Je remontais d'un pas énergique les marches menant à l'étage du Chameau qui Tousse, l'établissement où j’avais dégusté quelques jours auparavant un liquide ambré particulièrement délicieux en compagnie du capitaine Esmer.
Depuis, beaucoup de choses avaient changé. Les émeutes que l'armée et la direction de l'Arbre Blanc tentaient d'étouffer avaient éclaté et englouti la moitié de la cité. Pire encore, la nuit dernière les grands trébuchets et les lances brillantes de la garnison de Minas Tirith se tournèrent contre ses propres citoyens.
Et puis, il y avait cette histoire de lettre. Je l'avais reçue la veille, laissée dans une cache dont seule une poignée d’officiers connaissaient l'existence. Quelques mots sur un bout de parchemin, chiffrés avec un code propre à l'Arbre Blanc.
Citation :
Les racines profondes ne sont pas atteintes par le gel. Retrouve-moi sous l'aile brûlée pour comprendre ce qui se déroule réellement dans la Cité. N.
Je connaissais cette écriture. C'était celle de Neige, camarade d'armes fidèle et capitaine vétérane de l'Arbre Blanc, à présent recherchée pour trahison. Les paroles étaient énigmatiques, mais je la connaissais bien. Sous l'aile brûlée...il pouvait s'agir des sous-sols d'une aile de l'Université de Minas Tirith abandonnée suite à un incendie causé par le département d'Alchimie.
L'affaire était louche. Neige pouvait vraiment être une traîtresse et tenter de m'attirer dans un piège pour se débarasser d'un des capitaines de l'Arbre Blanc. Ca pourrait aussi être une lettre faussée par le Directeur Rhydon en personne, pour tester ma loyauté. Mais je sentais qu'il y avait quelque chose de plus profond dans cette histoire, et j'avais depuis longtemps appris à me fier à l'instinct.
Dans tous les cas, m'y rendre seul serait une folie. Malheureusement, mes hommes fidèles étaient postés loin de la Cité Blanche. Je me voyais donc contraint à utiliser les dernières recrues de l'Arbre. Les cinq recrues se mirent en garde-à-vous en me voyant arriver, et je les regardai longuement. J'avais pris le temps de lire leurs dossiers.
#Timéon, un vétéran de la milice marchande d’Osgiliath, jovial et en léger surpoids.
#Hoshen, un ancien enfant des rues au regard attentif.
#Judia, propriétaire entrepreneuse d’une série de tavernes itinérantes.
#Edna, une ancienne assistante à la Bibliothèque dont le dossier était étrangement vide, comme si quelqu’un de bien placé dans la hiérarchie de l’Arbre Blanc l’avait nettoyé.
#Syp, le seul qu’on pourrait caractériser d’une recrue plus ou moins typique, ancien mercenaire mais aussi membre de l’influente famille de Sora.
Tout frais dans les services secrets du royaume, ils avaient néanmoins tous des atouts qui pourraient s'avérer précieux. Du moins, s'ils arrivaient à comprendre et assimiler les valeurs de l'Arbre Blanc. Voilà ce que je savais sur eux, mais pour réellement juger leur caractère, il fallait que je les vois en action.
-Je suis Capitaine Petrus du Lamedon, un des officiers responsables pour votre groupe. Dites-moi, recrues. C'est quoi l'Arbre Blanc pour vous? Quelle est la cause que vous défendez ?
Syp et Hoshen furent les premiers à répondre avec un peu d'hésitation et de maladresse, mais les mots-clés tombèrent. La Couronne. Le Peuple.
-Oui, nous servons la Couronne et le Peuple du Gondor. Nous sommes là pour les défendre des menaces externes, mais aussi internes. N'oubliez pas, jeunes recrues, que l'Arbre Blanc n'est pas et ne sera jamais l'œuvre d'un seul homme. Respectez vos supérieurs, mais ne suivez pas aveuglément leurs ordres si ces derniers visent à détruire la cause que nous avons fait serment de défendre.
