel. Pas qu’il niait l’existence des phénomènes magiques, il en avait été lui-même témoin à plusieurs reprises; mais chacune de ces rencontres l’avaient mis mal à l’aise. Ainsi, il avait au fil des ans développé une méfiance extrême à l’égard de toute chose susceptible de bousculer l’ordre naturel du monde. Cela englobait aussi bien les elfes et leurs tours de passe-passe que les sombres divinités d’un autre temps dont le retour marquerait l’apocalypse.
Mais malgré tous ses efforts pour minimiser l’importance de Melkor et l’influence de ses fanatiques ayant pris contrôle de la ville, son cœur était profondément troublé. Au fond de lui, il ressentait que le Mal était bien présent, un Mal insidieux et perfide qui commençait à accabler son âme.
Au final il n’eut pas le luxe de pouvoir se reposer correctement, et le réveil de Khalmeh , qui lui avait dormi comme un loir, fut un soulagement pour l’ancien capitaine qui ne se trouvait plus seul avec ses sombres pensées. L'esclavagisme lui proposa d’aller souper, une idée bienvenue pour Learamn qui se rendit compte que son estomac vide criait famine depuis plusieurs heures déjà, son esprit avait jusque là était trop préoccupé pour s’en rendre compte. Partageant les craintes de son compagnon sur les qualités de la gastronomie locale, il descendit derrière lui les marches grinçantes. La salle commune s’était considérablement remplie depuis leur arrivée à l’auberge et l’atmosphère y était presque accueillante avec des musiciens qui jouaient sur une scène de fortune et de nombreux clients qui discutaient bruyamment autour d’un repas chaud bien mérité. Ils s’installèrent dans un coin moins bruyant, situé un peu plus à l’écart et le repas leur fut rapidement servi. La nourriture se révéla d’ailleurs bien meilleurs que ce qu’ils avaient prédits; bien évidemment on était loin du raffinement et de l’explosion de saveurs qui caractérisait la cuisine de Blankânimad, on était même loin des émotions qu’auraient provoqués chez Learamn des recettes rustiques du Rohan dont le goût familier lui rappelait avec réconfort sa patrie. Mais c’était mangeable et pas désagréable de surcroît. Il s’était attendu à du pain rassis et du potage fade mais on leur avait servi un assortiment de plats locaux dont certains étaient plutôt goûteux. Il passa cependant son tour quand Khalmeh lui tendit la viande séchée, elle avait un aspect douteux et l’Occidental préférait ne prendre aucun risque.
Quelques minutes plus tard, Ava se joignit à eux. Pour une fois, elle était seule, sans le colosse qui faisait office de garde du corps. Thrakan était parti, sur ses ordres, enquêter sur la cargaison qu’ils devaient récupérer pour la Reine; une cargaison dont elle refusait toujours de révéler la nature. Il était quelque peu frustrant pour Learamn de s’engager ainsi à l’aveuglette dans une mission à priori périlleuse sans en connaître les tenants et les aboutissants. Pendants des années il avait servi comme officier supérieur du Rohan, où il avait la charge de la planification et de l’exécution de ce genre de mission. A présent il se trouvait à nouveau en bas de l’échelle hiérarchique, son statut d’étranger ne plaidant pas pour sa cause. Il acceptait cette nouvelle situation mais c’était tout de même assez déstabilisant pour le cavalier qui avait acquis de nombreux repères durant sa carrières, des repères qu’il devait dorénavant abandonner. Malgré sa frustration apparente, il n’était pourtant pas plus inquiet et méfiant que cela. Pour une raison qu’il lui échappait il avait une certaine confiance en Ava et en son jugement; il avait envie de lui faire confiance. Pourtant, la jeune femme lui avait déjà montré qu’elle était capable de recourir à des stratagèmes le mettant en danger pour arriver à ses fins; il ne l’avait pas oublié mais pour le moment elle préservait sa confiance.
Les trois sbires de Lyra discutèrent à demi-voix les détails de la mission ainsi que leur plan d’action. A priori l’endroit était assez sûr mais ils avaient bien pris soin de choisir une place éloignée de la scène et de ne pas parler trop fort; ils n’étaient jamais à l’abri de quelques oreilles indiscrètes. En dépit de tout le mal qu’ils se donnaient pour soigner les apparences, Ava et Khalmeh semblaient être en désaccord sur absolument tous les points. A chaque fois que l’une faisait une proposition, l’autre émettait une objection; et vice-versa. A tel point que le Rohirrim se demandait si leurs débats étaient réellement animés par des divergences d’opinion, ou par la rivalité d’egos qui s’était mise en place entre les deux. Et en l’absence de Thrakan, il revenait à Learamn de trancher sur certaines questions sur lesquelles ses deux alliés ne parvenaient pas à se mettre d’accord. Le souci c’est qu’il lui manquait de nombreuses informations au sujet de leur mission pour pouvoir choisir la solution idéale.
L’ancien officier prit une gorgée de thé qu’il ne s’attendait pas à être si chaud. Il se brûla la langue et lâcha un juron, arrachant un sourire à Khalmeh et Ava. Il tenta vainement de soulager sa gorge avec un peu d’eau mais le mal était fait. Une grimace de douleur fut son seul remède. Il n’avait pas même remarqué que derrière son dos les musiciens avaient cessé de jouer et que l’aubergiste annonçait une nouvelle attraction. Ava lui expliqua qu’il s’agissait d’une devineresse réputée dans la ville; celle que l’esclave avait mentionné lors de leur entrée dans la ville. Learamn haussa simplement les épaules. La divination ne l’intéressait guère, il ne croyait d’ailleurs même pas en son existence. Comment pouvait-on prédire un futur aléatoire qui n’était pas écrit? C’est donc désintéressé du spectacle qui se jouait derrière lui, qu’il revint au sujet principal de la conversation. “Je dirai que tout dépend de la taille de la cargaison que nous devons transporter. Pourtant je me range à l’avis d’Ava sur ce point. Il est, à mon sens, bien plus sûr d’opérer à l’extérieur des murs de la cité. Y rester pourrait nous exposer et c’est un véritable piège sans issue qui pourrait se refermer sur nous. En rase campagne, l’avantage est qu’il nous sera toujours possible de prendre la fuite avec la marchandise en cas de complications; nous pourrions être poursuivis mais au moins on ne sera pas emprisonnés comme des rats entre les murailles de la ville.”
Khalmeh affichait un air dubitatif et il était visiblement déçu que son ami ne lui donne pas raison. Mais il avait dépeint à Learamn une image si inhospitalière d’Albyor que pour rien au monde ce dernier ne prendrait le risque de s’y retrouver bloqué.
Ils évoquèrent alors le cas de l’Uruk. La bête devait à tout prix être utilisée intelligemment durant cette mission pour justifier sa qualité d’atout plutôt que de fardeau. Mais quand Ava proposa de lui donner une arme, le Rohirrim manqua de s’étouffer avec son thé qui lui faisait décidément bien du malheur. Elle arguait qu’il était loin d’être aussi sauvage qu’ils le pensaient, qu’il pouvait représenter un avantage certain en cas d’affrontement ou encore qu’il détournerait l’attention. “Je comprends votre point de vue Ava; mais nous ne pouvons prendre un tel risque. Qui sait ce que cette bête ressent à notre égard? Peut-être attend-elle la première opportunité pour se défaire de ses geôliers… C’est ce que je ferais à sa place. On peut rendre un caniche docile; mais un Uruk, permettez moi d’en douter. Il attirera suffisamment l’attention par sa seule présence.”
Cette fois il s’était rangé du côté de l’opinion de l’esclavagiste, équilibrant ainsi les débats. Là n’était pas son intention première, il pensait réellement ce qu’il disait, mais si au passage il pouvait préserver ses bonnes relations avec ses deux membres du coup alors cette coïncidence était bienvenue.
Absorbé par leur discussion, Learamn ne remarque même pas que l’attention de toute la clientèle de la Tulipe Noire était centrée sur le curieux trio. Sans crier gare, la devineresse, toute vêtue de blanc, s’était positionné face à leur table, les dominant de son impressionnante aura. Cette arrivée imprévue fit sursauter le Rohirrim qui se demandait comment elle avait pas s’approcher si près sans qu’aucun d’eux ne la remarque. Passé la surprise, il dévisagea attentivement les traits de la soi-disant divinatrice. Son visage paraissait à la fois jeune et profondément marqué par le temps, de fines cicatrices couraient le long de son front et de ses pommettes, ou alors étaient-ce des tatouages? Il n’aurait su le dire. Son regard, quant à lui, était si profond qu’il semblait venir d’une autre époque. Entre jouvence et éternité, le paradoxe qu’elle représentait était proprement fascinant.
D’un geste lent et gracieux, elle leva les yeux et dirigea son regard sur chacun des membres du groupe. Ils passèrent l’un après l’autre cet examen minutieux. Elle observa d’abord Khalmeh qui resta cloué sur sa chaise, sans faire le moindre commentaire folâtres comme il en avait l’habitude. Même l’air espiègle qu’il affichait d’ordinaire avait totalement disparu de son expression. Puis vint le tour d’Ava qui se raidit instantanément sur sa chaise, les ongles profondément enfoncés dans le bois de la table dans une tentative désespérée de contrôler ses émotions mais déjà ses pupilles s'humidifiaient.
Sans prononcer le moindre mot, et en quelque secondes, Kryv Syrsa-Shan avait mystifié les deux compagnons de route du jeune homme. Elle s’intéressa alors à lui. Elle affichait un air grave et Learamn faisait de son mieux pour soutenir son regard; mais la devineresse fit cette fois usage des mots pour le désarçonner.
Elle l’appela par son nom.
Par quel sortilège connaissait-elle son nom?
Une angoisse profonde pétrifia alors le Rohirrim qui se figea contre son dossier. Et si ...Et si ce n’était pas une charlatane? Et si la sorcellerie était bien de mise?
Effrayé par cette inquiétante inconnue, Learamn détourna son regard vers le sol, pour éviter d’avoir à croiser le sien.
Il feinta un rire moqueur pour se donner de la contenance mais il trahissait en réalité toute sa nervosité. “Pah! Sottises! On ne peut prédire l’avenir. Nul ne peut lire ce qui n’a pas été écrit.”
La devineresse ne répondit pas immédiatement. Elle s’approcha doucement du jeune homme avant de poser délicatement ses doigts sous son menton pour lui relever la tête sans user de la force.
Alors elle plongea son regard dans le sien.
Et Learamn bascula dans un autre monde.
The Young Cop
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A peine étaient-ils arrivés à Albyor que la ville avait déjà refermé son emprise sur eux. Ils étaient soumis au rythme infernal de cette fourmilière et, mus par leur désir de ne pas s'éterniser à l'ombre des montagnes, s'empressaient de délibérer sur la meilleure solution à apporter aux problèmes auxquels ils devaient faire face.
La situation était, fort heureusement, sous contrôle.
Les grandes lignes de leur plan d'action avaient été décidées assez rapidement, Ava insistant pour agir le plus vite possible, afin de ne pas laisser leur fameuse cargaison pénétrer dans la Cité Noire, d'où elle estimait qu'il serait difficile de la faire sortir. Conformément à l'avis de Learamn, il fut donc entendu qu'ils tenteraient de récupérer la marchandise dont ils ne savaient encore rien à l'extérieur de la ville, afin de limiter les risques d'être dérangés par les autorités locales. Hélas, cette simple considération était en soi inquiétante : imaginer que les principales forces d'Albyor pouvaient se retourner contre eux était préoccupant, et témoignait de la faiblesse du pouvoir de Lyra dans cette ville. Quand on connaissait l'aura de la reine orientale, et la puissance de son bras armé, il fallait craindre ceux qui osaient la défier et échapper à la mainmise qu'elle avait de droit sur ces terres. Khalmeh était, des trois, le plus mesuré. Il considérait qu'agir en-dehors de la ville était un risque inutile, mais il ne voulait pas s'opposer à l'opinion générale, et se rangea de mauvaise grâce à l'avis des deux autres. Après tout, si quelque chose venait à mal tourner, il pourrait toujours accuser Ava d'en être responsable, ce qui lui convenait très bien.
La question de l'Uruk fut également décidée, et l'avis de Learamn pesa lourd dans la balance cette fois encore. Les bons sentiments de la « Femme de la reine » ne pouvaient pas tenir longtemps face à la compétence militaire du jeune homme, qui était en l'absence de Thrakan leur meilleur expert sur ce genre de choses. Il assumait son rôle avec une autorité qui trahissait les responsabilités qu'il avait eu à endosser auparavant, ce qui n'échappa à aucun de ses deux compagnons. Même s'il avait été privé de sa cape et de son armure, Learamn demeurait au fond un meneur d'hommes, et cela ne s'éteindrait pas si facilement. C'était un trait de caractère qui était ancré profondément dans son âme, forgé dans les flammes de la guerre civile qui avait déchiré le Rohan. Ava, était une guérisseuse de grand talent, et elle avait pour elle l'autorité officielle de la reine. Khalmeh était un érudit pétri de savoirs, qui en savait aussi long sur l'histoire, la géographie et la politique que sur les combines et les manigances cachées. Aucun des deux, pourtant, ne pouvait se targuer d'être un combattant aguerri, d'avoir déjà affronté la mort la plus effrayante droit dans les yeux, seul et loin de chez lui, et d'en être revenu. Learamn avait traversé les flammes de la guerre et les horreurs les plus innommables, ce qui lui donnait le calme et la maîtrise nécessaires pour affronter n'importe quelle situation.
Cela constituait un atout précieux dans leur mission.
Pourtant, si Learamn était un meneur d'hommes, il était bien loin de maîtriser aussi aisément ses relations avec les femmes. Celles de l'Est, en particulier, le désarçonnaient régulièrement, et chaque fois qu'il s'habituait à leur caractère, il en découvrait une autre qui lui rappelait à quel point elles étaient différente de celles de l'Ouest. Pour ainsi dire, Kryv était différente de toutes les femmes, même de celles qui vivaient sur ces terres orientales méconnues. Était-ce lié à son don particulier, ou à son attitude à la fois pleine de confiance et curieusement distante ? Elle avait toujours rendu les gens autour d'elle nerveux, et le jeune Rohirrim n'échappa guère à la règle.
Sa réaction lui tira un bref sourire.
Elle s'était glissée à la table de ces trois conspirateurs, les seuls de toute l'assistance qui semblaient se soucier de toute autre chose que du spectacle qu'elle offrait aux clients de la Tulipe Noire. Ce n'était pas un affront pour lequel elle leur tenait rigueur, mais il était évident que, du fait de sa renommée et de son talent, ce genre de comportement était pour le moins inhabituel. Il n'en avait pas fallu davantage pour piquer sa curiosité, et pour venir faire une petite démonstration à ces élèves dissipés.
La réponse de Learamn était pour le moins attendue : le doute était normal, la moquerie encore davantage. Elle avait déjà vu bon nombre d'hommes et de femmes afficher leur méfiance et leur dédain vis-à-vis de ses talents de devineresse. Les gens comme elle étaient le plus souvent perçus comme des excentriques, qui vivaient de bonnes paroles et de prédictions génériques. Il fallait dire que beaucoup de devins se comportaient ainsi, et prétendaient avoir un pouvoir alors qu'ils se contentaient de bien peu de choses.
Kryv comprenait.
Pourtant, elle ne considérait pas son acte comme une imposture. Elle était, comme un certain nombre de personnes de par le monde, touchées par un don unique et précieux qui lui permettait d'échapper aux limitations du commun des mortels. Chaque culture expliquait cela à sa manière, et elle ne se targuait pas d'avoir compris ou de détenir une quelconque vérité. Elle savait seulement que le monde qu'elle voyait n'était pas celui que tout le monde percevait. A mesure que les années s'étaient écoulées, elle avait appris à peaufiner ce talent, au point de voir ce que les autres appelaient « l'avenir », et ce qu'elle même considérait comme une révélation évidente. Learamn n'était qu'un sceptique de plus…
Ou pas.
Elle l'observa longuement, de ce regard perçant qu'elle réservait à ses meilleurs clients. Elle voyait sa résolution, teintée d'une aisance de circonstance qui lui venait de longues années de certitudes qu'il confortait au quotidien en se persuadant que magie, prédictions et autres boniments n'étaient que des tours soigneusement préparés pour épater les badauds et récolter quelques piécettes. Cependant, elle ne pouvait pas faire semblant de ne pas voir son malaise, le léger tremblement au coin de ses lèvres. Elle décelait les modulations inhabituelles de sa voix, qui révélaient la profondeur de son… angoisse ? C'était souvent l'effet que produisait Kryv sur les gens, quand elle leur parlait de leur avenir. On pouvait la prendre pour une folle, on pouvait la prendre pour une menteuse, mais quelque part, l'aiguillon de la vérité s'insinuait derrière toutes les défenses, et même l'armure la plus solide avait une faille. Une faille qui se résumait en une phrase simple.
« Et si elle disait vrai ? »
Kryv ne s'épuisait jamais à convaincre quiconque. Elle se contentait de dire ce qu'elle ressentait, et de laisser les faits parler pour elle. Sa réputation la précédait pour une raison, et elle s'amusait toujours de voir ceux qui résistaient à l'inévitable, sans pour autant chercher à l'éviter. Curieuse posture de vie, que de nager toutes ces années à contre-courant, tout en niant l'existence du fleuve. La devineresse savait s'y prendre avec les incroyants.
Il ne lui fallut qu'un sourire.
Un sourire, et une incantation prononcée à voix très basse, très grave, dans un rhûnien ancien et mélodieux. Elle glissa l'index sous le menton de Learamn, comme le ferait une mère avec son enfant, et l'amena à plonger avec elle dans les flots tempétueux du destin et du monde…
~ ~ ~ ~
- Learamn ? Learamn ? Vous allez bien ?
Le jeune homme ouvrit les yeux pour découvrir le visage de Khalmeh penché sur lui. Il avait les sourcils froncés, et la pénombre ambiante ne parvenait pas à dissimuler la lueur préoccupée dans son regard. Ava se tenait à ses côtés, un peu en retrait, l'inquiétude peinte sur ses traits. Elle paraissait gigantesque, mais c'était parce que le jeune homme était allongé, dans son lit, une serviette imbibée d'eau sur le front. Les bruits étouffés de la salle commune leur parvenaient depuis le plancher. Ils entendaient des rires, des chants, des danses et des vivats. De toute évidence, la soirée touchait à sa fin. Les clients semblaient ravis.
- Bon sang, vous m'avez fait peur ! Soupira la « femme de la reine ». Vous voulez boire quelque chose ?
Sans même attendre sa réponse, elle lui servit un verre d'eau glacée. Sa main tremblait tellement qu'elle dut s'y reprendre à deux fois pour simplement remplir le petit récipient en terre cuite. Elle demanda à Khalmeh de le tendre à Learamn, incapable de maîtriser son malaise, qui semblait la transpercer comme une lance. Une telle réaction était particulièrement curieuse chez une femme aussi calme et expérimentée qu'Ava. Elle n'avait jamais cillé devant les blessures, n'avait pas semblé incommodée par l'odeur de l'Uruk, et voilà qu'elle frémissait comme la dernière feuille d'un chêne, battue par le vent automnal. L'esclavagiste, un peu plus pragmatique, paraissait se contrôler, mais il était blême lui aussi. Son regard n'était pas rassuré, et il examinait son compagnon de voyage avec le même air qu'il avait en général vis-à-vis de l'Uruk. Il le dévisageait pour essayer de déceler des signes de blessures, physiques ou mentales.
- Vous vous êtes évanoui, mon ami, lança Khalmeh sans détour, en répondant à la question silencieuse du Rohirrim. Je peux vous dire que vous avez animé la soirée, il a fallu qu'on joue des coudes pour vous ramener dans votre chambre. Tout le monde voulait voir ce qui vous arrivait. Et cette devineresse en a eu pour son argent, on s'est bousculé pour obtenir une prédiction après que vous ayez… réagi… ainsi.
Ava secoua la tête :
- Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé. Vous vous souvenez de quelque chose ? Vous êtes resté inconscient une bonne heure, comme si vous aviez été empoisonné…
La jeune femme avait longuement veillé sur Learamn, et avait employé tous ses talents de guérisseuse pour essayer de déterminer l'origine de son mal. Elle avait conclu qu'il était simplement plongé dans un profond sommeil, agité de rêves qui faisaient bouger ses yeux derrière ses paupières closes. De toute évidence il s'agissait de rêves très intenses, car il s'était débattu légèrement quand on l'avait installé dans son lit. Rien de grave pour autant.
Finalement, Ava s'était avouée vaincue, et avait décidé d'attendre un peu pour voir quels seraient les effets secondaires de son évanouissement. A l'évidence, Learamn semblait aller bien, il était capable de parler, de penser logiquement et de bouger. Le mystère s'épaississait, mais au moins le cavalier était-il en bonne santé. C'était déjà ça. Khalmeh et elle essayèrent de tirer quelques informations à Learamn, pour comprendre d'où lui était venue sa réaction à la fois impressionnante et inquiétante, mais aussi – sans s'en cacher véritablement – pour savoir en quoi avaient consisté les visions qu'il avait pu avoir.
De toute évidence, ils s'étaient interrogés pendant qu'il était inconscient, et étaient impatients de connaître la réponse.
