5 résultats trouvés pour Pantea

AuteurMessage
Sujet: Le venin dans nos veines
Learamn

Réponses: 46
Vues: 2592

Rechercher dans: Le Long Lac   Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Le venin dans nos veines    Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 23 Avr 2023 - 22:40

Pendant un très court instant, la peur fut visible dans le regard sombre du marin mais cette inquiétante lueur au cœur de ses pupilles céda rapidement sa place à un sentiment qui avait toujours animé l’ancien pirate. L’excitation d’une bataille homérique, le goût unique de l’aventure, la douce saveur du danger. Un dragon. A l’évocation d’un tel monstre légendaire, il se revoyait vingt ans en arrière, naviguant fièrement les Mers du Sud au-devant de nombreuses menaces pour forger sa légende. Cela faisait bien longtemps que cette flamme avait disparu chez lui, capitaine déchu noyant sa nostalgie dans la cervoise en pays étranger. Et voici que cet elfe étrange était subitement apparu dans sa vie avec son histoire invraisemblable de dragon qui sommeillait au fond du lac, lui offrant sur un plateau d’argent l’occasion de redevenir l’homme qu’il avait été. Que risquait-il? La mort? Le Capitaine Fendral avait disparu depuis bien longtemps dans les canaux de Lacville; et Sigvald lui offrait une chance de le ressusciter.

Le vétéran se leva un peu trop brusquement, bousculant la table et renversant sa chopine sur le bois moisi. D’un air fier et le torse bombé il répondit à la proposition de son interlocuteur sans la moindre hésitation.

“Un dragon? Ah! T’es plein de surprise toi! Bo Neleh’1. Le dernier voyage de Fendral. Ce fera un beau titre pour une ballade non? Allons-y mon ami, allons-y.”



D’un pas étonnamment sûr pour un homme aussi enivré, Fendral se dirigea vers la sortie de la taverne sous le regard soulagé du tenant. Revigoré, il inspira à pleins poumons l’air frais qui vint fouetter leur visage. Subitement pris de nausée, il s’approcha du rivage, se pencha en avant et rendit bruyamment son déjeuner dans les eaux troubles du canal avant de se laver sommairement le visage. Quand il se redressa pour continuer la conversation, il apparaissait parfaitement sobre.

Le plan de Sigvald semblait assez téméraire mais il avait le mérite d’exister. Par expérience, Fendral savait que ce type de combat était quasiment impossible à planifier. Anticiper les mouvements d’une flotte ennemie était possible, prédire les mouvements d’un monstre marin se sentant acculé représentait une tout autre affaire.

“Un appât pour un tel monstre? Tu n’as pas froid aux yeux. Et comment comptes-tu capter son attention? Et tout simplement survivre en cas de succès?”


Pas que le capitaine ne se souciait réellement de la sécurité de cet elfe qu’il venait de rencontrer mais il reconnaissait son culot et était animé par une réelle curiosité. Nul homme sensé ne se mettrait ainsi en danger sans avoir une idée derrière la tête pour survivre. Après tout, Sigvald n’était pas un homme et il semblait encore moins être quelqu’un de sensé.

Ils arrivèrent finalement en vue de l’Âzâdî toujours amarré au port de Lacville, dominant de son imposante silhouette stylisée les bâtiments qui flottaient à côté. Fendral, s’arrêta net et son œil expert analysa rapidement le bateau qu’il avait en face de lui. Il ne put retenir un sifflement aigu qui disait toute son admiration.

“Eh ben! Un vaisseau de guerre de la marine de la Reine Lyra. Où est-ce que tu as bien pu trouver ça toi? Quelle merveille!”

Il finit par remarquer la présence du groupe d’étrangers qui se préparaient à la bataille sur le pont en communiquant dans une langue qu’il reconnut sans pour autant pouvoir la comprendre. Pendant un instant, il crut que pour, des raisons obscures, la souveraine du Rhûn avait envoyé une partie de sa flotte pour voguer au secours des hommes de Lacville mais il remarqua vite que ces Orientaux qu’il allait commander n’avaient rien de soldats. Certaines femmes et hommes semblaient plutôt athlétique malgré une vraie maigreur mais aussi des adolescents et des vieillards aux corps criblés de stigmates. Mais au fond, pouvait-on vaincre un tel monstre même avec les bras les plus musclés du monde connu? Rien n’était moins sûr. Au moins avait-il un équipage avec lui.  

Parmi la foule, il reconnut la frêle silhouette et la chevelure d’argent de cette étrange guérisseuse qui était venu le quérir quelques semaines plus tôt lors de son enquête sur les disparitions du lac. Il ne l’avait pas prise au sérieux à l’époque, et pourtant elle avait peut-être bien eu raison. Il la salua d’un geste de la tête mais ne s’approcha pas de trop près, elle le mettait mal à l’aise.

Une femme à l’allure étrangère vint alors à leur rencontre d’un pas décidé. Elle était grande et belle, pleine d’un charme exotique renforcée par ses mystérieux tatouages qui couraient tout le long de son corps gracieux. Elle parla d’une voix sûre et autoritaire; et bien que Fendral ne comprit pas le moindre mot, il pouvait ressentir tout le charisme qui se dégageait d’elle. Seul problème, elle semblait défier du regard le vieux loup de mer et ne lui faisait manifestement que peu confiance. Une autre fille, bien plus jeune, leur fit rapidement la traduction dans un Commun parfait.

“Dame Nëva ne s’imaginait pas que l’homme capable de manœuvrer l’Âzâdî soit un ivrogne mal dégrossi. Il s’agit là d’un navire unique et…”


Elle fut interrompue par le rire bruyant du Capitaine Fendral qui ne semblait pas vraiment vexé, animé par une assurance déconcertante.

“Nous allons affronter un dragon; votre petite merveille risque fort de couler. Et quand bien même j’arriverai à maintenir ce rafiot à flots, eh bien vous n’aurez plus aucun souci à vous faire; vous n’aurez plus à vous en occuper.”

Nëva adressa un regard à la fois interrogateur et menaçant à Sigvald, se demandant ce que dernier avait bien pu promettre à l’ancien pirate.

De son côté, sans attendre la moindre invitation à monter à bord, Fendral monta à bord du vaisseau de guerre et fit le tour du pont, une expression euphorique sur son visage marqué, comme un enfant découvrant son nouveau jouet.

Les hommes de Hadden avaient affrété trois longues barges de combats et les soldats de Lacville se trouvaient déjà tous sur leurs embarcations respectives, barbouillés de vase pour tenter de masquer leurs odeurs corporelles comme Sigvald le leur avait conseillé.

Lym avait pris le commandement d’un des bateaux, Herric d’un autre et Hadden se chargerait personnellement du commandement de la dernière barge. Le sous-officier s’approcha de Sigvald, qui semblait avoir été officieusement désigné comme le commandant en chef de l’opération.

“Mes hommes se tiennent prêts Maître Elfe. Nous n’attendons plus que votre signal pour voguer vers le centre du Lac. La brume est de plus en plus épaisse cependant, il ne faudra pas tarder.”

En effet, les eaux du lac s’étaient couvertes d’une fumée blanchâtre qui risquait de ralentir grandement leur progression sur les eaux sombres mais qui annonçait également un danger imminent.
Le sergent Hadden reprit:

“Maître Sigvald. Sur quel navire comptez-vous embarquer ? Celui-ci sera immédiatement pris pour cible si vous désirez vraiment servir d’appât. “



----
1: Allons-y!