Je ne savais pas s'ils avaient compris le sens de mes paroles. Elles étaient osées, voire risquées dans une organisation qui était devenue tant hiérarchisée et strictement affiliée à l'Armée depuis que lord Rhydon en avait pris le commandement.
-Recrues, vous êtes en mission d'entraînement mais comme vous le savez déjà, les circonstances dans la Cité ont changé radicalement. Tout ce qui vous attend sera bien réel, et votre comportement aura un impact direct sur tout ce que nous faisons serment de défendre, même si cela signifiera faire des choix difficiles et démêler l’illusion de la vérité. Il y a des choses que l’on ne comprend pas dans ces émeutes, et tout ne peut pas être résolu par des avis de recherche et de la force brute. J’ai reçu une lettre m'invitant à me rendre dans un lieu spécifique pour en apprendre davantage sur la situation actuelle, mais je ne peux être sûr de son authenticité. Le jeu vaut la chandelle, mais je préfère ne pas m’y rendre seul. Vous allez m'accompagner, recrues.
Je voyais la surprise sur leurs visages, et les questions qui se formulaient dans leurs pensées mais qu'ils n'osaient pas poser. Ensemble, nous quittions la bâtisse pour nous diriger vers l'Université. Je ne leur avais pas dévoilé notre destination pour l'instant.
Les rues étaient pratiquement désertes. Les alentours immédiats du Chameau qui Tousse avaient été plus ou moins épargnés, mais plus loin on pouvait voir les traces des affrontements. Des vitres brisées, des portes barricadées, des traces de sang sur les pavés. La première épreuve arriva plus vite que prévu. Au coin d'une rue, nous nous retrouvions face à quelques miliciens en train de donner des coups de pied à un civil allongé par terre.
Je pouvais intervenir en montrant ma broche de capitaine de l'Arbre Blanc, mais dans la mesure du possible je préférais rester incognito. Et surtout, c'était une chance pour les recrues du Gondor de prouver leur valeur. Même si j'avais besoin d'eux pour une mission bien réelle, j'étais aussi là pour les former.
Syp fut le premier à tenter une approche en interpellant les gardes et leur demandant de laisser le civil tranquille. Il avait le cœur au bon endroit, mais malgré son expérience de guerrier, il manquait un peu de sang froid. Je grimacai en le voyant se prendre un coup de hampe de lance dans l'abdomen. Il fut ramassé par ses compagnons, qui demandèrent qu'est-ce que le civil avait fait de mal. Apparemment, il avait écrit des profanités au sujet du roi Méphisto sur un des murs de la cité. Un acte qui méritait d'être puni, certes, mais pas d'une manière aussi brutale et arbitraire.
L'intervention des recrues avait suffi pour que les miliciens arrêtent de tabasser le malheureux homme mais ils décidèrent quand-même de l'embarquer à la caserne. La situation aurait pu mal finir pour nous lorsqu'ils demandèrent ce que le groupe faisait dehors en plein couvre-feu, mais le groupe fut sauvé par Judia, qui leur expliqua qu'elle devait rejoindre son échoppe.
Peu de temps après Syp remarqua le texte écrit sur un mur, les lettres à moitié effacées :
Citation :
Méphisto tu as trahi ton royaume
Ça n'avait rien de vulgaire, mais si telle était la perspective du peuple, c'était inquiétant. Très inquiétant.
Pour atteindre l'Université de Minas Tirith, il fallait continuer à remonter le Deuxième Cercle de la Cité, mais notre chemin était bloqué par une grande barricade provisoire, sans doute érigée par des émeutiers.
On pouvait tenter de contourner la barricade en nous faufilant dans une des maisons environnantes, mais Judia eut une autre idée. En effet, cette femme dirigeait une chaine d'auberges itinérantes populaires, et proposait de s'en servir pour passer la barricade. L'idée fut accueillie avec enthousiasme par ses compagnons. De mon côté, je me contentais de les suivre.