Leur conversation fut interrompue par quelques coups discrets frappés à leur porte.
C'était Kryv.
Ava se figea en la voyant entrer, tandis que Khalmeh se levait, prêt à se défendre si nécessaire. Tous les deux étaient méfiants, mais la femme eut un geste d'apaisement à leur endroit.
- Je viens seulement prendre des nouvelles, rassurez-vous. Je ne lui veux aucun mal.
Elle avait pris la peine de parler en Westron, afin de ne pas exclure Learamn de la conversation. Ava nota ce détail dans un coin de sa tête, et répondit dans la même langue :
- Je sais bien, mais il est encore fragile. Je ne vous laisserai pas faire un de vos drôles de tours sur lui ce soir.
- Je veux juste discuter avec lui. En privé, s'il-vous-plaît. Je vous donne ma parole qu'il ira très bien.
Kryv savait se montrer convaincante, et les deux compagnons de route de Learamn tombèrent bientôt à cours d'arguments, tant et si bien qu'ils furent contraints de la laisser seule avec l'ancien capitaine. C'était de mauvaise grâce, mais ils firent comprendre à l'ancien officier qu'ils resteraient tout proches, et qu'au moindre problème ils interviendraient. Kryv referma la porte derrière eux doucement, et lorsque ce fut fait, elle lâcha un soupir de soulagement.
- Je suis désolé pour tout ça, Learamn…
Elle lui parlait avec une familiarité déconcertante, comme si elle le connaissait depuis toujours. Le fait d'employer librement son nom ainsi renforçait ce sentiment de proximité. En trois pas, elle fut à ses côtés, et elle s'assit délicatement sur le lit, posant une main sur son front pour surveiller sa température.
- Tout le monde ne réagit pas pareil à la mandragore. Je dois dire que je ne m'attendais pas à ce que vous succombiez si… intensément.
La mandragore… C'était une plante particulièrement puissante, que les gens du Rhûn utilisaient avec précaution tant elle pouvait être dangereuse. Elle détenait des propriétés redoutables, et avait notamment la faculté de provoquer l'endormissement d'un individu. Kryv jeta un regard vers la porte, puis revint à Learamn :
- Il fallait que je trouve un moyen pour que nous puissions parler seul à seul. Il n'était pas prudent que vos compagnons entendent ce que j'ai à vous dire, et je ne pouvais pas me libérer de mes maîtres sans une bonne excuse.
C'était un détail pour la devineresse, qu'elle avait laissé échapper sans y penser, mais elle était effectivement une esclave. Esclave de luxe, certes, dont la renommée assurait à ses propriétaires des revenus confortables, mais une esclave néanmoins. La liberté ne lui serait jamais rendue, assurément, et plus son don se manifestait, plus elle devait travailler pour enrichir son maître. La petite démonstration de ce soir, dont Learamn avait été à la fois l'objet et la victime, avait rapporté gros, et faisait partie des tours qu'elle réservait pour les grandes occasions.
Le destin ne se manifestait pas toujours de manière spectaculaire, et il fallait parfois forcer un peu les choses. Pour plaire à la foule.
- Je sais que vous ne croirez pas un mot de ce que je vais vous dire, mais je dois vous le dire néanmoins. J'ai vu votre arrivée, Learamn, il y a de ça bien longtemps. Votre avenir tout entier n'est pas écrit, mais certains passages le sont. Et si je suis ici, c'est que votre avenir me concerne, moi.
Elle le fixa sans ciller, comme pour lui prouver qu'elle croyait dur comme l'acier dans ce qu'elle venait de lui révéler :
- Nous sommes liés, vous et moi. Liés d'une manière unique et indescriptible. Vous êtes celui qui va me libérer, Learamn. J'ignore comment vous vous y prendrez, mais je le sais.
Elle parlait comme si elle évoquait un événement certain, et le ton de sa voix ne laissait pas de place au doute. C'était de toute évidence une certitude pour elle, mais pour des raisons curieuses elle avait estimé qu'il était de son devoir d'en informer l'ancien capitaine. Elle ne jugea pas utile de s'en expliquer, et ajouta :
- Avant que vous quittiez Albyor, beaucoup de choses auront changé. Vous aurez un rôle à jouer dans tout cela, oui. Votre histoire se répète, ici aussi, comme un miroir. Mais cette fois, vous ne la fuirez pas. Mais dites-moi, si vous le voulez bien. Qu'avez-vous vu dans vos rêves ?
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1078 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Learamn se redressa sur sa couche en poussant un grognement. Il posa sa main, moite, sur son front,. Le jeune homme était pris d’un violent mal de tête, comme si tous les rêves et souvenirs qui s’étaient entrechoqués dans son esprit pendant son état d’inconscience avait fini par épuiser son corps. Ava et Khalmeh le renseignèrent en quelques phrases sur ce qu’il s’était passé après son évanouissement. L’érudit semblait sincèrement rassuré de voir son ami en plutôt bon état malgré la frayeur qu’il leur avait donné; la “dame de la Reine” bien que visiblement soulagé elle aussi, paraissait anormalement fébrile. Elle se tenait un petit peu en retrait mais le Rohirrim put voir les tremblements de sa main délicate lorsqu’elle lui avait remis le pichet d’eau. La jeune femme n’avait pourtant aucunement l’habitude de dévoiler ainsi ses émotions en public, en particulier devant Khalmeh sur qui elle avait tout l’autorité de la couronne. A plusieurs reprises l’ancien capitaine avait deviné la fragilité de la guérisseuse mais celle-ci était toujours parvenue à la dissimuler avec talent. Pas cette fois ci. Leurs regards se croisèrent furtivement et il put lire dans ses yeux ambrés ce chagrin et cette peur qu’elle avait laissé transparaître à l’évocation de son destin, de sa “dernière chance”, de l’homme qu’elle espérait un jour sauver. Une peur, celle de perdre la dernière flamme, que Learamn avait connu pendant bien longtemps dans les couloirs du château d’Or, à travers les plaines enneigées du Rohan ou sur les quais ensanglantées de Pelargir; mais une peur qui l’avait finalement quitté là-bas dans les Terres Sauvages du Rhovanion, près de la stèle d’Iran.
Il but quelques gorgées avant que l’on ne frappe doucement à la porte; la devineresse se tenait dans l’embrasure de la porte. Immédiatement, Ava et Khalmeh bondirent sur leurs pieds pour protester et l’éloigner au plus possible de leur compagnon mais l’étrangère semblait décidée et sut se montrer pour le moins convaincante. Elle désirait s’entretenir en privé avec l’ancien officier qui, malgré les circonstances de leur première rencontre, était bien trop curieux sur ce qu’elle avait à lui dire pour simplement à la congédier. Il indiqua silencieusement à ses alliés de la laisser entrer pour s’entretenir avec lui, ceux-ci obéirent sans plus protester. Ils attendraient très certainement dans la pièce voisine, voire dans le couloir, prêt bondir s’ils entendaient le moindre indice de lutte ou de dispute.
Face à sa mystérieuse invitée, Learamn tint à se lever péniblement. Il s’était déjà retrouvé à terre face à elle, en position de soumission totale; il lui était impossible que cette situation de faiblesse se renouvelle ici. Il avait peut être quitté le Rohan mais ne s’était pas pour autant débarrassé du sens de l’honneur, voire de l’orgueil, qui caractérisait ses gens. Les deux interlocuteurs se dévisagèrent silencieusement pendant de longues secondes, mais cette fois le jeune homme ne faillit pas et soutint l’épreuve du regard profond et ancestral de la devineresse. Toutefois, encore endolori par sa brutale perte de conscient, il n’eut d’autre choix que de se rasseoir prestement sur sa couche.
Elle commença par s’excuser mais lui ne réagit pas. Il appréciait l’intention mais ne désirait aucunement s’étendre plus longuement sur le sujet et attendait simplement qu’elle en vienne au fait. Qui était-elle vraiment? Et que diable lui voulait-elle? La Rhûnienne s’approcha de lui et s’assit auprès de lui avant de vérifier rapidement son état qui semblait la rassurer.
La mention de ses “maîtres” fit hausser un sourcil au Rohirrim qui n’imaginait pas vraiment cette femme en position d’esclave. Tout dans ce qu’elle dégageait respirait le mystère, le charisme et l’autorité presque surnaturelle; il était déroutant de se dire que des hommes ou des femmes avait la mainmise sur un être aussi exceptionnelle. Décidément ce pays était bien différent du sien et chaque jour qui s’écoulait ne faisait que confirmer cette impression.
Mais ce fut la suite des paroles de l’étrangère qui laissa Learamn sans voix.
Liés… Libérateur… Histoire qui se répète… Avenir écrit…
Tout cela ne rimait à rien. Comme elle l’avait prédit, l’esprit de Learamn chercha d’abord à balayer ces allégations d’un revers de main; du simple charabia venant de cette diseuse de bonne aventure. Un bobard de plus imaginé par un esprit retors se donnant des airs magique.
Et pourtant.
Pourtant, il y avait quelque chose au plus profond de son âme, une sorte d’intuition, qui le poussait à la croire. Elle connaissait son nom, ses origines, alors même qu’il ne s’était jamais vu auparavant et qu’il était en mission secrète. Ses révélations étaient vagues et auraient peut-être être prononcées pour un autre mais elle résonnaient étrangement bien avec le parcours de l’ancien officier. Et surtout , voilà qu’elle lui promettait qu’il aurait un rôle important à jouer dans un futur proche. Ce fut à ce moment qu’elle réussit à capter son attention toute entière. Lui, le cavalier exilé errant sans but depuis des mois. Lui, jadis jeune gloire acclamée de son royaume dont il avait été aujourd’hui chassé. Lui, autrefois défenseur des valeurs du Riddermark qui luttaient désormais pour identifier les siennes. Pendant de longs mois, il avait désespérément cherché un sens à son voyage, une place dans ce monde qui lui tournait le dos après lui avoir tendu les bras. D’étoile filante du Rohan, il était passé au statut de vagabond. Depuis, il avait traversé Arda dans l’espoir de retrouver un jour cette flamme. Une flamme dont la première étincelle jaillit à ce moment là, dans cette sombre auberge, au milieu d’une cité obscure. Cette lueur d’espoir prenait la forme d’une vague promesse à peine formulée. Mais il avait nullement besoin de plus pour s’y accrocher.
Un rôle.
Une nouvelle place dans ce monde.
Compter à nouveau parmi les premiers rôles de cette gigantesque scène qu’était le monde, c’était tout ce qu’il demandait depuis si longtemps. A la rigueur peu lui importait la manière, ni même le comment des choses; la simple perspective de lendemains plus prestigieux lui suffisait grandement.
Quand elle lui demanda ce qu’il avait vu dans ses rêves, Learamn ne sut quoi répondre. Tout était encore si confus dans son esprit, les souvenirs et les émotions s’entremêlaient rapidement sans qu’il ne puisse en saisir un en particulier pour le retranscrire. Alors, il ferma les yeux pour s’y replonger; comme ses cauchemars qui se poursuivent inlassablement une fois les paupières closes. Krys put ressentir que la respiration du Rohirrim s'accéléra rapidement tandis que son front se couvrait de sueur. Quand il rouvrit enfin les yeux, ses souvenirs étaient toujours aussi confus mais il put cette fois mettre des mots sur ce qu’il avait vu au plus profond de son être. “Je… je ne suis pas certain de tout ce que cela signifie. J’ai vu des choses...des images défilant rapidement , se succédant sans suite logique. Du chaos…tant de chaos engendrant de la souffrance. Du feu également, d’innombrables flammes consumant mes visions. La maison d’Or, les demeures de la Marche, les plaines, la Cité Blanche tout en proie aux flammes. Il y avait une épée de feu sur laquelle suintant des gouttes de sang écarlate…”
Il s’arrêta un moment, visiblement troublé par l’évocation de ce souvenir. Parlant dorénavant plus pour lui-même que la devineresse. “Le feu...le sang… Encore une fois. Mais cette fois il y avait quelque chose de différent. Les flammes ne me brûlaient mais réchauffait mon corps avec réconfort. Le sang n’était plus le mien mais celui qui coulait au bout de la lame. Comme si…. comme si j’étais de l’autre côté du brasier. Le feu… le sang… Tant de souffrance. La Mort encore. Et puis cette face animale, celle que votre peuple attribue à ces bêtes de guerre: les varkas.”
Pris par une soudaine anxiété, Learamn se releva brutalement et mit à arpenter nerveusement la pièce, continuant à parler sans que ces paroles ne fassent vraiment sens. Manifestement, les puissants effets de la mandragore ne s’étaient pas encore complètement dissipés. “Mon peuple, le Rohan... en danger. Abandonner.. Exilé... les aider... Non… trop tard...Mortensen...Iran!”
Sans crier gare et de manière impulsive, il asséna deux violents coups de poings dans le mur qui lui faisait face. Geste qu’il regretta rapidement au moment où ses phalanges commencèrent à le faire souffrir. Lorsqu’il se retourna pour regarder à nouveau Kryv, il semblait avoir un petit peu retrouvé ses esprits malgré son souffle court. Visiblement cet accès de violence l’avait aidé à remettre de l’ordre dans ses idées mais il ne semblait pas pour autant parfaitement apaisé. Une colère péniblement contenue transparaissait dans sa voix chevrotante. “Vous libérer... hein? En... miroir? Fuir mon histoire vous dites? Que savez vous donc de mon histoire ? Mais surtout, dîtes moi devineresse, quel sera donc votre rôle à vous? ”
The Young Cop
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Parmi les différentes branches de la diviniation auxquelles Kryv était initiée, l’étude et la compréhension des rêves n’étaient guère sa spécialité. Du moins, pas ceux des Hommes de l’Ouest. Elle était capable de déchiffrer les symboles et les représentations de son peuple, mais ne comprenait pas encore assez bien l’esprit des gens d’Outre-Anduin pour être capable de déceler les mystères de leurs visions oniriques. Elle parvenait, toutefois, à se faire une idée globale de certaines visions particulièrement explicites, et s’était déjà essayée à analyser les rêves de certains esclaves capturés à l’Ouest. Des hommes et des femmes qui lui avaient paru étranges, pour ne pas dire inhumains. Des créatures tellement brisées par la violence d’Albyor que leurs songes n’évoquaient que mort, souffrance et désespoir.
Le jeune capitaine du Rohan avait sans doute des imageries moins violentes.
C’était du moins ce qu’elle pensait naïvement, avant de lui poser la question et de l’inviter à lui raconter ses visions. Learamn était habité par une profonde blessure, de celles qui ne guérissaient jamais vraiment, et qui le hanteraient probablement jusqu’à la fin de ses jours. De telles rêves de destruction, de flammes et de carnages ne pouvaient révéler qu’un esprit troublé par la guerre et le malheur.
Ce qui était peut-être le plus troublant, c’était la précision de ses souvenirs. Il semblait voir danser devant ses yeux les flammèches qui avaient éclairé son état d’inconscience, et curieusement il était plus effrayé par le fait d’être insensible à la fournaise que par l’existence même de celle-ci. Depuis combien de temps les flammes hantaient-elles ses nuits ? Depuis trop longtemps, à tel point qu’il s’était habitué à leur présence, et s’étonnait de ne plus les percevoir comme une gêne. Elle comprit pleinement la nature de son trouble lorsqu’il laissé échapper, en un souffle à demi-effrayé, la cause de son malaise.
Varka.
Le mot jeta un frisson dans le dos de Kryv, qui ferma les yeux un instant, comme pour digérer une mauvaise nouvelle. En réalité, elle n’était pas triste, ni véritablement surprise d’ailleurs. Seulement, elle savait quel poids cela pouvait représenter sur les épaules d’un homme : quel fardeau pouvait étreindre un cœur noble frappé d’une telle malédiction. Elle avait lu des histoires à leur sujet, entendu des légendes les concernant, et savait qu’ils étaient rongés de l’intérieur par le même feu qui semblait épargner leur chair. Invulnérables à l’acier, ils se consumaient dans leur for intérieur, au point d’oublier leur humanité, et de sombre dans une folie guerrière qui les conduisait aux portes de la mort et du royaume de Melkor. Ils laissaient derrière eux un sillage de sang, de larmes et de solitude, alors que le chemin qu’ils traçaient pour eux-mêmes dans le monde était écrit en lettres carmin qui jaillissaient avec vigueur sur les pages de l’histoire du monde.
La devineresse revint à elle brusquement, lorsque Learamn abattit furieusement son poing sur le mur. A deux reprises, ses phalanges s’écrasèrent contre l’enduit qui recouvrait les lourdes briques, laissant la seconde fois une empreinte indélicate de son passage. Sans paraître éprouver la moindre crainte, Kryv se leva à son tour et s’approcha du capitaine, en levant des mains apaisantes dans sa direction :
- Tout va bien, Learamn. Tout va bien.
Elle ne semblait pas entièrement rassurée, mais résolue à ne pas l’abandonner à la brève folie qui s’était emparée de lui.
- Comme je vous l’ai dit, votre avenir n’est pas entièrement écrit. Rien ne l’est jamais vraiment. Varka… Vous l’avez vu dans vos rêves, vous avez vu la figure de la férocité, à la fois crainte et respectée. Ce n’était pas vous, cependant. Tel que je vous vois, Learamn, vous n’avez pas encore atteint le croisement : votre chemin est encore indécis, et vous n’êtes pas condamné à sombrer dans les bras de la bête.
Elle n’essayait pas seulement de rassurer l’ancien officier, même si cela pouvait sembler être une tentative désespérée de le ramener au calme. Au contraire, elle ne faisait que parler avec conviction, certaine qu’il n’était pas encore arrivé au point de non-retour. Elle voyait en lui le conflit intérieur, la déchirure profonde dans son âme, qui l’avait mené aux limites de son esprit. Cependant, elle savait qu’il n’était pas encore habité par la toute-puissance de l’animal. Il lui restait encore de l’espoir, s’il faisait les bons choix.
- Tant que vous préserverez cette part d’humanité en vous, tant que vous vous battrez pour ne pas la laisser disparaître, vous ne deviendrez pas totalement un Varka. Enfermez votre conscience et votre âme derrière une lourde armure, cuirassez vos sentiments, et sachez distinguer la guerre de vous-même. Vous devrez encore tirer l’épée avant la fin, c’est certain, mais tant que votre cause sera juste, alors vous ne serez pas perdu.
Kryv ignorait si ses paroles étaient d’un quelconque réconfort pour le jeune homme. Elle espérait simplement qu’elles lui permettraient de réfléchir, et de prendre du recul par rapport à ses craintes. La perspective de sombrer dans la folie était évidemment terrifiante, mais c’était précisément en cédant à une telle peur qu’il accélérerait le processus. Faire face, tenir bon, et utiliser la violence tout en ne la laissant pas le contrôler… C’était peut-être là le secret. Un chemin de crête bien étroit, peu praticable, où le risque de chuter était élevé. Bien des braves succombaient à cette traversée. Cependant, la devineresse était convaincue que Learamn pouvait s’en sortir.
Elle l’avait vu.
Elle l’avait vu comme elle avait vu beaucoup de choses au cours de sa vie, mais elle n’avait pas senti venir la demande de Learamn. Une question tout à fait légitime, qu’elle aurait sans doute pu anticiper, mais dont elle n’avait pas l’habitude. Il était amusant de constater que l’on venait consulter un devin pour en savoir plus sur soi, mais qu’il était rare qu’on s’intéressât au rôle dudit devin dans le grand ordre du monde. Elle sourit tristement, et répondit :
- Mon rôle ? Je l’ignore précisément. Je n’en ai aperçu que des bribes, souvent incompréhensibles, ou qui n’ont de sens que bien longtemps après. Il m’a toujours été plus facile de lire l’avenir des autres, bien que je ne sache trop vous expliquer pourquoi. Ce n’est pas hélas quelque chose sur lequel j’aurais du contrôle.
Elle soupira, et se mit à fixer ses mains, comme pour échapper au regard du cavalier.
- Je comprends vos doutes, vos réticences. Je sais que ce que je peux vous dire semble n’avoir aucun sens. Je ne vous demande pas de me croire cependant. L’avenir répondra à toutes les questions que vous pourriez vous poser. Je m’efforce seulement de le rendre moins obscur à ceux qui en éprouvent le besoin. Quant à votre histoire… si vous faites référence à votre avenir, comme je vous l’ai dit de nombreux chemins s’ouvrent devant vous. Celui sur lequel vous êtes à présent vous mènera à de grandes réussites, pour peu que vous soyez capable de ne pas vous égarer. Puisque vous demandez ce que je sais, voici un conseil que je ne comprends pas moi-même. Méfiez-vous du serpent qui boite.
Elle haussa les épaules, comme si le sens de cet avertissement lui échappait – ce qui était le cas. Toutes les prédictions, hélas, n’étaient pas faciles à déchiffrer.
- Si vous faisiez référence à votre passé, en revanche, je pense toujours qu’il est plus agréable d’en apprendre sur les gens à travers leurs mots, plutôt qu’en procédant à des rituels compliqués. Si vous voulez bien en parler, naturellement.