#Nëva #Pantea #Hadden
Sujet: Le venin dans nos veines
Learamn

Réponses: 46
Vues: 2592

Rechercher dans: Le Long Lac   Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Le venin dans nos veines    Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 15 Juin 2021 - 15:58
Le discours de Sigvald avait eu son effet sur les hommes et les femmes sélectionnés par Hadden. L’elfe avait parlé peu mais ses mots avaient visé juste dans le cœur des guerriers. Il n’avait pourtant pas cherché à cacher le danger qu’il s’apprêtait à défier et avait évoqué crûment ce dont la bête était capable. Mais durant son intervention, nul ne pouvait être insensible à la détermination et à la bravoure dont leur nouveau leader faisait preuve. La présence d’un elfe pour les commander était déjà quelque chose d’unique, et quelque part de rassurant, pour nombre d’entre eux. Pour la première fois depuis de longs siècles, Sigvald embrassait sa destinée. Celle d’un leader, d’un guerrier mettant son talent au service du Bien, d’un commandant prêt à mener les siens vers une victoire inespérée. Il était un elfe nouveau. Achas n’était plus là pour être témoin de sa repentance, Delaynna manquait aussi à l’appel mais la Dame de l’Eau avait sans nul doute joué un rôle déterminant dans ce que Sigvald Lingwë était désormais devenu. Elle avait sondé son âme, vu en ce mécréant quelque chose qui méritait d’être sauvé. Quand tous ses frères lui jetaient l’opprobre, elle avait cherché à lui ouvrir les yeux et le guider vers la bonne voie.

Aujourd’hui, et après de nombreuses années passées à les combattre, Sigvald était sur le point de devenir un héros des Peuples Libres.

Une clameur s’éleva au sein de l’équipage et certains se mirent à scander le nom de leur nouveau chef en agitant leurs armes au-dessus de leurs têtes. Lames émoussées, fourches et javelots rouillés; les femmes et les hommes qui étaient prêts à tout risquer pour sauver leur cité n’étaient pas tous de grands guerriers ni même parfois aptes au combat. Mais ils étaient animés par une force bien supérieure que la simple dextérité au combat.




--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Le conseil de guerre fut tenu peu après dans une cabine du navire en présence des principaux leaders du groupe hétéroclite. Les hommes d’Esgaroth avaient leur représentant, tout comme les affranchis du Rhûn et au-dessus d’eux, Sigvald sur lequel retombait la lourde tâche de prendre les décisions finales et d’unir ces deux peuples si différents autour d’un but commun.

Le récit que leur fit Roksâna fut glaçant. Il était difficile de déterminer si cela était dû aux informations inquiétantes qu’elle leur présentait et par son comportement à la fois détaché et fascinant. Physiquement, elle ressemblait à une adolescente, mais tout dans ses faits et gestes renvoyait à une maturité que les plus âgés peinaient parfois à atteindre.

Sigvald proposa alors un plan détaillé et complexe impliquant l’intervention de plusieurs groupes, certains au sol et d’autres sur la rivière tout en faisant usage de machines de guerre depuis le rivage. Le plan était ambitieux et traduisait toute l’expérience militaire d’un elfe vieux de plusieurs siècles. Attirer la bête dans un traquenard pour l’immobiliser et la frapper là où sa carapace ne la protégeait pas semblait être la meilleure des solutions. Cependant, une telle approche nécessitait une discipline tactique digne des plus prestigieux des corps armées; un savoir-faire militaire dont ne disposaient ni les Affranchis, ni les hommes de Hadden.

Ce dernier fut le premier à réagir au plan de Sigvald:

“Maître Sigvald…”

Visiblement il avait toujours autant de mal à s’affranchir de ce titre quand il s’adressait à l’elfe. Pour un homme comme lui, la hiérarchie et les marques de respect qui l’accompagnaient étaient sacrées.

“ Votre plan est osé mais il pourrait bien se révéler efficace. Cependant permettez-moi de vous signaler que si la séparation de nos forces semble nécessaire pour surprendre le monstre, la coordination sera compliquée à mettre en place je le crains. La majeure partie d’entre eux ne sont pas des militaires et, malgré toute leur volonté, n’ont pas été formé à la stratégie militaire. De plus, la communication avec les Orientaux qui ne parlent pas la même langue risque d’être délicate. Enfin, je doute fort que les officiers du Comte Saule ou de Toras apprécient le fait qu’on leur emprunte leurs balistes, on peut se débrouiller mais il nous faudra ruser et convaincre, ou tromper, les gardes de la garnison.”

Nevä le coupa alors dans sa langue natale et Pantea s’empressa de traduire les dires de la meneuse des Affranchis.

“L’Âzâdî est un navire de guerre taillé pour parer à toutes les menaces, sa coque devrait résister à plusieurs assauts de la bête et ses cales sont équipées de plusieurs arbalètes à tour qui pourraient nous permettre de frapper de près. Quant à votre stratégie, Roksâna s’assurera que tous suivent les ordres correctement et organisera nos volontaires selon vos directives Sigvald.”


La guerrière du Rhûn, retournée dans son mutisme, acquiesça d’un simple mouvement de tête.

Sur un ton un peu plus hésitant, Hadden enchaîna:

“Sauf votre respect, Maître Sigvald. Si nous suivons votre plan, alors je crains qu’il nous manque une pièce maîtresse pour assurer la coordination entre les groupes. Je m’assurerai avec Lym du commandement des gens d’Esgaroth, quand les Orientaux suivront leur leader tandis que vous serez aux prises avec la bête, face au danger, près des profondeurs du lac. Cependant, le rôle du navire militaire sera prépondérant dans la réussite de notre mission. Tous les hommes d’Esgaroth ont le pied marin mais nous ne sommes pas tous de grands marins de combat. “

Sur ces mots, Nevä et Pantea échangèrent également quelques mots que cette dernière s’empressa de rapporter.

“Nous avons vogué sur des mers hostiles pour nous rendre ici mais ce navire nécessite un oeil expert et une main adroite pour être manoeuvré efficacement dans la tourmente. Le sergent Hadden a raison: il nous manque un capitaine pour tenir la barre.”


Le milicien d’Esgaroth, conforté dans sa proposition par les positions des Affranchis, se permit alors de s’avancer un peu plus près de son nouveau commandant.

“Avant que je ne la recrute, Venefica, la guérisseuse que je vous ai présenté, a mentionné la présence d’un homme qu’elle connaît dans la cité. Un capitaine, un marin aguerri, un ancien pirate en quête de rédemption…J’ignore ce qui le pousserait à se mettre ainsi en danger mais peut-être devrions nous chercher à le voir.”


Visiblement un peu gêné, Hadden se passa une main nerveuse dans les cheveux.

“Comprenez Maître Sigvald, je ne veux absolument pas défier votre autorité. Vous êtes notre meilleure chance pour vaincre ce … ce...dragon. Mais quand vous serez aux prises avec la bête, il nous faudra un homme capable de voguer sur le lac en furie. Quoiqu’il en soit la décision vous revient.”


#Hadden #Sigvald #Achas #Nevä #Roksâna #Pantea #Venefica
Sujet: Le venin dans nos veines
Ryad Assad

Réponses: 46
Vues: 2592

Rechercher dans: Le Long Lac   Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Le venin dans nos veines    Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 15 Fév 2021 - 20:17
HRP : Pas de souci, je suis très content que tu aies trouvé le temps de poster, les choses sérieuses vont bientôt commencer Mr. Green
_________________________



Un murmure fila à travers la foule rassemblée sur le pont de l’Âzâdî, quand Sigvald se risqua finalement à évoquer la menace à laquelle ils allaient devoir faire face. Les mots avaient un grand pouvoir, et le cœur des Hommes pouvait rapidement vaciller quand la crainte et le désespoir se saisissaient de lui.