C'est une fois dans le chariot qu'Hoshen nous dévoila quelques documents qu'il avait discrètement volés aux miliciens. Un geste très risqué, mais impressionnant car je ne l'avais pas vu faire. Je dissimulais une grimace. Il s'agissait de lettres de recherche, offrant une prime pour Neige, ainsi qu'une elfe nommée Lithildren et un professeur de l'Université appelé Nallus.
Bientôt, l'odeur de patates frites remplit l'air, et je me retrouvais, incrédule, en corvée de cuisine dans un chariot tiré par un âne. Lorsqu'on s'approcha de la barricade, Timeon tenta une approche qui me fit lever les sourcils.
-Eh, Morgul, c'est toi ? Comment vas- tu ?
Deux têtes apparurent au-dessus de la barricade, mais les hommes n'avaient pas l'air d'être convaincus.
-On connait pas de Morgul. Qui êtes-vous et qu'est-ce que vous venez faire ici ?
Heureusement, Judia et Hoshen étaient là pour détourner l'attention et offrir une explication aux émeutiers. Ils leur présentèrent l'offre de l'établissement et leur proposèrent même un escompte, en prétendant soutenir les émeutes. Les défendeurs de la barricade devaient être affaiblis et affamés après une nuit de combats contre la garde, car ils nous laissèrent passer. Heureusement, nos patates frites étaient bien réelles et furent accueillies avec grand enthousiasme. Nous nous apprêtions à continuer notre chemin lorsque la recrue nommée Edna proposa d’offrir du thé aux émeutiers. Il y avait quelque chose d’inquiétant dans son regard et dans son sourire. Heureusement, elle fut vite dissuadée par ses compagnons qui ne souhaitaient pas perdre de temps ni prendre des risques inutiles.
Le reste de notre trajet se déroula sans problèmes majeurs. Bientôt, les ruelles sombres s’ouvrirent sur une grande place pavée, au centre de laquelle se trouvait l’impressionnante bâtisse de l’Université de Minas Tirith.
-Nous y voilà.
Edna me demanda pourquoi je ne lui avais pas confirmé la destination plus tôt, car étant affiliée à l’Université elle aurait pu nous indiquer un raccourci. Je me contentai de lui rappeler que dans notre métier, il valait mieux dévoiler seulement les informations strictement nécessaires.
Le bâtiment impressionnant de l’Université était constitué d’un grand bloc central ainsi que de deux ailes. C’était celle de gauche qui nous intéressait. A présent, l’intégralité de l’université était fermée, sans doute pour la protéger des vandales, mais les barrières sur la porte de l’aile gauche étaient bien plus vieilles. Il s’agissait de la partie de l’université qui était temporairement fermée suite à l’accident du département d’alchimie. Une autre inscription griffonnée sur le mur attira notre attention:
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Jeu 30 Mar 2023 - 21:03
Les jeunes recrues ne tardèrent pas à trouver une approche peu orthodoxe, qui consistait à utiliser la charrette et l’âne pour monter jusqu’à l’étage. Syp et Hoshen réussirent à ouvrir les volets en bois et bientôt nous nous retrouvions tous à l’intérieur de la bâtisse. Personne n’avait pensé à emmener une torche, et les couloirs étaient plongés dans une obscurité quasi-totale. C’est à ce moment là qu’Edna se rendit utile:
-Je connais l’Université comme ma poche, je peux vous guider jusqu’à une salle de classe où nous trouverons des bougies et de quoi les allumer.
Elle n’avait pas exagéré, et nous guida sans aucun problème jusqu’à la salle. C’est à ce moment-là qu'on entendit quelque chose tomber de l’autre côté de la porte. Nous n’étions donc pas seuls. Timéon ouvrait la marche, et ouvrit la porte d’un geste décidé. Quelque chose bondit sur lui dans l’obscurité, mais il ne perdit pas son sang froid. Il l'attrapa en plein vol, dévoilant aux autres qu’il s’agissait d’un simple chat. Impressionnant.
