Zock-Dah décapita son ennemi mal en point d’un coup d’épée. La tête barbue vola avec un jet de sang, rebondit sur la paroi suintante du tunnel avant de disparaître dans les ténèbres tandis que le corps trapu tombait mollement dans la flaque de sang qui s’était formée à ses pieds. Le Maître-Fouet ferma les yeux et inspira lentement avec un léger sourir carnassier qui révélait ses immenses canines inférieures. L’odeur du sang des gâzat* l’enivrait et l’adrénaline de la bataille le mettait dans un état de transe absolue. Il devenait alors une redoutable machine à tuer qu’il valait mieux éviter d’approcher, y compris pour ses alliés. Quand il s’agissait de devoir tuer, l’immense gobelin ne faisait nullement la différence entre amis et ennemis. Le corps démembré du pauvre gobelin qui avait eu le malheur de se trouver trop près de sa cible en attestait. Ses deux subalternes qui l’avaient accompagnés étaient prudemment restés à distance. D’un grognement, l’officier de Gundabad leur annonça qu’ils pouvaient disposer, ce dont il ne se firent pas prier. Une fois qu’ils étaient à distance, Zock-Dah s’accroupit près de l’éclaireur Nain qu’il avait tué et posa sa main dans la flaque de sang qui s’écoulait lentement le long de la galerie. Il inspira encore la douce effluve organique pendant de longues secondes, avant de relever sa main trempée qu’il passa sur son visage avec délectation pour laisser de longues traînées rouges sur sa peau. Peintures de guerres macabres ou rituel visant à montrer une forme de respect au guerrier tué? Nul n’avait la réponse. Zock-Dah faisait partie de ces leaders taiseux qui commandait et intimidait par sa seule présence. Grand de près de deux mètres et large comme le tronc d’un chêne centenaire, il dominait l'entièreté de la ruche de Gundabad avec autorité. Quand il décidait d’utiliser la parole, ce n’était jamais bon signe pour son interlocuteur.
D’un pas lourd, Zock-Dah rebroussa chemin; laissant derrière lui les sombres galeries creusées dans la montagne pour revenir vers le cœur de la montagne. Arrivé près d’une corniche, il s’arrêta un instant pour admirer le spectacle qui se jouait sous ses yeux. Des milliers de renforts en provenance de Gobelinville ralliaient en ce moment les défenses de la cité. Malgré ses inimités avec le Roi, celui que l’on nommait le Grand Gobelin n’avait pas failli. Ses troupes étaient venus en nombre. Wargs, Olog-Hai et autres gobelins affluaient de toute part faisant vaciller, sous leur poids, les ponts suspendus qui menaient à Gundabad.
Alors qu’il se dirigeait vers ses quartiers pour y retrouver le repas qu’il attendait depuis de longues heures, un petit gobelin au dos courbé s’approcha craintivement de lui.
“ Âru nargzab lat”1Pour toute réponse, Zock-Dah se contenta d’ouvrir sa machoire et révéler ses dents parfaitement désalignées. Il changea cependant de direction, conscient qu’il se devait de répondre à cette directive. Devant lui, les silhouettes bossues des gobelins se dérobaient sur son chemin pour lui laisser le champ libre et éviter d’attirer l’attention du Maître-Fouet. Certains officiers se faisaient respecter par l’exemple, d’autres par la crainte. Zock-Dah correspondait parfaitement à cette seconde catégorie. Il traversa ainsi les différents niveaux de la ruche pour s’enfoncer de plus en plus dans la montagne, là où les excroissances difformes et alvéolaires construites par les gobelins au fil des millénaires d’occupation cédaient peu à peu leur place aux grandes salles rectangulaires d’architecture naine.
Il arriva finalement au cœur de la montagne devant une porte férocement gardée par plusieurs Wargs, qui, eux aussi, s’écartèrent devant lui. On entrouvrit légèrement le portail fait d’acier dont les runes ancestrales et sacrées des Nains avaient été vandalisées, arrachées et profanées par les occupants des lieux.
La pièce dans laquelle il avait pénétré était immense. Très sombre également. La seule source de lumière provenait du fond de la pièce, où l’on pouvait deviner les contours d’un immense trône en fer. Seul objet susceptible de refléter la lumière au sein de la ville. Lumière qui provenait de l’immense pierre précieuse incrustée dans la couronne que portait le maître des lieux: le joyau de Durin. Trésor d’une valeur inestimable. Dernière relique du Père des Nains, fondateur de Gundubanâd. Une marque de domination et de victoire pour quiconque l’arracherait au fier peuple Nain.
Derrière lui, pour signaler que le monarque n’était jamais laissé seul sans défense, Zock-Dah sentit la présence, dans l’ombre, d’une immense bête qui rôdait autour de lui et qui n’attendait qu’un simple signal pour se ruer sur la gorge de ce nouveau venu. Seuls ses yeux rouges et l’odeur fauve trahissait la présence du Grand Loup, dont les pas feutrés se faisaient à peine entendre. Il était difficile de savoir si le Maître-Fouet était réellement effrayé mais il était de toute évidence moins à l’aise que quelques minutes plus tôt. Même lui, le guerrier le plus redoutable de Gundabad, ne pouvait que s’incliner face à la personne qui l’avait convoquée.
Il posa un genou au sol et baissa le regard en signe de révérence.
“ Âru Baltog…”2Une voix caverneuse résonna alors. Son timbre était si proche des sons que pouvaient faire la roche montagneuse qui craquait sous le poids de la ruche, qu’on aurait presque dit que cette voix était émise par la montagne même.
“Zock-Daaaah…”Il marqua un pause, insistant sur la dernière syllabe du nom l’officier.
“Ang Gîjak-ishi”3Face au compliment de son roi, le Maitre-Fouet se redressa, légèrement plus confiant.
“Shun girmuzri gazat. Vadokan.
-A rîztar ir mûb
-Akhoth.”4Baltog, roi des Gobelins, se leva alors de son grand trône et s’approcha légèrement de son subalterne. Torse bombé, regard mauvais et sourire carnassier. Après de longs mois de préparations au siège, le souverain étaient fin prêt à recevoir les fils de Durins en ses terres.
“Mirdautas vras…”5-------------------------------
1: Le Roi te veut.
2: Roi Baltog.
3: Sang de Fer (compliment)
4: Deux éclaireurs Nains. Morts. / La bataille approche. / Oui
5: C'est un beau jour pour tuer
#BaltogLa suite par ici:
Il ne peut y avoir qu'un Roi sous la Montagne