Un dragon.

Certains manquèrent de défaillir à cette mention, et même Nevä, lorsque Pantea lui traduisit la sinistre réalité, parut blêmir. Un dragon. Ce n’était pas possible. Le sergent Hadden, qui avait l’air de ne plus savoir s’il avait vraiment envie de participer à cette affaire finalement, intervint pour calmer les nerfs de ses hommes :

- Allons, allons, il ne peut pas s’agir d’un dragon… Le dernier grand dragon a été tué au cours de la Bataille du Nord, et avant cela, il y avait plusieurs siècles qu’on n’en avait pas vu… Je ne vois pas comment un dragon aurait pu s’installer dans le Long Lac après tout ce temps…

Il jeta un regard vers l’eau, dont la surface lui paraissait tout à coup menaçante et terrifiante. A Esgaroth, peut-être plus qu’ailleurs en Terre du Milieu, on connaissait la puissance des dragons, des grands cracheurs de feu de l’ancien monde, qui déferlaient depuis le ciel en apportant la mort et la désolation. Ils ne voulaient pas croire ce qu’ils entendaient, car si tel était l’adversaire qu’ils devaient affronter, ils feraient peut-être aussi bien d’abandonner leurs foyers, et de s’installer à Dale. Là, l’armée du roi Gudmund pourrait faire quelque chose pour tenir ce monstre à l’écart. Ils n’étaient que des volontaires, même pas des Miliciens, et leurs armes de fortune ne perceraient pas la carapace d’un grand ver.

- Maîtr… je veux dire… Sigvald, pensez-vous vraiment que notre adversaire soit… un dragon ?

Même Pantea semblait douter de leurs chances, tout à coup. Ils ignoraient quelle créature s’était abattue sur eux, mais pensaient sincèrement pouvoir la terrasser avec un peu d’organisation et un soupçon de chance. Cependant, s’il s’agissait d’une créature de légende… ils doutaient de pouvoir véritablement changer quelque chose à la situation. Pour les Orientaux, les dragons n’étaient pas des créatures surgies de nulle part pour détruire le monde et n’engouffrer dans les flammes. Historiquement, ils n’avaient même jamais eu affaire à ces monstres titanesques. Toutefois, ces monstres étaient les engeances de Melkor le Sombre, le seigneur ténébreux qui avait dominé leur royaume pendant tant de siècles, et le dominait encore, d’une certaine façon.

Les Orientaux avaient vu de leurs yeux les ravages que pouvaient causer ces créatures, et ne souhaitaient certainement pas se retrouver dans le mauvais camp, celui des victimes innombrables des cracheurs de feu du Nord, appelés à la guerre par le Dieu Sombre. Les Affranchis étaient épuisés, à bout de forces, et ils n’opposeraient qu’une maigre résistance face à un adversaire aussi formidable. C’était en tout cas ce qu’ils se disaient entre eux, perdant progressivement la foi dans leurs chances de l’emporter alors que le doute s’installait au plus profond de leurs cœurs.

Nevä sentit le vent tourner.

Ils devaient impérativement faire quelque chose pour maintenir la cohésion, et rallier leurs hommes à la cause. Elle-même savait que leurs chances de victoire étaient maigres, mais elle savait également qu’ils n’auraient jamais une aussi belle chance de prouver leur valeur. Abattre un dragon leur garantirait le respect des gens du Lac, leur amitié éternelle, et leur protection quand l’heure serait sombre et difficile. La jeune femme au visage tatoué s’approcha de Sigvald, et lui prit le bras fermement. Son Westron était rudimentaire, mais ses yeux rendaient la traduction limpide :

- Parlez… Parlez…


Elle désigna du menton les gens d’Esgaroth, dont le moral s’effondrait à chaque seconde. « Parlez-leur, et faites quelque chose avant qu’ils ne perdent tout espoir et abandonnent la lutte », était ce qu’elle aurait voulu lui dire, sans le pouvoir. Elle-même, en tant que guide des Affranchis, savait qu’il était de son devoir de faire même pour les siens. Prenant son courage à deux mains, elle se tourna vers son peuple, et les appela au calme.

++ Calmez-vous ! Calmez-vous, mes amis ! ++

Elle parlait la langue des esclaves de l’Est, qui échappait tout à fait au sergent Hadden, mais il se sentit soudainement revigoré par cette voix puissante, affirmée, qui semblait chaleureuse en même temps qu’inflexible. En l’espace d’une seconde, et de quelques mots, il comprit pourquoi les Affranchis avaient fait de Nevä leur cheffe. Sans comprendre ce qu’elle disait, il sentait qu’elle ne souhaitait pas abandonner la lutte, et probablement par orgueil, il n’acceptait pas qu’une femme, une Orientale, fît preuve de plus de courage que lui. Il se tourna vers Sigvald, à l’écoute de ce que l’Elfe aurait à leur dire pour les remobiliser… Mais au fond, il savait déjà qu’il mourrait pour cet Elda, si cela pouvait les aider à protéger Esgaroth.

Nevä, de son côté, galvanisait ses troupes à l’aide d’un discours enflammé.

Sa voix, si claire et si impérieuse, était son arme la plus affûtée. La Voix de la Révolte en appelait encore une fois aux esclaves d’Albyor, aux Affranchis de la Cité Noire, pour les exhorter à ne pas baisser les bras, et à continuer le combat.

++ Mes amis, il nous est aujourd’hui donné la possibilité de prendre notre revanche ! Notre revanche sur Melkor, le Dieu Sombre qui gouverne Albyor, et maintient encore nos frères en servitude. Cette créature, si c’est bien un dragon dont il s’agit, est un des enfants de Sa pensée maléfique et malveillante. Et c’est à nous, pour qui la liberté est le plus sacré des biens, que revient la tâche de terrasser la bête. En hommes et en femmes libres, nous combattrons pour ne plus avoir peur. Pour ne plus jamais être esclaves de Melkor, qu’il se présente sous la forme d’un ver aux pattes courtaudes, cracheur de fiel… ou d’un dragon. ++

Les Affranchis lui répondirent par un redoutable cri de guerre, qui fit trembler le navire tout entier. Cette petite pique pour Jawaharlal, le Grand Prêtre de Melkor à Albyor, leur avait redonné le sourire et une confiance exacerbée. Ils associaient désormais la bête à leurs anciens bourreaux, et iraient puiser dans la haine viscérale qu’ils gardaient encore dans leurs cœurs pour se battre et trouver les ressources de détruire le monstre…

Ou de périr en essayant.

Nevä se tourna vers Sigvald, qui put lire la détermination dans son regard. Cette femme avait une volonté en acier, que rien ne pourrait jamais briser.


▼▼▼▼▼▼▼
▲▲▲▲▲▲


Ils s’étaient réunis à l’abri des hommes, pour préparer leur plan de bataille. Nevä, Pantea, Roksâna et le « Gardien » pour les Affranchis, accompagnés de Sigvald, Hadden et Lym pour les hommes d’Esgaroth. Après avoir réussi à restaurer la confiance des hommes, Nevä ne souhaitait pas que les détails de la stratégie parvinssent trop vite à leurs oreilles, au risque de les faire craindre pour l’avenir de leur entreprise. Elle avait invité les siens à préparer l’Âzâdî pour la guerre. Ceux parmi les Affranchis qui parlaient la langue commune servaient d’interprètes, et facilitaient la cohésion de groupe. Sigvald avait un plan, mais de toute évidence il ne souhaitait pas en parler devant tout le monde, et préférait d’abord interroger la jeune Roskâna, qui commanderait les hommes du côté oriental.