Kryv plongea son regard dans celui de Learamn. Étranger en terres étrangères, il était un objet de curiosité pour chacun des habitants de ce lointain pays qu’était le Rhûn. A mesure que le temps passait, et qu’il s’acclimatait à ce nouvel environnement, sa perception du monde évoluait. Plus les questions pleuvaient sur son passé, plus elles perçaient la carapace de ses certitudes, et l’invitaient à interroger ses convictions, ses désirs, ses rêves.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
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Learamn n’eut pas le courage de l’admettre, mais les paroles rassurantes de la devineresse avaient légèrement apaisé son esprit tourmenté. Elle lui avait parlé avec douceur et attention, semblant se soucier sincèrement de son état et de son avenir. Un geste loin d’être une simple marque de générosité désintéressée si l’on croyait vraiment au lien auquel elle prêtait l’existence entre lui et elle. Elle lui avait parlé d’humanité, de courage et d’espoir. L’espoir. Ce mot qui lui revenait sans cesse en ce royaume où il était arrivé alors même que toute trace d’espoir avait quitté son âme. L’exil et la mort d’Iran avait eu raison du jeune capitaine Rohirrim autrefois si radieux et pleins d’espérances. Il avait entrepris son périple animé d’un ultime et bien maigre espoir; ramener la femme qu’il aimait chez elle pour qu’elle puisse mourir en ses terres, à défaut de pouvoir la sauver. Mais là aussi il avait échoué. La guerrière Rhûnienne avait succombé au Mal qui l’habitait dans les terres désertiques du Rhovanion; plongée dans un état d’inconscience depuis de longs mois elle avait même quitté ce monde en ignorant tout de ce que l’étranger qu’il était avait fait pour elle. Peut-être était-ce cela qui le faisait le plus souffrir. Ainsi, et malgré la compagnie réconfortante de Khalmeh, l’ancien officier était arrivé à Blankânimad, le coeur dénué de ce fameux espoir. Il avait mis son épée au service de la Reine pour honorer sa dette envers sa défunte parente mais au fond il se demandait parfois s’il ne s’était pas rendu ici, à l’autre bout du monde, simplement pour y mourir. Iran avait allumé une flamme qu’il croyait consumé; mais Lyra avait remué les cendres en lui donnant une mission et Ava s’était chargé de la raviver. Cette dernière s’était parfois montrée froide et dure avec lui mais s’était progressivement rendu compte qu’elle et lui partageaient les mêmes souffrances et que seul un espoir, même si cela était le plus insensé et le moins raisonnable des espoirs, était leur seul voie vers la lumière. Learamn avait été touché par les confidences de sa guérisseuse mais avait intérieurement rejeté son discours; se protégeant à tout prix face à de potentielles désillusions.
Mais voilà qu’une autre femme revenait à la charge sur ce thème. Une parfaite inconnue cette fois, mais qui avait, en l’espace de quelques minutes, lu dans son esprit plus de choses que ses plus proches amis en de longues années. Une Rhûnienne, elle aussi, dotée de pouvoirs magiques qui lui parlait encore d’espoir. Sur le moment, il voulut la prendre vigoureusement par les épaules en lui criant que tout ceci n’était que des histoires que l’on se racontait pour apaiser son esprit avant que la vie ne se charge de briser toutes ces illusions. Mais il ne fit rien. Pire, les paroles de Kryvv restèrent un moment en suspens dans l’air, faisant de plus en plus leur chemin dans la tête du jeune homme.
Et si?
Et si il y avait une autre voie?
La question qu’avait formulé Learamn n’eut pas de réponse très claire. Une voyante qui ignorait son propre futur. L’ironie de la situation arracha presque un sourire au rohirrim.
Elle poursuivit en évoquant les possibilités qui se présenteraient à lui dans le futur mais toutes ces paroles restaient bien mystérieuses et le sens de tout cela était bien opaque aux yeux du jeune homme qui n’était pas le plus doué en matière de symbolisme et de ses différentes interprétations. Il fronça d’ailleurs les sourcils à l’évocation du “serpent qui boite”. Tout ceci faisait de moins en moins de sens et en d’autres circonstances il aurait bien cru à une farce. Mais la Rhûnienne avait parlé avec bien trop de coeur pour que c’en fut réellement une. Elle enchâina alors, désireuse de creuser un peu plus dans son âme, l’invitant à s’ouvrir sur son passé. Tant de souvenirs douloureux qu’ils traînaient avec lui. Il s’était ouvert à plusieurs reprises sur ce sujet, jamais complètement mais certains étaient parvenus à lui faire baisser sa garde. Il y avait eu quelques bribes échangées avec le sage Khalmeh, les craintes partagées avec la douce Ava et bien entendu Iran à laquelle il s’était confié comme il ne l’avait jamais fait avec personne auparavant.
Learamn qui s’était montré un petit peu plus amène suite au discours de son interlocutrice se referma subitement. Il répondit d’un ton cassant, le regard tourné vers la fenêtre crasseuse qui donnait sur la cour intérieure de l’auberge où l’on avait placé l’Uruk qui se montrait bien paisible. “Mon passé importe peu. Il est mon fardeau et je suis venu ici pour m’en libérer.”
Certaines personnes étaient parvenus à briser l’armure autour de son coeur. Mais Kryvv ne faisait pas partie de ceux-là. Du moins pas encore. Learamn ne lui faisait de toute évidence pas assez confiance pour ainsi se mettre à nu devant elle. Elle avait déjà violée son intimité psychique une première fois, elle aurait à le faire une seconde fois pour obtenir de plus amples réponses. Mais agir ainsi ne l’aiderait certainement pas à gagner l’entière confiance de son “libérateur”.
L’ancien capitaine contempla longuement son épée qui reposait près de sa couche, une des dernières reliques qui le reliait à son pays natal. Son regard remonta ensuite lentement pour le plonger dans les pupilles envoûtantes de la devineresse. Il la défiait presque, d’un air autoritaire et plein de détermination. Toute trace de peur, de rage ou d’appréhension avait disparu de ses yeux châtaignes. Le pauvre hère meurtri avait, en l’espace de quelques instants, cédé sa place au meneur d’hommes qu’il était aussi. Il avait une mission à remplir et il comptait bien le faire de la manière la plus professionnelle possible.
“Vous dîtes ignorer votre rôle... Pourtant il va me falloir une réponse, et rapidement. Si vous ne m’êtes d’aucune utilité, alors vous pouvez tout aussi bien retourner auprès de vos maîtres. Je ne vous serait pas plus utile…”
Le menace était subtile mais bien présente. En jouant avec ses espoirs de libération, le Rohirrim comptait bien lui faire comprendre qu’il n’était pas venu à Albyor pour faire de la charité. “Dites-moi, savez-vous vous battre?”
Du peu d’informations dont il disposait, il avait le sentiment que tôt ou tard le sang allait couler. Si elle venait à les accompagner, elle avait fort intérêt à pouvoir se défendre. Mais si Learamn réfléchissait à l’avoir à ses côtés, c’était pour une tout autre raison que ses capacités martiales. Malgré la méfiance que lui inspirait ses dons surnaturels, elle demeurait un être aux capacités extraordinaires et donc un atout. “Vous qui prétendez lire la vérité; connaissez-vous la raison de ma présence ici? Pour quel motif avons-nous été envoyé ici à Albyor?”
Il ne lui donna pas plus de détails et il ne jugea pas plus nécessaire de lui admettre qui lui même ignorait tout de la nature de sa mission. Mais il espérait que la magicienne était assez douée pour trouver les réponses à sa place.
The Young Cop
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Kryv sentit instantanément le changement d’attitude du guerrier, quand elle l’interrogea sur son passé. Elle avait perçu une brèche dans ses défenses, et avait tenté de s’y engouffrer, mais la souffrance était telle la marée : elle refluait parfois à la faveur de la lune, mais revenait plus forte en vagues incessantes qui submergeaient les digues et les rivages. L’homme était meurtri, et elle avait été trop audacieuse en tentant de le faire parler ainsi. Après tout, il n’avait aucune raison de lui faire confiance.
Surtout pas après le mauvais tour qu’elle lui avait joué.
- Je comprends, fit-elle sans cacher sa déception. Votre passé vous appartient. Cependant, je ne crois pas que vous soyez ici pour vous en délester : il me semble que vous le fuyez encore, au contraire. Mais un jour vous rentrerez chez vous, et vous y ferez face.
Ce n’étaient que des paroles encourageantes, qui n’avaient rien de prophétique ou de mystérieux, mais qui résonnaient étrangement dans la bouche de la jeune femme. Elle avait l’air d’en savoir plus qu’elle voulait bien le dire, à moins que le masque sibyllin qu’elle endossait devant son public lui collât à la peau tant et si bien qu’elle ne pouvait pas l’enlever même en privé. Alors elle se tint là, face à l’ancien soldat qui ruminait sa colère, sa frustration, mais aussi ses questionnements intérieurs. Il ne pouvait pas dire que la devineresse ne le perturbait pas, mais il semblait rétif, comme un cheval indocile refusant la main tendue. Kryv s’efforcerait de se montrer patiente, mais le destin ne l’était guère, et les entraînait tous les deux dans les eaux tourmentées du monde.
Ils n’avaient d’autre choix que de nager pour garder la tête hors de l’eau.
- Des réponses ?
Elle sourit pour elle-même. La question du jeune homme était si directe qu’elle fut légèrement prise au dépourvu devant tant de candeur. Les réponses étaient un bien fort précieux en ce monde, et elle s’amusait de le voir manier ce mot avec légèreté comme s’il s’agissait d’un vulgaire bibelot.
- Tout le monde cherche des réponses, Learamn. Certains ne les trouvent jamais. Croyez-vous que j’échappe à ma propre humanité, simplement car j’ai le don de discerner les bribes de l’avenir ?
Sa question était volontairement provocatrice, mais elle savait qu’elle n’allait pas convaincre le Rohirrim ainsi. Alors, ouvrant sa garde un bref instant, elle lança :
- Je crains que ma réponse ne vous soit pas utile, mais puisque vous insistez pour savoir… Je suis née en servitude, et j’aurais probablement connu un destin bien différent si mes… dons… ne s’étaient pas manifestés très jeunes. Mon rôle ? Des réponses ? Je les cherche depuis des années désormais, sans les trouver. Mon rôle… J’aimerais ne pas en avoir. J’aimerais ne pas être un instrument au service de la volonté d’un autre, j’aimerais ne pas être sur scène chaque soir, pour rapporter de l’or à ceux qui contrôlent mon corps et jouent avec mon esprit. Mon rôle… Je veux juste pouvoir apercevoir le monde, et vivre, et rencontrer tous les individus de cette terre, de toutes les autres. Je ne demande rien d’autre. Est-ce mon rôle ? Suis-je en train de le fuir ? Je ne sais pas. Est-ce la réponse que vous attendiez ? Je ne sais pas. Je veux simplement être libre, et ne plus porter les chaînes de la servitude, de l’obéissance et du devoir.
La voix de Kryv était empreinte d’une émotion sincère, qui amenait à considérer les choses sous un autre angle. Certes, la devineresse était une esclave de luxe, qui jouissait d’un degré d’autonomie exceptionnel, surtout si on la comparait aux esclaves d’Albyor. Les malheureux qui trimaient dans les champs ou les morts en sursis qui s’épuisaient dans les mines auraient tout donné pour porter de beaux habits, et se produire sur scène, plutôt que de porter de lourds rochers dans des galeries à peine éclairées qui menaçaient de s’effondrer.
Pourtant, Kryv était une esclave. Qu’elle fût parée de beaux atours, des bijoux les plus chers, des coiffes les plus extraordinaires, qu’on se prosternât à ses pieds ou qu’on la considérât comme une déesse, cela n’avait aucune importance. Il existait toujours un être au-dessus d’elle, qui, le jour venu, lui retirerait ses atours, ses bijoux, ses admirateurs et ses amis. Un individu qui déchaînerait les enfers autour d’elle si, pour une raison ou une autre, elle cessait de jouer son rôle. Si elle se refusait à obéir, si elle se refusait à se taire quand on lui intimait de se taire, à parler quand on lui disait de parler, à aller à gauche, à droite, devant ou en arrière…
Elle préférait ne même pas penser aux conséquences.
Le Temple de Melkor ne serait que trop content de pouvoir mettre la main sur une esclave récalcitrante, qui serait sacrifiée en grande pompe pour le Dieu Sombre qui régnait sur la ville. La silhouette effrayante des prêtres melkorites qui déambulaient en ville ne faisait que rappeler la violence qui gravitait au-dessus de sa tête, comme de celle de chacun d’entre eux ici. Les esclaves vivaient tous la même existence, seules les apparences changeaient.
Son rôle ?
Elle sourit de nouveau.
- Mon rôle est d’être ici. De vous dire tout cela. De vous encourager à tenir bon, à ne pas abandonner. Beaucoup de choses dépendent de vous… Je… dépends de vous.
En un geste qui pouvait sembler curieux aux yeux du Rohirrim, elle posa un genou à terre et baissa humblement la tête, comme s’il avait été roi, et elle une simple paysanne. Elle remettait librement sa vie entre les mains du guerrier, sans lui laisser vraiment le choix en la matière. Il déciderait du chemin qu’il prendrait, mais elle liait son avenir au sien, et troquait un maître pour un guide. Ce dernier, espérait-elle, la conduirait vers la lumière, et loin des ténèbres d’Albyor.
- Je ne connais pas les usages de l’épée, si c’est cela que vous voulez savoir. Je peux me défendre si nécessaire, mais un homme tel que vous n’aurait aucun mal à se débarrasser de moi. Je ne crois pas pouvoir me tenir à vos côtés dans la bataille sans vous gêner. Mais si vous vous inquiétez à mon sujet, ne craignez rien. Je sais veiller sur ma propre existence.
Sa réponse était honnête. On n’apprenait évidemment pas aux esclaves à se battre, à l’exception de quelques brutes épaisses qui servaient de gardes du corps, ou d’esclaves sélectionnés et triés sur le volet pour accomplir des assassinats. Ceux-là étaient les plus rares, et souvent appartenaient à des castes mystérieuses et mystiques qui les enrôlaient et les endoctrinaient au point qu’ils étaient davantage esclaves dans leur esprit que dans leur chair. Kryv, cependant, avait appris à se battre pour se défendre contre les abus des geôliers et des mauvais maîtres. Partout au Rhûn, et dans les terres du Sud, les non-libres qui en avaient la possibilité s’entraînaient régulièrement pour le jour où viendrait l’heure de la délivrance. Ils maintenaient l’espoir ainsi. Kryv avait quelques notions, et elle aurait pu repousser un bandit de basse extraction si la situation l’exigeait. Elle avait déjà tenu un couteau, et savait par quel bout l’employer. Voilà quelles étaient les limites de son expertise en la matière.
Learamn sembla assimiler ces informations, comme s’il essayait de définir le portrait de la jeune femme, et comment il pouvait l’intégrer dans ses plans. Il était évident que la devineresse ne serait ni une alliée combattante, ni un renfort de poids, si la situation devait mal tourner. Son point fort était la connaissance des choses et des gens, tant et si bien qu’il valait mieux la mettre à contribution du point de vue intellectuel. La question du Rohirrim mit la jeune femme plus à l’aise, et elle souffla :
- Nul besoin de lire les astres, le marc de café ou les entrailles de brebis pour connaître la raison de votre présence. Votre petit groupe vient de Blankânimad, et est placé sous l’autorité de la reine Lyra, comme l’indique la présence de la concubine royale à vos côtés. Il est donc évident que vous êtes là pour faire les basses besognes de la souveraine de ce pays. Soyez certain que si cela ne m’a pas échappé, d’autres que moi doivent déjà s’intéresser de très près à votre compagnie. Surtout la femme. Vos autres compagnons et vous-mêmes êtes quantité négligeable par rapport à elle.
Ces informations étaient fort précieuses, et tombaient sous le sens. Ava était une femme enveloppée dans un statut respectable et surtout reconnaissable. Sa tenue élégante, ses manières raffinées… tout en elle tranchait avec la noirceur de la cité où ils se trouvaient actuellement. Une cape et une auberge miteuse ne suffisaient pas à empêcher un diamant de briller. Pour autant, la guérisseuse était un atout exceptionnel : elle savait soigner les maux du corps mieux que personne, jouissait d’une aura qui leur ouvrait les portes sinon demeurées closes, et surtout elle était la seule à connaître vraiment les tenants et les aboutissants de leur mission. Mettait-elle réellement en danger leur mission ? N’était-elle pas indispensable par ailleurs ?
Voilà une autre réponse qu’il était difficile de trouver.
- Je devine, reprit Kryv, que vous voulez en savoir plus. Encore une fois, ce n’est pas la devineresse qui parle, mais seulement la logique : une concubine royale, envoyée en mission depuis Blankânimad entourée d’une forte escorte armée… Quel serait l’intérêt de la reine dans cette affaire ? Ou plutôt, qui serait assez puissant, assez fou et assez audacieux pour aller contre les intérêts de la reine, et justifier l’envoi de votre compagnie ?
La question était rhétorique. Depuis qu’il était arrivé en ville, tout le monde avait répété à Learamn que le véritable maître des lieux n’était autre que Melkor lui-même. Le Dieu Sombre. Personne ne prononçait trop fort le nom de Lyra, et bien que la garde royale fût présente – et en nombre – dans les rues de la cité, c’étaient bel et bien les prêtres et le tribunal de l’Ogdar que l’on craignait le plus. Ici, dans cette citadelle rocailleuse hantée par la nuit éternelle, l’autorité de la grande souveraine de l’Est s’étiolait.
Kryv lança un regard entendu à Learamn.
Cette fois, la réponse était évidente.
Ils étaient là pour affronter Melkor en personne.
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
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Pendant un court instant, Learamn regretta d’avoir posé cette dernière question. La réponse de Kryv était implicite mais n’en demeurait pas moins effrayante. Au fond, il se serait tôt au tard aperçu de la nature de leur mission et de leurs potentiels opposants; et dans une perspective de stratégie militaire il valait mieux tôt que tard. Pourtant, la devineresse avait eu une manière si inquiétante de présenter le problème, que le jeune homme se dit qu’il aurait peut-être mieux valu affronter l’inconnu. Mais maintenant il avait un nom. “Melkor…”
Tout du moins ceux qui représentaient la divinité dans cette sombre cité. Ce simple nom suffisait à réveiller dans les âmes de tous les hommes d’Arda des craintes et peurs ancestrales, passées de génération en générations. Un nom que l’on associait, à l’Ouest, instinctivement à la mort, à la destruction et aux ténèbres sans que l’on ne connaît vraiment l’origine de cet effroi. Par contre certains peuples Orientaux, à commencer par le royaume du Rhûn, vénéraient ce sombre Dieu ce qui représentait l’une des raisons principales à l’antagonisme permanent avec les Peuples Libres. Learamn n’était pas très au fait des détails de la situation socio-religieuse au sein du pays mais la présence de la religion ne l’avait pas marqué plus que cela jusqu’ici; que ce soit à Vieille-Tombe ou à Blankânimad. Le culte y était bien présent mais de manière subtile que le rohirrim n’avait pas trouvé dérangeante; cela se limitant le plus souvent à des expressions de langages, quelques superstitions ou des représentations artistiques. Il avait bien vu des temples et croisé quelques prêtres lors de ses longues balades au côté de Khalmeh mais rien qui ne lui avait semblé vraiment alarmant. Depuis son arrivée il avait constaté que le Rhûn était une nation à la forte culture religieuse mais dont la majorité des habitants s’étaient libérés de ses dogmes. Le règne de Lyra ne lui semblait pas être un étant fortement marqué par la foi et le rigorisme religieux. Mais de ce qu’il avait compris, la situation était bien différente à Albyor. Ici, les Melkorites faisaient la loi. Une épine dans le pied de la souveraine. Il n’était donc pas étonnant que celle-ci se prépare à une confrontation plus ou moins directs.
Il restait encore beaucoup de flou autour de l’objectif de leur mission, à commencer par la nature de la cargaison qu’ils étaient censé récupérer. Et surtout, pour quelles raisons les prêtres de Melkor voudraient-ils ouvertement s’opposer à des envoyés de la Reine étrangement envoyés dans le plus grand secret au sein même de leur fief? Il y avait encore beaucoup de choses qu’il ignorait, des éléments qu’il ne comprendrait sûrement jamais et qui impliquait des forces qui le dépassait totalement. Il n’avait pas été recruté pour utiliser son sens politique mais bien car il avait offert sa lame.
Au milieu de cette équation hasardeuse, Kryv représentait peut-être la clé. Il ne savait pas encore pourquoi, elle-même semblait l’ignorer mais la façon dont elle avait fait brutalement irruption au milieu de leur route signifiait quelque chose. Elle ne déclarait rien vouloir de plus que la liberté. Demande logique pour une esclave. Mais Learamn y voyait bien plus. Sa méfiance à l’égard de l’art occulte qu’elle pratiquait n’avait pas disparu, mais l’ancien capitaine se rendait peu à peu compte de l’avantage qu’elle pourrait représenter dans sa quête. Un atout que ni les Melkorites, ni Lyra et ses fidèles n’avaient prévu dans leurs plans. En gagnant la loyauté de la voyante, le rohirrim gagnait un atout dans sa manche. De plus, ses pouvoirs pourraient se révéler fortement utile pour la bonne réussite de leur mission. Autant de raisons qui rendaient cette éventualité si séduisante. Pourtant, Learamn était toujours hésitant à confier son destin entre les mains d’une sorcière. Il avait toujours honni les personnes de cette espèce et même si celle-ci se présentait comme amicale, le malaise était toujours présent. Au fond - se dit-il- peut être n’était elle qu’une simple manipulatrice sans réelles aptitudes qui n’achetait sa liberté en usant de sa maîtrise du verbe et de quelques tours de passe-passe. Pourtant, tout ce qu’elle lui avait dit avait paru si juste, si pertinent.