Comme prévu, nous trouvâmes des bougies dans la salle, ce qui nous permit de reprendre notre chemin de manière plus sécurisée. Après avoir descendu l’escalier nous nous retrouvions dans le grand hall d’entrée. Derrière l’escalier se trouvait une porte menant aux sous-sols, notre destination finale.
Lorsque que Timéon l’ouvrit, je constatai qu’elle avait dû être huilée récemment car elle ne fit aucun bruit. J’ordonnai à Edna de rester à l’entrée, en guise de sentinelle. C’était en partie parce qu’elle était celle qui connaissait le mieux ce lieu et pourrait s’en sortir s’il s’agissait d’une embuscade. Et en partie parce que je ne lui faisais pas vraiment confiance.
Notre groupe commença la descente d’un étroit escalier en colimaçon, mais celle-ci fut interrompue de manière abrupte. Timéon, qui ouvrait toujours la marche, s’était retrouvé face à face avec un homme armé d’une arbalète qui nous ordonna de laisser nos armes et avancer un par un. Lorsqu’il nous demanda combien nous étions, Timéon lui dévoila qu’on était cinq, il avait donc habilement omis de mentionner la présence d’Edna à l’étage. Face à un arbalétrier dans un escalier étroit, nous étions dans une situation fort défavorable. Je me maudis dans mes pensées de ne pas avoir pensé à une meilleure tactique, avant de dire à mes recrues de lâcher leurs armes.
Nous étions à présent réunis dans une grande pièce souterraine. Un feu brûlait dans l’âtre, éclairant les visages de ceux qui nous avaient capturés. Elle était là. Fine, à la musculature subtile d’une acrobate, ses yeux brillaient sous sa frange blanche mais son regard ne trahissant comme d’habitude aucune émotion. Neige, Capitaine de l’Arbre Blanc. Mais elle n’était pas seule. Une elfe au teint pâle avait supervisé le désarmement des recrues, et la ressemblance avec l’avis de recherche était indéniable: c’était Lithildren.
Mais ce qui me surprit davantage encore, c’était de voir les hommes qui les accompagnaient. Ils ne portaient pas d’uniforme, mais leurs tenues montraient clairement leur appartenance à la noblesse. Il ne me fallut qu’un instant pour reconnaître un homme qui était devenu emblématique au Gondor: Eradan, le dirigeant des Chevaliers du Cor Brisé. Descendant illégitime de la lignée de Faramir, il avait joué un rôle clé pendant le siège d’Aldburg et porté le coup fatal à l’Ordre de la Couronne de Fer dans les catacombes de Vieille-Tombe en compagnie des Passeurs des Etoiles. C’était Eradan qui avait ramené le prince Chaytann à son père, et par conséquent c’était un des rares hommes à pouvoir demander à n’importe quel moment une audience avec le roi Méphisto.
En jetant un coup d’oeil rapide sur mes compagnons, je pouvais constater qu’ils avaient eux aussi reconnu Neige, Lithildren et Eradan, et que les voir réunis mettait en doute la version officielle des événements. Comment est-ce que l’homme qui avait sauvé l’héritier du Gondor pouvait être un traître?
-Petrus. Tu es venu. Mais pas seul je vois…suis-moi. Nous devons discuter de certaines choses en privé avec Eradan.
Les recrues, d’abord surprises de voir que c’était bien une femme recherchée pour trahison qui m’avait donné rendez-vous ici, s’échangaient à présent des petits sourires moqueurs insinuant que nous allions faire bien plus que discuter dans la pièce à côté. Je les foudroyai du regard.
Une fois la porte fermée, je m’adressai à Neige et Eradan:
-Qu’est-ce que tout cela veut dire?