Sa question prit légèrement Nevä au dépourvu, car Roksâna n’était guère bavarde, ce qui était un euphémisme. Chaque fois qu’elle pouvait éviter de parler, elle préférait s’enfermer dans un silence confortable qui lui évitait de trop sympathiser avec quiconque. Même la Voix, qui était sans conteste sa plus proche amie ici, ne connaissait presque rien de sa vie, de ses idées, de ses émotions. Elle gardait tout ça enfoui en elle, ce qui faisait beaucoup à porter chez une personne si jeune. Mais cette fois, devant l’importance de la situation, Roksâna rompit son silence légendaire, et répondit très calmement à Sigvald, dans un Westron au moins aussi parfait que celui de Pantea.


- Je n’ai pas bien vu la bête, Sigvald. La brume était impénétrable, et nous avions du mal à nous distinguer… Cependant, je pouvais l’entendre, sentir ses mouvements sur le pont, percevoir le bruit qu’elle faisait en se déplaçant. C’est ainsi que j’ai pu la frapper.

Elle parlait avec une froideur effrayante, comme s’il s’agissait d’un épisode parfaitement anodin. Si cette jeune fille avait effectivement affronté un dragon en combat singulier, et survécu, c’était un exploit digne d’être chanté dans les légendes.

- Mes coups rebondissaient sur elle, mon épée n’a jamais pu la blesser réellement, à une exception près… Le dernier coup que je lui ai porté, involontairement, a percé son œil. Je ne peux vous dire lequel, mais la créature est borgne d’un œil. C’est à ce moment-là qu’elle s’est mise à hurler, et que j’ai entendu sa voix dans ma tête…

Nevä et Pantea, qui lui faisaient la traduction, tournèrent leur regard vers elle, en se demandant à quoi elle faisait référence. Hadden et Lym, en face, semblaient tout aussi perplexes. La jeune fille essaya de leur expliquer du mieux possible :

- Le dragon… Il me parlait… C’était une langue ancienne et terrifiante, mais j’en comprenais chaque mot. Il parlait de douleur, de vengeance, de haine, de trésor… C’est la dernière chose dont je me souvienne.

Il y eut un long silence à la fin du récit de Roksâna, mais Hadden et Lym ne purent s’empêcher de la regarde avec méfiance. Quiconque pouvait entendre la voix d’une telle créature dans sa tête était sans doute maléfique lui-même, car seule une connexion avec le mal permettait de comprendre la langue des monstres. Sigvald donna bientôt la parole à Lym, vétéran de la Bataille du Nord, et dont l’expertise pouvait être précieuse.

- Sachez d’abord que je n’ai pas combattu le dragon personnellement, comme mademoiselle. Cet honneur est revenu à nos rois, qui ont usé d’une sorte de magie pour abattre la créature. Personne ne sait exactement comment s’est terminé le combat, mais on raconte que l’encerclant, les grands rois des Hommes et des Elfes ont été capables de venir à bout de sa carapace et de lui porter un coup fatal. Selon certains, son ventre serait son point faible. Selon d’autres, ses ailes. Peu importe, finalement. Le principal problème est de l’immobiliser suffisamment pour pouvoir lui livrer bataille. Tant qu’il vole, un dragon est une menace trop grande pour nous, mais à terre… nous pouvons le terrasser, profiter de sa lenteur, et de notre nombre.

C’était peu, mais ils avaient au moins une ébauche de stratégie. Immobiliser la créature, et ensuite tout tenter pour l’abattre, en utilisant au mieux les armes à leur disposition.

Alors qu’ils se regardaient, s’encourageant du regard à la veille de ce combat, peut-être le plus difficile de leur existence, ils entendirent des bruits de pas précipités venant de l’extérieur. Une petite fille déboula dans la pièce et se mit à parler très vite en rhûnien, à l’attention de Pantea et de Nevä. Elles se raidirent perceptiblement, et congédièrent la jeune fille. Quand Pantea se retourna vers Sigvald et les hommes d’Esgaroth, son regard était grave.

- La brume, fit-elle simplement. La brume est en train de se lever…
Sujet: De Trop Longs Adieux
Ryad Assad

Réponses: 6
Vues: 678

Rechercher dans: Rhûn   Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: De Trop Longs Adieux    Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 15 Avr 2018 - 13:20


Le vent dans les cheveux, Nevä observait l'horizon avec une pointe d'inquiétude qu'elle s'efforçait de ne pas faire paraître sur son visage. Elle se montrait relativement insensible à l'agitation fébrile qui s'était emparée des affranchis, et ne se laissait pas davantage distraire par le paysage pourtant superbe autour d'eux. Elle s'était depuis longtemps habituée au parfum agréable des embruns, et à leur goût salé, elle ne s'émerveillait plus des beautés de la Mer du Rhûn, qui s'ouvrait devant elle et qui lui révélait ses charmes. Au loin, si elle avait accepté de tourner la tête, elle aurait pourtant pu voir de minuscules points colorés, demeures de pêcheurs et de petits commerçants sur les berges de cette vaste étendue d'eau. Des navires circulaient de toutes parts, souvent des embarcations modestes, dont les capitaines leur jetaient des regards surpris en passant près d'eux. La silhouette menaçante d'un gigantesque navire de guerre de l'armée royale n'était pas commune dans les parages, et suscitait en partie la méfiance. Cela leur avait permis d'éviter des ennuis, sans aucun doute, et donc de progresser plus rapidement qu'ils avaient pu le prévoir initialement. Toutefois, ils avaient rapidement été confrontés aux dures réalités de la navigation, aux maladies et à la faim. Malgré les départs, les réserves de vivres du Âzâdî n'étaient pas suffisantes pour nourrir l'entièreté de ceux qui restaient, plusieurs centaines de bouches affamées.

Âzâdî.

« Liberté », dans la langue des gens d'Albyor. C'était le nom qu'ils avaient choisi tous ensemble pour le navire qu'ils occupaient, et c'était également par ce terme qu'ils se désignaient : « Âzâd Shuda », les Affranchis. La liberté avait malheureusement un prix, et ils se rendaient compte chaque jour un peu plus qu'il était élevé. Ils voguaient certes sur les flots apaisants d'une mer immense qui s'ouvrait devant eux, mais ils étaient si désespérément seuls qu'ils craignaient chaque vaisseau approchant de leur coque, et se recroquevillaient hésitants dès lors qu'un navire, si petit fût-il, leur adressait un signe. Ils avaient pensé pouvoir rejoindre l'ouest sans faire escale nulle part, sans négocier avec quiconque, mais ils avaient rapidement pris conscience de l'impossibilité de la tâche. Même en se rationnant, ils ne pouvaient pas envisager un si long périple… Alors les Tatoués avaient décidé d'un commun accord de négocier avec les populations locales. Ils avaient dans leurs cales des biens relativement précieux qu'ils pouvaient troquer contre des vivres. Ils n'avaient ni le temps ni les moyens de procéder à un inventaire en règle, si bien qu'ils ignoraient tout à fait le contenu exact du Liberté, mais ils savaient pouvoir vendre à un bon prix les vêtements de soie précieux qui devaient appartenir à des officiers fortunés. Il y avait là des livres richement décorés, dont les affranchis n'avaient pas besoin, et dont ils pouvaient se séparer sans remords.