FInalement, Learamn se redressa et parla d’un ton qui se voulait le plus rassurant possible. Il avait pris sa décision. “ Rentrez auprès de votre maître et tâchez de prendre du repos. Demain à l’aube, vous serez libre; j’en fais le serment. De votre côté, j’attends que vous fassiez preuve d’une loyauté sans faille à mon égard. Celle d’une femme libre mais loyale. Ainsi je serai en mesure de vous protéger. ”
Il se dirigea alors vers la porte qu’il ouvrit, signalant ainsi la fin de cette conversation privée et l’invitant à quitter les lieux. Son allure de marche était encore un peu gauche mais grâce à l’entraînement dispensé par Ava, il avait fait beaucoup de progrès et semblait retrouver une certaine aisance dans ses déplacements.
La femme de la reine, ayant remarqué la porte ouverte, ne tarda d’ailleurs pas à rappliquer en compagnie de Khalmeh. Ils affichèrent tous les deux un air soulagé en retrouvant le rohirrim sain et sauf. Visiblement, Learamn n’était pas le seul à ne pas faire pleinement confiance à cette étrangère. Alors que celle-ci s’apprêtait à partir, l’ancien officier s’approcha d’Ava. Il repensa un moment à la façon dont Kryv l’avait qualifiée: de “concubine” qui serait au centre de toutes les attentions. Il ne s’était pas trop attardé sur le terme de “concubine” et ce que cela pouvait impliquer. Bien entendu, le charme et la beauté de la jeune femme contrastaient clairement avec l’environnement alentour mais lui se demandait si la devineresse ne se référait pas à autre chose.
Il lui souffla à voix basse: “Ava… Pensez-vous que nous pouvons lui faire confiance pour cette mission? Elle pourrait nous être d’une aide formidable et ne demande que la liberté… J’ai confiance en votre jugement.”
Puis il rajouta de manière audible pour tous cette fois: “Et où diable est donc Thrakan?”
Il espérait sincèrement que le colosse reviendrait sous peu avec de plus amples informations sur l’agitation qui gagnait les rues d’Albyor.
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Ce nom à lui seul semblait doté de pouvoirs presque magiques, comme si le prononcer à voix haute suffisait à convoquer les pouvoirs du sinistre ennemi du monde, le grand destructeur, que les Hommes de l’Est semblaient pourtant vénérer comme leur principale figure religieuse. Le culte de Melkor existait depuis des siècles, et s’était mêlé à des pratiques animistes, les rites évoluant d’une région à l’autre. Depuis qu’il avait pénétré au Rhûn, Learamn avait pu constater que les Orientaux étaient aussi divers que pouvaient l’être les Hommes de l’Ouest de l’Anduin, et même s’ils se référaient explicitement au même dieu, en réalité la situation était bien plus complexe. Pouvait-on véritablement affirmer que les prêtres d’Albyor vénéraient la même entité divine que des gens aussi doux qu’Ava, ou aussi irrévérencieux que Khalmeh ? Chacun semblait avoir sa propre opinion sur le sujet.
Toutefois, Learamn se trouvait présentement dans l’endroit où la puissance du Dieu Sombre était certainement la plus importante en Terre du Milieu, et là où les litanies sacrées pouvaient passer pour de curieux mais innocents traits folkloriques à Blankânimad, ici le culte était pris très au sérieux. Ils devaient faire preuve d’une prudence de tous les instants.
Kryv lut dans le regard de Learamn qu’il comprenait les implications de cette révélation, et hocha la tête avec satisfaction. Désormais qu’il voyait le danger se profiler, il serait en mesure de se battre convenablement, de discerner plus facilement ses amis de ses ennemis, et de sortir vivant de la souricière dans laquelle il était enfermé. La mission confiée par Lyra n’était pas aisée, pour sûr, mais désormais qu’il en devinait les contours, il lui serait plus facile d’affronter les ténèbres qui rampaient ici.
Toutefois, Learamn était plein de surprises, et alors que Kryv espérait avoir satisfait sa curiosité, elle haussa les sourcils quand il lui fit une proposition qu’elle ne pouvait pas refuser. Sa loyauté totale, en échange de sa liberté ? Elle ignorait les implications d’une telle promesse, mais au fond de son cœur, elle savait que Learamn était un homme bien plus droit et honnête que ses maîtres le seraient jamais. Il ne la trahirait pas. Elle mit de longues secondes à réagir, avant de finalement revenir à elle, comme si pendant un bref instant elle s’était abandonnée dans ses pensées les plus profondes. Gracieusement, elle s’inclina en posant un genou à terre, baissant la tête comme le faisaient les esclaves. La liberté n’était pas, hélas, quelque chose qu’elle avait intégré :
- Je vous en fais la promesse. Vous aurez ma loyauté, aussi longtemps que je vivrai, je serai votre obligée.
Kryv sentit un poids étonnant peser sur ses épaules, alors qu’elle prenait cet engagement. C’était la première fois de sa vie qu’elle décidait par et pour elle-même, et elle ressentit la force de ce virage existentiel. Elle aurait voulu remercier chaleureusement l’étranger à qui elle venait de jurer allégeance sur la foi de ses visions et de ses convictions, mais elle en fut incapable, saisie par l’émotion.
La première pierre était posée.
~ ~ ~ ~
Ava s’était fait un sang d’encre en sachant Learamn seul avec la devineresse, et elle ne cacha pas son soulagement lorsque cette dernière quitta la pièce. Involontairement, elle jeta un regard mauvais à cette dernière, qui baissa les yeux devant une telle hostilité. Ava ne l’aimait décidément pas, et ne lui pardonnerait pas d’avoir joué un tour aux dépens de son patient. Khalmeh, qui perçut la tension latente, invita la « Femme de la Reine » à entrer.
Learamn semblait aller bien, et il avait même retrouvé des forces par rapport à quelques instants plus tôt. Le mal qui l’avait soudainement plongé dans l’inconscience s’était dissipé, comme le brouillard des matins d’hiver, impénétrable et aussi épais que de la laine, s’évanouissait avec la brise venue de la mer. Il avait l’œil vif, le pas sûr, et son discours était aussi précis et cohérent qu’à son habitude.
Cohérent, mais guère rassurant.
Ava jeta un regard éberlué à Learamn, comme s’il venait de lui demander s’ils pouvaient inviter Jawaharlal lui-même à rejoindre leur petite troupe.
- Elle ? Elle ? Vous n’y pensez pas, Learamn. Vous voudriez faire confiance à une femme comme elle, esclave de surcroît ? Non, non, oubliez cette idée saugrenue et dangereuse. Nous avons des choses bien plus importantes à régler.
L’avis d’Ava était particulièrement tranché, ce qui lui ressemblait assez dans un sens, mais il semblait y avoir autre chose derrière ses paroles. Les vestiges d’une inquiétude bien légitime, et une méfiance profondément ancrée qui la mettait en garde contre une personne dotée de pouvoirs de vision et de la capacité à ensorceler son prochain. Learamn s’était évanoui, mais Ava se souvenait parfaitement de toute la scène : cette femme qui d’un seul regard avait fait basculer un fier guerrier du Rohan, envoyé par la reine Lyra. Pouvait-elle reproduire son exploit à volonté ? Pouvait-elle, à elle seule, briser l’élan de leur mission, et mettre un terme à l’ambition de Lyra de récupérer ladite cargaison ?
Qui pouvait le dire ?
Ils revinrent effectivement à des affaires plus urgentes, notamment à Thrakan qui était parti en éclaireur. Ava invita Learamn à s’asseoir, pour lui faire un petit récapitulatif de la situation :
- Thrakan n’est pas encore revenu, mais il nous a fait parvenir un message. Un coursier est venu le déposer à l’attention de Khalmeh. D’après ses informations, la cargaison remonte le fleuve, et est attendue au poste de garde de Lâm-Su après-demain, dans la matinée. C’est le dernier point de contrôle sur le fleuve avant d’entrer dans l’aire d’influence d’Albyor. Il n’est même pas tenu par des militaires, mais par des administrateurs locaux, des bureaucrates chargés de lever quelques taxes pour l’entretien du bac. D’après Thrakan, c’est notre meilleure chance, car le navire sera obligé de faire un bref arrêt. Nous pourrons en profiter pour négocier avec le capitaine, récupérer la cargaison au nom de la reine, et repartir en direction de Blankânimad en évitant soigneusement Albyor.
L’explication d’Ava était rassurante, et donnait l’impression que cette mission ne serait rien de plus qu’une formalité. En réalité, elle omettait un certain nombre de détails, que Khalmeh se plut à rappeler sur un ton léger :
- Bien sûr, c’est si tout se passe bien, si les administrateurs se montrent dociles et flexibles, ce qu’ils sont toujours, c’est bien connu. Oh et c’est à supposer que le capitaine, qui a probablement dû recevoir des consignes concernant la marchandise, accepte de nous la livrer sans difficulté. Il y a plus de chances que nous soyons obligés de nous faire entendre les armes à la main, alors n’essayez pas de faire passer ce que nous allons faire pour une vulgaire promenade. Dites plutôt que nous allons nous livrer à de la piraterie en bonne et due forme.
Ava jeta un regard agacé à Khalmeh, avant de revenir à Learamn :
- Nous sommes investis de l’autorité royale. Il n’est pas question de piraterie. Ceux qui ne voudront pas se plier à nos requêtes seront, de facto les pirates. Nous sommes ici pour mettre à exécution la volonté de Sa Majesté, rien d’autre.
Une justification habile, à n’en pas douter.
- Voilà, reprit Ava, vous savez tout. Nous partons demain à l’aube, afin de chevaucher tranquillement et d’arriver à Lâm-Su à temps. Des questions ?
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La colère d’Ava était somme toute prévisible au vu de l’animosité dont elle faisait preuve à l’égard de la devineresse depuis leur rencontre. Et Learamn ne pouvait pas vraiment lui donner tort, il partageait même la méfiance de la jeune femme à l’égard de ce mystérieux personnage mais , lui, percevait également tout ce qu’elle pouvait leur apporter, des compétences qu’aucun dans leur groupe ne pouvait offrir; et surtout elle lui serait fidèle à lui, l’étranger qu’il était, et à nul autre. Et une telle loyauté était inestimable pour un homme qui se trouvait constamment dans un environnement aussi hostile à sa personne.
Le rohirrim posa une main rassurante sur la douce épaule d’Ava, cherchant ainsi à calmer son courroux et rassurer son esprit. “Ava… Moi aussi je me méfies d’elle; je suis bien conscient de ce qu’elle m’a fait et en suis encore choqué. De plus je vous ai déjà dis mon aversion pour tout ce qui touche au surnaturel. Mais cette femme est unique et pourrait se révéler précieuse.”
Visiblement la Dame de la Reine n’était toujours pas très convaincu, mais l’ancien capitaine insista: “ Ils savent que nous sommes là… Les prêtres qui gouvernent cet endroit, ils ont connaissance de notre arrivée, vous le savez bien Ava… Ils nous ont peut-être même déjà identifié et anticipent le moindre de nos gestes. Mais s’il y a bien une chose qu’ils n’ont pas pris en compte c’est cette voyante, c’est l’inconnue de leur plan de défense et pourrait nous permettre l’élément de surprise voire même prédire leur stratégie grâce à ses pouvoirs.”
Bien entendu, le cavalier prit bien soin de ne pas mentionner la dimension personnelle de cette alliance qui lui promettait la loyauté d’une sorcière. “Cette cité est gouvernée par le chaos; alors pour en sortir vivant il nous faut nous même introduire le chaos. Faîtes-moi confiance Ava, nous la garderons soigneusement à l’oeil jusqu’à la fin; et puis après tout cela nous pourrons en disposer comme vous le désirez.”
Kryv aurait son rôle à jouer dans cette aventure; il en avait la certitude et son intuition de guerrier lui faisait rarement défaut quand l’action débutait. C’était en le suivant qu’il avait sauvé Aelyn, libéré Pelargir, et frappé l’Ordre de la Couronne de Fer en son coeur. Après cela, elle pourrait sans doute continuer à être un atout mais il ne fallait pas précipiter les choses, d’autant qu’elle ne valait sans doute pas de se mettre Ava à dos, et donc la Reine Lyra par procuration. D’autant que s’il presentait qu’elle aurait son importance dans les événements à venir, il n’avait aucune idée de sa nature exacte, ni même du sens dans lequel elle ferait tourner les choses. Elle était un risque, mais il semblait prêt à le prendre.
Ava, toujours pas convaincue par l’utilité ou la bonne foi de Kryv, exposa alors enfin leur plan d’action après avoir partagé les informations recueillies par Thrakan. Le colosse avait fait du bon travail et avait amassé en quelques heures de précieux renseignements qui pouvaient même leur permettre de récupérer la mystérieuse cargaison sans trop de casse; si tout se passait comme prévu bien entendu….
Cette nuit-là Learamn eu bien du mal à dormir, encore troublé par leur mission et sa rencontre avec Kryv. Hanté par les visions qui lui étaient venus à l’esprit lors de sa rencontre avec la voyante, le jeune homme finit par abandonner son lit en prenant soin de ne pas réveiller Khalmeh qui lui dormait à poings fermés. Il enfila une chemise et descendit dans la salle commune, presque vide en cette heure tardive, ou précoce selon le point de vue. Il s’installa sur une table près d’une lampe à huile qui brillait faiblement et ouvrit son journal qu’il avait descendu avec lui. Plume à la main, il retranscrit les souvenirs de son périple depuis sa dernière entrée.
“ Albyor…
Depuis mon arrivée dans le Royaume, j’ai entendu beaucoup de choses sur cette cité à la sinistre réputation; mais rien ne m’avait préparé à ce sentiment d’oppression qui me gagne entre les murs de cette cité. L’esclavage y est pratiquée à un niveau que je ne soupçonnais pas et le sentiment d’insécurité qui règne ici me rappelle les heures les plus sombres du Rohan. Les conditions de vie matérielles de la majorité des quartiers ne sont pas forcément aussi misérables que ce que j’avais imaginé mais il y a quelque chose d’autre qui règne ici, une présence imperceptible, insidieuse, qui pèse sur mes épaules. Les rues sembles hantées par les caprices de ce Dieu à la fois craint et vénéré par les locaux; un règne de terreur personnifié par ces religieux en toge qui font régner la terreur parmi la population, s’opposant ainsi au développement progressif de toute une nation.
Melkor.
Son nom renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire. Et c’est pour l’affronter que j’ai été envoyé ici. La devineresse a été catégorique sur ce point-là et j’ai fais le choix de la croire. Pourquoi? Je l’ignore encore; j’ai pourtant toujours eu tendance à m’éloigner de ces personnes aux pouvoirs surnaturels mais ici, quand ce sont les cieux eux-même qui me menacent, alors j’ai fait le choix de confier mon âme à des forces qui dépasse mon entendement. Demain nous partirons accomplir notre mission, en espérant que tout se passera comme prévu et que d’ici un jour, nous cavalerons déjà loin de cet endroit maudit. Je n’en demande pas plus mais mon instinct me dit que cela ne se fera pas sans que le sang ne soit versé. Et c’est là, si les choses venaient à dégénérer, que Kryv pourrait jouer un rôle. Je comprends Ava et partage même sa méfiance. J’espère simplement qu’elle survivra pour voir que j’ai raison. Elle ne mérite pas de mourir en ce funeste endroit.”
Quelques heures plus tard, à l’aube, Khalmeh se leva pour se préparer promptement au départ; il se tourna vers le second lit mais Learamn n’y était pas. Et pour cause le Rohirrim n’y était pas retourné depuis son réveil au milieu de la nuit; il avait même quitté l’auberge pour se rendre à l’adresse que Kryv lui avait laissé. Ses traits d’étranger dissimulés sous une ample capuche sombre, Learamn avançait sans bruit dans les rues boueuses de la cité. Le trajet fut loin d’être rassurant et le jeune homme dut même prendre quelques détours pour éviter des rencontres inopportunes avec plusieurs silhouettes qu’il identifia rapidement comme étant celles de prêtres. Son coeur battait la chamade et il retenait sans arrêt son souffle; cette sortie imprévue était particulièrement risquée et pouvait même faire capoter toute la mission si jamais il était arrêté ou identifié pour quelconque motif. Au bout de longues minutes qui lui avaient semblé durer des heures, il finit par arriver devant la bâtisse qu’il cherchait. Une habitation qui semblait plutôt confortable et d’un standing supérieur à la moyenne des citoyens sans pour autant atteindre le luxe des résidences des élites d’Albyor.
Il frappa une fois…
Pas de réponse.
Il frappa encore, plus fort.
Il entendit un grognement à l’intérieur puis une phrase prononcée dans la langue locale qu’il ne comprit pas. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit lentement laissant apparaître un homme d’un certain âge en chemise de nuit et visiblement contrarié d’avoir été tiré du lit si tôt. Learamn décida de ne pas y aller par quatres chemins, il n’avait que très peu de temps et de toute manière il savait bien trop peu de rhûnien pour entretenir la conversation. Il baragouina grâce aux quelques bribes qu’il connaissait: “Kryv… Esclave… Moi… Or”
Il tendit une poignée de pièces d’or au propriétaire des lieux qui se contenta de les aviser un moment avant d’éclater de rire et de lui répondre. Mais là encore l’ancien officier ne comprit pas un mot même s’il devinait qu’il n’était pas vendeur, du moins pas pour cette somme là, qui lui semblait pourtant conséquente. En tant que devineresse connue, Kryv valait sûrement une fortune. Une fortune que le rohirrim n’avait pas. Mais il ne partirait pas sans elle. Il était dans une impasse.
Alors sans crier gare, il plaqua sa main sur la bouche de l’homme tout en dégainant sa dague de l’autre. Il enfonça sans sourciller la lame dans la gorge du malheureux qui finit par s’écrouler au bout de quelques secondes dans un gargouillis peu ragoûtant. Le rohirrim jeta un regard inquiet aux alentours; par chance la ruelle étaient encore vide et aucun témoin n’était à signaler. Il venait de prendre un risque énorme mais avec un peu de chance le corps ne serait trouvé que dans quelques heures et la petite troupe serait alors loin des lieux. “Kryv! S’exclama-t-il. Comme promis vous voilà libre. Il nous faut partir vite à présent.”
Attendant la venue de la devineresse il avisa l’expression horrifiée de son ancien maîtres, les yeux écarquillés et le regard figé dans un sentiment de surprise. Lui qui avait sûrement mis de longues années à bâtir sa richesse ne s’attendait sûrement pas à tout voir disparaître si brusquement, par les mains d’un inconnu venu le tirer du lit pour lui trancher la gorge. Peut-être n’était-il pas un mauvais bougre? Il était même sûrement un maître magnanime envers ces esclaves, après tout Kryv ne semblait pas forcément maltraitée.
Peut-être était-il presque innocent? Et pourtant Learamn l’avait froidement abattu.
Ce n’était pas la première fois qu’il ôtait ainsi la vie de pauvres bougres. Ces meurtres lui avaient souvent donné envie de vomir et de tout arrêter.
Mais cette fois, indifférent, il ne ressentait plus rien.
The Young Cop
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C’était ce que Learamn était devenu en l’espace d’une seconde, quand il avait pris la décision de mettre fin à une existence pour en sauver une autre. Pas au cours d’un duel honorable l’épée à la main, pas à la suite d’un accident ou d’un geste involontaire… non. Il avait délibérément ôté la vie d’un homme sans défense. Toutes les justifications qu’il pouvait essayer d’apporter ne changeraient rien à la sinistre vérité.
En entendant la voix du Rohirrim qui l’appelait, Kryv était descendue précautionneusement, pour découvrir la scène de crime. Elle avait retenu un cri d’horreur, et avait fiché ses yeux dans ceux déterminés de Learamn, qui la dévisageait avec un mélange de rage contenue et d’indifférence. Étrange entre-deux dans lequel il semblait se complaire. La mort qu’il venait de donner ne paraissait pas l’émouvoir particulièrement, comme si les doigts griffus de Melkor glissaient sur ses épaules, sans parvenir à l’attirer dans le royaume de la culpabilité.
- Vous l’avez tué ? Demanda-t-elle sans y croire tout à fait.
Pour une devineresse, elle semblait particulièrement surprise. A croire que les actions de Learamn n’entraient pas le spectre de ce qu’elle pouvait prévoir. Elle se donna une contenance en dépit de la situation, et s’avança vers le corps de l’homme étendu par terre. Il avait le regard pétrifié dans sa dernière expression, la terreur et l’incompréhension. Curieux que d’afficher un air aussi perplexe à sa dernière heure, quand on vivait au quotidien avec une femme capable de voir le futur. L’ironie de la situation était d’une rare violence, teintée du carmin qui s’infiltrait dans le parquet soigneusement entretenu. A genoux devant lui, Kryv lui ferma délicatement les yeux… Elle n’avait jamais aimé l’homme, mais elle n’avait jamais haï son existence au point de lui souhaiter une telle mort.