-Si tu es venu, ce que tu pressentais déjà ce que je vais te dire. Je n’ai pas trahi le Gondor. Cela fait des mois que je mène une enquête dangereuse, qui m’a fait découvrir des secrets qui feront trembler les fondations du royaume. Lord Rhydon a ordonné l’assassinat d’un commandant de l’armée. Il a aussi fait fabriquer des faux documents incriminant plusieurs dignitaires du Gondor, et compte s’en servir pour leur faire du chantage et renforcer sa position et celle du général Cartogan. Il pensait avoir tué le faussaire qui les avait fabriqués pour effacer les traces, mais leur véritable auteur est toujours en vie. Mais c’est pas fini, Petrus. Le professeur Nallus a découvert que les actions de Rhydon étaient entièrement soutenues par le Général Cartogan en personne. Les meurtres, les emprisonnements, les corps des victimes de la peste brûlés en secret afin de les cacher du public.
J’étais sous le choc. J’avais mes soupçons concernant Rhydon, mais le général Cartogan? Cet homme était perçu par beaucoup comme le symbole de la renaissance du Gondor après l’échec d’Assabia et la crise de la Couronne de Fer. Le royaume pourrait-il se relever si cela devenait public? Les vautours circulaient déjà autour de la Couronne, n’attendant qu’un tel signe de faiblesse pour attaquer.
Sans rien dire, Neige me présenta le livre de notes de la faussaire Sonja Kol, ainsi qu’une lettre qu’avait reçu le professeur Nallus. Ce n’étaient pas des vraies preuves, mais plutôt des éléments d’un casse-tête qui se mettaient en place.
-Et le rôle d’Eradan dans toute cette histoire? Et le mien?
-Avec les hommes de Rhydon à nos trousses et la moitié des dignitaires du royaume à la solde du général ou victime de son chantage, je ne pouvais pas rendre cette affaire publique. Il nous fallait plus de preuves, et surtout nous devions pouvoir ramener les témoins jusqu’à la justice en vie. Et en dernier recours, arrêter Rhydon et le Général. C’est une tâche que je ne pouvais pas accomplir seule. Dans les moments difficiles, il n’y a parfois pas d’autre choix que de mettre son sort dans les mains d’un autre. Eradan et Félian, son second en commandement, sont des hommes nobles et des véritables défenseurs du royaume. Le chevalier du Cor Brisé prit la parole à son tour:
-J’étais là, avant le mariage du roi Aldarion et de la princesse Dinaelin, lorsque le tribunal dirigé par le Général Cartogan en personne avait condamné Warin à mort. . Je me souviens encore aujourd’hui du regard froid que le général avait lancé à l’homme accusé d’être le dirigeant de la Couronne de Fer lorsqu’il donnait l’ordre de le pendre. Si tout ce que nous avons appris est vrai, il se peut que Catogan faisait lui-même partie de l’Ordre. Et qu’il mérite lui aussi de se retrouver devant ce même tribunal. Nous sommes là pour nous assurer que justice sera faite, même si les sbires de Rhydon essaieront de l’empêcher. Malheureusement, avec l’interdiction du port d’armes, la peste et maintenant les émeutes, nous nous retrouvons pratiquement sans armes. Nous avons besoin de renforts, et Capitaine Neige semble persuadée que vous êtes un homme honorable. Serez-vous des notres?
-Ce ne sera pas à moi ni à vous de juger Cartogan et Rhydon mais oui, la version des faits que vous m’avez présentée est convaincante et mérite d’être revue par un tribunal, de préférence impartial si on peut réellement parler d’impartialité en vue de l’identité des accusés…Je vous aiderai.
Le regard froid de Neige croisa le mien.
-Si nous ne sommes pas trahis par tes…camarades. Tu devais venir seul, Petrus. Et en plus tu as ramené qui, des recrues…?