Les plus vigoureux s'étaient occupés de transporter quelques biens des cales vers le pont, puis du pont vers les barques qui leur avaient permis d'aller négocier avec quelques villages isolés sur les îles minuscules de la Mer du Rhûn. Ils avaient dû multiplier les haltes, car aucun village n'était capable de les ravitailler suffisamment pour leur permettre d'aller au bout de leur voyage. A chaque arrêt, Nevä se montrait de plus en plus tendue. Elle savait qu'ils perdaient du temps sur leurs poursuivants qui, à cheval ou par voie maritime, étaient sur leurs talons. Ils affrontaient les mêmes difficultés, les mêmes problèmes de ravitaillement, mais ils étaient plus expérimentés et ils avaient le pouvoir de réquisitionner les ressources dont ils avaient besoin. Pour la femme tatouée, les négociations trop longues étaient une source d'angoisse permanente, et elle gardait les yeux rivés dans leur sillage, pour s'assurer qu'aucune voile rouge n'apparaîtrait à l'horizon.

- Dame Nevä ?

La voix fluette était reconnaissable entre mille, et l'intéressée s'arracha à sa contemplation anxieuse pour répondre à la jeune fille :

- Bonjour A'shar'a.

La jeune affranchie avait toujours l'air aussi mal à l'aise. Ses yeux fuyaient le regard des gens, et elle paraissait perpétuellement vouloir disparaître dans les ombres. Nevä se plaisait à la dévisager intensément, pas par cruauté mais parce qu'elle voulait lui faire prendre conscience de son importance. Elle était une personne, un individu unique, et non un meuble ou un objet comme on avait voulu le lui faire croire. La petite commença à se dandiner d'un pied sur l'autre, gênée. Ses longues mèches brunes oscillaient comme des plants d'orge par une nuit sans étoiles.

- Désolée de vous déranger… Commença-t-elle. Les négociations ne se sont pas bien passées, et ils voudraient que vous veniez.

Nevä haussa un sourcil. Elle avait toujours tenu à rester à l'écart des tractations avec les pêcheurs et les villageois, préférant s'occuper de planifier leur prochain mouvement. Elle ne voulait pas s'imposer comme une personne indispensable, et elle faisait confiance aux délégations qui partaient à terre pour obtenir ce dont ils avaient tous grand besoin : des vivres, des simples, des remèdes contre les maladies qui se multipliaient à bord, et menaçaient de décimer leur peuple libéré du joug des sanguinaires Melkorites. Alors pourquoi avaient-ils besoin d'elle soudainement ? A'shar'a n'était sans doute pas capable de le lui dire, et elle comprit que les affranchis l'avaient envoyée elle précisément pour cette raison.

- J'arrive, fit-elle.

Une barque se tenait à sa disposition, et lui permit de rallier rapidement la terre ferme, sur une petite île isolée. En approchant, elle vit que les affranchis étaient toujours sur la plage, comme s'ils attendaient son arrivée de pied ferme. Elle leur lança un grand signe de la main, auquel ils répondirent prestement, tout heureux de la voir répondre à leur appel.

- Dame Nevä, lâcha l'un d'eux en l'aidant à descendre, nous vous attendions…

- Que se passe-t-il ? Un problème ?

Elle ne pouvait pas cacher l'inquiétude dans son ton, et elle examina rapidement tous ceux qui se trouvaient là, cherchant d'éventuelles blessures qui auraient attesté de la mauvaise tenue des négociations. Ils allaient tous bien, et aucun d'entre eux ne semblait particulièrement stressé. Ils s'efforcèrent d'ailleurs de la rassurer en lui expliquant la situation rapidement :

- Tout va bien, il n'y a rien à craindre. Seulement, l'homme qui se propose de nous vendre des marchandises refuse de conclure l'affaire avec nous. Il est d'accord sur un prix – un prix raisonnable – et il a des choses intéressantes à nous proposer : les fruits qu'il fait pousser pourraient nous aider à éviter les épidémies, et à guérir nos malades. Il fabrique aussi des cordes solides, dont nous pourrions avoir besoin pour entretenir le navire.

- Et que veut-il de moi ? Interrogea la jeune femme.

- Il ne l'a pas dit. Seulement qu'il voulait parler à la personne en charge, et qu'il ne négocierait qu'à cette condition. Nous avons pensé que vous sauriez le convaincre.

Nevä leur fit une moue mi-contrariée mi-amusée. Ils considéraient tous que sa voix avait des pouvoirs magiques mystérieux, et qu'elle était capable de convaincre n'importe qui. C'était probablement la raison pour laquelle ils étaient si confiants, et pourquoi ils la poussaient à y aller sans crainte. Elle se résigna à s'exécuter, et leur demanda où se trouvait l'homme à qui elle devait parler. Ils lui désignèrent en retour une petite maison plus haut, encastrée entre les rochers au sommet d'un petit sentier en pente douce, protégée ainsi des vents hivernaux. Elle entreprit l'ascension seule, et se retrouva bientôt devant la bâtisse. Après avoir frappé, elle poussa la porte, qui s'ouvrit tranquillement.

- Bonjour ? Fit-elle en s'habituant à la pénombre.

L'intérieur était modeste, pour ne pas dire rustique. Au fond de la pièce, un foyer abritait un feu discret qui jetait une faible lueur à l'intérieur. Une table et deux bancs occupaient le centre de la pièce, et c'était à peu près tout. Point d'objets personnels, point de décorations, pas même quelques fleurs pour habiller l'ensemble. Ce n'était pas un monde très joyeux. Une femme était affairée là, occupée à éplucher soigneusement des légumes. Elle se retourna lentement, un sourire amical aux lèvres, et glissa doucement :

- Bonjour. Il ne va pas tarder.

Nevä ne savait pas encore qui était ce « il », mais préféra ne pas s'asseoir sans y avoir été invitée. Les us et coutumes variaient tellement d'une région à l'autre de ce vaste royaume qu'elle préférait ne pas faire d'impair. La femme retrouva le silence, et se focalisa exclusivement sur ses légumes, laissant son invitée surprise dans une position gênante. Fort heureusement, la Voix n'eut pas à attendre longtemps, puisque bientôt un homme fit son apparition derrière elle, la forçant à s'écarter de la trajectoire de la porte.

- C'est vous ? Fit-il sans cérémonie, en déposant un tas de bois sur le sol.

Il s'essuya les mains, et observa Nevä de la tête aux pieds, comme s'il la jaugeait. Elle soutint son regard, et se permit en retour de le dévisager. Ses cheveux qui grisonnaient le plaçaient dans la tranche d'âge des hommes mûrs, et ce n'était pas son regard affûté qui allait dire le contraire. La jeune femme ignorait ce qu'il voyait en l'observant, mais elle s'efforça de dégager le maximum d'informations de son examen préalable. Il lui rendait une bonne tête, mais surtout il dégageait une grande force. Une force de corps et de caractère qui était presque écrasante, même dans son silence. Son aura était tangible, et il était de ceux dont on faisait les chefs et les meneurs. Il était étonnant de voir une telle attitude chez un simple pêcheur.

- Asseyez-vous.

Nevä, comme une enfant écoutant son père, prit place devant le banc. Il s'assit lourdement en face d'elle, accueillant un bol de gruau sans même paraître remarquer la femme – la sienne, de toute évidence – qui venait de le lui apporter. Il était entièrement concentrée sur son invitée, et entama la discussion tout en commençant à manger :

- Vous n'êtes pas vraiment le genre de personne que l'on imagine diriger un navire de guerre de la marine royale, commença-t-il. Puis, devant sa surprise, il ajouta : J'ai des yeux, des bons. Vous avez faim ?

- N-Non… Non merci… Répondit Nevä, désarçonnée. Je… Vous avez dit vouloir négocier avec moi : est-ce que vous êtes toujours disposé à nous vendre quelque chose ?