- Adieu, fit-elle sur un ton difficile à cerner. Si vous m’aviez laissé regarder votre avenir, j’aurais peut-être pu vous éviter une fin aussi tragique…
Ce n’était pas de la compassion que l’on devinait dans sa voix. Plutôt un « je vous l’avais dit » qu’elle lui lançait comme pour lui reprocher de n’avoir jamais voulu d’elle autre chose que l’argent qu’elle pouvait lui rapporter. Elle lui adressa une brève prière en rhûnien, avant de se redresser, le regard résolu.
- Nous ne devons pas rester ici, les murs d’Albyor ont des yeux, et qui sait quels malheurs s’abattront sur vous si on vous identifie comme le responsable de tout ceci. Venez, je connais une sortie discrète.
Liés.
Ils l’étaient désormais, par le sang versé, et par leur fuite commune dans les rues d’Albyor, le souffle court, un œil dans leur dos pour s’assurer que personne ne les suivait. Sans qu’il en ait pleinement conscience, l’univers de Learamn venait de basculer.
La voix de Thrakan les sortit de leurs pensées tumultueuses, tandis qu’il pointait du doigt la silhouette solitaire de ce qui ressemblait à une tour de garde dressée sur les rives du fleuve. Le colosse se retourna vers ses compagnons, pour s’assurer qu’ils ne dormaient pas en selle, et jeta un coup d’œil particulièrement peu sympathique à Kryv, dont la présence au sein de la compagnie n’était pas pour lui plaire. Il avait fallu tous les talents de négociatrice d’Ava et la bonhommie de Khalmeh pour le convaincre d’accepter sa présence à leurs côtés. Learamn s’était porté garant pour la devineresse, ce qui n’était certainement pas un gage suffisant pour le Fléau de l’Ouest.
Il avait finalement accepté de mauvaise grâce de la laisser prendre part à leur mission, considérant qu’elle était la responsabilité de Learamn, et qu’il tiendrait ce dernier pour responsable si quelque chose devait mal tourner. Il n’y avait rien à ajouter au sujet, les deux hommes n’étant pas désireux d’abandonner leurs positions respectives. Kryv chevauchait ainsi parmi eux, ayant troqué sa tunique de devineresse pour un vêtement un peu plus discret de voyageuse. Elle ressemblait à une aventurière comme les autres, mais son regard ne trompait pas : il y avait de la sorcellerie chez cette femme. Thrakan se retint de cracher au sol pour conjurer le mauvais sort.
++ C’est une ancienne tour de garde de l’armée d’Albyor ++ Fit-il en rhûnien en mettant délibérément Learamn à l’écart de la conversation. ++ Elle date d’avant l’ère de Sharaman, et servait à contrôler l’accès du fleuve en amont, pour éviter les attaques. C’était là que s’arrêtait l’autorité d’Albyor ++
Il entendit derrière lui Ava qui faisait la traduction, ce qui l’agaçait moins qu’au début de leur voyage, mais qui n’était pas pour lui plaire. Les efforts qu’elle était prête à consentir pour intégrer cet étranger à leur groupe et, plus largement, à leur culture, le mettaient mal à l’aise. Il préférait voir les gens de l’Ouest morts ou réduits en esclavage. Il avait combattu souvent contre eux, à la fois en tant que soldat et en tant que mercenaire quand il avait quitté les rangs de l’armée régulière. Il savait de quoi ces monstres étaient capables, et il n’appréciait pas de savoir qu’un Rohirrim marchait à ses côtés. La seule raison pour laquelle il acceptait sa présence était que la Reine en personne l’avait ordonné.
Revenant à son observation, il pointa du doigt la route qui menait paresseusement à Lâm-Su.
++ Pendant la Guerre, Lâm-Su a été le lieu d’une grande victoire. Beaucoup des nôtres sont morts là où nous allons marcher. La tour a longtemps servi à protéger le fleuve, mais au début du règne d’Alâhan, elle a progressivement perdu sa fonction. Aujourd’hui, on n’y trouve que quelques administrateurs chargés de lever les taxes de la cité, dont le régent de Lâm-Su. C’est à l’embouchure de la Mer du Rhûn que l’on trouve les troupes royales, désormais. ++
Les connaissances de Thrakan sur la région étaient encyclopédiques, et révélaient une facette du guerrier qu’il n’avait pas encore révélée, et qui ne manquait pas d’étonner quand on connaissait son caractère habituellement taciturne. En réalité, Thrakan avait passé de nombreuses années stationné à Albyor et dans sa région quand il était encore soldat. Ce n’était pas l’affectation idéale, on la réservait en général aux fortes têtes et aux soldats qui avaient fait preuve d’insubordination. Il avait passé huit ans ici, et il connaissait bien les environs de la ville pour avoir patrouillé un nombre incalculable de fois dans ces plaines. Puisque son domaine d’expertise était la guerre, il était particulièrement bien informé sur l’histoire militaire de cette partie du royaume. L’entendre parler ainsi était rassurant, et donnait le sentiment qu’ils savaient où ils allaient.
Ils chevauchèrent encore quelques heures, découvrant un peu plus Lâm-Su et les vestiges de l’impressionnant système défensif, à la lueur du soleil déclinant. Un vieux mur d’enceinte, dont il ne restait plus que quelques sections intactes, entourait la tour de garde à proprement parler, qui s’élevait sur cinq niveaux – à en juger par le nombre de fenêtres. Elle surplombait la région, et permettait de voir de très loin les navires remonter le fleuve. Des meurtrières permettaient à des archers embusqués de tirer dans toutes les directions, et pendant un bref instant ils se sentirent à la merci de quiconque pouvait se trouver à l’intérieur. Personne ne leur tira dessus, fort heureusement, mais ils furent hélés par un homme qui se trouvait à l’entrée du fort, et qui leur demanda de s’identifier sans délai.
Thrakan se tourna vers Ava, la plus diplomate de toutes, qui se chargea de faire la conversation, et d’obtenir les autorisations nécessaires. On fit chercher le régent de la tour de garde, qui descendit pompeusement et examina les compagnons des pieds à la tête, avant de regarder le document royal officiel que lui tendait la « Femme de la Reine ». Tout ce protocole de vérification minutieuse laissait de l’espace aux membres de la compagnie, et Khalmeh fit signe à Learamn d’approcher.
Il parlait tout bas, observant de loin Thrakan et Ava qui discutaient avec l’administrateur en chef de Lâm-Su.
- Quand nous serons autorisés à monter à bord, trouvez un prétexte, n’importe quoi… j’aimerais bien que vous puissiez voir quelle est la nature de cette cargaison. Je sais qu’on ne devrait pas, mais j’ai l’impression qu’Ava nous cache quelque chose… Juste un petit coup d’œil rapide, hein ? Rien de méchant.
Il accompagna sa requête d’un sourire entendu, puis retrouva son sérieux quand Ava revint vers eux, visiblement satisfaite :
- Nous avons obtenu l’autorisation de procéder au contrôle du navire. Le sceau royal a encore de la valeur ici, contrairement à ce que vous pouviez penser Khalmeh. Leur seule requête est que nous ne pénétrions pas dans la tour, pour des raisons de sécurité. Nous pouvons nous installer dehors, et ils nous feront signe quand le navire approchera.
Khalmeh avisa les environs. Un grand espace vide bordé d’un côté par les restes du mur, et de l’autre par la tour et le fleuve. Un bâtiment en bois qui servait d’écuries, et un autre dans lequel étaient stockées quelques vivres. Tout à coup, leur auberge d’Albyor leur manqua, elle qui avait au moins un toit et un matelas relativement confortable. Cela s’apparentait au grand luxe, en comparaison des conditions dans lesquelles ils allaient devoir attendre. La terre était sèche et dure, poussiéreuse, et parsemée de petits cailloux qui leur rentreraient dans les reins s’ils essayaient de s’allonger. Ils s’installèrent rapidement, montant un camp de fortune pour passer le temps, en attendant l’arrivée du navire. Khalmeh s’en alla nourrir son Uruk, Kryv s’absorba dans une contemplation méditative du fleuve, Thrakan s’appliqua à affûter son épée, et il ne resta plus – comme souvent – que Ava et Learamn.
- J’ai du mal à croire que nous soyons déjà arrivés si loin, lâcha-t-elle, pensive. Lâm-Su, le navire, et nous serons en route pour Blankânimad avant d’avoir pu y songer. Vous pourrez trouver une bien meilleure situation une fois que vous aurez rempli votre devoir au nom de la Reine, sachez-le. Elle peut paraître impitoyable, mais elle sait récompenser à leur juste valeur ceux qui la servent bien.
« Et punir de manière exemplaire les autres… » se retint-elle d’ajouter. Elle espérait de tout cœur que la générosité de Lyra lui permettrait de retrouver le cours normal de son existence. Pour tuer le temps, en attendant de pouvoir poursuivre leur mission, elle reprit les exercices avec Learamn, vérifiant sa coordination, sa motricité, sa souplesse, et évaluant les nouveaux axes de travail qu’elle entendait définir. Elle le fit danser un peu, sans qu’il fût très clair si cela participait de sa rémission ou si c’était simplement pour le plaisir de présenter une facette très différente de lui devant leur nouvelle compagne de route. Ils rirent un peu, se racontèrent des histoires au coin du feu, et firent preuve d’inventivité pour se divertir, allant jusqu’à confectionner une balle avec quelques fétus de paille qu’ils trouvèrent là.
Les heures passèrent, tissées patiemment par Melkor qui prenait de toute évidence un malin plaisir à les faire languir. Le jour descendit progressivement à l’Ouest, là où se trouvait la terre natale du jeune Rohirrim. En suivant la trajectoire de l’astre solaire, il pouvait deviner à peu de choses près où étaient les siens, le royaume qu’il avait quitté. Derrière lui, là où s’étirait son ombre de plus en plus grande, se trouvait la capitale du Rhûn, et sa nouvelle maîtresse. La perspective d’entrer à son service était-elle toujours aussi alléchante désormais qu’il parcourait son royaume et accomplissait sa volonté ? Devrait-il retourner à Albyor si la souveraine l’exigeait ? Ou pourrait-il se prélasser dans le confort indécent de Blankânimad ? A moins qu’il fût envoyé affronter de nouveaux ennemis dont il ignorait tout… Le Rhûn recelait encore bien des mystères.
++ Navire en vue ! ++
Une voix forte résonna au sommet de la tour de garde, et tout à coup Lâm-Su s’agita. Les administrateurs étaient une demi-douzaine, pour la plupart des comptables et des experts de la négociation fluviale, chargés d’examiner les marchandises, leur prix, et de définir la taxe correcte à appliquer. Ils se pressèrent comme des souris sur le ponton près duquel le navire devait s’arrêter. La petite compagnie menée par Ava s’approcha à son tour du fleuve, pour découvrir leur cible. C’était une grande barge de transport à fond plat, conçue pour circuler sans difficulté dans les eaux les moins profondes, et ainsi remonter les fleuves en toute tranquillité. Quelques hommes s’affairaient sur le pont, signalant leur présence par de grands gestes du bras. Ils mirent un moment à arriver, et furent accueillis par une délégation qui comprenait à la fois les administrateurs du poste de garde, ainsi que la compagnie d’Ava.
++ Bonjour capitaine, j’espère que vous avez fait bon voyage ++ Lança le régent. ++ Ces hommes sont ici au nom de Sa Majesté Lyra, avec un mandat pour récupérer une partie de votre cargaison. Ils l’achemineront personnellement à Blankânimad… ++
La traduction de Kryv permit à Learamn de comprendre la réaction agacée du capitaine, et la brève négociation qui suivit. Décharger la cargaison, cela impliquait un retard à l’arrivée, qui ne plairait certainement pas à ses clients, ni à ses hommes qui avaient hâte de rejoindre enfin leur foyer. Surtout, le capitaine espérait toucher une part de la somme convenue pour le transport de la marchandise. Si elle n’arrivait pas à destination, il ne serait pas payé, et aurait fait tout ce voyage pour rien. La maigre compensation financière que lui offrirait Ava ne vaudrait jamais l’argent qu’il aurait pu gagner lui-même à Albyor. Il voulut lui-même vérifier le document que portait Ava, et se montra intraitable dans l’observation du sceau royal, essayant de déceler s’il pouvait s’agir d’un faux.
Pendant qu’il procédait à cet examen minutieux, Khalmeh se tourna discrètement vers Learamn, et lui adressa un signe de tête, comme pour l’enjoindre à aller examiner la cargaison. C’était le moment où jamais.
~ ~ ~ ~
Les entrailles puantes du navire n’étaient pas un endroit charmant, et Learamn devait s’habituer à la fois à l’obscurité oppressante et à l’odeur de renfermé qui rendait le tout irrespirable. Des formes mouvantes se déplaçaient dans les ombres, probablement des rats qui habitaient les cales et filaient pour échapper au halo de lumière sur le point de les cueillir dans leur tanière. L’équipage était composé de quelques marins expérimentés venus d’un peu partout, et de rares passagers qui venaient des rives de la Mer du Rhûn et avaient acheté un transport peu cher – et peu confortable – pour Albyor et les terres orientales du royaume.
C’était Ezziz qui lui avait raconté tout ça.
Le capitaine lui avait ordonné d’accompagner Learamn, visiblement content de trouver une occupation à cet homme qui parlait beaucoup, et qui semblait ne jamais manquer de faire un commentaire ou une remarque sur tout ce qu’il ne comprenait pas – c’était à dire, beaucoup de choses. Il venait du Harad, et était arrivé au Rhûn deux ans auparavant, où il était entré au service de plusieurs employeurs, avant de prendre part à une grande expédition vers l’Ouest. Il évoqua un comptoir commercial, quelques tensions politiques entre le Rhûn et ses voisins… beaucoup de choses qui n’avaient pas d’importance, et qui n’avaient rien à voir avec la conclusion de son histoire : son retour au Rhûn sur ordre de son employeur.
Ezziz était décidément bien bavard, mais toujours de bonne humeur, et surtout il parlait mieux le Westron que la plupart des Rhûnedain, ce qui signifiait qu’il était plus facile d’entretenir une conversation avec lui. Curieux comme, sur ces terres lointaines et méconnues, deux étrangers venus de contrées bien différentes pouvaient soudainement se trouver avoir beaucoup plus en commun qu’ils ne le pensaient.
- Ouais, fit-il en arrivant dans une section du navire qui ressemblait à toutes les autres, c’est bien la cargaison qu’on va devoir débarquer. Par Melkor, ça va demander un sacré boulot, vous n’imaginez même pas. Je comprends pas pourquoi on n’attend pas d’arriver à Albyor, on aurait plus de bras pour la sortir, on se fatiguerait moins.
Le marin avait raison, et Learamn n’imaginait pas à quel point. Il y avait devant eux un assortiment de caisses de belle taille, qu’il faudrait au moins quatre hommes pour manipuler sans difficulté. Elles étaient de forme régulière, et il serait possible de les empiler dans le chariot et, à condition de les attacher solidement, de prendre la route. Cependant, un problème subsistait : leur nombre. Il y en avait bien plus qu’il ne pouvait les compter, soigneusement empilées dans le ventre du navire, attendant d’être déchargées par des mains bien plus nombreuses que les leurs, et transportées par un convoi plus important. Le calcul était simple. Vu leur taille et leur poids, il faudrait au moins deux chariots comme le leur pour acheminer l’entièreté de la marchandise. Deux chariots vides, ce qui impliquait de devoir se débarrasser de la cage de l’Uruk d’une manière ou d’une autre… Ava était-elle au courant de cette première difficulté, qui semblait déjà insurmontable ? Comment le dire ?
Alors que Learamn observait la cargaison, il y eut de l’agitation au dehors. Un homme fit quelques pas dans les cales :
- Ezziz ! Ezziz !
Le Haradrim répondit dans une langue qui mélangeait plusieurs influences, mais qui ne ressemblait certainement pas au rhûnien que Learamn entendait depuis son arrivée ici. Peut-être un idiome partagé entre marins Haradrim ? Quoi qu’il en fût, le dénommé Ezziz qui l’accompagnait s’excusa platement :
- Désolé monsieur, je dois aller voir ce qui s’passe. Je reviens tout de suite.
Et il s’évanouit sans rien ajouter, laissant Learamn et sa lanterne, seuls au milieu du navire. Il avait tout le loisir de faire ce qu’il souhaitait. Jeter un coup d’œil discret à la cargaison, comme le lui avait recommandé Khalmeh ? Ou bien se comporter comme un fidèle de la Reine, ne pas poser de questions et simplement faire son devoir. C’était ce qu’aurait fait Ava, assurément. Il n’avait pas beaucoup de temps pour contempler ses options et prendre une décision, car Ezziz pouvait revenir à tout moment, et qui pouvait dire ce qu’il penserait de le voir penché sur le contenu d’une de ces caisses mystérieuses ?
C’était Thrakan qui les avait repérés le premier. Il lâcha un juron particulièrement élaboré dans propre langue, maudissant son inattention, et celle de tous ceux qui se trouvaient là. L’arrivée du navire et la relative sécurité qu’induisait la proximité d’Albyor avaient probablement fait retomber la vigilance des administrateurs de Lâm-Su. Si la sentinelle au sommet de la tour avait fait correctement son travail, au lieu de regarder les tractations qui se déroulaient en contrebas, elle aurait probablement pu repérer depuis fort longtemps l’arrivée d’un groupe de cavaliers qui venaient de l’Est. De la Cité Noire. Impossible de dire combien ils étaient, ni quelle était leur allégeance. Des réguliers de l’armée royale venus pour leur prêter main-forte ? Des Miliciens en patrouille dans la région ? Ou bien, comme il le pressentait, une menace bien plus sournoise et diffuse ? Tout ce qu’il pouvait dire, c’était qu’ils allaient vite, et qu’ils étaient nombreux. Plus nombreux que les six membres de sa petite compagnie.
Une partie de lui espérait que ce ne serait qu’un malheureux hasard, des hommes envoyés hors des murs d’Albyor pour une toute autre raison – pour appréhender des esclaves en fuite, ou bien pour essayer de capturer des trafiquants. Cependant, il ne croyait plus aux coïncidences depuis longtemps. On les avait suivis jusqu’ici, et les raisons ne pouvaient être qu’inquiétantes.
++ Ava ! ++ Rugit-il. ++ Ava ! Amène les chevaux ! ++
La jeune femme était encore affairée à négocier avec le capitaine, et elle ne comprit pas immédiatement ce que lui disait le Fléau. Il fallut qu’il lui désignât les cavaliers qui approchaient dans la pénombre pour que son cerveau fît le lien.
++ Merde ! Capitaine, ces hommes en ont probablement après votre cargaison. Au nom de Sa Majesté Lyra, ils ne doivent pas s’emparer, est-ce clair ? ++
Le malheureux hocha la tête. C’était un marin, un marchand qui avait déjà dû manier le sabre deux ou trois fois pour sauver sa vie, mais qui n’était certainement pas un soldat. Cette histoire le dépassait. Il fit appeler ses hommes pour les rassembler et définir avec eux la marche à suivre. Il ignorait s’il devait reprendre la route vers Albyor, ou bien laisser la « Femme de la Reine » résoudre ce problème. En l’absence d’ordres, il se contenta de dire à ses marins de prendre leurs armes, et de se rassembler autour de lui. Pendant ce temps, Thrakan continuait à distribuer ses directives. Les administrateurs, qui devaient évaluer la marchandise pour prélever les taxes, paraissaient ne pas savoir quoi faire.
++ Hors de mon chemin ! ++ Tonna-t-il en les repoussant du bras. ++ Kryv ! Allez chercher Learamn ! Dépêchez-vous ! Khalmeh ! Khalmeh ! Bon sang, mais où êtes-vous !? ++
Il le chercha du regard, sans trouver trace de lui. Il n’était ni près du bateau, ni près de la tour. Près du camp ? Près de la porte ? Occupé à prendre la fuite comme le lâche qu’il était ? Thrakan se retourna, mais ses yeux avisèrent une scène qui le figea sur place. Ava s’était élancée pour récupérer les chevaux et les mettre en lieu sûr. Ils étaient leur seule garantie de pouvoir s’échapper si nécessaire, et elle en avait parfaitement conscience. Alors, appliquée comme d’habitude, elle avait fait en sorte de détacher une à une chaque monture, au lieu de simplement trancher leurs brides pour les guider à l’abri.
++ Ava ! ++
Ce fut tout ce qu’il trouva la force de crier, au moment où les cavaliers pénétraient en masse par les brèches dans le vieux mur d’enceinte. Le vacarme des sabots de leurs chevaux était terrible, et donnait envie de claquer des dents. Ils soulevèrent un nuage de poussière en freinant, tandis que leurs bêtes poussées à l’extrême s’étaient mises à renâcler et à piaffer. Le Fléau nota immédiatement que ce n’étaient pas des soldats. Pas d’équipement régulier, ni d’armure distinctive. Ils n’avaient même pas l’air de Miliciens. Plutôt d’une bande de maraudeurs armés, trop organisés pour être de vulgaires bandits cependant. Le guerrier se retrouva instantanément séparé de Ava, qui était présentement de l’autre côté de la cour. Entre lui et elle, une quinzaine d’hommes, et d’autres encore qui arrivaient à la suite des premiers, lourdement armés. Ils repérèrent la jeune femme, et lui barrèrent la route sans rien tenter encore. Tout dépendrait des ordres qu’ils recevraient.
Le chef des cavaliers avisa la situation d’un seul coup d’œil et, vit venir l’administrateur en chef qui descendait à sa rencontre, l’air particulièrement contrarié. En effet, il n’était pas habituel de pénétrer ainsi à Lâm-Su, et ces hommes auraient besoin d’une justification solide pour légitimer leur présence en si grand nombre en ces lieux. Le meneur de la compagnie lui lança dans un rhûnien très approximatif :
++ Je suis Durno, je viens en le service de Jawaharlal. Vous… Arrêter tout de suite ! Ces hommes se être des mensonges. Ils sont être des voleurs ! ++
L’administrateur fronça les sourcils devant cette pathétique tentative de l’impressionner. L’homme était de toute évidence un étranger, à en juger par son vocabulaire limité et son air clairement originaire d’Outre-Anduin. Ce misérable osait lui donner un ordre ? Inconscient du danger que représentaient ces nouveaux venus, il rétorqua avec une belle assurance :
++ Je suis le régent de Lâm-Su, et je ne réponds qu’à Sa Majesté la reine Lyra, et au gouverneur Hagan, pas aux suppôts de Jawaharlal et à ses supposés représentants. Rangez vos armes, et retournez dans votre antre, avant que je ne fasse appeler la garde qui viendra vous châtier ! ++
Des paroles fort braves, qui signèrent l’arrêt de mort du malheureux. Thrakan, n’eut pas le temps de réagir, que déjà le dénommé Durno dégainait son arme et l’abattait sur le crâne qui s’offrait à lui en sacrifice. La mort emporta cette première âme avant que quiconque eût compris exactement quels étaient les tenants et les aboutissants de cette affaire. Il était certain, toutefois, que la confiance était du côté des Melkorites qui semblaient agir en toute impunité, sans se soucier outre mesure des conséquences. La lame dégoulinante de sang frais vint se pointer vers les autres administrateurs.
++ La volonté de Melkor, loué soit-Il ! Nous sont être les représentants de Jawaharlal, le Grand Prêtre ! Écartez ou mourez-vous ! ++
Ils s’exécutèrent, comme tout le monde à Albyor. L’autorité grandissante de Melkor n’était pas prise à la légère, et si ces hommes pouvaient tuer un représentant du gouverneur sans sourciller, alors les vies de vulgaires exécutants n’avaient aucune valeur.
++ Bien… ++ Fit Durno, avant de reprendre en Westron à l’attention de ses hommes qui étaient tous, à l’évidence, étrangers au Rhûn. Maintenant arrêtez-moi ces chiens, nous les amènerons devant le Grand Prêtre qui sera sans doute curieux de savoir pourquoi ils s’intéressent à ses affaires. Allez !
Deux hommes descendirent de selle, et se dirigèrent vers Ava. Cinq autres firent de même en direction de Thrakan, qui était certes beaucoup plus impressionnant et méritait une attention toute particulière. Une dizaine d’autres mit le cap sur le navire, où les marins qui tremblaient de peur paraissaient hésiter quant à la marche à suivre. Mourir ne faisait certainement pas partie de leur programme du jour, et les deux Haradrim qui composaient l’équipage reculaient déjà pour éviter d’être pris pour d’éventuels obstacles.
Juché sur sa monture, Durno observait la situation avec le calme qui le caractérisait. Une concubine royale et son escorte, en route pour Lâm-Su afin de récupérer la précieuse cargaison… Il avait reçu le message dans la journée, d’un informateur qui parlait vite et de manière pas très claire, mais qui avait tout de même réussi à lui transmettre la substance du message. Les détails n’étaient pas très importants dans ce genre d’histoire, et il avait filé sans tarder, en bonne compagnie, paré à toute éventualité.
Une vingtaine d’hommes pour appréhender deux ennemis de Melkor.
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1078 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Perplexe, Learamn se gratta lentement la tête avant d’adresser un regard indécis à Ezziz.
Ce dernier l’avait conduit dans les entrailles obscures du navire marchand. Le Haradrim était un homme bavard et n’avait pas cessé de parler au rohirrim depuis qu’il avait reçu l’ordre de l’accompagner auprès de la fameuse cargaison dont les marins eux-mêmes semblaient ignorer la nature, ou même l’importance. L’émissaire de Lyra se montrait beaucoup plus taiseux et se contentait de répondre à son interlocuteur par des phrases très courtes ou même de simples mouvements de tête, il semblait particulièrement concentré sur sa mission. Au contraire de son guide, qui voguait sur les mers depuis bien longtemps déjà, il avançait d’un pas gauche. Ce n’était pas la première fois qu’il montait sur un navire, il avait vogué sur la mer du Rhûn pour rallier Blankânimad quelques semaines plus tôt, mais il était indéniable qu’il était plus à l’aise sur la terre ferme que sur un bâtiment qui tanguait au gré des mouvements du fleuve. Il manqua même de trébucher sur l’étroite planche sur laquelle ils marchaient et sa blessure au pied se rappela à ses bons souvenirs par le biais d’une douleur subite qui disparut aussitôt. Grâce aux soins d’Aelyn et les entraînements d’Ava, Learamn n’était quasiment plus handicapé dans ses déplacements habituels même si parfois le traumatisme qu’il avait subi ressurgissait dès qu’il faisait des mouvements un peu brusques. Un tel mal ne disparaissait pas ainsi aussi vite, peut-être même ne partirait-il jamais.
Alors qu’ils s’enfonçaient de plus en plus profondément dans l’immense cale, l’odeur de renfermé mêlée à celle de vivres avariées qui avait dû être oubliée dans un coin devint progressivement très désagréable. Etait-ce donc cela le fameux air de la mer? Il apposa la manche de sa chemise sur son nez et continua sa route tout en repensant aux évènements récents qui s’étaient enchaînés à toute vitesse depuis son départ de l’auberge. Il y avait bien sûr eu le meurtre du maître de Kryv. L’acte en lui-même ne troublait pas son esprit plus que cela, il avait un objectif à remplir et ne pouvait se permettre de perdre du temps en négociant avec cet homme pour libérer la devineresse. Il avait fait ce qu’il devait faire. La mort de ce pauvre bougre ne le réjouissait pas vraiment et il n’avait pris aucun plaisir à ôter la vie mais il n’éprouvait pas le moindre regret, convaincu d’avoir fait le bon choix. Au moment ou un semblant de culpabilité était monté dans son esprit, il l’avait rapidement balayé en se disant qu’il avait abattu un esclavagiste. Sa main avait été celle de sa justice. Justification bien pratique pour lui, même si ,au fond, il savait qu’elle ne tenait pas. Khalmeh était aussi un esclavagiste; et il le considérait pourtant comme un homme respectable, comme son ami. Mais ce n’était pas le moment de se laisser distraire par de telles considérations éthiques. En réalité ce qui le préoccupait le plus à propos de ce crime s’agissait du temps que mettrait les autorités locale à trouver et identifier le corps et si elles trouveraient des indices compromettants leur permettant de remonter la piste jusqu’à lui; ce qui pourrait grandement compromettre la mission ou même son statut. Il avait gardé le silence sur la façon dont il avait délivré la voyante, ses compagnons de voyages semblaient déjà assez indisposés par sa seule présence, inutile de rajouter un meurtre à l’équation. Kryv n’avait d’ailleurs pas prononcé le moindre mot et s’était contentée de chevaucher légèrement en retrait et de soutenir d’un air fier le regard suspicieux de Thrakan.
Ce dernier avait parfaitement planifié le déroulement de leur mission et pour le moment tout se passait comme prévu. Le colosse avait passé de longues années en poste dans la région et semblait la connaître comme personne; il avait donc logiquement prit la tête du petit groupe jusqu’à l’avant-poste de Lâm-Su. L’intendant qui s’y trouvait était un fidèle de la Reine, chose pas forcément évidente à Albyor, et après un examen minutieux de leurs documents officiels avaient décidé de les laisser passer. Soulagé d’avoir franchi le premier obstacle sans encombre, Learamn s’était placé à l’ombre de la menaçante tour de garde et avait tué le temps en compagnie d’Ava, une fois de plus. Ce moment passé avec la jeune femme lui avait momentanément oublié la gravité de la situation et les risques qu’ils encourraient toujours. L’insouciance de deux jeunes gens. Une innocence dérobée à ces âmes tourmentées par la cruauté de ce monde, mais qui réapparaissait parfois par à-coups. Tout ce temps là, Kryv était restée discrète, plongée dans une profonde méditation que nul n’avait voulu interrompre.
Puis le navire était arrivé et alors qu’Ava se chargeait des détails administratifs avec le capitaine, Learamn était monté à bord pour vérifier que la cargaison se trouvait bien dans al cale. Elle était bien là. Et quelle cargaison! Des dizaines de grandes caisses en bois sombres s’étalaient devant eux, elles étaient larges et probablement très lourdes. Elles avaient été sculptées de telles manières afin que l’on puisse en empiler plusieurs l’une sur l’autre dans un chariot ( qu’ils n’avaient pas) mais il y en avait bien trop. En l’état il n’avait absolument aucune idée de comment ils pourraient descendre tout cela du navire sans y passer la journée, sans parler du trajet vers Blankânimad. Pour le coup, Learamn qui ne savait rien de la nature de ce “trésor’ n’était pas à blâmer mais cela le surprenait que Thrakan ou Ava n’aient pas mieux préparé leur coup. Eux, étaient censé être au courant. Lyra même était probablement en faute en n’envoyant qu’une compagnie si réduite pour se saisir d’un butin aussi massif. A moins que cela ne fut prémédité de sa part. Une telle erreur risquait de compromettre leur tâche de manière bien frustrante. Tout s’était déroulé de manière quasiment parfaite jusque là et voilà qu’il reviendrait peut-être bredouille pour un souci de transport. “Et la cargaison c’est tout ça ?” demanda le rohirrim toujours aussi incrédule “- Exact et je crois qu’il y en a encore un peu derrière.” lui répondit Ezziz d’un air détaché avant de répondre à l’appel pressant de son supérieur.
Le marin quitta les lieux sans que Learamn n’y prête attention. Un peu désespéré, l’ancien capitaine regarda autour de lui à la recherche d’une quelconque solution miraculeuse à son problème. Mais rien. La curiosité se fit alors ressentir. Désormais seul, il pouvait sans risque jeter un coup d’oeil à l’intérieur d’une de ces mystérieuses boîtes. Elles étaient si nombreuses… Que pouvaient-elle bien cacher ? De l’or? Des trésors? Il avait beau chercher, il ne voyait pas ce que Lyra pouvait désirer si fortement pour prendre autant de risques dans le seul but de ramener ces caisses. Au fond, il brûlait vraiment d’envie d’avoir enfin une réponse à cette question qui l’assaillait depuis leur départ de la capitale. Ava et Thrakan avaient été très évasif au sujet de la cargaison. Khalmeh lui avait demandé de jeter discrètement un coup d’oeil quand il en aurait l’occasion à l’intérieur du navire mais cela semblait trop facile. Il avait été envoyé seul dans ce navire pour inspecter les caisses; peut-être était-ce une sorte de test imaginé par la Reine pour tester sa loyauté. Et puis il avait déjà trahi la confiance d’Ava avec la libération de Kryv, il ne désirait pas la décevoir une deuxième fois. Il n’esquissa finalement pas le moindre geste en direction des caissons.
Alors qu’il s’apprêtait à faire demi-tour pour annoncer la mauvaise nouvelle du transport à ses compagnons, la voix tonitruante de Thrakan se fit entendre jusqu’à l’intérieur du navire. Le guerrier, d’ordinaire taiseux et taciturne, aboyait avec véhémence et une pointe de panique était perceptible dans ses cris. De toute évidence il y avait un problème. Sur ses gardes, il fit demi-tour en direction du pont et à mesure qu’il s’en approchait, des hennissements et des piétinements de sabots se faisaient entendre de plus en plus clairement. Des cavaliers; et à priori pas des alliés.
Arrivé à l’entrée de la cale et dissimulé derrière le cordage épais du mât, le jeune homme risqua un coup d’oeil en direction de Lâm-Su. Le lieu avait été investi par un grand nombre de cavaliers. Ces derniers ne revêtait aucune armure ou bannière officielles mais ne ressemblaient en rien à des brigands désorganisés qui vagabondaient sur les routes de l’Est. Ils étaient lourdement armés et menaçants; le corps sans vie de l’intendant en était la preuve. Ces assaillants avaient savamment encerclés Thrakan, identifié à raison comme principale menace, ainsi que les administrateurs. Ava se trouvait plus loin, isolée, et elle aussi entre les griffes de ces prédateurs. Le regard du rohirrim s’attarda de longues secondes sur le visage délicat de la belle, figé par la peur irrationnelle que lui inspiraient ces hommes. Sa première pensée fut de bondir sur le rivage et se précipiter auprès d’elle pour se défendre à ses côtés. Mais il se retint. Il n’avait aucune chance d’atteindre la jeune femme et leurs ennemis leur avaient bien fait comprendre ce qui arriverait à ceux qui ne se pliaient pas à leurs exigences. Son attention se porta alors sur ces mystérieux cavaliers venus en nombres, en trop grand nombres. Il ignorait tout de leurs intentions mais il avait côtoyé assez de guerriers pour voir qu’au vu de leur attitude et leur dégaines, ils s’agissaient de combattants expérimentés et entraînés. En affrontement direct, et sans l’aide d’un Thrakan déjà maîtrisé, le capitaine n’avait pas la moindre chance. Il chercha du regard Kryv mais elle était introuvable; peut-être avait-elle usé de sa sorcellerie pour disparaître aux yeux de tous. Elle ne manquait pas de ressources. Pas de trace non plus de Khalmeh ou de l’Uruk, qui aurait finalement bien été utile dans cette situation précise malgré les réserves qu'entretenait Learamn à son sujet. Après tout ce qu’il avait traversé au côté de l’esclavagiste, ce dernier aurait-il pu détalé sans un regard en arrière? Etait-ce seulement un choix judicieux? Il ne pouvait sûrement pas aller bien loin à pied, accompagné de son monstre de compagnie. La situation était bien délicate, d’autant plus que plusieurs cavaliers avaient mis pied à terre et se dirigeaient à présent vers le vaisseau flottant d’un pas déterminé. Mais la surprise ne vint pas de là.
Il sentit qu’on tentait de le saisir par l’épaule.
Par réflexe, le cavalier se retourna rapidement, la main sur le pommeau de son épée. Face à lui se trouvait la mine quelque peu déconcertée de Kryv, surprise par cette réaction épidermique pour une simple main posée sur l’épaule. Le jeune homme reprit sa respiration, légèrement soulagé: “Bien; vous êtes là.’” dit-il dans un souffle.
Il posa une main qui se voulait rassurante sur son épaule, mais celle-ci était bien tremblante. “Kryv ne vous inquiétez pas… Cela ne se finira pas ici pour nous hein; c’est ce vous avez vu dans l’avenir, il y a un après…”
Des cris de douleurs venant de l’avant poste coupèrent le rohirrim qui devenait de plus en plus nerveux. “Allez!” fit-il en désignant du doigt la volée de marches qui descendait en direction de la cale.
Il se rua vers le lieu désigné, la devineresse sur ses talons. Il y retrouva Ezziz et plusieurs autres marins, complètement tétanisés. Face à ces pauvres hères, Learamn s’arrêta dans sa course, se saisit d’une vieille lame rouillée qui traînait sur un tonneau à côté de lui et la tendit fermement à Ezziz. “Bon sang Ezziz! Reprenez vous! Vous tous! Ne voyez-vous pas que ces hommes ne sont pas disposés à négocier ? Ils en ont après nous de toute évidence mais n’ont nulle intention de vous épargner, ni même de vous capturer vivant. Vous avez vu ce qu’ils font aux administrateurs? Alors défendez chèrement vos vies! Du cran messieurs!”
Il adressa une petite tape sur l’épaule de Ezziz avant de s’engouffrer à l’intérieur de la cale, laissant les marins à leur sombre destin. Ceux-ci ne feraient pas longtemps le poids mais au moins pouvaient-ils lui faire gagner un peu de temps. Il ne savait même pas s’ils avaient compris ses paroles prononcées dans un westron aux accent rohirriques.
Alors qu’ils progressaient à nouveau dans les entrailles du navire, en quête d’une autre issue, il demanda à sa partenaire d’infortune. “Bon sang Kryv! Qui sont ces hommes?”
Sans attendre sa réponse, il s’arrêta net et se tourna vers elle avec sa dague à la main, la poignée tendue vers l’ensorceleuse. “Tenez; j’ignore comment vous vous défendez mais cela pourrait vous être utile.”
Puis ils reprirent leur avancée qui les mena jusqu’à la fameuse cargaison si convoitée. Celle-ci avait été placée au fond du navire et il était donc impossible d’aller plus loin. Il n’y avait pas d’autres issues. Derrière eux, il entendit des bruits de lutte; l’ennemi arrivait. Ils étaient coincés comme des rats.
Envoyant tout au diable, Learamn se saisit de son épée et se dirigea vers la caisse la plus proche de lui. Quitte à mourir ici, alors il comptait bien savoir pourquoi. Et puis qui sait, peut être cette boîte contenait un objet magique qui pourrait les tirer d’affaires.
D’un coup d’estoc puissant, il fit sauter le cadenas qui scellait le caisson. Il l’ouvrit du pied et se pencha pour découvrir son contenu. Les yeux écarquillés par la surprise.
The Young Cop
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Le navire les piégeait aussi sûrement qu’une souricière, coupant leur retraite, les emmenant toujours plus profondément dans les cales depuis lesquelles ils pouvaient entendre les hurlements déchirants de l’équipage que l’on massacrait. Leurs ennemis étaient déterminés, et nul ne se dresserait sur leur chemin sans en subir les conséquences. Une mort immédiate, qui était peut-être préférable à toutes les tortures qu’on leur infligerait s’ils étaient pris vivants. Kryv frissonnait de la tête aux pieds, agitée de tremblements nerveux chaque fois qu’elle percevait un nouveau cri. C’était comme si une part d’elle mourait à chaque fois qu’une vie s’éteignait, et elle en avait presque le souffle coupé et les larmes aux yeux…
Elle suivait aveuglément le Rohirrim, qui s’efforçait de la rassurer comme il le pouvait. Ce n’était pas la perspective de sa propre fin qui l’inquiétait le plus, cependant… c’était de savoir ce que ses ennemis feraient d’elle et de ses étranges capacités s’ils la reconnaissaient et décidaient de la mettre au service de sombres desseins.
Elle trébucha sur une marche inégale, et manqua de s’écrouler.
- Ce sont des hommes du Grand Prêtre. Je reconnais leur chef, Durno…
Rien d’autre ne sortit de sa bouche, tant la terreur la pétrifiait. Le Grand Prêtre, Jawaharlal en personne… L’idée même entrer à son service et de faire les basses besognes d’un homme tel que lui avait de quoi lui donner la nausée. Les sévices qu’elle endurerait avant de finalement céder à ses sombres désirs de pouvoir et de conquête ne seraient qu’une goutte de sang dans l’océan de ses tourments, quand il aurait enfin réussi à la briser. Des images d’une rare violence firent irruption dans son esprit, s’imposant à elle en une vision saisissante dont elle ne pouvait pas se détourner. Incapable de bouger, les yeux grands ouverts, elle fixait le lointain en y voyant non plus la cale et la promesse d’une mort douloureuse, mais bien la perspective encore plus terrible d’une vie entière de servitude…
- Kryv…
Elle cligna des yeux. Jawaharlal se tenait là, le corps brisé par les innombrables scarifications qu’il s’était infligé lui-même, mais l’esprit toujours alerte et vif. Elle était parfaitement soumise à la volonté de ses yeux délirants, qu’il plongeait en cet instant dans les failles de son esprit, pour en extraire la vérité.
- Oui, mon maître…
Les mots sortaient mécaniquement de sa bouche, et le Grand Prêtre s’approcha d’elle, tendant une main blême vers sa gorge. On aurait dit les griffes acérées d’un faucon, prêtes à lui transpercer la chair.
- Kryv… Essaie encore de lire Son avenir… Tu dois y arriver… Je sacrifierai autant d’âmes que nécessaire. Même si pour cela je dois immoler la moitié de ce royaume…
Des larmes se mirent à couler sur les joues de la jeune femme, au moment où les doigts du Grand Prêtre se refermaient sur elle.
- Learamn !
Le cavalier venait de surgir dans son univers, à tel point qu’elle avait sursauté en le voyant, alors qu’il se trouvait à seulement quelques centimètres de son visage. Combien de temps était-elle restée dans cet état ? Quelques secondes ? Quelques heures ? Probablement un bref instant, car elle était toujours vivante, libre, et les bruits de combat continuaient de résonner derrière eux. Elle cligna des yeux, revenant à la réalité. La cale. L’obscurité. Les Melkorites…
Fuir.
- Venez, fit-elle en se relevant. Nous ne devons pas rester ici.
Learamn l’arrêta un instant, et entreprit de lui offrir sa dague. Une arme dérisoire face à la menace qui les poursuivait, mais qui pouvait effectivement se révéler utile le moment venu. Kryv ne put s’empêcher de manifester de la surprise. C’était la première fois de sa vie qu’elle se voyait confier une arme : les maîtres n’aimaient pas donner de tels objets à leurs esclaves en règle générale, et elle-même n’avait dû tenir une lame effilée qu’une poignée de fois dans sa vie. Sentir le poids de cet instrument de mort entre ses doigts lui rappela qu’elle était désormais libre, et en capacité de prendre ses décisions. Vivre ou mourir. Combattre ou attendre sagement la fin qui lui était promise. Prendre sa propre vie, si elle l’estimait nécessaire.
Elle contempla l’objet pendant un bref instant.
Learamn avait-il songé à cette éventualité ? Lui confiait-il une arme de sorte qu’elle préservât sa liberté dans l’après-vie, plutôt que d’être constituée prisonnière ? Ou bien espérait-il seulement qu’ainsi armée, elle lui apporterait un appui décisif dans le combat qu’ils seraient contraints de mener ? Elle avait ressenti toute la fureur de ses sentiments contradictoires, et décelait en lui un désir profond de mourir au champ d’honneur, couplé à une rage de vivre qu’elle n’avait encore jamais rencontrée. Ils étaient peut-être plus proches qu’elle ne l’avait pensé à l’origine.
- Merci, lâcha-t-elle sans parvenir à mettre dans ce simple mot la moindre émotion.
La situation demeurait critique pour les deux fugitifs, qui n’étaient pas encore sortis d’affaire. Learamn, fort heureusement, semblait savoir où il allait. Il naviguait dans le navire avec aisance, et les conduisit jusqu’à la fameuse marchandise qu’ils étaient censés transporter jusqu’à Blankânimad. L’objet de toutes les convoitises, qui semblait déchaîner les passions ici à Albyor, et inquiéter la reine au premier chef. Kryv ne put s’empêcher de marquer un temps d’arrêt quand Learamn abattit son épée sur le cadenas qui fermait l’une d’entre elles.
- Vous êtes sûre que… ?
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, que déjà le Rohirrim se penchait sur le trésor, qui les laissa tous deux passablement stupéfaits.
La situation était bien pire qu’ils le pensaient…
~ ~ ~ ~
L’odeur du sang ne dérangeait pas particulièrement Durno. C’était préférable, d’ailleurs, quand on travaillait au service du Grand Prêtre de Melkor, car depuis peu les exécutions s’enchaînaient et laissaient à peine le temps aux serviteurs de nettoyer le sol. Les dalles de pierre de la grande salle d’exécution étaient d’ailleurs incrustées de sang séché au point que les esclaves l’appelaient familière la « salle rouge ». Un nom qui lui convenait tout à fait.
- Capitaine, tout le monde est à bord.
- Bien, fit l’intéressé. Larguez les amarres, on y va. Cap sur Albyor, et que ça saute.
Le navire ne tarda pas à se mettre en branle, sous l’action combinée de quelques rameurs descendus dans le ventre du navire pour le manœuvrer, et de trois bateliers qui lui donnaient l’impulsion et la direction. A ce rythme-là, ils arriveraient dans moins d’une journée. Durno jeta un dernier regard à Lâm-Su, s’estimant satisfait de l’opération… Trois de ses hommes étaient morts face au colosse, et deux avaient été blessés par les marins, mais c’était bien tout. Un mince prix à payer en échange de la perspective de ramener au Grand Prêtre la si précieuse cargaison.
Il se détourna de la tour de garde, dont les administrateurs sortaient timidement pour récupérer la dépouille de leur chef, et se concentra sur les hommes dont il avait désormais la charge. Les marins qui n’avaient pas été passés par le fil de l’épée étaient blessés ou inconscients. Ou les deux. Ils n’étaient plus que quatre en vie, et les soldats s’occupaient de leurs blessures pour éviter leur mort prématurée. Ils pouvaient encore servir Melkor : Jawaharlal avait toujours besoin de nouveaux sacrifices. Ceux-là se tiendraient tranquille tant qu’ils penseraient que la liberté se trouverait au bout du voyage, ce que Durno était déterminé à leur faire croire.
C’était l’autre prisonnier qui l’intéressait davantage.
Ses hommes avaient eu fort à faire pour le maîtriser, et il avait le sang des fidèles de Melkor sur les mains désormais : un crime passible de mort devant le tribunal de l’Ogdar, devant lequel Durno espérait bien pouvoir le conduire au terme de leur voyage… Mais d’abord, il avait besoin de lui soutirer des informations, de comprendre qui il était, et pourquoi il se trouvait là. On le fit amener péniblement, avant de le jeter à terre où il demeura là, étendu, s’étouffant à demi dans son propre sang. Il ne s’était pas laissé prendre sans combattre, et souffrait de nombreuses blessures plus ou moins graves. Une lame avait perforé son abdomen et s’était glissée entre ses chairs ; pas assez profondément pour le tuer d’un seul coup, mais assez pour l’affaiblir considérablement. C’était pourtant le coup de taille à l’arrière de la cuisse qui avait eu raison de lui. Incapable de tenir debout, il était devenu une proie facile pour les Melkorites qui s’étaient vengés sans ménagement. Le nez cassé, la lèvre éclatée et le visage tuméfié, le Fléau de l’Ouest ressemblait à un ours dompté, le jour de sa mise à mort.
Durno savourait sa victoire.
++ Qui toi être ? ++ Demanda-t-il dans un rhûnien toujours aussi approximatif. ++ Garde ? Hm ? Protecteur ? ++
Thrakan ne répondit rien, essayant de reprendre son souffle et quelques maigres forces. Durno ne lui en laissa pas le loisir, et lui écrasa l’épaule de son pied pour se rappeler à son bon souvenir.
++ Toi parler ? Hein ? Toi parler vite. Qui toi être ? ++
++ Je être garde ++ ironisa le géant dans une réponse dont la subtilité échappa à Durno. ++ Où est la femme ? Où est-elle ? ++
Il s’agita, retrouvant soudainement ses forces titanesques, prêt à les déchaîner sur le capitaine. Percevant sa furie, Durno appuya encore plus fort afin de le maintenir au sol, et répondit d’une voix mauvaise :
++ Elle être morte. Elle… résister. Inutile ! Et toi ? Résister aussi ? ++
Le Fléau n’entendit pas la question, focalisé sur la première information qui venait de parvenir à son cerveau embrumé. Ava ? Morte ? Tuée par ces chiens ? Ce n’était pas possible ! Tout simplement pas possible… Aurait-il osé ? En se souvenant de la rapidité avec laquelle Durno avait tué le régent de Lâm-Su, Thrakan comprit que la mort d’Ava ne pesait pas bien lourd sur la conscience du sédéiste de Melkor. Il se croyait tout puissant, et le statut de la jeune femme l’indifférait au moins autant que celui de son prisonnier actuel. Tout ce qu’il entendait obtenir, c’étaient des réponses à ses questions. C’était pourtant sans compter sur la colère insoupçonnée du géant, qui se releva avec une force étonnante, jetant Durno au sol en lui balayant le pied.
++ TU VAS MOURIR, SALE CHIEN !! ++
À la surprise générale, Thrakan se redressa, immense et fier. Il n’était pas désarmé, tant ses mains gigantesques ressemblaient à des massues. Les torches que tenaient les gardes étendaient son ombre démesurée comme un voile sur Durno, dont le regard sembla soudainement empli d’une crainte nouvelle chez lui. Il avait sous-estimé cet adversaire, comme un chasseur trop confiant s’approcherait d’un prédateur blessé, oubliant et les crocs et les griffes et la rage meurtrière d’une créature née pour tuer. Dans les yeux de Thrakan, on pouvait lire une vérité indépassable… Il y aurait des vies brisées ce soir.
La vie du capitaine fut prolongée in extremis quand un de ses soldats, chétif comme un fétu de paille, tenta d’embrocher le géant barbu. Il eut la mâchoire anéantie par le coup de poing dévastateur qui le cueillit en plein vol, et son cou lâcha un craquement sinistre en percutant le bastingage. Son corps flasque glissa sur le pont et s’immobilisa, pas un souffle ne sortant de sa poitrine. Le second n’eut pas le temps de réagir, que déjà il basculait par-dessus bord sous l’impact terrible qui lui enfonça la cage thoracique. Le coup, aussi puissant que si un marteau s’était abattu sur lui, avait fait décoller ses pieds du sol comme s’il ne pesait rien.
La furie de Thrakan semblait n’avoir aucune limite, mais il savait pourtant qu’il était encerclé et en grand danger ici. Il avisa les autres Melkorites qui, alertés par le vacarme, quittaient leur poste en toute hâte pour venir arrêter la machine de guerre désormais réveillée. Ils s’emparaient de leurs armes, bondissaient sur leurs pieds, en espérant arriver à temps pour l’empêcher de prendre la vie de leur chef. Mais c’était trop tard. Rien ne pouvait plus arrêter le Fléau désormais, entré dans une folie furieuse dont il ne sortirait pas avant de les avoir tous massacrés. Il se retourna pour porter le coup de grâce à Durno, et lui faire payer son crime odieux… d’avoir tué Ava, cette âme si innocente et pure.
Leurs regards se croisèrent, alors qu’un vent glacial se levait sur leurs épaules.
Le duel s’acheva avant même de commencer.
Thrakan lâcha un gémissement, et en baissant les yeux, il put voir la lame en acier plantée dans son torse. Durno ne put s’empêcher d’avoir un bref mouvement de recul quand le géant tenta une ultime ruade dans sa direction. Un éclair de terreur passa dans ses yeux, comme s’il doutait maintenant de la capacité de l’acier à arrêter le monstre. Était-il même humain ? Pouvait-il défier ainsi un serviteur du Dieu Sombre et s’en tirer ? Le capitaine implora silencieusement les forces ténébreuses dont il s’enveloppait quotidiennement, priant pour obtenir la victoire, et pour voir le monstre chuter comme tous ceux qui se dressaient face à Jawaharlal, maître d’Albyor. Melkor lui accorda finalement son appui, et la tentative du Fléau se mua en un échec cuisant lorsque ses genoux heurtèrent le sol douloureusement.
++ Ava… ++
Sa voix se brisa en un sanglot. Durno, haletant, s’éloigna encore un peu par prudence, mais il ne craignait plus rien désormais.
++ Ava… ++
Un dernier mot, lâché dans un dernier souffle.
La vie quitta Thrakan, et son corps s’écroula sur le côté, comme s’il n’avait été qu’une marionnette dont les fils venaient soudainement d’être sectionnés.
Une larme solitaire perla sur sa joue.
~ ~ ~ ~
Serrée fermement dans les bras de Learamn, Kryv tremblait de tout son long. Pas de froid, car il faisait lourd dans les cales ; pas de peur, car hélas elle était absorbée par des émotions bien plus fortes en cet instant. Son esprit lui envoyait une succession de visions dont le sens lui échappait totalement, mais qui s’imposaient encore à elle, toujours plus violentes, toujours plus douloureuses. Elle s’était mise à crier, à gémir, à pleurer, à se débattre, au point que Learamn avait dû l’emmener dans un abri sûr et l’empêcher physiquement de faire trop de bruit, au risque qu’elle révélât leur position.
Elle finit par revenir à elle, en nage et complètement dépassée par la force de ces plongées dans le passé et l’avenir qui la secouaient comme rarement encore dans sa vie.
- Learamn…
Sa voix était très faible, ce qui convenait parfaitement à la situation et à leur impératif de discrétion, bien que pour le moment ils n’eussent pas encore été repérés. Il semblait, les hommes de Durno n’avaient pas conscience de leur présence à bord, car ils ne paraissaient pas les rechercher particulièrement, sans quoi ils n’auraient pas manqué de les trouver, terrés au fond du navire. Cependant, ils étaient passés vérifier la cargaison, et pouvaient revenir à tout moment.
- Learamn… J’ai vu des choses… Des morts… Par centaines…
Il aurait été facile de dire qu’elle divaguait, ou qu’elle affabulait. Cependant, elle avait l’air de croire sincèrement à ce qu’elle voyait, et la peur dans ses yeux n’était pas feinte. Elle qui paraissait d’ordinaire si détachée de tout dévoilait une fragilité presque totale, comme un enfant face à un monde cruel.
- Les Melkorites, Learamn… Tellement de sang… Tellement, tellement…
Elle s’était mise à pleurer. Ce n’était pas la première fois depuis qu’elle était propulsée dans ses visions. Cette fois, cependant, la fatigue l’emporta sur le reste, et elle sombra dans un sommeil agité, troublé sans doute par de nouveaux rêves.
Pour un temps, elle échappait au cauchemar du présent, dans lequel Learamn était quant à lui piégé. Piégé dans la cale puante d’un navire à destination d’Albyor, le dernier endroit en Terre du Milieu où il aurait souhaité être. Piégé dans l’incertitude de ne pas savoir ce qu’il était advenu de ses compagnons. Thrakan, Khalmeh, Ava… Ils avaient tous disparu, peut-être capturés par les hommes de Durno, peut-être pire…
Que lui restait-il, désormais ?
Sa mission ? Était-il encore en mesure de l’accomplir dans ces circonstances ? Pouvait-il faire autre chose que sauver sa vie, et quitter cet endroit de malheur ? Mais pour aller où ? Y avait-il un seul endroit où lui et Kryv pouvaient être en sécurité ? Ils n’avaient ni alliés, ni appuis… Quitter Albyor serait impossible compte-tenu de l’emprise du Grand Prêtre… La seule chose dont disposait Learamn pour le moment, c’était de temps pour réfléchir.
De temps, et d’un immense trésor.
Des centaines, non des milliers d’armes et d’armures soigneusement rangées dans les cales d’un navire apparemment quelconque. Des armes comme on n’en fabriquait pas dans le monde des Hommes. Le métal était bien trop léger et trop résistant, trop bien travaillé… La dernière fois que le jeune cavalier avait aperçu de telles pièces, elles étaient fièrement portées par les représentants des Naugrim. Celles-ci, en revanche, avaient été conçues pour être portées par des Hommes, et quiconque mettrait la main dessus pourrait constituer une force redoutable.
Du temps, et assez d’armes pour équiper au moins cinquante éored.
Il ne lui restait plus qu’à trouver quoi en faire.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1078 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
La surprise avait rapidement cédé place à l’inquiétude chez un Learamn qui n’eut pas le loisir d’inspecter plus longuement le contenu de cette intrigante cargaison; de toute façon il pensait avoir rapidement compris de quoi il en retournait. Mais pour le moment, l’urgence était ailleurs. Soudainement prise de convulsions et plongée dans un état léthargique remplie de visions terrifiantes de l’avenir, Kryv tomba au sol en poussant des gémissements assez bruyants pour trahir leur présence au fond de la cale. Réagissant au quart de tour, le jeune homme fit volte-face, s’arrachant à la vision fascinante du trésor contenu dans les caisse, pour se précipiter sur son alliée. Il tenta de la rassurer mais celle-ci ne semblait pas l’entendre; le cavalier la saisit alors fermement dans ses bras tout en prenant bien attention à ne pas la brusquer. Les sanglots s’étouffèrent dans le creux de son épaule. Le rohirrim ne savait pas réellement comment se comporter avec cette femme si singulière qu’il venait de rencontrer mais avec lequelle il avait déjà scellé son destin. Elle partageait la nature de ses visions par des bouts de phrases parsemées entre deux cris et le plus souvent incohérentes, mais, pour ce qu’il en comprit, c’était proprement terrifiant. La Mort… Les Melkorites… Après un début de mission relativement tranquille, le piège d’Albyor s’était finalement refermé sur ces visiteurs non désirés et nulle échappatoire ne semblait se présenter à eux au sein de la Cité Noire. Il secoua la tête, l’heure n’était pas à se lamenter sur des désastres qui n’avaient pas encore eu lieu. Leurs vies étaient déjà en ce moment même en grand danger. En bon guerrier, il avait appris qu’au cœur de l’action il valait bien mieux régler les plus proches et imminents problèmes avant de s’intéresser à la suite. Il sentit le navire tanguer légèrement alors que les bruits d’affrontements avaient cessé depuis de longues minutes maintenant. Le vaisseau avait été pris et il voguait à nouveau sur le fleuve. Sa destination ne faisait aucun doute.
Il entraîna avec lui une Kryv relativement calmée, vers un des recoins les plus sombres situées derrière une large poutre de la poupe. Une manoeuvre bien inspirée puisque qu’une poignée de secondes plus tard, il entendit clairement le bruit des bottes des assaillants venus inspecter la cale et leur précieuse prise. Tapi dans l’ombre, Learamn observait ces hommes, une main sur le pommeau de son épée. Malgré leur absence d’uniformes ou de signes distinctifs pouvant les apparenter à une quelconque faction officielle du royaume, ces hommes-là étaient sans nul doute des professionnels aguerris et armés jusqu’aux dents. De plus, ils devaient exercer une grande influence sur la région s'ils se permettaient ainsi d’attaquer des émissaires de la Reine elle-même et s’emparer des objets qu’elle convoitait. Visiblement l’autorité de la Couronne du Rhûn était une notion bien relative à Albyor. Celle de Melkor en revanche… Les discussions qu’il avait eu avec Khalmeh au sujet de cette divinité et de ses plus fanatiques serviteurs lui revint alors en mémoire. Ces soldats étaient de toute évidence des sbires de cet ordre religieux qui faisait régner la terreur dans la cité et défier les plus hauts dignitaires du pays. Une déduction confirmée par les révélations de Kryv. Il tenta alors de se souvenir de tout ce qu’il avait pu entendre au sujet de leur Grand Prêtre au nom imprononçable. L’idée même qu’un religieux puisse avoir autant de pouvoir et terrifier tant de gens semblait parfaitement incongrue pour un homme des peuples Libres; à l’Ouest la spiritualité, bien qu’existante, était un concept bien plus diffus, se situant principalement dans la sphère privée. Nulle organisation religieuse structurée n’existait de là où il venait et il avait encore du mal à comprendre que tant de personnes puissent placer leur destin entre les mains d’un individu se réclamant d’un être tout-puissant que personne n’avait encore vu. Cela ne l’avait pas forcément frappé lors de son séjour à Blankânimad, où le culte de Melkor, bien que très présent, apparaissait comme un aspect culturel, certes important mais loin d’être forcément coercif. Ici, les choses semblaient être un tantinet différentes. Les Melkorites avaient des ambitions qui dépassaient clairement la sphère strictement spirituelle et la cargaison que ce navire transportait en était la preuve. Learamn n’avait jamais rien vu de tel; il avait déjà aperçu, à de rares occasions, des armures ou des armes de cette facture mais pas sur des hommes. Leur confection ne pouvait qu’être d’origine naine et encore, l’usage de tel équipement n’était à sa connaissance réservé qu’aux grands seigneurs des Naugrim. Hadhod Croix-de-Fer, Seigneur de la Moria, en était vêtu lors de la bataille décisive d’Aldburg; un épisode qui n’était finalement pas si vieux alors qu’une éternité semblait s’être écoulée dans son esprit.
L’existence même d’un tel trésor guerrier était assez impressionnante, mais bien inquiétante au-vu de ses implications; de toute évidence le commanditaire d’une telle livraison n’avaient pas l’intention d’exposer ces armures dans son palais ou pour l’entraînement de ses gardes personnels. Non, il y avait là de quoi construire une armée entière. Probablement l’armée la plus puissante du continent. Le fait que Lyra veuille s’en saisir soulevait beaucoup de questions à propos de ses manœuvres militaires à venir mais cela restait un désir parfaitement logique pour la dirigeante d’un pays. Après tout c’était la souveraine d’un royaume dont la puissance croissait jour après jour et qui désirait désormais afficher ses ambitions au grand jour. Mais si une armée rhûnienne ainsi équipée avait de quoi faire frémir que dire si tout ceci tombait en possession des prêtres d’Albyor… Une armée illégitime, chaotique et incontrôlable, ne répondant qu’aux délires d’un fanatique persuadé de communiquer directement avec le Seigneur des Ténèbres. Les conséquence en seraient terribles, et pas seulement pour les Peuples Libres.
Il se demanda aussi qui avait la capacité de sortir une telle production; quel intérêt auraient les Nains à équiper ainsi des Orientaux dont le but était trouble? Des artisans et forgerons indépendants auraient à la limite pu être grassement payés pour réaliser quelques pièces mais une telle quantité ne pouvait être l’oeuvre que d’une large infrastructures soutenues par des fonds officiels. La provenance de la cargaison était toute aussi intrigante que sa destination.
Il y avait de l’agitation sur le pont; les deux envoyés de la Reine pouvaient entendre les pas des Melkorites qui devaient être en nombre et s’activait pour une quelconque raison. Laissant de côté ses interrogations sur le chargement présent face à lui; Learamn avisa les choix, pour le moins réduits, qui se présentait dès lors à lui. C’était une véritable tempête sous un crâne qui se jouait. Ils pouvaient rester ainsi cachés au fond de la cale en espérant que les nouveaux maîtres du navire ne fassent pas d’inspection poussée de la zone jusqu’à leur arrivée avant de tenter de s’enfuir discrètement lors de leur arrivée à quai. Une telle approche pouvait leur permettre de s’en tirer relativement sans trop de casse à condition de rester discret mais comportait des désavantages rédhibitoires à ses yeux. Tout d’abord cela impliquait le fait d’accepter qu’un tel butin se retrouve dans les mains des Melkorites ce qui impliquerait non seulement un échec total de sa mission, chose à laquelle son esprit de soldat ne pouvait se résoudre, mais aussi une menace incommensurable pour le continent tout entier. De plus une telle stratégie voudrait aussi dire l’abandon d’Ava à son funeste sort. Au vu de son statut qui était loin d’être un atout face aux prêtres, il craignait le pire pour elle et ne pouvait se résoudre à la laisser derrière elle. Trop de belles âmes étaient tombées à ses côtés.
L’alternative à cette première approche plutôt lâche, était l’exact opposé en tentant de prendre le contrôle du bateau par la force avant que celui-ci ne rentre dans la Cité Noire. En cas de succès, cela pourrait leur permettre de ramener glorieusement la cargaison à la Reine tout en sauvant ceux qu’ils pouvaient l’être. C’eut été idéal toutefois se jeter ainsi avec l’arme au clair revenait au suicide. Leurs ennemis avaient contenus Thrakan avec une aisance effrayante et ne semblait pas disposé à se laisser impressionner de la sorte.
En quête d’un réconfort bien relatif, l’ancien capitaine serra encore un peu plus le manche de sa lame que lui avait confiée Eopren avant son départ du pays. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas réellement combattu à la mort et il se demandait si ses réflexes étaient toujours aussi tranchants. Les dernières fois qu’il avait versé le sang n’avaient pas été de grandes réussites pour lui; Iran était tombée, mortellement blessée, dans le Pelennor après l’avoir suivie dans sa folle entreprise. De plus, il traînait encore physiquement les traumatismes des affrontements de Pelargir, où il avait perdu une grande partie de ses hommes. Le combat qu’il s’apprêtait à mener désormais se solderait-il de la même manière dans de telles souffrances? Et si tel était le cas, pourrait-il seulement les supporter? Toujours aussi indécis quant à la marche à suivre, il regarda Kryv, espérant que la devineresse pouvait lui fournir la réponse à son dilemme. Mais au vu de son expression ébahie, ce n’était vraisemblablement le cas. Learamn était seul face à ce choix et il devrait en assumer les entières conséquences, quelles qu'elles fussent.
La torche qui éclairait faiblement la cale d’une lueur blafarde s’éteignit brusquement, entièrement consumée. Mais alors que l’obscurité gagna instantanément la pièce, la lumière vint à l’esprit du rohirrim. Attaquer de front n’était pas une solution viable mais il ne pouvait se résoudre à rester ainsi terré, les bras croisés, dans l’expectative. Il fallait agir et il savait d’expérience que quelque soit le rapport de force, il fallait toujours prendre l’adversaire par surprise pour prendre le dessus, du moins momentanément, et ainsi s’octroyer une marge de manoeuvre. Au-dessus de leurs têtes, des bruits de luttes se firent entendre mais Learamn ne pouvait se permettre de faire attention à cette agitation. Au contraire, dans l’immédiat cela pouvait représenter la parfaite diversion. Il fixait désormais la flamme d’une autre torche qui brûlait plus loin, à quelques centaines de mètres, près de l’entrée de la cale et des marches qui menaient au pont. Si la cargaison ne pouvait regagner la capitale, alors il fallait tout mettre en œuvre pour qu’elle ne tombe jamais entre les mains du grand prêtre. Il avait d’abord pensé à brûler les caisses mais de telles armures semblaient avoir été confectionnées pour résister au feu d’un dragon. Son regard s’était alors posé sur la coque du navire; le bois était certes humide et difficilement inflammable mais un début d’incendie suffirait pour créer la panique et faire sombrer le vaisseau.
Learamn fit signe à Kryv de rester à l’abri dans leur cachette puis se mit avancer à pas de loups en direction de son nouvel objectif. Dans l’obscurité, il se fiait bien plus à son sens de l’équilibre, travaillé auprès d’Ava, qu’à sa simple vision. Une poignée de mètres le séparaient désormais du flambeau. Malheureusement, un bruit se fit entendre au-dessus de sa tête. Avec dextérité, le jeune homme bondit sur le côté sans un bruit en réutilisant presque inconsciemment les techniques de danse enseignée par la Dame de la Reine.
Tapi dans l’ombre, le varka attendait le passage de sa proie.
The Young Cop
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La barge filait silencieusement sur le fleuve, le calme revenu depuis que le géant s’était éteint. Sa rébellion passagère mais meurtrière avait secoué les fidèles de Melkor, qui comptaient désormais leurs morts. A lui seul, ce titan avait tué cinq combattants parmi les meilleurs du Temple, et en avait blessé deux. Durno lui-même aurait pu y passer, s’il n’avait pas eu une chance inouïe. La reine Lyra, de toute évidence, avait envoyé des soldats compétents pour faire ses basses besognes… Maintenant qu’il n’était plus, ils pouvaient librement rejoindre Albyor, et apporter la bonne nouvelle au Grand Prêtre.
Ils venaient de faire un pas énorme vers la victoire finale.
- Allons, compagnons, fit Durno, ayez meilleure mine ! Malgré la résistance des incroyants, nous avons remporté la victoire, et nous revenons triomphalement au temple de Melkor. Jawaharlal lui-même nous accueillera et nous rendra les honneurs qui nous sont dus. Au nom de Melkor !
- Loué soit-Il !
- Au nom de Melkor !! Répéta-t-il, plus fort cette fois.
- Loué soit-Il !
Les hommes parurent oublier pendant l’espace d’un instant la guerre, la mort de leurs compagnons, et la terreur qu’ils avaient éprouvés face au géant. Il ne leur restait plus que la satisfaction d’avoir mené à bien le combat de leur nouveau maître, et d’avoir remporté en son nom une victoire décisive sur les forces de la reine Lyra. Durno, cependant, s’efforçait d’être vigilant. Ses hommes avaient besoin de rester motivés et concentrés. La débâcle qu’ils avaient subie au moment de la chute de l’Ordre avait laissé une cicatrice profonde dans leur âme, et aucun d’entre eux ne souhaitait revivre le sinistre exil, la peur permanente, et le sentiment d’abandon d’une rare violence qu’ils avaient éprouvé quand l’organisation s’était écroulée sur elle-même, comme un château de cartes. Considérant qu’ils semblaient avoir retrouvé la foi, il se détourna d’eux un instant, et envisagea la suite des opérations.
Hélas, il n’avait aucun moyen de contacter Albyor pour le moment.
Au fond de la cale humide et puante, Kryv reprit peu à peu ses esprits, accueillant la vie et la conscience comme un bébé venant au monde.
Douloureusement.
Elle avait l’impression d’avoir été passée à tabac minutieusement, et tous ses muscles lui faisaient mal d’avoir été contractés aussi violemment pendant qu’elle était prise de convulsions incontrôlables Le phénomène n’était pas nouveau chez elle, mais cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu de telles visions, des éclairs de souffrance et de mort qui s’imposaient à son esprit comme si c’était elle qui se tenait sous la lame du Grand Prêtre Jawaharlal, elle que l’on sacrifiait au Dieu Sombre, encore et encore. Elle percevait encore distinctement le goût de l’acier sur sa langue, sentait sur sa poitrine le sang chaud qui s’écoulait de sa gorge ouverte, et tremblait de ne pouvoir rien faire pour chasser la sensation désagréable des chaînes attachées à ses poignets qui lui rongeaient la peau.
Il lui fallut quelques secondes pour retrouver pleinement la mesure de ses moyens… et quelques secondes de plus pour se rendre compte qu’elle était seule.
Learamn, son allié, son protecteur et son libérateur, était parti.
Pendant un bref instant, la panique s’empara d’elle, et elle sentit l’angoisse faire remonter de sinistres visions à la surface, qu’elle s’efforça de dompter en respirant profondément. Le calme et la sérénité étaient des outils puissants pour contrôler ses émotions exceptionnellement fortes, même si dans ces circonstances il était évidemment bien plus difficile d’y parvenir. Elle trouva la force de déplier ses longues jambes fuselées, et tendit le cou pour observer par-dessus la caisse derrière laquelle elle se trouvait cachée.
- Learamn ? Chuchota-t-elle faiblement.
Elle n’aurait su dire si l’absence de réponse était due à la solitude la plus complète dans laquelle elle était plongée, ou bien au fait que son murmure eût été à peine assez fort pour porter à plus d’un mètre. Terrorisée, elle n’osait pas parler plus fort au risque d’attirer une attention bien malvenue. Sur ce navire infernal, dont les fidèles de Melkor avaient probablement pris le contrôle désormais, elle devait considérer tout un chacun comme un ennemi potentiel. Les serviteurs du temple de Sharaman n’étaient pas des hommes avec qui elle pouvait espérer négocier…
Alors qu’elle observait le lointain, ses yeux s’habituaient peu à peu à la pénombre qui l’entourait, seulement rompue par la lumière blafarde des étoiles qui pénétrait par quelques ouvertures dans le plafond, et par la présence d’une torche au loin. Elle discernait mieux les caisses innombrables, soigneusement entassées, comme le trésor de guerre d’un dragon avide. Si chacune d’entre elles contenait armes, armures, casques et boucliers comme elle l’avait vu, alors elle comprenait mieux pourquoi Learamn et ses compagnons avaient absolument tenu à récupérer le tout avant que le navire parvînt à Albyor. Elle comprenait aussi, en parallèle, pourquoi le Grand Prêtre avait envoyé ses meilleurs hommes, commandés par Durno, pour mettre la main sur le butin. Ce navire pouvait changer le rapport de force au Rhûn, voire même en Terre du Milieu, si les ambitions de Jawaharlal se portaient au-delà des frontières du grand royaume oriental. Kryv comprit alors que Learamn en était arrivé aux mêmes conclusions, et son absence ne pouvait signifier qu’une chose.
Il allait essayer de mettre des bâtons dans les roues de Melkor…
Elle se leva, encore incertaine sur ses jambes, et ne sachant pas trop ce qu’elle pouvait faire, mais résolue à empêcher Learamn de commettre une erreur fatale. S’il décidait d’attaquer à lui seul les Melkorites, comme elle le suspectait, il pourrait peut-être en tuer un ou deux, avec de la chance, mais le nombre aurait raison de lui. C’était un suicide, mais la bête de guerre en lui se préoccupait-elle des conséquences de son acte, ou souhaitait-elle simplement périr glorieusement, en emportant autant d’ennemis que possible avec elle ? Elle devait empêcher Learamn de sacrifier sa vie inutilement. Il y avait sans doute un autre moyen.
Alors qu’elle s’apprêtait à partir, elle entendit un bruit suspect, et vit une ombre glisser furtivement devant son champ de vision. Trop rapide pour qu’elle pût l’identifier avec certitude, mais elle devina qu’il s’agissait d’un homme essayant de toute évidence de ne pas être vu. Elle-même se mit à l’abri, en retrait, observant la situation en essayant de se faire la plus discrète possible. Elle avait encore la dague de Learamn, mais n’avait pas particulièrement hâte de s’en servir… Des pas irréguliers se firent entendre dans le petit escalier qui menait jusqu’à leur section. Un homme descendait, portant une petite lanterne entre ses mains. Ses chausses étaient déchirées au niveau de la cuisse droite, et il peinait à se déplacer à cause de ce qui devait être une longue estafilade que l’on avait soignée à la va-vite pour lui permettre de marcher. Le bandage qui entourait sa blessure était imbibé de sang, et aurait dû être changé depuis longtemps.
Le malheureux n’eut pas le temps de crier à l’aide qu’une main se plaqua sur sa bouche, et il bascula en arrière, emporté par son propre poids et par la pression irrésistible d’un homme déterminé à le mettre à terre. Une lame apparut dans son champ de vision, et se posa sur sa gorge, tandis qu’il levait les mains bien haut pour montrer que lui-même n’était pas armé. Le tout avait duré moins de trois secondes, qui avaient suffi à Ezziz pour se mettre à pleurer à chaudes larmes. Il avait survécu miraculeusement à la furie des Melkorites, et la perspective de mourir subitement le terrorisait encore plus que la première fois.
Profitant de ce que Learamn desserrait légèrement son étreinte, il se mit à supplier à voix très basse :
- Pitié, pitié, pitié messire, pitié ne me tuez pas, pitié, pitié, pitié, j’ai rien fait de mal, je vous jure, je vous jure, j’ai rien fait…
Il pleurait de plus en plus, et à ce rythme il risquait bien d’attirer l’attention d’une oreille indiscrète. Par une nuit calme, les suppliques étouffées d’un homme s’entendaient aussi bien que les hurlements d’un mourant.
Kryv, terrée dans un coin, observait la situation sans trop oser bouger. Elle souhaitait aider Learamn, mais pour l’heure il avait la situation bien en main, et elle préférait éviter d’envenimer les choses en donnant au Rohirrim le sentiment qu’il était attaqué de toutes parts.
Qui pouvait dire comment il aurait réagi, alors ?
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
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[HRP] : 700e message! Le millésime approche et pour fêter ça, voici un post avec une musique bien joyeuse!
Quand il reconnut la voix tremblante du jeune Ezziz, Learamn sentit son bras fléchir. L’espace d’un instant, il faillit baisser sa lame et relâcher son étreinte sur ce marin qui n’avait jamais demandé à être mêlé à tout ça. Lui qui voulait simplement toucher sa modeste paie pour parvenir à ses besoins et ceux des personnes qu’il aimait. Les Melkorites, la Reine Lyra, la cargaison d’armes, les considérations géopolitiques; tout cela était bien égal pour ce genre d’homme qui ne pouvait se soucier que de ce que leur lendemain serait fait. Learamn aurait très bien pu se trouver à sa place; le destin en avait décidé autrement. Au-dessus de leurs têtes , le rohirrim entendait toujours distinctement le bruit des bottes et des bribes de dialogues prononcées dans le dialecte étrange des assaillants. Dans ses bras, Ezziz continuait de se débattre en gémissant. L’ancien capitaine, désemparé face à l’impasse devant laquelle il se trouvait, se mordit la lèvre. Il avait beau chercher des solutions alternatives, le jeune cavalier se rendit compte qu’il n’avait guère le choix.
Avec force, il plaque sa main libre sur la bouche d’Ezziz avant de lui murmurer à l’oreille. “ Tout va bien se passer Ezziz...ne bouge pas et tout va bien se passer.”
Le marin se calma un instant et Learamn put lire dans son regard un profond soulagement; celui de l’homme qui voyait son espoir de survie conforté par un bourreau pas assez cruel. Mais bientôt, ses yeux sombres s’écarquillèrent de surprise au moment où l’acier lui trancha la gorge d’un coup sec. Pris de court, un gargouillement presque inaudible fut la seule réaction du pauvre hère avant que son corps sans vie ne s'affaisse sous son propre poids, accompagné sans bruit dans sa chute par les bras ensanglantés de son meurtrier. Ce dernier déposa la dépouille au sol alors qu’un goût amer envahissait sa bouche. Le relâcher eût été trop risqué; Ezziz avait sûrement acheté sa vie en prêtant allégeance aux Melkorites. Sûrement n’avait il pas vraiment eu le luxe de choisir mais l’ancien capitaine ne pouvait compromettre sa position. De la devineresse, tapie dans l’ombre, Learamn ne voyait que le regard scintillant, empli de tristesse. Mal à l’aise, il détourna le regard et reporte son attention sur la volée de marches qui menait vers le pont.
Depuis l’aube il avait déjà pris plus de vies innocentes que durant tout le reste de sa vie. Mais le rohirrim ne pouvait laisser ces sombres considérations le hanter pour le moment, la mission restait primordiale. Une à une, il gravit le plus discrètement possible, les marches qui menaient au pont avant de s’arrêter peu avant la trappe qui donnait sur l’extérieur. Après avoir pris une profonde inspiration, il la souleva de quelques millimètres et se risqua à jeter un coup d’oeil au dehors. D’abord, seules des bottes cloutées occupaient son champ de vision mais au bout de quelques secondes, il distingua les contours d’une immense silhouette qui gisait au sol, près de la proue. A cette distance, il ne voyait pas bien tous les détails mais il reconnut immédiatement une longue chevelure hirsute et une musculature colossale qui ne pouvait appartenir qu’à un homme : Thrakan. Les serviteurs de Melkor avait eu raison du géant.
Consterné, Learamn referma prestement l’ouverture et se plaqua instinctivement contre la paroi en bois près de lui. Il avait le souffle court et son coeur battait à tout rompre. Le jeune homme n’avait pas forcément eu une relation proche avec le puissant guerrier mais ce dernier représentait un allié précieux, autant pour sa connaissance de la région que pour ses capacités martiales. A présent, en l’absence de l’Uruk et avec la mort de Thrakan, l’issue d’un hypothétique affrontement frontal avec leurs assaillants ne faisait plus aucun doute. Mais il y avait aussi autre chose qui l’inquiétait au plus haut point: le défunt n’était pas simplement un soldat comme un autre. Il était aussi un protecteur. Lui vint alors à l’esprit, l’image d’une Ava désormais seule, en proie aux tortures des fanatiques. Ou même pire…
Animé par une profonde angoisse teintée de colère; il se saisit de la fameuse torche , déterminé à mettre son plan d’urgence à exécution. La cargaison serait envoyé par le fond, quant à lui, profitant de la confusion générée par l’incendie, il tâcherait de libérer Ava et de rejoindre à la nage le rivage. Il avait bien conscience que tout ceci était bien bancal, à commencer par le fait qu’il était un piètre nageur et qu’il doutait fortement de pouvoir rallier la terre ferme. Mais au moins, ni eux ni la cargaison ne tomberaient entre les mains des prêtres.
Ne sachant pas vraiment comment s’y prendre, Learamn retourna simplement la torche en direction du sol afin que la flamme gagne la coque du navire. Mais le feu ne prenait pas. De frustration, il écrasa la torche contre le parquet mais le bois humide ne s’enflamma guère. Pire il éteignit même le flambeau, seule source de lumière au fond de cette cale. “Merde…” se désola un Learamn qui voyait tout son plan fragile s’écrouler d’un coup comme un château de cartes.
Il leva les yeux en direction de la voyante qui s’était approchée de lui. “Thrakan est mort.” annonça-t-il d’un ton sombre; plus pour se faire lui-même à cette idée que pour en informer la jeune femme.
Jamais auparavant ne s’était il senti aussi impuissant face à la fatalité. Face à l’ennemi, il avait toujours su faire preuve de créativité pour s’extraire plus ou moins douloureusement de situations tragiques. Cela s’était parfois joué à rien mais il avait toujours veillé à entretenir cette flamme d’espérance qui le poussait à trouver d’autres chemins vers la victoire. Mais à présent, cette lueur qui brillait dans son âme s’était éteinte en même temps que cette torche posée à ses pieds.
A présent, que lui restait-il à faire? “Ava…” fit-il dans un murmure.
Le guerrier déposa alors sa lame encore rouge aux pieds de l’ancienne esclave. “Prenez-la elle aussi. Elle vous sera plus utile. Fuyez ce navire quand vous le pourrez. Je vous en prie tâchez de retrouver Khalmeh et d’alerter les troupes de la Reine. Dîtes leur que nous sommes dans la tanière du loup. Puis partez. Partez vivre votre vie libre; cette guerre n’est pas la vôtre.”
“Ni la mienne…” voulut-il rajouter pour lui même. Le rohirrim en demandait beaucoup à cette femme qui n’était ni guerrière ni mandatée par Lyra et qui n’avait donc aucune obligation. Elle venait simplement d’échapper à sa condition d’esclave qu’elle croulait déjà sous le poids de la responsabilité que la liberté incombait. “Suivez ce que votre âme vous dit Kryv. Je sais seulement que je ne peux me résoudre à l’abandonner à son sort… Pas encore…”
Sans un mot de plus, il détourna ses yeux du regard envoûtant de la devineresse et prit tristement la direction de l’escalier. L’ancien capitaine enjamba avec un regard triste la dépouille d’Ezziz, finalement mort pour rien. Croulant sous le poids de ses actions, il gravit d’un pas lourd les marches qui menait jusqu’à l’extérieur. Il gagna ainsi le pont après avoir ouvert la trappe. Autour de lui, les Melkorites ne prêtèrent d’abord que peu d’attention à cet homme qu’ils confondaient sans doute avec un des marins qui avaient rejoint leur cause. Cette confusion permit au rohirrim d’avancer de quelques mètres en direction de celui qui semblait être leur chef. Alors il s’arrêta net et le temps sembla s’arrêter. Tous les autres ne firent plus le moindre bruit et l’on entendait plus que les claquement de la brise contre la voile déployée. Au dessus-d’eux un corbeau solitaire survolait le navire, spectateur tout aussi silencieux que les acteurs de la scène.
Pour la première fois, le fier rohirrim rendait les armes.
Désarmé, Learamn tomba sur ses genoux et présenta ses poings ensanglantés devant lui en signe de reddition.