-Dans les moments difficiles, il n’y a parfois pas d’autre choix que de mettre son sort dans les mains d’un autre. - Je souriais du coin des lèvres, prenant du plaisir à lui ressortir ses propres mots. - Je n’avais pas vraiment le choix, Neige. Je m’attendais à moitié à tomber dans un piège, et je n’ai pas eu entièrement tort. Mais je suis d’accord avec toi, je ne peux pas garantir votre sécurité maintenant que les recrues connaissent votre localisation. Je ne les connais pas assez pour ça. Ecoutez, je vais revenir ici d’ici ce soir, pour vous emmener dans un endroit plus sécurisé, dont personne hormis moi ne connaîtra la localisation. On pourra y réfléchir à notre prochain mouvement.
Lorsque j’étais revenu dans la pièce principale, je vis les recrues en train de discuter avec Félian, le second en commandement d’Eradan. Ce chevalier redoutable ne m’était pas inconnu - il s’était fait un nom en gagnant un tournoi organisé par le roi de Dale. Lithildren se tenait à côté de lui, et avait posé sa main sur son épaule, comme pour l’empêcher d’en dire trop. Mais la discussion semblait avoir marqué les jeunes agents de l’Arbre Blanc qui se regardaient, pensifs.
Bientôt, on nous rendit nos armes et nous retrouvions Edna Lestir à la sortie des souterrains. Le petit groupe m’entoura, et une vague de questions déferla. Capitaine, capitaine, qu’est ce que tout cela signifie? Je ne pouvais pas leur en vouloir, je les avais mis dans une position très difficile. Ils venaient d’intégrer les rangs de l’Arbre Blanc, et ils se retrouvaient déjà face à des gens désignés comme traîtres à la Couronne par les autorités. Je levai une main, puis dis:
-Je comprends votre confusion, je ne savais pas entièrement à quoi m’attendre en venant ici. Mais je pense que mon instinct ne m’a pas trahi, et que vous pressentez vous aussi que Capitaine Neige n’est pas réellement coupable de trahison, ni responsable des émeutes dans la cité. Je vous avais dit tout à l’heure du fait que nous ne servons pas les ambitions d’un seul homme. Je crains que celles du directeur Rhydon ne soient pas entièrement pures. C’est une chose sur laquelle je devrai enquêter. Quant à vous, continuez pour l’instant à servir la Couronne et le Peuple avec dignité et honneur. Retournez à l’Auberge du Chameau qui Tousse avant que votre absence ne devienne suspecte, et attendez la suite de votre formation. Je vous contacterai quand j’en saurai plus. Et surtout, ne dites rien sur cette rencontre à personne.
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J’avais laissé les recrues repartir dans la directe du Chameau qui Tousse. De mon côté, je finis par trouver une porte menant vers une petite ruelle à l’arrière de l’Université. J’avais hésité à me diriger vers mes quartiers personnels, mais il était possible que des hommes de Lord Rhydon y soient postés pour m’espionner. Je devenais sans doute paranoïaque, mais si tout ce que Neige et Eradan disaient était vrai, les enjeux étaient trop importants pour prendre ce genre de risques. Les pensées bouillonnaient dans ma tête. Sur qui pouvions nous compter? Mon ami le capitaine Esmer de Vigo était un homme honorable et digne de confiance, j’en étais sûr. Si les preuves contre Cartogan et Rhydon s'avéraient suffisantes, il nous soutiendrait. Mais si nous essayions de prendre les choses entre nos propres mains et d’arrêter le général et le directeur de force, il se rangerait très probablement du côté de l’ordre.
Dans tous les cas, la première chose à faire était d’assurer la survie et la sécurité de Neige et de ses compagnons. Une fois sûr que je n’étais pas suivi, je me dirigeai vers une planque qui se trouvait dans le grenier d’une vieille maison du Deuxième Cercle, au-dessus d’un atelier de serrurier abandonné depuis longtemps. Je l’avais acquise il y a quelques années, et seuls les hommes sous mes ordres directs en connaissaient l’existence.