Il ne la quittait pas des yeux tandis qu'il mangeait, et pour la première fois de sa vie Nevä avait l'impression d'être totalement prise au piège. Pas au sein de cette maison, car elle avait l'impression de pouvoir quitter les lieux dans l'instant si elle le souhaitait. Par contre, elle était prisonnière d'une situation inextricable, dans laquelle il avait ce qu'elle souhaitait, et elle n'avait aucun contrôle sur l'issue de cette discussion. Il l'amenait où il le souhaitait, quand il le souhaitait, comme un chasseur encerclant sa proie. Elle n'aimait guère cette sensation.

- Les négociations sont toujours à l'ordre du jour, rassurez-vous. Que fait une esclave à la tête d'un navire de guerre ?

Nouvelle estocade. Elle vacilla de nouveau, bousculée par ses questions directes. Elle aurait dû s'y attendre pourtant, car elle ne pouvait pas imaginer que personne n'allait remarquer la nature de l'équipage. Toutefois, pour une raison qu'elle ne parvenait pas à expliquer, elle se sentait presque menacée par cette interrogation. Sa réponse fut aussi évasive que possible :

- C'est une longue histoire… Si vous êtes fidèle à la Reine, et que vous souhaitez demeurer à son service, il serait préférable que nous en restions là. Je ne veux pas vous causer d'ennuis, et…

- Vous esquivez. Répondez à ma question.

Hésitation. Elle ne savait pas où il voulait en venir. Elle pouvait toujours mentir, inventer quelque chose, et essayer de le rouler dans la farine. Pourtant, elle avait l'impression qu'il serait capable de déceler le moindre mensonge, et que cela ne servait à rien. En outre, elle n'avait plus envie de mentir et de se cacher. Elle continuerait à le faire, bien entendu, tant qu'elle aurait besoin de sauver son peuple. Mais cet homme seul ne pouvait rien, et elle n'avait pas l'intention de se parjurer devant tous les Rhûnedain qu'elle croiserait. Alors elle abdiqua :

- Nous avons volé ce navire. Nous nous sommes échappés d'Albyor, et nous fuyons le courroux de la Reine et de ses serviteurs. C'est la raison pour laquelle nous sommes désespérément à la recherche de vivres. Si vous refusez de nous vendre quoi que ce soit, je ne vous blâmerai pas. Laissez-moi simplement repartir auprès des miens, et continuer mon chemin. C'est tout ce que je vous demande.

Il garda le silence un instant, et pendant quelques secondes on n'entendit plus un son dans la pièce. Pas même le bruit des légumes que l'on épluchait, qui s'était arrêté temporairement. Pas une respiration, pas un souffle de vent. Puis l'homme lâcha :

- Je me suis toujours considéré comme un serviteur des rois… Je devrais vous tuer sur-le-champ, et réclamer la récompense sur votre tête. Ce ne serait pas difficile.

Nevä déglutit. Pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, elle était convaincue que cet homme était capable de mettre ses menaces à exécution. Il pouvait sans le moindre doute la briser en deux à mains nues, et elle l'imaginait assez bien fondre au milieu des affranchis sur la plage pour les tailler en pièces à leur tour. Il n'avait pas esquissé le moindre geste hostile, toutefois, se contentant de manger en la dévisageant avec une insistance presque malsaine. La Voix garda le silence, cherchant mentalement une issue à cette situation.

- Je n'ai pas peur de mourir, fit-elle bravement.

- Je sais. Sinon vous ne seriez pas là.

Il termina son repas, et repoussa son écuelle sur le côté. Sa femme vint le débarrasser, et il ne consentit toujours pas à lui accorder le moindre regard. Elle, discrète comme une esclave, continuait à s'affairer en tendant l'oreille. L'homme se leva doucement, et invita Nevä à le suivre et à marcher avec lui. Elle ne savait trop quoi faire, mais il se retourna avec un sourire en coin :

- Puisque vous n'avez pas peur de mourir, vous n'aurez pas peur de me suivre, si ?

Elle prit son courage à deux mains, et entreprit de le suivre, non sans adresser un « au revoir » à la maîtresse de maison. Celle-ci lui adressa un salut amical de la main, avant de la laisser disparaître.


#Pantea
Sujet: Nous Perdons Toujours
Ryad Assad

Réponses: 13
Vues: 948

Rechercher dans: La Ville Sombre   Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Nous Perdons Toujours    Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 13 Oct 2017 - 2:06
Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! Femme_10

Ils étaient une petite dizaine, le poing tremblant refermé sur de simples dagues acérées. Des armes qui pouvaient paraître dérisoires eu égard à ce qu'ils s'apprêtaient à accomplir, mais les miliciens qui gardaient les esclaves n'étaient pas des foudres de guerre, comme en témoignait leur embonpoint. Ils n'auraient pas le temps de réagir qu'ils seraient déjà transpercés, et leurs corps grassouillets finiraient sur le bas côté. Sans un cri. Sans un bruit. Dans le silence absolu qui accompagnait la nuit éternelle de la Cité Noire. Nevä, le visage dévoré par les ombres, ne se réjouissait pas de ce déchaînement de violence. Toutefois, ses idéaux de paix ne pouvaient pas lui faire oublier la cruauté du monde, et ce qu'il en coûtait d'arracher sa liberté à ceux qui se plaisaient à maintenir leur prochain dans la servitude. Il y avait des sacrifices qui devaient être consentis si l'on voulait accomplir de grandes choses. Or, ne s'apprêtait-elle pas à affronter toute une ville ? De toutes les mains tremblantes, la sienne était de toute évidence la plus agitée. Elle avait les lames en horreur, et la perspective de s'en prendre à quelqu'un la rendait malade. Elle s'était un jour fait la promesse qu'elle ne deviendrait jamais comme les hommes qu'elle combattait, et qu'elle préférerait mourir que de devenir un monstre comme eux. C'était la raison pour laquelle il avait été convenu qu'elle resterait en arrière pendant l'assaut, et qu'elle se contenterait de garder son arme pour se défendre en cas de besoin. C'était un moindre mal, même si le bruit de l'acier déchirant la chair parviendrait tout de même jusqu'à ses oreilles lorsqu'elle et ses compagnons fondraient sur les gardes. Une mélodie atroce qu'elle avait trop souvent entendue par le passé…

Elle devrait tenir bon encore un peu, et bientôt la liberté viendrait la cueillir.

Nevä inspira profondément, et se tourna vers les hommes qui lui faisaient face. Tous des tatoués. Tous d'anciens esclaves, qui avaient finalement été remis en liberté, mais qui étaient prêts à tout pour libérer leurs frères. Elle lisait dans leur chair bien plus qu'elle lisait dans leurs yeux. Les stigmates de leur condition sociale parlaient sans qu'ils eussent à ouvrir la bouche, et elle pouvait presque compter combien de maîtres ils avaient eu dans leur vie, au nombre de tatouages qu'ils arboraient. Certains portaient des marques de torture sur le corps, les signes d'une âme rebelle, matée par la force. Ils arboraient les cicatrices d'une époque où ils avaient cru pouvoir briser leurs chaînes et s'émanciper. Quelle folie. D'autres avaient dans leur silhouette voûtée ou dans leur peau meurtrie le poids de leurs années passées à travailler. Il était facile de distinguer les mains abîmées par les années d'effort, des mains refermées sur une pioche dans les mines d'Albyor qui frappaient la pierre dans l'espoir de survivre jusqu'au lendemain. Leurs dos devaient arborer les traces infâmes des coups de fouet que des sadiques leur avaient infligés pour les faire travailler plus vite. Nevä compatissait avec eux. Elle était passée par là elle aussi, et son corps conserverait à jamais la signature de ses bourreaux. Elle ne pouvait s'empêcher de déplorer leur état pathétique, leurs muscles atrophiés, leurs visages émaciés, ou bien leur peau pâle de n'avoir jamais vu le soleil.

