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Sujet: Ne tirez pas sur le messager [Nivraya]
Nivraya

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Rechercher dans: Annúminas   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Ne tirez pas sur le messager [Nivraya]    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 3 Déc 2017 - 23:04
La plume court sur le papier comme une épée maniée par une main experte. Au bout des doigts, la même précision qu'un bretteur accompli, qui répète ses gammes inlassablement. Une subtile parade d'un trait vif et précis. Une courbe élégante pour écarter le danger et, sèchement, une estocade qui laisse une empreinte indélébile dans la chair du lecteur. Nivraya lève le poignet un instant, les sourcils légèrement froncés, interrompant la danse macabre de ses mots. Sa signature lui renvoie l'image d'une flaque de sang. Son propre sang. Noir comme la nuit.

Elle frémit. Monstrueuse.

D'un rapide coup d'œil, elle observe la petite messagère qui lui fait face, et qui semble ne pas savoir où se mettre. Elle aurait sans doute dû la congédier, ou bien la faire attendre dehors, mais elle n'y a pas pensé sur le moment, et désormais il est trop tard. L'avoir fait entrer dans son bureau personnel… quelle erreur ! Leurs yeux se croisent un bref instant. Nivraya, le visage chaleureux mais le regard glaçant, la dévisage. Elle cherche le moindre signe inhabituel. Le moindre tressautement annonciateur de troubles à venir. Que cache-t-elle ? Est-elle là pour l'espionner ? Pour récolter des informations à son sujet, qu'elle s'empressera de transmettre à Thorondil ? Verica, puisque c'est là son nom, baisse la tête sans attendre. Il n'est pas bon de défier du regard une personne aussi puissante que la Dame de Gardelame, a fortiori compte tenu de la réputation que lui dressent ses ennemis. L'intéressée ne fait aucun effort particulier pour détruire cette image, mais s'applique tout de même à ne pas faire rejaillir son animosité sur son invitée.

Sauver les apparences. En toute circonstance.

La noble revient à son document, écartant ses préoccupations qui confinent à la paranoïa. Elle le parcourt de nouveau, dans un silence de plomb, désireuse d'y trouver l'acidité mordante dont elle aime à faire preuve. De quoi renvoyer le fauconnier dans ses quartiers, avec de quoi réfléchir. Hélas, le courrier ne lui renvoie que l'image misérable de sa propre faiblesse. Là où elle a voulu frapper, elle s'est dévoilée. En dépit de son désir d'apparaître fière et farouche, le papier agit comme un miroir dans lequel elle contemple amèrement son portrait défiguré par la crainte, l'angoisse, et son éternelle dépendance vis-à-vis des gens d'armes qui s'occupent de réparer ses erreurs. Quitte à risquer leur vie. Elle décèle derrière les courbes régulières de son écriture une fragilité insoupçonnable pour quiconque ne la connaît pas, mais que son destinataire notera sans la moindre difficulté. Il est cependant trop tard pour raturer, corriger, réparer… se faire pardonner… Quand les choses sont écrites, il n'est plus temps de songer au passé, mais à l'avenir. Nivraya se rend compte qu'elle a perdu le fil pendant quelques secondes, et achève prestement sa lecture avant que Verica ne commence à se poser des questions. Elle lâche un bref soupir, comme résigné. Malgré les lacunes de sa lettre, elle sait être incapable de faire mieux :

Citation :
Sire,

Votre promptitude à répondre au devoir qui vous appelle honore votre lignée, et l'Arnor vous sait gré de braver une nouvelle fois le danger pour lui. J'ignore encore quand ce courrier vous parviendra, mais je tiens à vous assurer que je mettrai tout en œuvre pour protéger votre enfant. Mes sentiments personnels n'entrent pas en ligne de compte quand il s'agit d'une affaire de cette importance, et quoi que vous puissiez penser de moi, veuillez croire que j'ai à cœur, comme vous, la sécurité des innocents de ce royaume.

En ce qui concerne votre seconde requête, j'escompte pouvoir vous rendre votre testament en main propre à votre retour. En attendant, je me chargerai de le faire déposer en lieu sûr, et je m'arrangerai pour que, le cas échéant, les dispositions que vous avez prises à l'égard des vôtres soient respectées. Je vous en donne ma parole, qu'importe la valeur que vous lui accordez désormais. C'est le moins que je puisse faire pour vous, après ce que nous avons vécu.

Malgré tout, je vous prie de bien vouloir revenir sain et sauf,

L'Arnor a besoin de vous.

Nivraya Alen de Gardelame


La jeune femme apparaît parfaitement calme au moment de remettre la missive à Verica. Sans trembler, sans hésiter, elle lui transmet le document qu'elle a préalablement refermé soigneusement à l'aide d'un cachet de cire :

- J'ignore si vous parviendrez à joindre le sieur de Kervras. Peut-être a-t-il pris des dispositions pour être contacté directement à son lieu de destination, à moins qu'il ne préfère attendre son retour pour prendre connaissance de ses messages…

En l'absence d'informations supplémentaires, il est difficile à Nivraya de savoir quoi faire, mais le contenu de son courrier pare aux deux éventualités. Elle n'y a rien mis d'urgent ou de compromettant susceptible de la fragiliser si la lettre devait rester posée chez le fauconnier le temps de son séjour, et dans le même temps elle y a mis suffisamment d'éléments personnels rassurants pour permettre à Thorondil d'avoir l'esprit clair lors de sa mission s'il venait à la recevoir alors qu'il se trouve à l'autre bout du pays. Dans un sens, elle espère qu'il pourra la lire bientôt. Sans doute car par écrit, il lui est plus facile de lui communiquer un sentiment qu'elle n'arrive jamais à lui faire parvenir lorsqu'ils se trouvent face à face : la gratitude. Elle sait qu'il a beaucoup sacrifié pour l'Arnor, et ses préoccupations sont parfaitement légitimes. Celle d'un père s'inquiétant pour son enfant… pour sa fille unique… Et bien entendu celle d'un homme se souciant des risques de sa mission, et des conséquences potentiellement funestes de celle-ci.

Il ne peut le comprendre, sans doute parce que la déception et l'amertume qu'il éprouve à son égard l'aveuglent davantage encore que ses yeux épuisés, mais elle ne saurait dire non à une telle requête venant de sa part. S'il est vrai que la jeune femme peut paraître austère et particulièrement inaccessible lorsqu'il tente de l'approcher, au fond d'elle-même elle ne peut ignorer que Thorondil est un héros du royaume, un homme plus brave et plus honorable qu'elle ne le sera jamais. Alors, en lui prêtant ainsi assistance, elle a l'impression de se hisser temporairement à sa hauteur, et, ironie du destin, d'être celle sur qui il se repose. C'est là une drôle de farce, qui ne les réjouit ni l'un ni l'autre, mais peuvent-ils ignorer leur histoire commune et sereinement se laisser porter par les courants de la vie en faisant semblant de ne pas voir ce qui les relie ? Nivraya ne le croit pas, et elle sait qu'un jour elle devra répondre de ses crimes et payer pour ses fautes. Rendre ce service à Thorondil n'est qu'un avant-goût de ce qui l'attend.

- Ce courrier est adressé au seul sieur de Kervras, reprend-elle, et je vous prie de bien vouloir vous assurer qu'il ne sera lu que par lui. Si vous devez le lui faire parvenir, veillez à ce que cela se fasse par l'intermédiaire d'un messager sûr.

Cette consigne tire un demi-sourire à Nivraya. Un « messager sûr ». Cela existe-il encore en Arnor ? Y a-t-il encore une personne de confiance sur qui l'on peut s'appuyer ? L'Ordre de la Couronne de Fer a causé de nombreux ravages, mais il a surtout révélé la vénalité d'une noblesse de moins en moins noble, et de plus en plus en plus courtisane. La seule chose de sûre aujourd'hui, c'est le pouvoir de l'argent, et sa capacité à racheter la loyauté même des plus véhéments défenseurs de l'Arnor. Surtout de ceux-là, en fait, car ce sont souvent ceux qui clament le plus haut et le plus fort leur amour pour le royaume qui sont les premiers à céder aux promesses dorées. Ceux qui s'empressent de trahir leurs serments pour un peu de pouvoir. Ceux qui vendent leurs amis pour sécuriser leur carrière. Ceux qui abattraient leur roi pour s'asseoir à la table d'un souverain fantoche. Les lâches, les scélérats… Il n'en est pas un qui ne mérite pas la potence !

Nivraya inspire profondément pour calmer cette nouvelle bouffée de colère. Celle-ci n'a pas transformé son masque de maîtrise, mais a fait brûler dans ses yeux pendant l'espace d'un instant un brasier destructeur. Ses pensées s'agitent, incontrôlables, tantôt calmes, tantôt violentes. Toujours épuisantes. Elle se lève sans prévenir, rapidement imitée par Verica, qui comprend que la conversation est d'ores et déjà terminée.

- Laissez-moi vous raccompagner, fait Nivraya en se déplaçant avec grâce vers la porte.

Elle l'ouvre, et laisse passer la servante, alors que dans le même temps Alyss bondit hors de son fauteuil, prête à prendre sa nouvelle tâche :

- Alyss… Mademoiselle Verica a besoin d'être raccompagnée. Il n'est pas sûr pour une jeune personne de se promener seule dans les rues d'Annúminas, même si nous sommes en plein jour.

Le ton de la femme est sans appel, et ses yeux verts viennent couper court immédiatement à la double protestation qu'elle s'est apprêtée à recevoir. Celle d'Alyss, d'abord, qui est parfaitement consciente d'être mise à l'écart pour avoir intercédé en la faveur de Thorondil, et qui se retrouve coincée à devoir jouer son rôle de servante obéissante pour ne pas trahir la couverture qu'elle entretient. La jeune Haradrim se fend d'un « oui madame » blessé, avant de se murer dans un silence éloquent. Elle n'ose pas faire une scène devant Verica, mais de toute évidence ce n'est pas l'envie qui lui manque. La seconde plainte est celle de l'envoyée de Thorondil, qui sans doute veut exprimer poliment sa capacité à se débrouiller toute seule. Elle n'a en effet pas besoin de chaperon, et elle saura sans doute retrouver le chemin jusqu'à la demeure du fauconnier. Néanmoins, la décision ne lui revient pas, et dans sa situation il lui est difficile d'opposer davantage qu'une résistance de pure forme, rapidement balayée par la volonté de fer de la Dame de Gardelame. Nivraya, satisfaite d'avoir donné ses consignes, referme la porte de son bureau et retourne à ses affaires les plus urgentes.


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Intérieurement, Alyss est en ébullition, mais malheureusement il est très difficile pour elle de le cacher comme le fait Nivraya. Elle n'a pas sa maîtrise, son talent pour mentir et truquer. Tout se voit sur son visage comme si ses traits ingénus étaient un livre ouvert dans lequel le premier imbécile venu peut lire sans la moindre difficulté. Elle lutte, tente de se discipliner, mais l'humiliation et la frustration rejaillissent sur ses joues qui prennent une teinte rosée, et font briller ses yeux qui jettent de fréquents regards à la porte close du bureau personnel de la Dame. La petite voleuse, courroucée, se trahit par des gestes trop vifs, tranchants, saccadés. Nerveux. Elle est inhabituellement agitée, préoccupée par une intuition qui la taraude, qui la ronge et l'empêche de se concentrer pleinement sur sa tâche.

Raccompagner Verica. Ha ! La belle affaire ! Et pourquoi donc ?

Freyloord, qui l'observe du coin de l'œil en train de passer une veste décente pour sortir en pleine rue, se lève du fauteuil depuis lequel il a assisté à toute la scène et s'approche des deux femmes. Sa lourde carcasse se dresse devant elles comme une véritable muraille, mais Alyss ne semble pas éprouver la moindre crainte en sa présence. Elle lui rend bien deux têtes, peut-être encore davantage, et pourtant ils paraissent se trouver sur un pied d'égalité. Le fait qu'il fasse deux fois le poids de la jeune femme, et qu'il puisse probablement broyer son crâne entre ses paumes, ne change rien à l'affaire. Il baisse sur elle un regard compatissant, et lui pose une main épaisse sur l'épaule. Dans sa voix caverneuse, son murmure ressemble au grognement d'un ours :

- Je vais l'accompagner. Ce sera plus sûr.

Pendant un instant, Alyss est sur le point de protester. Probablement par réflexe, et par esprit de contradiction. Elle a envie de lui dire que c'est sa tâche, et de lui expliquer que même si Nivraya a voulu la sanctionner en lui demandant de s'occuper de cette fille facilement effrayée, ce n'est pas une raison pour qu'elle se défile et se décharge de son fardeau sur quelqu'un d'autre. Plus simplement, elle a envie de s'emporter inutilement contre cette montagne de muscles, seulement responsable de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Elle a juste besoin de passer ses nerfs sur quelqu'un… de préférable quelqu'un avec le cuir solide. Mais si Freyloord est le candidat idéal pour cela, il n'en demeure pas moins plus intelligent que ne peut le laisser soupçonner son physique de Mûmak, et sa proposition n'est pas qu'une simple courtoisie. Elle comprend après quelques secondes qu'il ne fait pas ça véritablement par charité, mais bien pour laisser à la petite Haradrim l'occasion de discuter avec Nivraya, tandis qu'il s'acquitte de sa mission pour elle. Le regard d'Alyss bascule de l'étonnement presque courroucé vers une tendresse immodérée. Elle pose une main minuscule sur son bras épais comme une bûche, et lui souffle avec une rare affection :

- Merci, Frey…

Il hoche la tête pesamment, esquisse ce qui ressemble à une petite tentative de sourire, avant d'emboîter le pas à Verica qui, si elle n'a pas forcément tout compris à la situation, n'a pas pu manquer de déceler la tension certaine et les jeux complexes qui se manifestent entre Nivraya, sa servante et son immense garde du corps. De quoi la laisser avec davantage de questions que de réponses. Freyloord, plus galant que ne le laisse supposer sa carcasse massive, lui ouvre délicatement la porte et la laisse sortir en premier avant de lui emboîter le pas à travers les rues de la capitale. Annúminas n'est pas une cité dangereuse, du moins pas dans les quartiers que fréquentent la famille de Kervras et la famille de Gardelame. Surtout pas à cette heure du jour, avec tant de gens qui déambulent et vaquent à leurs occupations. Toutefois, les craintes de Nivraya ne sont pas entièrement infondées, et Freyloord en est parfaitement conscient. Les ennemis de sa dame sont nombreux, déterminés, et ils ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins, comme en atteste l'épisode de l'attaque à Gardelame. Aux confins du royaume, des tueurs n'ont pas hésité à essayer de s'en prendre à sa maîtresse pour d'obscurs motifs politiques qui restent encore à éclaircir. Simple jalousie ? Volonté d'une famille de consolider son autorité ? Désir de vengeance ?

Quelle que soit la raison qui les anime, les lames restent des lames, et la mort reste la mort. La prudence est de mise dans ce monde de violence, surtout quand on ignore l'identité des assassins et des conspirateurs. Ne pas savoir signifie également qu'il est important de protéger ses arrières, et bien qu'Alyss ne comprenne pas les tenants et les aboutissants de tous ces jeux de pouvoir, le géant sait qu'il est particulièrement dangereux de laisser sortir de la Chambre une jeune servante sans défense, en possession d'une missive cachetée. Si des espions les observent – ce qui est plus que probable dans cette ville infestée de nobles et de bourgeois en quête d'un scandale, d'un levier pour gagner en influence, ou bien d'une fenêtre de tir pour attaquer Nivraya – et qu'ils voient une proie facile susceptible de leur rapporter des informations, qui les empêchera de s'en prendre à elle ? Une agression aussi rapide que furtive, la lettre volée, et des données potentiellement précieuses tombées dans des mains mal intentionnées. Il suffit d'un homme avec un couteau, déguisé en mendiant… Avec la présence du géant aux côtés de la servante, en revanche, la donne se complique pour les éventuels espions. Qui osera venir essayer de lui chercher querelle, désormais, au risque de causer une rixe violente en pleine rue ? Rixe dont ils ne seront pas sûrs de ressortir vainqueurs.

Cependant, il n'est pas aisé de traverser ainsi la ville avec une montagne humaine pour garde du corps. Et s'il s'agit sans doute de la promenade la moins risquée de Verica dans les rues d'Annúminas, on ne peut pas véritablement la qualifier de discrète. De quoi attirer l'attention de la paire d'yeux qui observe furtivement le passage du curieux duo.


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Le menton lourdement appuyé dans le creux de sa paume, Nivraya ne peut détourner le regard de la lettre qu'elle tient dans sa main tremblante. La lettre de Thorondil. Ses épaules voûtées et ses yeux éteints contrastent de manière surprenante avec l'attitude impériale qu'elle a affiché quelques instants plus tôt en présence de Verica. La distinction et l'élégance ont quitté sa personne, la laissant avec la lassitude et l'affliction pour seul costume. Ses yeux dans le vague relisent inlassablement les mêmes mots. Ceux qui l'ont fait frissonner de terreur quelques instants plus tôt. Ceux qui lui ont transpercé le cœur d'une angoisse incomparable…

« Est-ce qu'il sait ? »

- Évidemment que non, répond-elle à voix basse.

Elle essaie de s'en convaincre. Après tout, il évoqué des inquiétudes concernant son enfant, son enfant unique, sa petite Merilin. Elle est le centre de ses pensées quand il n'est pas à la capitale, bien entendu. Nivraya tente de se rassurer. Elle vide ses poumons en un las soupir. Pourquoi a-t-elle été imaginer toutes ces choses ? Une simple ligne sortie de son contexte, totalement surinterprétée, et il s'en est fallu de peu pour qu'elle défaille devant une servante. Elle frémit de nouveau. Peut-être à cause de ces tournures ambiguës, qui lui ont laissé un goût amer sur la langue, comme après avoir goûté au poison de la trahison, du mensonge et de la tromperie. Son crime adultère, le péché qui grandit dans son ventre… tout cela lui brouille l'esprit, lui fait voir des choses qui n'existent pas, entendre des paroles qui n'ont pas été prononcées. Thorondil, assurément, ne sait rien.

« Mais peut-être qu'il le sent… »

Nouvelle bouffée d'inquiétude, contrée immédiatement par une logique froide et implacable, teintée d'un certain dédain dont elle est coutumière.

- Il n'est pas aussi perspicace…

- Je n'aime pas quand tu parles toute seule.

Nivraya sursaute comme si on l'avait pincée, et bondis hors de son fauteuil. Dans ses yeux, la crainte. Puis la colère.

- Alyss ! Bon sang depuis quand est-ce que… Et… et Verica ? Je t'avais demandé de la raccompagner !

Toute à sa confusion, la noble semble incapable de décider sur quoi jeter son ire : la désobéissance de sa plus fidèle alliée, ou bien la présence de cette dernière au moment où, pour une fois, la Dame de Gardelame a affiché un visage profondément humain et vulnérable. La petite Haradrim, laissant glisser l'orage sur sa peau halée, referme la porte derrière elle, toujours aussi discrète. Un vrai chat. Elle lève les mains pour essayer d'apaiser Nivraya, qui semble en proie à une émotion qui n'est pas tout à fait liée à Verica. De toute évidence, quelque chose la chamboule, et Alyss est bien décidée à savoir de quoi il s'agit :

- Freyloord s'en occupe, lâche-t-elle tranquillement. Tu réagis bizarrement, Niv'… Qu'est-ce qui ne va pas ?

- Je vais très bien, figure-toi. Pourquoi est-ce que ça n'irait pas ?

La bravade, aussi ridicule qu'inefficace, est écartée d'un revers de la main par Alyss, qui se montre inhabituellement rebelle :

- Tu sais très bien pourquoi, Niv', ne joue pas à ça… Ça te dérange à ce point-là de recevoir une lettre de la part de Thor' ? Ça te dérange qu'il puisse s'inquiéter avant de partir sur ce genre de mission ?

Les sourcils de la Dame de Gardelame se froncent perceptiblement. Elle n'apprécie pas l'accusation silencieuse qu'elle voit poindre sous la critique de son amie, mais elle n'a pas l'intelligence de prendre de la hauteur et de laisser couler. Elle aurait très bien pu arrêter la discussion sans délai, et simplement rétorquer à Alyss qu'elle aurait voulu être prévenue avant de l'arrivée de ce courrier. Cela aurait sans doute fait l'affaire. Mais au lieu de choisir la voie de la raison, peut-être parce qu'elle est fatiguée et sur les nerfs, elle réagit à chaud. Erreur.

- Et pourquoi est-ce que tu t'inquiètes pour lui, maintenant ? Siffle-t-elle sur un ton irrité. Vous êtes soudainement devenus les meilleurs amis du monde ? Tu éprouves de la compassion pour lui ?

La Haradrim hésite, surprise par cette rhétorique agressive et acide à laquelle elle n'est pas habituée. Ou plutôt, dont elle n'est pas habituée à être la cible, car elle a déjà vu Nivraya vilipender des adversaires politiques. Elle n'aurait pas cru être un jour du mauvais côté de la conversation. Repoussée par les questions qui pleuvent sur elle, la voleuse essaie de trouver les mots justes, tout à coup sur la défensive, en position de faiblesse car elle n'a pas l'art de s'exprimer avec autant d'éloquence que la femme rousse. Maladroite, elle rétorque :

- Un peu, oui ! Après tout il t'a sauvé la mise plus d'une fois, tu crois que ce n'est pas normal ?

- Je n'ai pas besoin que tu me rappelles ça, Alyss ! À ton avis, j'ai envie de m'entendre rabâcher à tout bout de champ que je serais morte s'il n'avait pas été là ? Tu crois que c'est ça qui va me faire aller mieux ? Je vois que tu veux prendre sa défense… bravo Alyss… c'est très noble de ta part ! Mais n'oublie pas que les gens comme lui sont aussi doués pour créer des problèmes que pour en régler ! Ils sont pratiques quand on les a sous la main, mais il faut savoir les tenir éloignés de soi pour ne pas trop souffrir de leur présence. Des « cœurs vaillants », de « nobles âmes » ? Des brutes épaisses et sanguinaires, oui !

La jeune voleuse accuse le coup. Les paroles cruelles de Nivraya la touchent plus durement qu'elle ne veut l'admettre, et elle se recroqueville sur elle-même comme pour absorber l'impact d'un choc en pleine poitrine. Le souffle coupé, elle lève des yeux ébahis vers son amie. La Dame semble ne même pas s'en rendre compte, absorbée qu'elle est dans un monologue qu'elle paraît cracher avec tout le fiel que recèle sa personnalité devenue mauvaise depuis quelques temps. Alyss vacille, et lâche dans un murmure :

- Je suis comme lui, Niv'… ?

À mi-chemin entre l'interrogation et l'affirmation, de quoi déstabiliser la noble, qui s'interrompt, interloquée par cette réponse inattendue :

- Comment ça ?

- Je te demande si je suis comme Thorondil… Bonne qu'à être utilisée pour des missions dangereuses… Utile, mais sacrifiable.

C'est au tour de Nivraya de recevoir un coup de poing dans l'estomac. Ses yeux s'agrandissent légèrement, et sa bouche s'entrouvre tant elle est choquée par ce qu'elle entend. Elle bafouille soudainement, déstabilisée. Alyss… son Alyss, doutant tout à coup d'elle ? Le premier sentiment à l'envahir est une profonde stupéfaction qui la paralyse l'espace d'un instant, avant que le duel entre la honte et la rage ne tourne à l'avantage de cette dernière. Elle se lève comme une furie, et marche droit vers la Haradrim en fulminant :

- C'est ça que tu penses de moi !? Tu penses vraiment que je ne suis bonne qu'à envoyer des gens à la mort, que j'utilise Thorondil, que je t'utilise toi !? Tu crois vraiment que… que… Raaaah !

Son rugissement rappelle à la petite Haradrim des jours meilleurs. Quand Nivraya n'était pas encore cette femme noble engoncée dans son apparence, sa réputation, et ses titres. Quand elle n'était qu'une femme simple, à qui il arrivait de jurer, de s'emporter… C'est cette Nivraya qui émerge tout à coup, et qui donne l'impression de vouloir envoyer à travers la pièce l'objet le plus cher et le plus fragile qu'elle puisse trouver. À défaut de pouvoir briser un vase ou une assiette hors de prix, elle étrangle un adversaire invisible, avant de revenir à son interlocutrice.

- Alyss ! Bon sang, réveille-toi ! C'est Thorondil qui t'a monté contre moi, c'est ça !? Je vois clair dans votre manège… Il n'a pas apprécié d'être envoyé en mission, et il se sert de toi pour faire passer ses messages, pour m'atteindre. D'abord sa lettre… maintenant ça…

- Niv', non, tu sais que c'est faux ! Se défend-elle, sincèrement peinée d'être vue comme une potentielle menace pour celle à qui elle a dédié sa vie.

- Faux !? Mais regarde-toi, Alyss ! Je t'ai tout donné, je t'ai protégée toutes ces années, et voilà que tu me trahis pour ce… ce… ce rôdeur... plus à l'aise sur les routes et dans les campagnes qu'au Sénat où il devrait siéger. C'est à lui que tu veux accorder ta confiance !? Si tu crois que je vous utilise tous les deux, si tu crois que je vais t'envoyer à la mort, pourquoi est-ce que vous ne vous enfuyez pas tous les deux, hein ? Loin de l'horrible femme qui fait tout ce qu'elle peut pour maintenir ce royaume dans le droit chemin ! Je t'en prie, vas-y ! Va donc ! La porte est là, ne te retiens surtout pas !

Ce coup bas fait monter les larmes aux yeux d'Alyss. Elle sait qu'au fond, Nivraya n'en pense rien et que ce sont simplement des mots prononcés sous le coup de la colère… Elle sait que ce sont des paroles blessantes mais maladroites, qui seront rapidement regrettées. Mais en est-elle vraiment certaine ? Leur relation est-elle si solide qu'elle a toujours voulu le croire ? Est-elle aussi indispensable à Nivraya de Gardelame, désormais une des femmes les plus puissantes du royaume ? Maintenant qu'elle a la main sur une bonne partie de l'appareil politique du royaume, pourquoi irait-elle s'encombrer d'une vulgaire voleuse ? La voleuse perd pied. Le monde entier lui semble tout à coup différent, comme si une chose immuable et inaltérable venait tout à coup de s'effriter. Nivraya et elles ne s'étaient jamais disputées. Jamais. Peu importe la difficulté, elle a toujours su pouvoir compter sur elle, et réciproquement, la Dame a toujours su qu'elle pouvait lui faire confiance. Mais il en était de même pour Justar, avant que la situation lors du mariage royal à Minas Tirith ne change tout… Tombé en disgrâce aux yeux de sa propre épouse, le pauvre Justar a tout tenté pour essayer de regagner la confiance de celle-ci. Y est-il parvenu, aujourd'hui ? Y parviendra-t-il jamais ? En essayant de dire ses quatre vérités à son amie, Alyss ne vient-elle pas d'emprunter le même chemin ?

Cette pensée la déchire de l'intérieur, et elle menace de s'écrouler.

- Niv', ne dis pas ça, répond-elle, les mâchoires crispées, au bord des larmes. Tu n'as pas le droit de…

- J'ai tous les droits, ici ! Notamment celui de savoir pourquoi ma servante fricote avec cet aventurier, dans mon dos, pour lui permettre d'introduire sa messagère jusque dans mon sanctuaire.

Nouvelle estocade, peut-être encore plus douloureuse :

- Ta servante ? Niv'…

Cette dernière n'écoute pas, et continue sa litanie comme un archer faisant pleuvoir ses traits précis et mortels sur une cible agitant un drapeau blanc. Mais il n'y a pas de reddition possible, dans l'antre de la renarde :

- Cet endroit est mon sanctuaire, et si j'ai choisi d'y habiter c'est parce que je m'y sens en sécurité, à l'abri… Et toi, tu as jugé bon d'en laisser la clé à un homme qui ne m'a apporté que du malheur ? Pourquoi est-ce qu'il t'a paru judicieux d'intercéder en sa faveur ? Hein ? Pourquoi ça ?

- Parce que c'est le père de ton enfant, voilà pourquoi !

Les mots ont franchi les lèvres d'Alyss sans qu'elle y réfléchisse vraiment. Cependant, pendant les longues secondes qui suivent et s'écoulent dans un silence de mort, elle a tout le temps de regretter ses paroles. Chaque instant semble durer une éternité, qui lui offre le loisir de voir le visage de Nivraya se décomposer. Morceau par morceau. En une phrase, elle a pulvérisé le masque fragile qui se fragmente comme un miroir percuté par un bélier. Et derrière, le néant. Dans ces iris blessés, où l'on a pu lire tantôt la colère, tantôt l'indignation… il n'y a plus rien. Rien qu'un abîme béant de noirceur absolu, un puits sans fond. Un monde de ténèbres et de désolation qui menace d'engloutir toute chaleur, toute joie, toute vie. Alors que le sang reflue du visage de la jeune femme, et que ses yeux verts semblent s'éteindre comme une bougie soufflée par un courant d'air, la voleuse prend la mesure de la blessure qu'elle vient de raviver.

- Niv', je…

Une gifle puissante l'arrête net. Sonore. Des larmes s'envolent au moment de l'impact, et retombent silencieusement sur le sol. Impossible de savoir à laquelle des deux elles appartiennent. S'en suit une longue seconde d'un profond silence, seulement rythmé par leur respiration intense. Lorsqu'Alyss trouve la force de revenir à Nivraya, elle lit dans son regard embrasé la rage de vivre d'une femme emmenée trop souvent aux portes de la mort. Le poids qu'elle porte en son sein lui rappelle douloureusement la peine, le malheur, le sang, et la trahison. Un enfant à naître, symbole de tant de méfaits et de tant de violence… La Haradrim ne peut retenir les larmes qui embuent rapidement son regard. Des larmes de tristesse davantage que des larmes de souffrance.

- Ne répète… plus jamais… ça… assène Nivraya le souffle court, comme si elle sortait d'une bataille. Thorondil n'est pas le père… Tu m'entends ! Il n'est pas le père !

La noble détourne le regard, pour cacher ses propres sanglots. Elle s'appuie lourdement sur son bureau, dos à son amie, incapable de la regarder en face. Pas maintenant. Pas après ça. Pas avant d'avoir recomposé à la hâte un visage présentable, dans lequel elle ne verra pas les cicatrices encore à vif de ses tourments. Elle inspire profondément, agitée de tremblements nerveux. La colère reflue, à l'instar de la marée, en laissant sur le sable de ses pensées le parfum salé de l'amertume. Les secondes défilent. Interminables. Puis Nivraya prend finalement la parole. Sa voix a changé. Brusquement redevenue humaine.

- Je suis désolée, Alyss… Oh par les Valar pardonne-moi…

Pas un son en retour.

La Dame se retourne, et ses yeux émeraude se posent sur la porte désormais ouverte. La voleuse, quant à elle, s'est envolée. Toujours aussi discrète.

Comme un chat.


Un chat échaudé.

#Nivraya #Thorondil #Alyss
Sujet: De l'Art de Garder son Tact
Ryad Assad

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Rechercher dans: L'Arnor   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: De l'Art de Garder son Tact    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 31 Mar 2017 - 0:12
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En ouvrant la porte, Thorondil n'avait pas pu ne pas reconnaître Alyss. La jeune servante Haradrim, qui en réalité cachait de nombreux talents martiaux, s'était présentée à lui dans la soirée à une heure qui n'éveillerait pas l'attention des curieux. Elle savait que les rumeurs avaient plu sur sa maîtresse, et elle préférait lui éviter d'avoir à subir de nouveaux désagréments. Particulièrement quand on comptait les jours avant que sa grossesse ne commençât à se voir. Était-ce d'ailleurs la raison pour laquelle Nivraya n'avait pas convoqué très officiellement le fauconnier, comme elle aurait pu aisément le faire en vertu de la position qui était la sienne ? Beaucoup de choses demeuraient floues dans l'esprit de la petite guerrière, qui n'avait entendu que des échos terrifiants et des bribes inquiétantes de ce qu'il s'était passé à Gardelame. Nivraya attaquée chez elle, des intrus armés qui avaient réussi à pénétrer jusque dans sa chambre. Ils avaient été empêchés dans leurs sombres desseins par Thorondil – toujours lui – qui avait réussi à éliminer la menace, et à protéger la dame de ces lieux. C'était la version officielle. La version officieuse, Alyss elle-même ne la connaissait pas et, si on en croyait le visage dur de la noble à chaque fois qu'elle essayait d'aborder le sujet, elle ne la connaîtrait jamais. C'était une autre de ces choses que Nivraya conservait dans le coffre-fort qui lui servait de cœur, et que la petite Haradrim acceptait de ne jamais pouvoir élucider.

Pourtant, elle aimait percer les coffres-forts.

La surprise du fauconnier passée, il l'invita à entrer et elle se glissa à l'intérieur avec la souplesse d'un chat. Dès que la porte se fût refermée sur eux deux, elle abandonna son attitude servile et effacée pour redevenir la boule d'énergie qu'elle pouvait être au quotidien. Elle s'avança au milieu de la pièce en écartant les bras comme si elle savourait de pouvoir de nouveau utiliser son corps librement, avant de se jeter en travers d'un fauteuil de cuir. Elle n'avait pas attendu d'y être invitée… elle n'avait pas demandé à son hôte ce qu'il en pensait. Elle était simplement comme ça, elle marquait son territoire et elle faisait comprendre au fauconnier qu'il n'était pas en position de lui refuser quoi que ce fût.

- Asseyez-vous, fit-elle en lui montrant l'autre siège en face.

Sans attendre, elle enchaîna en déposant un document entre eux deux. Un pli qui n'était pas scellé, et dont la jeune femme avait de toute évidence connaissance. Elle se mit d'ailleurs à lui détailler les rouages d'un plan complexe, avant même d'avoir pris la peine de lui annoncer qu'il était sur le point de partir en mission :

- Ils sont deux, apparemment. Leur identité a été confirmée, mais il reste encore à trouver où ils se cachent. Ils font des visites relativement régulières dans un village, qui se trouve dans le Rhudaur, et…

Elle nota que quelque chose clochait :

- L'Ordre, je parle de l'Ordre. De la Couronne. De Fer. Oui, non, c'est une histoire compliquée, asseyez-vous.

Elle se redressa pour lui faire face, et poursuivit tout en grattant négligemment son pied :

- Nivraya veut que vous les trouviez, et que vous vous débarrassiez d'eux. C'est simple, et c'est dans vos cordes d'après ce qu'on raconte. Le village est à une bonne semaine de marche, mais vous trouverez tous les détails dans la lettre, elle a pensé à tout.

Le « comme d'habitude » aurait été de circonstance, mais depuis les récents événements c'était une expression qu'Alyss utilisait beaucoup moins. Nivraya avait toujours été le cerveau de leur duo, et jusqu'à présent ses plans ingénieux avaient garanti le succès de toutes les affaires qu'elles avaient entreprises ensemble. Aujourd'hui pourtant, il semblait que quelque chose avait grippé le mécanisme. La vivacité d'esprit s'était émoussée, à moins que les ennemis fussent simplement devenus plus dangereux et plus retors. Quelle que fût l'explication, la noble n'apparaissait plus aussi invulnérable qu'auparavant, bien que l'épisode terrible de Gardelame semblait lui avoir donné une nouvelle vie. Elle s'était remise au travail avec ardeur, et son retour à la capitale lui avait fait le plus grand bien… du moins en apparence. Alyss n'était pas certaine que son obsession pour l'ordre, l'Ordre, et la stabilité du royaume était une bonne chose mais, « comme d'habitude », elle ne faisait aucun commentaire et se contentait de suivre.

Toute absorbée par ses réflexions, la jeune Haradrim ne s'était pas rendue compte que Thorondil avait commencé – et fini – la lecture de la brève missive. Les informations étaient toutes là, en effet : la destination, le nom et le profil des individus à localiser, et même l'adresse d'un contact local qui pouvait les aider à les identifier le cas échéant. Un « homme de confiance », terme qui paraissait particulièrement malvenu sous la plume de Nivraya, même quand il était consigné d'une écriture aux courbes élégantes. La mission semblait claire, et tout avait vraisemblablement été balisé pour faciliter la tâche du fauconnier. Elle avait même pris la liberté d'envoyer des palefreniers faire préparer sa monture, qui l'attendrait le lendemain matin. C'était le signe qu'il devait encore une fois tout abandonner pour son royaume, et filer face à un péril mortel sans avoir le temps de faire ses adieux à ses proches. Alyss s'était d'abord étonnée de ce délais exceptionnellement court, mais Nivraya lui avait rétorqué avec assurance : « je crois que s'il pouvait, il partirait plus tôt encore ».

- Vous avez tout ce qu'il vous faut, Thor'.

Elle avait usé de ce diminutif avec autant d'aisance que s'ils avaient été amis depuis des dizaines d'années, sans se préoccuper de savoir comment le vétéran de la Bataille du Nord prendrait cette marque de familiarité. A dire vrai, elle se fichait de beaucoup de choses, au nombre desquelles les états d'âme de Thorondil. Elle ne le méprisait pas, loin de là, mais elle ne pouvait s'empêcher de remarquer que les malheurs qui s'étaient abattus sur Nivraya récemment coïncidaient toujours avec sa présence. Certes, il avait le beau rôle, celui du sauveur providentiel… Mais elle n'aimait pas qu'il attirât sur sa protégée des dangers qu'elle n'était pas capable d'affronter. En outre – et cela, seul Freyloord l'avait deviné – elle n'aimait pas voir quelqu'un d'autre tenir la place de garde du corps. C'était toujours elle qui avait protégé la noble, et les exploits de Thorondil lui renvoyaient immanquablement ses propres échecs. Cette fois, les rôles étaient inversés, et elle en était bien contente. C'était le fauconnier qui allait partir à l'aventure loin d'Annúminas, et c'était elle qui allait demeurer auprès de Nivraya pour assurer sa protection.

Tout rentrait enfin dans l'ordre.

Alyss se leva brusquement, et se dirigea vers la porte sans avoir été invitée à prendre congé – mais Thorondil s'en formaliserait-il maintenant ? –, quand elle sembla se souvenir de quelque chose. Quelque chose d'important, qu'elle n'avait peut-être pas su formuler jusqu'à présent, et qu'elle n'était pas vraiment fière de devoir lâcher à haute voix. Toutefois, il le fallait, et elle savait qu'elle n'en aurait peut-être pas l'opportunité de sitôt. Observant son dos, le fauconnier put voir les frêles épaules de la jeune femme s'affaisser légèrement, au moment où elle souffla :

- Ce qu'il s'est passé à Gardelame…

Une pause. Elle aurait pu faire compliqué, mais préféra la simplicité :

- Merci. Merci d'avoir été là.

Elle inspira profondément. Elle avait l'impression de s'entendre dire « merci d'avoir été là à ma place », et ces mots lui retournaient l'estomac. Pourtant, il y avait des choses qu'elle-même ne pouvait nier, des vérités devant lesquelles elle ne pouvait pas fermer les yeux. Il avait sauvé Nivraya. D'ailleurs, elle se souvint de beaucoup de choses, des éléments qui lui revenaient en pleine figure et qu'elle se sentit obligée d'exprimer à haute. Pourquoi ?

Pourquoi pas ?

- Merci aussi pour ce que vous avez fait au mariage, et… avant… merci de m'avoir sauvée.

Elle faisait référence à l'épisode qui avait rendu célèbre le fauconnier, la fameuse prise du beffroi d'Annúminas. Ils avaient lutté vaillamment contre la garde de la ville, submergés par le nombre et retranchés dans les escaliers sinueux qui menaient aux cloches de la ville pour essayer de sonner le retour d'Aldarion. Alyss avait failli y laisser la vie. Un guerrier venu du Nord lointain avait réussi à la tirer à l'intérieur in extremis, et elle avait dû à ces braves combattants de survivre. Elle se souviendrait toujours de la crainte qu'elle avait ressentie au moment où les hommes du Roi avaient déferlé à l'intérieur, et où elle avait vu Thorondil et ses compagnons se battre comme des lions pour sauver leurs vies. Sa vie. Elle inspira profondément.

Finalement, ce n'était pas aussi difficile que ça en avait l'air.

Retrouvant un peu d'entrain, elle se retourna et lança avec un sourire malicieux :

- Ne vous méprenez pas, je ne vous dit pas tout ça parce que c'est une mission suicide. Je sais que vous allez très bien vous en sortir !

Elle se mordit la lèvre, et ajouta :

- Comme d'habitude.


▼▼


Le matin était arrivé bien trop vite, et amenant avec lui les premiers rayons du soleil qui promettait une nouvelle journée chaude et agréable. Voyager par ce temps serait un véritable plaisir. A l'heure où la capitale d'Arnor s'éveillait, Thorondil, lui, était déjà sur le pied de guerre. Habillé et armé pour aller accomplir sa mission, il n'avait bien entendu pas oublié la missive de Nivraya : un ordre de mission qu'il valait mieux ne pas laisser traîner à la portée du premier venu. Secrets d'État obligent. Il ignorait sans doute les raisons précises de son envoi sur le terrain, mais il pouvait faire l'hypothèse plus que raisonnable que si tout ceci avait été officiel, un bataillon entier de la garde royale serait parti sur le terrain pour traquer et tuer les ennemis du royaume. Si on avait besoin d'un homme tel que lui, c'était autant pour ses compétences que pour sa discrétion. Il avait trouvé sa monture dans les écuries où il l'avait laissée, prête comme le lui indiquait le message. Parfaitement équipée, pas trop chargée, elle semblait en forme et avait le poil luisant. Le temps était radieux et le cavalier progresserait à un bon rythme qui, s'il parvenait à le maintenir, lui permettrait peut-être de gagner une journée. Vraiment, il n'y avait rien à redire. Tous les détails semblaient avoir été parfaitement arrangés, et il ne lui restait plus qu'à partir désormais.

Tous les détails ? Peut-être pas.

En effet, alors que le fauconnier était sur le point de se hisser en selle, entendit arriver des bruits de pas accompagnés du claquement familier de sabots sur les pavés. Quelles étaient les chances pour que ce voyage qui s'annonçait tranquille jusqu'à présent se passât sans encombres ? Nivraya était la championne des – mauvaises – surprises, et cette fois encore elle en avait réservé une à Thorondil. Le fauconnier vit arriver un homme, relativement jeune, qui semblait chercher quelqu'un. En croisant le regard du vétéran, il devint évident qu'il avait trouvé :

- Sire de Kervras, mes hommages ! Je suis Sir Reginald Von Telsby, tout à fait enchanté de faire votre connaissance, c'est pour moi un immense honneur et un plaisir insigne que de participer auprès de votre auguste personne à la noble entreprise qui nous a été confiée par Dame de Gardelame.

Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! Regina10

Il sortit de poche un morceau de papier, et le tendit révérencieusement à Thorondil. Le message était bref, mais il confirmait les dires du jeune homme. Il avait bien été envoyé par Nivraya, et il devait accompagner le fauconnier dans sa mission.

- Sire, laissez-moi vous dire que j'ai tout entendu et tout lu à votre sujet. Vos exploits sont légendaires, et votre prise du beffroi… quelle audace ! Au nez et à la barbe de la garde de la ville, extraordinaire ! Moi-même je n'aurais sans doute pas été capable d'un tel haut fait, bien que j'aspire humblement à imiter votre seigneurie. Je suis donc, vous le comprenez, doublement heureux de participer à cette glorieuse aventure à vos côtés : j'imagine sans peine tout ce que je pourrai apprendre de vous, de votre exemplarité tant vantée et de votre sagesse digne des plus grands ! Sire, s'il m'est permis, j'aimerais vous recommander de…

Et il continua ainsi. Longtemps.

Les raisons pour lesquelles Nivraya le lui avait affecté étaient plus qu'évidentes, désormais.

#Alyss #Thorondil #Reginald
Sujet: Annúminas
Ryad Assad

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Rechercher dans: Annúminas   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Annúminas    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 27 Mar 2017 - 1:25
« Annúminas fut bâtie par Elendil en 3320 du Deuxième Âge sur la rive sud du Lac Evendim, près de la source du Baranduin, et elle devint la capitale du Royaume d'Arnor. On y gardait la Clairvoyante d'Annúminas, un des trois Palantíri du Nord. Elle fut probablement abandonnée au profit de Fornost lors de la division de l'Arnor, et tomba en ruine au cours des siècles suivants. Au début du Quatrième Âge, le Roi Aragorn rebâtit la ville pour en faire sa capitale. »

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Grande cité du Nord de la Terre du Milieu, Annúminas impressionne par ses dimensions spectaculaires. Il ne surprend personne d'apprendre que la ville a été pendant près de trois siècles la capitale du Royaume Réunifié. Sa rénovation récente fait de cette place-forte une des constructions les plus modernes de la Terre du Milieu. L'architecture urbaine a été pensée pour convenir à la haute noblesse, et on y trouve de larges avenues, des places et des fontaines magnifiques. Le superbe panorama sur le lac Evendim est visible depuis les bâtiments qui s'élèvent plus haut que les grandes murailles. Ceux-ci ont été construits dans le style núménoréen que l'on peut retrouver à Minas Tirith, mais en y ajoutant des influences plus modernes qui donnent à la ville un charme particulier. En été, Annúminas est une ville agréable à vivre, et sa population chaleureuse n'hésite pas à se montrer en ville, sur les marchés animés qui concentrent les productions des alentours. Les hivers, cependant, sont beaucoup plus rudes et la ville est régulièrement plongée sous des pluies diluviennes ou d'abondantes chutes de neige qui ternissent la beauté du paysage. Alors, chacun préfère rester chez soi, occupé à trouver un peu de chaleur en attendant des jours meilleurs.

Dans la plus pure tradition du Royaume Réunifié, la cité reste avant tout un point défensif, et un très fort contingent militaire est présent entre les murs pour assurer la sécurité des principaux personnages du royaume. C'est notamment le siège de la très célèbre Garde de la Rose, le régiment le plus prestigieux de l'armée d'Arnor qui fait office de garde personnelle au Roi. En dépit de la forte militarisation de la ville, il ne règne pas une atmosphère oppressante et la vigilance des soldats garantit aux sujets une certaine quiétude.

~~ Personnages importants de la région ~~



- ALDARION ANGLAREB -
Roi de l'Arnor, Prince de Gondor

Le Roi Aldarion est un des monarques les plus puissants de la Terre du Milieu. Homme de guerre avant d'être un homme de cour, il n'a jamais rechigné à partir au combat avec ses armées et s'est forgé une solide réputation de bretteur sur le champ de bataille. Certains de ses barons le considèrent comme tyrannique, d'autres comme simplement désireux de raffermir le pouvoir royal en Arnor, mais il est certain qu'Aldarion dirige son royaume avec poigne. Cependant, la mort tragique de la feue reine Elaera, puis le terrible assassinat des trois héritiers au trône, ont affaibli considérablement l'homme comme le monarque. Son récent mariage avec la Princesse de Dale participe d'une nouvelle politique visant à donner une image plus humaine au pouvoir royal, et certainement à remplacer la lignée perdue.



- DINAELIN -
Reine de l'Arnor, Princesse de Dale

Née Dinael, qui signifie « Reine du Lac », il semblait bien que la destinée la Princesse de Dale était toute tracée. Grâce à son mariage avec le Roi Aldarion, elle est en effet devenue la Reine d'Arnor Dinaelin, « Reine des Lacs » en référence au lac Evendim sur les berges duquel est bâtie la capitale Annùminas. En dépit de son jeune âge, la personnalité de la souveraine est bien affirmée et elle a su s'entourer de conseillers précieux pour remplir ses tâches au mieux. Amatrice d'arts et de culture, elle s'efforce de développer ces aspects dans son royaume, sans manquer naturellement à ses devoirs. Son caractère et son éducation à la cour de Dale l'inclinent à se montrer proche du peuple, dont elle écoute volontiers les doléances. Hélas, il semblerait que le premier héritier de la Reine se fasse attendre, suscitant de plus en plus d'inquiétudes.



- PALLANDO -
Conseiller de la Reine Dinaelin

Toujours rasé de près, toujours vêtu de bleu, et toujours de bon conseil. Voilà comment la plupart des gens décriraient Pallando. Personnage nouveau de la cour d'Annùminas arrivé en même temps que la nouvelle souveraine, il a su s'imposer comme une figure incontournable pour les nobles de tous horizons qui se plaisent à venir converser avec lui. On raconte même qu'il partage sa sagesse avec l'Intendant Enon qui ne rechigne jamais à solliciter son avis. Pourtant il demeure assez discret et réservé, peu intéressé par la fortune ou le prestige que pourraient lui conférer sa position. Particulièrement protecteur vis-à-vis de la jeune Reine, Pallando veille en permanence à ce que ni sa vie ni ses intérêts ne soient menacés.


- SIRION IBN LAHAD -
Intendant du Royaume d'Arnor

Khandéen d'origine, celui qui se fait surnommer "Le Fantôme" a longtemps oeuvré dans l'ombre pour protéger les intérêts de l'Arnor et de son Roi. Commandant emblématique de la Rose Noire, il a été une des figures centrales du combat contre l'Ordre de la Couronne de Fer en Arnor et ailleurs. Et alors que la paix revient dans le royaume, Aldarion a décidé de récompenser l'un de ses plus fidèles sujet en lui confiant l'Intendance du Royaume. Combattant d'expérience mais novice en politique, Sirion aura fort à faire pour lever les doutes à son sujet.  


- ALETH ENON -
Ex-Intendant du Royaume d'Arnor

Aleth Enon est un personnage central du royaume d'Arnor. Politicien hors pair, doté d'une intelligence redoutable, il a d'abord été le conseiller personnel du Roi Irimon, avant de devenir Intendant d'Arnor sous le Roi Aldarion. Sa fidélité à la couronne n'est plus à prouver. Considéré comme un habile meneur de débats, il sait s'entourer et rassembler autour du Roi une majorité de nobles. Depuis la chute de l'OCF, il est cependant moins en vue. Rattrapé par son âge, il a cédé son poste d'Intendant au loyal Sirion Ibn-Lahad, bras armé de l'Arnor. Officiellement à la retraite, Aleth reste cependant un conseiller de choix pour Sa Majesté et dispose toujours d'une grande influence auprès des puissants d'Arnor.


- NIVRAYA ALEN DE GARDELAME -
Assistante de l'Intendant d'Arnor

Nivraya est un cas presque unique en Arnor, où les femmes ne tiennent habituellement pas de rôles aussi prestigieux. Retorse, froide et calculatrice, c'est une femme politique rompue aux arcanes de la manipulation et de la tromperie. Elle met ses incroyables talents au service de l'Arnor, qui lui garantit un statut social et un prestige auxquels elle tient. Ses ennemis lui ont fait payer au prix fort sa promotion rapide, mais elle est toujours vivante et bien déterminée à raffermir le pouvoir d'Aldarion par tous les moyens. Désormais au service du charismatique Sirion Ibn-Lahad, l'ambitieuse jeune femme a une opportunité en or de continuer à faire croître son influence



- THALION « THORONDIL » DE KERVRAS -
Fauconnier du Roi

Thalion de Kervras, que tout le monde ou presque connaît sous nom nom usuel de Thorondil, est un guerrier dans l'âme. Arpenter les champs de bataille aussi longtemps que lui n'est évidemment pas sans conséquences, et un terrible coup l'a laissé cruellement mutilé au visage, le privant progressivement de sa vue. Conscient que son sort était scellé, il a décidé de consacrer ses dernières années à combattre le mal partout, revenant même en Arnor pour aider le Roi Aldarion à regagner son trône. C'est ce fait d'armes qui lui a valu sa notoriété actuelle, à laquelle il aurait préféré échapper. Figure montante de la noblesse arnorienne, homme de confiance du Roi, il suscite l'intérêt de tous les nobles ayant une fille à marier.



- BALLAS -
Capitaine de la Garde de la Rose Blanche

Ballas est un guerrier accompli, ami d'enfance du Roi Aldarion à qui il voue une loyauté sans failles. Vétéran de nombreuses batailles, notamment la Bataille du Nord, il s'est également illustré lors de la lutte contre l'Ordre de la Couronne de Fer. Quand Rousnou fut démis de ses fonctions, Ballas fut nommé à la tête de l'unité la plus prestigieuse de l'armée d'Arnor, qu'il dirige d'une main de fer. Dur mais juste, il exige toujours le meilleur de ses hommes qui le suivent aveuglément.
Sujet: [Gardelame] La nuit la plus longue
Nivraya

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Rechercher dans: L'Arnor   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: [Gardelame] La nuit la plus longue    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 21 Juin 2016 - 16:21
La pluie continue de tomber, jetée férocement contre les murs de la forteresse par le vent qui souffle en tempête, s'engouffrant dans les rues et les passages, accélérant comme s'il prenait son élan pour venir s'écraser sur les pauvres âmes qui tentent de rester droites au milieu de ce chaos. Le calvaire pénètre violemment dans la maison quand la porte s'ouvre, et ils rentrent à l'intérieur, frissonnant, rejetant leurs vêtements de pluie trempés pour dévoiler leurs visages. La fatigue se lit sur leurs traits, de même qu'une forme de soulagement. Enfin. Enfin à l'abri. Le premier passe la main dans ses cheveux pour tenter vainement d'en chasser les gouttelettes qui dégoulinent le long de ses longues mèches brunes, et se tourne de droite et de gauche en regardant autour de lui. Les autres commencent à faire de même, apparemment à la recherche de quelqu'un qu'ils ne parviennent pas à localiser :

- Mils ? Appellent-ils.

Personne ne répond. Tout est silencieux. Il est tôt dans la journée, certes, mais Mils est d'ordinaire relativement matinal, et il n'aurait pas manqué d'entendre le bruit des chevaux à l'extérieur malgré les éléments déchaînés. Les deux hommes et la femme, las d'appeler, finissent par déposer leurs vestes sur une malle, alors que le plus âgé se tourne vers le plus jeune :

- Justar, tu avais donné congé à Mils ?

- Non père, et j'avais même laissé des hommes en faction ici. C'est curieux qu'il n'y ait personne… Même les torches sont éteintes…

Un bref silence s'installe entre les deux hommes, qui ont reçu une éducation guerrière et dont le caractère les pousse à s'inquiéter automatiquement pour ce genre de détails. Il fait anormalement frais entre ces murs qui leur sont pourtant familiers, mais ce n'est pas la température qui leur jette un frisson le long de l'échine. Un mauvais pressentiment, irrépressible, les saisit. Ils ont tous les deux l'épée au côté, et par réflexe ils y portent la main. Ce geste n'est pas pour rassurer la seule femme du groupe, épouse du plus âgé, qui lui prend le bras en lui demandant :

- Que se passe-t-il ? Vous m'inquiétez tous les deux.

- Ce n'est pas normal, Alva. Reste avec nous. Justar, ouvre la voie je te prie.

Les lames chantent en quittant leur fourreau, davantage par sécurité que parce qu'ils ont clairement identifié une menace. Toutefois, il est plus sûr d'avoir l'arme en main que de regretter par la suite de n'avoir pas su prendre les précautions qui s'imposent. Les trois silhouettes attaquent le couloir sur leur droite, en restant aux aguets, essayant de ne pas faire de bruit. Ils connaissent le Palais Blanc comme personne, bien entendu, mais aujourd'hui il leur semble soudainement hostile, mystérieux et dangereux. Au lieu de déambuler dans ses corridors baignés de lumière d'un pas guilleret, ils progressent prudemment, se méfiant de chaque embranchement, de chaque recoin sombre où pourrait se tapir un assaillant. Alva ne peut s'empêcher de rompre le silence pesant :

- Baralhar, attends… Si Nivraya est ici, il faut aller la chercher en premier. Nous devrions commencer par les chambres.

Les deux militaires, songeant à la même chose, ont bien évidemment mis le cap sur l'aile où dorment leurs serviteurs et les hommes d'armes qui gardent leur demeure. Rester groupés, chercher du renfort, et faire un état des lieux de la situation. Sans se concerter, ils ont pensé à la même chose, mais la logique d'Alva de Gardelame les ramène à la raison : il y a des âmes qui doivent être sauvées d'abord, et Justar doit penser à son épouse avant tout. En vérité, il y a pensé. Cependant son infirmité, son bras droit manquant, ne lui permet pas de voler au secours de sa chère et tendre comme il l'aurait dû.

- Justar, retrouve Nivraya. Nous continuons par ici. Dépêche-toi.

Le fils prodigue, dissimulant son inquiétude, hoche la tête fermement et fait demi-tour, courant à toutes jambes pour rejoindre la chambre conjugale. Il sait que se précipiter n'est pas la meilleure idée si quelqu'un s'est introduit dans le Palais, mais son objectif est de retrouver sa femme, peu importent les risques. Il attaque les marches quatre à quatre, courant à en perdre haleine, à en perdre l'équilibre. L'épée dans sa main gauche le fait vaciller légèrement, alors il marque une pause dans l'escalier, levant la tête pour observer autour de lui. Si quelqu'un s'est introduit ici, sera-t-il réellement en mesure de l'affronter ? Difficile à dire. Il reprend sa progression, plus lentement cette fois. Ses pas claquent si faiblement sur le marbre qu'il a l'air de glisser sur le sol. Il franchit une série de portes, les yeux rivés sur celle de la chambre qu'il partage avec Nivraya. Sa respiration s'accélère, et il fait de son mieux pour se calmer. Il ne doit pas paniquer. En aucun cas. Maladroitement, il pose sa main unique sur la poignée, et ouvre la porte doucement…


~ ~ ~ ~


Les draps froissés glissent sur la jambe de la jeune femme, laissant apparaître sa peau nue et veloutée alors qu'elle se retourne. Sa tête vient se nicher au creux d'une épaule virile, et ses bras fins repliés contre sa poitrine féminine trouvent un peu de chaleur contre le torse large et puissant du guerrier allongé à ses côtés. Elle dort encore. Ses fines paupières refermées sur ses sublimes yeux verts cachent à sa vue la réalité d'un monde d'une violence incomparable. Sa respiration se cale instinctivement sur celle du fauconnier, sa tête se soulevant en même temps que ses poumons se gonflent. Rien ne vient troubler la quiétude de ce lit. Ni les rugissements du ciel qui a achevé depuis plusieurs heures de cracher ses éclairs. Ni l'accusation silencieuse des cadavres gisant sur le sol. Pas même le froid qui s'engouffre par la fenêtre brisée, dont les éclats translucides, tranchants comme des lames de rasoir, sont éparpillés sur le parquet hors de prix. Un bras entoure ses frêles épaules, la protégeant même dans son sommeil contre tout mal.

Nivraya s'éveille timidement, battant des cils comme si elle émergeait d'un tunnel de ténèbres pour plonger soudainement dans un royaume de lumière. Ses traits qui jusqu'alors ont affiché une forme de sérénité retrouvent soudainement leur expression soucieuse habituelle. Coupable, elle se rapproche un peu plus de Thorondil, laissant sa jambe fine envelopper la sienne tandis qu'elle se recroqueville contre lui. Nus tous les deux, ils n'ont pas trouvé la force de regagner leurs vêtements après avoir consommé leur crime dans la luxure et la passion. Ils se sont endormis là, coupables, sans pourtant penser au lendemain. Terrassés par la fatigue, par la douleur, ils se sont laissés aller à une impulsion, à une pulsion dévorante qui a scellé définitivement le cauchemar de cette nuit affreuse dans leurs mémoires, dans leurs chairs, dans leurs âmes. La jeune femme sent des larmes discrètes couler le long de ses joues…

Mais qu'a-t-elle fait ?

Elle est terrorisée. Elle ne se reconnaît pas le moins du monde dans ce personnage cruel et égoïste. Pas elle. Pas ici. Ce qu'il vient de se produire lui semble absolument irréel. Tant de violence, tant de colère, tant de désespoir… Et elle ne songe qu'à sa nuit fiévreuse passée en une compagnie qu'elle n'a pas désiré. Le bras se referme un peu plus fort autour d'elle, et elle sent des doigts fins entrer en contact avec ses reins. Elle lève le menton, mais le fauconnier a toujours les yeux fermés et sa respiration est profonde. La nuit et les rêves n'ont pas encore décidé de le libérer, et ses gestes de tendresse ne sont que les réflexes d'une autre vie, d'un chemin qu'il n'a pas choisi. La confusion s'empare de la jeune femme qui, incapable de quitter la chaleur de cet homme, sait toutefois qu'elle ne peut rester à ses côtés. Elle a enfreint la loi, franchi la ligne, et brisé quelque chose qu'elle ne pourra plus jamais retrouver. Mais elle ne peut s'éloigner…

Et soudain, un hennissement.

Elle écarquille les yeux de terreur pure. Sa réaction est si vive et si violente que Thorondil ne peut que se réveiller en sentant la jeune femme s'électrifier sous ses doigts, comme si elle avait été frappée par la foudre. Il met un instant à comprendre, mais sa vue de toute évidence revenue lui permet de mieux prendre conscience de son crime adultère. Il faut dire que la vision d'une femme aussi belle, dans le plus simple appareil, si proche qu'il pourrait la cueillir en tendant le bras, peut détourner même des problèmes les plus urgents. Mais Nivraya n'est pas aussi abasourdie que le fauconnier, et elle réagit avec davantage de promptitude à cette nouvelle menace.

- Dépêchez-vous ! Mon mari, il… !

Elle ne sait comment l'expliquer, mais les implications sont plus que claires. Elle se jette hors du lit, rejetant draps et couvertures sans prendre le temps de s'en envelopper. Elle bondit dans ses vêtements éparpillés, insensible presque aux corps froids qui gisent sur le sol et qui lui renvoient cruellement les souvenirs de cette trop longue nuit. Elle s'habille, tournant ostensiblement le dos à Thorondil, incapable d'échanger avec lui le moindre regard. Elle n'en a pas la force. Lui, sa présence… il est le symbole qui cristallise tout ceci, toute cette furie sans nom et cette débauche dans laquelle ils ont plongé. Elle l'entend s'habiller frénétiquement, bouclant sa ceinture qui cliquette en produisant ce son caractéristique. Elle l'entend jeter son épée dans son fourreau, ajuster sa chemise, tandis qu'elle-même tire sur les manches de sa robe pour essayer vainement d'en lisser les plis. Elle ramène sa chevelure flamboyante derrière sa tête en une queue de cheval maladroite. Ses mains tremblent, son cœur bat la chamade, et elle sait déjà que lorsqu'elle verra Justar, il lui faudra faire preuve de plus de courage que jamais.

Derrière elle, Thorondil s'approche et elle perçoit sans le voir qu'il veut lui dire quelque chose. Elle s'esquive, physiquement d'abord, en se plaçant soigneusement hors de portée. Elle ne veut pas qu'il la touche, pas même pour la réconforter. Elle évite la confrontation verbale, ensuite, en prenant l'initiative. Elle ne veut pas entendre ce qu'il a à dire, pas davantage qu'elle n'a envie de lui parler en réalité. Ses mots ne servent pas à amorcer une conversation, mais bien à occuper l'espace, à l'empêcher de s'exprimer. Elle parle pour elle-même, contre lui :

- Il va mourir d'inquiétude, dit-elle sur un ton effrayé. Mais ça ne servirait à rien d'essayer de lui cacher la vérité. Il prendra des mesures de toute façon, et il renforcera la sécurité au Palais… Mais ça ne changera rien, si je rentre à Annùminas. Et les négociations avec votre famille… il sera bien disposé à votre égard, c'est certain. Il se montrera généreux, je pense. Vous devriez pouvoir conclure rapidement. Mais qu'en pensera mon beau-père ? Il ne voudra jamais me laisser partir avec tout ça… Non, je trouverai comment le convaincre.

Elle s'éloigne inexorablement de Thorondil, le laissant seul avec ses pensées et ses questionnements. Nivraya est déjà passée à autre chose : être dans la planification lui permet de projeter son esprit vers un futur dans lequel sa trahison n'existe pas. En même temps qu'elle parle, elle imagine la conversation qu'elle va avoir avec Justar. Dans son esprit, elle voit parfaitement ses interrogations, et prépare déjà les réponses appropriées, choisissant ses mots avec soin pour ne pas le blesser, pour ne pas l'inquiéter… pour ne pas éveiller ses soupçons…

Un sursaut la saisit.

Est-elle devenue ce monstre avec son mari ? Avec Justar, qui toujours a réussi à lui faire tomber les masques ? Est-elle devenue cette femme froide, calculatrice et dénuée de toute forme de sincérité avec la seule personne qu'elle aime profondément ? Elle se rend compte avec horreur que oui. Elle se rend compte avec effroi que son univers de paix et de douceur, ce cocon protecteur que Gardelame a toujours représenté pour elle vient de voler en éclats, cédant sous les assauts pernicieux de ce monde extérieur qui a réussi à la traquer jusqu'ici. Jusqu'aux confins de l'Arnor. Elle s'immobilise un instant, interrompt sa litanie insupportable et douloureuse. Thorondil s'approche d'elle de nouveau. Pour lui parler ? Comme un ami le ferait ? Pour déposer un baiser sur ses lèvres ? Comme un amant le ferait ? Pour la prendre dans ses bras ? Comme un amour le ferait ? Elle recule de nouveau. Loin. Le plus loin possible. Elle lève enfin les yeux pour le dévisager. Dans son regard d'émeraude, que lit-il au juste ?

Que lit-il ?

Un bruit à l'extérieur leur fait tourner la tête. C'est la justice qui vient frapper à leur porte.


~ ~ ~ ~


- Tout va bien ?

Elle leva les yeux, et répondit trop rapidement :

- Oui, ça va.

Elle aurait voulu lui demander ce qu'il en allait de lui, mais elle ne pouvait pas véritablement se permettre de poser la question. L'amputation de Justar avait été bien menée, et il n'avait pas perdu son membre au cœur de la bataille, tranché par une arme émoussée. Toutefois, la violence psychologique de cette perte avait considérablement entamé son moral. Les conséquences physiques n'avaient pas tardé à suivre. Affaibli, fiévreux, il avait perdu beaucoup de poids à force de refuser de manger. Il s'était accroché à la vie uniquement parce que Nivraya avait été le chercher au fin fond des ténèbres où il s'enfonçait peu à peu. Elle n'avait pas lâché l'affaire, elle était restée à ses côtés plus que n'importe qui, se portant volontaire pour le veiller toute la nuit durant quand il était agité de spasmes inquiétants. Elle n'avait jamais failli. Elle n'avait jamais laissé tomber l'homme qui, du haut de son superbe destrier, avait penché un regard protecteur sur elle pour la première fois depuis une éternité. Sans même lui demander son nom, sans même lui demander qui elle était, il s'était battu pour elle comme personne ne l'avait fait avant lui.

Était-ce cela qui avait fait naître les sentiments qu'elle éprouvait pour Justar ? En partie, bien entendu, mais pas seulement. Quand il la regardait, elle se sentait transpercée : elle avait l'impression qu'il était capable de lire en elle, et qu'elle ne pouvait rien lui dissimuler. Et lorsqu'il était avec elle, il avait sincèrement envie de la connaître, de la comprendre. Encore une fois, par cette simple question, il allait bien au-delà de la simple politesse. Il avait ressenti le trouble qu'elle essayait de dissimuler, le frémissement imperceptible de ses mains quand elle avait défait son bandage une nouvelle fois pour s'assurer que les chairs n'étaient pas infectées.

Baissant les yeux, consciente que sa réponse était un mensonge, elle garda le silence un instant. Lui aussi. Il respectait toujours sa volonté de ne pas parler, de même qu'il l'écoutait toujours quand elle avait envie de se confier à lui. Elle tira délicatement sur les pansements qui suintaient légèrement. Depuis le temps, elle était habituée à la vue de ces chairs en train de cicatriser, et elle n'était plus incommodée comme le premier jour. Elle les examina d'un œil critique, avant d'attraper un linge qu'elle avait trempé dans une bassine d'eau chaude. Elle nettoya précautionneusement la plaie, faisant couler de l'eau sur la peau intacte, pour la laisser emporter le sang et les fluides alors qu'elle dégoulinait le long de la blessure. Justar serra les dents. Le moindre contact était un supplice.

- Ça ne va pas.

Il redressa la tête :

- Mon bras ?

- Non… C'est juste que…

Elle interrompit son geste. Non, elle ne pouvait pas. Elle ne devait pas le lui dire. Il était un noble, et même si elle avait reçu une excellente éducation, elle n'était qu'une roturière. Tout ce qu'il pouvait exister entre eux serait de l'ordre du troussage de servante, ou de quelques friponneries discrètes, de simples amourettes de jeunesse qui passeraient avec le temps. Ce n'était pas ce dont elle avait envie. Ce n'était pas ce qu'elle souhaitait en voyant cet homme qui, à la fois faible et fort, la regardait indépendamment des vêtements qu'elle portait, de la coiffure qu'elle arborait, ou des bijoux qui la paraient. Elle n'était ni noble ni roturière à ses yeux, elle n'était qu'une âme qu'il paraissait apprécier. Elle n'était pas capable de faire abstraction du statut de Justar, et elle était constamment renvoyée à sa condition. Il était noble… Il y avait comme une barrière infranchissable, derrière laquelle elle avait été consignée toute son existence. Tout un monde qu'elle mourait d'envie de connaître, d'expérimenter, qui se soustrayait à son emprise simplement parce que ses parents avaient eu le malheur de ne pas être de grandes gens. Son désir s'était mué en mépris jaloux, au fil du temps. Mais maintenant, voici que Justar était là. Et elle l'aimait, sincèrement.

Alors elle le lui dit, le plus simplement du monde.

- Vous m'aimez ?

Elle se sentit tellement ridicule. Le feu lui monta aux joues, et elle baissa les yeux. Il ne pouvait pas comprendre. Il ne pouvait pas comprendre ce qu'elle ressentait !

- M'aimeriez-vous autant si j'étais désargenté, sans titre et sans terre ?

- Bien entendu ! S'indigna-t-elle. Vous n'êtes pas noble par votre argent, votre titre ou vos terres. Vous êtes noble d'âme, et noble de cœur. C'est votre âme et votre cœur que j'aime, Justar. Et je les aimerai toujours.

Elle, agenouillée devant lui, semblait l'implorer de toutes ses forces. L'héritier de Gardelame la regardait avec un air neutre, qui n'était pas froid mais qui manquait de la chaleur qu'elle aurait espéré voir dans ses yeux. Toutefois, il ne l'avait pas repoussée, et la déraison la poussait à espérer encore. Tant qu'il n'aurait pas rejeté ses sentiments, tant qu'il n'aurait pas chassé d'un revers de main le désir qu'elle éprouvait, elle s'accrocherait au moindre fil d'espoir. Elle l'observait dorénavant, cherchant à lire en lui quelque chose, une esquisse de réponse, un début de décision. Il paraissait hésiter, et cette simple hésitation lui donnait l'impression qu'elle avait une chance. Une chance infime, une chance de fou, mais une chance néanmoins. Elle l'observait comme s'il était la seule branche à laquelle elle se raccrochait pour s'empêcher de tomber dans un abîme d'où elle ne ressortirait jamais. Il s'humecta les lèvres :

- Je vous connais sans vous connaître, Nivraya… Je vous fais confiance, mais j'ignore tout de vous. Or je voudrais vous dire quelque chose de très important, mais je ne sais à qui je me confie depuis ce qui me semble être une éternité…

- Je vous en prie, Sire… Vous pouvez me faire confiance. Je ne vous trahirai jamais. Tant que j'aurai un souffle de vie, je vous demeurerai fidèle. Je vous en fais le serment.



~ ~ ~ ~


- Par les Valar ! Nivraya, ma chérie, tu vas bien !

Alva s'est échappée de derrière son époux, et a pénétré dans la pièce en n'ayant d'yeux que pour sa belle-fille qu'elle adore. Baralhar Alen de Gardelame, le seigneur des lieux, s'est quant à lui figé de stupeur en découvrant l'ampleur du chaos. Tant de cadavres étendus sur le sol, du sang partout au point que les teintes carmin sont parties se mêler aux pigments renversés sur le sol. Les chevalets brisés, les toiles détruites et les pinceaux éparpillés sur le sol contribuent à l'ambiance. Une violence s'est déchaînée ici, comme si une tornade s'était introduite dans la chambre privée de la jeune femme, pulvérisant tout sur son passage. Alva est d'une rare douceur, et elle prend Nivraya dans ses bras pour la consoler. Cette dernière, les larmes aux yeux, lui rend son étreinte avec force. Enfin. Enfin une présence rassurante, rassérénante.

- Mais que s'est-il passé ? Demande le père.

Il est aussi choqué que son épouse. Son épée retombe mollement, alors que devant lui se joue une scène catastrophique qu'il n'aurait jamais pu imaginer. Son fils se tient debout, l'arme toujours au poing, les traits fermés. Il contient péniblement son essoufflement, lui qui a d'abord été vérifier la chambre conjugale qu'il a trouvée vide, avant de rallier les appartements privés de Nivraya, l'endroit où elle se retranche pour s'isoler et peindre. Un havre de paix, souillé et violé par des indésirables qui n'étaient pas là quand le seigneur des lieux, son épouse et son fils ont quitté les lieux. Face à Justar se trouve un homme que Baralhar reconnaît immédiatement : Thorondil de Kervras, le héros d'Annùminas. Sa présence ici est aussi étrange que celle des soldats d'Arnor en uniforme, gisant dans une mare de sang. Un silence pesant s'installe dans la pièce, que Justar rompt sur un ton glacial qui ne lui ressemble guère :

- Sire de Kervras, je n'ai pas bien compris vos explications… Je vous saurais gré de bien vouloir reprendre depuis le début je vous prie. Comment expliquez-vous votre présence et celle de tous ces hommes gisants mort – de votre main, je présume –, dans la chambre privée de mon épouse ?

Il est difficile de savoir si la colère contenue, que l'on entend vibrer dans la voix de celui qui d'ordinaire ne cède pas à de telles émotions, est le fruit de son incompréhension, ou si elle dirigée spécifiquement contre Thorondil. Après tout, la scène a de quoi soulever l'indignation, et par désir de protection un homme peut facilement se méprendre, et laisser éclater sa rage envers quelqu'un qui n'est objectivement pas responsable. Toutefois, Thorondil était présent la dernière fois que Nivraya a été cruellement malmenée, et c'est à cause du fauconnier que la jeune femme s'est coupée de son époux. Acceptant le marché terrible imposé par le héros d'Annùminas, Justar a dû assumer les conséquences de son acte, soit voir sa femme sombrer dans une angoisse dévorante sans rien pouvoir faire pour l'aider. Et voilà qu'au milieu de ce nouveau carnage, de ce nouveau champ de bataille, le fauconnier surgit encore.

Comme s'il était lui-même le phare attirant la mort autour de Nivraya.

- Viens ma chérie, laissons les hommes discuter entre eux…

Sans vraiment laisser le choix en la matière, Alva pousse Nivraya hors de ce pandémonium. La jeune femme semble assommée, incapable de se rendre compte de ce qui se déroule autour d'elle. Elle continue cependant d'avancer, tenant sur ses jambes par miracle. Baralhar lui prend doucement le menton pour la forcer à le regarder. Elle se laisse faire, mais il voit dans ses yeux qu'elle est au bord de la rupture. Avec une grande douceur, il demande :

- Tu n'es pas blessée ?

- Non, père… Je vais bien.

Il lui embrasse le front affectueusement, et la laisse s'éloigner en compagnie de son épouse. Il est des choses dont les hommes doivent effectivement discuter. Des détails qui n'en sont pas vraiment, comme par exemple le pourquoi de cette violence. Comment tout ceci a pu se produire ? Qui est responsable ? Que vient faire le fauconnier ici ? Ce sont autant de questions qui attendent des réponses. Nivraya souhaite se retourner pour lancer un dernier regard derrière elle, mais elle n'en fait rien… Elle ignorerait à qui l'adresser. A Justar ? A Thorondil ? Elle n'a aucune envie de les dévisager, l'un ou l'autre. Alors, s'appuyant sur Alva, elle quitte les lieux en baissant la tête, pleine de honte.

- Nivraya, est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre dans le Palais ?

- Non, mère… J'avais renvoyé tout le monde. Je voulais être seule.

Alva ne semble pas vouloir laisser sa belle-fille seule, alors qu'elle a besoin de soutien, mais elle aurait bien souhaité avoir un ou deux serviteurs sous la main pour lui préparer un bain, et faire en sorte de lui changer les idées. Manger, se laver, se reposer… Voilà de quoi elle avait besoin pour le moment.

- Bien, je comprends… Nous attendrons donc que Mils arrive, il ne devrait plus tarder désormais.

Sans prévenir, la jeune femme fond en larmes. De véritables sanglots, retenus jusque là, mais qui font voler en éclat les frêles garde-fous qu'elle a pu ériger. Mils. Le gentil serviteur, d'une douceur incomparable, toujours serviable. Mort. Elle le sait désormais. Elle ne peut plus se voiler la face, et le poids de cette réalité implacable lui revient en pleine figure. Ses larmes intarissables, cependant, ne pleurent pas seulement la mort d'un domestique. Elles pleurent la fin de l'innocence, de la pureté de ces lieux. Elles pleurent la fin de cette traque qui aura conduit ces assassins à la suivre jusqu'ici. Elles pleurent la fin de son couple, qu'elle ne voit pas survivre à cette estocade.

Elles pleurent la fin de sa vie.

La fin, et le renouveau…


~ ~ ~ ~


Aveugle. Il était aveugle.

Cette révélation frappa Nivraya de plein fouet alors qu'elle plongeait dans ces yeux gris qui ne la regarderaient plus jamais. Il avait tant sacrifié pour elle. Tant sacrifié. Il payait le prix d'une vie de guerre et de souffrance, à laquelle elle avait mis un point final. Voir la mort dans ses pupilles était aussi déstabilisant que s'il s'était retrouvé étendu, gisant dans son propre sang. Mais Thorondil n'était pas de ces hommes qui pouvaient mourir. Pas complètement. Agenouillé, il s'était emparé d'elle entièrement, comme pour vérifier qu'elle n'avait rien. Elle ne pouvait que rester immobile, pétrifiée. Terrorisée. Elle sentait ses mains qui l'examinaient, qui la caressaient, qui exploraient chaque quartier de sa peau pour s'assurer qu'elle n'avait rien. Comme s'il allait mourir dans l'instant, et qu'il s'assurait de pouvoir partir en ayant accompli son devoir, il l'examinait frénétiquement avec la peur chevillée au ventre. Elle sentait son angoisse faire écho à la sienne, laquelle pulsait dans ses veines. Nivraya était écrasée par l'effroi. Elle avait peur du fauconnier. Mais à sa plus grande surprise, le fauconnier avait peur également. Il avait peur de savoir qu'elle avait peur de lui… Ce fut ce qu'elle comprit à travers ses mots maladroits. Elle sentit son cœur se serrer. Elle voulait n'avoir pas peur de lui, elle voulait lui faire confiance et se rappeler de l'homme bon qu'il avait pu être. Cependant, elle ne pouvait pas oublier la rage, la violence, le sang. Le kaléidoscope éclatant d'émotions contradictoires qui isolait son esprit du reste du monde l'empêchait de trouver une fin à ce cercle vicieux.

Et puis ce fut le choc.

Elle sentit le fauconnier se rapprocher, et l'embrasser fougueusement. Violemment. Elle voulut se débattre, mais il était trop fort. Trop fort. Elle sentit sa rage, son envie de vivre et de la posséder s'emparer de lui plus fort que jamais. Il avait autant de colère en lui que lorsqu'elle l'avait poussé à faire des choses horribles, à prendre des décisions déchirantes. Au lieu de la gifler, de la brutaliser, cependant, il s'acharnait sur ses vêtements avec une obstination rebelle. Les conséquences de son geste n'existaient pas. Tout ce qu'il souhaitait, il pouvait l'avoir, et Nivraya ne se défendait même pas contre ses assauts maladroits. Elle ne le pouvait pas. Elle ne le voulait pas. Il la dominait de tout son être, il pouvait la tuer d'un seul mouvement… et elle désirait cela. Elle voulait être à sa merci. Elle voulait être à la merci de quelqu'un, pour une fois. Ne plus être en contrôle. Ne pas avoir à réfléchir, à décider, à choisir et à renoncer. Elle lâcha prise, brusquement, brutalement, et lorsqu'il la releva en continuant à l'embrasser, elle ne fit pas un geste pour le dissuader. Lorsqu'il la poussa en arrière, tout en délaçant ses robes qui finirent par se retrouver sur le sol, elle ne protesta pas davantage. Lorsqu'elle sentit ses mains impudiques glisser contre son corps, alors même qu'elle savait qu'il n'était ni bon ni souhaitable de le laisser aller plus loin, elle ne put trouver les mots pour l'arrêter.

Il n'y eut pas d'amour entre eux cette nuit-là, pas plus qu'il n'y eut de tendresse ou de douceur. Il n'y eut qu'une passion débridée qui les consuma tous les deux, leurs remords et leurs hésitations. Enlacés l'un à l'autre comme les branches de deux arbres voisins, leurs rares râles errèrent entre plaisir et souffrance. Ils n'avaient pas cédé à une envie, mais bien à un besoin primaire, animal, et lorsque Thorondil atteignit l'extase, il n'eut pas un geste d'affection pour la femme qu'il venait de posséder. Aveugle, il ne voyait pas ses larmes brillantes. Insensible, il ne sentait pas la panique dans son cœur. Alors qu'il devait prier pour trouver le sommeil, un repos non terni par de sombres cauchemars, il ne pouvait pas comprendre ce qu'elle ressentait en cet instant.

Elle avait peur.

Peur qu'en son sein, le fruit de son péché commençât à prendre forme.


#Nivraya #Justar #Thorondil
Sujet: Couleuvres et Pigeons
Thorondil

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Rechercher dans: Minas Tirith - Autres Quartiers   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Couleuvres et Pigeons    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 14 Juin 2015 - 0:38
Un étau qui se referma sur son poignet le fit brusquement sortir de sa transe de fureur. Cette prise de fer qui le ramena au présent et l’arracha à ses pensées et toute sa colère accumulée, contre lui-même et les autres. Il était de retour. Dans la tente de la famille de Gardelame. Avec Nivraya.
La jeune femme ne semblait plus elle-même. Elle avait l’air d’une hystérique en pleine crise, serrant ses doigts autour du bras du fauconnier avec une force dont il ne l’aurait jamais cru capable.
Pris par surpris, confus, il arracha son bras de la prise brutale qui lui enserrait le poignet, arrachant de sa chair sur les ongles de la jeune femme. Il siffla sous la douleur inattendue. Les vieilles marques laissées par les serres de ses rapaces furent brusquement recouvertes de zébrures parallèles sanguinolentes. Ces bêtes éraflures et l’air fou de la jeune femme le blessèrent bien plus que les premiers mots qui sortir de sa bouche. Cette confession ne lui apprenait rien qu’il ne savait déjà. Tout au plus cela le surprit-il qu’elle laisse échapper ce secret avec autant de force mais rien de plus... contrairement à tout ce qui suivit après.
Quelque part, il savait que cette réaction était de sa faute, qu’il n’aurait jamais dû perdre le contrôle de ses nerfs face à elle, pour une affaire qui ne la concernait pas. Il aurait dû... Maintenant elle le regardait avec ces yeux anormalement écarquillés, emplis d’un maelstrom d’émotions qui défilaient plus vite qu’il n’était capable de les lire. Elle n’avait plus rien de tous ces masques qu’il avait déjà vu ou même de la forme sous le masque qu’il avait entraperçu en allant la sauver. Elle était effrayante.
L’homme adopta inconsciemment une posture de défense face à cette agressivité qu’il n’avait pas vu venir. Il ne savait pas quoi faire pour la calmer maintenant que le barrage avait cédé, inondant, détruisant tout sur son passage. Toute la noirceur profondément enfouie et dissimulée dans l’âme de la jeune femme se déversait maintenant librement, charrié par ce flot implacable qui laissait le fauconnier totalement impuissant.

- J'avais besoin que vous soyez de mon côté, j'avais besoin que vous me soyez entièrement fidèle, que vous soyez prêt à témoigner en ma faveur. J'avais peur que vous fassiez échouer mon plan en ne reconnaissant pas la preuve. Il me fallait une garantie. Alors j'ai tout organisé. Il n'y avait personne, Thorondil... Personne pour me torturer...

Thalion grimaça, un goût amer se répandant au fond de sa gorge. Ses poings serrés tremblaient. Sa mâchoire était serrée à lui en briser les dents. Mais il était encore trop abasourdi par l’attaque pour réagir. Et comment réagir ? Il aurait déjà broyer le visage d’un homme qui se serrait permis de lui balancer de telles horreurs. Mais avec une femme ? Comment était-il censé réagir ? Particulièrement quand il était la cause involontaire de cette rupture. Alors il subissait les assauts de ces paroles sans répondre. La rage, dans sa poitrine, brûlait comme un incendie, alimentée par le venin que Nivraya lui jetait au visage.

La dame plongea droit dans son regard, fouilla dans son âme en lambeau et appuya partout où les plaies étaient à vif. Elle plantait et replantait un couteau, montant, descendant, retournant la lame dans la plaie béante qu’elle ouvrait avec un plaisir sadique. Ainsi, elle extirpa tous ces doutes et toutes ces craintes, puis s’en servit contre lui avec quelques mots bien placés pour toute arme.
Quand elle mentionna le prénom de Lise Demeson, Thorondil se tendit comme un arc. Il sentit sa respiration se couper nette comme sous la puissance d’un choc au plexus. Aussitôt, Nivraya attaqua de nouveau, sentant de nouveau la faille.

- J'ai tout planifié. Je lui ai tout pris : son père, son statut, son avenir, sa vie... J'ai tout organisé, j'ai tout réfléchi. J'ai payé des hommes pour aller la voir. Faites-moi confiance, elle ne se mettra plus en travers de ma route, je...

Là ce fut trop. Il battit en retraite comme si elle l’avait giflé, les yeux écarquillés de stupeur. Il recula brutalement, de plusieurs pas. Son talon heurta le meuble de toilette. Et Nivraya continuait à déverser son venin avec toujours plus d’agressivité et une précision chirurgicale. Il ne voulait plus que la faire taire. Qu’elle se taise ! Emporté par un élan de fureur, il balaya tout ce qui se trouvait sur le meuble qu’il venait de heurter.

« - Silence ! Ça suffit ! Ça suffit ! »

Le broc à eau s’écrasa au sol en milliers de morceaux, déversant son contenu sur le tapi qui isolait la tente de l’herbe. La bassine se brisa en deux dans un craquement assourdissant en heurtant le coin d’une malle.

« - C’est mon arme qui a servi à la tuer !!! » finit-il par hurler, à bout de nerfs « C’est mon poignard qu’on lui a enfoncé dans le ventre ! »

Il y avait autant de détresse que de rage dans ce cri. Si le but de Nivraya était de blesser le fauconnier tant qu’il ne supporterait plus sa présence, elle avait parfaitement réussi son coup. Trop, c’était trop ! La journée... toute cette journée n’était qu’un abominable cauchemar sans fin ! Il voulait le silence et la paix. La culpabilité qu’il éprouvait envers le sort de Lise, qui l’avait jusqu’alors bridé, n’avait plus lieu d’être. La rage, au contraire, était une amie familière qui se fraya immédiatement un chemin brûlant dans ses veines, de cette boule de feu logée dans sa poitrine jusqu’au moindre de ses membres. Il ne voyait qu’à travers un voile rouge.
Tous ces mots n’étaient que mensonges et venins, quelque part dans sa tête une voix le lui hurlait, mais ils blessaient tant que l’homme était sourd à toute raison. Il n'arrivait plus à réfléchir clairement. Elle aurait voulu des reproches et de la colère ? Maintenant il n’était plus que glace et foudre. Après le bruit sourd de la cruche brisée, il avait stoppé tout mouvement, le regard dur et froid qu’il planta directement dans celui de Nivraya. Mais c’était comme s’il ne la voyait pas, tout était trouble et le monde autour de lui tremblait au rythme des battements de son cœur porté par la colère.

Il s’avança lentement vers la dame, dangereusement, comme un fauve prêt à mordre. Ses lèvres retroussées dévoilaient ses dents dans une expression menaçante. Il ne criait plus, sa voix s’était transformée. Elle était désormais un grondement sourd et sinistre qui faisait vibrer sa gorge et sa poitrine. Arrivé à la hauteur de la jeune femme il se pencha, le visage à quelques centimètres d’elle, et ne bougea pas d’un cil quand elle recula. Ses mains avaient pris appui sur le bord du lit, froissant les draps dans ses doigts crispés.

« - Puisque cela faisait partie de votre plan si génial, si parfait. Puisqu’il n’y avait soi-disant personne dans cette cabane pourrie au milieu de nulle part, alors peut-être aurais-je dû vous y laisser crever. Seule ! Vous auriez pu vous y étouffer avec votre venin et toute votre haine !... Vous voulez oublier ? Rejeter tous ceux qui vous tendent la main ? A votre guise ! Quand il ne restera personne... Vous croyez savoir ce que c’est de souffrir ? Attendez de voir ce qui vient ensuite ! Amusez-vous bien Dame de Gardelame ! »

Sa rancœur finalement lâchée, à court de paroles acides à lui lancer au visage, le fauconnier récupéra son épée qui gisait au sol, se redressa, et tourna le dos sans un regard en arrière.

Thorondil avait toujours su qu’il ne pouvait pas faire confiance à Nivraya, qu’elle jouait à un niveau bien supérieur au sien dans ce grand théâtre de marionnettes et qu’elle n’aurait aucun scrupule à le jeter dans la fosse. Il l’avait suivi en toute connaissance de cause. Mais jamais il ne l’aurait cru capable de simplement le poignarder dans le dos. Surtout pas après tout ça. Il n’avait jamais réclamé ni remerciements, ni reconnaissance, jamais. Il n’en voulait pas, il n’en avait jamais voulu... Mais cette ultime trahison, au delà de tout, l’avait blessé profondément, bien plus qu’il n’était prêt à l’admettre. Après tout ce qu’ils avaient traversé, malgré tous leurs différents et leurs mésententes... il avait naïvement cru que, quelque part, il pouvait compter sur elle. En échange, il lui avait offert le bras qui tenait son épée, et autorisée à tirer les ficelles pour guider chacun de ses mouvements parmi les loups dans un monde qu’il ne connaissait que très mal. Et voilà où ils en étaient maintenant...

Sans doute alertés par le vacarme, les trois proches de Nivraya accouraient en panique vers la tente dont il venait de sortir. Alyss, plus leste, fut la première à arriver, bien avant les deux hommes, et il la bouscula sans ménagement pour passer. Il tourna vers elle, mais ce ne fut qu’un regard profondément blessé et las qu’elle put apercevoir l’espace d’un minuscule instant au milieu de ce visage fermé et furieux.
Le fauconnier récupéra d’un seul geste son oiseau et son cheval. Il était déjà en selle quand Freyloord et Justar arrivèrent à sa hauteur. A eux non plus il n’adressa pas un mot. Il vit la trahison et l’incompréhension dans les yeux du seigneur et cela lui suffit bien assez. Ce n’était qu’un poignard de plus planté dans sa chair.

Il lança sa jument au galop, direction l’extérieur du camp. Il voulait se sortir de la tête cette journée et le combat de chiens blessés qu’il avait mené avec Nivraya. Il voulait oublier que ce n’était pas la rage de ne pas avoir obtenu de réponse qui le rongeait mais l’âcre arrière-goût de la trahison et de l’échec. Il voulait oublier que ce n’était pas l’ingratitude de la jeune femme qui l’avait blessé mais sa capacité à lire en lui et utiliser ses blessures contre lui.

Il ne rentra pas chez les siens ce soir-là, ni le matin qui suivit. Il ne revint que pour accomplir ses devoirs auprès du roi et aider à planifier le retour des souverains en Arnor.
Il n’adressa la parole à personne à moins que ce ne fût absolument nécessaire, et évita tout ce qui se rapprochait de près ou de loin aux de Gardelame, Demeson, à l’Intendant ou de Kervras. A deux exceptions près.
Sa fille tout d’abord, qu’il passa voir dès son retour et dont il organisa le retour au pays dans la plus grande discrétion. Il ne savait rien des ennemis qu’il s’était attiré durant ces quelques jours, et ne pourrait tolérer qu’on puisse s’en prendre à sa fille pour l’atteindre. Pour elle, nulle précaution n’était de trop.
Puis Lise Demeson. Sans l’argent de sa famille, la pauvre risquait d’être jetée dans une fosse commune comme une mendiante anonyme. Le dùnadan paya de sa poche le prix fort pour la faire transporter et enterrer auprès de cette mère qu’elle aimait tant et dont elle lui avait pourtant confié le seul souvenir. C’était désormais la seule chose qu’il pouvait faire pour elle.
Ce ne fut qu’alors qu’il constata la disparition du bijou. Soupçonneux et encore particulièrement agressif, il s’en prit immédiatement au croque-mort en l’accusant du vol. Thorondil ne réalisa son erreur qu’au moment où l’homme, totalement terrorisé, lui proposa malgré son innocence de rembourser le collier à n’importe quel prix. Le pendentif de saphir prit alors place dans sa liste des preuves si mince qu’il possédait, juste au dessous de la trace de chaussure trouvé près de la cabane de chasse. Car, quelque part, il était persuadé que les deux affaires étaient liées. Trop de coïncidences troublantes et de timings trop parfaits venaient étayer son intuition première.

#Thorondil
Sujet: Bal démasqué [PV Thor]
Thorondil

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Rechercher dans: Minas Tirith - Le Haut de la Cité   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Bal démasqué [PV Thor]    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 12 Nov 2014 - 17:07
Thorondil écouta attentivement les explications de la Dame de Gardelame sur son rôle exact et son statut dans l'affaire. "Caution morale", "candeur", "innocence"... si un jour quelqu'un lui avait dit qu'il pourrait un jour avoir ces étiquettes, il lui aurait sans doute ri au nez devant cette absurdité. Même à présent, il ne voyait pas vraiment le rapport entre lui et ces qualificatifs. Dire qu'il passerait pour un idiot fini et un ignorant aurait été sans doute plus proche de la vérité dans le cas présent... mais "innocent", la bonne blague. Ces gens devaient bien mal le connaitre. Au fond il savait que Nivraya, par ce mot, soulignait surtout son inexpérience dans le monde cruel et impitoyable de la politique. Mais il hésitait encore entre le rire ou la vexation. L'ironie était une maîtresse particulièrement déloyale parfois. Il était déjà étrange de se voir par les yeux des autres mais quand cette vision ne ressemble en rien à ce qu'on s'imagine être, c'en est presque perturbant.
D'un autre côté, il était lucide sur ses propres capacités et sa propre assurance dans ce milieu. Ses plus anciens souvenirs, alors qu'il n'était qu'un enfant, étaient biaisés par le temps et la vision qu'il en avait alors, pleine d'ignorance et d'idéalisme. Quant à ces quelques mois d'immersion à le côtoyer de loin, ce n'était que fragments et préjugés. Il n'avait pas les meilleures armes pour faire face. Et c'est justement ce sur quoi comptait Nivraya.
Finalement, dans cette partie de pêche, il n'était que l'appât, le vermisseau frétillant et impuissant, la proie facile qui dissimulait un hameçon acéré - Nivraya en l'occurrence - sur lequel se jetteront aveuglément les poissons. Ne restait plus qu'à espérer qu'il aurait plus de chance que le pauvre ver de sa métaphore...

Thalion s'agaçait de la propension de la noble dame à ne considérer cette pauvre fille que comme un outil. Il savait, plus que quiconque, que chaque combat requiert des sacrifices et bien trop souvent des dommages collatéraux parmi les plus innocents. Même en mettant toute son énergie et sa volonté à les contrer, ils sont bien souvent inévitables.
Mais lui aussi avait une fille. Il ne pouvait s'empêcher de voir les choses d'un autre point de vue. Ce n'était pas une réflexion issue du bon sens et de la logique, simplement une expression du cœur, ses sentiments paternel transposé d'une certaine façon à cette demoiselle dont il ne connaissait rien mais qu'il condamnait déjà à des souffrances qu'elle ne méritait certainement pas. Si quelqu'un devait s'en prendre à Merilin pour une faute que lui-même aurait commise... L'Injustice drapée de ses plus hideux atours. C'était un raisonnement qui déplairait fort à Nivraya s'il venait à lui exposer, surtout aux vues de sa réaction épidermique quant au sujet "enfant", ainsi le fauconnier se contenta-t-il d'approuver vaguement de la tête en se faisant rabrouer une seconde fois sur sa pitié malvenue. Son manque total de foi en ce geste devait transpirer de chaque centimètre carré de son visage.
Il en revint à ses considérations sur le cœur de marbre de sa complice dans un grognement peu amène. Cette nouvelle mésentente le fit se refermer comme une huître et il se mura dans un silence agacé plus épais qu'une muraille de pierre, si bien que la jeune femme changea radicalement de tactique. Elle s'adoucit sensiblement, réinitia le contact physique, à la grande crispation de Thorondil, et avança ses arguments avec calme et douceur.

- Je n'ai rien contre cette fille, maître, et je ne suis pas inutilement cruelle. Simplement, je ne connais aucune fille qui ne soit pas parfaitement au courant de ce qu'il se trame dans une maison. Elle doit déjà connaître la tente par cœur, et son père lui a sans doute indiqué quelque coffre qu'elle n'a pas le droit de toucher, et dont il conserve la clé en permanence. Elle doit savoir s'il reçoit des visiteurs étranges, ou s'il part à des heures inhabituelles pour des rendez-vous dont elle ignore tout. Vous l'avez dit vous-même, certains nous considèrent comme du mobilier : rechignez-vous à confier vos plans secrets devant une commode ? Ah... J'oubliais que vous n'aviez pas de plans secrets.

Non, il n'avait pas de "plans secrets". Et il était même très fier de cet état de fait. Il n'avait jamais comploté ou fomenté quelques mauvais plans que ce soit contre quelqu'un de toute sa vie. Il avait toujours réglé ses conflits dans l'honneur, face à face, et, s'il le fallait, les armes au poing. Alors plutôt que de s'ombrager de cette plaisanterie mi-figue mi-raisin, il releva la tête et la salua d'un mouvement quasi-imperceptible comme on répondrait à un compliment. Bien que maintenant les choses aient changé. Là où il s'affairait à mettre de la lumière parmi les ombres et le silence dans lequel il évoluait, il marchait désormais en pleine lumière, connu et reconnu, tout en se devant d'accomplir une partie de son devoir dans l'ombre. Mais pouvait-on réellement appeler ça des "plans secrets" ? Cette expression lui semblait tellement... péjorative, presque insultante. Mais qu'importe !

Face aux arguments que la jeune femme avançait, il ne pouvait que plier. C'était d'une logique implacable que ses maigres arguments du cœur ne pouvaient contrer. Il se demandait bien combien de temps elle avait travaillé ce plan machiavélique, combien de temps elle avait étudié ses options et combien de temps cela lui avait prit de porter son choix sur lui. Et lui, combien de temps pourrait-il tenir son rôle ? Pourrait-il maintenir l'illusion suffisamment longtemps pour séduire sa victime et la faire parler ?
Il eut un sourire sans joie, un peu mélancolique. Toutes ces questions ressemblaient tellement à celles qu'il se posait il y a bien longtemps, quand cette poignée d'adultes décidèrent de faire de lui un guerrier. Chaque jour et chaque leçon, il s'était demandé des choses semblables. C'était étrange de les entendre de nouveau en pensée après tant et tant d'années. Il redevenait ce gamin de 13 ans, courbaturé par une trop longue journée, qui ruminait ses échecs et dédaignait ses réussites.
Il céda finalement. Elle avait même retourné ses propres arguments contre lui... Et il n'avait pas vraiment le temps de songer à d'autres car déjà ils arrivaient en vue des portes de la Cité Blanche. Leur entretien ne durerait plus très longtemps.

« - Très bien, très bien. Faisons selon votre plan alors... »

Comment il allait s'y tenir, c'était une autre paire de manche. Rien qu'à voir la réaction de la jeune femme quand il s'était vu contraint de lui demander explicitement de l'aide... Elle se jouait constamment de lui. Il n'arrivait pas à savoir quel degré de confiance lui accorder, tous ses critères habituels n'étant d'aucun secours. Il lui avait déjà confié sa vie, dans ce genre de situation, c'était un pacte éternel. Mais il était parfaitement conscient qu'elle n'hésiterait pas à le sacrifier sans le moindre remord sur l'autel du "bien commun", si ce n'est de moins avouables raisons. Son instinct n'avait aucune réponse quand ces deux cas se présentaient chez une seule et même personne. Dans son esprit pragmatique de guerrier endurci, c'était un cas de figure impossible. Un peu comme la fable de la grenouille et du scorpion. Mais peut-être les rôles étaient-ils interchangeables ! Peut-être Nivraya voyait-elle les choses sous l'aspect inverse ? Après tout, c'était lui qui risquait de commettre l'erreur fatale et la faire sombrer avec lui. Ce qu'il y avait de pire que de manquer de confiance en soi, c'était bien de manquer de confiance en ceux qui sont censés couvrir ses arrières. Et il était l'élément le moins fiable cette fois-ci. Ils avaient inversés les rôles qu'ils avaient tenus il y a six mois à Annùminas. C'était une pensée étrangement réconfortante. Cela lui donnait le sentiment d'avoir enfin rétablit le statu quo, après s'être sentit écrasé par la conversation jusque là.
Ce changement d'état d'esprit se fit sentir, sa démarche devint plus légère. Il était toujours terriblement angoissé par l'épreuve qui l'attendait le lendemain mais il ne se laissait plus dominer par cette peur, pas plus que par les paroles de la jeune femme.

Elle lui adressa même quelques conseils et encouragements. Il n'aura qu'à être lui-même, faire au mieux et tout irait bien. Oui, cela confirmait ses pensées. Elle était aussi rongée par le doute. C'était soit ça, soit le fauconnier devrait être admiratif de cette confiance sans faille. Il lui adressa même un sourire en réponse au clin d'œil espiègle. Pas le sourire qu'il avait affiché durant sa comédie, mais un sourire un peu tordu, plus sincère mais moins chaleureux. Un sourire d'autodérision. Parce qu'il savait qu'une fois de plus elle avait raison. Il n'y avait rien de plus crédible que de jouer son propre rôle après tout. Passer pour l'empoté de service au milieu de tout ces habitués des salons, il n'aurait pas à forcer grand-chose.

Enfin le duo arriva dans le quartier de tentes réservées à la noblesse arnorienne. Des plus modestes sans signes ostentatoires pour les familles de moindre prestige, aux plus ridiculement chargés de divers symboles de pouvoir et de richesses pour les excessifs. Ils avancèrent dans les allées propres et droites jusqu'au logement de Nivraya et de son époux. Devant la tente, Thorondil reconnut sans mal Freyloord, le colosse qui veillait sur la dame avec une loyauté sans faille, et le fauconnier répondit à son salut avec la même déférence. Le respect était réel entre les deux hommes. Ils se voyaient peu et discutait encore plus rarement mais c'était une reconnaissance tacite entre deux guerriers qui ne nécessitait ni parole ni fanfaronnade. Ils n'avaient rien à se prouver l'un à l'autre mais connaissaient la valeur de chacun. C'était le genre de personne avec qui Thorondil aurait aimé voyager au temps de ses errances. Il profita d'ailleurs de cette occasion pour échanger quelques mots avec le géant jusqu'à ce que la dame ne lui tende le manteau qu'il lui avait prêté plus tôt et dont il avait depuis totalement oublié l'existence.

- Merci de m'avoir raccompagnée, maître Thorondil, c'était fort galant de votre part. J'aurai le plaisir de vous voir demain en notre compagnie pour le déjeuner, n'est-ce pas ? Je m'en réjouis d'avance. Passez une bonne nuit maître, et saluez votre famille de ma part.

Ah oui, conserver les apparences. Il se rappela qu'ils étaient effectivement assez suspects pour le voisinage, pour le bien de leur mission ou pour leur réputation. Ainsi Thorondil récupéra son bien et entra immédiatement dans le jeu.

« - C'est tout naturel, Dame Nivraya. Je ne pouvais décemment pas vous laisser traverser toute la Cité seule et sans aucune escorte en cette heure avancée. Qui sait sur quelles crapules vous auriez pu tomber. Effectivement, je serais présent pour le déjeuner... Vous de même, Madame. Transmettez mes respects à votre époux. »

Sur ses mots, il s'inclina galamment et prit congés. Désormais, il n'avait qu'une hâte, retourner auprès des siens et profiter de la nuit pour oublier quelques heures cette horrible situation. Peut-être même avec un grand verre d'hydromel rohirrim pour faire passer le tout.


Alors qu'il passait une main dans les cheveux soyeux de sa petite fille, veillant sur ses rêves comme un cerbère, il resongea à la réaction qu'avait eut la dame au sujet de ses "enfants". Il était peut-être un guerrier, et pas toujours un bon père, mais il n'était idiot. Pour que Nivraya agisse de la sorte, elle, si mesurée, qui était sortie de ses gonds, c'était qu'il avait bien malgré lui frappé la corde sensible. Thalion n'était pas un homme cruel, il ne l'avait jamais été. Il n'aurait jamais attaqué si bassement quelqu'un sur un tel sujet, tant bien même eut-il s'agit du plus grand point faible de son ennemi juré.
Il se demandait même si, au delà de cet incident, c'était le caractère même de Nivraya qui découlait de ce "sujet sensible" : sa volonté à monter toujours plus haut, là où aucune femme n'avait encore jamais été acceptée, son tempérament de politicienne, sa vie à la capitale au détriment de sa demeure seigneuriale aux côtés de son époux... Etait-ce pour cacher une blessure plus profonde ? La perte d'un enfant ou... la stérilité ? Ce dernier point était un sort bien peu enviable pour la gente féminine, un malheur que la société ne pardonnait que rarement.
Un jour, en traversant une bourgade, il avait été témoin de ça. Il avait vu un mari trainant sa femme dans la rue par le cou, l'abreuvant d'insultes et de paroles humiliantes pour la seule faute de ne pouvoir enfanter. Et les badauds s'étaient contentés de regarder avec pitié ou mépris sans intervenir. Et tout le monde s'était dispersé sans un regard de plus dès que l'homme avait cessé de crier, laissant sa malheureuse épouse prostrée devant la porte du logis qu'il lui avait claqué à la face, "chose inutile et sans avenir" comme dernière parole... Il ignorait ce qu'il était advenu ensuite ni même si ce genre de comportement était courant. Dans la noblesse, évidemment, tout se faisait dans le feutré pour préserver les sacro-saintes apparences.

Il secoua la tête. Ce n'était que pure spéculation ! Ce qu'il savait en revanche, c'était qu'il avait enfin vu la muraille de la dame s'effriter, tous les masques tomber à ce moment-là. Non, ce n'était pas un autre masque, il l'avait ressentit au plus profond de ses entrailles, le véritable visage de Nivraya : la souffrance. La seule chose au monde qu'ils puissent avoir en commun. Une souffrance de l'âme qu'elle avait choisi d'enfermer dans une forteresse mentale inviolable faite de froideur, de jeu d'actrice et d'ambition tandis que lui la dissimulait à la vue de tous, derrière les stigmates qui parcouraient sa peau. Il sait qu'un jour elle pourrait se retourner contre lui et se servir de toutes ses faiblesses pour le détruire, mais lui ne le fera pas. Il sait ce qu'il détient, l'importance de ce qu'elle lui a montré contre son gré, mais il refuse de s'en servir. Il ne pourrait pas. La guerre psychologique n'était pas son domaine, et il n'en voulait pas. Il restait convaincu que nul n'avait le droit de contrôler les gens avec leurs secrets, leurs peurs et leurs hontes, que cela n'avait rien d'honorable, de juste ou d'honnête.

Et en regardant la petite Merilin se rouler en boule dans son sommeil, il ressentit de la pitié pour la jeune femme, quelque soit la raison de sa souffrance. Parce que lui, malgré tout ce qui lui était arrivé, connaissait un bonheur qu'il n'aurait jamais cru mériter, qu'il n'avait ni attendu, ni espéré, ni même cherché... et pourtant, ce petit bout de fillette était ce qu'il avait de plus cher au monde. C'était son rayon de soleil, la plus brillante des étoiles dans la nuit noire, son petit rossignol. Non, vraiment, personne au monde ne devrait être privé d'un tel privilège.

#Thorondil
Sujet: Couleuvres et Pigeons
Nivraya

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Rechercher dans: Minas Tirith - Autres Quartiers   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Couleuvres et Pigeons    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 4 Nov 2014 - 21:24
Nivraya termine son inspection, et hoche la tête sèchement. Thorondil a fait un effort sur sa tenue vestimentaire, à la hauteur de la rencontre vers laquelle ils s'apprêtent à marcher. Elle sent bien qu'il n'est d'ailleurs pas à l'aise de se promener ainsi vêtu, et qu'il est très loin d'éprouver la même sensation de confort que dans une solide cuirasse de cuir éprouvée par le temps, portée si souvent qu'on l'aurait pensée faite sur-mesure. Toutefois, un tel équipement ne saurait le protéger des coups qu'il va endurer, et son armure du jour est bien plus dans l'apparence que dans l'efficacité. La jeune femme, quant à elle, a opté pour une robe d'une teinte bleue sombre, coupée avec élégance pour correspondre parfaitement à sa silhouette. Guère provocante, portant une simple paire de boucles d'oreilles et un bracelet fin en argent, elle n'en demeure pas moins exquise et tout à fait présentable en société. La simplicité est son mot d'ordre, d'autant qu'elle est certaine que ses traits charmants viennent rehausser le commun de son habit. Elle a remonté, comme souvent, ses cheveux d'un roux flamboyant au-dessus de sa tête, ce qui lui donne un air quelque peu strict qui sied bien à ses nouvelles attributions. Le contraste avec la couleur de sa robe est saisissant, et tout à fait volontaire, si bien qu'en dépit d'une mise épurée, elle n'en demeure pas moins remarquable. La guerre aristocratique se gagne avant tout par l'apparence, et Nivraya y prête une grande attention.

Toutefois, ce n'est pas sa beauté ou sa robe qui viendront chasser l'air sombre qu'elle affiche sur son visage. Les fards discrets qu'elle utilise cachent habilement la fatigue et la lassitude, mais il semble y avoir quelque chose de plus. Quelque chose de plus profond, comme une grande tristesse qu'elle a muré derrière un rempart d'insensibilité, pour ne rien ressentir, quitte à éprouver un immense vide dans sa poitrine, comme si l'air venait soudainement à manquer. Et pourtant, le monstre qu'elle a enfermé parvient encore à se manifester, comme un torrent emportant tout sur son passage, frappant sans relâche les fondations de sa muraille, menaçant de les surplomber en une immense vague bleutée qui déferlerait ensuite sur le reste de sa psyché pour y semer le chaos. L'effort qu'elle fait pour maîtriser sa tension interne est si violent qu'elle ne peut parfaitement assurer sa façade, et que sur son doux visage se peignent une affliction et une peine émouvantes. Cependant, avant même que Thorondil ait décidé s'il était bon ou non de lui faire une quelconque réflexion à ce sujet, elle bondit comme un prédateur acculé, et lui lance :

- C'est l'heure, maître, allons-y. Ne faisons pas attendre notre hôte, je ne voudrais pas paraître déplacée.

Son éternel sceptre sous un bras, son acidité sous l'autre, elle prend les devants et s'éloigne droit vers la Cité Blanche, sans un regard en arrière pour sa tente, ou Freyloord qui a repris son poste de garde le matin venu, après avoir profité d'une bonne nuit de sommeil. Elle se force à chasser Justar de ses pensées, et à rester concentrée sur sa mission, pour le bien de l'Arnor. A chaque pas vers leur destination, elle paraît se renforcer, comme si en s'éloignant d'une source de problèmes personnels et en se rapprochant d'un obstacle, son instinct de survie reprenait le dessus. Les traces de contrariété disparaissent rapidement de son visage, et cèdent la place à une expression soigneusement travaillée, celle de la politesse de circonstance, teintée de gravité. Elle n'est de toute évidence pas là pour rire, et Demeson ne l'a pas invitée pour consolider des liens d'amitié existants, c'est certain. Il espère surtout la convaincre de se lier à lui, et de lui donner des informations de première main concernant la politique du royaume. En reprenant la maîtrise d'elle-même, elle s'assure que son interlocuteur ne trouvera pas trop facilement une prise pour s'en prendre à elle. Le changement est assez spectaculaire en ce qui concerne son attitude, et lorsqu'elle arrive devant l'auberge où ils sont attendus, elle a l'air tout à fait comme à son habitude.

- Tout ira bien, lâche-t-elle à Thorondil à voix basse, alors qu'ils avalent les derniers mètres. Tout ira très bien. Restez calme.

Ce sont des conseils judicieux mais difficile à appliquer dans la circonstance. C'est aussi facile que de demander à un soldat d'être calme le jour de sa première bataille. Dans le fond, on sait que c'est la chose à faire, mais en vérité, ce ne sont que des mots destinés à rassurer. Comme si la guerre se gagnait avec du calme... Nivraya inspire profondément, au moment d'arriver devant le garde personnel de Demeson, qui régule les entrées. De toute évidence, le noble a réservé tout l'établissement pour un grand déjeuner, et il a veillé à ce que personne ne vienne troubler la paix de sa réception. Tout à fait son genre. La jeune femme lève fièrement le menton devant le factionnaire, et s'annonce sans sourciller, présentant par la même occasion Thorondil, qui n'a pas vraiment été invité :

- Je suis persuadée que Sire Demeson sera tout à fait disposé à nous recevoir tous les deux, mon brave. Pouvons-nous entrer ?

L'homme paraît hésiter, mais devant la mise impeccable du fauconnier, il se résigne, et consent à faire entrer les nouveaux venus. En franchissant le seuil, Nivraya est immédiatement absorbée dans l'ambiance des dîners de la noblesse d'Arnor. On rit, on parle, et il règne une ambiance chaleureuse quoique relativement feutrée. Ce n'est pas un banquet où on lève sa chope en hurlant, mais ce n'est pas non plus une de ces réceptions extrêmement policée, où personne n'oserait sourire de peur d'enfreindre le protocole. Les hommes qui sont ici ne sont pas des guerriers, de toute évidence, mais ils ont conservé les traditions de camaraderie et de familiarité que l'on retrouve chez les hommes d'armes amenés à servir ensemble. Nivraya embrasse la pièce du regard, aménagée spécialement pour l'occasion afin de ne présenter qu'une unique table autour de laquelle sont installées une vingtaine de chaises et autant de couverts. Demeson s'est réservé la place d'honneur, naturellement, au centre de toutes les conversations. Les autres places ne sont pas définies, et seront affectées quand tout le monde sera arrivé, ce qui ne saurait plus tarder à en juger par le nombre de convives déjà présents.

- Dame de Gardelame, et Sire de Kervras.

Les têtes se tournent dans leur direction, et Nivraya s'avance d'un pas, à la rencontre de ces sénateurs venus pour le mariage de leur Roi, tout surpris de découvrir deux invités de marque dans un repas déjà fort riche en prestigieux personnages. On retrouve des nobles de tout le pays, dont aucun n'a une influence significative à la capitale, mais qui possèdent tous de vastes terres à travers l'Arnor. Des hommes puissants, qui seraient capables de peser au Sénat s'ils s'unissaient. A l'aise dans ces démonstrations d'affection creuses, la jeune femme se lance dans la mêlée, adressant des saluts à tous ces vautours qui viennent instantanément l'entourer, lui baiser la main, la complimenter mille fois sur sa beauté, sur sa compétence, sur sa merveilleuse intelligence dont aucun n'a jamais douté. Elle n'a aucun mal à sourire, à répondre à la flatterie par la flatterie, et à éviter les pièges tendus. Elle n'en oublie pas pour autant son allié, et tend une main vers lui :

- Mes amis, laissez-moi vous présenter l'héritier de la famille de Kervras. Maître Thorondil ici présent a joué un rôle décisif dans les tragiques événements qui se sont déroulés à Annùminas, comme vous le savez certainement. Il était très enthousiaste à l'idée de rencontrer la haute noblesse d'Arnor, et j'espère que vous excuserez mon audace de l'avoir guidé ici sans votre autorisation...

- Bien entendu que je vous excuse, très chère ! Ah, Nivraya, quel plaisir de vous avoir ici !

Demeson vient de faire son apparition au premier étage de l'auberge, comme pour se donner en spectacle. Il est vêtu d'une superbe tenue rouge brodée d'or, qui met en valeur sa silhouette dynamique. Il fait ses cinquante printemps, assurément, mais il a gardé toute la vigueur de sa jeunesse, notamment une intelligence pétillante que l'on voit au premier coup d'œil. Sa voix chaude et agréable fait s'abattre instantanément un silence religieux sur la pièce, alors qu'il descend d'un pas vif l'escalier, pour venir serrer les mains de ses invités. Il est fascinant de constater à quel point les nobles peuvent virevolter d'une source d'intérêt à l'autre. D'abord focalisés sur Nivraya, puis sur Thorondil, ils se pressent maintenant autour de Demeson, qui les salue en leur adressant une petite phrase personnelle, leur demandant comment va leur famille, s'ils ont eu de bonnes récoltes. Il arrive finalement à Nivraya, à qui il baise la main poliment :

- Très chère, je n'aurais pas cru que vous arriveriez à vous libérer. Votre présence m'enchante ! Et vous nous ramenez le célèbre Thorondil de Kervras. L'homme grâce à qui le royaume a été sauvé du désastre ! Quel honneur !

Il exécute une révérence polie, à laquelle tous se plient sans sourciller, Nivraya comprise. L'ironie de cette première pique ne lui a pas échappée, mais que répondre à cela. Demeson maîtrise à la perfection son art oratoire, et il donne le ton de la conversation. Ce sera donc une guerre, et il faudra lutter férocement pour ne pas céder un pouce de terrain. La jeune femme jette un coup d'œil à Thorondil, en se demandant comment il va répondre à cette première provocation. Elle espère dans un sens qu'il ne l'a pas saisie, pour paraître encore plus candide qu'il ne l'est réellement. Mais en vérité, à voir son expression, elle se demande si ce n'est pas un fol espoir. Finalement, après les politesses d'usage, leur hôte se redresse, et s'avance d'un pas pour serrer fermement la main du fauconnier, en lui posant une main sur l'épaule :

- Je suis heureux de faire votre connaissance, mon ami, et encore davantage de vous avoir à ma table aujourd'hui. Ah, ne soyons pas avares dans notre plaisir : vous vous assiérez en face de moi, à la place d'honneur, ainsi soit-il ! J'ai grande hâte de mieux vous connaître !

Nivraya se permet un sourire discret. Ils ont intrigué Demeson, et ils sont donc dans le jeu. Il ne leur reste plus qu'à ne pas faire de faux-pas fatal. Alors que tout le monde se déplace pour aller prendre place à table, et que l'on fait venir une chaise supplémentaire pour celui qui se retrouve dépossédé par l'arrivée impromptue du fauconnier, la seule femme de l'assistance s'empare du bras de Thorondil et lui glisse furtivement :

- Portez un toast en l'honneur de sa fille.

Mais point de fille à l'horizon. Ils prennent place, et Nivraya s'arrange pour s'asseoir juste à côté de son protégé, afin de le surveiller et de s'assurer qu'elle pourra détourner les questions un peu trop précises de la part de Demeson. Cet homme est un véritable serpent, et du point de vue de la jeune femme, cela en dit long sur la dangerosité du personnage. Elle n'est pas très rassurée, mais s'arrange pour le dissimuler habilement, alors que les conversations démarrent tranquillement entre voisins désireux de parler de la politique, d'échanger des nouvelles, ou de commenter - tout en restant politiquement corrects - le mariage qui vient d'avoir lieu. Demeson, qui sait faire du spectacle, garde le silence, jusqu'à ce que tinte une petite clochette au son argentin. Chacun s'interrompt, et lève les yeux vers l'apparition en haut de l'escalier. Le père se lève même, et tend une main vers sa fille, qui descend prudemment les marches.

- Ah, Lise, tu es splendide. Chers amis, je vous présente ma chère fille, Lise. N'est-elle pas ravissante ?

Chacun y va de son commentaire élogieux et approbateur. Honnêtement, il n'est pas besoin de forcer pour lui trouver du charme. Dans le souvenir de Nivraya, qui date de quelques années maintenant, la petite Lise Demeson était une jeune fille mignonne mais sans plus. Une petite écervelée destinée à devenir comme toutes les femmes nobles d'Arnor : une épouse dévouée à son mari, absorbée par des problèmes de femmes, sans jamais penser de près ou de loin aux affaires du royaume. Force est de constater que les années ont gommé cette vision, et que la jeune femme qui descend est rayonnante. Absolument splendide avec ses longs cheveux d'un noir de jais, son sourire naturel et réellement heureux, et ses fossettes qui lui donnent un air enfantin tout à fait adorable. Même Nivraya en reste bouche bée un instant, davantage consciente de l'ampleur de sa méprise que réellement estomaquée devant la fille. En effet, en plus d'avoir un physique agréable, elle paraît sûre d'elle, vive et à l'aise. Sans rougir, elle vient rejoindre son père devant qui elle s'incline gracieusement, avant de saluer l'ensemble des convives d'une phrase pleine de sincérité et de bonne humeur. Elle finit par s'asseoir à côté de son père, qui lui adresse un franc sourire tout en lui tenant affectueusement la main, avant de revenir à ses invités :

- J'aime à avoir ma précieuse petite Lise à mes côtés, j'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Naturellement, personne ne s'oppose à cette requête. Rappelons qu'à part elle et Nivraya, il n'y a que des hommes qui, s'ils ne cherchent pas à prendre épouse, ont certainement un fils à marier quelque part. Ce repas est une vitrine pour Demeson, qui saura recevoir les propositions de mariage par après, pour les étudier à tête reposée. Il est certain qu'il doit déjà avoir une liste longue comme le bras de prétendants, et qu'il tient sa fille en sûreté pour éviter qu'elle ne commette une folie. Nivraya lui adresse un sourire chaleureux, entre femmes, mais le regard de Lise glisse rapidement vers Thorondil, qu'elle dévisage un moment. Elle ne l'a jamais vu à la table de son père, et de toute évidence elle est prise par une curiosité qui l'amuse.

- Je voudrais porter un toast, intervient un noble mince et sec comme une brindille. A vous, Sire Demeson, et à cette généreuse invitation que nous avons tous acceptée avec plaisir ! Puisse l'été qui nous revient être annonciateur de merveilles pour votre famille !

Chacun lève le verre devant lui, et en prend une gorgée avant de le reposer. Demeson en essuie presque une larme, devant tant de flagornerie. D'ordinaire, on ne multiplie pas ce genre de démonstrations, sauf à vouloir se montrer encore plus visqueux et obséquieux que celui qui a pris la parole juste avant. Pourtant, discrètement, Nivraya envoie un coup de pied à Thorondil en lui rappelant sa première consigne. Elle se demande vraiment si c'est une bonne idée que de rentrer ainsi dans le vif du sujet, mais leur temps est compté, et ils n'ont pas les moyens de faire une cour dans les formes, en comptant les mois. Elle aurait voulu lui donner des conseils, lui expliquer ce qu'il fallait dire en la circonstance, mais l'idée du toast lui est venue sur le moment, et elle n'a pas réfléchi. Maintenant, le fauconnier est seul face à sa première épreuve, et elle a hâte de voir de quelle manière il va s'en sortir... ou ruiner leur plan.

- Oh, cela me va droit au cœur ! Merci !

#Nivraya #Thorondil
Sujet: Bal démasqué [PV Thor]
Thorondil

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Rechercher dans: Minas Tirith - Le Haut de la Cité   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Bal démasqué [PV Thor]    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 6 Oct 2014 - 1:08
Les festivités battaient leur plein depuis la fin de la cérémonie. Si un grand nombre de personnalités s'étaient éclipsées après celle-ci pour se reposer de la chaleur harassante ou se retrouver en petits groupes pour parler affaires, alliances ou bon vieux temps, tous les autres s'égaillaient dans les rues en quête d'alcool et de musique. Tous étaient revenus plus tard pour participer au grand banquet du soir et au prestigieux bal qui allait suivre.

Thorondil était resté en poste plusieurs heures après le départ du tout nouveau couple royal. Quand les gardes, sous leurs armures gondoriennes, sécurisaient les rues aux alentours, lui et les siens guettaient les mouvements de la foule compacte qui se dispersait aux quatre coins de la Cité Blanche. Les minutes lui avaient paru des heures sous ce soleil de plomb. Puis enfin, il y avait eu la relève.
Il avait alors pris le temps de nourrir Elei et de la lâcher dans une grande volière, montée pour l'occasion, dans un recoin calme et protégé de la ville, à l'écart de l'agitation et d'individus mal intentionnés. En temps normal, il l'aurait laissé survoler les champs à sa guise comme il en avait l'habitude, mais il craignait qu'elle ne se laisse distraire par toutes ces musiques et ces lumières à fuir et finisse par s'éloigner bien trop. Elle lui lança un regard courroucé qu'il contra d'un demi-poulet qu'elle se hâta de déplumer et déchiqueter, oubliant ses griefs.

Cela fait, il s'était hâté de retourner dans ses quartiers afin de mettre une tenue d'invité plus appropriée à la circonstance. C'était un ensemble noir et bordeaux flambant neuf dont la ceinture était brodée à l'endroit où aurait dû se tenir son épée, comme le voulait une veille tradition de sa lignée, des armoiries de sa famille, l'étoile à huit branches encerclée d'une chaîne brisée par le haut d'argent sur champ d'azur, ainsi que son blason personnel, reprenant ce dernier, surmonté de trois aigles : une tête et deux aiglettes d'un noir mat, sur fond rouge. Malgré ses nouvelles fonctions, il avait bien peu l'habitude des tenues de cérémonie et s'y sentait terriblement engoncé, tout particulièrement au niveau du col qui semblait vouloir l'étrangler. Pour finir, il attacha ses cheveux en catogan. Le résultat était édifiant. C'était à peine s'il se reconnaissait en se dévisageant dans le miroir. Les cicatrices de son visage, qui ne bénéficiaient plus du camouflage que formaient ses longs cheveux blonds, ressortaient d'une brillance violacée, barrant là son œil gauche, ici le coin de sa bouche et là encore sa joue jusqu'à la limite de la mâchoire, à peine dissimulée par sa barbe. Il grimaça et se détourna de son reflet.

Il avait alors rejoint sa famille qui l'attendait au campement, élégamment habillée pour le bal. La petite Merilin resplendissait dans sa sublime robe de soie pourpre si joliment assortie à ses yeux. Sitôt qu'elle l'avait aperçu, l'enfant s'était précipitée dans les bras de son père. C'était le meilleur moment de cette journée.


A présent la fête lui paraissait bien trop longue. Cela faisait plus d'une heure que l'enfant s'était endormie dans ses bras, épuisée par la musique, la danse et le grand nombre de personnes autour d'eux. Sa figure ronde et sa peau soyeuse contrastaient avec le visage tailladé et brute de son géniteur, autant que ses cheveux de jais avec la chevelure de lin.
Et pour y avoir du monde, ça il y en avait. De toute sorte. De calmes Elfes qui conversaient en petits groupes dans leur coin. Des Hommes de tous horizons, de tout rang et de tout âge. Des dignitaires étrangers qui négociaient ou s'isolaient, las de parler autant une langue peu familière ou agacés de tensions pas totalement éteintes. Des rohirrim enjoués et pour certains légèrement enivrés. Des bourgeois et des nobles de Gondor et d'Arnor dansant et chuchotant - complotant parfois - ensemble. Il lui avait même semblé croiser quelques hobbits, un peu perdus et noyés au milieu de ces grandes gens, mais loin d'être avares en chansons, en histoires et en rires. Mais tous semblaient enjoués et, pour la plupart, heureux d'être là.
Et qui dit mariage dit parfaite ambiance pour organiser et arranger d'autres unions pour ses fils et ses filles. Tous les célibataires possédant rang ou fortune se voyaient présenter untelle, "fille de mon neveu qui possède une rente confortable", untelle d'une bonne famille qui "est douée en tout et sera une épouse modèle", et untelle encore dont la dot se composera de terres et d'un titre prestigieux... Parfois les prétendants parlaient à peine la même langue mais qu'importe tant qu'on faisait des alliances.


Et pourtant, alors qu'il veillait sur la fillette blottie contre lui dans un des coins les plus calmes, le Maître Fauconnier ne discutait qu'avec Sigil, l'épouse de son frère. Elle aussi était mal à l'aise parmi les foules. A l'inverse, Aratan et Elendîn discutaient commerce avec quelques nobles prospères du voisinage. Il appréciait la compagnie de la jeune femme qui avait un temps servi de mère à sa fille, à la fois discrète et instruite, calme et posée. Elle convenait parfaitement à son érudit de demi-frère, pensait-il... Mais il n'en avait pas toujours été ainsi.
Il fut une époque où Thalion avait vu ce mariage d'un très mauvais œil. Avant de connaitre la vérité... et peut-être même un peu après, le temps de digérer les informations. Il fallait préciser que Sigil était entrée dans la famille de manière bien peu... conventionnelle. Elle était la fille aînée d'une famille charmante de la basse noblesse mais fort riche, qui passait souvent par Kervras pour rejoindre son propre fief quelques dizaines de lieux plus à l'ouest de ses frontières. L'entente était très amicale entre les deux familles (du moins avec Aratan car c'est bien avant le retour et l'arrivée de ses fils qu'il avait noué des liens avec eux). En peu de temps, alors qu'Elendîn venait juste d'emménager chez son père, les deux jeunes gens sympathisèrent dans le plus honorable sens du terme. Ils s'étaient liés de cette profonde amitié qui unit les gens qui ont toutes les passions en commun. Mais aucun amour ne vint troubler cette parfaite entente. Ils appréciaient la compagnie l'un de l'autre sans autre arrière-pensée. Le sujet de leur mariage devint une plaisanterie récurrente entre les deux familles, une simple badinerie sans sérieux car aucune d'elle ne souhaitait qu'une telle union ait lieu. D'un côté une famille qui avait les bâtards en horreur et de l'autre un jeune homme dont le rang permettait de prétendre à mieux.
Mais voilà qu'un beau jour, on surprit la belle dans une position fort compromettante avec un simple palefrenier. L'aube d'un scandale pointait déjà à l'horizon et le seul réflexe du chef de famille fut d'aussitôt trouver un parti potable, à défaut de bon, pour sa fille. Mais qui accepterait une femme à l'honneur compromis, sans plus de valeur sur ce terrible marché du mariage que n'en aurait une mule boiteuse à la foire d'Annùminas. Un prétendant se présenta bien vite, appâté par le gain, mais la rumeur eut rapidement raison de son empressement.
Devant la terrible situation de son amie si chère, devant sa peine immense et la promesse d'un bien triste avenir pour sa confidente, Elendîn n'hésita pas longtemps. Contre l'avis de son père et de son frère, et face à celui plutôt mitigé de sa mère, le jeune homme avait fait sa demande en bonne et due forme. En une semaine la chose fut entendue et Sigil emménagea au manoir familial de Lossost, capitale de Kervras, avec son nouveau promis, sa nouvelle belle-famille et surtout son immense tristesse. Elle pleura longtemps sur le sort du pauvre domestique et son propre malheur.  Mais elle avait bien conscience d'avoir eut de la chance, si l'amour était absent au moins pouvait-elle compter sur une profonde amitié pour soutenir ce mariage... à moins qu'Elendîn ne regrette son geste et ne lui reproche s'il trouvait finalement une femme à aimer. Quoiqu'il en fût, Aratan décréta que la famille de sa belle-fille n'avait pas eu un comportement honorable et déclara l'entièreté de leur Maison indésirable à Kervras jusqu'à ce que Sigil en décide autrement.
Et finalement, sans qu'aucun ne s'en rende vraiment compte, les deux tourtereaux se virent évoluer vers de plus tendres sentiments. Ce ne fut qu'à ce moment-là que Thorondil accepta vraiment Sigil comme membre de la famille et non plus comme un pauvre oiseau tombé du nid qu'on avait ramassé par pitié. Et puis les rumeurs, dans un coin si perdu de la campagne arnorienne, changeaient aussi rapidement de cible que le passage d'un lièvre.

La jeune femme finit par prendre définitivement congés, emmenant avec elle l'enfant, non sans avoir incité son beau-frère à chercher une cavalière pour danser un peu car " Par les Valar, tu ne peux pas rester seul toute ta vie !". Un bon conseil qui ne prit absolument pas et, sitôt que Sigil eut le dos tourné, l'homme se précipita pour récupérer ses affaires et partir... Du moins tel fut son projet initial. Si seulement il ne s'était pas fait arrêté par cet homme précisément ! L'un de ceux qu'il avait, justement, le moins envie de croiser. Et cela dura un temps infini ! Au bout de plusieurs dizaines de minutes, ils en étaient encore là.

« - ... Comprenez-moi Maître, ce marché est capital pour la survie de notre domaine et l'alliance de nos deux familles pourrait en être renforcée. Financièrement, vous en seriez même gagnant. »

L'homme était un petit être à la carrure porcine dont l'adjectif le plus à même de décrire sa physionomie était gonflé. Pas gros, simplement gonflé. Même ses yeux semblaient vouloir s'extirper de leurs orbites. Il portait une tenue d'une richesse ostentatoire et une armure d'apparat en pur toc qui jurait horriblement avec l'ensemble. Tout en lui transpirait le petit noble qui cherchait absolument à vivre au dessus de ses moyens. Il était flanqué de deux autres hommes à peine plus grands que lui, à la mise parfaite et à l'allure courtoise mais qui semblaient bien moins à l'aise qu'ils ne voulaient bien le faire croire. Des bourgeois sans doute, et riches mais depuis peu. Et Thalion les dominait tout trois de sa taille, de sa présence et de son prestige. Mais cela n'arrêtait pas pour autant le petit noble.

« - Comme je ne cesse de vous le répéter Messire Varlan, les affaires de Kervras ou d'ailleurs ne regarde que mon père. Et pour ce que j'en sais, il n'est toujours pas disposé à reprendre la moindre relation avec votre famille, commençait à s'irriter sérieusement Thalion.
- Mais les choses changent. Les vieilles querelles n'ont plus lieu d'être. Nous somme de la même famille vous et moi. » contra le petit homme aux joues grasses.
Thalion grogna et répliqua sèchement :
« - C'est là que vous faites erreur Varlan. Vous avez renié votre fille et été prêt à la vendre au plus offrant. Si elle n'avait pas épousé mon frère, qui sait au bras de quel vieillard elle se serait affichée aujourd'hui. Et soudain, vous vous retrouver un lien de parenté avec elle, étrangement au moment où mon nom est dans les bonnes grâces à la Cour... Pour profiter de mon nouveau statut et me demander des faveurs ? Ne vous ridiculisez pas avec vos tentatives aussi pathétiques que mal jouées. Vous êtes la dernière personne qu'il me viendrait à l'idée d'aider. Et je suis persuadé que mon père sera ravi de racheter vos terres pour une bouchée de pain quand vous aurez fait faillite et dépensé jusqu'à votre dernière pièce d'or. Au moins cela permettra-t-il à vos gens de pouvoir enfin manger à leur faim ! »

Les deux bourgeois écarquillèrent les yeux, choqués. La face bouffie du noble prit une affreuse teinte rouge pourpre. Il semblait s'étouffer avec sa propre rage. Comment un être aussi hideux avait-il pu donner naissance à une femme aussi élégante et gracieuse que sa belle-sœur ? C'était un mystère. Quoiqu'en réalité ce fussent la fureur et la honte qui enlaidissaient tant l'homme qui, en d'autres moments, aurait pu passer pour un joyeux bon-vivant.

« - Je ne vous permet pas ! couina-t-il, indigné.
- Mais je n'ai pas besoin de votre permission ! » gronda Thorondil comme un fauve, d'une voix basse, sourde et pourtant terriblement menaçante.

L'homme en face de lui sembla se dégonfler brusquement, comme une gourde percée qui se ratatinait sur elle-même. Sa voix reprit un ton mielleux et caressant. Thalion jeta plusieurs coups d'œil vers la porte. Varlan n'allait-il donc jamais le lâcher ?!

« - Oui, pardonnez-moi, Maître. Veuillez excusez ce malentendu, je suis sûr que nous pouvons repartir sur de meilleures bases vous et moi. Il doit bien y avoir un moyen de s'arranger, tenta-t-il de nouveau. Vous êtes fort, intelligent et jouissez d'une excellente réputation.... »

La flatterie maintenant ? Mais qu'il se taise enfin ! Pourtant il continua sur sa lancée.

« - Vous avez bien quelques bons contacts auprès des proches du Roi... Et... un simple petit service et je vous le rendrais au centuple soyez-en sûr ! Je peux même vous promettre que jamais plus vous n'entendrez parler de moi ensuite. En bon voisinage, bien entendu ! » ricana-t-il encore nerveusement.
Et Thorondil décida qu'il perdait patience.
« - Ecoutez-moi très attentivement Varlan... »

La conversation fut soudain interrompue dans le vif. Nivraya, arrivée à point nommé, intervint sans aucune invitation, avec toute l'assurance dont elle faisait preuve quelque soient les circonstances. Rarement le fauconnier n'avait autant apprécié son arrivée. Il ne savait vraiment plus comment se défaire de cette sangsue de Varlan sans provoquer de scandale public. Pour être honnête, Thalion aurait bien attrapé le noble par le col et secoué jusqu'à ce que ses petits yeux de crapaud ne lui tombent sur les genoux... Et il l'aurait peut-être même fait 6 mois auparavant. Mais maintenant, et c'était bien là l'un des pires désavantages de sa nouvelle condition, il avait les mains liées. Il était au service du Roi, Maître Fauconnier. Il ne pouvait plus se permettre ce genre d'écart de conduite... Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait...

« - Dame Nivraya de Gardelame. C'est un honneur. » salua-t-il poliment, en inclinant la tête, bien que les restes de son irritation soient trahis par son ton.

Le débat fut clos lorsque la jeune femme attira l'attention de tout le groupe sur elle. S'ils ne la connaissaient pas tous de visage, au moins savaient-ils qui elle était par son nom. Et leurs courbettes descendaient si bas que leurs nez auraient pratiquement pu toucher le sol.
Thorondil se laissa entrainer par la jeune femme, tournant ostensiblement le dos aux salutations et sollicitations de ses interlocuteurs sans même chercher à leur répondre. Mais sa discourtoisie ne l'empêcherait certainement pas de dormir !

Le Dùnadan ne remercia pas Nivraya pour son intervention salutaire. C'eût été avouer qu'il s'était retrouvé en situation de demander de l'aide et qu'on le tire de cette position inconfortable. Alors il ne dit rien, récupéra le reste de ses effets personnels auprès du serviteur et sortit aux côtés de la dame.
Il se demandait s'il n'était pas tombé d'Angmar en Mordor mais il accepta malgré tout de l'accompagner dans sa ballade nocturne à travers les allées de la Cité Blanche.

Toutes les rues, toutes ruelles, grouillaient d'activités, de chants et de danses. Les gens, l'espace d'une journée, semblaient oublier leurs malheurs, leur labeur et les restes de famine qui courraient encore. Tout n'était que joie et bonne humeur. Et le ciel, sombre et étoilé au dessus de leur tête n'en paraissait que plus paisible. Du moins le supposait-il étoilé de mille astres. Il n'en voyait que peu de ses yeux malades, les plus lumineuses. Ironiquement celles qui guidaient tous les voyageurs du monde. L'air était agréablement frais, une légère brise s'insinuait entre les pierres pâles en faisant danser les torches. La musique sautait de niveau en niveau à un rythme entrainant, se mêlant à d'autres mélodies en cours de route. Et de là où ils se trouvaient, ils pouvaient embrasser toute la ville du regard et jusqu'à l'horizon lointain dont le relief se découpait en formes sombres dans la nuit.

- Belle soirée, n'est-ce pas ?

Thalion répondit d'un simple hochement de tête, bien plus sincère que tout un long discours poétique.
Les deux nobles marchèrent un moment, s'éloignant des rues les plus animées pour prendre des avenues plus délaissées et calmes. Comme à chaque fois qu'il se laissait aller à déambuler entre ces murs, l'homme se remémorait ses plus anciens souvenirs, quand il était enfant et qu'il courrait comme un possédé sur ce même pavé, quand il riait tout le temps et que le monde lui paraissait si paisible et prometteur.
Nivraya, après un long moment, rompit le silence :

- J'ai entendu dire que votre famille vous avait accompagné, maître, j'espère qu'ils profitent des festivités davantage que nous.

Ce genre de confession n'était pas vraiment du genre de Nivraya, ce qui laissa le fauconnier perplexe mais la tournure de la conversation l'obligea à répondre par plus qu'un grognement.

« - Vous êtes bien renseignée, Madame. Effectivement, ma famille est ici et je vous assure qu'elle profite de l'évènement à sa juste mesure. Mon père se complait dans ce genre d'exercice de Cour et mon frère s'en amuse. Ce genre de fête est rare à Kervras... »

Ils arrivèrent enfin à une destination, sans vraiment l'avoir prémédité. Au bout du pic, surplombant toute la cité. La jeune femme en profita pour s'asseoir tandis que le fauconnier s'appuyait contre le parapet de pierre
Placé en face de la dame ou presque, Thorondil pu détailler son visage éclairé à la lumière de la nuit. Elle semblait lasse, comme si elle avait trainé un trop lourd fardeau de fatigue et de tristesse. Cela ne dura qu'une fraction de seconde si bien qu'il crut l'avoir rêvé. Le temps d'un souffle, elle était redevenue la femme froide et ambitieuse qu'il avait toujours vue en elle.
Et cette conversation... que voulait-elle de lui au juste ? Ce n'était pas réellement un secret qu'il ne l'appréciait que le minimum exigé en pareil circonstance. Alors quel pouvait bien être le sujet réel qui avait motivé cette invitation ?

- Je suppose que vous le savez, mais on parle beaucoup de vous en ce moment. Vous êtes très en vue de la plupart des dames de la cour, et on raconte vos exploits en soulignant toutes vos belles qualités. Mais j'aimerais savoir... qu'avez-vous fait ces derniers mois ? Je gage qu'un homme tel que vous ne saurait rester inactif aussi longtemps.

L'homme chassa la réflexion d'un mouvement de main agacé, comme face à un moustique particulièrement bruyant.

« - Que ces dames attendent autant qu'elles le souhaitent, il n'est nullement question que je me marie. Et vous comme moi savons que c'est mon statut qui est en vue, pas ma personne. Elles seraient sans doute bien déçues d'une vie à mes côtés. C'est souvent le cas quand la réputation chante les qualités d'un homme en oubliant de citer ses défauts et son caractère. »

Sa phrase fut ponctuée d'un très léger sourire, plus moqueur qu'amusé d'ailleurs. Si ces femmes et ses familles pour leurs filles savaient, elles ne seraient pas si empressées auprès de lui. L'aura du prestige n'est que de peu de réconfort à côté d'une vie entière prisonnière d'un mariage malheureux.

« - Vous posez des question dont vous connaissez déjà les réponses, Madame. Vous pouvez berner un tas de petits nobles gras et lents mais n'essayez pas avec moi. Vous savez toujours bien plus que vous ne voulez bien le montrer. »

Alors il se contenta de donner de vagues détails sur la partie émergée de son rôle auprès du Roi, passant sous silence toute celle où il était question de prendre des ordres de Sirion. Il parla de l'avancement de ses réformes de la fauconnerie et du budget serré qui l'obligeait à faire quelques sacrifices. Rien qui puisse réellement satisfaire la curiosité supposée ou réelle de la dame. Peut-être savait-elle déjà toutes ces choses ? Peut-être pas ? Mais il n'avait simplement pas envie d'en parler. Il guettait chacune de ses réactions, ses yeux de mithril braqués sur elle.

« - Et vous-même ? Qu'est-ce qui occupe vos journées ? »

#Thorondil
Sujet: [RP Resynchro]Une histoire s'achève, une autre commence
Thorondil

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Rechercher dans: Minas Tirith - Le Haut de la Cité   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: [RP Resynchro]Une histoire s'achève, une autre commence    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 12 Juin 2014 - 3:29
6 mois... 6 mois qu'il n'avait pas vu passer. Pour Thorondil, il y avait eu une vie avant les évènements d'Annùminas, et une vie après comme il y avait eu une vie à la mort de sa mère et une vie après. Jusqu'à ce jour il avait vécu sa vie avec lenteur et nonchalance, voyageant au gré de ses envies et des batailles, au jour le jour, ne trouvant une raison d'être qu'à travers le combat. Il avait la guerre dans le sang et on lui avait appris la guerre. Et à partir de cette instant où, épuisé et en sang, il avait accomplit sa mission pour le roi, avec ses trois compagnons, sa vie avait été entièrement et irrémédiablement bouleversée.

La reconnaissance de Tar-Aldarion l'avait propulsé dans un univers qu'il avait fui toute son existence durant. Maître Fauconnier du Roi... un titre qui n'était que la partie visible de l'iceberg de responsabilités et de devoirs dont il s'était vu confier la charge. A 35 ans, pour la première fois de sa vie depuis qu'il avait quitté son maître, il se trouvait sous les ordres de quelqu'un, et exerçant l'autorité sur une poignée d'hommes, fauconniers de métier. Ce bouleversement, bien qu'il en ait accepté l'honneur, ne s'était pas passé sans quelques anicroches. Rien de surprenant, il n'avait jamais eu le caractère facile et toutes ces années de solitudes dans les terres sauvages et les frontières inhospitalières n'avait guère arrangé les choses. Il avait donc fallu pour tout le monde s'adapter les uns aux autres et Thalion avait bien dû apprendre à brider son caractère misanthrope.
Il lui avait fallu prendre ses marques, faire valoir ses compétences autant auprès de ses supérieurs que de ses subalternes. Puis, à sa manière, il avait donné un grand coup de pied dans la fourmilière. En quelques mois il avait tout pris à bras le corps pour révolutionner l'existant suivant ses propres engeances. Il ne s'était pas fait que des amis durant cette période, il était vrai, mais cela ne le perturba pas outre mesure et ses hommes pouvaient bien le maudirent en silence que cela ne l'empêcha pas de dormir la nuit. Mais autant de bouleversement lui avait causé de terribles maux de tête qui avaient duré toute une semaine durant.
Sa première action avait été de remettre de l'ordre dans la Fauconnerie Royale laissée dans un assez mauvais état trop longtemps négligée au profil de problèmes plus graves. Remise en état des installations et inventaire minutieux des oiseaux (si peu même en comptabilisant les rapaces personnels des fauconniers...) et de leurs capacités, avait pris deux mois entier d'efforts acharnés. Il avait également fallu s'organiser pour la rendre le plus indépendante possible, financièrement parlant, car il n'était pas question de gaspiller de l'argent alors que tant restait à faire et refaire en Arnor. Les oiseaux n'étaient donc pas achetés mais dénichés et élevé "à la manière elfique" comme l'appelait son ancien mentor. En effet, les rapaces élevés de façon traditionnelle étaient trop dépendants, incapable de chasser pour eux-mêmes et tentaient trop souvent de s'enfuir ou s'attaquer entre eux s'ils n'étaient pas attachés et encapuchonnés. L'exemple d'Elei avait convaincu ses collègues du bien fondé de cette méthode plus contraignante. La Fauconnerie nourrissait ses propres pensionnaires d'elle-même et ne réclamait que quelques planches pour sa réflexion et le salaire des fauconniers.
Le plus délicate des tâches de Thalion fut de réorganiser sa petite troupe en équipages spécialisés afin que chaque rapace soit entrainé dans les meilleures conditions pour une efficacité optimale. Il était malheureux que le travail des fauconniers ait été trop souvent sous-estimé voir jugé à peine utile, quant à beaucoup, ils le résumaient à la chasse, terrible erreur. Il était bien décidé à le prouver ! C'est à ce moment qu'il avait regagné pour une part l'affection de ses hommes, estimant et appréciant chacune de leurs expériences, leurs capacités et leurs atouts avec justesse. Un groupe fut affecté à parer au plus urgent, le contre-espionnage, qui gérait les plus petits rapaces chargés de reconnaitre et d'intercepter, sans les tuer, les pigeons messagers ennemis. Après une telle période de trouble, c'était une mesure indispensable, et tout message suspect était immédiatement adressé à Sirion pour analyse. Une autre équipe, plus réduite, fut affectée aux transmissions importantes, dédié à des oiseaux rapides et fiables, et par là même difficile à dresser. Une autre encore, dite de surveillance, fut éclatée à travers le royaume, en des points stratégiques sous la tutelle d'unités militaires locales, avec des buses et des aigles arnoriens en début de formation ayant apprit à adopter certains comportements inhabituels face à des menaces flagrantes telle que des mouvements de troupe ou une présence particulièrement hostile. Un tour assez facile à apprendre qui relayait l'information plus vite qu'un éclaireur à cheval et couvrait un plus large secteur. Certains furent également affecté à la chasse tant substantielle, qui consistait simplement à ramener de quoi nourrir les habitants du château, que de loisir si d'aventure le Roi décidait de se joindre à la partie.... Et ainsi de suite... Mais enfin Thorondil s'assura que tous pouvaient être polyvalents d'un groupe à l'autre pour renforcer tel ou tel effectif en cas de besoin. Il s'avérait à son grand étonnement que chacun de ses nouveaux hommes était parfaitement compétent dans son domaine et il en ressentait une étrange fierté. Ils avaient fait un excellent travail avant même son arrivée ce qui lui avait permis de rapidement mettre en place ce qu'il avait en tête, et ce malgré les moyens considérablement réduits qu'ils avaient eu à leur disposition en ces temps de trouble.
En parallèle, le Maître Fauconnier se devait de suivre l'entrainement militaire exigeant de la Garde de la Rose qui épuisait le reste de son temps libre, s'attacher à remplir les diverses missions qui lui avaient été confié alors et enfin aménager le logement qu'il occupait désormais à Annùminas.

Lorsque son rythme de vie s'était un peu ralenti, il avait fait venir sa fille auprès de lui. Ses revenus enfin régulier et son existence plus ordonnée lui permettait enfin de s'occuper lui-même de son enfant de presque trois ans et demi. Il avait embauché une jeune gouvernante d'excellente réputation pour prendre soin de sa fille en son absence et qu'il hébergeait dans un petit logement séparé du reste de la maisonnée si ce n'est par une unique porte. La jeune femme, qui répondait au nom de Verica, discrète et particulièrement patiente, avait réussi à supporter son employeur et son éternelle misanthropie, contrairement à trois prédécesseures qui avaient claquées la porte en quelques jours. De plus, elle adorait Merilin qui le lui rendait bien. Thalion avait d'abord émit nombre de réserve à son égard de par son jeune âge pour une telle fonction. Mais Verica, avec sa chevelure brune acajou désordonnée en grosses boucles, ses yeux noisette, ses tâches de rousseur et son délicat sourire avait aussitôt séduite sa fille qui avait argué pour lui laissé une chance. Tout s'était bien passé et Verica était restée, partageant la vie de la petite famille sans jamais s'immiscer trop loin. La jeune femme avait d'ailleurs profité de leur départ pour le mariage royal, et avait prit un congé pour rendre visite à son frère à Bree.


Thorondil s'était sentit honoré d'avoir été désigné pour participer à la protection du Roi lors de cet évènement historique, signe que tous ses efforts avait payé. Il était partit plusieurs semaines avant la délégation officielle avec un groupe de ses fauconniers triés sur le volet pour leurs compétences et celles de leurs oiseaux afin de s'organiser au mieux avec les autorités du Gondor et coordonner leurs actions respectives. Il avait su convaincre le Roi, Sirion et le général Cartogan de l'intérêt stratégique de la présence de ses rapaces sur le terrain pour prévenir toute agitation suspecte ou tout mouvement extérieur inattendu. Il avait si bien vanté les mérites de ce système de façon claire et concise, qu'il avait rapidement reçu carte blanche pour mettre à bien son projet à la condition que le reste de ses hommes restent à l'extérieur des remparts. Il ne s'agissait pas d'attirer l'attention et la méfiance des délégations et encore moins leur courroux. Malgré tout, le Maître Fauconnier avait dû supporter la présence agaçante - et totalement inutile et ignorante de son point de vue - d'un gondorien chargé de la liaison avec les chargés de la sécurité. Il n'aurait jamais supporté ce petit homme dans ses pattes plus longtemps que la strict nécessité et ne se gênait pas pour lui faire savoir. Heureusement, l'homme semblait doté d'un flegme et d'une patience à toute épreuve que la mauvaise humeur de Thorondil n'avait pas suffit à entamer... ce qui avait eu le don d'agaçer encore plus ce dernier. Il avait été ravis de pouvoir repartir en Arnor afin de faire parti de la suite du Roi, laissant derrière lui quelques hommes pour terminer les préparatifs particuliers et gérer l'agaçant personnage.

Il avait eu le plaisir de revoir Njall, lorsque celui-ci accompagna Poppea qui s'était jointe au convoi royal vers le Gondor, qu'il n'avait pas eu l'occasion de croiser depuis que celui-ci avait été mit au service de l'héritière en titre. Les deux hommes avaient pu reprendre de vieilles discussions et échanger quelques mots dans la langue natale de l'étranger. Bien que Thalion ne la maîtrise que difficilement et avec un vocabulaire relativement enfantin, il avait prit plaisir à converser ainsi. La première fois qu'il avait parlé sa langue, le lossoth avait été particulièrement surpris et s'était montré très enthousiaste à l'idée discourir avec ses propres mots si loin des siens.
Thorondil avait été plus embêté sur la façon de se conduire avec Adaes Thiemond. Depuis que le vieux maître d'arme avait redoré son blason familial et recouvré des terres, il avait eu l'occasion d'être présenter de nombreux autres nobles... dont un particulièrement qui l'avait beaucoup apprécié : Aratan, seigneur de Kervras et, chose évidente quand on le regardait, père du fauconnier. Sa place dans la noblesse arnorienne avait donc été révélée à Adaes, ce qui n'avait pas été pour plaire à Thorondil. Même s'il avait en quelque sorte enterré ses vieilles rancœurs, il n'était pas prêt à redevenir ce qu'il était à l'âge de 10 ans. Mais comme évidement, Aratan ne pouvait qu'apprécier le compagnon d'arme de son fils aîné et l'un des héro du pays, le vieux noble s'était vite vu présenter son autre fils Elendîn ainsi que l'épouse de celui-ci Sigil, pour qu'enfin le fauconnier lui-même en vienne à présenter sa propre enfant, Merilin. Mais la distance géographique et la faible assiduité des deux seigneurs au Sénat rendait sporadique les rencontres entre les deux familles. Si bien qu'au bout de quelques heures de chemin, l'atmosphère s'était détendue entre les deux hommes.

Le reste des préparatifs pour la cérémonie du côté des arnoriens s'était soldés par diverses consignes, une vigilance accrue et quelques compromis qui furent difficile à faire entendre. Désormais, en voyant ses collègues cuire dans le four de leur armure gondorienne sous le soleil de plomb, le dùnadan appréciait le statut spécial dont il bénéficiait. Malgré tout, comme le voulait la règle instaurée spécialement pour l'occasion et surtout pour préserver les apparences, il ne portait pas d'épée. L'absence de Sûliavas à son flanc lui manquait cruellement. Cela faisait des années qu'il n'avait pas quitté son épée aussi longtemps. Il se sentait presque nu sans sa vieille compagne contre sa cuisse. Oh, elle n'était pas si loin, bien à l'abri dans ses affaires personnelles... mais cela n'arrivait pas à le rassurer. C'était son bien matériel le plus précieux, bien plus encore lorsqu'il avait apprit la mort de son mentor Lainion Hûndoron, qui s'était éteint de vieillesse alors qu'il rédigeait une lettre dans la petite bâtisse loin de tout qu'il habitait depuis sa retraite du monde de la guerre. Son âge très avancé avait finalement rattrapé le vieux guerrier. Ayant appris la nouvelle bien trop tard, il n'avait pu rendre un dernier hommage à l'homme qui avait été presque un père pour lui de nombreuses années durant, un compagnon d'arme et un maître a qui il devait tout. Ces derniers mois, il avait regretté de ne pas avoir pris le temps d'aller le voir ou prendre de ses nouvelles. Et l'antique épée à tête d'aigle était la dernière chose qu'il lui restait de cet homme extraordinaire.

Puis la Cérémonie commença. Très concentré sur son travail, surveillant à la fois la foule et le ciel de derrière la tribune des représentants étrangers, il prêta à peine attention à la profusion de luxe des délégations ou à la beauté de la mariée. Il pouvait deviner ces détails par la réaction des foules mais ne s'y attacha guère lui-même.
L'ambiance si joyeuse se refroidit brusquement lorsque le haut-Roi Mephisto annonça le recueillement général. L'énonciation des enfants lui laissa une bile amère au fond de la gorge. Les yeux posés sur le souverain d'Arnor, il pouvait y voir la souffrance terrible sous les traits fermés. Le pauvre homme avait perdu ses trois uniques enfants. Il n'avait pu que ressentir de l'admiration pour cet homme qu'il avait vu évoluer depuis et s'étonnait de la force avec laquelle il tentait de surmonter cette horreur. Si jamais lui-même venait à perdre sa très chère Merilin, dans de si atroces circonstances, il était bien incapable de dire comment il pourrait réagir. Il était persuadé qu'il en aurait tout bonnement perdu la raison après avoir traqué le meurtrier pour le pendre avec ses propres entrailles. La guerre était la guerre, elle amenait toujours dans son sillage les pires horreurs, mais rien au monde, quelque soit les intentions bonnes ou mauvaises qui se cachaient derrière ce geste, ne pouvait justifier de s'en prendre à des enfants de la sorte. La mâchoire du Maître Fauconnier se contracta brusquement. Il n'y avait aucun crime au dessus de celui-là ni aucune sentence suffisante pour le punir. Ce genre d'assassins renonçait par leur geste à leur statut d'être humain, ne devenant que de simples bêtes, plus bas que les orques et les gobelins même. Ils n'avaient même pas l'excuse de leur nature maléfique pour se justifier. Rapidement, il braqua son regard vers les nobles qui occupaient les premiers rangs de la foule et chercha la petite tête brune qui se trouvait quelque part dans la multitude. Evidemment il ne la trouva pas, le nombre de personnes présentes étaient bien trop immense. Il se rassura pourtant en se répétant qu'elle était tranquillement à l'abri avec sa famille au complet. Tous ayant fait le déplacement. Enfin il reprit totalement son rôle afin de veiller au mieux à la sécurité des lieux. La tête levée vers le ciel, il suivit le sol concentrique d'Elei au dessus de la Cité. Rien à signaler pour le moment.

Le Roi et la Reine avaient désormais pris place dans la tente pour recevoir leurs présents de mariage. Placé à l'extérieur, à quelques pas des gardes qui géraient les entrées, il jetait de temps en temps un œil curieux vers la très longue file d'attente. Chacun avait sa place car le protocole exigeait un ordre précis de passage suivant les alliances, les rangs et les liens de parenté. ça se bousculait et ça bougeait, les retardataires prenaient leur place légitime en bousculant ceux qui s'y trouvaient déjà, certains nobles se ridiculisaient même à se battre pour une petite place devant un comte ou un baron, d'autres faisaient preuve de détachement et regardaient, comme le fauconnier, ce spectacle entre indifférence et moquerie. Ce triste spectacle le confortait dans son désir de ne pas faire partie de ces hommes ridicules.
La délégation du Rohan fut la première à se présenter et leur cadeau plaçait la barre très haute. Un véritable Mearas. C'était la première fois que Thorondil avait l'occasion d'en admirer un et il ne s'en priva pas. Il n'était d'ailleurs pas le seul. Il aimait beaucoup Lith, sa jument, mais bien qu'elle appartienne à l'une des meilleures races de Terre du Milieu, elle n'avait rien à voir avec la sublime bête qui se tenait devant lui, rayonnante de noblesse. Tout chez ce cheval était l'incarnation de la perfection équine. Il ne pouvait même pas imaginer quelles sensations pouvaient naitre en chevauchant cet animal. Une monture dévolue aux Rois et aux Grands, il prenait finalement pleinement conscience de la raison de cette exclusivité.

Sa famille finit par passer, après une très longue attente. Trop occupés ou trop stressés, aucun d'eux ne le remarqua. Son père tenait en laisse un gros chien courant d'un gris sombre. L'animal était encore jeune et venait visiblement de finir sa période de dressage mais il se tenait tranquillement à côté du seigneur de Kervras, les yeux braqués sur lui en attente d'un ordre. Son corps était tout en muscle et ses mâchoires semblaient avoir la force de broyer une tête humaine sans la moindre difficulté. Le vieux seigneur borgne avait longuement songé au cadeau approprié pour un tel évènement. Son fief n'était pas le plus riche d'Arnor et ses moyens étaient limités. Mais Kervras était un domaine plein de ressources et il avait fini par s'arrêter sur des cadeaux simples mais sûrs. Derrière Aratan, c'était Elendîn qui portait les cadeaux pour la nouvelle épouse. Quant à Sigil, l'épouse d'Elendîn qui tenait la main de la petite Merilin, elle marchait en retrait.
Le fauconnier se rapprocha discrètement de l'une des parois en tissu de la tente pour entendre ce qu'il s'y passait. Après avoir nommé les titres du Roi et présenter ses vœux et félicitations d'une voix qui laissait entrevoir l'ancien militaire qu'il était, le vieux seigneur présenta ses cadeaux.

« - Au nom de ma famille et des habitants de Kervras, mon domaine, je vous offre ces modestes présents pour célébrer votre union. Pour vous, Votre Altesse, ce chien dont la lignée a été sélectionnée avec le plus grand soin. Il a été dressé par le meilleur de mes veneurs pour pouvoir faire face à un sanglier ou même un ours si tel est votre désir. Et si vous consentez à le garder près de vous, il saura, j'en suis sûr, vous protéger d'individus malveillants car il a été également formé à réagir aux attitudes agressives qui viseraient son maître. »

Thorondil entendit le petit trot du chien qui changeait de main. L'animal était l'unique fils du meilleur chien d'Aratan, qui, à sa naissance, avait prévu d'en faire le remplaçant. L'annonce du mariage lui avait fait revoir ses plans. En offrant au roi le symbole vivant de la loyauté, Aratan entendait transmettre un message fort au souverain. Puis son père reprit la parole, accompagné des pas de son frère qui s'avançait.

« - Pour notre reine, voici un livre contant l'histoire notre beau pays qui l'a adopté au premier regard. Puisse cette lecture vous faire aimer l'Arnor autant qu'elle vous aime déjà... Mais nous n'oublions pas d'où vous venez Votre Majesté (on pouvait entendre un léger sourire dans les paroles du noble) et si le mal du pays vous gagne malgré tout, j'espère que ce dernier cadeau allègera votre cœur. »

Le deuxième présent pour la reine avait beaucoup plu à Thalion quand son frère le lui avait montré. Il était vrai qu'on trouvait à Lossost, le chef-lieu de Kervras, parmi les meilleurs sculpteurs sur pierre et les trois artisans que son père avait retenus étaient les plus doués de tous et surtout, pour deux d'entre eux, venaient du même royaume que Dinael. Ce présent était en effet une simple tablette de marbre de la taille d'une petite fenêtre, ni trop fine pour ne pas être fragile, ni trop épaisse pour garder en légèreté. La cité de Dale y avait été sculptée en léger bas-relief au centre tandis que le reste du paysage était gravé tout autour avec une grande précision. Si ce n'était la couleur, on aurait pu croire admirer l'original en fixant ce chef-d'œuvre de l'artisanat local. Son père avait beaucoup misé sur ce cadeau pour impressionner la nouvelle reine.
Le fauconnier resta un instant pour écouter les réactions avant de s'éloigner pour laisser les autres familles présenter leurs cadeaux de mariage. Il se fichait bien de ça et il avait un travail sérieux à faire. En sortant de la tente, Merilin l'aperçu et lui adressa un grand sourire en agitant ses petites mains dans sa direction. Il lui répondit d'un grand sourire qui eu le don d'inquiéter légèrement le soldat posté à côté de lui, tant il n'avait pas affiché depuis le début de la cérémonie le moindre sentiment positif sur son visage. Mais le gondorien détourna bien vite les yeux vers des personnes plus "suspectes" en rencontrant le regard noir qui lui était adressé.... La journée était loin d'être finie.

#Thorondil
Sujet: Il sonne pour toi
Nivraya

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Rechercher dans: Annúminas   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Il sonne pour toi    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 31 Mar 2014 - 20:53
La journée touche à sa fin, en même temps que la dernière chandelle allumée, qui vacille péniblement dans la pièce, agitée par la légère brise venue de la fenêtre entrebâillée. Il fait frais, mais pas froid, en dépit des températures glaciales qui règnent au dehors. Mais dans la petite pièce remplie de paperasse, il fait bon, et il est agréable de travailler tard le soir entre ces murs, quand plus personne ne s'y rend, et quand un silence agréable y règne. Un silence qui rime avec solitude, propice à l'étude et au travail. Seule assise à son vaste bureau, empêtrée dans des documents qui semblent vouloir monter à l'assaut du plafond, perdue au milieu d'un océan de parchemins et d'actes juridiques complexes rédigés dans une calligraphie à peine lisible, une jeune femme est penchée, les sourcils froncés, absorbée dans la lecture d'un document qui semble occuper l'entièreté de ses pensées. Elle caresse du doigt une plume installée négligemment non loin d'un encrier, machinalement, sans même y faire attention. Puis, après avoir pris une moue légèrement perplexe, elle plonge et retire l'instrument du petit récipient où repose paisiblement le noir liquide. Avec une souplesse acquise par l'habitude, elle imprègne le parchemin, rédige quelques lignes d'une écriture soignée et élégante, puis appose sa signature, referme le pli, et y appose son sceau. Une missive de plus rédigée, et probablement pas la dernière de la soirée, à en juger par le nombre incalculable de demandes qu'elle doit traiter.

L'hiver infernal qui s'est abattu sur l'Arnor, et sur toute la Terre du Milieu à en croire les nouvelles, a ravagé l'économie déjà fragile de certaines régions proches d'Annùminas. Les paysans incapables de cultiver leur terre se sont exilés en ville, et ils constituent désormais un contingent de pauvres, de miséreux et de malades conséquent, que les autorités de la ville ont le plus grand mal à gérer. La jeune femme, dans le cadre de son office, a déjà eu l'occasion d'observer leurs conditions de vie, et elle les a trouvées proprement indécentes : une dizaine de personnes logeant fébrilement, les uns sur les autres, dans un réduit ridicule. Et malheureusement, elle a pour mission de leur soutirer le peu d'argent qu'ils arrivent à gagner, pour rembourser des créanciers inquiets de jamais récupérer le moindre sou de la part d'une population mourante. La capitale d'Arnor, durement frappée par les conditions climatiques, est en effet abandonnée par sa tête, dont les pensées sont tournées exclusivement vers les intrigues politiques de la plus basse espèce.

Elle se tenait là, dans les rangs du Sénat, quand l'annonce publique a été faite, et que la nouvelle est tombée comme un couperet. Le Roi Aldarion serait mort, et son fils et légitime successeur doit donc être couronné pour préserver le trône. "Serait" mort, car en dépit du discours officiel servi par l'entourage du Prince, beaucoup de choses étranges se trament à l'insu de tous. La population n'est pas au courant, et a simplement entendu l'annonce tragique de la mort de son souverain, qui a soulevé une foule d'interrogations, et une certaine peine. Toutefois, les nobles qui se tenaient présents lors de l'annonce ont tous vu que les choses ne semblaient pas être aussi simples qu'on voulait le leur faire croire. L'intervention du Tribun de la Plèbe a jeté un pavé dans la mare, et a refroidi les ardeurs de la jeune noble, qui pendant un instant a vu l'opportunité de s'élever rapidement dans la hiérarchie nobiliaire de son Etat, en se rapprochant autant que possible du Prince et futur Roi. Mais la contestation de la part du Tribun a été trop vive et trop étrange pour n'être que l'expression de la folie d'un homme, et la réaction des fidèles du Prince bien trop ferme pour ne pas attirer l'attention de la jeune femme. Le Tribun Derulan a été chassé de la ville, en lieu et place d'être exécuté, ce qui a été interprété comme une marque de magnanimité de la part de l'héritier, mais qui en réalité cache peut-être des manigances plus sombres. Afin de vérifier son intuition, la jeune femme a envoyé une des deux seules personnes en qui elle a confiance enquêter sur les suites de cette affaire, mais elle n'a reçu aucune nouvelle depuis...

Les choses, quoi qu'on puisse en penser, sont compliquées pour la noblesse d'Arnor. Si le Roi est bel et bien mort, cela signifie que le Prince est désormais investi des pleins pouvoirs de commandement sur le royaume, mais eu égard à son jeune âge, il devra probablement les céder en partie à son mentor Caleb : un homme énigmatique aux motivations qui le sont encore davantage. Pour toute l'élite de la capitale, et a fortiori pour toute l'élite du pays, la recomposition de la tête de l'Etat implique de renouer des alliances avec les nouvelles figures fortes, pour maintenir sa position. Certains commencent déjà à se rapprocher de Caleb pour essayer de l'amadouer, en lui promettant soutien et assistance pour la régence. D'autres - dont Nivraya - se refusent à se positionner immédiatement, et continuent à entretenir le flou. Fort heureusement, elle appartient à la petite noblesse, et son ralliement n'est pas prioritaire. Mais lorsqu'on viendra la convoquer à un entretien avec le Prince, elle sera bien obligée de faire un choix. Il n'existe pour l'heure aucune opposition officielle au parti du Prince, car chacun sait que si la mort d'Aldarion est confirmée, alors c'est la mort qui attend les comploteurs.

En revanche, si sa mort n'est pas avérée, comme l'a laissé entendre le Tribun Derulan... alors les choses sont bien plus compliquées qu'il n'y paraît. Cela signifie dans un premier temps que l'ensemble des forces qui actuellement gouvernent le pays sont complices d'un coup d'Etat magistral. Une nouvelle particulièrement désagréable, car quand on a eu l'occasion de voir - même brièvement - le Roi Aldarion, on sait qu'il n'aura de cesse de retrouver son trône, dût-il éliminer tous ses opposants à mains nues. S'il parvient à revenir en force, une purge de grande ampleur se prépare, et tous ceux qui auront eu le malheur de choisir le mauvais camp seront décimés. Une situation particulièrement tendue, qui se lit dans les yeux de chacun. Nul n'ignore que dans les prochains jours, lorsque le sacre du Prince aura eu lieu, plus rien ne pourra empêcher Caleb de prendre le pouvoir absolu, et de régner comme il l'entend. Certains lui prêtent un caractère fort et un sens tactique aigu, qui pourraient lui permettre de renforcer considérablement la position de l'Arnor vis-à-vis des gobelins. D'autres ne le perçoivent que comme un manipulateurs mégalomane, et se méfient comme la peste de lui. Nivraya, quant à elle, est très partagée.

Peut-on réellement dire qu'elle n'est pas attirée à l'idée de se rallier parmi les premiers au futur nouveau gouvernement ? Un soutien aussi inconditionnel serait récompensé comme il se doit, et sa famille gagnerait en puissance et en prestige. Elle-même pourrait gravir les échelons, et se tailler une place confortable parmi ses pairs. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Est-il bon de tout sacrifier sans avoir la certitude d'en retirer quelque chose ? Car si Aldarion doit revenir, sa seule option sera de tout abandonner et de quitter le pays... une chose à laquelle elle ne peut se résoudre. Repartir sur les routes, retrouver une vie de roturière ? Jamais de la vie !

Alors qu'elle est absorbée par ses pensées, la plume suspendue au-dessus du papier, on frappe subitement à la porte. Si subitement, en réalité, qu'elle en sursaute et laisse tomber une grosse tâche d'encre sur le papier. Elle s'empresse de l'essuyer, mais le mal est fait : quelle horreur ! Cela lui apprendra à se laisser aller à rêvasser quand elle doit achever son travail. Revenant à la réalité, elle se fend d'un "entrez !" sec et cassant, reflet spectaculaire de son état d'esprit du moment. Elle est fatiguée, guère disposée à faire la conversation à Freyloord pour lui demander d'expliquer aux gardes qu'elle ne fait rien d'illégal en demeurant dans son office au palais après la nuit tombée. Mais au fond d'elle-même, elle espère secrètement voir rentrer Alyss, la jeune femme qu'elle a envoyée chercher des informations à propos du Tribun Derulan, et qui n'a toujours pas donné signe de vie. C'est la seule raison pour laquelle elle a accepté de répondre, sans quoi elle aurait purement et simplement gardé le silence, faisant comprendre au colosse qui barre l'entrée que les visiteurs qui qu'ils soient doivent repasser.

La porte s'ouvre donc, tandis que la jeune femme achève de remettre un peu d'ordre dans sa coiffure, pour se donner une allure. Freyloord pénètre dans la pièce avec la souplesse d'un chat... Un chat de près de cent kilos, haut de plus de deux mètres, affublé d'une musculature de titan. A côté de lui, même le plus grand des orques ressemblerait à un adolescent boutonneux. C'est l'incarnation de la force tranquille, et son visage calme et posé ne se pare jamais d'aucune expression. On dirait un énorme morceau de roche à qui on aurait donné forme humaine, et qui par quelque magie serait doué de vie. Un golem, en somme. Il incline légèrement la tête, et s'explique sans attendre, conscient que son devoir est d'être efficace avant tout. De sa voix caverneuse et pourtant assez plaisante, il lance :

- Ma Dame, quatre individus veulent vous rencontrer. Ce sont des... voyageurs. Ils ont beaucoup insisté pour vous parler, et je pense qu'ils ne partiront pas sans vous avoir vue.

Aucune question, aucune demande, simplement une stricte et claire énonciation des faits. Nivraya apprécie considérablement son économie de mots, et sa précision linguistique. Cet homme, dont le physique imposant cache remarquablement la brillante intelligence et la belle éducation qu'il a reçue, est le serviteur idéal. Satisfait de peu, il ne demande jamais rien, et fait toujours son travail avec une grande efficacité. En échange, la jeune femme lui offre le gîte et le couvert, le paie suffisamment pour qu'il puisse vivre sa vie, et lui laisse assez de temps libre pour qu'il puisse se plonger dans les livres qu'il affectionne tant. Elle le regarde droit dans les yeux, toujours surprise d'y lire autant de perspicacité, et analyse en un instant sa déclaration laconique, et pourtant pleine de sens. Elle n'a pas besoin de lui demander si les quatre "individus" sont dangereux, sans quoi il les aurait déjà renvoyé prestement. Comme il ne s'est pas donné la peine d'entrer sans attendre sa réponse, c'est qu'il ne s'agit pas d'un personnage important qu'elle devrait faire rentrer sans attendre. En outre, puisqu'il n'a annoncé aucun nom, ce n'est probablement pas un autre noble, ou encore un bourgeois venant lui demander de régler un problème. Des voyageurs a-t-il dit ? Il n'a pas mentionné leur provenance, ce qui signifie très certainement qu'ils n'ont pas voulu le lui dire. Quant à leur insistance, elle est des plus surprenantes, et ne peut qu'éveiller la curiosité de la jeune femme.

Après tout, elle n'est qu'une petite noble, femme de surcroît, et personne ne vient jamais la voir dans son office, lorsqu'elle y travaille. Pourquoi subitement quatre individus viendraient frapper à sa porte et lui demander audience ? Elle préfère ne même pas songer aux réponses possibles. Quoi qu'il en soit, si Freyloord a pris la peine de la déranger pour ça, c'est qu'il estime quelque part qu'elle a intérêt de les rencontrer, et qu'elle pourrait trouver ce qu'ils ont à dire intéressant. Elle claque des doigts, plus par habitude que pour manifester un ordre quel qu'il soit, et lui répond simplement :

- Faites-les entrer, si c'est ce qu'ils demandent.

Le géant s'incline, et quitte disparaît derrière la porte. Il est sans doute en train d'appliquer la procédure habituelle, à savoir demander aux quatre visiteurs de déposer leurs armes à l'entrée avant de pénétrer dans la pièce. Les consignes sont en général claires, et le gabarit du mastodonte n'invite pas à la désobéissance. Jamais. Une minute passe, avant que la porte ne s'ouvre à nouveau, pour laisser passer les quatre individus. Nivraya les dévisage soigneusement, un par un. Le premier à entrer est un homme d'âge mûr, une grosse barbe poivre et sel, mais l'air toujours vif de corps comme d'esprit. Son maintien est droit, mais il a l'air d'un vagabond avec ses cheveux en bataille, sa moustache épaisse, et ses traits tirés. Le malheureux a l'air fatigué, et on dirait qu'il vient de passer les pires jours de sa vie pour arriver jusque dans son bureau. Elle ne peut s'empêcher de se demander pour quelle raison.

- Maître Thiemond, lâche Freyloord sans hausser le ton.

Le deuxième à rentrer est un homme trapu, au visage parcouru de cicatrices dues à la rencontre avec l'acier. Il a l'air d'un pillard des plaines glacées, avec ses cheveux sombres hirsutes, et la barbe d'un voleur traqué, mais il semble venir de plus loin. Il ressemble à Freyloord, dans un sens, et la jeune femme se souvient que son homme-lige est originaire des grandes étendues désertiques du Nord, là où tout est gelé. Ce n'est pas un Lossoth, mais il a grandi près d'eux, et c'est probablement ce qui explique le regard légèrement plus amical qu'il pose sur ce guerrier imposant au moment d'annoncer :

- Maître Njall.

Le troisième est aussi différent des deux autres qu'il est possible de l'imaginer. Grand, et relativement longiligne, il a encore plus de cicatrices que les autres individus qui l'ont précédé. Ses traits semblent avoir été forgés dans les flammes de la guerre, sculptés à la hache ou à la pointe de la lance, et il semble accuser le coup de bien des blessures... dont une à l'œil qui lui donne un regard particulièrement étrange. Nivraya se demande un instant s'il est aveugle ou non, mais ravale son interrogation, et décide de faire preuve de patience. Une vertu noble.

- Maître Thorondil.

Le quatrième, ou plutôt la quatrième, tire instantanément une expression de surprise aussi brève qu'intense dans les yeux de la jeune noble d'Arnor. Qu'on lui présente trois hommes, des guerriers vétérans, des mutilés de guerre, cela va encore, mais une étrangère ? Elle connaît trop bien le Sud pour attribuer à ses traits et à cette peau des origines haradrim, ce qui ne laisse qu'une seul option : l'Est. Les Orientaux et l'Arnor ne sont pas en guerre, mais ils sont loin d'être les meilleurs alliés, et on ne peut pas dire que les représentants de leur race soient légion à venir visiter la capitale de la région. On en voit parfois, qui accompagnent des caravanes de marchands, mais ce sont pour la plupart des exilés qui se sont reconvertis dans le mercenariat. Freyloord dit qu'ils viennent du Khand ou du Rhûn, les deux terres que ces barbares appellent royaumes.

- Et voici Dame Shaïa.

Nivraya pose les yeux sur la petite compagnie, le quatuor qui a dû traverser bien des épreuves pour arriver jusqu'à elles, avec un message à lui délivrer. Tous sans exception ont l'air éreinté, et elle devine sans peine qu'ils ont derrière eux une voire plusieurs longues journées de cheval. Leurs visages sont sales, les tenues couvertes de neige et de terre, leurs mains crasseuses. Des âmes égarées depuis une semaine au milieu du Désert du Harad n'auraient pas eu une mine plus abattue. La jeune femme les dévisage longuement, avant de déclarer d'une voix teintée d'impatience :

- Maintenant que je sais vos noms, j'aimerais savoir qui vous êtes réellement. Et expliquez-moi quelle est la très bonne raison de votre présence ici à cette heure indécente. Vite, si possible. Et soyez convaincants, ou je fais appeler la garde.

La menace a été lâchée sur un ton parfaitement calme, et n'est de toute façon pas nécessaire. Sans armes, même à quatre, ils seraient bien incapables de se débarrasser de Freyloord qui peut probablement les briser les uns après les autres sans la moindre difficulté. Il se tient d'ailleurs derrière eux, silencieux, ses immenses bras croisés autour de sa poitrine large et musclée. Mais il est vrai que dans le pire des cas, elle peut toujours en appeler aux hommes qui patrouillent dans le palais, pour régler leur compte à ces étrangers, si d'aventure ils n'avaient pas de motif légitime de se trouver ici. Il n'y a nulle agressivité dans les paroles de la jeune noble, toutefois. Seulement le désir de connaître la vérité le plus rapidement possible, et de pouvoir rentrer se coucher à une heure raisonnable. Elle se met donc à observer tour à tour les quatre voyageurs, cherchant lequel va prendre la parole en premier.

#Nivraya #Thorondil #Shaïa #Njall #Adaes
Sujet: Un retour inattendu
Thorondil

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Rechercher dans: L'Arnor   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Un retour inattendu    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 2 Mar 2014 - 21:11
La suite du voyage avait été bien pénible pour Thorondil. La chevauchée nocturne dans le froid glacé et la neige avec la lune pour seul éclairage n'était pas ce qui l'avait fait pester, il était bien trop habitué à ces conditions. Mais tout semblait contre lui depuis qu'ils avaient quitté l'auberge.
D'abord il y avait eut Elei, la jeune faucon demeurait toujours attachée à son épaule et, prise plusieurs fois d'impatience, lui donnait régulièrement de puissants coups d'ailes à l'arrière du crâne. Jamais elle n'avait été si longtemps contrainte de toute sa vie et le prenait très mal. Il allait le regretter, il le savait, elle saurait lui faire payer ce haut crime.
Et puis il y avait son autre compagne, Lith la jument, dont la jambe, bien que soulagée par les quelques heures passées à l'écurie, n'était pas réellement guérit ce qui inquiétait son propriétaire. Elle ne boitait plus mais le fauconnier craignait malgré tout que la blessure ne s'aggrave par manque de repos.
Enfin, lui-même. Son idée première avait été de prendre une bonne nuit de repos dans un bon lit, bien au chaud. Chose dont il fut privé suite à la décision du Roi et leur départ précipité. Et dire qu'il commençait à souffrir de son manque de repos était peu dire. Il ne se sentait pas épuisé mais, dans sa tête, une véritable forge naine tambourinait depuis des heures. Il avait l'impression que son cerveau allait exploser. La réverbération sur la neige n'arrangeait rien et lui arrachait les yeux. Cela faisait près de deux heures qu'il ne répondait aux sollicitations de ses compagnons de voyage que par des grognements agressifs qui eurent tôt fait de les dissuader définitivement de lui adresser la parole.

A présent c'était les discussions des soldats près de lui qui lui servaient d'ancrage. Tant bien que mal, il se concentrait sur les dialogues, les yeux fermés, se fiant à sa monture pour rester sur le chemin. Il prêta particulièrement l'oreille à la conversation entre le Roi et cette femme mercenaire qui ne lui inspirait aucune confiance.
Il n'avait jamais vraiment aimé les mercenaires. Pourtant il en avait croisé beaucoup et, en y réfléchissant un peu, ce qu'il faisait de sa vie pouvait s'y apparenter aussi. Mais il y avait une chose qui faisait une grande différence entre ces gens-là et lui : ses idées et son épée n'étaient pas définies par le poids de la bourse qu'on lui tendait. Et c'était ce fait précis qui leur attirait son antipathie et sa méfiance... Une somme plus grosse de la part de l'ennemi et les voilà capable de vous poignarder dans le dos sans le moindre remord. Pour un homme de principe comme Thalion, ce mode de vie était une hérésie... mais avait au moins le mérite de servir parfois de bonne cause... parfois...
Néanmoins, il était intrigué. Cette femme avait, comme lui, demandé une faveur au roi, une faveur sans rapport avec l'argent. Et de toute son expérience des batailles c'était la première fois qu'il entendait un mercenaire réclamer ce genre de chose. Il était suffisamment curieux pour reporter son jugement final.

Mais il y avait quelque chose qui attirait plus encore son attention, la réponse que donnerait le souverain à cette femme. Il avait l'impression d'être partit trop longtemps et d'avoir loupé trop de choses dans son propre pays. Peut-être son père ou son frère avaient-ils la réponse mais il ne pouvait pas leur demander dans sa situation. Il était peu probable que quelqu'un l'autorise à envoyer son faucon avec un message vu la méfiance ambiante. Il soupira. Et ce simple geste lui valu un nouveau coup de masse derrière les yeux. Il grogna.

Un peu plus tard, sa migraine légèrement calmée, il constata une légère agitation dans les rangs, à peine perceptible chez les soldats disciplinés de la Garde Royale mais signe évident qu'ils avaient atteint une étape de leur destination. Il percevait vaguement quelques sons lointains qui ressemblaient à un entrainement militaire, sans certitude pourtant. La neige savait étouffer les bruits.
Il ouvrit les yeux et fronça les sourcils pour distinguer ce qui se passait au loin. Un cavalier, peut-être deux, venaient à leur rencontre. Il ne pouvait en voir plus. Cela ressemblait à un comité d'accueil, des alliés, c'était une bonne chose.
Il talonna sa jument pour se tenir plus près de l'avant de la troupe et pouvoir entendre ce qui s'y disait. Elei s'agita encore, il la calma d'un claquement de langue agacé et l'ignora.

#Thorondil
Sujet: La première auberge après les terres sauvages
Thorondil

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Rechercher dans: L'Arnor   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: La première auberge après les terres sauvages    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 26 Oct 2013 - 10:46
[EDIT : Suite à quelques erreurs dans mon récit, j'ai édité certains passages.]

La route depuis la Lorien s'était faite d'une traite, dans la hâte. Plusieurs passages avaient été rendus impraticables par les chutes de neige. Et plus les détours se multipliaient, plus Thorondil perdait patience... Elei aurait pu rejoindre son pays natal en un ou deux jours tout au plus. L'Arnor était si proche et il se retrouvait bloqué encore et encore quand il constatait que le manteau neigeux avait condamné les cols et les chemins de traverse dans la montagne. Chacun de ses raccourcis se révélait pur perte de temps les uns après les autres à sa plus grande frustration.
Quand, enfin, il avait réussi à trouver une voie libre, il avait avancé d'un pas vif, sautant les étapes, se reposant peu et avalant le maximum de kilomètres à la lumière de la lune quand celle-ci et le temps le lui permettaient. Il faisait froid, et humide, et sombre, mais le dùnadan n'était guidé que par un seul but : enfin revoir sa fille et la serrer dans ses bras. Les enfants de la Lothlorien lui avaient rappelé à quel point Merilin lui manquait.

L'arrivée en terre d'Arnor marqua pourtant les débuts des ennuis.
Lith, sa jument, glissa contre une plaque de verglas alors qu'ils traversaient au galop une plaine rocailleuse et peu enneigée. L'incident n'était pas grave mais conjugué à la fatigue d'une longue route, au froid terrible et aux engelures qui ornaient déjà le pourtour des solides sabots, l'animal se mit à boiter. Doucement d'abord puis de façon plus marquée au fur et à mesure de leur progression. Ils durent faire rapidement halte mais un peu de bricolage, un vieil onguent maison et un bandage bien serré suffirent à remettre les compagnons en route.
Le lendemain, ce fut au tour d'Elei de céder. Le pauvre faucon frigorifié refusait obstinément de quitter la chaleur salutaire de son maître, refusant même de partir chasser et obligeant Thalion à partager sa maigre part de viande séchée qui ne pu alors remplir leur estomac à tout deux.
Et pout finir, Thorondil fatiguait lui aussi. Ses réserves du pays de elfes avaient été épuisées par ses multiples détours et il ne mangeait désormais plus que du pain rassis et humide, de la viande fumée et quelques petits fruits secs qu'il avait encore réussi à économiser jusque là.
Il finit par se rendre à l'évidence : il devait faire halte. Un bon repas chaud, la chaleur d'un feu entretenu ainsi que des écuries propres et sérieuses suffiraient à continuer le voyage sans risque. La boiterie de Lith le ralentissait déjà énormément, il fallait que sa fidèle compagne se repose et reprenne des forces.

Il y avait dans cette région une petite auberge au nom ronflant mais peu de classe qui pourtant avait tout pout plaire à Thalion. Un petit coin discret à l'écart des grandes routes et des curieux où l'on pouvait écouter tranquillement les dernières nouvelles de la région de ses voisins de tablée devant un bon repas dans un relatif calme. C'était exactement ce qu'il lui fallait à cet instant précis !
Après avoir consulté la position du soleil et sa carte mentale de la région, il mit le cap vers l'ouest.

Alors qu'il arrivait en vue de l'auberge, Thorondil fut prit d'un étrange sentiment, comme si quelque chose clochait. Il fut rapidement fixé. A peine pouvait-il distingué la porte du bâtiment, que deux hommes lui barrèrent la route fermement, armes pointées vers lui. Leurs habits ressemblaient à ceux de soldats.

« - Pieds à terre et suivez-nous ! » exigèrent-ils avec une autorité qui semblait leur être habituelle.

Il tenta d'abord de se défendre, amorçant un léger mouvement vers son épée, mais remarqua rapidement le symbole qu'arboraient les individus.  Impossible !... La sagesse lui dicta donc de les suivre sans résistance.
Il sauta à terre, les mains levées en signe de reddition. Il ne dit pas un mot, se contentant de faire passivement ce que les vétérans lui ordonnaient. Ses yeux de mithril les suivaient du regard, analysant le moindre mouvement, le moindre indice. Il restait sur le qui-vive. Dans tous ses voyages, il en avait croisé des hommes se faisant passer pour d'autres. Particulièrement parce que son père avait été un militaire et qu'il avait apprit jeune à reconnaitre leur symbole. Que faisait donc la garde royale dans ce coin reculé ?!

Arrivé aux portes de l'établissement Thalion obtint l'autorisation des hommes de confier sa jument au palefrenier de l'auberge mais l'obligèrent sans ménagement à attacher le magnifique faucon qui trônait encore sur son épaule. Sans doute craignaient-ils que l'animal puisse délivrer un quelconque message. Cette paranoïa laissait effectivement à penser qu'une personne de haute importance se tenait dans cette auberge. Après tout la Gardes de la Rose était la garde personnelle du Roi d'Arnor lui-même.
Elei se rebiffa par deux fois avant de céder enfin et laisser Thorondil passer les liens de cuir autour de sa patte, la privant d'une liberté qu'il lui avait rarement refusé. Et le fauconnier savait qu'il allait regretter longtemps ce geste, les rapaces savaient à merveille se montrer rancunier.
Il soupira longuement avant de se laisser escorter à l'intérieur, encadré par les deux soldats qui le serrait de près. Bien trop près à son goût...

Dans la salle se tenait bien plus de monde qu'il n'en avait jamais vu de toutes ses visites dans ce bâtiment. Quelques femmes dont des étrangères, beaucoup d'hommes d'arme et tous ces regards convergés sur un seul homme, droit, au port noble. Thalion n'avait, contrairement à son jeune demi-frère et son père, jamais vu le roi de sa vie, il était donc dans la plus totalement impossibilité de reconnaitre celui qui centralisait toute l'attention. Mais il savait que se tenait face à lui un homme important d'Arnor. Il était bien difficile de concevoir que le souverain d'Arnor puisse se trouver dans pareil endroit. Thorondil ne parvenait même pas à en accepter l'idée.
Pourtant, il le salua d'un bref signe de tête en signe de respect. Quoiqu'il en soit, les hommes d'arme faisaient preuves d'un respect muet envers cet homme, ce n'était donc pas un simple voyageur. Mais, comme avec les soldats, il ne baissa ni ne détourna le regard.

Il se racla la gorge, dégagea son visage balafré de ses longs cheveux de lin et s'adressa d'abord au propriétaire des lieux de sa voix grave :

« - Voilà une bien mauvaise façon d'accueillir tes clients, Anselme. Un repas chaud et de l'hydromel. »

Puis il s'adressa directement au roi pensant avoir à faire au plus gradé :

« - Messire. J'espère qu'il y a une bonne raison à tout ça. Je n'aime pas spécialement être traité de la sorte. »

Les yeux de l'homme à côté de son interlocuteur semblèrent s'enflammer de colère. Thorondil reconnu immédiatement celui qui devait diriger tous ces soldats. Un capitaine peut-être, mais un garde du corps surtout.  Respectable et fidèle, et dangereux. De quoi éveiller l'intérêt du fauconnier. Il sentait l'homme capable de mourir pour sa cause. Il s'était donc trompé sur l'identité de celui à qui il s'était adressé. Et soudain tout s'éclaira. Il comprit enfin qui était l'homme au capuchon vert. Et bien qu'il garda la même attitude, un éclair d'inquiétude et d'insécurité le traversa. Il avait besoin de comprendre la situation. Le Roi d'Arnor en personne se tenait au milieu de la pièce, devant lui. Il regretta le peu de déférence de ses paroles qui, il en avait désormais pleine conscience, risquait de lui attirer bien des ennuis.

#Thorondil
Sujet: Retour à la source
Thorondil

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Rechercher dans: Lothlórien   Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Retour à la source    Tag thorondil sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 2 Aoû 2013 - 18:44
Le chemin depuis Minas Tirith avait été long et pénible pour Thorondil et sa petite troupe animale. Pris dans une tempête de neige alors qu'il tentait un raccourci par les Montagnes Blanches, il avait dû rebrousser chemin jusqu'à Osgiliath pour suivre le lit de l'Anduin où les conditions climatiques se révélaient moins violente.
Il avait pour projet de remonter la rive du fleuve jusqu'à la Lorien, le Champs aux Iris et, pour finir la Vieille Route de la Forêt. Le passage des Monts Brumeux allaient être l'étape la plus difficile du voyage mais il savait qu'au bout du chemin, à Kervras, se trouvait son petit rossignol, sa petite Merilin qui l'attendait depuis maintenant deux lunes.

La neige avait été haute toute la première moitié du chemin, épuisant l'homme et le cheval. Heureusement, le cours d'eau n'était pas gelé et faisait reculer la neige de ses rives. Thalion avait traversé le Rohan dans un galop soutenu, ne s'arrêtant qu'après avoir épuisé sa jument, pour repartir un bref repos plus tard. Cette avancée éclair lui avait permis de rattraper le temps qu'il avait perdu dans les cols des montagnes du Gondor.
Le froid, surtout la nuit, était intense et, malheureusement, la neige empêchait le bois de flamber correctement. Malgré sa résistance au froid, le dùnadan commençait à constater l'apparition d'engelures sur ses pieds et ses doigts, il en était de même pour Lith dont les traces dans la neige prenaient une teinte rouge. Quant à Elei, elle dormait pelotonné contre son maître, lui griffant parfois le ventre ou les cuisses en tremblant de froid.

Lorsqu'il atteint enfin la lisière de la Lothlorien, il se sentait épuisé comme il l'avait rarement été depuis des années. Le Rude Hiver mettait à l'épreuve les voyageurs. Traverser la Terre du Milieu par aller-retour en quelques mois et sous la neige, le vent et le froid... d'aucun aurait simplement appelé ça de la folie, pas Thorondil. Ce n'était qu'une étape de plus, une épreuve supplémentaire de son voyage sans fin.

Les terres elfiques étaient magnifiques sous leurs yeux, comme toujours, comme elles le resteront éternellement.

« - Allez ma belle, annonça-t-il en descendant de sa monture, on va faire une halte ici. Le temps se couvrent, nous n'iront pas plus loin. »

Il flatta l'encolure fumante, l'animal s'ébroua.  Sur son épaule le faucon fit de même et se resserra un peu plus contre sa nuque. Et soudain, alors qu'ils s'enfonçaient ensemble sous le feuillage éternel, il entendit un cri qui lui perça les oreilles, aigu. Un cri de terreur pur. Un cri qui ressemblait terriblement à un autre, un cri qu'il avait poussé entouré par les flammes. Un cri d'enfant en danger.
Une bouffée d'angoisse et de fureur l'envahit. Sans réfléchir, Thorondil fonça, abandonnant sa jument derrière lui. Il lança Elei entre les arbres en un claquement de langue sec.

« - Va voir ! » ordonna-t-il au rapace.

Alors que le faucon disparaissait entre les arbres, l'homme slalomait, sautait et se démenait pour arriver au plus vite après de l'enfant en détresse. Elei cria, un signal d'alarme. Un danger immédiat. Encore plus inquiet, il accéléra. Il devait arriver à temps !

Losqu'il déboucha sur la petite clairière, ce qu'il vit manqua de le clouer de stupeur. Comment ne pas reconnaitre la créature floue qui apparaissait devant ses yeux malades ! Un gobelin en Lorien ?! Comment cette maudite chose avait-elle pu tromper la vigilance des elfes ? Une haine viscérale monta en lui.

« - Arrière, sale bête ! » menaça-t-il en s'interposant d'un bond entre le chasseur et sa proie.

Il dégaina d'un même mouvement Sûliavas et sa dague, faisant face à l'ennemi en position d'attaque. Le gobelin se figea de surprise et de peur. Une bête seule ne lui faisait pas peur. Thalion dominait totalement le gobelin en taille, en force et en fureur. La créature du Mordor n'avait aucune chance. Mais le dùnadan n'était pas sans savoir que ces êtres vils n'étaient pas des solitaires et vivait en essaim tel les insectes malfaisants qu'ils étaient. Rien ne pouvait lui certifier qu'il était réellement seul.
Le gobelin cracha de rage en face de lui. Aussi idiot et malfaisant qu'il pouvait être, lui aussi avait senti le vent tourner.
Sans un mot, sans détourner son regard de son adversaire, Thorondil attrapa le petit garçon à bout de bras par le col de la tunique et le souleva à hauteur des branches pour qu'il rejoigne, bien à l'abri, la petite elfe qui s'y trouvait déjà perchée.

« - Restez là ! ordonna-t-il en sindarin aux enfants puis il se tourna vers son ennemi. A nous deux maintenant, parasite du Mordor ! » gronda-t-il, un sourire mauvais aux lèvres.

En deux coups d'épée il aurait régler ses comptes mais quelque chose l'inquiétait : où était le reste de la troupe dont cet individu semblait être une avant-garde ? Et où étaient les elfes ? Et les parents des gamins ?
Elei s'agitait au dessus de leurs tête en criant, incapable de se décider sur la marche à suivre, attendant des directives de son maître qui ne venaient pas.

[HJ: Je n'ai pas tué le gobelin tout de suite, ne sachant pas si tu souhaites l'utiliser toi aussi pour ton prochain post. Sinon tu n'a qu'à dire que Thorondil le terrasse d'un coup d'épée propre et net, après tout ce n'est qu'un gobelin Wink]

#Thorondil
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