Sur la route, je m’étais arrêté chez un des rares marchands en fonctionnement pour y acheter des provisions: du pain, de la viande salée, quelques bouteilles de bière et des pommes, le tout dans un cageot.
Heureusement pour moi, le bâtiment où se trouvait la planque n’avait pas souffert lors des émeutes. J’étais monté jusqu’au grenier pour y déposer les maigres provisions, et vérifier qu’il y avait un bon stock d’huile pour les lampes. L’espace était plus petit que les sous-sols de l’Université de Minas Tirith, mais serait sans doute plus sécurisé. Qui plus est, une trappe dans la cave permettait de rejoindre une maison voisine, offrant une issue de secours supplémentaire.
A l’intérieur d’une armoire, soigneusement protégés par du tissu huilé, j’avais trouvé quelques épées et arbalètes. Ce ne serait pas de trop pour les Chevaliers du Cor Brisé armés surtout de quelques poignards. Bien sûr, je ne pouvais pas traverser les rues de la Cité Blanche avec un arsenal sur le dos. Je me contentai d’attacher une arbalète dans mon dos et une épée supplémentaire à ma ceinture.
J’étais obligé d’attendre le crépuscule pour revenir vers l’Université. Mener discrètement un groupe entier à travers les rues de la cité aurait été pratiquement impossible en pleine journée. Heureusement, en hiver la nuit tombait vite, et bientôt je me dirigeai vers la grande bâtisse.
Quelques gardes de la Cité avaient tenté de m’interpeller, mais lâchèrent l’affaire en voyant la broche de capitaine de l’Arbre Blanc. Alors que les derniers rayons de soleil disparaissaient derrière les murailles de Minas Tirith, je fus pris d’un mauvais pressentiment. J’accélérai le pas.
La sueur perla mon front lorsque l’Université apparut à mes yeux. Les barricades sur la porte de l’aile gauche avaient été arrachées. Vérifiant que mon épée sortait facilement du fourreau, j’entrai dans le hall sombre. Personne. Mais la porte menant aux sous-sols était elle aussi entrouverte. Merde! Des émeutiers ou des gardes étaient-ils arrivés jusqu’ici? Peu probable. Alors que je commençais à descendre les marches, mon pied se posa sur un morceau de bois. Un arc brisé en deux. Ce qui semblait être des bruits de combat résonnait dans le couloir. J’avais pris l’arbalète en main, en l’armant d’un carreau avant de continuer la descente de l’escalier en colimaçon.
Une scène de chaos total s’offrit à mes yeux. Aux pieds de l’escalier se trouvait le corps d’un homme que je reconnus avec horreur comme étant le second en commandement de Neige: #Réland. Le malheureux avait les mains attachées, et avait été poignardé lâchement dans le dos. Une exécution au sang froid.
Un incendie s’était propagé dans un coin éloigné de la pièce, sans doute à cause d’ingrédients alchimiques. La salle voûtée était baignée dans une lueur rouge, et une fumée âcre montait au plafond. Un véritable enfer.
C’était bien et bel mes recrues qui étaient là. Ils avaient donc trahi? Non, la situation était bien plus complexe que ça. Au centre de la salle se tenait Lord Rhydon en personne. Rapière à la main, il était élégant et dangereux comme une incarnation de la Mort. Il était entouré de deux soldats en armure d’assaut ainsi que…Edna Lestir.
Et pourtant, ces braves Syp et Timéon avaient pris le côté des Chevaliers du Cor Brisé, et affrontaient les hommes du Directeur! Quant à Judia, elle essayait de tirer tant bien que mal Hoshen, lourdement blessé, vers la sortie. Dos à l’escalier, elle faillit se heurter contre moi avant de se retourner. Je pus lire la peur dans son regard lorsqu’elle vit l’arbalète armée. Je tirai. Le carreau vint se planter dans le torse d’un des sbires de Rhydon, qui s’écroula sans vie.
Le regard du Directeur croisa le mien pendant un instant. Il n’avait pas perdu son sang froid et un sourire moqueur déforma ses lèvres, mais ses yeux brûlaient de colère face à cette trahison.
Bien qu’en infériorité numérique, les hommes de Rhydon étaient très lourdement armés, tandis que les Chevaliers du Cor Brisé manquaient terriblement d’équipement. Avant que je ne puisse atteindre Rhydon, le brave chevalier Félian engagea le combat, armé seulement d’une longue dague. Le gagnant du tournoi du Pavot d’Or aurait sans doute remporté un duel contre le dirigeant de l’Arbre Blanc dans d’autres circonstances, mais le combat à la loyale ne s’appliquait pas ici. Rhydon n’avait pas hésité une seule seconde à profiter de sa portée supérieure et de la qualité de son acier. La rapière perça le coeur du chevalier, le tuant instantanément.
Le combat était brutal et fratricide. Alors que Judia essayait d’attaquer Edna en lui lançant une poudre noire à la figure, avec l’aide de Lithildren, Timéon et Syp nous avions réussi à abattre un des gardes du corps du directeur. Alors que j’affrontais le deuxième, les recrues avaient réussi à blesser Rhydon au bras.
L’affrontement se termina aussi brusquement qu’il avait commencé. D’un puissant coup de sabre oriental, Syp de Sora avait décapité Lord Rhydon. Le corps sans vie de leur employeur s’écroula sur le sol, sa main gantelée de noir tenant toujours sa rapière.
Les corps des hommes de Rhydon gisaient sur le sol. Tout comme Réland, Félian et d’autres chevaliers, ils avaient péri à cause des ambitions malsaines du Directeur et du Général. Je m’agenouillai à côté du corps à présent presque inerte d’Edna, notant une coupure noircie sur sa main. Elle était morte par le poison, peut-être même celui de sa propre lame.
Pris d’une colère soudaine, je donnai un coup de pied à la tête de Rhydon, l’envoyant dans les flammes qui continuaient d’envahir la pièce. Même si j’avais immédiatement regretté ce geste irrespectueux, mon amertume était terrible. La vanité de cet homme avait causé tant de destruction…
Avec l’aide des recrues, on ramena les corps du Directeur, de ses hommes et d’Edna dans les flammes. Il fallait partir d’ici avant que la fumée n’attire la garde…Je m’adressai à mes recrues une dernière fois:
-Vous avez fait acte de courage et de loyauté à la Couronne aujourd’hui, en vous retrouvant face à un choix impossible et une décision lourde en conséquences. Nous devrons nous assurer que le sacrifice de Réland, Félian et des autres n’était pas en vain. La mort de Rhydon ne pourra pas rester secrète longtemps, mais j’espère que votre rôle oui. Retournez dans la Cité et occupez vous des blessures d’Hoshen. Aux yeux du reste de l’Arbre Blanc, vous avez été pris en embuscade par des émeutiers. De mon côté, je vais emmener Neige, Lithildren et les chevaliers dans un endroit sûr…Et si les choses tournent mal, je prendrai l’entière responsabilité pour la mort de Rhydon. N’oubliez pas. Si nous sortons vivants de cette histoire, ce sera un honneur pour moi de vous accueillir dans mon unité.
Il n’y avait pas de temps à perdre. Alors que je guidais Neige, Eradan, Lithildren et les autres vers ma planque, je jetai un dernier regard derrière moi, espérant qu’il ne s’agissait pas d’un adieu.
Une fois arrivé à la planque, un début de plan commençait à se former dans ma tête. Il y avait quelqu’un dans la Cité dont le sens de justice et de devoir ne céderait pas à la furie du Général Cartogan. Le Juge Marius Van Diesl était cet homme.