Leurs yeux, cependant, affichaient tous la même détermination inflexible. Ils iraient jusqu'au bout. Kumkun avait personnellement été chercher chacun d'eux, en se fiant à leur réputation, et en prenant grand soin de ne pas les faire se rencontrer les uns les autres. Il était important de conserver le secret jusqu'au moment fatidique, et ils avaient tous tenu parole en abandonnant ce qu'ils étaient en train de faire pour rejoindre leur lieu de rendez-vous : une rue déserte à cette heure, dans laquelle s'entassaient des ordures. Ils arrivèrent chacun à leur tour, méfiants mais résolus à remettre leur sort dans les mains d'un « Guide ». C'était comme ça que Kumkun avait parlé de Nevä à ces hommes, et elle avait souri devant cette inspiration subite de la part du jeune affranchi. Il y eut quelques mines surprises en découvrant que leur Guide était en réalité une femme relativement jeune, dont le visage arborait plus de marques de tatouage qu'eux tous. Il fallait dire que Nevä n'avait jamais été une âme docile, et qu'elle avait été battue et malmenée plus souvent qu'elle ne pouvait s'en rappeler. Derrière cette histoire écrite sous forme de signes complexes dans sa chair, on pouvait lire toute la résolution qui l'habitait, et les esclaves d'Albyor savaient qu'ils pouvaient lui faire confiance. Toutefois, ils semblèrent particulièrement interloqués lorsqu'elle prit la parole :

- Bonsoir messieurs… Je suis heureuse que vous soyez tous là…

Ils se regardèrent, s'interrogeant du regard, comme s'ils voulaient s'assurer qu'ils avaient bien entendu. Il fallait dire qu'elle avait une voix particulièrement unique. L'un d'entre eux ne put s'empêcher de lui demander :

- J'ai l'impression de vous connaître… Vous n'avez pas participé à la rébellion il y a quelques années ?

Elle hocha la tête sans en dire davantage, laissant leurs souvenirs leur rappeler l'espoir que la Voix avait su insuffler à leurs cœurs vacillants. Pourquoi ne souhaitait-elle pas leur dire simplement qui elle était et les laisser se rallier à sa cause ? Probablement par pudeur… Sans doute aussi car elle se souvenait très bien de la dernière révolte, et de tout ce qu'elle y avait perdu. Elle ne souhaitait pas qu'on lui rappelât trop souvent cet échec cuisant, la mort de ses compagnons, la répression incroyablement brutale qui s'était abattue sur eux… et le fait qu'elle eût survécu à tout cela alors qu'elle aurait dû mourir. Il y avait des choses dans son passé qui n'étaient pas aussi glorieuses que les légendes pouvaient le raconter. Les tatoués n'évoquèrent plus la question, mais à mesure que leurs esprits réalisaient à qui ils avaient affaire, ils gagnaient en assurance, conscients qu'ils se battaient non plus pour la folie d'un idéal, mais pour l'Espoir.

L'Espoir.

C'était ainsi qu'on l'appelait à l'époque. Parce qu'elle s'efforçait toujours de conserver le sourire. Les choses avaient bien changé.

- Messieurs, reprit-elle. Ce soir est notre unique chance d'agir et de réussir ce que personne n'a accompli avant nous…

Elle ignorait si des esclaves avaient déjà réussi à s'enfuir d'Albyor en si grand nombre. Il y avait bien des rumeurs qui se perdaient sans doute aux origines de la Cité Noire elle-même, mais les geôliers s'arrangeaient pour ne pas laisser circuler des histoires au sujet de rebelles qui auraient réussi à s'en sortir. On évoquait toujours leur mort atroce dans les vastes plaines et la façon dont les cavaliers de la Milice les traquaient et les mettaient à mort quand ils les trouvaient. Et si l'on racontait que certains miraculés avaient été aperçus près de la Mer de Rhûn, on les décrivait comme si faibles et décharnés après avoir marché si longtemps qu'ils en devenaient la proie des animaux errants et des corbeaux qui les dévoraient vivants. Il était réputé impossible de s'échapper des geôles de la cité, pourtant Nevä était bien déterminée à forcer la chance.

- Notre ami commun vous a dit de me faire confiance, poursuivit-elle, mais c'est en tant qu'hommes libres que vous vous engagez ici et maintenant. Venez avec moi parce que votre cœur vous le commande, ou bien partez.

Elle leur laissa le temps de considérer la question, guettant leurs réactions, cherchant la lueur de doute au fond de leur regard. Toutefois, il y avait chez elle un tel charisme qu'ils semblaient subjugués, et qu'elle ne les vit pas vaciller. Bien au contraire, ils semblaient galvanisés. Encore une fois, cela la mit incroyablement mal à l'aise, car elle n'avait jamais désiré assumer cette responsabilité. Commander des gens, les emmener sciemment vers la mort, et accepter leur sort funeste… Qui était-elle pour décider d'une chose pareille ? Parfois, elle avait envie de tout abandonner, mais elle devait tenir bon. Pour la cause. Personne ne se désista, et elle vit à leur attitude qu'ils étaient prêts à aller jusqu'au bout. Avec elle, et non pour elle.

- Bien. Alors voici le plan…


~ ~ ~ ~


Nevä et ses deux compagnons de route filaient à travers les rues d'Albyor. Leurs regards s'étaient depuis longtemps habitués à la crasse de la Ville Sombre, et ils ne s'étonnaient plus de voir ici ou là des chiens malingres grogner à leur approche, prêts à défendre chèrement les restes qu'ils mangeaient avidement. Les trois ombres se contentaient de les éviter, et de les laisser à leurs affaires sans les déranger, comme toute personne sensée. Les approcher était probablement plus risqué que d'affronter les gardes des esclaves, car ces derniers avaient moins de chances de leur transmettre une infection mortelle d'une simple morsure. Encore que. Les conjurés profitaient de l'obscurité pour rejoindre leur objectif défini à l'avance, sans se laisser ralentir par quoi que ce fût. Les esclaves de la ville n'étaient bien entendu pas tous enfermés au même endroit, et c'était la raison pour laquelle ils s'étaient séparés. Ils avaient constitué cinq groupes, qui avaient chacun une cible particulière à atteindre. Nevä et les siens avaient laissé aux autres le soin de s'occuper des quais où s'entassaient les esclaves en transit – ceux qui, en général, étaient les plus vigoureux. De leur côté, ils se dirigeraient vers les mines, où l'on trouvait une foule hétéroclite d'esclaves généralement mal nourris et assez faibles. Cela réduisait considérablement leurs chances de survie, mais ils ne pouvaient pas laisser ces hommes et ces femmes sans espoir. Nevä était parfaitement consciente des risques qu'ils encouraient à se disperser, mais ils avaient ainsi moins de chances d'être tous pris au même moment, et s'ils libéraient cinq groupes d'esclaves déterminés à s'enfuir, la garde n'aurait d'autre choix que de parer au plus urgent, ce qui laisserait à certains des fuyards une opportunité.

- Attendez… fit soudainement l'homme qui les menait, en tendant son bras pour les inviter à s'arrêter.

Ils s'immobilisèrent, et Nevä se plaqua contre le mur le plus proche, sentant la peur s'emparer de chaque fibre de son être. Elle devait rester calme. Elle n'avait encore rien vu, mais elle faisait confiance au tatoué qui menait leur petit groupe, et qui connaissait Albyor comme sa poche. Pendant un instant, il n'y eut rien que le silence, puis des bruits de pas leur indiquèrent que quelques individus approchaient. Peut-être des gardes de la cité en patrouille, songea la jeune femme. Il suffisait de les laisser passer en s'assurant de ne pas être vus, puis ils pourraient poursuivre tranquillement leur chemin. Un jeu d'enfant. Néanmoins leurs oreilles les trompèrent, et ils ne se rendirent compte que trop tard qu'il ne s'agissait pas des pas lourds et rythmés de militaires, mais plutôt de la course effrénée de quelques individus apparemment pressés.

Pressés à cette heure ?

Ils déboulèrent dans la rue en face de Nevä et de son groupe, et se séparèrent pour s'engouffrer dans les artères de toute la Ville Basse. Ils portaient de petites cloches sonores, et leur rôle apparut très clair aux trois conspirateurs qui les regardèrent se déployer. Soudainement, ils sonnèrent leurs cloches, et se mirent à hurler à pleins poumons :

- On a empoisonné le fils du gouverneur ! On a empoisonné le fils du gouverneur !

Les crieurs publics ne se reposaient jamais, et pour une nouvelle aussi importante, ils n'allaient pas attendre le matin. Ils n'étaient certainement pas employés par le pouvoir, qui aurait très probablement voulu cacher cette information, et ce devaient être des petits qui gravitaient autour du pouvoir en espérant glaner quelques rumeurs qu'ils se dépêchaient d'aller vendre en ville. Ils devaient espérer se faire payer grassement pour en révéler davantage au sujet des maigres informations qu'ils avaient dû entendre au palais, et pour maximiser leur profit, il leur fallait faire le plus de bruit possible, et attirer au-dehors toute la ville. Nevä jura intérieurement. Ils ne pouvaient pas plus mal tomber ! Leur volonté de passer inaperçu tombait à l'eau, maintenant qu'Albyor toute entière allait être au courant de la nouvelle. Des nez commencèrent à pointer aux fenêtres, curieux, attirés par le chahut. Les crieurs avaient réussi leur coup, car déjà des individus ensommeillés sortaient de leur torpeur nocturne pour venir aux nouvelles, encore emmitouflés dans leurs habits de nuit :

- Que se passe-t-il ? Demanda l'un d'eux.

- C'est vrai ? Interrogea un autre. On a vraiment empoisonné le gouverneur ?

- Le fils du gouverneur, corrigea le crieur. Et oui c'est vrai. Et il faudra payer pour en savoir plus messieurs dames !

Il agita encore sa clochette, et bientôt les voisins firent cercle autour de lui. Nevä se tenait assez près de la petite troupe qui se rassemblait, mais elle ne porta pas la main à sa poche comme d'autres, pour en apprendre davantage. Ce n'était pas cela qui la préoccupait. Elle était davantage concernée par le fait qu'un élément crucial de son plan venait de tomber à l'eau, et que toute son entreprise risquait d'être compromise. Se tournant vers les deux affranchis qui l'accompagnaient, et qui étaient visiblement anxieux à l'idée d'être pris, elle leur lança :

- Continuez sans moi, comme prévu. Je dois régler une affaire urgente. Attendez le signal ! Nous n'aurons pas d'autre chance.

Puis, sans rien ajouter, elle s'éclipsa. Ils ne posèrent pas la moindre question : habitude servile. Nevä s'arracha à la foule, et se mit à courir de toutes ses forces vers la Ville Haute. Sa vie en dépendait. Leur vie à tous, en réalité. Les quartiers les plus huppés de la Cité Noire avaient déjà été avertis du malheur qui était arrivé au fils du gouverneur, et on discutait abondamment dans les rues, ce qui compliquait largement le passage de la jeune femme. Elle essaya de se faufiler, mais en tant qu'esclave il ne lui était pas permis de se faire remarquer bêtement dans cette section où se trouvaient probablement quelques miliciens occupés à surveiller les allées et venues des indésirables. Elle décida donc de prendre son mal en patience, et d'avancer à un rythme moins soutenu, non sans regarder prudemment autour d'elle pour s'assurer que personne ne la filait.

Bientôt, derrière elle, il y eut des cris agressifs et un brouhaha indescriptible. La foule commença à bouger latéralement, comme si elle s'écartait pour laisser passer un cortège. Des gardes armés qui remontaient de la Ville Sombre en toute hâte, probablement afin de venir assurer la sécurité des élites de la population. Le haut commandement de l'armée d'Albyor devait être en panique, et distribuait ses ordres conformément à ce que Nevä avait prévu. Ils rapatriaient des troupes au palais, dégarnissant ainsi les quartiers dans lesquels les tatoués allaient agir. Tout aurait pu être parfait, mais il lui manquait encore Pantea… Cette dernière devait jouer un rôle décisif, et pour l'heure elle ne s'était pas encore manifestée, ce qui pouvait signifier le pire. Or, si elle avait été tuée, ils étaient condamnés. Les gardes passèrent bientôt en appelant la foule à s'écarter de leur chemin, et disparurent dans le lointain, laissant la population d'Albyor revenir à son emplacement initial comme une mer humaine se refermant dans le sillage d'un navire. Prise par la marée, Nevä continua sa progression en profitant que l'attention des gens autour d'elle fût ailleurs. Néanmoins, elle fut rapidement contrainte de s'écarter de nouveau, car un second cortège venait, en descendant vers la Ville Sombre cette fois.

« Ce n'est sans doute rien », se dit la jeune femme. « Seulement quelques messagers qui vont porter leurs ordres aux différentes portes de la ville ».

Elle eut tort pour la seconde fois. Il s'agissait de deux gardes du palais armés, qui écartaient la foule d'un bras, tout en tenant une jeune femme de l'autre. Le cœur de Nevä manqua un battement.

Tag pantea sur Bienvenue à Minas Tirith ! Pantea11

Elle fut d'abord frappée par la beauté extraordinaire de cette femme, magnifique malgré les chaînes qui enserraient cruellement ses poignets et son cou. En dépit de l'humiliation, elle demeurait la plus belle créature qu'il avait été donné de voir à la Voix. Elle n'avait jamais rencontré d'Elfes de son existence, mais elle se figura que c'était ce à quoi ils ressemblaient, en y ajoutant des oreilles pointues. Il y avait quelque chose chez cette déesse aux longues boucles brunes et au regard triste, une mélancolie infinie qui répondait à sa splendeur, et qui, sans la ternir pour autant, rappelait qu'elle était à la fois une bénédiction et une malédiction. De toute évidence, la ravissante inconnue n'avait pas laissé la foule indifférente, et hommes et femmes se retrouvèrent plongés instantanément sous son charme, peinant à détourner les yeux de son visage parfait. Ils semblaient ne même pas voir les menottes qui l'entravaient, et indiquaient clairement qu'elle était une esclave – quoique non tatouée. Nevä, contrairement à ses voisins, avait l'avantage de connaître l'identité de la séduisante silhouette, et dans le silence qui s'était abattu sur le passage de la prisonnière et de ses deux geôliers, son murmure devint un cri :

- Pantea ?

L'intéressée, réagissant à son nom, leva la tête.

Oui. Point de doute. C'était bien elle.

Sans réfléchir, Nevä s'élança, fendant la foule qui ne lui prêtait aucune attention. Dans sa main, serré fermement, le poignard effilé qu'elle s'était promis de tout faire pour ne pas utiliser. Elle allait devoir trahir sa parole…

#Pantea
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
Sauter vers: